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L'automobile

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Anne-Françoise Garçon

Conclusion. L’automobile qui nous interpelle

Gérard Emptoz

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Géographique :

France

Texte intégral

1Ce thème de l’automobile, qui attire en permanence l’attention de nos contemporains tant le monde dans lequel nous vivons est imprégné et façonné par cet objet technique et par l’ensemble des dispositifs qui permettent de l’utiliser dans des conditions favorables, constitue aussi pour les historiens des sociétés, des techniques ou de l’économie un sujet d’un intérêt exceptionnel. Cependant si les études historiques sont nombreuses, en particulier sur les différentes machines construites, sur leur impact, sur les transports, sur l’aménagement du territoire ou sur l’économie nationale, tant en France que dans d’autres pays, il reste encore beaucoup d’aspects à explorer. Le pari fait dans le présent volume est une exploration aussi large que possible de différentes facettes de la pénétration de l’automobile dans le territoire national, et en particulier en Bretagne. L’initiative de Anne-Françoise Garçon, à laquelle de nombreux spécialistes ont répondu favorablement en participant à une journée de travail fort riche, mérite d’être saluée ici.

2Trois grandes parties accueillent les contributions réunies ici, de la construction de l’automobile à son insertion dans la société en passant par son fonctionnement. Le propos n’est pas l’exhaustivité, bien difficile à atteindre sur un tel sujet, mais une sélection d’exemples représentatifs, en illustrant cet aspect régional qui est au cœur du débat.

3Sous cet angle, l’impact de l’automobile prend une consistance nouvelle. Les descriptions faites rapprochent le lecteur de la réalité du terrain, les événements vécus par différents acteurs sont minutieusement décrits, et le déroulement des événements trouve appui sur des faits jusque là négligés ou peu étudiés. Telle est la première constatation que nous avions faite en tant qu’auditeur de la journée de travail et que nous pouvons faire ici dans la conclusion de ce volume dont nous voudrions souligner les apports.

4D’abord, « l’automobile qui se construit » fait ressurgir ici deux des plus grands noms de l’industrie française : De Dion et Citroën. La firme De Dion-Bouton, l’une des plus anciennes, s’est trouvée au début du siècle au centre d’un réseau d’acteurs formé des constructeurs auto, et de ceux des équipements, des membres de clubs, de politiciens et d’amateurs passionnés, dont les objectifs étaient de favoriser l’implantation de la jeune industrie sur le territoire. La démonstration est désormais faite que rien n’a été construit au hasard, dans les initiatives du marquis De Dion, directement intéressé par l’essor de son entreprise (Gaëlle Beaussaron). André Citroën réalise une opération similaire après la Première Guerre mondiale, en bâtissant un ensemble très cohérent où science, technique et industrie sont étroitement liés au service de l’innovation. Là encore, on trouve la mise en place d’un réseau commercial destiné à la conquête des marchés dans l’entre-deux-guerres. Nombreuses sont encore les traces matérielles parvenues jusqu’à nous de ces immeubles qui participaient à la promotion des produits de la firme (Paul Smith). Ce thème mériterait d’être pris plus souvent en considération dans des recherches ultérieures sur l’histoire de l’automobile. Dans un troisième volet, qui couvre la période de l’après seconde Guerre mondiale jusqu’à nos jours, on aborde la profonde réorganisation vécue par les industries automobiles françaises. De nombreuses entreprises ont disparu pour en laisser d’autres devenir de très grandes. En particulier, le nouveau statut de Renault, devenu régie d’État, et par ailleurs l’ » histoire complexe » de Simca bouleversent les données industrielles et économiques. Dans ce contexte les stratégies élaborées par les firmes françaises sont différentes et structurent les produits et les marchés suivant des logiques indépendantes (Jean-Louis Loubet). Le développement de l’automobile à la française à partir des années 1950 est certainement un élément essentiel pour la compréhension des problèmes rencontrés actuellement par nos constructeurs, bien mal en point devant la concurrence internationale pour laquelle ils ne se sont jamais vraiment préparés. Le poids de l’histoire n’est pas un vain mot et l’analyse de l’historien serait bien utile pour explorer les perspectives du futur.

5« L’automobile qui roule » offre des analyses tout à fait passionnantes sur les différents utilisateurs de ce mode de transport. Après l’étude de deux catégories, le touriste et le clergé, le regard se porte ensuite sur la situation dans l’Ouest de la France au cours de la première période de cette histoire. L’intérêt de cette partie est de proposer des comparaisons possibles entre différents modes de consommation de l’automobile jusqu’aux années 1930. L’autre aspect particulièrement intéressant est la présence d’une étude sur les transports routiers, dont l’histoire en France est encore peu explorée.

