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Chapitre XX. L’ordo decurionum à l’horizon municipal
p. 357-372
Note de l’auteur
Publié dans, Senados municipales y decuriones en el Occidente romano, E. Melchor Gil, A. Pérez Zurita et J. F. Rodríguez Neila (éd.), Cordoue-Séville, 2013, p. 125-149.
Texte intégral
1Le terme de « décurion » est apparu pour la première fois, suivant notre documentation, dans la loi municipale de Tarente. Sous l’Empire, l’ordre des décurions est substitué au senatus dans les documents relatifs aux cités latines et romaines. L’« ordre » était ici distinct et non synonyme de celui qui s’appliqua définitivement à partir d’Auguste aux sénateurs et aux chevaliers. Dans sa conception et son esprit, l’ordo municipal est une assemblée aristocratique, réunissant les meilleurs ou les plus dignes en raison des services rendus à la cité. Ordo désigne plus précisément le groupe des membres de la curie classés selon un ordre ou rang : il s’applique aux décurions inscrits suivant leur dignité sur l’album officiel, d’où le nom de conscripti1. Tous ne sont pas égaux : l’âge, la famille, le nombre d’enfants, les charges, les honneurs définissent des critères de classement et différencient ceux qui ont eu un parcours identique. Le modèle est sans aucun doute celui du Sénat romain d’époque républicaine dont il se séparait au moins sur deux points : la prééminence indiscutable de l’assemblée romaine qui interdisait à l’ordo local l’usage d’un vocabulaire réservé à Rome (par exemple patres) ; la simplification des magistratures réclamée par l’étroitesse habituelle des communautés privées d’indépendance. Les deux institutions entretenaient des rapports de similitude mais n’étaient pas, loin de là, en tout point semblables ni proportionnels. Quoi qu’il en soit, le droit public romain charpentait la construction de l’ordo municipal2.
2L’existence dans les civitates d’un ordre des décurions découlait de la reconnaissance officielle des iura d’une cité à la communauté locale3. Comme le sénat de la période impériale qui en était privé, non sans ambiguïtés puisque l’empereur était un membre de droit du sénat, l’ordo ne pouvait pas prétendre à l’auctoritas4. De même, les duoviri n’étaient pas des consuls mais possédaient par le biais d’une fiction le droit circonstancié de promulguer des édits et disposaient, aux mêmes conditions, d’un imperium limité. L’action et les interventions de chaque instrument de gouvernement à l’échelon civique étaient fixées par la lex dont l’interprétation comme « loi » ou comme « règlement » dépend précisément de la conception que l’on peut se forger d’une cité et de son importance réelle. Cette observation soulève le problème fondamental de l’histoire des communautés provinciales sous l’Empire et donc de ce qu’il faut conclure de l’action et de l’activité de l’ordre. Que fait-on dire à ce sujet aux documents et quelle légitimité accorder à une lecture historiographique qui n’explicite pas toujours ses grilles d’interprétation bien qu’elles ne découlent pas directement ni nécessairement des sources ?
L’apport des inscriptions commémoratives
3Longtemps les recherches archéologiques ne se sont attachées qu’aux centres monumentaux des villes provinciales. Ces espaces publics étaient censés fournir aussi des documents épigraphiques illustrant les préoccupations majeures des responsables de la « vie municipale » marquées au coin de la mémoire locale. L’emplacement des curies, les décisions légalisées du pouvoir municipal devaient mieux apparaître à la faveur d’une documentation émanant des responsables de la communauté elle-même. Des sondages dans les recueils disponibles, au hasard des indices et des inscriptions enregistrées, apportent un premier élément d’appréciation.
4À Carthagène, sur plus de deux cents documents, on ne dénombre que onze mentions des décurions toutes occurrences confondues, étant entendu que plusieurs textes fragmentaires pourraient sans doute être ajoutés à la liste. La série révèle une originalité par rapport à d’autres cités : l’existence, à une époque précoce, de contrôles de monuments publics en cours d’édification sur avis voté (sententia) des décurions ou ex decreto (soit quatre exemples) et une référence à la concordia decurionum. La majorité des cas relève d’un décret décurional destiné à l’élévation d’une statue honorifique dont deux au même personnage issu d’une famille de Numisii influente localement. Dans la colonie de Valence et son ager, sur cent vingt documents environ réunis dans le CIL, II2/14, douze inscriptions seulement, toutes honorifiques, mentionnent les décurions ou sous la forme des Valentini veterani et veteres ou par le terme de decurio. Sur le territoire extérieur à la ville, il n’y a aucune présence directe ou indirecte de l’ordo pour environ vingt-cinq documents conservés, surtout funéraires il est vrai. L’oppidum de Sagonte, dans le même recueil, comporte près de deux cent quatre-vingt-dix inscriptions, dont, comme dans les autres villes, une majorité d’épitaphes (190) de caractère privé. On ne compte que huit formules toutes libellées ex decreto decurionum, même lorsqu’il s’agit de la validation de travaux concernant l’enceinte. Dertosa, enfin, pour trente-quatre témoins englobant le chef-lieu et le territoire offre deux occurrences de res publica, trois indications relatives à l’ordo decurionum, à l’universus ordo, à l’ordo Dertosanorum, soit une expression légèrement différente à chaque fois. La première est neutre et technique, la deuxième insiste sur l’unanimité d’un vote, la troisième suggère que les décurions agissaient au nom de l’ensemble des citoyens locaux sans lesquels la cité n’avait pas réellement de raison d’être.
5Après les cités romaines de la côte orientale de l’Espagne Citérieure, que disent les municipes latins et les colonies romaines de la province de Bétique ? Le CIL, II2/7, qui rassemble comme on sait le matériel de Cordoue et son conventus aux limites partiellement révisées par rapport au CIL, II, contient 1 014 entrées. Les références à un ordo municipal ou au senatus au sens large sont au plus d’une quinzaine et ne concernent que onze communautés, parmi lesquelles Astigi et Cordoue. Le populus est seulement répertorié dans trois villes dont Ossigi, qui commémore un affranchi public de la cité dit pop(uli) l(ibertus), désigne comme dédicant une pleps Latoniensis, soit les membres d’un collège, mais n’a livré à ce jour, semble-t-il, aucune inscription relative à l’ordo ou aux décurions5. On note en outre un fait assez rare : le souvenir d’un décurion de la colonie d’Astigi, décédé à 19 ans et 100 jours et dépourvu d’autre distinction. Outre le hasard des découvertes, peu nombreuses sur ce point, l’explication tient au décès hors de sa cité, à Cordoue, et à la prise en charge par l’ordo d’Astigi de ses funérailles et de la tombe à Cordoue même6. L’âge est également en cause, car le personnage n’avait pas eu le temps de devenir magistrat. Les autres occurrences des decuriones dans les cités du conventus correspondent essentiellement à un hommage par décret des décurions. Le senatus est mentionné à Baxo dans un contexte particulier7, celui d’un hospitium entre le sénat et le peuple de Baxo avec Vcubi, la colonie Claritas Iulia. Le conventus d’Astigi, lui aussi aux limites redéfinies (CIL, II2/5), offre au moins 1 345 entrées, dont la loi d’Vrso (1 022), riche en mentions des décurions. En dehors de ce document, on compte que le mot ordo est recensé, parfois à plusieurs reprises, dans vingt-cinq cités environ. On note que l’usage d’ordo va de pair assez régulièrement avec municipum municipii ou colonorum coloniae8. Il existe par ailleurs une variante du classique L. d. d. d. avec ordo, par exemple ordo locum decrevit9. C’est à nouveau sur une table d’hospitium que l’on recense la formule senatus populusque à Aratispi10. En dehors des espaces urbains, il n’existe guère de témoignage d’intervention attitrée de l’assemblée municipale11.
