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La Révolution à l'œuvre

 | 
Jean-Clément Martin

Première partie. Société et institutions

Paris/provinces. Le fil conducteur des pouvoirs, rouages et dysfonctionnements

Michel Biard

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Le mot est tellement utilisé à tort et à travers que Pierre Rosanvallon propose de lui substituer (...)

1La question du fil conducteur des pouvoirs entre la capitale et les provinces françaises a longtemps servi, et sert parfois encore, de fondement à un grand nombre d’idées reçues et à des thèses historiographiques durables. Elle renvoie souvent à la théorie de Tocqueville sur les continuités d’une « centralisation » particulière à la France, ainsi qu’à plusieurs thèmes récurrents : l’absolutisme triomphant de l’Ancien Régime qui aurait étouffé toutes les libertés provinciales ; le «  jacobinisme1« si avide d’un renforcement du pouvoir central que l’expression « centralisation jacobine » tient du pléonasme, ce qui ne l’empêche point de continuer à être utilisée à l’aube du xxie siècle ; l’opposition supposée inexpiable entre des Girondins « fédéralistes » et des Montagnards « centralisateurs » et « dirigistes » ; les pouvoirs réputés « illimités » des représentants du peuple en mission, qui auraient été les agents d’une « centralité législative » en apparence audacieuse, mais dissimulant en fait une banale « centralisation » opérée à marche forcée, et guillotine à l’appui ; enfin la création en pluviôse an VIII de préfets vite devenus des « empereurs au petit pied ».

  • 2 Pierre Deyon, dans un ouvrage publié aux lendemains du bicentenaire, plaide encore, à l’exemple de (...)
  • 3 Cf. les analyses présentées par Claude Mazauric dans Il rapporto Centro-periferia negli stati preu (...)
  • 4 Dans un manuel consacré à la période révolutionnaire, Michel Vovelle écrit ainsi : « La Révolution (...)

2Toutes ces idées reçues, qui imprègnent encore en partie l’historiographie2, renvoient aussi à un postulat initial, renforcé par l’évolution politique du monde, et tout spécialement de l’Europe, à la fin du xxe siècle3 : le « centre » incarnerait l’État niveleur, voire oppressif, à force d’être régulateur dans des sociétés étouffées par un « trop d’État » et supposées réceptives aux discours sur la « proximité » ; les « périphéries » renverraient au contraire aux notions de libertés et de richesses offertes par la différence, de créativité originale dans un monde pourtant soumis de plus en plus au phénomène de cette « mondialisation » que l’on évoquait déjà dans les années 1960 sous le nom de « global village ». Ces idées reçues reposent aussi sur l’acceptation par l’historiographie, jusqu’à ces dernières années tout au moins, d’une évolution totalement schématique des relations de pouvoirs entre la capitale et les provinces des dernières décennies de l’Ancien Régime à 1800 : avant 1789, la « centralisation » est réputée avoir été achevée par les efforts de la monarchie ; de 1789 à 1792, la Constituante, puis la Législative sont supposées avoir promu une certaine « décentralisation » ; en 1793 et 1794, la République dite « jacobine » est interprétée comme le grand moment du retour à la « centralisation » ; les années 1795-1800 sont, quant à elles, le plus souvent réduites à la seule loi du 28 pluviôse an VIII, comme si l’institution des préfets avait somme toute été en gestation sous un Directoire qui n’aurait guère eu d’idées nouvelles en matière d’administration territoriale4.

  • 5 Cf. Jacques Moreau, Michel Verpeaux (dir.), Révolution et décentralisation. Le système administrat (...)

3L’ensemble de ces idées reçues repose aussi sur l’emploi quasi généralisé des termes « centralisation » et « décentralisation ». Certes, le mot « centre » possède bien dès avant 1789, parmi ses nombreux sens, une définition qui peut s’appliquer au domaine politique et administratif : « On dit aussi figurément Le centre des affaires pour dire : le lieu où se traitent la plupart des affaires », explique ainsi le Dictionnaire de l’Académie, dans sa première édition, en 1694. Toutefois, ce n’est qu’avec la cinquième édition de ce Dictionnaire, en 1798, que le dérivé « centralisation » apparaît (« Centralisation des pouvoirs. Réunion de l’autorité dans un petit nombre de mains »). De plus, les concepts ne sont précisés que des années après et surtout le mot « décentralisation » fait une apparition tardive, vers 18305. C’est dire que, si ces notions sont déjà d’un usage contestable pour le xixe siècle, elles ne sont pas davantage opératoires pour le xviiie siècle.

4Enfin, l’historiographie a souvent repris à son compte les idées de Michelet à propos du caractère spontané de la « décentralisation » née en 1789 :

  • 6 Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Jules Rouff et Cie, éd. non datée (190 (...)

« Avant que les municipalités s’organisent, le village se gouverne, se garde, se défend, comme association armée d’habitants du même lieu. Avant qu’il n’y ait des arrondissements, des départements créés par la loi, les besoins communs […] forment des associations entre villages et villages, villes et villes, de grandes confédérations de protection mutuelle […]. La loi vient reconnaître, autoriser, couronner tout cela ; mais elle ne le produit point. La création des municipalités […] n’était pas l’effet d’un système, c’était la simple reconnaissance d’un fait. Dans l’anéantissement de la plupart des pouvoirs, dans l’inaction volontaire (souvent perfide) de ceux qui restaient ; l’instinct de la conservation avait fait ce qu’il fait toujours : les intéressés avaient pris eux-mêmes leurs affaires en main […]. Le pouvoir municipal hérita de toutes les ruines. Lui seul, entre l’ancien régime détruit, le nouveau sans action, lui seul fut debout. [L’Assemblée] était une tête sans bras. Elle eut quarante-quatre mille mains dans les municipalités. Elle se remit presque de tout aux douze cent mille magistrats municipaux6. »

5Cette idée d’une « décentralisation » réalisée par le flux révolutionnaire lui-même et non issue d’une réflexion collective des Constituants, a bien sûr été très vite nuancée, néanmoins force est de constater que le thème d’une « décentralisation » étroitement liée à une situation « d’anarchie » administrative a eu, quant à lui, un succès durable dans l’historiographie. Ainsi, l’échec de l’organisation administrative mise en place en 1789-1790 était jugé à l’aune de la politique suivie à partir de 1792, ce qui impliquait de considérer l’œuvre des Constituants comme non viable dès sa naissance. L’un des indices les plus révélateurs de ce jugement téléologique nous est fourni par les jugements portés sur l’institution des procureurs généraux syndics. Pour ne citer qu’un exemple, Albert Soboul écrit, dans son manuel qui a été une référence majeure dans l’historiographie pendant de très nombreuses années :

  • 7 Albert Soboul, Précis d’histoire de la Révolution française, Paris, Éditions sociales, éd. de 1975 (...)

« [Le procureur général syndic], en communication directe avec les ministres, […] représentait l’intérêt général ; il fut, en fait, le secrétaire des services administratifs […]. Le département, où l’autorité centrale n’était représentée par aucun agent direct, constituait donc comme une petite république aux mains de la haute bourgeoisie […]. La crise politique s, la décentralisation administrative entraîna de sérieux périls pour l’unité de la nation […]. Pour défendre la Révolution, il fallut revenir, deux ans plus tard, à la centralisation7. »

6C’est là suggérer ouvertement que le procureur général syndic était un personnage voué à être inefficace dès sa naissance, que la « décentralisation » était porteuse « d’anarchie » administrative – voire de Contre-Révolution pour peu que les élites locales se rallient aux opposants à la Révolution –, enfin c’est admettre que la République a été contrainte de « revenir » à une « centralisation » de fait supposée acquise dès avant 1789. Si l’on poursuit avec le même type d’analyses, le « fédéralisme » de 1793 était donc tout aussi prévisible que la « centralisation jacobine », à condition évidemment d’admettre comme postulats l’existence des deux phénomènes et leurs définitions classiques. Reste alors à accepter l’accusation de « fédéralisme » portée contre les amis de Brissot et à en faire l’un des facteurs décisifs du retour à la « centralisation ». Puis, reste enfin à considérer les représentants du peuple en mission comme de banals agents envoyés par le pouvoir central, les commissaires centraux du Directoire et les préfets comme des exécutants toujours parfaitement dociles, autant d’intermédiaires qui ne sont plus perçus que comme de simples rouages entre pouvoir central et pouvoirs locaux.

7L’ensemble de ces idées longtemps admises par l’historiographie ne résiste pourtant pas à l’examen, comme de nombreux travaux sont venus le démontrer depuis la célébration du bicentenaire. Il convient aujourd’hui non seulement de les remettre en cause, mais en sus d’analyser la vie politique des années 1789-1800 dans toute sa complexité, avec le jeu de réels intermédiaires politiques et culturels, avec la richesse d’une vie politique locale désormais mieux connue dans son interaction entre différents acteurs, avec des dysfonctionnements politiques et administratifs qui sont loin d’être le fruit des seules tensions entre Paris et les administrations départementales, avec enfin l’apport de sérieuses nuances sur les concepts de « centralisation » et de « décentralisation ».

  • 8 Cf. la récente et très pratique synthèse de Fanny Cosandrey et Robert Descimon, L’absolutisme en F (...)
  • 9 Au-delà des chevauchées des maîtres des requêtes, ils héritent notamment des intendants de justice (...)
  • 10 Alors qu’ils sont en réalité avant tout les « hommes du Conseil », dont ils sont une émanation en (...)
  • 11 Notamment son livre, Un mythe de l’absolutisme bourbonien : l’intendance du milieu du xviie à la f (...)
  • 12 Sharon Kettering, Patrons, Brokers and Clients in Seventeenth-Century France, New York/Oxford, Oxf (...)
  • 13 Cf. notamment Jean-François Dubost, « Absolutisme et centralisation en Languedoc au xviie siècle ( (...)
  • 14 Colette Brossault, Les intendants de Franche-Comté, 1674-1790, Paris, La Boutique de l’Histoire éd (...)
  • 15 René Grevet, « Être subdélégué d’intendant dans les provinces septentrionales à la fin du xviiie s (...)
  • 16 Marie-Laure Legay, Les États provinciaux dans la construction de l’État moderne aux xviie et xviii(...)

