Femmes et réforme grégorienne en Bas-Quercy et Haut-Toulousain
p. 71-81
Texte intégral
1En 1101, le vicomte Raimond abandonne à Saint-Pierre de Moissac deux églises de Caussade. L'acte précise que ses parents les détenaient par simonie et que, comble de l'ignominie ajoute-t-on, leurs revenus avaient été distribués aux concubines du vicomte1 On ne peut espérer discours plus académique sur les chantiers de la réforme grégorienne présentant tour à tour la lutte contre la simonie – avec en parallèle la volonté de récupérer les églises et leurs revenus - et la chasse aux concubines - à l'heure où l'Église tente d'imposer le célibat aux prêtres et de faire du mariage un sacrement.
2Or, il se trouve qu'à Moissac, un autre chantier, contemporain de la réforme grégorienne, est en cours d'achèvement : l'abbatiale a été restaurée après son affiliation à Cluny ; le cloître est achevé en 1100 ; voici que le portail qui accueille les fidèles prend sa forme définitive avec des pieds- droits très « parlants ». À droite, Marie qui incarne la pureté, l'idéal quasi inaccessible ; à gauche, non pas l'Ève tentatrice mais la Luxure représentée sous les traits d'une femme ondulante tel un serpent, dénudée, les côtes saillantes, la poitrine tombante d'où s'échappent des serpents, un crapaud dévorant son sexe et un autre sortant de sa bouche.
3À Moissac, le parchemin et la pierre tiennent donc des propos identiques : les femmes sont diaboliques. Ce regard ecclésiastique semble tout à la fois sans alternative et lourd de conséquences. Et si le thème de la Luxure est novateur au début du xiie siècle, cette forme de discours sur les femmes n'est en rien nouveau : Odon de Cluny au xe siècle ne comparaît-il pas les femmes à des sacs de fiente2 ? Cette continuité d'un discours ecclésiastique très négatif ne doit pas nous rendre aveugles3 Elle appelle au contraire une double interrogation : dans ce monde plus qu'hostile aux femmes, y a-t-il eu un moment grégorien spécifique pour celles-ci ? Et d'autre part, peut-on incomber à la seule Église tous les malheurs des femmes4 ?
4Pour tenter de répondre à ce questionnement, l'étude va porter sur la longue durée - de 970 à 1180 - afin de dégager et d'évaluer les évolutions. Le corpus documentaire devant être cohérent, seuls les fonds offrant des actes de part et d'autre de la réforme grégorienne ont été exploités5 C'est le cas pour les abbayes bénédictines Saint-Pierre de Moissac6 et Saint Théodard de Montauriol7 ainsi que l'église cathédrale Saint-Étienne de Cahors8. Les actes qui résultent de la sélection présentent trois limites de taille. Leurs rédacteurs sont exclusivement des hommes et, qui plus est, des moines ou des chanoines. Les textes, des actes de la pratique – donations, ventes, testaments, etc. - n'ont bien évidemment pas eu pour but d'enregistrer les évolutions sociales et culturelles. Enfin, ces femmes que l'on va tenter d'approcher appartiennent toutes au clan aristocratique. Ce corpus, si imparfait soit-il, offre néanmoins plusieurs indices convergents.
Des constats
Comptage
5Premier constat qui n'est en rien spécifique aux pays de moyenne Garonne : les actes ne font pas la part belle aux femmes du clan aristocratique. D'importantes fluctuations s'observent néanmoins : jusqu'en 1052 pour Moissac et 1060 pour Saint-Théodard, le nombre d'actes mentionnant des femmes reste assez conséquent puisqu'il atteint voire dépasse les 3/4 de ceux-ci. Passées ces dates, cette proportion s'effondre. À Saint- Théodard, la tendance est même totalement inversée de 1091 à 1120. Les chiffres remontent ensuite mais n'atteignent plus les scores importants de la première phase.
