1Il convient d’entrée d’expliquer la dualité du titre, et le paradoxe apparent de cette communication1. Dès la Révolution même et la Convention thermidorienne, un débat passionné et permanent va opposer et diviser deux grandes écoles historiographiques à propos des pratiques des acteurs de la décennie révolutionnaire, et en particulier2 à l’égard du patrimoine et des archives. Depuis les années 1980 et les colloques de Clermont-Ferrand3 relatifs au « vandalisme révolutionnaire », les recherches ont été poursuivies jusqu’à un colloque de 2013 portant sur Iconoclasme et Révolution4. Les rencontres scientifiques du projet conflits d’archives5 permettent de faire le point sur une question encore brûlante, dans cet essai de bilan de trente années de travaux et de publications.

2Pour la première école, après les trois Rapports de l’abbé Grégoire6, la Révolution aurait détruit de nombreuses archives, parmi d’autres destructions. C’est la thèse « classique » du « vandalisme révolutionnaire », qui légitime la formule-choc de son pionnier : « Je créais le mot pour tuer la chose7 »… Ce courant, relayé par le marquis de Laborde, conservateur des Archives en 18678, Georges d’Heilly9 (en 1868), Gustave Gautherot10, Edgard Boutaric11, Louis Réau12, et bien d’autres, met l’accent sur la destruction volontaire ou incompétente d’archives monarchiques, féodales, seigneuriales, religieuses, privées, de livres, et de bien d’autres objets et symboles qui peuvent relever d’une définition plus large des archives. On ne saurait éluder ce réquisitoire, repris sur plus de deux siècles.

3Pour la seconde école, qui pourrait partir d’Armand Camus, le premier « archiviste national » de la Révolution, et aboutir à Jean Favier13 et à des conservateurs d’archives contemporains14, en passant par Eugène Despois15, la Révolution et singulièrement la Convention auraient défini et appliqué pour la première fois dans l’histoire du pays une politique de conservation, de protection et de diffusion des Archives, à tous les niveaux. Depuis les années 198016, des études ont mis en évidence les lois et les applications autour de la création dans les années 1790 des archives nationales, départementales et locales. Ainsi, il est difficile de rêver d’un « conflit d’archives » plus crucial et plus actuel.

4Ces deux écoles appelleraient un dépassement de la polémique par un historien « impartial et consciencieux17 ». Un colloque de 1988, sous l’égide de l’Association des Archivistes français a joué un rôle pionnier, sous le titre : « Archives et révolution : création ou destruction ? » M’attelant à cette tâche périlleuse18, je tâcherai de faire le point en trois temps.

1. Partant des procureurs de la Révolution, il s’agit de voir les réalités, les mythes et légendes des destructions d’archives pendant la décennie révolutionnaire.

2. Partant des laudateurs, il s’agit d’analyser les réalités, les mythes et légendes des fondations des Archives nationales, départementales et locales pendant la même période.

3. À partir de recherches récentes d’archivistes et d’historiens, il conviendra de tenter une mise au point des conflits historiographiques et des données factuelles de la question.

Réalités et ampleur de la destruction des archives : un « vandalisme révolutionnaire » ?

5Des procureurs ont instruit le dossier des destructions révolutionnaires, faits à l’appui, en désignant des responsables et en mettant l’accent sur leurs motivations.

Des procureurs

6L’abbé Grégoire est en première ligne19, en tant qu’auteur des trois Rapports à la Convention20, précédé d’un rapport sur les inscriptions des monuments publics en frimaire an II (janvier 1794). Il est rejoint par Joseph Cambry21, dans un Catalogue des objets échappés au vandalisme dressé en l’an III, et d’un Voyage dans le Finistère ou état de ce département en 1794 et 1795. Attention ! Ces réquisitoires interviennent après Thermidor. Ils ne traitent pas directement de la destruction d’archives, mais de toutes les formes de « vandalisme », dont les archives font naturellement partie.

Des destructions : Quelles destructions d’archives ?

7Dans son « second » rapport du 8 brumaire an IV (29 octobre 1794), Grégoire apporte des faits liés à la question du vandalisme et des archives : « La correspondance du comité d’instruction publique et de la commission temporaire des arts nous fait connaître de nouvelles dégradations22. » Si l’on établit une hiérarchie dans ces faits qualifiés de « vandalisme », la destruction d’archives vient après les destructions des signes et symboles de la monarchie, de la féodalité, de la religion, des arts, des sciences, des monuments, des livres… Grégoire s’intéresse particulièrement aux livres depuis son rapport sur la bibliographie « générale et raisonnée de la France », du 11 avril 1794. Il ne parle guère d’archives, mais d’un « complot » visant à « anéantir tous les monuments qui honorent le génie français ». Il convient toutefois de ranger parmi les actes de destructions certains faits antérieurs aux dénonciations thermidoriennes, portant sur des archives féodales, nobiliaires, monarchiques et ecclésiastiques.