8Si l’on veut bien suivre un ordre chronologique, la première idée reçue qui a été remise en cause est celle, autrefois chère à Tocqueville, d’une « centralisation » triomphant grâce à la monarchie « absolue ». Outre le fait que le règne de Louis XVI peut difficilement être évoqué avec la notion de pouvoir absolu, tandis que l’existence de « l’absolutisme » est elle-même désormais remise en cause8, les recherches récentes ont abouti à nier l’idée d’une « centralisation » achevée dès avant 1789, grâce notamment à l’action des intendants. Ceux-ci étaient, par ailleurs, supposés être les héritiers directs des chevauchées des maîtres des requêtes, or on sait aujourd’hui qu’ils héritent en fait de différentes institutions9 et non de la seule utilisation des maîtres des requêtes pour des missions dans les provinces. De plus, ils étaient considérés par la plupart des historiens comme les « hommes du roi » dans les provinces10, tout puissants face à des pouvoirs locaux soumis à leur autorité. Depuis les ouvrages de François-Xavier Emmanuelli11, de multiples travaux sont venus corriger cette vision. La question principale n’est plus désormais de savoir si, à la veille de 1789, les intendants étaient des personnages plus ou moins « éclairés », mais de cerner leur rôle d’intermédiaires entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux, ce rôle de « broker12 » bien éloigné des schémas issus de Tocqueville, qu’ils occupent dès le xviie siècle pourtant traditionnellement considéré comme l’apogée de « l’absolutisme » et comme un moment clé de l’effort « centralisateur13 ». Si l’ouvrage récent de Colette Brossault sur la Franche-Comté apporte de nombreuses nuances au portrait traditionnellement brossé des intendants14, c’est avant tout du Nord qu’est venue une profonde remise en cause historiographique, avec les recherches de Marie-Laure Legay et René Grevet. Ce dernier a tout d’abord mis en lumière le rôle des subdélégués dans une « administration intermédiaire, en voie de fonctionnarisation », avec des hommes qui, loin d’être des inconnus venus de la capitale, étaient profondément insérés dans les réseaux de sociabilité locaux (ce que montre d’ailleurs aussi le travail de Colette Brossault)15. Quant à Marie-Laure Legay, sa contribution à la remise en cause de l’historiographie traditionnelle va beaucoup plus loin16. Non contente de décrire la vitalité des réseaux de pouvoirs locaux dans la France septentrionale, notamment des États provinciaux, elle analyse les conflits entre ces derniers et les intendants non comme une lutte destinée à promouvoir ou à refuser une autonomie provinciale, mais comme une lutte pour exercer les prérogatives accordées par le roi. Dans cette vision, l’intendant n’est plus un agent de la « centralisation », mais un concurrent dans l’exercice du pouvoir provincial :

  • 17 Ibidem, p. 517-518.

« L’on ne peut interpréter l’âpreté que mirent parfois les députés des États à combattre l’intendant comme une forme de résistance à la centralisation monarchique. Elle ne manifeste qu’une volonté d’écarter un concurrent à l’exercice des prérogatives provinciales […] la légitimité des États à administrer les peuples étant mieux établie que celle du commissaire départi, le pouvoir central pouvait plus facilement leur déléguer les missions ingrates propres à toute centralisation […] Pour promouvoir la chose publique, les députés avaient besoin des rênes du gouvernement provincial. Une fois celles-ci confisquées à l’intendant, ils ne travaillèrent pas différemment de lui17. »

  • 18 Cf. Marie-Laure Legay, « La fin du pouvoir provincial (4 août 1789-21 septembre 1791) », AHRF, 200 (...)

9Avec ces « deux agents du roi équivalents », c’est une tout autre vision de la « centralisation » qui nous est donnée et l’intendant est d’ailleurs souvent le premier à comprendre la situation, à saisir qu’il doit s’efforcer d’être en même temps l’homme venu de la capitale et l’homme de la province (et non l’un ou l’autre) s’il veut rester au centre des processus décisionnels à l’échelle de son territoire, sous peine de voir ses attributions peu à peu entamées par des pouvoirs rivaux. On pourra certes objecter que les provinces septentrionales ne sont pas tout le royaume, néanmoins l’étude de Marie-Laure Legay me semble attester que les rouages de la monarchie à la veille de 1789 fonctionnent donc bien en vertu d’un jeu complexe de réseaux de pouvoirs et de sociabilité, et que ceux-ci n’ont qu’un très lointain rapport avec la « centralisation » décrite autrefois par Tocqueville. Les pistes à suivre en la matière pour des recherches futures, tout au moins pour les historiens qui s’intéressent avant tout à la période révolutionnaire, devraient notamment consister à mieux appréhender le destin des intendants, des subdélégués et de leurs bureaux au cours de l’année 178918. Si des études locales existent, fort heureusement, nous manquons en effet toujours d’une synthèse qui nous renseigne, pour tout le territoire, d’une part, sur le destin personnel de ces hommes que le sort réservé à Bertier de Sauvigny a pour le moins dû effrayer, d’autre part, sur les modalités précises du transfert des pouvoirs, mais aussi des archives, des intendances aux nouvelles administrations départementales.

  • 19 Rappelons que Tocqueville, homme politique connu (il est élu député dès 1839) et en rupture avec l (...)
  • 20 Alphonse Aulard, Études et leçons sur la Révolution française, septième série (IV – La centralisat (...)

10La « décentralisation », que les Constituants sont réputés avoir mis en œuvre, a été, elle aussi, l’objet de relectures par un certain nombre d’historiens. Elle n’a d’ailleurs pas vraiment été admise sans discussion, comme le prouvent les nuances apportées très tôt par Alphonse Aulard. Il faisait en effet remarquer que Tocqueville, en bon libéral, avait formulé sa théorie sous le Second Empire, avant tout pour « discréditer le régime despotique issu du coup d’État du 2 décembre ». Mais, outre cette nécessité de ne pas oublier le citoyen Tocqueville, qui condamna le coup d’État de « Napoléon le petit », au profit de l’historien Tocqueville qui rédigeait L’ancien régime et la Révolution19, Aulard ajoutait que la « décentralisation » opérée à partir de 1789 s’était en fait accompagnée d’un désir « d’unité ». La Constituante aurait, selon lui, choisi cette solution pour combattre « […] l’arbitraire des intendants [et] l’arbitraire ministériel […] », afin de mieux « désarmer le roi par cet essai anarchique de décentralisation […] ». Dès lors, à ses yeux, la « décentralisation » relevait davantage d’une tactique politique qu’elle n’était le fruit d’une réflexion sur l’organisation administrative. Aussi, écrit-il, « le roi disparu, la Révolution reprit sa marche vers l’unité20 ».

  • 21 Marie-Vic Ozouf-Marignier, La représentation du territoire français à la fin du xviiie siècle d’ap (...)
  • 22 Roger Dupuy (dir.), Pouvoir local et Révolution. La frontière intérieure, actes du colloque de Ren (...)
  • 23 Jean-Jacques Clère, « Administrations locales », Albert Soboul, François Gendron et Jean-René Sura (...)

11À la veille du bicentenaire, le travail de Marie-Vic Ozouf-Marignier est venu préciser avec le plus grand soin les débats au sein de la Constituante lors de la création des départements, et surtout montrer comment il s’agissait somme toute davantage d’une déconcentration que d’une « décentralisation21 ». Certes, le caractère électif des nouveaux pouvoirs tend en principe à rapprocher administrateurs et administrés, d’autant que tout intermédiaire entre Paris et chaque administration de département a été rejeté, notamment avec la suppression des intendants, ce qui entraîne « l’écroulement brutal de [l’] étage intermédiaire du pouvoir provincial […] » (selon une formule de Roger Dupuy22). Plus exactement, c’est au procureur général syndic de remplir ce rôle d’intermédiaire, car il représente le pouvoir central au sein de l’administration départementale. Toutefois, le fait qu’il soit élu par les mêmes suffrages que les autres administrateurs départementaux ne peut que le transformer en très étrange agent du pouvoir central pour peu qu’il y ait discordance entre la capitale et le département. Tout cela tendrait à accréditer l’idée d’une réelle « décentralisation », mais par ailleurs nombreux sont ceux qui, dès 1789, a fortiori parmi les historiens, ont souligné que les capacités d’initiative des autorités de département étaient restreintes, que les administrateurs départementaux ne possédaient aucun droit de regard sur les lois et que, dès lors, ils étaient réduits à être des agents d’exécution d’une volonté venue de la capitale dans le cadre d’une organisation encore centralisée. De ce fait, dans le Dictionnaire historique de la Révolution française, paru au moment du bicentenaire, Jean-Jacques Clère n’hésite pas à conclure de manière abrupte : « La création des départements illustre la volonté centralisatrice des Constituants23. »

  • 24 Cf. Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolution (...)
  • 25 Jacques Moreau, Michel Verpeaux (dir.), op. cit.
  • 26 Rapport de synthèse de Francis-Paul Bénoit, ibidem.
  • 27 Michel Pertué, « Les représentants du pouvoir exécutif […] », art. cit., p. 46. Du même auteur, vo (...)
  • 28 Cette volonté a été également soulignée lors du colloque de Besançon, notamment par Gilles Darcy q (...)

