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L'automobile

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Anne-Françoise Garçon

3e partie. L’automobile qui dérange

La production des espaces publics urbains sous l’éclairage de la sécurité routière

Anne Grenier

Texte intégral

1Depuis quelques années, l’aménagement et l’action en sécurité routière en milieu urbain revêtent de nouvelles formes et s’appuient sur de nouveaux mécanismes institutionnels. Depuis 1982, le dispositif des lois de décentralisation a fixé de nouvelles modalités à l’urbanisme opérationnel. Il a renforcé le rôle des institutions locales et a défini les aspects réglementaires de la concertation. Dans le même esprit et dans la même période, l’État a initié une nouvelle politique d’incitation aux interventions de sécurité routière en direction des collectivités locales. Le contexte de l’intervention des acteurs locaux se trouve donc largement modifié tant en ce qui concerne les actions de sécurité que l’aménagement des espaces publics.

2Dans un tel contexte de mutation, mutation des savoirs et des pratiques en matière de sécurité, d’urbanisme et d’aménagement, mutations institutionnelles redistribuant les pouvoirs et les responsabilités, la production de l’espace public se révèle fortement problématique. Mettant en jeu nombre de préoccupations, portées par nombres d’acteurs différents, chacun ayant sa propre culture technique, il apparaît nécessaire de trouver un fil pour dénouer cet écheveau complexe. La préoccupation « sécurité routière » a donc été choisie car elle permet d’appréhender les différentes dimensions et les différents niveaux de l’espace public aujourd’hui. Un bref cadrage théorique permettra de le vérifier. Les résultats d’une enquête menée parallèlement à St-Quentin en Yvelines et à Rennes pourront alors être exposés.

La sécurité routière et les espaces publics

3En tant qu’objet technique, la sécurité est en tension entre des dimensions normatives, réglementaires, et des dimensions qualitatives qu’il est difficile de percevoir, maîtriser et évaluer. Dire qu’un aménagement est vraiment sûr est hasardeux, on peut simplement dire qu’il est plus sûr que ce qu’il y avait avant ou plus sûr qu’un autre aménagement. C’est toujours une sécurité relative. Il n’y a pas d’optimum. Ainsi, les spécialistes travaillent par expérimentations, évaluations, par analogies au moyen d’aménagement de référence qui ont fait leurs preuves ailleurs. Dès lors apparaissent deux manière de voir : les dimensions normatives constituent la première, le management urbain, et les aspects sociaux de la sécurité routière sont une autre façon de considérer les choses. Cette deuxième façon relève de la rhétorique sur la complexité.

4Dès lors, ces considérations sur la maîtrise et l’évaluation des dimensions qualitatives contraignent à se questionner à la fois sur les aspects techniques de la sécurité routière mais aussi sur le jeu des acteurs, sur les différentes personnalités en présence et les relations qui se tissent entre elles, sur ce qu’elles véhiculent notamment sur les différentes cultures techniques en présence.

5En tant qu’objet social, la sécurité routière est très souvent revendiquée comme condition de qualité de vie dans les quartiers, ce qui oblige a s’interroger sur qui est porteur, ou plutôt qui est non porteur de la sécurité routière, car personne ne peut prétendre ignorer cette préoccupation.

6En tant qu’objet de recherche, les scientifiques s’accordent aujourd’hui pour considérer l’accident comme un résultat, le résultat d’un manque de cohérence du système urbain pris dans sa totalité, comme le stigmate d’un dysfonctionnement : c’est une situation critique qui permet de comprendre la normalité. Dans cette optique, la sécurité routière se présente comme un fil permettant de comprendre la ville par ses dysfonctionnements et par les actions entreprises sur ses infrastructures : les espaces publics.

7Le terme d’espace public révèle toute l’épaisseur du flou du phénomène urbain que la multiplicité des définitions confirme : espace abstrait de la communication et de la publicité, support scénique de la vie urbaine de notre « société du spectacle », espaces des sociabilités froides et des liens faibles, des relations de coprésence entre étrangers, lieux de sédimentation où s’écrit la genèse du phénomène urbain, espace d’autoproduction de l’urbanité… Terme générique, il regroupe des objets urbains des plus variés, qui se diversifient toujours davantage et dont le traitement fait référence à l’imaginaire collectif, aux représentations dans les diverses acceptions du terme, tout en répondant à des contraintes techniques et fonctionnelles. Espace à plusieurs dimensions (symbolique, temporelle, spatiale), se déclinant en divers niveaux (dans la forme, la fonction et l’usage), leur production se révèle problématique mettant en scène différents acteurs selon leur nature. Ils ne sont pas le résultat des mêmes savoirs, des mêmes cultures et les critères qui les fondent divergent et peuvent se révéler contradictoires.