Les archives féodales

8La destruction des terriers en 1789 et 1793 n’a pas d’équivalent23, sauf local, dans l’histoire nationale, si l’on excepte le moment des Bonnets rouges de 1675. Entre le 25 et le 30 juillet 1789, une jacquerie étudiée par Anatoli Ado24 touche sept régions, dont l’Alsace, le Doubs, entraînant ce jugement de l’ancien feudiste Babeuf : « L’emploi de feudiste est perdu » ! Lors de la « guerre aux châteaux » dans l’Ain, pendant la Grande Peur, Pont-de-Veyle est le théâtre d’un autodafé d’archives, le 27 juillet25 : « Des paysans armés de fourches forcent la porte de la mairie, se saisissent de sacs d’archives, déchirent ces papiers qui servent d’arguments dans les procédures et les brûlent sur la place ». À l’abbaye de Saint-Sulpice, le 12 août 1789, 600 paysans brûlent les terriers. Il en va de même dans le Maconnais, le Dauphiné, la Normandie, le Bas-Maine, le Nord, le Vivarais. Dans le Dauphiné, il s’agit d’« amender les terriers ou les détruire » pour une bande de 1 000 paysans ; la répression bourgeoise entraîne 27 exécutions ! 2 000 ensembles d’archives seigneuriales auraient été ainsi brûlées ou détruites. Mais les feudistes se maintiennent, le terrier constituant la preuve de la légitimité des redevances féodales jusqu’à l’été 1793. Cinq autres jacqueries poursuivent ces phases de destructions « illégales ». Près de 4 000 archives auraient ainsi été détruites pendant la « révolution paysanne », mais contre l’avis des autorités, et selon des modalités régionales très diverses.

9Une « loi de colère » du 17 juillet 1793 porte un coup fatal dans des régions peu touchées jusque-là26. Les nobles sont tenus de livrer aux autorités tous documents relatifs à leurs titres, dans les huit jours (le 18 novembre 1793, 28 brumaire) sous peine de visites domiciliaires et de sanctions pénales. De nombreuses archives et papiers terriers sont ainsi détruits dans les fêtes régénératrices, nationales et locales, qui suivent le 10 août 1793. Cette loi, en vigueur jusqu’à une loi de janvier 1794, qui suspend les destructions à l’établissement d’un cadastre, constituerait une victoire des paysans sur les propriétaires, malgré Merlin de Douai27 ? Il reste à faire le bilan de plus de cinq années de destructions et d’autodafés sur le plan local et sur le plan national.

Les archives de la noblesse

10Le 19 juin 1792, Condorcet, auteur d’un plan d’instruction du 20 avril, propose de brûler tous les titres de noblesse dans les dépôts publics :

« ces immenses volumes qui attestaient la vanité de cette caste […] d’autres vestiges subsistent encore dans les bibliothèques publiques, dans les chambres des comptes, dans les archives des chapitres à preuves, et dans les maisons des généalogistes ; il faut envelopper ces dépôts dans une destruction commune : vous ne ferez pas garder, aux dépens de la nation, ce ridicule espoir qui semble menacer l’égalité28 » !

11Le décret est suivi d’application dans les départements, après le 19 août. Tout le monde reconnaît que ce « premier triage a été mal fait », des pièces importantes pour l’histoire ont « disparu, brûlées, égarées ou volées ». Il aurait fallu une armée de fonctionnaires pour sauver ces dépôts familiaux et dynastiques, selon Eugène Despois29. Il fallait fermer tout retour au passé (Vallet de Viriville), ne pas « mettre la clef sur la porte » des moines et des émigrés.

12Les lois de destruction du régime féodal et nobiliaire des 4 juillet 1793, 1^er août pour les armoiries particulières, et 14 septembre 1793, poursuivent cet effacement des attributs et symboles de la noblesse française.

Les archives monarchiques

13Des lois et décrets, visant les symboles de la monarchie dans les actes ou les ouvrages, s’attaquent aux fleurs de lys, aux sceaux, aux noms des rois. Les destructions de certaines archives de biens nationaux ayant appartenu aux rois et à leurs familles (le comte de Provence à Brunoy) sont avérées, à une époque où on peut être condamné à mort pour avoir conservé les armes de la royauté sur un service de vaisselle30 ! Lors de visites domiciliaires, le cas de Dorival à Crosne paraît exemplaire. Cet ancien commissaire du Châtelet avait conservé les blasons de la royauté sur l’argenterie de 46 pièces de vaisselle dans son manoir, en pluviôse an II (mars 1794)31. Faut-il détruire des objets, des archives ou des ouvrages lorsqu’ils portent des symboles de la monarchie ? Le débat est en cours après le 10 août…

Les archives religieuses

14Les archives des biens nationaux, abbayes, prieurés, monastères, sont menacées entre 1790 et 1792, mais surtout lors de la déchristianisation de l’automne 1793, pour les dizaines de milliers de prêtres contraints à l’abdication : on peut brûler des registres illégaux de catholicité, des lettres de prêtrise, en plus de l’argenterie, des statues et des tableaux. L’essentiel se situe en brumaire an II-novembre 1793, lorsque des prêtres brûlent parfois eux-mêmes leurs titres (Mennecy) ou doivent les livrer au district ou à la Convention, pour être anéantis, comme des « cartouches ecclésiastiques » ou des « brevets d’imposture32 ».