12Peut-on ainsi parler d’une « décentralisation » de façade, derrière laquelle les Constituants auraient en fait divisé le territoire pour mieux imposer leur volonté ? Ce serait oublier l’unanimisme ambiant en 1789. Pour les Constituants, les intérêts particuliers, y compris les intérêts d’un département, ne pouvaient qu’être étroitement liés à l’intérêt national. Aussi est-il probable que ce débat, qui a agité les historiens entre « centralisation » et « décentralisation », leur était étranger, car ils pensaient en terme de fusion, non en termes d’opposition. Tout à leur désir de concorde nationale, les Constituants, pourtant vite confrontés aux vives querelles qui divisèrent l’Assemblée24, auraient ainsi créé un édifice administratif, puis adopté la Constitution de 1791, avec l’idée de convertir les opposants par la « seule force de la Raison ». Lors du colloque de Besançon, tenu en décembre 1989, sur le thème Révolution et décentralisatio25 (le choix de ce dernier mot n’est pas innocent), une autre hypothèse a été avancée : d’une part, l’unité du territoire et l’uniformisation des nouvelles subdivisions territoriales créées étaient profondément incompatibles avec l’idée même d’une « décentralisation », ainsi totalement absente si l’on se contente de prendre en compte la création des départements ; d’autre part, il y a eu une réelle « décentralisation communale26 », car les communes apparaissaient comme de simples groupements privés parfaitement étrangers au gouvernement de la Nation. Le département n’étant point considéré comme une personne morale et étant dénué de tout moyen d’intervention dans le pouvoir législatif, la commune étant tenue pour une association entre des citoyens, la « décentralisation » finit par être avant tout la manière de légitimer tout nouveau pouvoir, local ou national, par la voie électorale, afin de balayer les vestiges de l’Ancien Régime et la domination des ci-devant ordres dits « privilégiés ». Il ne s’agit donc plus de créer un État davantage « décentralisé », mais en fait de remettre la souveraineté entre les mains des citoyens, tout en conservant une hiérarchie administrative qui continue à fonctionner de manière pyramidale afin que la Loi puisse se diffuser avec facilité sur tout point du territoire national. Plus récemment, Michel Pertué est revenu sur ce thème et a souligné que la volonté des Constituants avait justement consisté avant tout à « faire glisser le pouvoir exécutif à la périphérie et à confier la réalité de l’autorité aux administrateurs et aux officiers municipaux27 ». Le but de la manœuvre était clair, il s’agissait d’affaiblir ce pouvoir exécutif qui suscitait une grande méfiance chez les députés28. Quant à cette déconcentration du pouvoir, les Constituants ne pouvaient la trouver dangereuse :

  • 29 Michel Pertué, « Les représentants du pouvoir exécutif […] », art. cit., p. 46. L’auteur a aussi c (...)

« La hiérarchie administrative constituait ainsi une sorte de cylindre fait de rondelles successives et superposées dont l’ajustement n’était bloqué par rien. Au mieux, pouvait-on parler d’un système d’emboîtement, mais sans aucune bride aux jointures. On espérait une communion générale de tous les acteurs dans l’exécution de la loi et une harmonie spontanée de leurs activités29. »

  • 30 Timothy Tackett, op. cit., p. 290.
  • 31 Cette enquête a été esquissée par un chercheur de l’Université de Rouen, mais elle a été hélas aba (...)

13Dans « des conditions normales, la Constitution achevée en septembre 1791 aurait [-t-elle] pu être viable », se demande Timothy Tackett30? La question vaut certes d’être posée, de la même manière que le rôle des procureurs généraux syndics mériterait à coup sûr une enquête nationale31, mais l’essentiel est sans doute ailleurs.

  • 32 Sur ces tensions et le rôle qu’y tiennent certaines grandes villes, cf. Benoît Gauthier, « Les rel (...)
  • 33 Solange Ségala, L’activité des autorités administratives départementales des Bouches-du-Rhône de 1 (...)
  • 34 Ibidem, p. 116
  • 35 Ibid., p. 181-206.
  • 36 De nombreux exemples de frictions, voire de conflits ouverts, entre communes rurales et administra (...)
  • 37 Un récent mémoire de maîtrise vient par exemple de montrer tout le poids des conflits de pouvoir l (...)
  • 38 Sur cette question, cf. notamment Henry Roussillon, « Les communes et le découpage communal », Jac (...)
  • 39 Sur ces municipalités cantonales, on se reportera notamment aux trois communications de Michel Per (...)
  • 40 Au sens le plus étroit du terme, on ne peut les considérer comme des « pouvoirs », ne serait-ce qu (...)
  • 41 Danièle Pingué, Les mouvements jacobins en Normandie orientale. Les sociétés politiques dans l’Eur (...)
  • 42 Ibidem, p. 117.
  • 43 Ibid., p. 118 sqq. (notamment p. 251-270).

14Traditionnellement, l’historiographie, dans sa volonté d’expliquer le passage de la période estimée « décentralisatrice » à celle de la « centralisation jacobine », a insisté surtout sur les heurts entre le pouvoir central et les autorités de département. Or, s’il est vrai que ceux-ci se multiplient à partir de 1792 et trouvent un point d’orgue dans l’été 1793 avec la crise dite « fédéraliste », il n’en reste pas moins qu’ils sont assez rares entre 1790 et le printemps 179232. Qui plus est, il semble évident que, en revanche, les tensions entre municipalités, autorités de district et autorités de département ont, elles, été fréquentes. De nombreux travaux locaux le prouvent. La thèse de Solange Ségala sur les autorités départementales des Bouches-du-Rhône33 montre ainsi combien les administrateurs ont mal toléré l’intervention de commissaires envoyés par le pouvoir exécutif pour enquêter dans ce département lors des crises qu’il a connues (ils considèrent « ce pouvoir comme un empiètement humiliant sur leurs prérogatives34 »), mais elle donne aussi de multiples témoignages des tensions entre le département et les communes, même si les autorités départementales se sont efforcées, selon elle, d’exercer une « administration paternelle35 ». Les importantes tensions entre municipalités rurales et autorités de district ou de département, dans le cadre des luttes paysannes36 aussi bien qu’à l’occasion des oppositions à certaines décisions révolutionnaires – notamment tout le conflit religieux dès 179137 – sont en tout cas, pour tous ceux qui veulent alors avant tout garantir le maintien de l’ordre nouveau issu de la Révolution, la preuve de l’urgence à repenser les rouages politiques et administratifs. Dès 1789, Thouret avait proposé la création de « grandes communes » qui incluraient plusieurs communes rurales, afin de prévenir les « désordres » en assurant mieux la domination des notables38. La création, sous le Directoire, de municipalités cantonales, devait faire resurgir cette question sur le devant de la scène, même si le contexte avait évidemment changé et même si leur existence fut éphémère39. En outre, les recherches les plus récentes menées sur les sociétés populaires confirment également le rôle grandissant que certaines d’entre elles commencent à jouer au niveau local, dès 1790, en face des autorités constituées. Ces sociétés populaires ne sont en aucun cas des organes de pouvoir légaux40, mais de facto elles finissent par empiéter sur les domaines réservés aux autorités constituées. Dans sa thèse sur la Seine-Inférieure et l’Eure, Danièle Pingué montre bien comment les sociétés populaires, dès avant l’été 1792, « ne se contentent pas de faire connaître et faire appliquer les lois […] », mais « interviennent dans les “affaires” de la commune41 ». Si les heurts sont encore rares, cela tient au fait que sociétés populaires et autorités constituées sont alors « proches par leur personnel […]42 », toutefois cette coexistence qui se met en place est potentiellement porteuse de conflits à venir et d’interventions des sociétés populaires sur les domaines en principe dévolus aux autorités, ce que ne manquent pas de prouver les années suivantes, lorsque les sociétés populaires se transforment çà et là en « groupes de pression », les lieux de pensée citoyenne devenant alors des lieux de pouvoir43. Ainsi, les inter-relations souvent conflictuelles entre pouvoirs locaux peuvent se doubler de tensions entre pouvoirs légaux et contre-pouvoirs potentiels, bien avant que la crise dite « fédéraliste » vienne, à suivre l’historiographie classique, inciter la Convention nationale à « revenir » à la « centralisation ». Pour mieux comprendre l’épisode « fédéraliste », mais aussi l’existence d’un « fédéralisme jacobin » et les relations nouées en 1793-1794 par les représentants du peuple en mission, il conviendrait de réaliser, ici aussi, une synthèse nationale de tous les dysfonctionnements et oppositions rencontrés par les autorités locales entre 1789 et 1792.

15S’agissant des années 1793-1794, longtemps considérées comme la période « glorieuse », quoique tragique, de la Révolution, force est là aussi de constater l’importance des recherches au cours des quelque quinze années qui ont suivi le bicentenaire. Traditionnellement, l’historiographie insistait sur l’épisode « fédéraliste » pour en faire, avec la situation militaire du printemps et de l’été 1793, l’une des explications majeures, du « retour » à la « centralisation ». Celle-ci, estimée être le fruit de la pensée « jacobine », aurait eu pour principal fondement théorique le décret du 14 frimaire an II sur l’organisation du gouvernement révolutionnaire, et pour principaux acteurs les représentants du peuple en mission. Ceux-ci auraient tout à la fois permis de vaincre les « rébellions » et de mettre fin à la situation « d’anarchie administrative » héritée de la Constituante.

  • 44 « Jamais Brissot […] n’a songé à une fédération […] On n’a rien dit de plus fort sur l’unité de la (...)
  • 45 Il fut suggéré lors de ce colloque d’utiliser le terme de « départementalisme » plutôt que de « fé (...)
  • 46 François Furet, Mona Ozouf (dir.), La Gironde et les Girondins, actes du colloque de Saint-Émilion (...)