8D’autre part, les espaces publics urbains connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt après trois décennies de ce qu’on a appelé « la pensée désurbanisante » issus des courants fonctionnalistes qui les avait mués en simple voiries, artères, tuyauteries d’écoulement d’un flux, les sacrosaintes voitures. Élus, décideurs, gestionnaires et chercheurs les redécouvrent et les considèrent désormais sous un angle tout à fait différent : l’espace public se positionne à présent comme un enjeu politique susceptible de résoudre, au moins dans l’idée, nombre des maux que connaissent nos villes.

9Or ce positionnement de l’espace public en tant qu’enjeu est particulièrement intéressant pour notre étude. En effet, en tant que tel, il permet de muer les différentes préoccupations des acteurs en valeurs véhiculées. De ce fait, le jeu des acteurs ne répond plus à des organisations institutionnellement hiérarchiques mais à une structuration des valeurs fortement pondérées par le poids des personnes. Il s’agit alors d’analyser ce jeu en identifiant les valeurs, leurs porteurs et les passeurs (cf. : Michel Marié) qui leur permettent de s’imposer dans les projets. La sécurité n’est qu’une qualité d’un espace parmi d’autres. Ce qui est à comprendre, ce sont les fonctionnements sociotechniques, antropo-techniques de ces espaces.

10La question peut donc être reformulée en ces termes : comment s’organisent et se structurent les valeurs de l’espace public véhiculées de porteurs à passeurs jusqu’à la conception et à la réalisation des projets d’aménagement. Pour ce faire le porteur sera la personne qui incarne la préoccupation et le passeur celui qui permet sa prise en compte dans l’organisation du processus. Le sujet se situe alors dans une problématique de l’entre-deux, de l’entre-temps, de l’entre-choses, de l’entre-gens.

L’enquête à St-Quentin en Yvelines et à Rennes

Méthodologie

11Afin d’appréhender à la fois le contexte et le jeu des acteurs de l’aménagement des espaces publics urbains, une enquête a été entreprise auprès des différents intervenants de l’aménagement dans les villes de Rennes et de St-Quentin en Yvelines.

12Des entretiens semi-directifs ont été réalisés dans trois optiques :

  • définir le rôle et la place de chaque acteur dans ce jeu,
  • recueillir les informations nécessaire à expliciter le phénomène observé,
  • obtenir des propositions de projets à analyser de façon rétrospectives.

13L’étude des discours a nécessité l’organisation de niveaux d’analyse. Le premier niveau concerne la structuration des acteurs. Ces derniers se définissent à partir de trois catégories simples : les décideurs, les techniciens, la demande sociale, dont on ne peut pas a priori formaliser les relations. Le deuxième niveau est celui du processus de production des espaces publics selon une organisation classique des acteurs. Un premier modèle descriptif de ce processus a donc été proposé.

MODÈLE THEORIQUE DE PRODUCTION DES ESPACES PUBLICS URBAINS

MODÈLE THEORIQUE DE PRODUCTION DES ESPACES           PUBLICS URBAINS

14À l’origine de tout aménagement, on trouve une volonté politique ou le constat de dysfonctionnements. Le modèle présente ensuite une chronologie en 3 phases :

  • la première phase, avant la décision de faire, concerne les études amont et débouche sur la définition d’objectifs et la formulation du programme ;
  • la seconde phase, entre la décision de faire et le choix du projet, est la phase de projet proprement dite ; elle aboutit à la proposition chiffrée d’une solution ;
  • la troisième vient après la décision du choix et correspond à la phase pré-opérationnelle de la réalisation.

15Ce modèle présente une certaine linéarité, rythmée par des temps de décision. Une phase de suivi-évaluation ou de gestion dans le temps est à rajouter à ce modèle. Le modèle présente alors une boucle itérative qui mène à un réaménagement.

16Des cas d’école, empruntés à St-Quentin et à Rennes, permettent de saisir davantage le jeu des acteurs en présence. Les rapprochements entre les discours ainsi que les éléments ressortis de l’étude des projets ont conduit à construire deux nouveaux modèles, un pour chaque ville.