6L'étude des occurrences féminines renvoie la même image. Les sources fournissent 278 mentions de femmes pour 2432 d'hommes, soit 11 % des individus sur l'ensemble de la période ce qui correspond au chiffre obtenu en Lézadois9. Mais alors que dans cet espace du sud Toulousain, ce pourcentage est une constante, une nette évolution caractérise le Bas-Quercy et le Haut-Toulousain. Avant 1030, les mentions oscillent entre 13 et 18 % des individus, soit environ une femme pour 6 hommes, chiffre sensiblement supérieur à la « réalité » du Lézadois et du Languedoc10. Les scores détenus par la gent féminine faiblissent ensuite pour devenir extrêmement faibles entre 1091 et 1120 où l'on rencontre une femme pour 22 individus. Après 1120, la situation semble s'améliorer chichement et se stabilise à une femme pour dix hommes.
Désignations
7Cette moindre place dévolue aux femmes s'observe également dans les modes de désignation – ou de non désignation – des individus. Dès 1031 apparaît une grande diversité anthroponymique chez les hommes du clan aristocratique. Ces derniers s'emparent rapidement11 de toute la palette des formes de dénomination depuis le nomen paternum (Arnaud Bernard, c'est- à-dire Arnaud fils de Bernard), le sobriquet (Guillaume Percepoitrine), le nom de lieu (Pons de Mondenard) jusqu'à des formes plus complexes (Raymond Gauzbert de Castelnau). À la différence des Catalans ou des Gascons, les hommes du Bas-Quercy et du Haut-Toulousain ne se sont jamais référés au nom de leur mère12. Quant aux femmes, à trois exceptions près sur lesquelles je reviendrai, elles n'ont droit à aucune désignation complémentaire autre que uxor X ou filia X (c'est-à-dire femme de, fille de, etc.).
8L'anonymat, entendons ici l'absence de désignation, présente une autre différence notable entre les femmes et les hommes. Jusqu'en 1052, le nomen proprium des femmes est systématiquement indiqué. Puis, brutalement, de cette date à 1060, 17 % d'entre elles ne peuvent être identifiées faute de cette mention et, de 1060 à 1120, c'est un tiers des femmes qui se trouve dans ce cas13. Adieu donc, les Alaïz, les Ermengarde et les Aluina, voici que les sources ne jugent plus nécessaire d'indiquer ce qui d'emblée individualise une personne : son nom. Il semble bien qu'on dénie à ces femmes toute identité propre ; elles n'ont d'existence qu'en tant que femme d'un tel, fille d'un tel. Deux exemples parmi d'autres : vers 1080, Séguin Raymond de Cassels cède l'église de Saint-Mamet incluse dans la dot de son épouse non nommée mais qui donne son consentement tout comme les frères de cette dernière, Guillaume Gauzbert et Bernard Gauzbert14 qui eux sont nommés ! Le second exemple concerne l'aristocratie de niveau comtal et se situe lors de l'occupation des comtés de Quercy et de Toulouse par le duc d'Aquitaine Guillem IX qui revendique ces terres au nom de son épouse Philippa. Trois aristocrates renoncent à leurs prétentions sur un archidiaconé entre les mains de Philippa mais elle n'est pas nommément désignée ; l'acte dit que l'abandon se fait « entre les mains de la comtesse, épouse de Guillem, comte de Poitiers15 ». On pourrait objecter qu'il s'agit d'une évolution due aux modifications des pratiques notariales. Ce phénomène a en effet été observé en Bas-Languedoc par Monique Bourin16 où, dans des proportions similaires, hommes et femmes ne peuvent être identifiés. En Bas-Quercy et Haut- Toulousain, où l'anonymat masculin n'excède jamais 7,5 % des effectifs après 1050, cette pratique semble bien traduire une réelle volonté - au moins de la part des scribes - de négliger les femmes.
Interventions
9Troisième évolution : la place qu'occupent les femmes dans l'acte révèle plusieurs sous-représentations. C'est exceptionnellement qu'elles sont présentes dans le corps de l'acte ; ainsi, une seule femme est mentionnée dans un confront alors que nous disposons par cet intermédiaire de centaines de noms d'hommes17.
