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Chocs et ruptures en histoire religieuse

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Michel Lagrée

Troisième partie. De l'Helvétie à la Vénétie : subculture catholique et intégration à l'État moderne

Vénétie, 1866 : choc ou continuité ? Les effets de l'unification dans le catholicisme en Vénétie d'après les lettres pastorales des évêques.

Marcello Malpensa

Texte intégral

Avant propos

1On sait que le processus d'unification de l'Italie a été très long et pénible : en effet il a fallu vingt-deux ans environ (en gros du 1848 à 1870), trois guerres et quelques coups de main pour faire en sorte que le royaume d'Italie aboutît à embrasser plus ou moins le territoire actuel, avec Rome comme capitale et le parlement et le roi dans la « Ville éternelle ».

2De même, chaque historien de l'Église connaît très bien la forte influence que ce processus – et surtout son dénouement, la brèche de la Porta Pia et la prise de Rome – ont eu, non seulement dans l'histoire de l'Église en Italie, mais en général dans l'histoire de l'Église tout court dans la deuxième partie du xixe siècle. La naissance et le développement de la « question romaine » sont sans doute l'un des principaux pivots autour duquel tournent les vicissitudes de l'Église de la fin du dix-neuvième siècle, avec peut-être un certain décalage entre sa répercussion dans le reste de l'Europe par rapport à l'Italie, mais certainement partout avec autant d'acuité et d'importance à partir de 1870.

3En revanche, on connaît moins sans doute, dans cette histoire, l'impact que ces événements ont eu plus spécifiquement en Italie, dans les différents milieux catholiques qu'on peut circonscrire en prenant en considération les limites des anciens États régionaux et, plus en détail, les attitudes prises par l'épiscopat catholique des différentes régions italiennes face à ces événements. De ce point de vue, je crois que le cas de la Vénétie revêt un intérêt tout particulier pour plusieurs raisons, qui relèvent soit du champ de l'histoire institutionnelle soit du champ de l'histoire de l'Église ou, bien mieux, de l'inextricable entrelacement que l'on peut souvent saisir entre les deux, tout spécialement dans cette période.

4Cet intérêt tient d'abord au fait que l'union de cette région à l'État national (21 octobre. 1866) est survenue en retard par rapport à la proclamation officielle de l'Unité (17 mars 1861) mais surtout entre celle-ci et la prise de Rome (20 septembre 1870) – ou, si nous considérons l'histoire de l'Église, entre le Syllabus et Vatican I. Ceci nous donne la possibilité de vérifier si l'impact de cet événement a effectivement représenté quelque chose de qualitativement décisif pour la configuration de son catholicisme ou si, au contraire, c'est à l'ensemble de ces changements qu'on doit prêter attention. Le deuxième centre d'intérêt, d'un point de vue théorique, est le suivant : on peut supposer que le passage d'un régime politiquement autoritaire et pourtant concordataire (comme l'était celui de l'empire d'Autriche auquel était soumise la Vénétie) à un régime libéral et qui tendait à la « séparation », a comporté des écarts qu'on devrait pouvoir clairement saisir et évaluer, surtout dans la perception qu'en avaient des évêques en contact assez direct avec les autorités civiles. Enfin, troisième raison : l'image « classique » que l'historiographie nous a livrée de la Vénétie est celle d'une région très catholique qui a été chef de file dans la naissance du mouvement catholique organisé en Italie, ce qui ne va pas sans poser des questions : pourquoi précisément la Vénétie ? Comment cela s'est-il produit ? Par quelle stratégie les catholiques ont-ils réussi à obtenir ce résultat ? Et encore : y avait-il un lien entre les structures économiques et sociales de cette région et la prégnance du catholicisme qu'on y pouvait percevoir ?

  • 1 L'historiographie subdivise traditionnellement la domination autrichienne sur la Vénétie en trois (...)

5On ne peut évidemment pas répondre à toutes ces questions, mais pour essayer de donner une réponse du moins partielle à quelques-unes d'entre elles, on procédera en trois étapes. On jettera d'abord un bref coup d'œil sur la Vénétie au xixe siècle, en concentrant l'attention surtout sur le laps de temps qui va de ce qu'on appelle la « troisième domination autrichienne » (1849-1866)1 jusqu'à la fin du siècle, dans le but d'esquisser une représentation d'ensemble des réalités politiques, économiques et sociales auxquelles le catholicisme de Vénétie dut faire face. Dans un deuxième temps, on analysera de plus près les lettres pastorales et les interventions publiques des évêques au moment de l'unification, pour voir quelles ont été leurs réactions face à l'« événement-unification » en soi ; en conclusion, on cherchera en quelques mots à mettre en relation les positions prises par les évêques dans cette circonstance avec le magistère global qu'on peut saisir en analysant leur production pastorale dans une période plus étendue.

  • 2 R. Aubert, La chiesa cattolica in Italia e la questione dell'unità politica durante il pontificato (...)
  • 3 Ce travail sera effectué en utilisant le répertoire des lettres pastorales des évêques de la Vénét (...)

6Si la démarche peut sembler réductrice face à la complexité des problèmes posés – et sans doute l'est-elle d'un certain point de vue – je crois de toute façon qu'il n'est pas sans intérêt de rappeler ce que R. Aubert soulignait en intervenant dans un colloque il y a déjà plus de trente ans : pour tenter de répondre correctement à la question du rapport entre Église catholique et unité italienne, il est fondamental de ne pas considérer ni l'Église catholique ni l'Italie comme deux entités monolithiques, mais il faut essayer de tenir compte de la distinction entre Saint-Siège, évêques, curés, religieux et fidèles pour la première et entre régions pour la deuxième2. C'est précisément dans cette direction que mon intervention voudrait se situer, tout en tenant compte, bien sûr, du scénario général, mais également en concentrant l'attention sur un territoire relativement homogène et circonscrit (la Vénétie) et sur une partie bien définie du corps ecclésiastique (l'épiscopat). Enfin, je voudrais ajouter que cette communication constitue une première mise au point, partielle, d'un travail plus étendu visant à étudier le rapport entre Église et société en Vénétie, entre 1848 et 1958, d'après les lettres pastorales des évêques3.

La Vénétie dans la seconde moitié du xixe siècle : politique, économie, société. Quel catholicisme aux racines du mouvement catholique ?

  • 4 Entre les nombreuses références que l'on pourrait citer (en laissant pour le moment de côté les ti (...)

7Dans les cinq dernières décennies, l'intérêt que l'historiographie a porté aux transformations politiques, économiques et culturelles qui se sont produites dans la société de Vénétie durant la seconde partie du xixe siècle, a été très étendu : On pourrait citer plusieurs titres ayant abordé ce thème par différents points, mais l'apport essentiel reste celui de l'importance et de la particularité d'une région qui, sous plusieurs rapports, a été considérée comme un « modèle »4. Cependant l'important ici n'est pas de parcourir les diverses interprétations qui ont été données au développement politique, économique et social de la région mais plus simplement de rappeler l'attention sur les caractéristiques fondamentales de sa conformation, telles qu'on peut retrouver dans les différentes études, sans oublier de donner quelques indications à propos des points les plus controversés.

8Il est important de rappeler que la Vénétie à vécu, politiquement, un xixe siècle marqué par de soudaines flambées de changements mais dans le cadre d'une stabilité de substance. On pourrait commencer en rappelant la grande déception qui suivit la cession « cynique » du territoire de l'ancien République vaincue à l'empire d'Autriche, par Bonaparte, en 1797 (Campoformio), puis le « ping-pong » entre dominations française et autrichienne qui suivit le cours des succès et des échecs napoléoniens jusqu'à la prévalence définitive de l'Autriche en 1814 et la constitution du royaume « lombard-vénitien », en réalité dépourvu d'institutions libres et presque directement soumis au pouvoir de Vienne.

  • 5 Sur la rivolution vénitienne, voir P. Ginsborg, Danièle Manin e la rivoluzione veneziana del 1848- (...)

9Ce fut la « deuxième domination autrichienne » qui, pour la plus grande partie de la Vénétie, se prolongea jusqu'à 1866, même si, pendant la première guerre d'indépendance prendra place l'éphémère épisode de la République Vénitienne dirigée par Danièle Manin (1848-1849)5. Il faut cependant rappeler qu'en cette occasion il y eut un moment où la plus grande partie de la Vénétie – sauf Vérone – passa sous le gouvernement de la République et que, par exemple à Vicence, des prêtres firent partie des gouvernements provisoires ou de la garde municipale.

10La répression consécutive à la restauration autrichienne fut très dure et pour cette raison, dix ans plus tard, grande fut encore une fois la déception à la conclusion de la deuxième guerre d'Indépendance. En effet au moment de l'armistice de Villafranca (1859) – par lequel Napoléon III renonçait à la Vénétie – beaucoup de patriotes parlèrent d'un second Campoformio.