16Les premières remises en cause de cette vision ont porté sur la question du « fédéralisme ». Si, sur ce point, Michelet avait été, très tôt, l’un des premiers à contester l’accusation portée contre la Gironde et à ne lui attribuer qu’un « fédéralisme involontaire44 », si le colloque organisé par Albert Soboul à Paris en 1975 avait déjà permis de nettement nuancer la vision classique du « fédéralisme girondin45 », force est de constater que la plupart des ouvrages consacrés à la période continuaient, dans les dernières décennies du xxe siècle, à utiliser le terme pour définir les positions girondines (tout au plus ajoutait-on des guillemets). Deux colloques sont venus, dans les années qui ont suivi le bicentenaire, anéantir définitivement cette notion de « fédéralisme girondin ». Le premier, symboliquement organisé dans le département de la Gironde, et avec le concours de son Conseil général, s’est inscrit dans ce que d’aucuns nommaient alors « la galaxie Furet », avec une rencontre dirigée par François Furet et Mona Ozouf, et dotée d’un titre qui indiquait sans ambiguïté les objectifs recherché : La Gironde et les Girondin46. Laurence Cornu, l’une des participantes, y titrait sa communication d’une manière volontairement radicale (« Fédéralistes ! Et pourquoi ? »), tandis que les deux maîtres d’œuvre du colloque résumaient ainsi l’ensemble des interventions :

  • 47 Ibidem, p. 18-19.

« L’hydre fédéraliste est devenue le mistigri du discours révolutionnaire : au printemps 1793, les Girondins n’arrivent pas à s’en débarrasser. Ils tombent victimes de cette puissance de la surenchère dont ils ont eux-mêmes beaucoup usé […] Les voici donc “fédéralistes”, puisqu’ils sont vaincus comme tels47. »

  • 48 Bernard Cousin (dir.), Les fédéralismes. Réalités et représentations, 1789-1874, actes du colloque (...)

17Toutefois, en dépit de l’intérêt majeur de certaines de ses communications, ce colloque ne devrait pas rester dans l’historiographie au même titre que celui de Marseille, tenu en 1993 sous le titre Les fédéralismes. Réalités et représentations, 1789-187448.

  • 49 Pour ces deux communications, Ibidem, p. 293-311.
  • 50 Selon la formule utilisée par Antonino de Francesco (ibid., p. 293), qui conclut par ailleurs sa c (...)
  • 51 Selon l’expression retenue par Alan Forrest (ibid., p. 303).
  • 52 La notion de « fédéralisme jacobin » a été discutée lors du 111e Congrès national des Sociétés sav (...)

18Celui-ci, par l’ampleur du terrain prospecté par de très nombreux chercheurs (quarante-deux communications, un cadre chronologique très étendu, un élargissement du sujet à d’autres pays européens), s’est imposé comme la référence majeure sur cette question, même si le but n’était pas de découvrir nécessairement de nouvelles certitudes à propos d’un sujet que Bernard Cousin a qualifié fort à propos « d’objet historique insaisissable ». Une fois de plus, la Gironde a évidemment été lavée de l’accusation de « fédéralisme », mais l’intérêt pour la présente communication me semble surtout venir de deux des interventions qui ont été regroupées dans un chapitre intitulé « Le fédéralisme en question ». D’une part, Antonino de Francesco insiste sur les essais de démocratie municipale au sein du mouvement « fédéraliste » et rappelle que les « rebelles » possédaient des racines idéologiques communes (dont la défense du droit à l’insurrection) avec les militants populaires parisiens, pourtant supposés être leur antithèse ; d’autre part, Alan Forrest montre comment ces mêmes « rebelles » s’identifiaient en général comme les véritables républicains, au terme d’une totale incompréhension dans les provinces soulevées de ce qui s’était déroulé à Paris (selon lui, « un fossé profond et psychologique se creusait entre elles et la capitale »)49. Le propos me paraît très important, dans la mesure où ce « fédéralisme », ici lu comme un essai de « démocratie municipale50 » ou un « républicanisme de province51 », renvoie justement aux dysfonctionnements des rouages administratifs issus de la Constitution de 1791, dont il convient de rappeler que, si elle était certes caduque depuis l’été 1792, elle n’en régissait pas moins la hiérarchie pyramidale créée pour les administrations entre la capitale, les départements, les districts et les communes. Cette aspiration à une participation plus directe à la démocratie rencontre bien sûr celle qui se manifeste alors, parallèlement, dans ce que les historiens ont nommé le « fédéralisme jacobin52 ».

  • 53 Sur la condamnation du « fédéralisme jacobin » par les Montagnards, voir notamment Jacques Guilhau (...)
  • 54 Michel Biard, Missionnaires de la République. Les représentants du peuple en mission (1793-1795),
  • 55 Au moins 426 représentants du peuple, soit environ un conventionnel sur deux (suppléants inclus), (...)
  • 56 Pour un exemple local étudié récemment, Anne Jollet, « Formes de présence et fonctions politiques (...)
  • 57 Sur les réseaux locaux des représentants du peuple en mission, outre l’étude désormais classique d (...)
  • 58 On trouvera des références bibliographiques très utiles sur les comités de surveillance dans l’art (...)

19C’est à ce dernier aussi bien qu’au « fédéralisme girondin » que se heurtent les représentants du peuple en mission dans l’été 179353, avant de devenir, à en croire l’historiographie, les agents les plus efficaces tout autant de la Terreur que de la « centralisation ». Toutefois, les résultats de mes travaux offrent un portrait collectif pour le moins différent de ceux que j’ai appelés les « missionnaires de la République54 ». Outre le fait qu’un représentant du peuple en mission sur deux ne puisse être rattaché à la Montagne55 et qu’ils n’ont jamais été réellement dotés des fameux « pouvoirs illimités » mentionnés dans presque tous les ouvrages consacrés à la période, ces représentants du peuple en mission ne peuvent être vus comme de simples agents envoyés par le pouvoir central dans les départements et auprès des armées. D’une part, le qualificatif « d’agent » du pouvoir ne peut leur être attribué, car ils sont le pouvoir, partie et tout d’une Convention nationale devenue, par le biais de la « centralité législative », l’organe essentiel du pouvoir central. D’autre part, ils ne peuvent être compris comme des sortes d’automates chargés de surveiller l’application des lois, sans le moindre état d’âme et surtout sans intervenir dans cette application. Leur rôle tient en fait tout à la fois de l’État comme appareil administratif et de l’État comme forme politique. Ils ne deviennent pas des administrateurs au cours de leurs missions, mais ils ne sont alors plus de simples législateurs strictement renfermés dans leurs travaux au sein de l’Assemblée. Par leur rôle de médiateurs de terrain, de personnages « entre-deux », ils occupent une place fondamentale dans l’exercice de cette démocratie nouvelle que cherche à mettre en place la Révolution depuis ses premiers temps et plus encore depuis 1793. Là où le fil conducteur des pouvoirs s’était rompu en 1793 en raison de la montée des oppositions et du dysfonctionnement des rouages administratifs créés par les Constituants, ils prennent place au cœur des échanges entre Paris et les départements56, tissant ou/et réactivant à leur tour des réseaux de sociabilité locaux, en vertu d’une méthode qui n’est pas sans rappeler les pratiques d’avant 1789 : s’appuyer sur des fidélités locales, qu’elles soient de nature politique, sociale, voire tout simplement personnelle57 ; ne pas appliquer aveuglément les décisions venues de la capitale ; ne pas hésiter à jouer un rôle d’arbitre, voire d’intercesseur ; enfin, composer là où imposer peut se révéler superflu, voire dangereux. Parmi ces fidélités locales recherchées, parfois créées, certaines institutions occupent un rôle de terrain considérable, notamment les comités de surveillance, aujourd’hui objets d’une enquête nationale58, mais aussi les agents nationaux, à propos desquels on attend hélas toujours un travail de synthèse. Tout le problème est que, à ce jeu, ils participent certes de l’invention d’une autre démocratie, mais d’une invention qui se fait au milieu de conflits inexpiables. Cela amène nombre d’entre eux à éliminer, souvent de manière impitoyable, les adversaires réels ou supposés d’une Révolution qui, prise dans un processus de radicalisation, ne cherche plus à convaincre, mais à vaincre. Nés en mars 1793 du choc des défaites militaires, ils ont dû se plier aux contraintes du moment, à cette grande priorité que constituait l’effort de guerre. C’est bien pourquoi cette institution est « révolutionnaire », au sens donné à l’adjectif en 1793, avec par conséquent un caractère éphémère et expérimental. Elle naît ainsi avant que le gouvernement lui-même soit proclamé « révolutionnaire jusqu’à la paix », et, preuve de son efficacité dans le processus de renforcement du contrôle de l’État sur l’espace national, elle survit jusqu’à la séparation de la Convention à l’automne 1795.

  • 59 Je pense notamment au célèbre portrait (supposé) de Milhaud, autrefois attribué à David.
  • 60 L’historien américain Jeff Horn mène une enquête sur ce thème.
  • 61 Certaines ont lieu cependant dès l’an II, et même parfois dès avant thermidor, toutefois la grande (...)