10Au cours du siècle qui s'étend après 930, 87 % des femmes sont partie prenante dans la souscription des actes, ce qui est un assez bon indice de leur participation à la vie publique. Après 1031, 60 % d'entre elles apposent encore leur seing au bas des chartes. Mais un véritable coup fatal leur est porté avec l'introduction du témoignage qui les fait définitivement disparaître de l'eschatocole comme si cette pratique, lorsqu'elle est féminine, ne pouvait avoir une quelconque valeur. Il est vrai que la coutume de Toulouse limite considérablement de ce point de vue les compétences des femmes18.
11Enfin, elles agissent exceptionnellement seules en partie principale première : une petite douzaine de fois avant 1060, trois fois seulement entre cette date et 1120 et sept fois après. Elles apparaissent le plus souvent comme « complément » de leur époux à qui elles donnent leur accord - signe qu'elles ont leur mot à dire sur la dévolution du patrimoine. Visiblement moins autonomes, plus étroitement encadrées au cours de la seconde moitié du xie siècle, les femmes apparaissent comme quantité négligeable dès lors qu'il s'agit d'abandonner une part du patrimoine familial si ce n'est dans un cas précis, les églises et les droits qui y sont attachés. En cela, on peut se demander si les femmes de l'aristocratie n'ont pas été à l'avant-garde de la réforme grégorienne. Les sources semblent révéler le rôle essentiel qu'elles ont pu jouer dans le mouvement de retour des églises : plus de la moitié de leurs interventions entre 1060 et 1120 ! De ce constat découlent plusieurs hypothèses.
Hypothèses
« Bigotes »...
12Plus pieuses, elles auraient été les agents « domestiques » de l'Église en réalisant un travail de fond auprès de leur époux ou de leurs fils. Un signe : plutôt que l'expression habituelle du type : « Moi, Guilhem, avec l'accord de mon épouse Fina, je donne... », une expression revient plus volontiers pour les églises : « Moi, Guilhem, sur le conseil de mon épouse Fina, je donne... ». Le choix des mots est révélateur d'une implication féminine qui paraît avoir exhorté le mari à un tel abandon. Ainsi, les femmes auraient été des soutiens particulièrement actifs de l'Église. À moins qu'il ne s'agisse, là encore, d'un discours monastique qui entend enfermer les femmes dans cette stricte vision, en particulier les épouses à qui s'ouvrent au même moment les voies nouvelles de la « marie-madeleinisation ».
13Toutefois, le corpus fournit des exemples d'un attachement réel des femmes aux préceptes de l'Église mais ni plus ni moins que les hommes. Que l'on songe au rôle de la très contestée comtesse de Toulouse Almodis19 qui contribua en Quercy à l'union de Moissac à Cluny20. À l'échelle locale, les interventions des femmes sont à l'image du niveau de cette moyenne et petite aristocratie. Les donations excèdent rarement une église et ses revenus : en 1063, Aiguina, fille de Bernard de Durfort, deux fois veuves, lègue l'église de Belvèze21 sans qu'aucun homme n'apporte son concours. Même liberté pour Azalaïs de Tolvieu qui cède, avant le milieu du xiie siècle, l'église d'Albefeuille et la chapelle castrale de Tolvieu22.
...ou dupées ?
14L'autre hypothèse permettant d'expliquer cette « spécialisation » des interventions féminines est bien plus bassement matérialiste. Les églises et les droits qui y étaient affectés entraient plus volontiers dans les dots des filles ou les douaires des épouses23. Les comtes de Toulouse agissent de la sorte. Ainsi, en 1037, Pons attribue à sa jeune épouse Majore les revenus de l'évêché d'Albi24 ! Pour nos aristocrates, il s'agit évidemment de dotations bien plus modestes : j'ai déjà évoqué l'exemple de l'église de Saint- Mamet incluse dans la dot de l'épouse de Séguin Raymond de Cassels vers 1072-108525. En 1081, Hugues Bernard et sa femme Béatrice font une donation importante parmi lesquelles deux églises provenant de la dot de Béatrice26.