6On le sait, Canusium dans les Pouilles italiennes actuelles a livré un album sur bronze de l’ordo colonial daté du iiie siècle12. Malgré cela, les inscriptions honorifiques et autres sur pierre ou bronze au nombre de cinq cents environ, territoire inclus, n’ont fourni que sept occurrences de l’ordo alors que le populus est aussi présent sept fois. Les décurions ne sont cités que sept fois également, à l’occasion exclusivement d’un decretum, en dehors de l’album qui enregistre, selon sa propre expression placée en tête, les nomina decurionum. En Gaule Narbonnaise, la ville latine devenue la colonie Iulia Apta dès Auguste selon l’opinion dominante, avec son territoire inclus, comprend 149 textes conservés, bornes milliaires non comptabilisées13. Les inscriptions à caractère municipal ne s’élèvent qu’à sept et l’ordo ou les décurions ne figurent que dans deux textes. En Aquitaine enfin, Mediolanum des Santons, de statut mal connu mais de droit latin, ne propose qu’une seule occurrence de décurions à la faveur de la formule classique d’autorisation d’utilisation du sol public14. Si l’on ajoute que le municipe Claudien de Baelo en Bétique est pauvre en épigraphie mais enregistre cinq documents à caractère municipal dont deux concernant l’ordo, il n’est pas nécessaire d’allonger de manière indéfinie la liste15. La tendance des séries épigraphiques, à vrai dire souvent composées d’inscriptions fragmentaires, est de ne réserver à l’épigraphie municipale et aux institutions qu’une part modeste et aléatoire par rapport au poids que les activités de l’ordo et des magistrats semblent devoir occuper dans les analyses des historiens des cités. En revanche, ce n’est pas une surprise et le fait a été relevé depuis longtemps, l’expression municipale est pour ainsi dire absente des territoires. L’oppidum concentrait les hommages, les honneurs, les commémorations d’édifices publics en particulier.
7Les réflexions succinctes ci-dessus, fondées sur des échantillons représentatifs, ne débouchent pas sur des données très nouvelles. Quoi qu’il en soit, il n’est pas inutile de constater le caractère majoritairement répétitif et routinier des manifestations publiques des décurions ou de l’ordo qui autorisaient par décrets travaux, surveillance à caractère public, ornementations dans l’espace urbain par le biais de l’emplacement pour des statues ou la participation à l’organisation matérielle et sociale des funérailles de notables en reconnaissance des services rendus (ob merita). Dans ces contextes, une documentation abondante en Italie et dans les provinces occidentales rappelle que les décisions votées sous la forme d’un decretum étaient élaborées en séance de l’ordo, conformément à un ordre du jour, et que l’inscription reproduisait parfois littéralement les termes mêmes qui avaient emporté l’adhésion du conseil16. Le lieu octroyé était plus ou moins prestigieux et visible. Les votes donnaient des résultats variables allant de l’unanimité (universus, consensus) à l’absence de majorité voire de quorum, ce que suggère en partie l’appel au maintien de la concordia des décurions dont les votes sur des sujets jugés essentiels étaient parfois l’occasion de disputes et de conflits plus ou moins durs. Tous les hommages ne relevaient pas de l’ordo. L’épigraphie suggère que, même sur un emplacement public requérant l’autorisation des décurions, l’initiative était en partie d’ordre privé. Certains contenus permettent d’aller plus loin et de comprendre que toute la démarche jusqu’au résultat final impliquait l’usage d’une demeure ou d’un terrain de famille, d’où l’absence de toute référence à l’ordo ou aux décurions. Il n’est pas difficile, même sans le secours d’autres sources, de souligner que rien de ce qui ressortait à l’espace public n’échappait à la vigilance de l’ordo garant de la sécurité publique et de la bonne entente entre les citoyens.
8Il n’y a pas de doute non plus sur l’équivalence, au Haut-Empire, entre senatus, ordo et decuriones. Senatus relève, sans paradoxe aucun, d’un vocabulaire prémunicipal à n’en pas douter mais emprunté à Rome. Le mot, dont l’usage local disparaît au cours du ier siècle, reflète le poids de l’expérience et de l’ancienneté de ceux qui le composent17. Il n’était pas systématiquement associé au populus18, terme qui recouvre les citoyens d’une communauté organisée selon les règles d’une civitas y compris pérégrine. L’ordo exprime, me semble-t-il, collectivement la supériorité institutionnelle et sociale de l’assemblée conforme à l’ordre canonique officiel, exprimé en tenant compte des différences locales à Canusium, qu’il s’agisse du nombre des membres, de leurs mérites dûment hiérarchisés, des procédures de convocation, de réunion et de décision. Decuriones met davantage l’accent sur un rassemblement d’individus divers et sélectionnés, revêtus d’une fonction définie, porteuse de prestige, c’est-à-dire d’une dignitas inséparable d’une reconnaissance sociale. C’est encore ordo coloniae qui est employé sur l’album de Timgad au ive siècle19. Les curiales ou membres de la curia sont attestés comme successeurs des décurions dans les textes tardifs et les Codes20. Curia, au Haut-Empire, revêt, dans la sphère municipale, une autre acception : les unités électorales pour l’élection des magistrats essentiellement21. Les tables d’hospitalité mentionnées plus haut confèrent un rôle prééminent au senatus populusque en matière de relations avec des cités et des personnes extérieures en droit à la communauté contractante22. Ce que révèle surtout l’expression est, sans aucun doute, le rapprochement avec la res publica de Rome, bien que le terme ne soit devenu commun dans les cités provinciales qu’à partir de la période flavienne. Sans jamais se figer complètement, le vocabulaire institutionnel municipal a évolué dans le sens d’une simplification calquée sur la cité de Rome, ce que dit aussi l’émergence des curiales tardivement23, à un moment où la Ville avait cessé d’incarner la res publica.
9Les témoignages des inscriptions autres que les lois et leurs formulaires attirent l’attention sur le rôle dirigeant et permanent de l’ordo appelé à organiser la vie commune des habitants avec l’aide des magistrats qui en reçoivent reconnaissance et appui de principe. Il n’est pas niable que la dimension sociale est incluse dans la supériorité affichée de l’assemblée. Elle induit la représentativité des notables qui sont les porte-parole de la cité. Elle souligne la dissymétrie des pouvoirs entre les citoyens et les décurions. Les municipes et les colonies, de même que les cités latines et pérégrines, n’étaient pas des laboratoires démocratiques au sens ancien ou moderne du terme. La vie politique locale n’était pas fondée sur des choix programmatiques différents et idéologiquement opposés. La concordia et le consensus définissaient des normes politiques idéales et ne pouvaient pas laisser de place à des oppositions non tolérées entre populares et optimates en l’absence d’indépendance et d’enjeux décisifs24. Au contraire, les périodes agitées et violentes des guerres civiles avaient montré ce qu’il y avait à redouter des divisions et des fauteurs de troubles. Les partes n’existaient pas ou n’interviennent jamais dans la documentation, pas même dans la documentation électorale de Pompéi. S’ils pouvaient toutefois poindre occasionnellement, ils ne prenaient forme qu’autour de personnes jugées dignes (meritissimae) et aptes à gouverner la cité en raison de leur personnalité et de leur comportement (optimae) et en cas d’événements graves. Dans une communauté de quelques centaines de citoyens, il ne devait pas y avoir à chaque élection des dizaines de candidats, d’autant que le filtre du décurionat et des pressions éventuelles des collègues limitaient les choix et les initiatives. La taille et l’importance de la cité nuançaient certainement les données et le volontariat demeurait sans doute la pratique courante, sauf en cas de déficit toujours possible suivant les conjonctures locales. L’élection prenait alors la forme d’une manifestation populaire en faveur d’un notable (postulatio populi).
10Les inscriptions ne dévoilent que rarement les aspects ingrats ou conflictuels de l’administration locale. Le statut de décurion n’y est revendiqué que dans des circonstances exceptionnelles, car un magistrat était nécessairement membre de l’ordre25. Les hommages et les honneurs, assortis de leurs superlatifs, ne laissent pas de place aux échecs, aux erreurs ni aux crises sauf pour mettre en exergue un bienfaiteur ou un négociateur habile. La protection, le maintien de l’ordre, la discipline élémentaire entre les concitoyens mobilisaient l’ordo à lire les documents non juridiques. La paix locale était un gage de bon fonctionnement, sous le regard des cités voisines.