20Cette efficacité est d’abord et avant tout militaire avec pourtant, au moment de leur apparition en tant qu’institution, une situation militaire gravement compromise au printemps et à l’été 1793. Non pas tant qu’il faille nécessairement s’imaginer les représentants du peuple en mission avec la vision martiale que nous ont léguée certains tableaux et gravures59, même si plusieurs d’entre eux paient de leur personne sur le front et si certains sont décisifs dans la réorganisation des armées (tels Saint-Just et Le Bas, ou Milhaud et Soubrany), mais ils jouent surtout un rôle majeur pour mobiliser le pays dans un vaste effort de guerre et favoriser le redressement militaire, en particulier dans les zones les plus menacées. Ce rôle dans l’effort de guerre national reste encore à préciser et est actuellement l’objet de recherches60, mais il est évident qu’il est considérable et sans doute beaucoup plus fondamental que leur rôle dans la Terreur. Cependant, celle-ci n’épargnant vite aucun domaine, les représentants du peuple en mission ont aussi été amenés à connaître de tout, à prendre des décisions d’une infinie variété et à se transformer en hommes-orchestres de la Révolution, jouant ainsi un rôle essentiel dans l’approvisionnement des populations urbaines, dans la diffusion des idéaux, symboles et pratiques politiques révolutionnaires, aussi bien que dans les ruptures culturelles majeures du temps. Dès lors, ils ont aussi eu une responsabilité considérable dans les aspects violents de la Terreur et certains d’entre eux ont couvert de leur autorité des répressions de masse, mais ce n’est là, pour oser l’expression, que la partie émergée de l’iceberg. Ce sont les dénonciations de l’an III61, puis les diatribes de l’historiographie qui ont dressé un portrait collectif de représentants du peuple en mission décrits avant tout comme de sanguinaires « proconsuls ». Même si l’histoire ne peut avoir recours à la fiction d’un événement qui pourrait être recomposé à volonté, pour peu qu’on les imagine dégagés des multiples aspects répressifs liés à l’état de guerre, délivrés de la nécessité d’exercer la contrainte, les représentants en mission, qui se rendent auprès des citoyens, montrent physiquement le pouvoir dans les assemblées locales, fraternisent avec les humbles, écoutent et expliquent… ne sont-ils pas de réels intermédiaires qui assurent un lien politique entre pouvoir central et pouvoirs locaux, entre gouvernants et gouvernés ? Un mémoire rédigé par la société populaire de Douai, daté de prairial an III, peut à cet égard être considéré comme exemplaire, car il suggère en effet que soit supprimé le recours aux représentants du peuple en mission « autoritaires », mais que l’on puisse continuer à justement les utiliser dans leur rôle d’intermédiaire :

  • 62 Cité par Patrick Schultz, La décentralisation administrative dans le nord de la France, 1790-1793, (...)

« Dans ce département [le Nord], il n’en faut plus, ou il n’en faut que pour des cas précisément déterminés ; les arrêtés qu’ils pourraient y prendre devraient être le résultat des méditations, des discussions des corps administratifs ; qu’ils provoquent ces arrêtés… mais non en maîtres […]62. »

  • 63 De nombreux travaux de maîtrise réalisés à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, restés inédits, (...)

21Mais, pourra-t-on encore objecter, si l’on veut bien admettre qu’ils n’ont pas eu uniquement un rôle répressif, n’ont-ils pas été par ailleurs les acteurs d’un recul des libertés politiques issues de 1789 par leur rôle clef dans les épurations politiques ? S’il ne s’agit pas de remettre en cause la réalité des épurations, force est néanmoins de constater, d’une part, que nous ne possédons encore aucune synthèse nationale qui permette d’en mesurer l’ampleur et surtout la réalité concrète63, d’autre part, que si les épurations de 1793-1794 ont violé les légitimités électorales et si les autorités départementales ont été démunies en frimaire an II d’un grand nombre de leurs pouvoirs, jamais la Convention nationale n’a remis en cause le principe fondamental, issu de 1789, d’une administration locale citoyenne et collégiale. En revanche, la Terreur achevée et la Convention séparée après l’adoption de la Constitution de l’an III, c’est cette même administration locale qui a vu ses liens avec le pouvoir central bouleversés.

22La Convention nationale avait fait le double choix d’une démocratie fondée sur la souveraineté populaire – le peuple fût-il peu à peu réduit à un peuple idéal, en partie coupé d’un peuple réel qui comprenait trop de suspects à exclure et plus encore trop d’individus hésitant à s’engager politiquement – et d’un pouvoir législatif dominant nettement le pouvoir exécutif. C’est ici que les représentants du peuple en mission incarnaient une invention totalement originale, puisque l’intermédiaire majeur dans la Cité était ainsi un législateur. Dès 1795, ce sont de tout autres choix qui sont faits et contribuent à vider d’une partie de son sens originel l’administration locale collégiale et citoyenne, d’une part, en confiant le pouvoir local aux élites sociales, d’autre part, avec un contrôle politique venu désormais du sommet du pouvoir central et surtout exercé par l’Exécutif.

  • 64 Discours de Chaptal devant le Corps législatif, 28 pluviôse an VIII – 17 février 1800 (Moniteur, n (...)
  • 65 Sur les commissaires centraux du Directoire, cf. Bernard Gainot, « Propositions pour une enquête p (...)
  • 66 L’agent national, créé en frimaire an II, était déjà lui aussi soumis au pouvoir central, mais, en (...)
  • 67 Bernard Gainot écrit ainsi : « La durée du mandat autorise certains d’entre eux à devenir les véri (...)
  • 68 Ibidem, p. 99.
  • 69 Ibid.

23À partir de 1795, les hommes chargés d’assurer le maintien du fil conducteur des pouvoirs entre Paris et les départements sont en effet au service du pouvoir exécutif, comme l’exprime Chaptal, en 1800, avec une métaphore au succès par avance assuré : « La chaîne d’exécution descend sans interruption du ministre à l’administré et transmet la loi et les ordres du gouvernement jusqu’aux dernières ramifications de l’ordre social avec la rapidité du fluide électrique64. » Sous le Directoire, quand l’heure est encore à une réelle expérience politique républicaine, le commissaire central65 occupe dans chaque département la place qui était autrefois celle du procureur général syndic. Il est nommé par le Directoire exécutif dont il dépend entièrement, car il est révocable à volonté66. Certes, il s’agit là d’hommes bien insérés dans le milieu local, car ils doivent obligatoirement être domiciliés depuis au moins un an dans le département où ils sont nommés, mais les citoyens n’ont aucun contrôle direct sur cette nomination. Qui plus est, le choix d’un commissaire résulte souvent de l’avis donné à Paris par la députation du département concerné. Ce ne sont donc plus les électeurs qui opinent, comme autrefois pour le procureur général syndic, mais ceux qu’ils ont envoyés siéger à Paris dans les deux Conseils. Sans doute n’est-ce point un hasard si les commissaires qui parviennent à rester le plus longtemps en place sont ceux qui sont liés aux députés et à de solides réseaux relationnels67. Les administrateurs élus se retrouvent donc flanqués d’un commissaire nommé, toutefois la conjugaison du jeu politique local et des luttes politiques nationales amène souvent ces administrateurs à tenter d’obtenir que le commissaire central soit à même d’appuyer leur tendance politique. Selon Bernard Gainot68, il n’est d’ailleurs pas rare que deux « groupes antagonistes » s’affrontent autour d’une « forte personnalité », deux commissaires successifs dominant alors la vie politique locale. Dans ces conditions, les commissaires centraux se retrouvent dans la position qui a été celle de nombreux représentants du peuple en mission, quelques années auparavant, celle d’hommes qui tout à la fois peuvent être utilisés par les groupes locaux rivaux et qui peuvent aussi mettre à profit ces rivalités pour agir. La dernière piste intéressante évoquée par les recherches en cours de Bernard Gainot est celle qui montre toute l’importance de l’an VII, avec l’épuration de nombreuses personnalités de premier plan parmi les commissaires et « la déstabilisation complète des administrations départementales69 ». Pour que le retour à la « centralisation » soit encore plus marqué, il ne restait plus qu’à séparer du département cet intermédiaire majeur entre Paris et chaque département. C’est chose faite avec la création des préfets en 1800. Les autorités départementales sont désormais dépossédées de tout rôle important, les autorités municipales sont à nouveau renfermées dans la sphère étroite de leurs intérêts particuliers et, aux différents échelons administratifs, un seul homme de pouvoir subsiste. Agent choisi directement par le Premier Consul, donc par le principal détenteur de l’Exécutif, le préfet fait face à des administrations collégiales qui doivent se borner à lui apporter aide et conseil, ne siègent plus en permanence et sont incapables de contester ses décisions.

  • 70 Discours de Ganilh au Tribunat, 25 pluviôse an VIII – 14 février 1800 (cité dans le Journal de Par (...)
  • 71 Parmi les nombreux colloques qui se sont tenus au cours de l’année 2000, on peut notamment retenir (...)
  • 72 Michel Pertué, « Les représentants du pouvoir exécutif […] », art. cit., p. 55.
  • 73 Ces élites sociales et politiques finissent ainsi par devenir le lien essentiel entre la capitale (...)
  • 74 Alexis De Tocqueville, L’ancien régime et la Révolution, Paris, Lévy, 1856, p. 89-91.
  • 75 Alain Duran, « Noblesse et Notabilités à Orléans au tournant des Lumières (vers 1780-vers 1820) », (...)