15Il existe également un type de dot tout à fait particulier, celui accompagnant l'oblation d'enfants aux monastères. En 1060, sous la pression de la haute aristocratie, le jeune Bernard Ragenfred abandonne l'église de L'Herm avec l'accord de ses frères27 ; il offre également sa sœur Dies pour qu'elle devienne moniale à Bioule. Les choses sont clairement énoncées : puisqu'il faut restituer l'église de L'Herm, on donne également la sœur afin ne pas retrancher du patrimoine ce qui était initialement prévu dans sa dot28. L'épisode se déroule au début de la crise grégorienne. Les temps changent. L'heure est à l'abandon des églises qui deviennent, du fait de la réforme, des parts de patrimoine très précaires. C'est pourquoi, par la suite, les hommes de l'aristocratie vont prioritairement les intégrer dans les dots et les douaires : si le patrimoine doit subir une amputation, autant que ce soit dans la part des femmes29. L'analyse première des interventions féminines faisant d'elles de véritables « bigotes » doit donc être nuancée, si ce n'est abandonnée. Du reste, à l'image de cette aristocrate qui transmet à son fils l'église de Saint-Rustice plutôt que de la donner à un monastère, combien de femmes n'ont pas hésité à s'opposer à l'Eglise, ne serait-ce que par une simple résistance passive.
Bilan
Nuances
16Il ressort de tout ceci une vision assez sombre : les actes laissent supposer que l'autonomie des femmes de l'aristocratie des pays de moyenne Garonne a subi des atteintes certaines se traduisant par une nette mise en retrait. Il convient d'abord de nuancer le propos sans pour autant remettre totalement en cause ce constat. L'introduction de la pratique du témoignage - on l'a vu - tend à écarter les femmes des actes bien qu'elles puissent être présentes. Au-delà du témoignage, des exemples le montrent clairement : lorsque Arnaud de Perges abandonne vers 1080 toute une série de droits, l'acte précise d'emblée qu'il le fait devant une nombreuse assemblée d'hommes et de femmes30 ; or, aucune n'apparaît dans l'acte alors que dix laïcs sont nommément mentionnés. De la même façon, l'analyse des formules de donations pro anima dans lesquelles on égrène les membres de la parenté qui doivent bénéficier des prières des moines, montre que, les femmes, à l'exception des mères et de quelques rares défuntes, en sont presque systématiquement exclues dès le début du xe siècle. La donation pro anima est essentiellement une affaire de sang. On considère que les conjoints vivants, pièces rapportées, n'ont qu'à puiser dans leurs biens propres pour revendiquer de tels bienfaits à leur profit. Les rares cas où les deux conjoints en vie sont unis dans la demande correspondent à des donations de biens achetés en commun après le mariage31 ou d'oblation d'un enfant32. Le conjoint vivant demeure en marge et, en matière d'au-delà, est exclu de la famille. De ce point de vue, les hommes ne peuvent être accusés de misogynie. Les femmes agissent de même. L'exemple de Tassoendis, une riche aristocrate du Montalbanais, montre que Mir, son second mari qui est en vie puisque donnant son accord à la donation, est exclu de la formule33. Pratiques nouvelles ou anciennes expliquent donc en partie, mais en partie seulement, cette faible place des femmes.
17Dans sa volonté de modifier les comportements des laïcs, l'Église transforme les femmes en de véritables outils de propagande : le pied-droit du portail de Saint-Pierre de Moissac le rappelle haut et fort. La période qui s'ouvre vers 1050-1060 se traduit par une lutte ouverte contre le concubinage des prêtres mais aussi des laïcs. Après avoir tenté de canaliser les pulsions guerrières des aristocrates avec les Paix et Trêves de Dieu, l'Église cherche à canaliser leurs pulsions sexuelles. Il est fort probable également qu'il faille compter avec la personnalité de l'abbé de Moissac Durand (1048- 1072), qui devient évêque de Toulouse en 1059. Auvergnat d'origine, donc sans aucun lien avec l'aristocratie locale avec laquelle il n'aura pas à faire de compromis, ce prélat très clunisien imposé par Odilon tranche plus qu'à son tour dans le vif34. Réformiste intransigeant, il contribua certainement à forcer le trait face aux femmes. Mais la Luxure n'est sculptée à Moissac que peu avant 1129, c'est-à-dire tardivement, et Anita Guerreau-Jalabert montre que cette misogynie ambiante est davantage « une condamnation de la sexualité et de ce qui en découle35 ». L'Église a certes sa part dans cette dégradation du statut des femmes mais elle s'appuie sur un terreau existant. C'est donc ailleurs et avant la réforme qu'il faut rechercher les prémices de cette dégradation qui s'observe nettement à partir de 1060.