11Les dernières huit années de domination autrichienne furent vécues dans une situation d'ambiguïté. D'un côté croissait l'aversion des patriotes pour la domination étrangère, mais sans que celle-ci provoquât importantes manifestations publiques ; de l'autre grandissait le nombre de modérés qui n'aimaient pas la présence autrichienne mais qui, en même temps, ne voyaient pas d'un bon œil la perspective d'une absorption dans le royaume d'Italie. Grandissait aussi le nombre des catholiques de plus en plus perplexes face aux Savoie excommuniés par Pie IX et faisant de la « question romaine » un troublant cas de conscience.

  • 6 Petite anticipation sur te sujet du catholicisme : c'est précisément pour répondre a cette âme mun (...)

12En effet, un fois passé l'enthousiasme pour l'unification (survenue sans gloire en octobre 1866 à la suite de la défaite de l'Autriche par la Prusse et formellement ratifiée par un plébiscite) nombreuses furent les voix qui s'élevèrent pour défendre certains liens de continuité avec le passé, à tout le moins la spécificité d'une identité culturelle et d'une autonomie administrative vénitienne qu'on voulait préserver de l'« aplatissement » unitaire. Cette tendance autonomiste restera longtemps dans l'autoreprésentation collective des gens de Vénétie, lesquels conjugeront souvent un certain mépris pour la Rome des 'Taliani avec la fidélité à la Rome des papes6.

  • 7 Les composantes de l'idéologie industrielle de A. Rossi ont été étudiées par plusieurs auteurs, on (...)

13D'un point de vue économique, on peut dire que la Vénétie est restée jusqu'aux années cinquante de notre siècle une région essentiellement rurale. Cette affirmation très générale doit cependant être nuancée par d'autres considérations : s'il est évident que le take off défintif, économique et industriel, de l'Italie, que l'on situe conventionnellement entre 1896 et 1900, a eu son effet jusqu'ici, il est cependant vrai qu'en certaines zones – principalement dans le Vicentin – le développement industriel a anticipé cette date de près d'une vingtaine d'années. Il s'agit néanmoins d'une première industrialisation bien particulière, fondée sur la réalisation des principes patentaiistes-ruralistes de capitaines d'industrie devenus désormais le symbole de cette idéologie industrielle : A. Rossi et G. Marzotto7. Les points de repère de ce modèle de développement industriel étaient d'un côté la volonté de mettre l'usine et ses rythmes de travail en harmonie avec les rythmes collectifs de la vie rurale et, d'un autre côté, le projet de fournir toutes les réponses aux exigences sociales des travailleurs à l'intérieur des structures créées et organisées par la direction de l'entreprise. L'usine devait devenir le centre de gravité de la vie des travailleurs, lesquels devaient trouver, jusqu'à l'intérieur de celle-ci ou du moins dans les alentours, habitations, crèches et écoles pour les enfants, points de rencontre et passe-temps. Pour soutenir « moralement » ce modèle, on faisait bien sûr explicitement référence aux valeurs de la religion catholique, car seule la religion pouvait ajouter à la « tyrannie du capital » ce supplément d'âme nécessaire pour rendre plus humain le capitalisme et ainsi enlever au socialisme ses arguments.

14L'intérêt évident de ce type de développement industriel pour ceux qui veulent explorer la complexité du rapport entre catholicisme et origines du capitalisme industriel en Vénétie, ne doit pas nous faire oublier les limites géographiques et chronologiques de cette expérience et la suprématie absolue, dans la structure économique de la région, du secteur agricole et des traits essentiellement ruraux. Ce n'est pas par hasard que ce modèle de développement industriel voulait s'y conformer. En effet, le paysage de la Vénétie, dans la seconde moitié du xixe siècle était marqué par l'extrême fractionnement de la propriété, détenue par de nombreux petits propriétaires, fréquemment démunis de moyens et qui cependant s'accrochaient à la possession de la terre à un point tel qu'ils n'hésitaient pas à s'enfoncer dans l'endettement pour essayer de la défendre. Les cultures prédominantes étaient le froment, le maïs et la vigne, qui représentaient la « triade » par excellence de l'agriculture vénitienne. Il manquait enfin de véritables concentrations métropolitaines comparables à celles de Milan, de Turin ou de Gênes.

15À une telle organisation du territoire correspondait un tissu social aussi caractéristique : bien que la misère, la mauvaise alimentation et les maladies endémiques fussent le lot quotidien des paysans vénitiens, la prépondérance des « propriétaires » par rapport aux ouvriers agricoles non qualifiés, fit en sorte que, durant toute la seconde moitié du siècle, seules quelques zones occidentales et méridionales aux marges de la région (où s'étendaient en partie les grands domaines) connurent des grèves ou des révoltes organisées. En général le calme le plus total régna sur la Vénétie durant cette période. Comme on l'a rappelé plus d'une fois et de plusieurs côtés, la seule vraie « révolution » que la Vénétie ait vécue se produisit au moment de la grave crise agraire des années 1880, mais ce fut une révolution silencieuse : entre 1876 et 1914 plus de 912°000 originaires de Vénétie émigrèrent en Amérique (surtout du Sud) ou en Europe et, même s'il faut prendre en compte l'incidence de l'émigration temporaire, personne ne pourrait nier la valeur absolue de cette donnée brute. Une autre donnée importante nous est fournie par la démographie : au moins jusqu'aux années trente de notre siècle, le taux de natalité de la région resta au-dessus de la moyenne nationale et supérieure a celui de toutes les autres régions de l'Italie du nord. Encore à cette date, la Vénétie était au premier rang des régions pour la taille des familles.

  • 8 Sur la faiblesse du mouvement socialiste en Vénétie on peut voir : E. Franzina, II movimento opera (...)

16Sociologiquement, on a parlé d'une société « statique », où les rapports sociaux ont tendance à demeurer fixes et à se reproduire de la même façon en dépit des éventuelles transformations politiques et économiques. Si les transformations économiques se produisirent à coup sûr, on peut dire des premières que, dès les élections politiques de 1866 et de 1867, se constitua un bloc conservateur qui, surtout dans la partie centrale de la région, résistera jusqu'à la fin du siècle. À ce propos il est remarquable que malgré les âpres dénonciations déclenchées par la hiérarchie ecclésiastique locale contre la diffusion du socialisme dans les campagnes et l'infiltration franc-maçonnique dans les rangs de la bourgeoisie, les données en notre possession évoquent un mouvement socialiste resté inerte et inefficient jusqu'au début du nouveau siècle et une présence franc-maçonnique beaucoup moindre, en chiffres relatifs, par rapport à d'autres régions italiennes, et médiocre en chiffres absolus8.

  • 9 Si, on l'a dit, les titres sur les transformations économiques et sociales de la Vénétie de la sec (...)
  • 10 On peut trouver un recueil d'études importants sur certains des représentants du catholicisme véni (...)
  • 11 Pour des notices biographiques sur ces trois frères prêtres intransigentissimi voir l'entrée « Sco (...)
  • 12 Sur celui-ci voir : G. Pullini, Antonio Fogazzaro, dans Storia della cultura veneta, op. cit., p. (...)

17C'est dans ce contexte – qu'il faudrait évidemment préciser davantage, en suivant du moins les différentes périodes de l'histoire politique, économique et sociale – que se situe la naissance et le développement du mouvement catholique vénitien. Ce dernier est fortement imprégné par les catégories de pensée de ce catholicisme intransigeant qui, nonobstant des transformations et quelques oppositions, demeurera le grand protagoniste de la scène vénitienne, en conformant pendant longtemps non seulement la mentalité de ceux qui en étaient les plus ardents défenseurs, mais, jusqu'à un certain degré, même celle des groupes minoritaires catholiques qui, pour différentes raisons, ne se reconnaissaient pas dans ce modèle de catholicisme9. En effet on s'est beaucoup efforcé, dans le passé, de distinguer entre les divers « âmes » du catholicisme de Vénétie et je pense qu'il ne faut pas du tout négliger les distinctions opérées10. Je crois cependant qu'on ne doit pas perdre de vue l'exacte mesure des choses. Sans doute le catholicisme intransigeant, verbalement rude et violemment antidémocrate des frères Scotton11, – prêtres fondeurs du journal « la Riscossa » et eux aussi désormais élevés au rang de symbole de cette catégorie – a peu à voir avec le catholicisme intimiste et élitiste d'un Fogazzaro12 – exemple des tendances modernistes –, mais on ne doit pas oublier que :

  • la quasi totalité des évêques et la plus grande partie des prêtres de Vénétie à cette époque étaient beaucoup plus proches des premiers que du second ;
  • malgré de plus ou moins grandes différences, tous les catholiques – intransigeants stricto sensu, clérico-modérés, clérico-libéraux, « démocrates » – faisaient de l'obéissance à la hiérarchie un point de repère auquel on ne pouvait pas renoncer et, même s'il existait des divergences sur les moyens à utiliser pour les faire triompher, tous pensaient que les valeurs catholiques étaient les seules véritablement à même de sauver la société ;
  • la sensibilité à la question sociale, qui portera à la floraison luxuriante d'« œuvres » catholiques à partir du dernière décennie du siècle13 est précisément le produit de ce catholicisme intransigeant qui, après avoir protesté contre l'État libéral par la non-participation aux élections politiques (au contraire des élections administratives, il ne faut jamais l'oublier) décida d'employer ses énergies sur un terrain, ce qu'on appelle la « società civile », dans lequel sa présence était pleinement soutenue par l'action des curés et des paroisses14.