L’apport du droit
11Ce sont les textes juridiques à caractère réglementaire qui fournissent en apparence les informations les plus nombreuses et, selon la communis opinio, les plus utiles car situées à la source des règles institutionnelles et, pense-t-on, en prise sur des réalités à lire en filigrane dans les injonctions et les interdictions des « lois26 ». Le corpus est bien connu et ne s’est pas profondément renouvelé concernant l’ordo : pour l’époque impériale les tables d’Vrso, d’Irni, de Malaca, de Salpensa, l’album de Canusium, le décret de la curie de Jupiter à Simitthus, les textes du Digeste pour ne citer que les plus importants27.
12L’album de Canusium et Ulpien, fréquemment cité au Digeste, montrent que l’ordo était structuré en droit par la loi municipale qui devait établir la hiérarchie des décurions en fonction des honneurs les plus élevés obtenus par chacun28. Le bronze de Canusium atteste que l’ordo n’était pas limité aux décurions et aux magistrats29. Ce sont moins les patrons que les pedani et les praetextati qui témoignent des procédures de recrutement et du contrôle des membres de l’ordo inscrits sur l’album. Les premiers, censés voter « avec leurs pieds », c’est-à-dire en se déplaçant (per discessionem) alors qu’ils participaient debout aux séances, constituaient de fait une réserve de candidats aux magistratures30. Le verbe sublegere à Irni, 31, associé à legere, indique qu’il s’agit du choix d’un remplaçant d’un décurion exclu ou décédé. La rubrique précédente (30) situe les pratiques locales sur un plan précis : optimo iure optumaque lege cuiusque municipi latini. Le ius fonde l’institution et la lex rappelle les conditions de l’application du droit sur chaque question définie. Au ive siècle, un rescrit épigraphique de l’empereur Galère à Heraclea Sintica de Macédoine31 contient la formule etiam si civitas vestra ante(h)ac minime iura civitatis habuisset. Bien que tardive, l’expression implique un ensemble de iura à l’origine de l’établissement officiel d’une cité se rapprochant d’un « statut » réglementaire fondant légalement l’existence de la communauté et légitimant la mise en place de son gouvernement.
13Le schéma de présentation du contenu proposé par la loi d’Irni est sans doute le résultat d’un aménagement circonstancié et progressif. Ni la Table d’Héraclée ni la loi d’Vrso ne suivent exactement la même exposition32 mais, dans les documents conservés, les préoccupations et l’esprit général, exprimés à la faveur d’applications différentes ou absentes dans les autres, restent identiques. Sans entrer ici dans les détails, il est perceptible que la « loi municipale Flavienne » traite des magistrats et de leurs activités, puis des décurions et de leurs prérogatives avant de s’intéresser à la pecunia communis et au domaine public puis à l’exercice de la justice. Il est probable que l’organisation du corps civique et encore auparavant les cultes et les fêtes qui les accompagnaient étaient traités par les rubriques disparues. Sauf dans le cas des élections et de leur tenue, le corps des citoyens (en principe le populus) n’avait guère de rôle juridiquement défini33. La complexité apparente des rubriques tient à l’intervention conjointe des magistrats et de l’ordo. Les points déterminants pour l’activité de l’assemblée ont été mis en valeur par R. Mentxaca il y a près de vingt ans, sous l’angle du droit essentiellement34. La justice, pour laquelle la loi apportait sur le plan des connaissances et des procédures les informations les plus neuves, occupe diverses rubriques dont les principales sont regroupées entre les numéros 86 et 92, sans se référer toutes aux activités de l’ordo directement. La question des finances et de la gestion des fonds publics, qu’il s’agisse de cultes, de recettes, de gages, de dépenses et de responsabilité en matière pénale, constitue le dossier le plus étoffé (rubriques 63 à 82, outre 46). La dimension proprement civique et politique débute avec les deux rubriques 30 et 31 déjà mentionnées, car elles indiquent comment se recrute et fonctionne l’ordo, notamment quand il s’agit de le convoquer. Avec l’aide des « lois » de Salpensa et de Malaca, il est possible de comprendre à quelles conditions étaient votés ou invalidés les décrets, de mesurer l’importance de la reddition des comptes des magistrats, d’analyser la constitution d’une légation, de connaître les procédures électorales indispensables en théorie à la nomination des magistrats.
14Une étude des rubriques limitant arbitrairement le bilan aux questions du contrôle du domaine public au sens large (numéros 76 à 83) offre un échantillon des préoccupations, des priorités et des méthodes d’administration conformément aux prescriptions de la « loi ». Le chapitre lxxvi suppose l’obligation d’une tournée annuelle d’inspection du territoire et de perception des vectigalia : à la demande du duumvir compétent, la tournée est soumise à un vote, sous réserve d’un quorum des deux tiers des présents, sanctionné par un décret. Il n’est pas dit si, chaque année, c’est aux mêmes dates que sont programmées les inspections, l’essentiel du dispositif portant sur la composition, non précisée, de la commission. La moitié des présents suffit pour les dépenses de fêtes religieuses (77 et 79), jeux et repas publics dont le montant doit être décidé tôt dans l’année civile. La consultation et un décret sont aussi nécessaires pour la répartition des esclaves publics en fonction des tâches qu’ils doivent accomplir au service du municipe (78). Le quorum pour le vote per tabellam d’un décret d’autorisation d’une sortie d’argent de la communauté (pecunia communis) est fixé aux trois quarts (79), étant entendu que personne ne peut sans cet accord disposer, sous une forme ou une autre, des fonds du trésor municipal (aerarium). Le scrutin devait être précédé d’un serment à Jupiter, aux empereurs divinisés et au génie de Domitien. Les autres dépenses destinées à assurer l’exercice normal des activités annuelles, à savoir les festivités religieuses obligatoires, les soldes des appariteurs, les légations, les travaux publics et l’entretien des esclaves municipaux, les charges des magistrats ne nécessitent qu’un quorum de 50 % de présents et n’impliquent ni serment ni vote secret. Le lancement d’un emprunt public (80) rétablit les procédures liées à des questions qui mettaient en cause l’existence même de la cité, telle sa solvabilité. Les constructions publiques (83) appellent des dispositions semblables pour les mêmes raisons et entraînent l’obligation de corvées pour les habitants quels qu’ils soient. Dans la rubrique des spectacles (81), l’injonction concerne les places occupées selon les catégories sociales et exige une conformité aux décisions impériales en vigueur à Rome. La circulation sur le territoire urbain et rural, l’écoulement des eaux (82), demandent un vote dont l’initiative appartient pleinement aux duumvirs qui sont cette fois en qualité de magistrat en charge de ces infrastructures.
15On le voit, en filigrane ou en négatif, la loi permet de repérer des activités communes indispensables, constitutives de la cité. La religion, les institutions, les statuts des personnes, l’administration et la politique, les finances et les dépenses, la justice égrènent un calendrier continu au long de l’année dont les décurions sont les garants et les contrôleurs décret après décret. Ces registres fondamentaux, fixés suivant des pratiques et un esprit empruntés à la cité de Rome, ne sont jamais définis ni justifiés, ce que ferait une constitution. L’essentiel est de rendre possible l’exercice légal des actions et manifestations qui y ressortissent. L’objectif est d’engager des procédures contrôlées et légales permettant des recours en cas de non respect des règles qui signifierait troubles à l’ordre public et mise en cause de la bonne marche des affaires locales. Les magistrats et les décurions, le plus souvent liés par les mêmes intérêts et solidaires, sont les gardiens des pratiques et des traditions qui ont assuré l’essor de la cité comme communauté politique au service de l’empire. Le decretum donne la preuve que les actions et les opérations engagées sont conformes à la volonté commune dans le respect des règles. L’usage de l’impératif souligne que la loi est imprescriptible et impérieuse afin d’éviter les abus et les excès. Il s’agit d’offrir des moyens et des garanties à quiconque, citoyen du municipe ou non, de lutter contre ceux qui agiraient en contravention à la loi et au droit et n’obéiraient pas à leurs injonctions, ce que disent expressément les rubriques 93 et 96. C’est l’aspect contraignant et répressif qui l’emporte dans la lex, sachant qu’il est sous-entendu que normalement les affaires municipales se déroulaient ou devaient se dérouler sans difficulté ni obstacle particulier. Les dispositions, sans le dire vraiment, sauf exceptions dues au hasard des formulaires, assimilent la cité à une res publica forgée à Rome et par l’histoire de Rome, d’où un éventail d’activités qui n’oublient rien s’agissant de ce qui est publicus ou communis.