6L’automobile en France pose à ses débuts la question de son utilisation pour devenir un objet de plus en plus populaire. À l’instar de son prédécesseur, le vélo, qui avait participé à la promotion du tourisme à la fin du xixe siècle, l’automobile pouvait aussi être encouragée. La stratégie des constructeurs est de tenter une promotion inspirée de la précédente en s’inspirant du modèle américain. Mais dans notre pays où le décor est très différent, les efforts des années 1910 ne donneront que de maigres résultats. C’est le marché de l’occasion qui permet en fait d’amorcer un début de démocratisation de la voiture de tourisme (Catherine Bertho-Lavenir). Cette étude nous pose la question de la diffusion de l’innovation à un moment où le système technique n’est pas encore organisé complètement pour la recevoir. Une illustration concrète est en fournie par « la difficile histoire » de l’automobile dans l’Ouest. La description de la pénétration de la machine dans cette région nous souligne les réticences, les hésitations, les inquiétudes devant le changement technique, mais aussi l’enthousiasme et le soutien au nouveau moyen de transport. Mais ce ne sont pas les mêmes acteurs qui s’expriment et ceci rend l’analyse très éclairante sur la première diffusion du véhicule à moteur. Il apparaît ainsi que l’Ouest ne s’est finalement pas tenue à l’écart du mouvement de consommation de l’automobile, malgré des handicaps en matière de routes et d’équipements techniques (Patrick Harismendy). Comme les propriétaires sont surtout des notables et des personnes aisées, on retrouve ici un des points évoqués à propos du réseau mis en place par le marquis De Dion, évoqué plus haut.

7Une autre catégorie d’utilisateurs, le clergé catholique, illustre ces différences d’usage selon une hiérarchie interne. Si la bénédiction des automobiles s’inscrit dans la continuité de ce qui se faisait traditionnellement pour d’autres moyens de transport, la mobilité des membres du clergé, de son côté, pose la question de la représentation sociale vis-à-vis des fidèles. Tant que l’automobile a été associée à une catégorie aisée ou exerçant des fonctions supérieures, elle a été réservée aux évêques. Par la suite, à l’image des classes populaires, le prêtre pourra conduire des véhicules économiques, laissant le haut de gamme à ses supérieurs (Michel Lagrée). Ce travail vient enrichir nos connaissances sur les rapports que l’automobile a établi très vite au sein de notre société, et qui perdurent toujours sous des formes atténuées ou modifiées.

8Dans un registre très différent, le panorama des transports routiers, des années 1920 à nos jours, pose des questions interconnectées : techniques, économiques et politiques. C’est bien à la croisée de ces domaines que se situe le transport routier. Le camion qui ne commence véritablement à compter que dans les années 1920, s’est trouvé en concurrence avec un quasi-monopole, celui des chemins de fer pour le transport des marchandises en France. Cette histoire montre notamment l’émergence d’un corporatisme particulier, lié à la présence d’individus et de petites entreprises, qui contribue au développement du secteur de manière multiforme, et finalement pas toujours bien organisé pour maîtriser un développement sur le long terme. Avec ce travail, des repères sont fournis pour la compréhension d’événements actuels, en particulier sur la politique des transports, la gestion du réseau routier, ou les échanges internationaux dans un décor européen où les transports routiers sont devenus un secteur essentiel de l’économie des pays.

9On sait que l’automobile « dérange », et on peut en savoir plus maintenant grâce aux contributions de la troisième partie. Les études proposées ici permettent de trouver des repères, du passé au présent. La congestion urbaine ? C’est un problème qui n’est guère nouveau. La photographie de la ville de Paris dressée dans les années 1920-1930 illustre fort bien la pression exercée par les automobiles et les poids lourds à une époque qui n’est encore que de transition dans les modes de transports. Sur le plan technique la gestion et l’entretien de la voirie urbaine doivent être modifiés progressivement à mesure que les machines qui circulent évoluent, de la traction animale à la traction mécanique. Progressivement aussi se trouvent modifiés les rapports entre les différents véhicules et les piétons, et améliorer par divers moyens la fluidité de la circulation. La ville doit continuer à vivre tout en intégrant des changements techniques profonds (André Guillerme). L’aménagement de la ville et de ses espaces publics ? C’est devenu de nos jours une machinerie d’une étonnante complexité, tant les contraintes de toute nature se sont accumulées au fil des années à mesure que l’automobile a imposé son système technique (Anne Grenier). On peut légitimement se demander si la prise de décision dans le domaine de la production des espaces urbains n’est pas devenue en soi un métier qui risque de s’isoler de plus en plus de l’utilisateur.

10Le point de vue breton sur l’automobile vient à point pour souligner la spécificité d’un territoire et les répercussions sur l’élaboration des dispositifs propres au développement de l’automobile. Les caractères propres à la région bretonne ont en effet, et peut-être d’une manière unique en France, donné lieu à un réseau routier aux formes particulières, qui constitue un « système » (Jean Ollivro). Ceci renvoie bien aux processus de prise de décision où, dans le cas présent, la régionalisation avant la lettre a été revendiquée et appliquée. Qu’en est-il des autres régions ? Il serait fort intéressant de faire des comparaisons.

11De nouvelles pistes à explorer sont ouvertes à l’issue de cet ouvrage collectif. Elles se situent sur les trois axes définis ici. La pénétration en Bretagne des différents constructeurs au cours du temps, les usages de leurs véhicules, les modes de consommation selon les différentes composantes de la société, la part des transports routiers, et plus généralement la mise en place d’un ensemble technique dans lequel l’automobile a pris sa place, sont parmi d’autres sujets des éléments qui seront à verser au profit d’une histoire générale de l’automobile en France.

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