« Famille et pouvoir »
18Le premier élément pourrait bien être la militarisation de la société. En moyenne Garonne, elle n'est pas qu'une simple illusion d'optique liée aux sources écrites. La zone se couvre de fortifications tel ce superbe donjon emmotté de la Truque de Maurélis abandonné peu avant 1060, soit avant la réforme. D'autre part, contre dons ou abandons, des aristocrates obtiennent très fréquemment, et c'est une nouveauté au début du xie siècle, un cheval, des lances, une cuirasse ; tout un équipement spécifique de l'activité guerrière dont les femmes sont exclues.
19Lié sans aucun doute à ce phénomène de militarisation, la conception que l'on a de la parenté se transforme tout au long du siècle et trouve un écho dans l'anthroponymie. Cette dernière témoigne clairement de cette vision agnatique qui va progressivement s'imposer et tend également à exclure les femmes. D'abord, le nomen paternum n'a pas ici d'équivalent féminin. D'autre part, les rares cas de désignation complémentaire associée à des femmes révèlent l'étroitesse des liens entre surnoms aristocratiques et pouvoirs. La dame de Saint-Rustice, Sidonie, en 107336, puis Amélie Esquiva de La Jonquière37 en 1115-1129 et enfin Azalaïs de Tolvieu avant 115438 se voient dotées de compléments anthroponymiques justement parce que, en tant que veuves pour les deux premières et riche héritière pour la troisième, elles disposent de pouvoirs habituellement dévolus aux hommes39 Il s'agit là en quelque sorte d'accidents de parcours. Lorsqu elles n'ont pas le pouvoir, c'est-à-dire dans l'écrasante majorité des cas, le mode de désignation des femmes se réduit à l'expression d'une relation familiale. Les femmes sont d'abord identifiées comme liées à un homme, le père, un mari, éventuellement un fils.
Vers l'exclusion du patrimoine immobilier ?
20Préserver l'intégrité des patrimoines immobiliers entre les mains de mâles devient l'un des leitmotiv des aristocrates, attitude renforcée par les exigences accrues de l'Église lorsque débute la réforme. Un acte du cartulaire de Saint- Étienne de Cahors40 va dans ce sens. Le prévôt Guillaume, membre du puissant lignage de Castelnau, fait son testament vers 1110 avant son départ pour Jérusalem. À son épouse, qu'il ne nomme pas et avec qui il n'a pas eu d'enfant, il donne l'usage de tous ses domaines. Si en revanche elle se remarie ou retourne dans sa demeure paternelle, son douaire se limitera à 1 000 sous et une jument41. On ne peut être plus clair : le patrimoine immobilier ne doit pas être démembré au profit d'une femme d'où l'indemnité en numéraire, là encore part mobile du patrimoine comme les églises et leurs revenus à partir de la réforme42.
21A contrario, si l'épouse de Guillaume choisit de s'installer sur le domaine conjugal, elle sera à la tête d'un patrimoine considérable. On rejoint là l'exemple de ces trois femmes qui dirigent des seigneuries - Sidonie est dite domina – et disposent visiblement d'une belle autonomie. Ce doit être le cas également de bon nombre de veuves qui prennent parfois des initiatives pour arrondir leurs possessions : ainsi, au milieu du xie siècle, Ailcina doit restituer à Moissac un alleu dont elle s'est emparée43.