16Les formulations sont donc souvent négatives et non positives, faute de chercher à définir ou à fixer ce qui est ou serait. Les rubriques examinées et résumées montrent toutefois qu’il y avait des données plus préoccupantes que d’autres et des décisions récurrentes impliquant une hiérarchisation des activités et des ordres du jour non seulement annuellement mais sur le long terme. Les finances et l’argent public dépensé font l’objet d’un soin et de procédures scrupuleuses, destinées à garantir le respect des décisions et à empêcher en théorie les abus et les malversations. La justice et son exercice sont mieux délimités et bornés par la juridiction du gouverneur responsable des causes les plus graves ou importantes35. Les nuances dans les exigences attestent, s’il en était besoin, que la fraude, le contournement des règles, les abus et les coalitions à des fins de dol ou de trouble public constituaient la trame logique des règlements qui ne sont donc des « lois » que nominalement. En filigrane, il est possible de retrouver les instances compétentes au cas par cas, les pratiques à observer et leur référence en droit de même que les registres variés relevant des décisions des gouvernants et dirigeants. Il est frappant de noter que le rythme de la vie collective et de la politique locale était essentiellement traduit par des décrets qui devaient être votés régulièrement et un à un. Si l’on pousse le raisonnement plus loin, cela signifie que les décisions et les applications pouvaient changer de façon permanente en théorie selon les conjonctures et les circonstances. Sans doute, au fil des années, des tendances émergeaient et des canevas s’imposaient qui évitaient de tout remettre en question en permanence pour des affaires estimées mineures. Pour les décisions majeures, rien n’était a priori écrit à l’avance et cette latitude plutôt que liberté indiquait que diverses sources de pouvoir pouvaient agir sans mode d’emploi précis dans le cadre général de l’édit du praeses.
17L’image des communautés municipales que reflètent les « lois » n’est qu’un inventaire des chapitres qui dessinaient les lignes officielles du gouvernement et de l’administration des cités autonomes des provinces et d’Italie. Les dispositions arrêtées en conformité au droit issu des règles de la respublica romaine ont un caractère théorique et universel qui couvrait un éventail large, de telle sorte que chaque cité ait pu s’y retrouver et n’avoir pas eu à interroger en permanence l’autorité supérieure sur ce qu’il convenait d’accomplir. L’image, formellement lisse et idéale, d’un fonctionnement étendu continûment à tous les aspects de la vie de la colonie ou du municipe de droit romain ou latin ne correspond que de très loin à l’activité et aux enjeux locaux de la plupart des cités provinciales. De toute évidence, il ne s’agissait pas de créer des constitutions propres à chaque cité et adaptées aux données de chacune. Plus précisément encore, les rubriques ou les chapitres étaient d’inspiration variée au point que deux rubriques d’un même règlement sur des sujets voisins pouvaient relever d’emprunts différents36. Faire respecter un ordre voulu par Rome et inspiré par des soucis de tranquillité et d’entente marqués au coin de la crainte salutaire, déterminait les décisions que devait guider l’expérience.
18L’éventail des activités constantes et répétitives au service de la cité est très large qu’il s’agisse des témoignages des inscriptions honorifiques, funéraires ou votives et plus encore des « lois » sans lesquelles nous ne pourrions pas imaginer ce que représentait la totalité des compétences idéales et des interventions des différentes instances légales et en particulier de l’ordo37. Assemblée délibérative par excellence, le conseil local orientait par ses décrets l’action administrative et son déroulement. Ces décisions légales servaient de règle de conduite pour chaque question qui avait motivé leur promulgation après discussion et vote. Les décrets conservés sont malheureusement peu nombreux et sont surtout à caractère honorifique. Le Digeste autorise, à propos du terme regula, à conclure que leur contenu n’était pas créateur de droit mais qu’il devait se conformer au droit38. Dans certaines conditions, le décret réclamait l’aval du gouverneur de la province ou n’avait pas de raison d’être car la décision appartenait au praeses de la province39. Tout cela est conforme à l’autonomie, c’est-à-dire à une succession d’initiatives légitimées seulement à l’échelon strictement municipal.
L’apport de l’interprétation
19Ni les iura, ni la lex, ni les deux juxtaposés ne sont, au sens moderne, une constitution. Il s’agit plutôt de l’addition de règles au cas par cas, suivant un ordre aléatoire, qui sont impératives et inspirent le bon exercice des relations à l’intérieur de la cité souvent en définissant ce qui n’est pas acceptable ou ce qui est prohibé40. Il n’y avait pas de cohésion organiquement construite de la cité qui n’était pas une « personne » morale, concept absent du droit public et civil romain41. Chaque détenteur d’un pouvoir ou en charge d’un domaine particulier, collectivement ou individuellement, agissait dans une sphère autonome, sans véritable hiérarchie. La vie municipale était articulée autour de l’addition de compétences et de droits et obligations plus ou moins clairement délimités selon les registres concernés. La place de l’ordo n’était prééminente qu’en raison du rang social des membres et de la multiplicité des interventions au nom de l’intérêt commun, c’est-à-dire de chaque citoyen inséré individuellement dans la civitas. L’esprit dominant, perceptible aussi dans les règles juridiques42, est celui qui a pour objet, officiellement, de préserver, protéger et accroître les intérêts de tous les citoyens de la cité ensemble et de chacun en particulier au nom de la citoyenneté. Le droit d’intenter une action, une réclamation ou une poursuite (actio, petitio, persecutio43) rappelle également que chacun est garant ou responsable du respect de la loi et de la bonne marche des affaires locales. Concordia, consensus, universitas, unanimitas et libertas sont les mots essentiels qui dessinent un idéal politique et social placé au centre de la communauté. Il ne s’agit pas, au sens strict, d’idéologie mais de règles pratiques, de morale de l’action par laquelle tous étaient tenus, dont l’ordo decurionum44.
20Les decreta constituaient l’expression des pouvoirs et des choix de l’assemblée municipale jouissant de la continuité et de la stabilité45. Ces décrets de décurions n’avaient pas tous la même importance ni la même longévité46. Selon la loi d’Irni, les affichages obligatoires se rapportent à des listes de personnes ou au règlement lui-même47. Jusqu’à quel point étaient-ils tous conservés et placés dans le tabularium ? Il n’est pas possible de proposer une proportion. Il est vraisemblable que l’archivage (tabulae communes) supposait la conservation de la copie du document officiel, sans passer nécessairement par l’affichage trop coûteux48, et réclamait l’autorisation ou l’injonction du magistrat iure dicundo en exercice49. Une part non négligeable relative aux hommages et honneurs était gravée dans la pierre du monument qui en faisait foi. Selon le décret en faveur des Augustales de Caere, les décisions, sous forme d’un procès-verbal, étaient consignées dans le commentarium cottidianum municipi Caeritanum50. Il convient de préciser que peu de décrets sont conservés et que la très grande majorité ne l’est que sous forme de résumé ou d’extrait choisi à dessein51. Dans le monde romain occidental, environ cent documents entreraient dans la catégorie des décrets des décurions. Près de la moitié (45 %), provient d’Italie, principalement de la regio I, en fait surtout de Pouzzoles, et de la regio X. Le plus grand nombre se situe au iie siècle apr. J.-C. et les honneurs et hommages à la mémoire de personnages dits méritants sont les plus fréquents. Divers travaux montrent qu’une fois encore les inscriptions ne décrivent que partiellement les réalités des délibérations et l’éventail des sujets abordés. À propos d’Ostie, une étude récente recense comme activités de l’ordre : la collation des honneurs, l’admission dans l’assemblée (adlectio à caractère exceptionnel dont la sanction par un décret de l’ordo n’était sans doute pas la règle), nominations, dédicaces religieuses et honorifiques, utilisation du sol public, autorisation de travaux publics52. Les finances, les dépenses, les élections, la justice sont totalement absentes ou presque, soit l’essentiel de la vie locale53.