Les bibliothèques

15Le second rapport de Grégoire contient des anathèmes sur les « vandales » qui ont détruit ou brûlé des livres, à Arles33, à Douai, à Étain… Un décret de brumaire an III place la conservation des ouvrages sous la responsabilité des administrateurs de la commune. Le débat porte là sur le sort des bibliothèques ecclésiastiques ou appartenant à des nobles émigrés, lors de la vente des biens nationaux de première et seconde catégories. Le lien entre archives et livres est implicite dans les accusations d’autodafés et de pillages des détracteurs des politiques des gouvernements révolutionnaires.

Quelles motivations ?

16Grégoire établit les mobiles des destructeurs dans ses trois rapports. Parmi ceux-ci, « la rage de détruire est à son comble34 » ; « l’ignorance35 » ; « la cupidité et les machinations contre-révolutionnaires36 ». Les accusations de Louis Réau amplifient ce procès, y ajoutant les frustrations sociales et la graffitomanie…

Quels destructeurs ?

17« Une horde de scélérats… » Grégoire dénonce, comme Cambry, un vaste complot contre les arts, les sciences et la civilisation, mêlant les contre-révolutionnaires et les acteurs de la politique de salut public dans ses diatribes : « Dans l’espace d’un an, ils ont failli détruire le produit de plusieurs siècles de civilisation37. » La hiérarchie des responsables place en tête Robespierre : « Le vandalisme, que l’infâme Robespierre avait soufflé dans toute la République38 » (frimaire an III) ! Mais il cite d’autres partisans des destructions, à ses yeux, dont Dumas, Chaumette, les Hébertistes, les Enragés, les « terroristes », les membres des comités de surveillance, les sans-culottes des villes et des champs…

Quels anti-Vandales ?

18Grégoire insiste sur les progrès survenus après le 9 thermidor : « Beaucoup de districts se sont empressés de concourir à l’exécution des mesures que vous avez prises pour arrêter les destructions39. » On parle de ce qui a failli être détruit et de ce qui a été vendu (« à un très vil prix »). Il existe des commissaires « instruits et patriotes », pour sauver la tapisserie de Bayeux (référence au péril de 1562 !). Le décret du 8 brumaire place les bibliothèques sous la responsabilité des agents nationaux et des administrateurs du district.

19Au terme de ces accusations, il semble que le dossier historiographique soit solide au sujet d’« une destruction immense et aveugle40 ». Même si les archives sont la catégorie probablement la moins citée dans les « monuments détruits41 » par les assemblées révolutionnaires et les administrations locales42, elles sont comprises dans l’ensemble qualifié de « vandalisme » par de nombreux historiens, jusqu’à nos jours, dont le marquis de Laborde, archiviste officiel en 1867 : « Sous la Révolution, de nombreuses destructions d’archives eurent lieu sous prétexte de détruire les titres féodaux43. » On dresse une liste « dont nous savons aujourd’hui qu’elle aurait pu être beaucoup plus ample et impressionnante44 ». De nombreuses archives auraient ainsi payé les excès des « politiques de la Terreur45 ».

20Comment concilier ce réquisitoire, cohérent et argumenté, avec le dossier construit par d’autres historiens, autour de la protection, de la conservation et de la diffusion des archives par les assemblées révolutionnaires qui se sont succédé entre 1789 et 180246 ?

Quelle protection et quelle conservation des archives sous la Convention ?

21On pourrait mettre en exergue la réflexion d’un juriste contemporain : « Il n’y a pas d’Histoire sans archives… Il n’y a pas d’État sans archives… Il n’y a pas de République sans archives47. »

La situation en 1789

22Au tout début de l’époque moderne, il n’existe pas de distinction entre les archives publiques et les archives privées. Les agents conservent leurs papiers et les doubles, puis les transmettent à leurs héritiers. Au xvii^e siècle, avec Richelieu, l’idée s’impose que les archives de l’État doivent revenir à l’État. Louis XIV codifie cette tendance dans plusieurs directions. Le Trésor des chartes48, fondé par Philippe-Auguste (et Louis IX) est développé, il est conservé à la Sainte-Chapelle (en 1783 au Palais de justice attenant). En 1688, les dépôts du ministère de la Guerre doivent être conservés à Versailles. Il en va de même pour les archives du ministère de la Marine en 1699, et des Affaires étrangères en 1710. Mais, alors que d’autres pays sont déjà dotés de dépôts centraux, les archives centrales de la monarchie française sont toujours dispersées dans une soixantaine de lieux différents en 1789. Des savants et des bénédictins (de Saint-Maur) dépouillent et conservent des archives locales à partir de 1763, pour la Bibliothèque royale49. Vue l’inexistence des communications, le tri n’est pas un problème. Mais l’indifférence pour les archives est notoire avant 1792, même de la part des philosophes. Selon Eugène Despois, dès 1868, non sans emphase : « la Législative n’avait fait que détruire ; la Convention seule a fondé et conservé50 ». D’autres auteurs sont plus consensuels, sur la continuité des politiques de conservation des archives : « Les archives nationales ne voient le jour qu’avec la Révolution51. » Certains soulignent à cet égard la complémentarité du régime du Premier Empire avec l’œuvre des révolutionnaires : « Quant à l’institution que nous connaissons aujourd’hui, elle doit beaucoup à la Révolution et à l’Empire52. » Vincent Duclert résume les liens entre la Première République et les archives par une formule frappante : « La Révolution française a fait des archives et de leur politique une pièce maîtresse de la construction d’un État moderne et de l’élaboration de la citoyenneté démocratique53. » De nombreux ouvrages contemporains, sous les plumes d’historiens et de professionnels des archives, permettent de suivre cette politique de protection et de conservation, tant dans les aspects législatifs, que dans les actions et les motivations des protecteurs et des conservateurs54.