L’exemple de St-Quentin en Yvelines

17St-Quentin en Yvelines est une ville nouvelle ce qui complexifie un peu le contexte institutionnel. Les voiries recevant des transports en commun sont de la gestion du Syndicat d’Agglomération Nouvelle (le SAN) mais leur aménagement et l’urbanisation d’une façon plus générale sont à la charge de l’Établissement Public d’Agglomération (l’EPA). Les communes (au nombre de 7 dans la ville nouvelle) restent investies du pouvoir de police et conservent la gestion des voiries ne recevant pas de transports en commun.

18L’organisation de l’aménagement, telle qu’on peut l’observer dans la pratique, ressemble au modèle théorique proposé mais la principale singularité réside dans des boucles itératives à chaque phase du projet correspondant à des refus. En cas de désaccord d’un des acteurs ou de non respects des prérogatives locales, des études complémentaires sont demandées, bloquant le projet dans la même phase. Si le modèle présente une apparente linéarité, son cheminement décrit un certain nombre de boucles. On pense alors à un déroulement en spirale, les risques d’opposition s’amenuisant au fur et à mesure de l’avancée des études.

MODÈLE DE ST QUENTIN EN YVELINES DE PRODUCTION DES ESPACES URBAINS

MODÈLE DE ST QUENTIN EN YVELINES DE           PRODUCTION DES ESPACES URBAINS

19Le contexte local nous éclaire sur ce sujet. En effet, cette organisation est basée sur un climat de conflit, conflit entre l’EPA et le SAN d’une part, entre les communes et les instances supra communales (SAN et EPA) d’autre part, enfin entre les communes et les représentants des habitants. Ce climat de conflit induit la recherche constante de consensus. Afin d’imposer ses conditions, le SAN a établi un certain nombre de cahiers des charges (un par services concernés par l’aménagement des voiries). Ces cahiers des charges s’imposent à tout aménagement. On les retrouve aux différentes phases du projet. De plus dans cette ville, existe des associations pour la qualité de vie et notamment une association de sécurité routière très militante. Cette dernière s’impose par la poursuite de contentieux vis-à-vis des maîtres d’ouvrage. Pour limiter les conflits, les municipalités ont organisé des comités de quartiers afin de faire remonter et de mieux prendre en compte les préoccupations des habitants.

20Dans un tel climat et sous la menace constante de poursuites juridiques, les études réglementaires prennent beaucoup d’importance et sont entreprises avant tout projet émanant de l’aménageur. Les projets synthétisés par l’aménageur circulent alors dans les différents services. Cette circulation des dossiers se fait sans discussion entre les différents acteurs. Il s’agit alors de vérifier que le projet répond bien aux différents cahiers des charges. Si ce n’est pas le cas, le projet est remis en cause plus ou moins dans sa globalité, ce qui est matérialisé dans le schéma par les boucles itératives. Ce modèle peut donc être qualifié de réactionnel.

21Afin de limiter les risques d’opposition, des cabinets d’études conseils sont sollicités pour les préoccupations non portées à l’intérieur de l’institution et notamment sur le critère sensible de la sécurité routière. Ce modèle montre qu’en aval de la décision du maître d’ouvrage, la décision du gestionnaire est très importante, ce qui incite les acteurs à prendre en compte des éléments de la décision dans les outils réglementaires que sont les cahiers des charges et dans l’élaboration des projets. Ceci justifie le recours aux bureaux d’études extérieurs qui eux-mêmes intègrent des éléments de décision par la formulation d’avis techniques.

L’exemple de Rennes

22À Rennes par contre, profitant de la volonté municipale d’implanter le VAL, l’ensemble des services de la ville est périodiquement réorganisé en vue d’optimiser une pratique fondée sur une stratégie de projet. Cette nouvelle organisation vise à développer la concertation de l’ensemble des acteurs concernés par l’aménagement des espaces publics urbains. Pour ce faire, la ville s’est doté en premier lieu de deux architectes conseils : un pour le centre historique, l’autre pour le reste de la ville. Par ailleurs, chaque élu a en charge de faire remonter les préoccupations des habitants d’un quartier. Un technicien a en charge de veiller à la prise en compte de ces revendications. Ce rôle s’ajoute aux fonctions classiques de ces acteurs. Un important dispositif d’information et de consultation du public a été mis en place : campagne d’information par courrier ou affichage, informations des riverains pour chaque chantier d’aménagement urbain, service de téléphone vert…

23Lors des projets, l’ensemble des techniciens intervenants est convié autour d’une table de concertation. Les contraintes portées par chacun sont exposées à la connaissance de tous. Les différentes études nécessaires sont décidées de concert. L’architecte se charge de traduire graphiquement dans son projet l’ensemble des discussions.