18D'un autre côté, s'il est vrai que c'est seulement après 1860 qu'on peut à juste titre parler de la naissance d'un mouvement catholique (en entendant par là un mouvement de laïcs catholiques organisés), il est également vrai que cette naissance a été largement favorisée par le durcissement dans un sens intransigeant qui, à partir de la seconde moitié de 1848, a intéressé toute l'Église catholique et, de façon très visible et très nette, la majorité de l'Église et du catholicisme vénitiens. Trois dates correspondent à trois moments de passage, qu'on ne doit pas oublier si l'on veut comprendre quelle était la base solide et commune sur laquelle s'est construit le catholicisme vénitien de la seconde moitié du siècle. La première est 1855, année du concordat entre l'Église et l'empire des Habsbourg : comme l'on sait, ce concordat fut très favorable à l'Église catholique, laquelle pouvait se débarrasser de la plus grande partie des liens du joséphisme et devenait ainsi une véritable Église d'État. Si, dans la pratique, ces avantages ne furent pas toujours évidents, ils suffirent néanmoins pour donner le feu vert à l'Église vénitienne pour son œuvre de réorganisation interne.

  • 15 On ne possède malheureusement pas une biographie exhaustive de ce prélat qui eut un rôle très impo (...)
  • 16 La nature intransigeante et les débats de ce concile ont été abordés par A. Gambasin dans une étud (...)
  • 17 Sur cette histoire on peut voir : S. Tramontin, « L'atteggiamento del clero veneto tra il 1859 e i (...)

19Nous arrivons ainsi au deuxième moment que représente le concile provincial de 1859. Dominé par la figure, qu'on retrouvera plus loin, du chanoine F. Zinelli15, théologal de San Marco, ce concile vit l'Église de Vénétie se réorganiser d'une façon strictement intransigeante et renforcer sa structure hiérarchique, en donnant les lignes directrices pour les différents synodes diocésains réunis dans les années qui suivirent immédiatement et, de façon plus générale, pour l'ensemble du catholicisme vénitien16. Il est vrai que dans les années entre 1859 et 1866 on put noter des cas d'insubordination du clergé, mais il ne faut jamais oublier que ces cas se mêlaient de façon inextricable avec les problèmes politiques : c'est toute l'histoire du clergé antitemporalista, du chanoine Schiavo et de l'abbé Volpe etc. sur laquelle on a beaucoup de travaux17. En tous cas, on peut déjà voir clairement dans ces années ce que sera la ligne victorieuse d'un point de vue plus strictement ecclésiastique. Voilà pourquoi je suis convaincu que 1866 – à l'évidence le troisième moment de cet itinéraire – n'en constitue sous cet aspect que l'accomplissement ultime, assurément important pour confirmer et donner de nouvelles justifications à la direction prise, mais pas pour l'établir.

  • 18 G. De Rosa, Una banca cattolica fra cooperazione e capitalismo. La banca cattolica del Veneto, Rom (...)

20Je veux dire que si l'entrée de la Vénétie dans l'État national a certainement aiguisé la guerre du catholicisme intransigeant contre la société moderne (qu'on pouvait maintenant voir dans ses aspects plus négatifs comme la liberté de la presse, les lois sur la liquidation des propriétés ecclésiastiques, l'abolition des dîmes, la conscription des clercs etc.), cette guerre avait été déjà déclenchée depuis longtemps. Il ne s'agissait plus maintenant que du choix des armes pour mieux la combattre. Dans une première période celles-ci seront surtout les pèlerinages, les triduum de prières et les pétitions contre les projets de lois les plus mal vus ; par la suite on assistera à la floraison de caisses rurales et de banques populaires strictement confessionnelles, qui constitueront un réseau capable de donner une réponse suffisamment valable aux exigences de crédit des petits propriétaires qui avaient réussi à résister à la crise sans émigrer. Une réponse que l'historiographie catholique a souvent orgueilleusement présentée comme « alternative », tant au capitalisme libéral qu'au socialisme et sur l'ambiguïté de laquelle, au contraire, on n'a pas encore assez réfléchi. Ce n'est que très récemment que G. De Rosa, maître des historiens catholiques, a abordé la question d'une activité financière qui, sous le patronage de l'étiquette « catholique » et de la solidarité, est parvenue à s'intégrer parfaitement dans la logique du capitalisme financier18.

21Dernière considération sur le mouvement catholique, avant d'entrer plus directement dans le champ spécifique que j'ai choisi en focalisant sur les évêques et les lettres pastorales : la date de naissance officielle de l'Opera dei Congressi, l'organisation du mouvement catholique italien, est 1874. On ne peut pas oublier que quatre ans avant cette date, le catholicisme dans sa totalité avait subi un véritable choc : la prise de Rome et l'éclatement definitif de la « questione romana ». Si l'on veut retrouver un moment catalyseur dans lequel s'est formée l'idée d'une présence plus organisée des catholiques dans la société, c'est ici qu'on doit regarder, sans jamais oublier que les catalyseurs ne peuvent rien faire s'il n'y a pas des éléments à catalyser. La culture intransigeante, désormais dominante dans les milieux catholiques, n'attendait que ce dernier pas pour donner vie, en Italie, à cette sorte de « drôle d'opposition » à l'État libéral, faite d'obéissance aveugle au pape, d'abstentionnisme électoral et de présence très concrète dans les réalités administratives et économiques locales, et dont la Vénétie est un exemple presque parfait.

1866 dans les lettres pastorales des évêques : « quel que soit le roi, il lui faut obéir »

  • 19 Une étude sur le clergé vénitien face à l'annexion a été publié par Mgr. S. Tramontin, l'historien (...)
  • 20 Il faut de plus préciser que quand on parlera ici de l'épiscopat de Vénétie on entendra les évêque (...)

22En me tenant aux sources en ma possession, quatre parmi les évêques vénitiens, pendant les moments décisifs du processus d'unification, envoient à leur clergé et à leurs fidèles des lettres pastorales ou des circulaires sur la conduite à tenir face à la guerre, puis face au plébiscite et à la situation nouvelle. Il s'agit du patriarche de Venise, le cardinal Trevisanato, et des évêques de Trévise, Zinelli, de Vérone, Canossa, de Ceneda (Vittorio Veneto) Bellati19. D'un cinquième, l'évêque de Padoue, Manfredini, nous avons seulement une brève circulaire au clergé, qui n'est pas sans intérêt au demeurant. Naturellement on ne peut pas exclure que les autres évêques aient pris position, mais simplement on n'a pas trouvé les documents dans les archives20.

  • 21 Sur l'attitude de cet évêque face à l'annexion on a une étude très riche et précis de E. Rosellini(...)

23Quand éclate la guerre entre l'Italie et la Prusse d'un côté et l'Autriche de l'autre (juin 1866), c'est l'évêque de Trévise Zinelli21 qui s'adresse à ses fidèles avec le plus d'ampleur, en envoyant une lettre de huit pages. Rappelant l'invocation à l'Esprit Saint qu'il avait faite lors de la récente fête de Pentecôte, il les invite d'abord à « se jeter dans les bras de la Providence » et à avoir du courage. Ensuite il leur ordonne d'exaucer les désirs de l'empereur et de prier avec lui pour « le triomphe du droit », c'est-à-dire de l'Autriche. Bien que conscient de l'impopularité absolue de sa démarche, il se lance dans une démonstration théologique qui, en s'appuyant sur les textes de saint Paul (Tite, III ; Timothée, II) vise à montrer qu'un évêque catholique ne peut rien faire d'autre que suivre les indications de l'autorité légitime, à plus forte raison si elle est officiellement catholique. Selon Zinelli, l'empereur, en demandant l'aide des évêques, a démontré son respect pour l'autorité du Saint-Siège et cela lui suffit : il s'est conduit véritablement comme un prince chrétien, donc il lui faut obéir.