Lois et institutions

23Dès le 29 juillet 1789, la Constituante consacre une séance au problème des archives : « choisir un lieu sûr pour le dépôt de toutes les pièces originales relatives aux opérations de l’assemblée ». Armand Camus est pressenti dès le 14 août pour occuper cette charge. Le 26 août, la Déclaration proclame que la « société a le droit de demander des comptes à tout agent public et administratif » ! Les Archives nationales ont été créées, sur le papier, par les décrets des 4 et 7 septembre 179055, pour protéger les archives confisquées aux établissements religieux et plus tard aux émigrés, mais aussi pour « le dépôt de tous les actes qui établissent la Constitution du royaume, son droit public et sa distribution en départements » (plus le Châtelet, les justices seigneuriales, les bailliages, les sénéchaussées, les fonds des intendances, les actes de la Couronne). Elles sont d’abord installées aux Tuileries, avec un archiviste, qui remplace le 14 août 1789 le garde du trésor des chartes. Mais la Législative les néglige.

24Elles sont ensuite organisées pendant la Convention, en 1793-1794, puis placées sous l’autorité de Camus, quand ce dernier rentre de captivité, en décembre 1795. Un premier décret du 20 février prescrit la réunion des différents dépôts dans un local commun, qui sera le Louvre, selon un décret du 2 novembre 1793 (brumaire an II), sous le contrôle d’un « archiviste de la République ». Deux sections sont prévues ; la première, relative aux biens de la Nation, à alimenter par les départements ; la seconde pour tout ce qui peut intéresser les « monuments historiques » (archives comprises). Quelques décades plus tard (2 décembre 1793, 12 frimaire an II), l’Assemblée demande à toutes les administrations de conserver les manuscrits et les parchemins destinés à être détruits, jusqu’à l’avis du comité d’Instruction publique. Ce comité joue un rôle essentiel dans la politique éducative et culturelle du pays. Parallèlement fonctionne la Commission des arts, fondée le 18 octobre 1792, agrandie le 27 août 1793, avec les membres des académies supprimées, soit 33 membres. Elle suscitera dans certaines régions de nombreuses plaintes, de négligence ou de dilapidation, sans que les archives soient particulièrement visées.

25Mathieu, le 18 décembre 1793 veut la remplacer par la Commission temporaire des arts. Une loi du 27 janvier 1794 (8 pluviôse an II) charge une commission temporaire, prise dans cinq comités, de l’organisation définitive des Archives nationales.

26Tout le système des archives de France repose sur un décret fondamental, du 7 messidor an II, ou 25 juin 1794, au moment de Fleurus, resté en vigueur jusqu’en 1979. Il prévoit trois classes de documents : domaniaux, judiciaires et historiques. L’article 1 fixe l’obligation d’un dépôt central pour toute la République et sous l’inspection du Comité des archives. Le décret réglemente en particulier les droits des citoyens à la communication des archives (article 37) :

« Tout citoyen pourra demander dans tous les dépôts, aux jours et heurs qui seront fixés, la communication des pièces qu’ils renferment : elle leur sera donnée sans frais et sans déplacement et avec les précautions convenables de surveillance. »

27Une agence temporaire des titres à Paris (formée de 8 anciens archivistes et ci-devant bénédictins) et des préposés aux triages en province sont chargés de trier les documents, jusqu’à la suppression (en janvier 1801) d’un bureau de triage fondé sous le Directoire en lieu et place de l’agence. Du couvent des Capucins de la rue Saint-Honoré, les archives sont ensuite transportées au palais Bourbon, puis à l’hôtel Soubise, jusqu’à une date récente. Il demeure une dualité entre la Bibliothèque nationale et les 545 bibliothèques de districts (article 12). Si le marquis de Laborde y voit une simple « loi financière », destinée à détruire les titres féodaux (article 9), d’autres soulignent que sont exemptées des destructions les archives concernant « l’histoire, les sciences et les arts » (article 12). Mais de nombreux historiens voient dans le décret de messidor un texte fondateur : Henri Bordier, conservateur aux Archives nationales sous le Second Empire, le définit, dès 1866, comme « la base de tout le système des archives en France56 ». La Convention aura eu le mérite, selon Eugène Despois en 1868, « d’avoir soupçonné, au milieu de l’indifférence universelle à cet égard, l’utilité que les archives présentaient pour la science57 ». Pour Jacques Godechot, « c’est ainsi que furent formées les archives départementales, municipales et nationales », après le décret du 25 juin 179458.