21L’étude de certains décrets permet de souligner l’importance de l’unanimité mais aussi l’existence de débats parfois houleux et violents qui nécessitent le recours à un arbitrage54. Les inscriptions peuvent confirmer directement ou indirectement l’existence de conflits locaux au sein même de l’assemblée55.
22Les termes des décrets étaient fonction du sujet à traiter en dehors des éléments officiels attestant que le document n’avait pas été forgé après coup ni imposé sans vote ou consentement des magistrats ayant fixé l’ordre du jour. Comme pour un sénatus-consulte, les présents, les rédacteurs, la date consulaire et le jour de la séance, voire le nom du premier décurion étant intervenu étaient mentionnés56. En filigrane, les textes et les lois suggèrent l’éventualité de débats plus ou moins longs et difficiles pouvant opposer des points de vue parfois peu conciliables. L’unanimité, le consensus, l’enchère aux qualités remarquables étaient la norme que reflètent à l’envi les inscriptions honorifiques. En général, mais pas toujours, l’initiative est privée, ce qu’implique la formule LDDD, le financement ne concernant pas directement l’assemblée. Même en cas contraire, les décurions faisaient assaut d’éloges ou augmentaient les propositions du magistrat ou du décurion chargé de faire préparer un texte reproduit partiellement ensuite sur la pierre. Le choix de l’emplacement de l’hommage relevait du code habituel et tenait au degré et à la nature de la distinction. Quand il s’agissait de la protection et de la mise en valeur du domaine commun (res communis), il est possible d’imaginer une succession de motifs, d’injonctions et d’interdictions en accord avec le droit en vigueur sur ces sujets, mais la nature des différends, des obstacles ou au contraire des accords entre décurions ne sont pas aisément discernables. Les sujets les plus sensibles n’étaient pas nécessairement les questions d’annone, d’approvisionnement et de ravitaillement57. Les emprunts, le montant des dépenses, l’endettement, les malversations ou les concussions, à suivre les rubriques des « lois » étaient certainement susceptibles de provoquer des discordes avant même le recours à un curateur dont toutes les cités n’obtenaient pas aisément la nomination58. La présence en personne du « chargé de mission » modifiait sans doute les relations au sein de l’ordo mais ne suspendait pas les choix ni les délibérations prévues par le calendrier. La place accordée à la justice, absente des inscriptions ordinaires de manière compréhensible, l’existence de basiliques dans les municipes, suggère enfin que les procès, même locaux, pouvaient être nombreux. Toutefois, les décurions ne siégeaient comme tribunal qu’en certaines circonstances et confirmaient ou non les amendes59. Des affaires mettant en cause un évergète récalcitrant ou un citoyen recourant indûment à l’excusatio60 ou un litige relatif au domaine commun (res communis) et aux revenus de la cité transformaient l’ensemble de l’ordo en tribunal. Une cause supérieure au montant maximum variable établi dans la « lex » devait être transmise au tribunal du gouverneur de la province. L’ordo pouvait, toutefois, être appelé à statuer sur l’inclusion extraordinaire ou l’exclusion d’un décurion61.
23Il est frappant de constater combien les cités, donc la plus petite aussi bien que la plus importante, étaient en principe des res publicae de type romain soumises à égalité à un ensemble de règles et de droits adaptés à des cas aussi variés que complexes. Il est cependant difficile de reporter avec exactitude l’effet réel de ces règlements et injonctions sur la vie municipale locale et ses rythmes annuels. L’ordo n’était pas partout peuplé de décurions égaux sur le plan de la richesse, fondée sur le cens, de l’éducation et de la culture, de l’ambition et des héritages familiaux. Il est probable qu’une cité telle qu’Irni, en dépit de sa « lex » dûment affichée, n’était pas administrée de manière équivalente à Cordoue, à Gades ou à Italica qui n’étaient elles-mêmes que des reflets plus ou moins fidèles de Rome. Pour en juger, ce ne sont pas les dispositions légales qui sont essentielles ni les références à des normes d’honorabilité et de dignité qui allaient de pair avec le respect des lois. Il faudrait connaître pour chacune la composition exacte des assemblées, le cens nécessaire, le poids de familles dominantes soucieuses d’ascension ou de promotion, les exigences, les activités, le degré d’initiative de chacun au sein de l’assemblée et de la cité. La visibilité politique à l’échelle provinciale et impériale déterminait un clivage entre communautés qui comptaient et les autres, indépendamment de toute hiérarchisation officiellement établie et de référence géographique quelconque62. Il est surtout gênant de ne pas pouvoir évaluer exactement, en dehors des activités routinières concernant les convocations, les élections, les manifestations officielles religieuses et autres, l’exercice de la justice et le rythme des décisions. Plus généralement, l’intensité des activités et leur éventail cité par cité nous échappent.
24La documentation quelle qu’elle soit confère une place centrale aux problèmes financiers, à l’usage de la pecunia communis. Outre la nécessité pour les magistrats de pouvoir garantir sur leurs praedia les risques encourus lors du maniement de l’argent commun, les remerciements publics par le biais des hommages ou des honneurs à divers bienfaiteurs désintéressés ou particulièrement efficaces, les règles rigoureuses du contrôle des emprunts et des dépenses voire des recettes liées aux bona publica ou aux amendes attirent l’attention sur la fragilité des ressources ou revenus et les déficits ou endettements municipaux. Les pratiques évergétiques ou municificentes pouvaient, selon les cas, compenser ou remplacer les moyens insuffisants ou aléatoires de la communauté63. Dans la mesure où les bienfaiteurs étaient en grande partie des notables appartenant à l’ordo ou entretenant d’étroites relations avec lui, il est compréhensible que le conseil décurional ait été saisi de toute question touchant aux finances municipales. Sur tous ces points, le quorum des deux-tiers, le vote à bulletin secret, la protection des monuments et édifices publics, certaines dispositions limitées à ces aspects attestent l’intervention constante des décurions. L’ordo était donc le garant et le gardien de l’intégrité matérielle et de la continuité humaine de la cité dont l’entretien et l’amélioration conditionnaient le confort des habitants. L’espace urbain était surtout concerné et c’est dans l’oppidum qu’avaient lieu les réunions permettant de délibérer et d’arrêter les dispositions requises chaque fois que c’était nécessaire. Même si, à tout prendre, la routine l’emportait dans une majorité de cités année après année, sachant que toutes les époques n’appelaient pas les mêmes efforts, il y allait de la fides des populations locales envers les notables et les protecteurs de la cité. Les solutions n’étaient pas nombreuses et étaient d’autant moins aisées à trouver que le municipe ou la colonie pâtissait d’une modestie relative ou vivait dans l’anonymat.