24L'historiographie laïque à souvent décrit cet évêque comme un partisan de l'Autriche et d'un certain point de vue cette interprétation est sans doute correcte. Il faut cependant signaler que l'obéissance de Zinelli à l'empereur est évidemment un « conséquence inévitable » de l'obéissance au pape, véritable pivot autour duquel tourne l'argumentation. S'il est vrai que Zinelli avait démontré précédemment et démontrera à l'avenir plus que des sympathies pour l'Autriche, c'est néanmoins principalement à cause de l'obéissance au pape qu'il prend cette position. Pour bien comprendre sa démarche, il faut la replacer dans ses catégories mentales fondamentales : la guerre est là, l'empereur a demandé de prier pour lui et pour sa victoire et nous qui sommes ses sujets devons lui obéir, car il est le prince et en plus c'est un prince chrétien. Mais est-ce réellement la victoire de l'Autriche qui intéresse Zinelli ? Dans son exhortation à une prière pleine de ferveur, il insère un passage à considérer attentivement :

  • 22 F. M. Zinelll, Al venerabile clero e amatissimo popolo, 22.6.1866, Treviso, p. 5-6. Toutes les cit (...)

Bien sûr, frères bien-aimés, il faut que notre prière soit pleine de ferveur, pour obtenir, ainsi plaise à Dieu, le rétablissement rapide de la paix avec le triomphe des principes sociaux et de l'Église ; pleine de ferveur, pour que Dieu continue d'inspirer, dans la guerre et dans la paix, le religieux empereur pour qu'il n'ait en vue que Sa très sainte volonté22.

25La vraie préoccupation de Zinelli n'est pas de prendre partie pour l'empereur et pour l'Autriche contre l'Italie : c'est de prendre partie pour l'Église et pour les principes sociaux, dont elle est, à ses yeux, l'unique gardienne. C'est pour cette raison qu'après avoir invité les fidèles à prier pour tous les morts qu'entraînera sûrement la guerre, il conclut en rappelant derechef la nécessité d'avoir à cœur le triomphe de l'Église, du droit et des principes sociaux.

  • 23 Dans Clero veneto, clero lombardo..., op. cit.. p. 252-253 S. Tramontin rapporte un petit passage (...)

26Plus sobrement, l'évêque de Padoue, Manfredini, décide de s'adresser seulement au clergé et lui envoie une circulaire dans laquelle, en présentant la guerre comme un châtiment divin, il dit qu'il faut prier pour « désarmer la colère de Dieu » en abandonnant le péché, en réformant les mœurs et en obéissant aux autorités ecclésiastiques et civiles. La référence à la volonté de l'empereur y figure, mais de façon très rapide et formelle. Grâce à une allusion qui se trouve dans une lettre exhortant à soutenir la Commission de la charité publique et datée du 26 juin, on peut affirmer que le patriarche Trevisanato envoya également une lettre à l'occasion du début de la guerre, mais je ne l'ai pas repérée personnellement23.

  • 24 L. Di Canossa, Ai MM. RR. Parochi, 5.6.1866, Verona.
  • 25 L. D Canossa, A tutti i suoi dilettissimi figli, 21.6.1866, Verona.
  • 26 Dans une note finale il est très clairement indiqué que la lettre devra être lue au peuple au mome (...)

27En revanche, on possède deux circulaires différentes de l'évêque de Vérone, lequel s'adresse d'abord à son clergé (5 juin 1866)24 puis, deux semaines plus tard – le premier parmi ses confrères – à son peuple25. Dans la première, Canossa cite un passage important de la lettre collective écrite par les évêques de Vénétie à l'issue du concile provincial de 1859, traitant de la question de l'obéissance des jeunes à l'autorité : il s'agit évidemment d'un avertissement que l'évêque veut lancer par l'intermédiaire des prêtres aux fidèles26, afin qu'ils ne se laissent pas prendre par les tentations des sirènes italiennes. C'est un exemple concret montrant comment la référence au concile du 1859 était un point d'appui important pour justifier l'obéissance à une autorité constituée que l'évêque savait menacée par les événements mais qu'il devait dans tous les cas défendre. Au contraire, dans la deuxième lettre, on peut trouver un vibrant appel adressé à tous afin que l'on s'organise pour recueillir toutes sortes de secours en prévision des urgences de la guerre : aucune référence n'est faite au problème politique et il s'agit d'une lettre motivée exclusivement par le désir de solliciter auprès des fidèles un effort de charité chrétienne. Ainsi, même si l'échantillon est très réduit, on a pu saisir différents accents dans les interventions des évêques, mais le thème de la nécessité de l'obéissance à l'autorité constituée – c'est-à-dire l'empereur d'Autriche – paraît le plus présent à la préoccupation des prélats.

  • 27 M. Bellati, Al venerabile clero secolare e regolare, 6.8.1866, Ceneda.

28Dans un délai de peu de mois la situation politique va rapidement changer : en dépit de l'insuccès de Custoza (24 juin) et de la défaite navale de Lissa (19 juillet), les Italiens, grâce aux victoires des alliés prussiens, peuvent avancer en Vénétie et obtenir d'abord un armistice (Cormons, août), puis la paix (Vienne, 3 octobre) qui, par la médiation de Napoléon III, restitue la Vénétie à l'Italie. Pendant cette période nous rencontrons encore plusieurs interventions qui méritent d'être analysées : le 6 août l'évêque de Ceneda-Vittorio Veneto (diocèse dont le territoire avait déjà été libéré des Autrichiens à cette date) envoie une circulaire au clergé dans laquelle « en suivant les préceptes de notre religion catholique » il ordonne à l'ensemble du clergé de révérer et d'obéir aux nouvelles autorités constituées, « révérence et obéissance qui doivent également être instillées dans les esprits des populations, en renforçant aussi toujours en elles le sentiment national de vive voix »27. La circulaire ordonnait aussi aux prêtres de donner le bon exemple en ajoutant pendant l'exposition du Saint-Sacrement la prière pour le roi après celle pour le pape.

  • 28 Voir I. Da Ros, Il clero nella diocesi di Ceneda..., op. cit., p. 69-90.

29Dans sa simplicité bureaucratique, cette circulaire est exemplaire : il y a un nouveau roi, donc il faut lui obéir, épouser son sentiment national, prier pour lui. Si nous pouvons supposer que cet évêque, qui n'avait rien dit au déclenchement de la guerre, a seulement attendu le moment favorable pour manifester ses vrais sentiments – alors que nous savons, en revanche, qu'en dépit de son caractère affable, il avait eu la main assez lourde à l'endroit des prêtres antitemporalisti dans se diocèse, en particulier contre le chanoine Ciani, théologal de la cathédrale28– que faut-il attendre de part de l'intraitable évêque de Trévise Zinelli ?

30La réponse se trouve dans une lettre au clergé de cinq pages, datée du 17 août : nous pouvons y saisir la véritable essence d'une certaine mentalité catholique face au pouvoir. L'évêque commence par exulter à cause de la fin de la guerre qui a donné satisfaction au roi Victor Emmanuel, avec la cession de la Vénétie à son royaume. Ensuite, il s'embarque dans un long exposé visant à expliquer pourquoi la religion catholique doit rendre hommage à tous les pouvoirs constitués et dans laquelle se trouvent des passages montrant parfaitement le cœur de sa Weltanschauung :

  • 29 F. M. Zinelli, Al venerabile clero, 17.8.1866, Treviso.

La religion catholique ne s'occupe pas des systèmes politiques, mais elle a la haute mission de prêcher au sujet des régimes constitués la tranquillité, l'obéissance, le respect, l'honneur. [...] Les empires, les royaumes changent et la religion reste toujours la même. Les systèmes politiques sont en continuelle fluctuation, tandis que les principes de la religion sont immuables. [...] Je m'apprête donc personnellement, dans cette occasion solennelle, à répandre parmi vous et, par votre intermédiaire, parmi les populations assujetties à vos soins, l'idée qu'il faut reconnaître, dans ce changement politique, l'obligation pour tous, indistinctement, de maintenir la paix et la tranquillité, de prêter obéissance aux autorités chargées par l'auguste notre souverain Victor Emmanuel II. Vous devez non seulement obéissance, mais le respect et l'honneur, comme le prescrit l'évangile. [...] Vous savez que vous accomplirez votre devoir de curés, de prêtres catholiques, en promulguant franchement les principes d'ordre et les principes d'hommage aux deux autorités. D'un côté il y a le Vicaire de Jésus Christ, infaillible promulgateur des principes religieux sur lesquels repose l'ordre social et de l'autre il y a l'autorité civile qui, dès le premier article de sa constitution, stipule que « La religion catholique, apostolique, romaine est la seule religion de l'État »29.

