Le genre face aux mutations
| , , ,Première partie. L'ajustement des représentations et l'invention des normes
En Bretagne au Moyen Âge, l'impensable sainteté féminine ?
Texte intégral
- 1 L'auteur de la vita prima de saint Guénaël (éd. Fañch Morvannou, Saint Guénaël, Brest, 1997, p. 69 (...)
- 2 Les seuls établissements monastiques féminins sont Saint-Georges de Rennes et Locmaria de Quimper (...)
- 3 Jean-Christophe Cassard, « La femme bretonne au haut Moyen Âge », Annales de Bretagne et des Pays (...)
1En Bretagne la religion catholique a longtemps entretenu avec les femmes des rapports paradoxaux : d'un côté, une dévotion omniprésente à la Vierge Marie reconnue sous des appellations souvent très locales, de l'autre, outre les interdits universels qui pèsent sur les descendantes d'Éve1, la quasi-absence des religieuses comme des saintes autochtones. Avant la floraison des congrégations féminines aux Temps modernes, presque aucun couvent de nonnes en effet2. Et pour le Moyen Âge le plus reculé, à peine plus d'une quinzaine de femmes ayant laissé leurs noms dans la toponymie ou l'hagiographie armoricaines3 au regard de plusieurs centaines d'hommes, plus de sept cents au bas mot ! Derrière ce contraste brutal subsisteront irrésolues pour les premiers siècles, des interrogations quant à la répartition réelle des sphères masculine et féminine au sein de la religiosité brittonique ancienne.
- 4 Arthur de La Borderie (et alii), Monuments originaux de l'histoire de saint Yves, Saint-Brieuc, 18 (...)
2Les choses commencent à s'éclairer un peu vers la fin du Moyen Âge quand une documentation plus diverse devient disponible. Les enquêtes de canonisation des xive et xve siècles permettent d'abord d'approcher de véritables foules de miraculés ou de témoins4 : certes, leur matière implique trois hommes entourés d'une réputation de sainteté dès leur vivant, mais des femmes en nombre paraissent devant les commissaires apostoliques et expriment assez librement ce qu'il leur semble bon de dire, projetant ainsi de façon non intentionnelle quelques lumières sur la part respective de chacun des sexes dans plusieurs registres de la vie sociale. Autre nouveauté bas-médiévale, l'émergence de dames pieuses — issues pour encore du seul milieu aristocratique.
- 5 « Du 11e au 15e, pendant la période dite féodale et ducale, la place occupée par la femme dans la (...)
- 6 Jean-Christophe Cassard, « Les princesses de Bretagne. Approches matrimoniales d'une politique de (...)
3Cette meilleure affirmation de la femme sur le devant de la scène publique et privée rencontre vite ses limites cependant car des sources disparates n'autorisent certainement pas à écrire l'histoire des femmes bretonnes dans leur généralité5 Les plus humbles comme les plus importantes par leur rôle dynastique6 demeurent de parfaites inconnues dans les faits. Le regard que porte l'homme sur ses épouse, mère, voisine ou parente reste aussi hors de portée puisque ce n'était pas un sujet qui focalisait l'attention des contemporains. Néanmoins, dans la perspective dynamique de la gender history, une brassée de données quantifiées, puis quelques remarques plus qualitatives aideront peut-être à enrichir les débats de ce colloque.
Rattrapage
L'inclusion des saintes dans le paysage dévotionnel
- 7 André Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age d'après les procès de can (...)
- 8 Magali Reungoat, Le compte du Trésor de l'Épargne dressé par Guillaume Chauvin (1469-1472), [d'apr (...)
4Mieux au fait des inflexions du sanctoral catholique7, le milieu de la cour ducale ne saurait ignorer la promotion des saintes femmes dans la cour céleste à la fin du Moyen Âge. Un inventaire des objets domestiques de prix resserrés par le duc en fournit l'indication : il s'agit du Compte du Trésor de l'Épargne dressé pour François II par Guillaume Chauvin8. Parmi les pièces de toutes sortes qu'il renferme, on relève 75 représentations de personnages divers proposés à la dévotion des responsables du duché : 53 sont des hommes et 22 des femmes. Le sanctoral princier demeure donc fortement dominé par les saints de Dieu, mais la part des saintes femmes n'y est plus tout à fait négligeable.
- 9 L'amiral de France Prigent de Coëlivy apparaît en prière agenouillé devant sainte Geneviève sur l' (...)
- 10 Chronicques & Ystoires des Bretons par Pierre le Baud, éd. Vte Charles de la Lande de Calan, Nante (...)
- 11 Grandes Heures d'Anne de Bretagne, Paris, BnF ms. lat. 9474, P 3.