25Malgré les hommages aux personnalités locales jugées méritantes et l’amor patriae affiché ici ou là64, la vie politique locale et ses affaires quotidiennes ne relevaient ordinairement d’aucune perspective exaltante pour la majorité des citoyens et des dirigeants. L’assemblée décurionale, qui concentrait les activités et les décisions et contrôlait étroitement les magistrats65, était la mieux placée pour chercher à obtenir des privilèges et des faveurs, au demeurant parcimonieuses. Le peuple, pour sa part, n’était sans doute plus consulté au iie siècle et manifestait ses désaccords ou ses satisfactions dans les lieux de spectacle ou lors de réunions informelles destinées à exprimer son suffragium, c’est-à-dire un soutien à tel ou tel acteur politique de la communauté. Parallèlement, certains de ses membres se réunissaient dans des associations ou collegia dont l’organisation imitait celle de l’ordo66. Bien que le terme n’apparaisse pas dans l’épigraphie, la popularitas, écho de la res publica romaine cicéronienne, constituait un instrument de distinction entre notables67. L’administration et le gouvernement dont les décurions étaient les dépositaires n’impliquaient pas une maîtrise technique ou juridique exceptionnelles68, d’autant que tout ne s’appliquait pas dans toutes les cités, même dotées du rang municipal. La tendance dominante, confortée par la mise en exergue de qualités particulières faites de dignitas, d’honorabilité, de recherche de l’unanimité, de protection et de concordia, jouait en faveur de la tradition et de la conservation de la cité. Assez peu nombreux et issus de familles ou de dépendants qui constituaient à eux seuls un groupe dirigeant attaché à ses honneurs et à la reconnaissance sociale, les décurions cultivaient leur propre gloire à travers les décisions au service de l’intérêt commun. L’autonomie assimilée à la libertas n’était un aiguillon que pour des ambitieux désireux de ne pas limiter leurs horizons à leur cité. Il n’est pas niable que ces domi nobiles jouissaient en principe d’une aisance matérielle à l’échelle de leur communauté et pouvaient s’occuper en priorité des charges locales.
26La cité aristocratique méritant le nom de « république » a tendance à être idéalisée en raison de son rôle dans le fonctionnement de l’Empire romain et de l’expression civilisée qu’il en propose. Il ne s’agit pas de le rejeter. À l’opposé, les interdictions et limitations imposées par le droit ne sont pas seulement des injonctions négatives. La cité ne fait en réalité l’objet d’aucune définition globale dans les documents en dehors des affaires communes dont elle avait la charge. Les dispositions préconisées ou arrêtées qui dessinent en négatif l’idéal civique et la bonne gestion de l’administration locale étaient exclusivement d’ordre pratique et offraient des voies à la solution de nombreux problèmes susceptibles de se poser. C’est en ce sens que la civitas correspondait à un idéal partout répandu, fructifié par la conjoncture relativement paisible des provinces occidentales. Dans ce contexte, les assemblées de décurions avaient la charge de surveiller la préservation des affaires communes et d’édicter les décisions destinées à améliorer ou à corriger la vie en commun en s’inspirant du droit, seul capable de fonder les actions sur des règles stables et consenties. Celles-ci devaient être compatibles avec celles de l’édit du gouverneur constituant en toutes circonstances un recours et un arbitre69. La civitas municipale ou coloniale comportait un centre urbanisé et des terres variées incluses dans des limites fixées par l’autorité provinciale et garanties par elle. L’ordo avait en charge l’ensemble, mais l’oppidum était l’objet d’attentions prioritaires, supérieures aux territoires concernés, sauf quand l’ordre public était en jeu. Les décrets honorifiques, le renouvellement des magistrats, l’exercice de la justice devaient contribuer à consolider les solidarités entre citoyens à l’horizon local. Les relations sociales au quotidien faites de promiscuité, la volonté de quelques-uns de s’élever et de recevoir des honneurs, la popularitas, les conjonctures difficiles voire critiques, les échecs ou les succès modulaient avec plus ou moins de force chaque communauté sans que le droit ou les idéaux de la patria (la cité des ancêtres) l’emportent sur des réalités confrontées le plus souvent à des politiques plus routinières que vraiment consensuelles ou au service de « partis ». Les conjonctures dessinaient localement des priorités et des aspirations changeantes au cas par cas.
Post-scriptum
27Bibliographie : B. Goffaux, La vie publique des cités dans l’Occident romain, édition présentée par D. Ackermann et al., Rennes, PUR, 2016.
Notes de bas de page
1 Sur l’ordre d’inscription sur l’album adopté lors de la sententia : Digeste, L, 3, 1 (d’après Ulpien). Le terme conscripti soulève depuis longtemps une question d’interprétation. Il qualifie les patres (patres conscripti) à Rome. Dans les lois municipales dès la République, en revanche, une distinction apparente existe entre decuriones et conscripti énumérés sous la forme decuriones conscriptive (Table d’Héraclée, l. 86 par exemple), ce qui ne se retrouve pas dans la lex coloniae Genetivae d’Vrso qui ne mentionne que des decuriones. Irni reproduit partout la formule d’Héraclée dans un contexte également municipal et non colonial.
2 On se reportera aux articles sur le sujet parus dans Cahiers Glotz, 14, 2003, réunis par M. Cébeillac-Gervasoni sous le titre : « Le quotidien institutionnel des cités », p. 97-225.
3 Infra, n. 31 et p. 363.
4 L’emploi du terme est réservé au gouverneur de la province dans la lex Irnitana, 80. L’auctoritas du tutor dans la rubrique 28, relative aux affranchissements, a une signification différente qui n’entre pas ici en ligne de compte.
5 Voir CIL, II2/7, p. 248-252 (indices).
6 CIL, II2/7, 306. Le lieu de découverte et la nature du monument, imposant, montrent qu’il s’agit bien d’un document de la colonia Patricia et non d’Astigi. On notera, en outre, qu’à Cisimbrium, CIL, II2/5, 305, un notable de Cordoue est honoré dans les mêmes conditions par décision de l’ordo de Cordoue. Il peut paraître surprenant qu’aucune référence au décès à Cordoue et à Cisimbrium ne soit évoquée dans des documents qui seraient parfaitement à leur place à Astigi et à Cordoue. En tout état de cause, le statut de capitale de Cordoue n’est pas obligatoirement la clé de l’explication, sauf à établir avec certitude des relations entre les familles de ces notables et des représentants des autres cités en fonction de déplacements plus ou moins réguliers à Cordoue : mais, dans le contexte d’une affaire portée au caput provinciae, à l’occasion d’une réunion du concilium, peu probable car il n’était pas flamine, à titre privé ?
7 CIL, II2/7, 187, de l’année 34 apr. J.-C. La formule senatus populusque est classique et imite Rome. Le binôme ordo populusque est plus rare et non attesté en Bétique jusqu’à présent, ce qui n’est pas incompatible avec la formule équivalente ordo et populus assortie de qualificatifs de l’un et l’autre ou de l’un ou l’autre. En revanche ordo populusque est relevé dans des communautés d’Italie, notamment méridionale.
8 CIL, II2/5, 296 : Cisimbrensis ; 305 : coloniae Patriciae ; 311 : municipum municipii Igabrensium ; 620 : ordo municipii Florentini Iliberritani (dédicace à Furia Sabinia Tranquillina, épouse de Gordien III, sumptu publico) ; 622 : ordo Iliberritanorum (à Probus). On corrigera l’index du no 254, p. 405, qui ne concerne pas l’ordo mais la personne d’un notable d’origine Iliturgicolensis.
9 CIL, II2/5, 389 et 390 à Ipsca. De même, il est banal de rencontrer decreto ordinis au lieu de decurionum, soit le singulier collectif ou le pluriel sans qu’il faille y accrocher une signification précise autre que l’inspiration du moment.
10 CIL, II2/5, 732, daté de 38 apr. J.-C. La cité n’est sans doute pas municipium et est dite civitas. On note par ailleurs au Castro del Rio (5, 393) une formule originale sur une inscription malheureusement perdue mais senatus decrevit n’y est pas contestable et concerne une dédicace à l’empereur Claude en 45-46.
11 Le statut privilégié de l’oppidum est explicité dans le nouveau chapitre de la loi d’Vrso, 14 (A. Caballos Rufino, 2006, p. 208-223) à propos de la taille et de la qualité des constructions intra muros. Les chapitres lxxiii-lxxvi et xci et xcix confirment la particularité du statut de l’oppidum en droit et en prestige.
12 ERCanosa I, no 35.
13 ILN, IV, Apt.
14 ILA Santons, no 22.
15 Belo V, p. 147.
16 Au sens strict, le decretum de l’ordo devrait se traduire par « délibération » ou « arrêté ».
17 Voir E. Melchor Gil, 2010, 175-186, qui propose un bilan rapide d’un état des questions relatives aux sénats des cités pérégrines.