28Pour les archives départementales les décrets essentiels se situent en 1790, 1793 et la loi de base du 5 brumaire an V (26 octobre 1796) qui crée obligatoirement un service d’archives par département, à charge de collecter les archives des 545 districts supprimés par le Directoire. Le point de départ est un décret du 20 avril 1790, sur la « remise des pièces et des papiers relatifs à l’administration dans chaque département ». Fin 1790, est créé le premier dépôt d’archives de Seine-et-Oise et la première élection d’un archiviste du département : François Nicolas Bocquet59. La loi du 7 messidor (25 juin) établit un triage par district, par exemple pour Étampes. Il en va de même pour le Maine-et-Loire et ses huit districts, les préposés au triage de messidor an III, et le regroupement des archives dans l’ancienne abbaye de Saint-Aubin d’Angers, en lieu et place du couvent des Jacobins. Mais le 22 août 1795 (d’après la Constitution de l’an III), les districts60 sont supprimés et les Archives départementales sont officiellement en place à partir de la loi du 5 brumaire an V (26 octobre 1796)61, avec la double mission de la conservation et du catalogage des fonds, sous le contrôle des autorités administratives. À partir de 1800, les Archives nationales dépendent du ministère de l’Instruction publique, alors que les Archives départementales dépendent des préfets sous les ordres du ministre de l’Intérieur.

29Sur le plan local, les municipalités, en plus de réunions régulières, se doivent de conserver des archives, de stocker les lois, et de dialoguer avec les administrations des districts, pour les impôts par exemple62. Dans le Nord de la France, et pour de nombreuses communes, c’est la naissance de l’archivage administratif, contrôlé par le maire, le secrétaire greffier.

30Il n’en demeure pas moins que cette naissance des Archives nationales se fait dans un contexte de violence et d’iconoclasme, et que la centralité du dépôt est garante de la possibilité de trier et détruire ce qui porterait obstacle à la régénération.

Les archivistes de la Convention et du Directoire

31On rattache à cette institution les noms d’Armand Gaston Camus (1740-1804) et de Pierre Claude Daunou (1761-1840). Le premier « reste attaché à la création des Archives nationales63 ». Avocat, intellectuel siégeant à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres sous l’Ancien Régime, il est élu en deuxième position député du Tiers de Paris en 1789. Il devient, au scrutin majoritaire, le 4 août 1789, le premier archiviste de la Constituante (« garde des Archives nationales » et l’un des rédacteurs de la Constitution civile du Clergé en 1791), avant de devenir l’archiviste de la Législative, sans y siéger. Chargé de classer les papiers des ordres religieux et les titres féodaux comme conservateur, et bibliothécaire du Corps législatif en avril 1792, il poursuit sa carrière au sein de la Convention comme député de la Haute-Loire. Dès octobre 1792, il est à l’origine de la Commission pour la conservation des monuments des sciences et des arts, qui permettra les dépôts au Palais-Bourbon et aux Petits-Augustins (par Alexandre Lenoir) pour les œuvres d’art. Il est l’un des membres actifs du comité d’Instruction publique, avant son départ pour l’armée de Belgique comme représentant en mission. Livré aux Autrichiens par Dumouriez, il ne rentre en France qu’en l’an III64 (décembre 1795) et redevient l’archiviste de la République jusqu’en l’an VI. En juillet 1800, Camus est nommé garde des Archives nationales qui sont dissociées des Archives du Corps législatif en prairial an VIII (le 28 mai 1800), devenant ainsi le premier dépôt d’Archives nationales contemporaines65. Quand Daunou lui succède, le dépôt est installé alors à l’hôtel de Soubise, en 1808. L’archiviste de l’Empire, ancien Conventionnel, membre de l’Institut et administrateur de la bibliothèque du Panthéon66, a été célèbre en l’an III pour sa loi sur les écoles primaires et comme membre du comité de Salut public en thermidor an III (août 1795). Il va nommer Archives impériales le centre, qu’il transfère en 1808 à l’hôtel de Soubise67, définit alors les cadres du classement des Archives nationales (cinq sections, vingt-trois séries, de la série A à la série Z) et débute le grand tri préliminaire. L’essentiel est désormais en place68, en attendant Guizot, et Michelet, chef de la section historique des Archives de 1830 à 1852 !

32Dans les départements, le cas de Jean Étienne Néry pour les archives et les livres de Marseille semble en tout point exemplaire. Cet ancien religieux (chartreux) et chartiste est nommé archiviste en 1792-1793, d’abord à Avignon, puis commissaire dans les dépôts des Bouches-du-Rhône, réalisant des inventaires pour Apt, Orange, Carpentras, faisant Œuvre de sauvegarde dans une région ravagée par la guerre civile. Hubert Pascal Armeilhon à Paris69, le pasteur Jean Frédéric Oberlin à Strasbourg sont des figures d’archivistes bibliothécaires comparables, qui légitiment ce jugement contemporain de Dominique Varry :

« C’est assurément la réussite de la Révolution que d’avoir pendant ces quelques dix années, fait émerger la double notion de développement de la lecture publique et de conservation du patrimoine écrit, les livres étant protégés tout à la fois comme richesse et comme moyen d’instruction70. »