24Le modèle correspondant se distingue nettement des précédents. L’ensemble des intervenants présents définit dans une même phase les aménagements nécessaires, les objectifs de ceux-ci et les moyens de les atteindre. Il y a donc fusion des étapes de programmation et de projet dans une seule et même phase autonome, sans réelle continuité avec la précédente. Il ne s’agit plus de compléter des études amonts mais d’utiliser les résultats de celles-ci dans des projets concrets. Le modèle est donc beaucoup plus ramassé et présente un noyau central reposant sur l’organisation de la concertation des acteurs. On peut alors parler d’un modèle intégrateur.

MODÈLE DE RENNES DE PRODUCTION DES ESPACES PUBLICS URBAINS

MODÈLE DE RENNES DE PRODUCTION DES ESPACES           PUBLICS URBAINS

Que peut-on tirer de cette comparaison quand à la production des espaces publics urbains et la sécurité routière ? Un questionnement…

Concernant le jeu des acteurs

25La comparaison de ces deux modèles révèle en premier lieu que la prise en compte d’une telle préoccupation passe nécessairement par la recherche d’un porteur et d’un passeur. Comme il a été dit dans l’introduction, le porteur est l’acteur qui incarne cette préoccupation. En ce qui concerne la prise en compte de la sécurité routière à Rennes, ce porteur est un technicien municipal. À St-Quentin en Yvelines, c’est le président de l’association pour la sécurité routière. Ce porteur peut donc être intérieur ou extérieur à l’institution. Le passeur par contre est l’acteur qui permet la prise en compte de la préoccupation dans les projets. Il doit donc nécessairement être à l’intérieur de l’institution. À Rennes, il s’agit du directeur du service « infrastructure », à St-Quentin, c’est le directeur des services techniques de l’EPA.

26Pour que ce passeur soit entendu au sein du processus, il faut qu’il jouisse d’une certaine reconnaissance professionnelle. Cette aura lui est indispensable pour que ce rôle soit compris comme tel et se justifie autant dans le parcours professionnel de cette personne, que dans son charisme. Il est ici question de la reconnaissance des savoirs et des compétences en matières de sécurité routière. Tous les interviewés s’accordent pour dire que ces facultés viennent de la pratique de terrain. Leur valorisation passe par une médiatisation de ce qui a été fait, au sein du groupe professionnel (Ingénieurs ou Techniciens des Villes de France), comme au niveau local (reconnaissance des actions municipales par rapport aux autres villes : participation au club des Villes Cyclables pour Rennes par exemple). Cette valorisation nécessite donc l’élaboration d’un argumentaire technique et une certaine pédagogie vis-à-vis des autres acteurs. Elle doit être incluse dans le système même de production.

27Ainsi la prise en compte de telles contraintes reposent essentiellement sur la crédibilité et l’écoute d’acteurs singuliers dans le processus, donc sur des fondements fragiles. Pour que ces modèles perdurent en s’affranchissant d’une certaine façon du poids des hommes, il est nécessaire de les rigidifier. Il faut donc se doter d’outils à vocations plus ou moins réglementaires et générales au niveau local. À Rennes, il s’agit du plan de sécurité routière, qui se situe au niveau des études amont dans les modèles. À St-Quentin, ce sont les cahiers des charges et le plan de hiérarchisation des voies qui sert de référence aux avis techniques délivrés par les bureaux d’études pour les préoccupations qui ne sont pas portées à l’intérieur des institutions. Plus que d’une véritable réglementation de la sécurité routière, on peut parler d’une institutionnalisation de celle-ci qui interroge les aspects juridiques de la production des espaces publics urbains et les aspects de la responsabilité des acteurs.

Autour du paradigme de la décision

28Vue sous l’angle de la décision, la comparaison de ces deux modèles a priori opposé révèle des convergences. En effet, tous deux présentent une intégration des éléments de la décision des maîtres d’ouvrage et des politiques par les techniciens au niveau de leurs études. C’est ce qui est figuré dans les schémas par la trame grisée. Pour être efficace, cette intégration doit se faire le plus en amont possible. Dans les deux villes elle se fait dès la formulation du programme, au niveau des objectifs de l’aménagement et se retrouve aux différents stades du projet. On ne peut plus dès lors appréhender la décision comme un moment particulier et unique du processus, mais comme une nuée de micro-décisions prise à des moments particuliers, par des acteurs particuliers et interférents les unes sur les autres. Alors qu’elle pouvait se présenter comme un temps de relative suspension dans le modèle théorique, elle est ici non seulement partie intégrante du processus mais elle le conditionne. Elle est intégrée par les techniciens.