31Une fois de plus notre attention est attirée par la duplicité de la position face à l'autorité : s'il est vrai qu'on doit obéir à l'autorité civile en tant que telle, celle-ci ne peut néanmoins en rester vraiment digne qu'en reconnaissant à la religion catholique le rôle central dans la sauvegarde de la société. En dernier ressort, si la religion catholique ne niera jamais un certain degré d'obéissance à l'autorité constituée, la profondeur de son adhésion à cette autorité sera fonction de l'attitude, plus ou moins favorable à la religion, de l'État. Si l'on garde toujours à l'esprit que ce préambule est absolument hors de discussion pour tous les catholiques de cette période, on peut comprendre la véritable signification de ce qu'on appelle « opposizione cattolica » en Italie dans les trois dernières décennies du xixe siècle, dont le mouvement catholique en Vénétie constitue certainement une des manifestations plus représentatives. Il ne s'agit absolument pas d'une renonciation au pouvoir, comme on a essayé parfois de soutenir, mais au contraire il s'agit de l'instauration d'une dialectique avec le pouvoir, plus ou moins rigoureuse, à la mesure de l'acceptation par celui-ci des préceptes catholiques.

  • 30 Sur cet épisode voir : L. Briguglo, Lo spirito religioso nel Veneto... (Fortuna di Emesto Renan), (...)
  • 31 Comme on a dit, il s'agit du sujet traité par S. Tramontin dans son Clero veneto, clero lombardo.. (...)

32La polémique que les évêques vénitiens déclenchèrent contre les autorités autrichiennes pour protester contre le non-retrait du marché de la traduction de la Vie de Jésus d'E. Renan (1862)30 a valeur d'exemple et nous confirme que même un gouvernement très catholique comme celui de l'Autriche concordataire pouvait être pris pour cible par les catholiques si ceux-ci pensaient que leurs droits avaient été piétinés. On appréciera, dans cette perspective, la portée réelle de la polémique qu'un groupe de prêtres (peut être en majorité lombards, mais il conviendrait de le vérifier) amorça contre les évêques de Vénétie, en particulier contre le patriarche de Venise, Trevisanato qui, selon eux, dans deux lettres avant et après le plébiscite d'octobre 1866 avait trop exulté face à la ratification définitive de la réunion à un État qui, en définitive, avait dépouillé le pape d'une partie de ses territoires31.

33En effet, dans la lettre du 19 octobre, deux jours avant le déroulement du plébiscite, le patriarche dit clairement qui cette expression populaire ne sera guère nécessaire, car on connaît déjà les sentiments nationaux des habitants de la Vénétie. Cependant, pour la forme, il faut aller aux urnes et voter (c'est-à-dire voter pour l'unification). Il est évident que dans une situation désormais ainsi définie, Trevisanato ne pouvait rien faire que suivre la vague victorieuse et contenter l'enthousiasme populaire pour l'unification. Cette démarche est explicitée au plus haut point dans la lettre du 25 octobre, où le patriarche commente avec emphase le résultat prévu du vote : nous avons désormais un nouveau roi pour lequel il faut prier (et pour cela il ordonne de célébrer un Te Deum d'action de grâces le jour suivant la promulgation officielle du résultat du vote) et auquel il faut obéir non seulement en paroles mais en actes. Cependant, à l'arrivée, il implore sur le nouveau roi et sur le peuple la sagesse divine, car :

  • 32 G. L. Trevisanato, Al Venerabile clero e dilettissimo popolo, Venezia, 25.10.1866.

« il n'est pas possible goûter les joies de la paix et des libertés regagnées, si l'on ne pose pas Dieu comme but de chaque souci et de chaque affection, et si l'on ne cherche pas à garder vivant dans les cœurs le sentiment de cette très sainte religion qui ennoblit et fait la grandeur des nations et des peuples, car elle est la véritable source de toute civilisation »32.

  • 33 Cf. S. Tramontin, Clero veneto, clero lombardo..., op. cit., p. 244-250.

34Les subtiles distinctions par lesquelles Trevisanato répond point par point aux critiques du mémorandum des « prêtres lombards » laissent entrevoir ce que le patriarche pensait en réalité du plébiscite33, mais je crois que même cette brève allusion, dans cette lettre pourtant si « triomphaliste », nous permet de comprendre que le patriarche n'avait pas donné sa bénédiction au roi usurpateur, mais à la nouvelle autorité légitime. Si celle-ci voulait vraiment le bien et la prospérité du royaume, la « vraie liberté et non la licence », elle devait se conformer à la volonté de la religion, c'est-à-dire de l'Église.

35Le dernier document dont je vais parler, une circulaire de l'évêque Canossa datée du 14 octobre 1866, montre très bien les principes sur la base desquels les évêques et tous les « vrais catholiques » fonderont dorénavant leur stratégie face au nouveau gouvernement. Dans la première partie il exprime sa joie pour le fait que son diocèse n'ait pas trop souffert de la guerre (Vérone était un des points stratégiques plus importants) et pour la paix qui a redonné l'indépendance et la liberté aux Italiens. Ensuite il continue :

  • 34 L. Canossa, Al ven. Clero e dilettissimo popolo, Verona, 14.10.1866.

« Oui, une ère nouvelle va commencer pour notre patrie ; une ère d'activités, de vie politique, de mouvement, de grandes espérances et, si chacun remplit ses devoirs, une ère d'éclat, d'harmonie et de gloire. Mais, hélas ! Il ne serait pas digne de l'homme raisonnable, et encore moins du chrétien qui doit prendre modèle sur le saint évangile, de convertir la liberté en licence, d'abuser de la liberté pour épancher ses passions ; de se servir d'elle pour combattre la vérité ; pour diffamer et calomnier son frère ; pour diffuser la haine et l'inimitié au lieu de la charité, de l'amour, de la concorde ; enfin pour attaquer et s'opposer à la religion du NSJC, lequel fut le premier à apporter sur la terre le doux mot de frères et nous en apprit la parfaite signification en nous liant tous dans un corps mystique dont il est la tête [...] »34.

36Pour cet évêque et pour ses confrères la liberté n'est pas quelque chose de positif dans l'absolu : il faut en faire bon usage, sans s'opposer à la religion.

37En général on peut dire qu'en soi, le changement de régime ne signifia pas grand-chose pour les évêques de Vénétie. Pour résumer leur position on pourrait dire que l'indication essentielle donnée aux fidèles fut : « quel que soit le roi, il faut lui obéir ». Ce qui nous intéresse davantage est le fait qu'ils mesuraient tout à l'aune de la religion – avec une conception de celle-ci que nous pourrions aujourd'hui définir extensive – et de la fidélité au pape et à l'Église. En principe ils n'étaient pas austrophiles ou italophiles, ils étaient papophiles. Ainsi devons-nous nous demander si cette démarche fut une réaction à la nouvelle situation ou bien si elle relevait d'un autre ordre ? Dans les dernières lignes je chercherai à montrer qu'à mon avis, les origines du raidissement du catholicisme en Vénétie sont plus anciennes.

Une pastorale intransigeante et homogène

  • 35 Dans le dernier paragraphe de l'essai de D. Menozzi, I vescovi dalla rivoluzione all unità. Tra im (...)

38On a donc vu que dans le discours pastoral des évêques au moment de l'annexion35, l'accent le plus fort est mis sur l'obéissance au roi, mais c'est une obéissance clairement subordonnée à celle due au pape. Si nous regardons l'ensemble des lettres pastorales des évêques de Vénétie entre 1848 et la fin du siècle, nous pouvons voir l'importance objective que le sujet « pape » y occupe. Beaucoup de lettres pastorales sont explicitement dédiées à la description de son rôle, de ses pouvoirs et à l'exaltation de ses prérogatives, sans oublier les lettres qui invitaient à soutenir le Denier de saint Pierre ou celles qui voulaient célébrer les jubilés sacerdotaux et épiscopaux du pape, ou bien l'anniversaire da sa première communion. S'il est vrai que le thème de la dévotion au pape est décisif pour la plus grande partie du catholicisme de la seconde moitié du xixe siècle, néanmoins de ce point de vue la Vénétie nous donne un exemple de compacité et d'homogénéité extraordinaire.

  • 36 Voir : G. De Rosa, Le associazioni cattoliche..., op. cit., p. 108-110.
  • 37 Pour le premier, une sorte de Veuillot vénitien, voir : G. De Rosa, Giuseppe Sacchetti e la pietà (...)

39D'un autre côté il est clair que tout cela ne pouvait pas se produire de but en blanc seulement à cause d'un changement de régime. En réalité, les années entre 1848 et 1866 ont eu une importance décisive dans la configuration intransigeante du catholicisme de Vénétie : la reprise de la domination autrichienne favorisa les tendances plus conservatrices dans la société et aussi dans le clergé, qui jouissait d'ailleurs traditionnellement d'une grande estime dans cette région. Après les hésitations de 1848, les tendances plus ouvertes furent systématiquement combattues dans les séminaires et les doyens de tendance rosminienne ou « libérale » furent de plus en plus remplacés par des thomistes sûrs. Mais la véritable force du catholicisme de Vénétie fut le concordat de 1855 : grâce à lui, les structures de l'Église de Vénétie se fortifièrent et arrivèrent en 1866 déjà prêtes à faire face à l'État libéral italien. Ce n'est pas par hasard que les premières annonces d'organisation des catholiques en Vénétie se placent avant 1866 : déjà à partir de 1856 en Lombardie-Vénétie on avait eu la première naissance d'une association catholique36, tandis que huit ans après (14 avril 1864) eut lieu la naissance du premier périodique intransigeant « Le Letture cattoliche » de G. Sacchetti, que suivit, en 1865, « La Libertà cattolica », dirigé par P. Balan37.