24Le député Ganilh avait suggéré, au moment de la création des préfets : « Le préfet sans surveillant fera revivre le despotisme du régime intendantiel70. » Cette affirmation, que n’aurait pas reniée Tocqueville, est évidemment contestable – en raison de la simplification sur laquelle elle repose – et est aujourd’hui contestée par les travaux qui ont eu lieu pour le bicentenaire de l’institution préfectorale71. Elle l’est d’autant plus qu’on ne saurait admettre la thèse d’une « centralisation à la française » qui se serait développée en vertu d’une sorte de mouvement linéaire, tout au plus interrompu brièvement par quelques accès de fièvre « décentralisatrice ». Comme l’écrit Michel Pertué, dès avant la Révolution aussi bien que pendant les années 1789-1815, « la décentralisation a accompagné la centralisation comme l’ombre le corps72 », et la création des préfets résulte tout autant du poids des fameuses « circonstances » que de l’aboutissement d’une pensée politique. Toutefois, il n’en reste pas moins que c’est la démocratie mise en place à partir de 1789, y compris sous ses formes particulières de 1793-1794, qui est sévèrement atteinte par la loi du 28 pluviôse an VIII, tandis que se consolide, sinon une « classe » politique, à tout le moins une élite politique de notables73. À cet égard, une thèse récente, consacrée aux nobles et notables orléanais, vient encore de confirmer que, à défaut d’un lien direct évident entre intendants et préfets « à travers le gouffre de la Révolution qui les sépare » (comme l’écrivait Tocqueville74), les élites sociales ont su conserver et même consolider leur domination75. Restaient à Balzac sa plume et aux « démocrates » leurs utopies.

Notes

1 Le mot est tellement utilisé à tort et à travers que Pierre Rosanvallon propose de lui substituer l’expression « culture politique de la généralité », les « Jacobins » ayant opposé, selon lui, l’« esprit de généralité » à l’« esprit particulier », tandis que « le » législateur se transformait en « généralisateur-instituteur » ! Si sa démonstration peut, et doit, être lue avec intérêt, il me semble que le langage utilisé dissimule mal l’absence de réelle étude nouvelle du rapport entre « mouvement jacobin » et Révolution. C’est d’autant plus dommageable que les études récentes sur la question sont totalement passées sous silence (par exemple les thèses de Christine Peyrard et de Danièle Pingué, pourtant publiées depuis plusieurs années déjà). Vouloir saisir l’influence de la Révolution française sur le long terme est une chose, apporter des sources et des connaissances nouvelles en est décidément une autre (Pierre Rosanvallon, Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 2004).

2 Pierre Deyon, dans un ouvrage publié aux lendemains du bicentenaire, plaide encore, à l’exemple de Tocqueville, la thèse d’une « centralisation jacobine » insérée dans un mouvement de longue durée. Il écrit notamment que « dans les provinces, le représentant direct de l’administration centrale et donc de la volonté monarchique, l’intendant, annonçait, préfigurait le préfet » (Pierre Deyon, Paris et ses provinces. Le défi de la décentralisation, 1770-1992, Paris, Armand Colin, 1992, p. 12). Chez Jean Tulard, dans un ouvrage qui rassemble les textes de ses conférences à l’École Pratique des Hautes Études, il suffit de parcourir quelques lignes pour constater la pérennité des idées reçues : « Richelieu avait voulu soumettre la province en créant les intendants, commissaires aux ordres du roi […] Soulignons aussi l’importance de la décentralisation des pouvoirs dans les départements, tout en restant aux ordres de l’autorité jacobine de Paris [notons que cette notion d’« autorité jacobine de Paris » est ici appliquée… aux années 1789-1790 !]. En découpant la France en départements, on a voulu briser l’esprit de la province […] » ; et, plus loin, à propos cette fois de la Convention nationale, puis du Directoire, l’auteur poursuit : « Ce que veulent les Girondins, c’est créer une société fédéraliste […] La Convention décide alors de faire appliquer la centralisation “jacobine” par la Terreur. Des représentants en mission sont envoyés dans les départements pour y imposer la loi par la Terreur […] Pourtant, la chute de Robespierre ne va pas mettre fin à la Terreur, ni au mouvement de centralisation. La réalité du pouvoir ne sera pas entre les mains des cinq directeurs, mais entre celles des commissaires du Directoire, nommés en grand nombre, qui renforcent le pouvoir de centralisation. Tout part de Paris ! Tout revient à Paris !» (Jean Tulard, La province au temps de Napoléon, Paris, SPM, 2003, p. 14-17).

3 Cf. les analyses présentées par Claude Mazauric dans Il rapporto Centro-periferia negli stati preunitari e nell’Italia unificata, actes du congrès de L’Aquila-Teramo (octobre 1998), Rome, Instituto per la storia del Risorgimento italiano, 2000, p. 277-285. Sur les notions de « centre » et de « périphérie », ainsi que sur la plupart des questions soulevées dans la présente communication, il convient de se reporter au très important colloque d’Orléans : Michel Pertué (dir.), L’administration territoriale de la France (1750-1940), actes du colloque d’Orléans (1993), Orléans, Presses Universitaires d’Orléans, 1998.

4 Dans un manuel consacré à la période révolutionnaire, Michel Vovelle écrit ainsi : « La Révolution devait repenser la France et la reconstruire sur de nouvelles bases. Elle ne s’est pas dérobée devant cette tâche à laquelle on s’attaqua dès 1789. Les solutions adoptées ont évolué au fil des années : il est classique, et somme toute légitime [souligné par moi], d’opposer une démarche caractéristique de la période constituante, privilégiant le principe électif et une certaine forme de décentralisation, à l’évolution ultérieure qui conduit en l’an II à une centralisation “jacobine” que le Directoire ne corrigera pas vraiment et dont la centralisation consulaire puis impériale sera le point d’aboutissement » (Michel Vovelle, La Révolution française 1789-1799, Paris, Armand Colin, collection Cursus, 1992, p. 67).

5 Cf. Jacques Moreau, Michel Verpeaux (dir.), Révolution et décentralisation. Le système administratif français et les principes révolutionnaires de 1789, actes du colloque de Besançon (1989), Paris, Economica, 1992, p. 187. On pourra également se reporter à un travail publié chez le même éditeur un an plus tard : Eduardo Garcia da Enterria, Révolution française et administration contemporaine, Paris, Economica, 1993 (1re éd. en langue espagnole 1972). Voici, à titre d’exemple, les définitions proposées par la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie (1932-1935) : « Centralisation. Il se dit particulièrement de l’action de rattacher à un gouvernement central toutes les forces de l’État. La centralisation administrative. La centralisation politique » ; « Décentralisation. Action de faire cesser la centralisation, ou état de choses contraire à la centralisation. Décentralisation administrative

6 Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Jules Rouff et Cie, éd. non datée (1902 ?) (1re éd. 1847-1852), tome I, p. 254-255.

7 Albert Soboul, Précis d’histoire de la Révolution française, Paris, Éditions sociales, éd. de 1975, p. 161 (le premier manuel publié par Soboul date de 1948).

8 Cf. la récente et très pratique synthèse de Fanny Cosandrey et Robert Descimon, L’absolutisme en France. Histoire et historiographie, Paris, Éd. du Seuil, collection Points-Histoire, 2002.

9 Au-delà des chevauchées des maîtres des requêtes, ils héritent notamment des intendants de justice, qui apparaissent sous le règne d’Henri II, des intendants d’armée, créés sous celui d’Henri IV, mais aussi des multiples commissaires envoyés par son ministre Sully sous des titres différents (« commissaires apurateurs de comptes », « commissaires régulateurs de tailles »). L’un des tournants décisifs est sans doute le temps des troubles qui suivent l’assassinat d’Henri IV. En effet, les intendants d’armée, sous le règne de ce dernier, étaient chargés de faire progresser la pacification du royaume et, de ce fait, avaient peu à peu disparu à la fin du règne, dès lors que l’ordre était revenu. Or, avec les troubles de la régence après 1610, le pouvoir central a de nouveau recours à des intendants d’armée, mais avec cette fois une nouveauté essentielle : certains restent dans les provinces après que les troupes en soient parties, une fois la pacification opérée. Ainsi, commence timidement à apparaître un personnage nouveau, un intendant qui, peu à peu, va prendre une place durable dans les institutions, avec notamment, quelques années plus tard, les efforts de Séguier (davantage que Richelieu) pour en faire d’utiles instruments de la « crue fiscale ». Les représentants aux États généraux de 1614 ne s’y trompent point et inaugurent une contestation des commissaires du roi qui allait avoir une longue fortune : « Que tous nos officiers, tant de judicature que de finances, soient conservés dans leur autorité ou leurs charges sans y être troublés par commissions, commissaires ou autres [souligné par moi].» Une trentaine d’années plus tard, les intendants étant de plus en plus systématiquement pérennisés et sédentarisés, la contestation avait enflé et, on le sait, elle déboucha sur la suppression, éphémère, des intendants imposée à la régente et à Mazarin par la Fronde.

10 Alors qu’ils sont en réalité avant tout les « hommes du Conseil », dont ils sont une émanation en province, les véritables « hommes du roi » étant les gouverneurs, ce que montrent notamment leurs places respectives dans la hiérarchie d’Ancien Régime.

11 Notamment son livre, Un mythe de l’absolutisme bourbonien : l’intendance du milieu du xviie à la fin du xviiie siècle, Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, 1981.

12 Sharon Kettering, Patrons, Brokers and Clients in Seventeenth-Century France, New York/Oxford, Oxford University Press, 1986. Le mot « broker » peut être traduit par « courtier », mais dans le cas présent, le terme d’« intermédiaire » est le plus utile, dans son sens premier : « celui qui est entre-deux ».

13 Cf. notamment Jean-François Dubost, « Absolutisme et centralisation en Languedoc au xviie siècle (1620-1690) », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, juillet-septembre 1990, p. 369-397. On se reportera aussi à l’excellente mise au point de Michel Pertué – qui évoque ces débats à propos des intendants –, « Les représentants du pouvoir exécutif dans les départements sous la Révolution française », Jean-Pierre Allinne, Renaud Carrier (dir.), Préfet et développement local, actes du colloque de Pau (2000), Paris, Dalloz, 2002, p. 43-56

14 Colette Brossault, Les intendants de Franche-Comté, 1674-1790, Paris, La Boutique de l’Histoire éditions, 1999.

15 René Grevet, « Être subdélégué d’intendant dans les provinces septentrionales à la fin du xviiie siècle », Le Bulletin de la SHMC, 1998, n° 3 et 4, p. 14-24. Du même auteur, voir aussi : « D’actifs relais administratifs du pouvoir exécutif. Les 32 bureaux d’intendance à la fin du xviiie siècle », AHRF, 2003, n° 2, p. 7-24.