29Tout un questionnement se construit alors autour du paradigme de la décision en rapprochant les termes : décision/technique, décision/politique ou enjeux, techniques/enjeux ou valeurs. Analyser les interactions et interrelations entre eux contraint à s’interroger sur les objectifs des aménagements, les objectifs des acteurs, qui peuvent se révéler contradictoires, et qui renvoie au niveau des valeurs de l’aménagement comme des hommes. Il est alors questions des cultures techniques et de leur évolution et des représentations de l’espace public et de la sécurité routière par rapport à ces cultures. On s’aperçoit alors que ces réalités diffèrent quand leurs images sont récupérées par les différentes professions et les différentes cultures techniques, parfois même au sein d’un corps de métier. Apparaît alors différemment la notion de patrimoine urbain appliquée au réseau viaire et celle des temporalités de l’espace public et de ses aménagements.

30Il y a la ville qui est inscrite dans un temps long, une histoire, et il y a la vie, les gens, les habitants, leurs souhaits, leurs attentes et toutes les évolutions de la société qui s’inscrivent dans une histoire beaucoup plus courte. L’espace public, parce qu’il est livré à l’usage du public doit permettre une certaine flexibilité fonctionnelle pour que ces usages sans cesse réinventés puissent y avoir lieux. Il y a donc le temps long de la structure urbaine et le temps court de son utilisation.

31La sécurité routière révèle ces temporalités. Directement liée à l’usage des espaces, elle nécessite une certaine urgence. Ce caractère d’urgence est lié à l’insécurité comme justificative d’un dysfonctionnement. Ces différentes temporalités sont présentent à l’esprit des techniciens selon leur « métier ». Les architectes, les aménageurs réfléchiront plus au temps long de la ville et les ingénieurs circulation à la vitesse du déplacement. Les élus décideurs quand à eux seront partagés dans cette dualité. L’argumentaire technique se devra d’infléchir leurs préoccupations dans un sens ou dans l’autre.

32Cette question de l’argumentaire technique interroge également les limites du « local », si on considère que la sécurité est une préoccupation locale, donc les échelles de projet. Jusqu’à quel niveau la sécurité routière, et plus généralement les préoccupations de qualité de vie des habitants, peuvent-elles être explicitement prises en compte ? Si la sécurité routière l’est aisément pour des projets en zones résidentielles ou lors de réaménagements de voie de quartier, elle est difficile à mettre en avant dans les grandes extensions urbaines ou des projets plus ambitieux. Cependant, une analyse fine des discours et des projets révèlent que cette préoccupation est implicitement intégré par les techniciens bien que ce fait ne transparaisse pas dans l’argumentaire. Ceci nous ramène directement à la question des valeurs véhiculées par l’espace public comme par les hommes dans la prise de décision en matière d’aménagement. Ainsi, ces valeurs se structureront différemment en fonction des projets, et cette structuration conditionnera le processus.

Conclusion

33Ainsi, l’étude comparative de la production des espaces publics urbains dans ces deux villes interroge autant le jeu des acteurs de l’aménagement et de la sécurité que le processus de prise de décision. À travers ces considérations sur les rôles des intervenants et leur reconnaissance, sur les cultures techniques, sur l’argumentaire technique et sur le choix politique, une idée transparaît : celle d’une culture urbaine minimale commune a tous les acteurs.

34Cette nécessité d’une nouvelle culture a-disciplinaire est d’ailleurs avancée par chacun des acteurs qui ont fait l’objet d’une reconnaissance dans leur milieu, et ceci aussi bien à St-Quentin en Yvelines qu’à Rennes, que dans d’autres villes où une enquête de vérification plus systématique a débuté. Selon eux, elle est la condition de qualité de la production des espaces publics urbains, comme de la lutte contre l’insécurité routière. Enfin, elle seule permettrait un positionnement conceptuel partagé par tous les acteurs sur la notion d’espace public, positionnement indispensable à leur « reconstruction ».

35Dès lors, l’émergence de cette culture urbaine permettrait de poser clairement la question de la place de la voiture dans la ville, question trop souvent évincée, et au-delà celle du devenir de la cité et de l’urbanité. Bien plus que de simples considérations techniques, c’est bien de concepts, de rationalité et de communication, de valeurs ou d’éthique dont il est question.

Bibliographie

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Table des illustrations

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Titre MODÈLE DE RENNES DE PRODUCTION DES ESPACES PUBLICS URBAINS
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Auteur

Architecte, doctorante à l’INRETS(Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité)

© Presses universitaires de Rennes, 1997

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