40Du point de vue historique il serait sûrement incorrect de nier qu'au-dessous de l'homogénéité du corps épiscopal et de la plus grande partie du clergé, existaient d'autres tendances, traversant le monde catholique en Vénétie. Si l'on ne doit tout aplatir à l'intérieur de la catégorie d'intransigeant, il reste néanmoins vrai que les finalités profondes qui animaient les divers groupes catholiques étaient les mêmes : qu'on insista sur la question romaine et sur les droits du pape ou qu'on cherchât, vers la fin du siècle, à suivre les voies – d'ailleurs ambiguës dans la réalisation pratique – du catholicisme social, le but restait d'arriver à imposer les valeurs chrétiennes dans la société. L'intransigeantisme pur et dur donnait le ton et les limites qu'on ne devait jamais dépasser (obéissance absolue au pape et aux évêques, même si l'on pouvait avoir avec eux des conflits de juridiction), le catholicisme social essayait de trouver de nouvelles solutions mais l'objectif final était le même.

41De la même façon, on ne veut pas dire que ce catholicisme manquait d'une réelle énergie spirituelle : au contraire son caractère entreprenant provenait précisément du fait que, pour les catholiques de Vénétie à l'époque, il n'y avait presqu'aucune séparation entre le religieux et le politique, avec une prédominance toujours affirmée du premier sur le second. Il suffit de prendre l'exemple, les pèlerinages, fortement impulsés par les évêques et de fait l'ensemble de la Vénétie connaîtra des pèlerinages mariaux spectaculaires pour toute la deuxième partie du xixe siècle et jusqu'à la moitié du xxe. Ils ne se limiteront jamais à des manifestations religieuses, mais, à côté du désir d'expression d'une religiosité sans doute profonde, puisque anthropologiquement enracinée, il y aura toujours la volonté explicite de consolider l'unité des catholiques pour démontrer à l'État laïc la force de frappe du catholicisme.

42Les appels continuels de la hiérarchie catholique à s'opposer inlassablement aux « malheurs » qui, selon elle, se répandaient (libéralisme, franc-maçonnerie, socialisme et communisme) et qui dans la réalité étaient des forces minoritaires, feront en sorte que le catholicisme vénitien, papiste, porteur d'une mentalité sectaire et intrinsèquement antimoderne, se fortifiera de plus en plus en devenant le vrai ciment social de toute une région. Certes, à l'aube du nouveau siècle, lorsque le socialisme acquerra une force plus concrète même ici, à l'intérieur du catholicisme d'âpres divisions se feront jour entre les « anciens » et les jeunes, fascinés par ces idées démocratiques qui en réalité n'appartenaient pas à leur système de valeurs profond. Il ne faut pas se tromper : la même obéissance absolue au pape, la même certitude d'être les uniques dépositaires des valeurs civiques, le même antisocialisme viscéral étaient le véritable moteur de leur action dans la société.

43En conclusion, si le changement de régime du 1866 a sûrement contribué au durcissement de l'épiscopat et plus généralement du catholicisme vénitien, en fortifiant en son sein une identité de « corps en opposition » à l'État, cet événement n'a cependant pas représenté un véritable choc fondateur : d'autres continuités, plus importantes, ont concouru à modeler la nature franchement intransigeante du catholicisme vénitien. Si l'on veut chercher une rupture plus incisive on doit à mon avis remonter jusqu'à 1848-1849 : c'est dans ces années qu'en Vénétie on peut voir se fermer la possibilité d'installation d'un catholicisme au moins partiellement « autre », et le début du succès de la ligne intransigeante, un succès qui sera tel qu'il permettra à cette ligne de devenir pour longtemps, et dans les aspects fondamentaux, le cœur profond de toute identité catholique.

Notes

1 L'historiographie subdivise traditionnellement la domination autrichienne sur la Vénétie en trois périodes : la première qui va de fin 1797 à fin 1805, le deuxième qui va de 1814-1815 à 1848-1849, enfin la troisième qui va de 1849 à 1866

2 R. Aubert, La chiesa cattolica in Italia e la questione dell'unità politica durante il pontificato di Pio IX, in Humanitas, a. XVI, n. 8-9, 1961, p. 682-708 ; en part. p. 689-692 et p. 698-699, note 21, ou l'a. affirme explicitement la nécessité d'entreprendre l'analyse qu'on propose dans ces pages

3 Ce travail sera effectué en utilisant le répertoire des lettres pastorales des évêques de la Vénétie que je suis en train de conclure en suivant les critères établis dans l'édition des Lettere pastorali dei vescovi dell Emilia-Romagna, a cura di D. Menozzi, Genova, 1986 et suivis de la même façon dans l'édition des Lettere pastorali dei vescovi della Toscana, a cura di B. Bocchini Camaiani e D. Menozzi, Genova, 1990

4 Entre les nombreuses références que l'on pourrait citer (en laissant pour le moment de côté les titres plus directement relatifs à l'histoire religieuse, du catholicisme et du mouvement catholique, qu'on signalera plus avant), il faut absolument rappeler : L. Briguglio, Correnti politiche nel Veneto dopo Villafranca (1859-1866), Roma, 1965 ; G. De Rosa, « La società civile veneta dal 1866 all'avvento della sinistra », maintenant dans Tempo religioso e tempo storico. Saggi e note di storia sociale e religiosa dal medioevo all'età contemporanea, I, Roma, 1987, p. 3-64 ; id, « Mentalità e mutamenti economici nella società veneta tra xix e xx secolo », maintenant dans Tempo religioso..., op. cit., p. 175-203 ; A. Zalin, Aspetti e problemi dell'economia veneta dalla caduta della Repubblica all'annessione, Vicenza, 1969 ; S. Lanaro, Società e ideologie nel Veneto rurale (1866-1898), Roma, 1976 ; Opinione pubblica, problemipolitici e sociali nel Veneto intorno al 1876, a cura di E. Reato, Vicenza, 1978 ; A. Lazzarini, Campagne venete ed emigrazione di massa (1866-1900), Vicenza, 1981 ; Trasformazioni economiche e sociali nel Veneto tra xix e xx secolo, a cura di A. Lazzarini, Vicenza, 1984 ; Storia d'Italia. Le regioni dall'Unità ad oggi. Il Veneto, a cura di S. Lanarc, Torino, 1984 ; G.L. Fontana, Patria veneta e stato italiano dopo l'unità : problemi di identità e di integrazione, dans Storia della cultura veneta, VI, Vicenza, 1986, p. 553-596. S'il ne fallait lire que deux articles sur le sujet, je dirais : A. Lazzarini, « Per una storia della società veneta nel periodo postunitario (1866-1900). Problemi di ricerca », dans Studi di storia sociale e religiosa. Scritti in onore di G. De Rosa, Napoli, 1980, p. 63-86 et S. Lanaro, « Genealogia di un modello », dans Le regioni dall'Unità ad oggi..., op. cit., p. 3-96.

5 Sur la rivolution vénitienne, voir P. Ginsborg, Danièle Manin e la rivoluzione veneziana del 1848-49, (trad. it.), Milano, 1978

6 Petite anticipation sur te sujet du catholicisme : c'est précisément pour répondre a cette âme municipaliste et autonomiste de la culture vénitienne que A. Besi, journaliste et romancier catholique intransigeant, fonda en 1872 l'hebdomadaire clérico-satirique « II Codino ». Voir : A. Arslan, « Pubblicistica e giornalismo nel movimento cattolico », dans Storia della cultura veneta, op. cit., p. 677-702, en part. p. 694-697

7 Les composantes de l'idéologie industrielle de A. Rossi ont été étudiées par plusieurs auteurs, on rappellera ici : L. Avagliano, Alessandro Rossi e le origini dell'Italia industriale, Napoli, 1970 ; M. Sabbatini, « Formazione e ideolgia della società industriale in Italia. L'impresa industriale e l'ideologia imprenditoriale di Alessandro Rossi », dans « Ideologia », IV, 1970, p. 160-171 ; E. Franzina, « Alle origini dell'Italia industriale. Ideologia e impresa in A. Rossi », dans « Classe. Quderni sulla condizione e sulla lotta operaia », IV, 1971, p. 179-231 ; Schio e Alessandro Rossi. Imprenditorialità, politica, cultura e paesaggi sociali del secondo Ottocento, a cura di G.L. Fontana, 2 voll., Roma, 1985. Pour le modèle de « socialisme paternaliste » de l'entreprise Marzotto entre 1866 et la Première Guerre mondiale voir : L. Guiotto et G. Tempo, « La Marzotto. Dal “paternalismo arcaico” alla “comunità globale” » dans « Classe... », VI, 1973, p. 315-345.