33À l’inverse des jugements du marquis de Laborde en 1867, Simone Balayé, conservatrice de la Bibliothèque nationale, place l’œuvre de la Convention au pinacle pour cet établissement :

« La décennie révolutionnaire va être le moment le plus fabuleux de son histoire, qui aura plus fait pour sa croissance que les siècles précédents […] Au sortir de la Révolution [c’est] la plus grande bibliothèque du monde, le centre rayonnant des Lumières et du savoir71. »

34L’abbé Grégoire reconnaît qu’elle est plus fréquentée que jamais en l’an II. Elle accueille plus de 200 lecteurs quotidiens entre 10 et 14 heures, pour une consultation de près de 1 000 volumes, contre 100 lecteurs en 1790 et 300 en 180072. Le 19 juillet 1793, le Dépôt légal est institué, sous l’égide de Marie Joseph Chénier et de Joseph Lakanal ! Deux exemplaires doivent être déposés, pour une mesure qui a été suivie d’effets. Au total, plus de 250 000 livres, 15 000 manuscrits, 85 000 estampes ont été acquis par la Bibliothèque nationale73 pendant la Révolution. Dans le même temps, le dépôt littéraire de Saint Louis de la culture, ancienne maison des Jésuites, recueille 600 000 volumes venus des fonds ecclésiastiques. Ils sont gérés par Armeilhon, avant son départ pour l’Arsenal, en 179774. La bibliothèque de l’Arsenal est rouverte en 1795, par le libraire Saugrain. La bibliothèque de l’Institut, « plus connue que la Bibliothèque Nationale », ouvre 4 jours par décade en 1798 et accueille Grégoire et bien d’autres, de 10 à 14 heures. Autour de la notion de patrimoine, archivistique et imprimé, la convergence d’historiens et de professionnels semble légitimer l’hypothèse d’une Révolution fondatrice d’institutions remarquables, avant que la monarchie de Juillet ne les pérennise, en définissant une doctrine et des missions durables.

Réalités et limites de la préservation des archives de la Révolution

Des acquis historiographiques

35Il est nécessaire de montrer quelques limites du réquisitoire contre les « Vandales », avant de dresser un état des lieux et des pratiques de destruction et de conservation.

Vandalisme et iconoclasme75

36En premier lieu, il paraît évident que certaines destructions d’archives ont été assumées par ceux-là mêmes qui condamnaient les Vandales. C’est le cas pour Condorcet et Grégoire, républicains convaincus après le 10 août 1792 pour les documents marqués au sceau de la monarchie. C’est également le cas de nombreux Conventionnels, à propos des archives féodales et nobiliaires, au plus fort du danger causé par les émigrés. De même, une partie des réquisitions dans les églises et lieux de cultes était légitimée par les exigences de la défense nationale et par le soutien de la monnaie76. On peut aller plus loin, en affirmant que la plupart des Conventionnels, savants et intellectuels du Comité d’Instruction publique ont été « iconoclastes », à propos des symboles politiques et sociaux de l’Ancien Régime, dans l’optique d’une « régénération » systématique des signes et symboles à détruire77. La journée décisive est celle du 10 août 1793, baptisée fête de la Régénération, magnifiée dans un discours de Boissy d’Anglas, en messidor an II (juin 1794) :

« Lorsque tous les attributs du royalisme, tous les hochets de l’orgueil furent consommés par les flammes, ce fut un grand acte de justice nationale, un grand exemple donné à toutes les nations de la terre, une grande et auguste cérémonie. »

Les anticipations de la Convention

37Le discours culturel sur la conservation du patrimoine, singulièrement en matière d’archives, est parallèle à celui de l’iconoclasme, auquel il est relié de manière dialectique. Pour les responsables de la politique culturelle de la Convention, il convient de protéger tout ce qui peut servir le bien public, en particulier les archives, livres et monuments. Il faut le faire, pour éviter le « vandalisme banal », si fréquent pour les dépôts des institutions devenues biens nationaux, qui connaissent souvent dilapidations, déprédations, voire destructions, sans que les administrations en place aient pu – ou ne l’ont-elles pas voulu ? – réagir. Romme, Lequinio, Chénier, David et d’autres Conventionnels mettent en place une politique de sauvegarde du patrimoine, entre septembre 1792 et mars 1794, avec les interventions sur les livres, le 22 octobre 1793 : « c’est aux livres que nous devons la Révolution » (Chénier) ; puis sur les objets qui « intéressent les arts, l’histoire et l’instruction » (Romme, le 24 octobre 1793). Il convient ainsi de voir sur le terrain comment le discours sur le patrimoine a pu être appliqué, en contraste avec les accusations de Grégoire et Cambry, après Thermidor an II78.