*
22Retrait indéniable pour les femmes de l'aristocratie, marge de manoeuvre supplémentaire pour les héritières et les riches veuves, je crois, après Anita Guerreau-Jalabert44, que l'Église s'est conformée à un modèle déjà élaboré par les laïcs, ne concédant aux femmes qu'un petit second rôle. La sphère plus intime des maisons de dames du Languedoc si bien décrites par Claudie Amado45 m'échappe totalement. Mais l'archéologie se substitue à l'occasion aux textes : la dernière campagne de fouilles du castrum de Flaugnac a sans aucun doute révélé l'existence, dans la partie aristocratique du site, d'une de ces maisons de dames : dans le niveau antérieur à 1100 qui regorge d'un très beau mobilier céramique, une douzaine de fusaïoles cohabitent avec une petite croix de bronze servant de fermoir, probablement d'un livre sacré46. On retrouve là des ingrédients « classiques » - tâches domestiques et prières - de la bonne épouse, dévote. L'Église, finalement, semble avoir normalisé des comportements déjà imposés par les laïcs.
Notes de bas de page
1 On disposera bientôt de deux recueils pour les actes de Moissac. Ceux antérieurs à 1214 ont été rassemblés dans une thèse de l'École des Chartes : M.-C. Lefebre-Beck, Les plus anciennes chartes de l'abbaye de Moissac, thèse dactylographiée. 1974, 5 vol. Et, à paraître, R. de La Haye, Recueil des actes de l'abbaye de Moissac. 680-1175, Maastricht-Moissac. Je remercie très vivement ce dernier de m'avoir confié ses transcriptions en avant première. Pour faciliter les renvois, les actes seront mentionnés comme suit : LB, pour Lefebvre-Beck, ou RH pour R. de La Haye, suivi du numéro de l'acte.
2 Jacques Dalarun, « Regards de clercs », dans Christiane Klapisch-Zuber (dir.). Histoire des femmes en Occident, tome 2, Le Moyen Age, Paris, Perrin, 2002, p. 38.
3 Christiane Klapisch-Zuber, « Masculin/féminin », dans Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l'Occident médiéval, Paris, Fayard, 1999, p. 656.
4 Anne-Marie Pelletier, Le christianisme et les femmes. Vingt siècles d'histoire, Paris, Cerf, 2001, p. 89.
5 N'ont donc pas été retenus ceux des abbayes cisterciennes ou des commanderies militaires ni les actes émanant du cartulaire laïque des Trencavel. D'autre part, les bulles, privilèges royaux, échanges entre établissements religieux ont été éliminés.
6 M.-C. Lefebvre-Beck, op. cit.
7 Ce cartulaire est conservé aux Archives départementales du Tarn-et-Garonne sous la cote G 239. Indiqué ensuite cst, suivi du numéro du folio.
8 Lambeau de cartulaire BnF, lat. 17674, fol. 157-158 r°. Édité dans O.-V. Daillut, Le cartulaire de Cahors et les sources documentaires du Quercy médiéval (xie-xiie siècles), Mémoire de maîtrise, UTM, 1999.
9 M. Nigoul, « Désignation et anthroponymie des femmes dans le Lézadois », dans Monique Bourin (dir.), Genèse médiévale de l'anthroponymie moderne. Persistances du nom unique. Désignation et anthroponymie des femmes, Tours, 1992, p. 134.
10 Claudie Amado, « Femmes entre elles », dans Femmes, mariages, lignages. Mélanges offerts à Georges Duby, Bruxelles, 1992, p. 141 ; Monique Bourin, « Désignation et anthroponymie des femmes en Bas-Languedoc : l'exemple du cartulaire du chapitre d'Agde », dans op. cit., Tours, 1992, p. 152. Claudie Duhamel-Amado, Genèse des lignages méridionaux. Tome 1, L'aristocratie languedocienne du xe au xiie siècle, Toulouse, 2001, p. 286.
11 Surtout après 1075.
12 Dans le corpus exploité ici. Les choses diffèrent si l'on prend en compte les serments du cartulaire des Trencavel. Hélène Debax, La féodalité languedocienne (xie-xiie siècles), Toulouse, PUM, à paraître.