8 Sur la faiblesse du mouvement socialiste en Vénétie on peut voir : E. Franzina, II movimento operaio e socialista nel Veneto. Rassegna storiografica, dans Trasformazione economiche e sociali..., op. cit., p. 343-380 ; Id., Operai, braccianti, e socialisti nel Veneto bianco, dans Storia d'Italia Einaudi... Il Veneto, op. cit., p. 699-759 ; G. A. Cisotto, Il movimento operaio e socialista e la sua stampa, dans Storia della cultura veneta, op. cit., p. 715-728. Sur celle de la franc-maçonnerie en Vénétie voir la thèse de doctorat d'état de J. P. Viallet, L'anticléricalisme en Italie (1867-1914), soutenue en 1992 à l'université de Paris XII sous la dir. de R. Rémond, p. 1330-1350.

9 Si, on l'a dit, les titres sur les transformations économiques et sociales de la Vénétie de la seconde moitié du xixe siècle sont nombreux, que pourra-t-on dire des titres sur l'histoire religieuse, du catholicisme et du mouvement catholique de Vénétie dans la même période ? On se bornera ici à indiquer seulement les travaux nécessaires pour connaître les données fondamentales : L. Briguglio, « Origini e finalità del movimento cattolico a Venezia (1860-1888) » dans Quademi di cultura e storia sociale, a. III, n. 6-7, 1954 ; id., « Lo spirito religioso nel Veneto durante la terza dominazione austriaca (Fortuna di E. Renan »), dans « Rassegna storica del Risorgimento », a. 1955, f. I, p. 21-57 ; A. Gambasin, Il movimento sociale nell'Opera dei Congressi (1874-1904), Roma, 1958 ; ID. ; « Orientamenti spirituali e stati d'animo dei cattolici intransigenti veneti », dans Chiesa e stato nell'ottocento. Miscellanea in onore di P. Pirri, I, Padova, 1962 ; G. De Rosa, « Le associazioni cattoliche dal neoguelfismo all'unità », dans AA. VV., I cattolici italiani dall'800 ad oggi, I, Brescia, 1964, p. 97-150 ; B. Bertou, Le origini del movimento cattolico a Venezia, Brescia, 1965 ; G. De Rosa, Storia del movimento cattolico in Italia, Bari, 1966, 2 voll. ; B. Betto, « Il movimento cattolico a Vicenza : precedenti, origine, breve storia », dans Spiritualità e azione..., cit, p. 667-704 ; E. Reato, Le origini del movimento cattolico a Vicenza (1860-1891), Vicenza, 1971 ; AA. VV., Cattolici e liberali venetidifronte al problema temporalistico e alla questione romana, Vicenza, 1972 (avec une importante section « Fonti e bibliografia ») ; A. Gambasin, Parroci e contadini nel Veneto alla fine dell'Ottocento, Roma, 1973 ; ID., Religione e società dalle riforme napoleoniche all'età liberale. Clero, sinodi e laicato cattolico in Italia, Padova, 1974 ; E. Reato, « Il movimento operaio cattolico », dans Storia dellaa cultura veneta, op. cit., p. 703-713 ; G. Ingegneri, cura di), La chiesa veneziana dal 1849 alle soglie del Novecento, Venezia, 1987. Nous rappelons enfin les 21 volumes des visites pastorales de Vénétie qui sont parus dans la collection Thesaurus ecclesiarum Italiae recentiori aevi III. D'autres indications seront données au cours de l'exposé comme référence de sujets et problèmes plus spécifiques.

10 On peut trouver un recueil d'études importants sur certains des représentants du catholicisme vénitien non intransigeant dans : AA. VV. Rosmini e il rosminianesimo nel Veneto, Verona, 1970 ; pour d'autres indications dans cette direction cf. la n. 12.

11 Pour des notices biographiques sur ces trois frères prêtres intransigentissimi voir l'entrée « Scotton, Jacopo, Andrea, Gottardo », (E. Reato), dans Dizionario Storico del Movimento C. attolico in Italia, vol. II, p. 591-593. Pour une analyse ponctuelle de leurs mentalités voir : Lanaro, Società e ideologie..., op. cit. p. 200-269.

12 Sur celui-ci voir : G. Pullini, Antonio Fogazzaro, dans Storia della cultura veneta, op. cit., p. [189-235]. Une bibliographie des études autour de lui jusqu'à le 1980 se trouve dans : A. Zambarbieri, « Fogazzaro settanta anni dopo. Lo scrittore e le controversie politico-religiose tra ‘800 e ‘900. Una bibliografia », dans « Insieme cultura », a cura dell'Assessorato alla Cultura di Como, ott. 1982, n. 2, p. 40-41.

13 La prépondérance absolue des forces catholiques dans l'économie de la région à partir de cette période et sa tendance à une croissance ultérieure par l'alliance avec les modérés a été efficacement décrite par E. Franzina dans Tra Otto e Novecento, dans Storia d'Italia... Il Veneto, op. cit., p. 786 : « Bien que conscients et fiers de la force impressionnante atteinte à l'échelle régionale par leur mouvement, les cléricaux vénitiens ne suspendirent pas après 1896 l'effort, si bien commencé, pour couvrir de leur propre réseau d'associations économiques les endroits même plus écartés et périphériques. Aux citadelles traditionnelles de l'intransigeantisme, les campagnes centrales de la haute plaine dans les diocèses-modèles de Vérone et Trévise, allait s'ajouter le réveil de certaines zones caractérisées jusqu'à ce moment par la prévalence d'une dialectique toute politique de genre urbain stimulée, comme à Padoue ou à Venise, par la présence de noyaux bourgeois de tendance libérale sans d'autres adjectifs » (traduction M. Malpensa).

14 Sur l'importance, les problèmes, les caractéristiques de l'institution paroissiale dans la Vénétie voir : G. De Rosa, « La crisi dellaa parrocchia nel Veneto dopo il 1866 » dans « Fonti e ricerche di storia ecclesiastica padovana », I, Padova, 1967 ; id., « Parrocchia e pietà nella chiesa veneta dell'Ottocento », dans Spiritualità e azione del laicato cattolico italiano, II, Padova, 1969, p. 645-666 ; G. Franceschetto, « Società e struttura della parrocchia rurale veneta » dans « La società religiosa nell'età modema », Napoli, Guida, 1973, p. 807-814 ; A. Gambasin, Parroci e contadini., cit ; id., « Parrocchia veneta : dalle riforme napoleoniche al neogiuseppinismo asburgico » maintenant dans Religione e società..., op. cit., cap. I, p. 1-37. En général pour l'Italie : AA. VV., La parrocchia in Italia nell'età contemporanea, Napoli, 1982. Sur la centralité et le rôle de la figure du curé en Italie entre 1800 et 1900 voir : G. Miccoli, « » Vescovo e re del suo popolo... ». La figura del prete curato tra modello tridentino e risposta controrivoluzionaria », dans G. Chittolini - G. Miccoli, a cura di, La chiesa e il potere politico dal medioevo all'età contemporanea, Storia d'italia. Annali, vol. 9, Torino, 1986, p. 883-928 ; G. Battelli, « Clero secolare e società italiana tra decennio napoleonico e primo novecento. Alcune ipotesi di rilettura » en : M. Rosa, a cura di, Clero e società nell'Italia contemporanea, Roma-Bari, 1992, p. 43-123.

15 On ne possède malheureusement pas une biographie exhaustive de ce prélat qui eut un rôle très important au concile Vatican I, surtout dans la définition de l'infaillibilité pontificale. Pour des références assez à jour, se reporter aux premières pages de l'essai d'E. Rosellini, cité infra, note 20.

16 La nature intransigeante et les débats de ce concile ont été abordés par A. Gambasin dans une étude déjà publiée dans l'ouvrage collectif déjà signalé, Rosmini e il rosminianesimo... (cf. n. 6), et qu'on peut maintenant retrouver comme chap. II de son ouvrage Religione e società dalle riforme napoleoniche..., op. cit., p. 39-123. Sur les synodes diocésains en Vénétie de la période voir : B. Bertoli, « Strutture pastorali della chiesa veneziana al sinodo Trevisanato (1865) », dans « Chiesa e religiosità in Italia dopo l'Unità, (1861-1878) », 4 voll., Milano, 1973, 4/I, p. 43-92 et ID., « Sinodi convocati e sinodi differiti nel Veneto durante il pontificato di Pio IX », dans « Rivista di Storia délia chiesa in Italia », a. XXVI, n. 1, 1972, p. 1-18.