18 C’est toutefois le cas parmi d’autres, cités ici ou non, à Conobaria, dans la province actuelle de Séville : CILA, II, 990 = HEp 13, 586.
19 CIL, VIII, 2403 = 17824 = 17903 (365 apr. J.-C.).
20 Par exemple, Ammien Marcellin, Res gestae, XXII, 9 : quod aegre sub eo curialibus quisquam petitus ; CTh, XVI, 2, 42-43 entre autres occurrences de curia et de curiales, nombreuses dans ce livre XVI (R. Delmaire, 2005, p. 515). Voir également F. Jacques, 1990, p. 109, no 59 c. (de 342 apr. J.-C.).
21 Le passage de decurio à curialis au début du ive siècle, désignant un membre de la curie, suggère un rôle moindre du peuple et une disparition des assemblées électorales populaires ou civiques. La métonymie qui désigne le contenu par le contenant (curia est au départ le monument) implique un rôle exclusif de l’assemblée en matière de politique et de décisions locales. Sur les curies électorales des cités du Haut-Empire : A. Caballos Rufino, 2006, p. 225-236 en particulier. Ces curies, au même titre que les tribus et les centuries à Rome, constituaient l’institution propre au populus en mesure de participer légalement à la vie politique et institutionnelle de la cité. La distribution à l’intérieur des curies reposait nécessairement sur le recensement (census), renouvelé périodiquement (Digeste, L, 15, d’après Ulpien, ne fait référence qu’aux recensements provinciaux), en tout cas à l’époque où la participation aux élections concernait régulièrement et directement les citoyens de la cité. Il n’est pas possible, en l’état actuel de notre documentation, de décrire avec certitude les procédures d’inscription dans une curie plutôt que dans une autre ni de savoir si colonies et municipes obéissaient sur ce point aux mêmes règles : tirage au sort, domicile (curies urbaines et curies rurales), ordre d’enregistrement lors du census, rien n’est proposé dans la documentation disponible en dehors du fait que la liste de chaque curie était officiellement établie et que les « curiates » (curiati) ne pouvaient voter que dans celle où ils étaient inscrits, ce qui suggère un lien avec le recensement et sa forme. La suggestion de AE, 2006, 645 XVI de lire [nominatim] à propos de l’adscriptio dans une curie irait dans ce sens.
22 P. Balbín Chamorro, 2006, p. 193-246 recense l’ensemble de la documentation : la formule senatus populusque est caractéristique de ces documents entre Auguste et Néron, ce qui veut dire que la table no 56 concernant Tiermes (Termes) doit être datée plus précocement que ce qui est retenu (iie siècle, p. 220). Sinon, la communauté est dite ou ciuitas ou nommée par ses habitants (par exemple, Baetulonenses) ou par decuriones et municipes (no 66 de 6 apr. J.-C.).
23 La première mention du mot au sens tardif de « décurions » se situe à la jonction du iiie et du ive siècle. Voir, en outre, supra n. 20.
24 Cf. F. Hurlet, 2002, p. 163-178, qui place ces concepts du côté de l’« idéologie » (et non de l’idéal, moins connoté) mais ne tient pour ainsi dire pas compte d’occurrences municipales finalement assez peu nombreuses dans les documents.
25 F. Jacques, 1990, p. 107.
26 F. Jacques, 1984, p. 336-337 sur la lex municipalis en général. Lex est le mot employé dans les documents, mais en latin il n’y a pas de terme pour distinguer « loi » et « règlement ».
27 R. Mentxaca, 1993, p. 153-156. Le gouvernement municipal et son exercice à l’échelon de la cité qui nous concerne ici peut être décrit théoriquement surtout sur la base de ces sources principales. Pour Simitthus : ILS, 6824 = F. Jacques, 1990, no 50. Pour le Digeste : voir livre L, 1 à 12, consacré aux affaires municipales.
28 Supra n. 12 (Canusium). Digeste, L, 3, 1 (d’après Ulpien), supra n. 1. Cette hiérarchie commandait l’ordre des votes dont la documentation montre qu’ils avaient lieu à bulletin secret (per tabellam) quand les intérêts vitaux de la communauté étaient en jeu et concernaient la totalité des présents individuellement, ce que souligne le quorum fixé par la « loi ».
29 L’expression decuriones conscriptive serait éclairée par les catégorisations diverses des décurions de l’album. Il semble que, très présente dans les lois municipales, elle soit tralatice et relève d’une procédure d’inscription de ceux qui, n’ayant pas été élus magistrat, étaient cooptés ou intégrés par recensement parmi les décurions. Dans un municipe Flavien, on était d’abord conscriptus comme decurio et ensuite magistrat : il est attesté par la rubrique 31 d’Irni que les vacances étaient comblées périodiquement jusqu’à concurrence du chiffre maximum, de 63 à Irni.
30 ERCanosa I, no 35, 53 : à Canusium, la norme est d’être d’abord magistrat à l’image du sénat de Rome. Il n’est donc pas sûr que des pedani existaient dans les municipes provinciaux. Les praetextati ou jeunes hommes ayant droit à la toge prétexte, signe de l’entrée dans l’âge adulte, étaient destinés à devenir décurions et à parcourir la carrière des charges locales, s’agissant en principe d’enfants de décurions. Diverses questions ne sont donc pas résolues et nuancent par la force des choses des conclusions parfois trop hâtives fondées sur cet album gravé dans le bronze et sans corrections postérieures. Nous n’avons pas d’autres mentions de praetextati ailleurs et les pedani évoquent le Sénat romain, mais non les municipes flaviens. De même, il n’y a pas d’exposé des motifs explicitant l’établissement de l’album sous cette forme à la date précise de 223, sous Sévère Alexandre, avec inclusion des patroni. Ce type d’initiative était-il habituel et obligatoire périodiquement ? Faut-il supposer qu’un évergète, un quinquennalicius ou un patron sénatorial ait souhaité préserver plus particulièrement le souvenir de l’année où il avait été intégré dans l’ordo à un titre ou un autre, associant à sa gloire l’ensemble des membres avec leur rang ? Plus essentiel : Canusium, colonie romaine reflétait-elle la totalité des cités ou la composition proposée ne correspondait-elle qu’aux colonies romaines d’Italie ? Il ne me paraît pas possible de transposer sans autres précautions cet exemple aux cités de la péninsule Ibérique, en tout cas aux municipes, ou des autres provinces occidentales.
31 AE, 2002, 1293 = 2004, 1331.
32 Pour ces documents : M. Crawford et al., 1996, I, no 24 et 25. De nouveaux fragments de la lex Genetiva ont été édités et étudiés de manière exhaustive par A. Caballos Rufino, 2006 = AE, 2006, 645.
33 Populus n’apparaît jamais dans le règlement flavien, ce qui n’est pas sans importance : cives, municipes, curia en tiennent lieu. Dans la loi Genetiva le terme est réservé systématiquement au populus Romanus, les coloni désignant les citoyens locaux.
34 R. Mentxaca, 1993, p. 77-143.
35 La rubrique 85 d’Irni oblige les duumvirs à se conformer strictement à l’édit du gouverneur qu’ils doivent faire afficher, lequel fixait les limites de l’autonomie judiciaire dans tous les domaines du droit et de ses applications.
36 Voir F. Jacques, 1990, p. 115-116, no 62 = lex Gen., 97 et 130 relatifs au patronat.
37 Un point doit être souligné : les sacerdoces ne sont jamais évoqués, sans doute parce que les rubriques les concernant ont disparu. Toutefois, l’ambiguïté n’est pas partout levée entre deux procédures possibles : une nomination directe aux prêtrises par les décurions et un choix à l’intérieur du collège sanctionné ensuite par un décret.