Portrait de groupe des régénérateurs

38Si l’on passe sur les règlements politiques de l’après Thermidor, il est possible de proposer un large consensus entre les responsables de la politique culturelle au sein de la Convention, en liaison avec deux institutions fondamentales de protection du patrimoine, le Comité d’Instruction publique79 et la Commission des Arts80, en liaison avec les administrations de départements et de districts. À notre sens, la politique de protection et de conservation des archives est inséparable d’une politique culturelle plus globale, qui vise à promouvoir les arts républicains et la « République des savants », et ce en pleine période (l’an II) qualifiée par d’autres historiens globalement de Terreur81, par un amalgame fâcheux entre deux logiques de natures hétérogènes82. L’abbé Grégoire est partie prenante dans cette politique dont il loue les avancées et les acquis dès son premier Rapport sur le vandalisme, politique menée avec ceux (les Montagnards) qui ont partagé les mêmes missions, mais qu’il dénonce comme des adversaires politiques après Thermidor. Nous pensons qu’en pleine « Terreur judiciaire et politique », la logique de protection et de conservation, indépendante de la logique judiciaire, a été maintenue et que les qualificatifs de Terreur et de vandalisme employés par les Thermidoriens pour disqualifier les adversaires politiques de la veille relèvent de règlements de compte sans lien direct avec la matérialité de la politique culturelle et artistique de l’an II83.

Bilans de la conservation. Études de terrain

39Quelle politique pour les archives ? Destruction ou conservation ? Il semble en dernière analyse que les deux notions sont conciliables, voire connexes. Selon Eugène Despois, les fondations culturelles (archives, musées) sont inséparables de ce qu’il qualifie encore en 1868 de « vandalisme révolutionnaire », et que nous proposons aujourd’hui de qualifier d’« iconoclasme révolutionnaire », du moins pour la politique assumée par les Conventionnels en charge de ces questions84. Annie Jourdan évoque cette question essentielle en ces termes, à partir des discours de Cambon et des lois de protection : « Pour conserver, il faut détruire ; plus la républicanisation s’installe, plus la conservation l’emporte85. » Nous pouvons le montrer rapidement en faisant la part de ce qui a disparu et de ce qui a été conservé en matière d’archives nationales, départementales et locales. À notre sens, seules des études de terrain, solides et vérifiées, peuvent faire la part des mythes et des réalités du dilemme initial : destruction ou conservation ?

Les Archives nationales

40De nombreux guides et les recherches effectuées pour le bicentenaire de la Révolution française permettent de montrer l’ampleur des disparitions et des conservations en matière d’archives. Dans les cas de deux départements de la couronne parisienne, l’Essonne et le Val-de-Marne actuels, nous avons dressé un bilan pour la période 1787-180286. Quelques exemples peuvent mettre en valeur les apports, appliqués à un ensemble de 240 communes. Les situations fiscales et sociales figurent dans la série « Juridictions spéciales et ordinaires » (série Z), pour les rôles d’impositions, les litiges et requêtes, y compris pour les privilégiés dans les suppléments des rôles de 1789 et 1790. Les élections et les votes, des États généraux à l’an VIII, par communes, cantons, districts sont consultables dans des conditions correctes dans les cartons de la série B, en particulier pour les constitutions de 1793, 1795 (l’an III), 1799 (l’an VIII), tandis que les litiges et les pétitions des habitants se lisent dans la série « Assemblées nationales ». Si l’on peut suivre les grands litiges des communes, au jour le jour parfois, dans la série D, dans les requêtes et les dossiers des différents comités des assemblées, on ne trouve pratiquement pas d’archives sur les missions des représentants dans nos départements, et les sources judiciaires semblent minces, au regard de la richesse des Archives départementales.

Les Archives départementales

41Jacques Godechot a rappelé la continuité administrative entre l’Ancien Régime et la Révolution : les administrations départementales héritèrent des papiers des intendances des subdélégations (voir la réforme Brienne), et il en fut de même pour les districts et, en partie, pour les communes87. Les exemples départementaux varient selon les conjonctures en temps de Révolution et les politiques de conservation spécifiques. Dans le Bas-Dauphiné, par exemple, les dépôts d’archives des administrations anciennes, puis des biens nationaux ont produit une masse difficilement abordable, entre les inventaires et les suppressions de ce qui paraissait accessoire. Le versement des titres aux administrations départementales ne survient qu’en l’an V88. Les contrastes sont mis en valeur par les archivistes contemporains. Alors que Toulon89, en proie à la guerre civile, a vu la destruction par les opposants des archives de la société populaire et de la municipalité, le Briançonnais90 a connu une transition modérée, sans brûlements notoire des archives, pendant la période montagnarde ! Henri Bordier, archiviste du Second Empire, signale que

« dans vingt autres villes de France (dont Chartres, Poitiers, Marseille, Périgueux, Avignon), il est arrivé que des documents, quelquefois des archives entières, qu’on disait détruites par le vandalisme révolutionnaire, ont été retrouvées plus tard, gisant ignorés dans quelque coin de la préfecture ou de l’hôtel de ville […] On a fait croire le mal beaucoup plus grand qu’il ne l’était en réalité91 ».

42Pour l’Essonne actuelle, le bilan de la préservation départementale peut être mené sur les archives seigneuriales et féodales, les terriers et les papiers terriers, les plans d’intendance. Si on a pu conserver un terrier ou un plan terrier pour la moitié des paroisses, ils sont disséminés dans de très nombreux dépôts92 : Archives nationales, série H pour les ordres réguliers ; Archives départementales, séries A2, G7, E dépôt, E (notaires) ; Archives communales (Draveil), archives privées. L’Essonne n’a pas été touchée par la « grande peur des terriers », qui a sévi dans d’autres espaces (Dauphiné, Charentes). Chamarande dispose de 178 plans d’intendance, aquarellés, réalisés pour l’intendant Louis Bertier de Sauvigny, entre 1780 et 178993 !