17 Sur cette histoire on peut voir : S. Tramontin, « L'atteggiamento del clero veneto tra il 1859 e il 1866 », dans « Rivista diocesana del patriarcato », vol. 45, 1960, fasc.5, p. 10-14 ; Carteggio Volpe-Cavalletto, a cura di L. Briguglio, Padova, 1963 ; A. Gambasin, « Temporalismo e antitemporalismo nel clero padovano prima dell'annessione », dans « Rassegna di politica e di storia », a. XIII, n. 152, 1967, p. 179-189 et a. XIII, n. 153, 1967, p. 208-218 ; G. Mantese, « Temporalismo e antitemporalismo a Vicenza negli anni tra il 1859 e il 1866 », dans AA. VV., Aspetti di vita pubblica e amminnistrativa nel Veneto introno al 1866, Vicenza, 1969, p. 71-134 ; E. Reato, Il clero bassanese e la questione romana, dans Cattolici e liberali veneti..., op. cit., p. 167-224 ; G. A. Cisotto, « La protesta antivolpiana a Vicenza. Note critiche » dans « Archivio veneto », CII, 1974, p. 121-135 ; id., « Farina e l'Austria (1860-1866) », dans Il vescovo Giovanni Antonio Farina e il suo istituto nell'Ottocento veneto, a cura di A. I. Bassani, Roma, 1988, p. 275-329 ; I. Da Ros, Il clero nella diocesi di Ceneda nel risorgimento. Antitemporalisti e « patrioti », Vittorio Veneto, 1990.

18 G. De Rosa, Una banca cattolica fra cooperazione e capitalismo. La banca cattolica del Veneto, Roma-Bari, Laterza, 1991. En réalité le problème général des rapports entre mouvement catholique et capitalisme a été au centre d'un débat historiographique lancé dans les années 1970 par un groupe d'historiens de formation marxiste, dans lequel le cas de la Vénétie a obtenu une attention prépondérante, mais je crois que sur l'aspect plus spécifique de l'intersection entre catholicisme intransigeant et capitalisme financier en Vénétie on pourrait encore aller plus en profondeur. Voir. M.G. Rossi, « Movimento cattolico e capitale finanziario : appunti sulla genesi del blocco clerico-moderato », dans « Studi storici », n. 13, 1973, p. 249-288 ; AA. VV., Movimento cattolico e sviluppo capitalistico, Padova, 1974 ; S. Lanaro, « Movimento cattolico e sviluppo capitalistico nel Veneto fra '800 e '900 », dans « Studi storici », XV, 1974, p. 57-105. Pour une critique de cette ligne voir : F. Fonzi, I cattolici e la società italiana dopo l'unità. III ed. ampliata, Roma, 1977, p. 161-199 (Nota alla terza edizione) et S. Zaninelli, « Forme e strutture delle organizzazioni economiche cattoliche in Italia dal 1870 al 1914 », dans : E. Passerin d'Entreves e K. Repgen, a cura di, Il cattolicesiimo politico e sociale in Italia e Germania dal 1870 al 1914, Bologna, 1977, p. 211-230.

19 Une étude sur le clergé vénitien face à l'annexion a été publié par Mgr. S. Tramontin, l'historien le plus prolifique au sujet de l'histoire de l'Eglise vénitienne et de Venise en particulier. Le titre est : « Clero veneto, clero lombardo e Santa Sede di fronte al problema dell'annessione del Veneto all'Italia (1866) » et il se trouve dans le vol. 4/II de : Chiesa e religiosità in Italia..., op. cit.. p. 239-255. Ce texte analyse surtout la querelle entre le clergé lombard et clergé de Vénétie à propos de l'attitude tenue par celui-ci au moment précis de l'annexion, ce qui évidemment nous intéresse mais ce n'est pas notre propos ici.

20 Il faut de plus préciser que quand on parlera ici de l'épiscopat de Vénétie on entendra les évêques des neufs diocèses qui couvrent le territoire de la Vénétie administrative actuelle (Adria-Rovigo, Belluno, Ceneda-Vittorio Veneto, Chioggia, Padova, Treviso, Venezia, Verona, Vicenza) en excluant ainsi les autres diocèses qui à l'époque faisaient partie de la Province ecclésiastique vénitienne (Concordia, Udine). Tous les documents que je cite ont été répérés et photocopiés dans les archives des curies, des séminaires ou des bibliothèques publiques de la Vénétie, mais on peut désormais les consulter à l'lstituto per le scienze religiose de Bologne ou ils sont deposés.

21 Sur l'attitude de cet évêque face à l'annexion on a une étude très riche et précis de E. Rosellini, « Il vescovo di Treviso Federico Zinelli nell'annessione del Veneto all'Italia », dans L. Billanovich, a cura di, Studi in onore di Angelo Gambasin. Dagli allievi in memoria, Vicenza, 1992, p. 219-292.

22 F. M. Zinelll, Al venerabile clero e amatissimo popolo, 22.6.1866, Treviso, p. 5-6. Toutes les citations ont été traduites pour faciliter la comprension du texte.

23 Dans Clero veneto, clero lombardo..., op. cit.. p. 252-253 S. Tramontin rapporte un petit passage de cette lettre mais il ne donne pas la référence exacte. En dépit du fait qu'à la note 13 il dit que tous les documents qu'il cite proviennent des archives de la Curie du Patriarcat de Venise, quand j'ai dépouilé ces archives, je n'ai pas trouvé ce document. En tout cas d'après ce passage, le ton de la lettre paraît semblable à celui dela circulaire de Manfredini (la guerre est un châtiment de Dieu, il faut prier pour le triomphe de la religion contre l'impiété et l'anarchie). En général il est vraisemblable de supposer que tous les évêques vénitiens sont intervenus lors du début de la guerre, même si l'on a repéré à ce jour que peu de documents.

24 L. Di Canossa, Ai MM. RR. Parochi, 5.6.1866, Verona.

25 L. D Canossa, A tutti i suoi dilettissimi figli, 21.6.1866, Verona.

26 Dans une note finale il est très clairement indiqué que la lettre devra être lue au peuple au moment d'affluence maximale à l'église.

27 M. Bellati, Al venerabile clero secolare e regolare, 6.8.1866, Ceneda.

28 Voir I. Da Ros, Il clero nella diocesi di Ceneda..., op. cit., p. 69-90.

29 F. M. Zinelli, Al venerabile clero, 17.8.1866, Treviso.

30 Sur cet épisode voir : L. Briguglo, Lo spirito religioso nel Veneto... (Fortuna di Emesto Renan), op. cit., et G. A. Cisotto, La mancata fortuna di Renan nel Vicentino durante la terza dominazione austriaca, dans « Archivio Veneto », CVII, 1976, p. 131-138.

31 Comme on a dit, il s'agit du sujet traité par S. Tramontin dans son Clero veneto, clero lombardo..., op. cit. Pour l'incertitude sur la paternité du mémorandum adressé au Saint-Siège sur ce problème voir en part, la note 7, p. 241.

32 G. L. Trevisanato, Al Venerabile clero e dilettissimo popolo, Venezia, 25.10.1866.

33 Cf. S. Tramontin, Clero veneto, clero lombardo..., op. cit., p. 244-250.

34 L. Canossa, Al ven. Clero e dilettissimo popolo, Verona, 14.10.1866.

35 Dans le dernier paragraphe de l'essai de D. Menozzi, I vescovi dalla rivoluzione all unità. Tra impegno politico epreoccupazioni sociali, qui se trouve dans M. Rosa, a cura di, Clero e società nell Italia contemporanea, Roma-Bari, 1992, p. 171-179, il y a une première reconstruction de la réaction de l'episcopat italien face à l'unification de l'Italie : s'il est vrai qu'il y eut de la part de certains évêques la « tentative de maintenir ouverte une voie de conciliation avec l'État unitaire » (p. 175), en réalité ces orientations étaient « quand même largement minoraires dans l'épiscopat italien » et c'est « dans ce contexte que mûrit l'alignement de l'épiscopat italien sur les conceptions de l'intransigeantisme » (p. 178-179).

36 Voir : G. De Rosa, Le associazioni cattoliche..., op. cit., p. 108-110.

37 Pour le premier, une sorte de Veuillot vénitien, voir : G. De Rosa, Giuseppe Sacchetti e la pietà venetá, Roma, 1968, A. Lazarini, « Giuseppe Sacchetti e la stampa cattolica veneziana » dans « Rassegna di politica e storia », vol.14, 1968, p. 336-350 et l'entrée « Sacchetti, Giuseppe », (A. Lazzarini) dans DSMCI, II, p. 565-568 ; pour le second : A. Gambasin, « Pietro Balan storiografo, apologista del papato (1840-1893) », dans « Archivium historiae pontificiae », IV, 1966, p. 349-354. Le premier quotidien catholique, Il Veneto Cattolico, naîtra au contraire après l'unification le 6 mars 1867, voir : B. Bertoli, « Il Veneto cattolico agli albori del movimento cattolico veneziano », dans « Rivista di storia della chiesa in Italia », XVII, 1963, n.3, p. 413-466. Cf. aussi la note 3.

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