16 Marie-Laure Legay, Les États provinciaux dans la construction de l’État moderne aux xviie et xviiie siècles, Genève, Droz, 2001.

17 Ibidem, p. 517-518.

18 Cf. Marie-Laure Legay, « La fin du pouvoir provincial (4 août 1789-21 septembre 1791) », AHRF, 2003, n° 2, p. 25-53. Si l’on persiste à estimer que la « centralisation » était achevée en 1789 et que l’Assemblée constituante a, en réaction (au sens originel du mot), ouvert un processus de « décentralisation », on notera le titre volontiers provocateur de cette communication !

19 Rappelons que Tocqueville, homme politique connu (il est élu député dès 1839) et en rupture avec le nouveau pouvoir né du coup d’État du 2 décembre 1851, commence à travailler à cet ouvrage en 1852 et qu’il est publié en 1856. Sur cet auteur, voir notamment Françoise Mélonio, Tocqueville et les Français, Paris, Aubier, 1993.

20 Alphonse Aulard, Études et leçons sur la Révolution française, septième série (IV – La centralisation napoléonienne. Les préfets), Paris, Alcan, 1913, p. 113 et 115.

21 Marie-Vic Ozouf-Marignier, La représentation du territoire français à la fin du xviiie siècle d’après les travaux sur la formation des départements, Paris, EHESS, 1988. Pour une autre approche de la création des départements et des réactions aux projets de découpage du territoire, à travers cette fois l’étude du réseau urbain français, on se reportera au travail de Ted W. Margadant, Urban Rivalries in the French Revolution, Princeton, Princeton University Press, 1992. La déconcentration se traduit par une simple délégation de pouvoir à une autorité inférieure, afin qu’elle procède à l’application des décisions venues du sommet de la pyramide administrative, sans avoir le moindre pouvoir sur celles-ci.

22 Roger Dupuy (dir.), Pouvoir local et Révolution. La frontière intérieure, actes du colloque de Rennes (1993), Rennes, Pur, 1995, p. 574.

23 Jean-Jacques Clère, « Administrations locales », Albert Soboul, François Gendron et Jean-René Suratteau (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, p. 7.

24 Cf. Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, 1997 (éd. en langue anglaise, 1996).

25 Jacques Moreau, Michel Verpeaux (dir.), op. cit.

26 Rapport de synthèse de Francis-Paul Bénoit, ibidem.

27 Michel Pertué, « Les représentants du pouvoir exécutif […] », art. cit., p. 46. Du même auteur, voir aussi « La réforme administrative de la Constituante. Portée et limites », Pour la Révolution française, recueil d’études en hommage à Claude Mazauric, textes réunis par Christine Le Bozec et Éric Wauters, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 1998, p. 301-306.

28 Cette volonté a été également soulignée lors du colloque de Besançon, notamment par Gilles Darcy qui, rappelant les travaux de Serge Velley (Les origines du principe de légalité en droit public français, thèse, Université Paris X-Nanterre, 1988), soulignait : « En réalité le débat “Centralisation Décentralisation” sous la Constituante, c’est un faux débat […] il y a une véritable décentralisation, pourquoi ? Parce qu’on est obligé, faute de pouvoir d’exécution de la loi confié au Roi, puisqu’on y est hostile, de le donner à toutes les entités territoriales. [La] décentralisation, c’est tout simplement le pouvoir d’exécution. Il faut bien exécuter les lois ; le Roi n’a pas le droit d’exécuter la loi ; alors qui l’exécutera ? Ce seront les départements, les districts, les communes » (Jacques Moreau, Michel Verpeaux [dir.], op. cit., p. 91).

29 Michel Pertué, « Les représentants du pouvoir exécutif […] », art. cit., p. 46. L’auteur a aussi cette belle formule : « La Constituante avait mis les citoyens dans l’État et l’État en province pour défendre le nouveau régime […] » (ibidem, p. 50).

30 Timothy Tackett, op. cit., p. 290.

31 Cette enquête a été esquissée par un chercheur de l’Université de Rouen, mais elle a été hélas abandonnée à l’issue d’un simple DEA.

32 Sur ces tensions et le rôle qu’y tiennent certaines grandes villes, cf. Benoît Gauthier, « Les relations entre le pouvoir central et les administrations locales sous la monarchie constitutionnelle (1789-1792) », Michel Pertué (dir.), L’administration territoriale…, op. cit., p. 291-304.

33 Solange Ségala, L’activité des autorités administratives départementales des Bouches-du-Rhône de 1790 à 1792, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1997. Cf. également la communication du même auteur lors du colloque d’Orléans cité dans la note ci-dessus (p. 145-153).

34 Ibidem, p. 116

35 Ibid., p. 181-206.

36 De nombreux exemples de frictions, voire de conflits ouverts, entre communes rurales et administrations supérieures sont donnés dans Anatoli ADO, Paysans en Révolution. Terre, pouvoir et jacquerie. 1789-1794, Paris, Société des études robespierristes, 1996 (éd. en langue russe, 1971).

37 Un récent mémoire de maîtrise vient par exemple de montrer tout le poids des conflits de pouvoir liés à la question religieuse entre communes, districts et départements, à propos des trois camps de Jalès successifs (François de Jouvenel, « Les pouvoirs révolutionnaires face aux camps de Jalès (1790-1792) », mémoire de maîtrise, sous la dir. de Jean-Clément Martin, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2003).

38 Sur cette question, cf. notamment Henry Roussillon, « Les communes et le découpage communal », Jacques Moreau, Michel Verpeaux (dir.), op. cit., p. 177-186.

39 Sur ces municipalités cantonales, on se reportera notamment aux trois communications de Michel Pertué, Serge Bianchi, Jacques Bernet, dans Jacques Bernet, Jean-Pierre Jessenne, Hervé Leuwers (éd.), Du Directoire au Consulat. 1. Le lien politique local dans la Grande Nation, actes de la journée d’études de Valenciennes (1998), Villeneuve-D’Ascq, CRHENO, 1999, p. 153-198.

40 Au sens le plus étroit du terme, on ne peut les considérer comme des « pouvoirs », ne serait-ce qu’en vertu de la loi votée en septembre 1791, à l’initiative de Le Chapelier, pour leur retirer le droit de faire signer des adresses rédigées en nom collectif. En effet, ce texte soulignait : « Il n’y a de pouvoirs que ceux constitués par la volonté du peuple exprimée par les représentants, il n’y a d’autorités que celles déléguées par lui ; il ne peut y avoir d’action que celle de ses mandataires revêtus de fonctions publiques » (séance de l’Assemblée constituante du 29 septembre 1791, Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, fondé par M.-J. Mavidal, M.-E. Laurent, Paris, Dupont (puis CNRS éd.), 1879-2000, tome XXXI, p. 617).

41 Danièle Pingué, Les mouvements jacobins en Normandie orientale. Les sociétés politiques dans l’Eure et la Seine-Inférieure, 1790-1795, Paris, CTHS, 2001, p. 115.

42 Ibidem, p. 117.

43 Ibid., p. 118 sqq. (notamment p. 251-270).

44 « Jamais Brissot […] n’a songé à une fédération […] On n’a rien dit de plus fort sur l’unité de la patrie, sur l’indivisibilité de la République, que ce qu’ont dit mille fois les orateurs de la Gironde. Ils ont mieux fait, du reste, que de professer l’unité, ils sont morts pour elle […] Les Girondins étaient innocents ; ils voulurent jusqu’à la mort l’unité, et ils s’y sacrifièrent. Maintenant, les violentes accusations de la Montagne étaient donc pure calomnie ? On sera, sans doute, étonné de notre réponse. Non, la Montagne ne calomniait pas la Gironde. Les Girondins, unitaires de cœur, étaient entraînés, par une fatalité de situation, dans un fédéralisme involontaire » (Jules Michelet, op. cit., tome II, p. 1178-1180).

45 Il fut suggéré lors de ce colloque d’utiliser le terme de « départementalisme » plutôt que de « fédéralisme », mais le moins que l’on puisse dire, près de trente ans plus tard, est que cette substitution ne s’est pas imposée dans l’historiographie (Albert Soboul [dir.], Girondins et Montagnards, actes du colloque de Paris-Sorbonne [1975], Paris, Société des études robespierristes, 1980).

46 François Furet, Mona Ozouf (dir.), La Gironde et les Girondins, actes du colloque de Saint-Émilion, Paris, Payot, 1991. La liste des participants, à quelques exceptions près, montre bien que la rencontre s’inscrivait dans le cadre de la mouvance historiographique souvent appelée « révisionniste » ou « critique », les deux termes étant d’ailleurs tout aussi contestables l’un que l’autre.

47 Ibidem, p. 18-19.

48 Bernard Cousin (dir.), Les fédéralismes. Réalités et représentations, 1789-1874, actes du colloque de Marseille (1993), Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1995.

49 Pour ces deux communications, Ibidem, p. 293-311.

50 Selon la formule utilisée par Antonino de Francesco (ibid., p. 293), qui conclut par ailleurs sa communication en évoquant, fort joliment, un « échec de la démocratie municipale qui naît fédérative et républicaine, et qui meurt fédéraliste et contre-révolutionnaire » (ibid., p. 300).