43Il convient de marquer, dans certains cas, la complémentarité des archives départementales94 et nationales pour des espaces reconnus, comme le sud de l’Île-de-France. Il en va ainsi pour de nombreux documents religieux, conservés au Châtelet, dans le minutier central des Archives nationales, dans la série S pour l’abbaye Sainte-Geneviève, dans les séries N pour les plans, dans les séries H et G des Archives départementales et dans les archives diocésaines95. La dispersion des fonds est manifeste, mais laisse au chercheur bien des plages de recoupements. Pour les questions fiscales ou les cahiers de doléances, par exemple, les Archives nationales et départementales se complètent également96.

44Pour les archives administratives et politiques, le tableau est différent. Les archives départementales sont complémentaires des archives communales. La continuité est ainsi de règle entre le bureau de Corbeil de 1787-1789, le district et les municipalités de 1790-1791, dans le cadre d’un dialogue étroit entre pouvoir intermédiaire et pouvoir local, de transmission systématique des archives de l’institution d’Ancien Régime aux institutions révolutionnaires97 !

45On pourrait également établir un parallèle entre la conservation des archives et la conservation des bibliothèques publiques98.

Les archives locales

46Pour les archives locales, la situation était bien plus préoccupante que pour les archives nationales et régionales, avant la Révolution. Dans le Nord et dans l’Île-de-France, le pouvoir local ne disposait pas d’archives constituées, en dehors des communautés, des fabriques, à la différence des municipalités du Midi. La réforme Brienne, de 1787, a jeté les bases d’un pouvoir municipal régulier, en correspondance avec un bureau d’élus, en mesure de commencer un archivage des délibérations. Il faut ensuite tenir compte des destructions opérées au cours de la Révolution même et par les régimes postérieurs pour comprendre l’état actuel des archives conservées sur les périodes de l’Ancien régime et de la Révolution. C’est le cas pour les sociétés populaires. Sur 5 500 sociétés populaires, quelques dizaines seulement ont préservé leurs registres et leurs archives intacts sur une durée suffisante99, alors que les archives de base, état civil, registres de délibérations et cadastre ont été largement conservées par les municipalités respectives, ou confiées aux Archives départementales100.

47En Bretagne, le bicentenaire de la Révolution a révélé la richesse des archives sauvegardées pour plus de 1 400 communes et paroisses étudiées dans la brochure Les Bretons délibèrent101. Dans des villes comme Fougères, pourtant suspecte de chouannerie, ou La Guerche, les documents de base (cahiers de doléances, généraux de paroisse, registres des municipalités communales et cantonales) ont été conservés, rendant possibles les réalisations de nombreuses monographies villageoises102. Ce n’est pas le cas pour des régions de guerre civile comme la région lyonnaise ou la Vendée…

48Un bilan rapide des archives disponibles sur l’Ancien régime et la Révolution pour le Bicentenaire de 1789 donne ainsi la mesure de la richesse et des lacunes des fonds, des Archives nationales, aux archives communales et aux archives privées, selon des espaces et des mémoires contrastés.

⁂

49En conclusion, il est possible de surmonter le paradoxe initial des deux écoles opposées, l’une accusant les destructions d’archives, l’autre soulignant la politique inédite de protection et de conservation. Il a existé, pendant la décennie révolutionnaire, un « vandalisme banal », quotidien, intemporel, parfois couvert par des administrations plus ou moins délicates : « le temps, la poussière, la pluie… ». De très nombreuses archives ont disparu du fait d’un « iconoclasme révolutionnaire » qui s’est attaqué à des archives symboliques d’un ordre que les révolutionnaires voulaient détruire, en matière de monarchie, de féodalité, de religion… L’iconoclasme révolutionnaire ne peut se comprendre sans son versant inséparable de la « régénération », qui vise à conserver les archives et documents utiles aux arts, sciences et plus généralement au bien public. L’effort de conservation et de protection des archives a permis la création, dès 1790, et plus encore sous la Convention d’institutions et de lieux de dépôt, voire de classement, exigeant un personnel qualifié et rétribué, sur le plan national, départemental et local. La grandeur de la République et de la Convention est d’avoir pressenti l’intérêt de protéger et de conserver, mais aussi d’autoriser l’accès des citoyens à cette documentation publique. La politique des assemblées révolutionnaires en matière d’archives n’est pas foncièrement différente de celle développée pour les livres, les arts et les sciences. Une fois dissipés les mythes et les fausses évidences d’un « vandalisme révolutionnaire » trop longtemps postulé, cette politique fait l’objet d’une reconnaissance générale des professionnels des archives, que des recherches de terrain valident largement, en dehors des zones de guerre civile, même si d’autres périodes historiques, comme la monarchie de Juillet103, ont renforcé cet effort pionnier de protection et de conservation.