38 Digeste, L, 17. 1 : non ex regula ius sumatur, sed ex iure quod est regula fiat.
39 Digeste, L, 9, 1 et 10, 2, 2 par exemple. Il n’y a pas à s’étonner de l’absence de la levée de l’impôt parmi les attributions de l’ordo. La responsabilité de décurions en cas d’arriérés ou de défaut de versement, attestée après Vespasien, ne relevait pas des prérogatives de l’assemblée et passait par l’édit du gouverneur seul maître des règles par son édit même.
40 Les « lois » de Tarente, d’Vrso ou d’Irni ne suivent pas le même plan. En revanche à Malaca, à Salpensa et à Irni des points communs permettent de conclure à un document commun utilisé par chacun des municipes flaviens. Il est indéniable que les cités latines ont été uniformisées à partir de Vespasien qui a également redéfini les contenus du droit latin. Les formulations négatives ont un but dissuasif. Le droit décrit aussi en creux ce qui est bon ou souhaitable pour la bonne marche de la cité.
41 Y. Thomas, 2002, p. 189-214, pour qui le droit romain avait ses propres logiques et sa « modernité », échappant à des lois supposées naturelles, et apte à concilier le principe et la réalité.
42 Ce que suggère Digeste, L, 16, 239, 3 (d’après Pomponius) : « munus publicum » est officium privati hominis, ex quo commodum ad singulos universosque cives remque eorum imperio magistratus extraordinarium pervenit. (« Le munus publicum est une fonction d’un homme privé dont chaque citoyen en particulier et l’ensemble d’entre eux ainsi que leurs possessions tirent un avantage supplémentaire par ordre d’un magistrat. ») Le caractère public ressort de l’intervention du magistrat et exclut que la charge soit exercée comme si elle était privée.
43 L’actio, selon le droit, concernait une personne, la petitio une res et la persecutio l’une et l’autre (voir Digeste [d’après Papinien], XLIV, 7, 28).
44 Voir supra n. 21 et 23. La dimension privilégiée ici est celle de l’ordo et de ses codes dans le cadre local. Ce vocabulaire à forte connotation morale, est distinct en partie de celui qui qualifie les évergètes et bienfaiteurs méritants et prend place principalement dans les décrets et les textes à caractère juridique : voir supra p. 362 et 364.
45 Ce point, essentiel pour comprendre le rôle de l’ordre, a été rappelé par M. Dondin-Payre, 2003, p. 143-153. Le populus est politiquement mineur et les magistrats sont d’abord des décurions, ne restant en charge en théorie qu’une année.
46 Irni, ch. D (AE, 1986, 333) : R(ubrique). Sur la manière de supprimer les décrets des décurions qu’il conviendra de supprimer.
47 Voir, pour la lecture et l’archivage d’un décret, à l’exclusion de la gravure et de l’affichage de la lex elle-même (95), le ch. C qui est le seul à donner lieu expressément à cette procédure.
48 La rubrique 73 d’Irni prévoit un travail de copie et d’archivage par les scribes engagés au service de l’ordo et de la communauté. Sur cette question : A. Parma, 2003, p. 169, qui indique, d’après le décret de Pise (CIL, XIV, 2795 = ILS, 140), que la mention de l’affichage sur bronze figurait dans les décrets destinés à être publiés mais que la plus grande partie était consignée dans les archives sans être publiée ni affichée.
49 Voir F. Jacques, 1990, no 42, p. 77-80.
50 CIL, XI, 3614 = ILS, 5918a du 13 juin 113 apr. J.-C. (citation littérale). Le texte consigné dans le registre (commentarium) est un extrait de la page 27, paragraphe 6 suivi, en outre, de la page 28, paragraphe 1. Voir également F. Jacques, 1990, no 94, p. 169-171.
51 A. Parma, 2003, p. 168-171 (on corrigera la référence au décret de Puteoli : lire AE, 1999, 453 et non 423), dont je résume l’exposé ensuite, offre un bilan succinct mais éloquent de la documentation disponible. Je serai plus circonspect sur les mutations profondes des décrets et des procédures car le genre des documents tardifs est différent de celui des documents du Haut-Empire. Il n’y a aucun exemple issu de la péninsule Ibérique à la date de l’article ni jusqu’à aujourd’hui, autant que les publications permettent de le savoir.
52 M. L. Caldelli, 2008, p. 261-286 (liste p. 263).
53 Les différences ont été soulignées également pour les cités campaniennes par G. Camodeca, 2003, p. 173-186. On notera cependant que les donations et legs à la communauté sont présents dans les inscriptions : par exemple CIL, II, 3167, 4332, 4514.
54 Le décret de Pise en l’honneur de Gaius (supra n. 47) enregistre l’impossibilité de la tenue des élections quatre mois après la date d’entrée en charge des magistrats. Le collège voué à Silvain (AE, 1929, 161), daté de 60 apr. J.-C., prévoit que le jour des cérémonies religieuses personne ne se querelle ni ne se batte sous peine d’amende.
55 Voir P. Le Roux, 1994, p. 175-188. Aussi CIL, II, 1359 et, dans le contexte d’une curie électorale, ILS, 6824 (supra, n. 27) concernant dénigrement et refus d’obéir.
56 A. Parma, 2003, p. 170-171 : CIL, V, 532 de Tergeste et 961 d’Aquilée.
57 Voir par exemple CIL, II, 4468 ; CIL, XI, 377. Aussi, Digeste, L, 8, 12, 2 et 8, 2, 4 et 6 parmi d’autres documents.
58 F. Jacques, 1984, p. 282-300 en particulier. L’inimicitia est évoquée au CJ, X, 68, 1.
59 Irni, 66. R. Mentxaca, 1993, p. 130.
60 Digeste, L, 1, 17.
61 Voir sur un cas non provincial à Concordia de Vénétie, évoqué par Fronton, F. Jacques, 1984, p. 596-603. Les décurions y sont juges de la décision. Cf. Digeste, L, 1, 15 (d’après Papinien). L, 2, 13 (d’après Papirius Iustus) stipule qu’en vertu d’un rescrit de Marc Aurèle et Verus un décurion condamné à un exil temporaire ne peut être réintégré que sur ordre du Prince. L’adlectio (supra et n. 52), d’après certaines inscriptions, demandait aussi l’assentiment de l’empereur, au moins dans les cités provinciales.
62 Chevaliers et sénateurs provenaient selon les régions de cités a priori moyennes ou modestes en nombre supérieur à celui des capitales et centres politiques importants des provinces concernées.
63 P. Le Roux, 1999d, p. 155-173.
64 P. Le Roux, 2002, p. 143-161 = 2011a, p. 565-581.
65 La sanction decurionum decreto montre que, même convoqué par les magistrats, le conseil était le détenteur de la décision qui engageait les duumvirs ou les édiles et les questeurs chargés de l’application de l’arrêté. Il est difficile de limiter sa fonction à celle d’un organe « consultatif ». Les magistrats passaient, l’ordo restait. Gardien de la mémoire des pratiques municipales, sans cesse à l’affût des exemples vertueux, il façonnait la tradition à la manière du sénat de Rome en charge du mos maiorum.
66 Sur les collèges ou confréries et leur légitimité : lex d’Irni, 74.
67 Voir Pompée, César ou même Cicéron recherchant les faveurs de la plèbe. Outre le suffragium qui relève de cette attitude aussi, la postulatio populi en est une expression presque directe. Cette popularitas n’est pas nécessairement négative ni systématiquement assimilable à de la démagogie : elle traduit une attention aux difficultés des citoyens compatible avec la recherche d’un avantage politique et moral pour la plèbe et les gens dits « inférieurs ». Elle accompagne cependant un pouvoir à caractère aristocratique tendant à négliger le populus.
68 Voir P. Le Roux, 1995 (passim) = 2006c, p. 30-31 et 72-74. La notion d’« apprentissage politique » mériterait d’être mieux explicitée et ne doit pas être comprise comme l’effet d’une volonté éducative ni comme un fait généralisé. Peut-être l’expression de « nouvel âge politique » convient-elle mieux ?
69 Ce qui rend la « libertas » plus relative encore, même pour certaines cités prestigieuses ou de statut libre.
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L'Empire romain. Histoire et modèles
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