51 Selon l’expression retenue par Alan Forrest (ibid., p. 303).

52 La notion de « fédéralisme jacobin » a été discutée lors du 111e Congrès national des Sociétés savantes (Poitiers 1986), sous le titre Existe-t-il un fédéralisme jacobin ? Études sur la Révolution, Paris, CTHS, 1986.

53 Sur la condamnation du « fédéralisme jacobin » par les Montagnards, voir notamment Jacques Guilhaumou, « Les fédéralismes marseillais en 1793», dans Marseille en Révolution, Marseille, Rivages, 1989, p. 105-113 ; du même auteur, « Le fédéralisme marseillais : une identité politico-discursive (1793) », Bruno Benoît (dir.), Ville et Révolution française, actes du colloque de Lyon 1993, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1994, p. 49-59 ; enfin, toujours du même auteur, Marseille républicaine, 1791-1793, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1992. Sur l’ensemble de la question des « fédéralismes » face au « centralisme montagnard », voir aussi Marcel Dorigny, « Fédéralisme girondin et centralisme montagnard : la mort d’une double légende », Michel Pertué (dir.), L’administration territoriale […], op. cit., p. 305-314.

54 Michel Biard, Missionnaires de la République. Les représentants du peuple en mission (1793-1795),

Paris, CTHS, 2002.

55 Au moins 426 représentants du peuple, soit environ un conventionnel sur deux (suppléants inclus), ont été, à un moment ou un autre, envoyés en mission (pour un total d’environ 900 missions, de mars 1793 à octobre 1795). Contrairement à la thèse omniprésente dans l’historiographie, la Montagne n’a pas monopolisé les missions, à l’exception de certaines d’entre elles. Parmi les représentants du peuple en mission, on trouve 49 % de Montagnards, 37,5 % de représentants siégeant à la Plaine, 8,5 % de Girondins (enfin, 5 % ne sont pas susceptibles d’être rangés dans l’un ou l’autre de ces « groupes »). Même si la Montagne domine davantage les missions avant thermidor an II et que la Plaine fait de même en l’an III, on ne peut pourtant considérer la rupture de thermidor comme un tournant radical en la matière, dans la mesure où la moitié des représentants en mission de la Plaine ont connu une (ou des) mission(s) dès avant thermidor.

56 Pour un exemple local étudié récemment, Anne Jollet, « Formes de présence et fonctions politiques des représentants en mission dans un microcosme urbain, l’exemple d’Amboise (Indre-et-Loire) », Annales historiques de la Révolution française, 2002, n° 4, p. 87-100.

57 Sur les réseaux locaux des représentants du peuple en mission, outre l’étude désormais classique de Colin Lucas (La structure de la Terreur. L’exemple de Javogues et du département de la Loire, Saint-Étienne, CIEREC, 1990, [éd. anglaise 1973]) ; Philippe Bourdin, « Entre Rhône et Allier, les délégués des représentants en mission : dévolution et interprétation des pouvoirs », dans La Révolution française. Idéaux, singularités, influences, actes des journées d’études de Vizille (2001), textes réunis par Robert Chagny, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2002, p. 329-344.

58 On trouvera des références bibliographiques très utiles sur les comités de surveillance dans l’article de Martine Lapied, « Le rôle des comités de surveillance dans la circulation de l’information, à partir de l’étude des comités du Sud-Est », AHRF, 2002, n° 4, p. 29-39 (voir notamment la note 1, p. 30). Il va de soi que les sociétés populaires, au nombre considérablement accru et de fait transformées en l’an II en rouages de pouvoir, deviennent aussi des interlocuteurs privilégiés des représentants du peuple en mission. Comme le note Danièle Pingué, elles en viennent à former désormais « le véritable corps électoral et l’organisme dirigeant des communes » (op. cit., p. 269). Danièle Pingué souligne cependant, me semble-t-il avec raison, qu’ici encore rien n’est simple et que les sociétés populaires ne deviennent pas de simples instruments de pouvoir soumis au gouvernement révolutionnaire et aux représentants du peuple en mission. Elles « disposent d’une marge d’initiative […] », n’hésitent pas à critiquer, à être des porte-parole pour les citoyens, au nom de l’« exercice d’une certaine forme de démocratie » (ibidem, p. 320).

59 Je pense notamment au célèbre portrait (supposé) de Milhaud, autrefois attribué à David.

60 L’historien américain Jeff Horn mène une enquête sur ce thème.

61 Certaines ont lieu cependant dès l’an II, et même parfois dès avant thermidor, toutefois la grande vague de dénonciations contre les représentants du peuple en mission correspond assurément à l’an III.

62 Cité par Patrick Schultz, La décentralisation administrative dans le nord de la France, 1790-1793, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1982, p. 123.

63 De nombreux travaux de maîtrise réalisés à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, restés inédits, sont venus confirmer un phénomène que plusieurs historiens avaient déjà évoqué : l’existence d’épurations formelles, de ces épurations qui se transforment en « jeu de chaises musical », entre autre en raison de l’absence d’un personnel politique capable de remplacer les administrateurs destitués.

64 Discours de Chaptal devant le Corps législatif, 28 pluviôse an VIII – 17 février 1800 (Moniteur, n° du 6 ventôse an VIII – 25 février 1800).

65 Sur les commissaires centraux du Directoire, cf. Bernard Gainot, « Propositions pour une enquête prosopographique sur les commissaires centraux du Directoire », Michel Pertué (dir.), L’administration territoriale sous la Révolution française. Réflexions, vues nouvelles et pistes de recherche, actes d’une journée d’études tenue à Bourges (1999), Cahiers du laboratoire collectivités locales, n° 3, Orléans, Presses Universitaires d’Orléans, 2003, p. 91-104 ; du même auteur, « La province au crible des rapports des commissaires centraux du Directoire », AHRF, 2002, n° 4, p. 143-157 ; et Jean-Marie Augustin, « Claude-Marie Bonnefont, commissaire du Directoire dans le département de la Vienne », ibidem, p. 135-142.

66 L’agent national, créé en frimaire an II, était déjà lui aussi soumis au pouvoir central, mais, en outre, il devait coexister, sur le terrain, avec les représentants du peuple en mission.

67 Bernard Gainot écrit ainsi : « La durée du mandat autorise certains d’entre eux à devenir les véritables “patrons” de leur département, d’autant plus que les liens avec la représentation nationale renforcent et rendent plus complexes les réseaux de contrôle » (Bernard Gainot, « Propositions […] », art. cit., p. 98).

68 Ibidem, p. 99.

69 Ibid.

70 Discours de Ganilh au Tribunat, 25 pluviôse an VIII – 14 février 1800 (cité dans le Journal de Paris, n° du 26 pluviôse an VIII – 15 février 1800). Ganilh n’est pas le seul à faire référence aux intendants lors des débats à propos de la création des préfets. La veille, 24 pluviôse, Mongez a, devant la même Assemblée, rappelé « les divers modes qui ont régi la France, depuis le ministère de Richelieu [et notamment] le régime des intendants […] », mais pour plaider en faveur de l’institution des préfets là où Ganilh s’oppose à celle-ci le lendemain. Selon Mongez, c’est la lutte entre les intendants, d’une part, les États provinciaux et les assemblées provinciales, de l’autre, qui a désorganisé « entièrement la machine [et amené] la révolution à laquelle on pose aujourd’hui des bornes. En 1789 et en 1790, un changement total s’opéra : comme tout était mal, on crut faire le bien en faisant le contraire de tout ce qui existait. On plaça l’exécution dans des corps délibérants et des agents du gouvernement pour presser la délibération sur l’exécution. Ainsi nous avons vu, depuis dix ans, délibérer, quand il fallait agir, sur les lois interprétées dans des sens successivement contraires. Cette subversion de principes a amené la dissolution du corps social. Je crois le projet présenté exempt des vices dont nous avons tant souffert. Je vois dans les préfets et sous-préfets cette unité d’action, seul souvenir que l’on doive garder du régime des intendants [souligné par moi] » (cité dans le Moniteur, n° du 25 pluviôse an VIII-14 février 1800).

71 Parmi les nombreux colloques qui se sont tenus au cours de l’année 2000, on peut notamment retenir : Jean-Pierre Allinne, Renaud Carrier (dir.), Préfet et développement local, actes du colloque de Pau (2000), Paris, Dalloz, 2002 ; M. Vaïsse (dir.), Les préfets, leur rôle, leur action dans le domaine de la Défense de 1800 à nos jours, actes du colloque de Vincennes (2000), Bruxelles-Paris, Bruylant-LGDJ, 2001 ; Alain Lottin, Annie Crépin, Jean-Marc Guislain (dir.), Intendants et préfets dans le Nord-Pas-de-Calais (xviie-xxe siècle), actes du colloque d’Arras (2000), Arras, Artois Presses Université, 2002.

72 Michel Pertué, « Les représentants du pouvoir exécutif […] », art. cit., p. 55.

73 Ces élites sociales et politiques finissent ainsi par devenir le lien essentiel entre la capitale et les différentes subdivisions territoriales, comme l’a souligné Michel Pertué : « L’administration autorégulée au centre et investie par les notables à la périphérie était à la France contemporaine ce que les corps intermédiaires étaient à celle de l’Ancien Régime » (Michel Pertué, « Libertés locales, libertés absentes », Gérard Chianéa, Jean-Luc Chabot [dir.], Les droits de l’Homme et le suffrage universel, actes du colloque de Grenoble [1998], Paris, L’Harmattan, 2000, p. 213-221).

74 Alexis De Tocqueville, L’ancien régime et la Révolution, Paris, Lévy, 1856, p. 89-91.

75 Alain Duran, « Noblesse et Notabilités à Orléans au tournant des Lumières (vers 1780-vers 1820) », Doctorat de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, sous la dir. de Claude Michaud, 2003.

© Presses universitaires de Rennes, 2005

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