13 Et ce, souvent, dès la partie principale seconde.
14 RH 128 (1072-1085). Cet acte permet en outre d'entrevoir le jeu complexe du droit de regard sur les dots.
15 rh 228, (1101-1126) : « in manu comitisse uxoris Willelmi comitis Pictavensis ».
16 Monique Bourin, op. cit., p. 155-156, montre que les personnes, hommes ou femmes, mentionnées dans la partie principale secondaire des actes du cartulaire d'Agde ne voient que leur nomen proprium et leur lien de famille indiqués par le notaire. Parfois, leur nomen proprium disparaît également.
17 CST, f° 83 (949, septembre).
18 H. Gilles, « Les femmes dans la vie religieuse en Languedoc (XIIIe-XIVe) », dans Cahiers de Fanjeaux, n° 23, 1988, p. 79-82.
19 Martin Aurell, op. cit., p. 257-280 ; Hélène Debax, « Les comtesses de Toulouse : notices biographiques », dans Annales du Midi, tome C, 1988, p. 221-222.
20 Didier Panfili, « Fulco Simonis (1055-1063) : l'évêque, la société aristocratique et la réforme grégorienne en Bas-Quercy », dans Bulletin de la Société des Études du Lot, tome CXVIII, 1997, p. 12.
21 rh 69.
22 CST, P 3 et 115 v°.
23 Même constat pour Bruno Lemesle, La société aristocratique dans le Haut-Maine (xie-xiie siècles), Rennes, pur, 1999, p. 127-128.
24 Hélène Debax, op. cit., p. 221.
25 rh 128.
26 rh 117.
27 rh 62. Le contexte de l'acte et son contenu laissent supposer que Bernard Ragenfred est orphelin de fraîche date.
28 Quia cum ipso honore virum ante habuerat.
29 Claudie Duhamel-Amado, op. cit., p. 324 : idée formulée pour les femmes de la petite et moyenne aristocratie.
30 rh 130 (1072-1085) : in praesentia multorum testium virorum ac mulierum.
31 cst, f° 49 v° (949).
32 Ibid., f° 88 v° (1060-1096) ; f° 103 (1105-1108).
33 Ibid., f° 63 v° (997-1031).
34 Didier Panfili, op. cit., p. 13-15.
35 Anita Guerreau-Jalabert, « Femmes », dans André Vauchez (dir.), Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, Paris, Cerf, 1997, p. 586.
36 rh 86 : « illa domina de Sancto Rustico quae dicta est Seidonia ».
37 rh 233.
38 cst, f° 3. Alaïz était encore en vie en 1145 (lb 283 : acte omis dans rh). En 1154, Ug de Rocafort, son fils, confirme la donation que sa mère avait faite de son vivant.
39 Monique Bourin, « Les difficultés d'une étude de la désignation des femmes », dans Genèse, op. cit., p. 3 rappelle le risque qu'il y a à surinterpréter trop rapidement les évolutions anthroponymiques. En accord avec cette mise en garde, je pense toutefois que, jusque vers 1150, l'anthroponymie colle à une certaine réalité sociale. Dans ce sens, elle constitue un outil d'analyse assez fiable.
40 O.-V. Daillut, op. cit., p. 34-35.
41 Ibid., p. 91-100 pour l'analyse du testament.
42 Avant 1180, les mentions de dots et de douaires sont rares en Bas-Quercy et Haut-Toulousain et il est donc difficile de pouvoir suivre sérieusement une quelconque évolution. Les travaux de Claudie Duhamel-Amado, op. cit., p. 327 peuvent nous aider sur ce point. Sur les quinze exemples d'actes de mariage comportant une dot en numéraire, aucun n'est antérieur à 1083, quatorze sont postérieurs à 1120 !
43 rh 32 (xe-xie siècle), plutôt (1048-1060).
44 Anita Guerreau-Jalabert, op. cit., p. 596.
45 Claudie Duhamel-Amado, op. cit., p. 330-333.
46 Rapport à paraître.
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