- 12 Alain Bouchart, Grandes Cronicques..., op. cit. : I, 73 pour sainte Hélène et I, 77 pour sainte Ca (...)
5Celles-ci se répartissent entre deux origines : l'une, que l'on pourrait qualifier d'autochtone dans la mesure où leur légende est censée entretenir un rapport charnel avec les origines chrétiennes du peuple breton, reste très minoritaire avec seulement deux figurations de sainte Anne comme de sainte Ursule (une princesse bretonne de l'île promise au roi Conan d'Armorique, qui subit le martyre avec ses onze mille compagnes après que des vents contraires les eurent jetées sur les côtes d'une Germanie toujours peuplée de païens en leur temps) ; les autres étant françaises9 ou universelles, quoique Catherine d'Alexandrie soit aussi revendiquée à l'occasion pour avoir été la nièce du grand Constantin10, lui-même fils d'Hélène, une princesse bretonne... Cette dichotomie doit bien sûr être relativisée dans ses fondements même légendaires, du fait qu'Ursule est aussi la grande sainte de Cologne en Allemagne et que la grand-mère du Christ est connue partout à travers la chrétienté occidentale : leur inclusion dans la sphère des dévotions familiales de la maison de Bretagne apparaît ainsi largement arbitraire, même si leur parenté est revendiquée avec force par les Montforts comme en témoignera encore en 1508 le célèbre tableau de Jean Bourdichon11 présentant Anne encadrée par ses protectrices naturelles, sainte Anne, sainte Ursule, couronnée et plastronnée d'hermine, tenant en sa main la bannière de Bretagne, ainsi que sainte Hélène, également couronnée, arborant le manteau royal écarlate doublé d'hermine - cette dernière d'ailleurs absente de l'inventaire de Guillaume Chauvin malgré que la mère de Constantin le Grand fût elle aussi longuement présentée comme une princesse bretonne dans les écrits des historiens ducaux travaillant sous le règne d'Anne12.
- 13 Christiane Prigent, Pouvoir ducal, religion et production artistique en Basse-Bretagne (1350-1575) (...)
6La statuaire des xve et xvie siècles démocratise quelque peu ce premier panorama de la sainteté féminine tout en montrant bien qu'elle demeure très minoritaire face aux saints : Christiane Prigent a dénombré 203 saints contre seulement 78 saintes dans les églises et chapelles de la Cornouaille méridionale, avec dans les deux cas une domination numérique des étrangers au duché (77 saints bretons au regard de 126 sans rapport avec l'Armorique), carrément écrasante chez les saintes (4 Bretonnes face à 74 étrangères13). D'autre part, à l'échelle de la Bretagne entière, on remarque que la popularité des bienheureuses autochtones reste pour chacune confinée à quelques lieux de dévotion étroitement bornés, et qu'elles apparaissent toujours en position de subordination « folklorique » à un homme auquel les relie un lien du sang : sainte Gwenn Teirbronn (Blanche aux Trois-Mamelles) et ses trois fils dont Guénolé ; le même Guénolé et sa sœur Chreirbie ; Azénor et son fils Budoc ; Nonne et son fils Divy ; Juvette et son frère Maudez ; Tréphine et son fils Trémeur, etc. Une subordination structurelle, parfois héritée des plus anciens textes hagiographiques armoricains (dans le cas de sainte Gwenn, par exemple), qui ne traduit en tout cas aucune émancipation féminine dans ces rares attestations de saintes légendaires !
- 14 Au sein de la littérature hagiographique d'essence légendaire, on repère aussi comme un frémisseme (...)
- 15 Sainte Catherine de Sienne (1347-1380) vient d être reconnue en lieu et place de sainte Marguerite (...)
- 16 Un inventaire mentionne sa ceinture dès 1357 et les principaux épisodes de sa vie figurent représe (...)
- 17 Christiane Prigent, Pouvoir ducal, religion..., op. cit., note 45 p. 411.
7Il n'empêche, ces Bretonnes font figure d'exceptions. Encore très minoritaires dans la cohorte des bienheureux invoqués en Armorique, la plupart des saintes répertoriées n'entretiennent, en effet, aucune relation, tangible ou imaginaire, avec la chrétienté autochtone14 : elles ont été introduites dans le duché dans la foulée de l'expansion continentale de leurs cultes respectifs. Pour reprendre la liste des figurations notées par Guillaume Chauvin, ce sont Catherine15 avec 8 représentations, Marguerite (dont le chef et la ceinture, pense-t-on couramment alors, sont conservés dans le trésor de la cathédrale de Dol16) 4, Véronique 3, Marie-Madeleine 2 et Apolline 1. La statuaire gothique atteste en sus du succès rencontré par sainte Barbe17.
- 18 pc Charles, témoin 30.
- 19 pc Charles, témoins 16 et 22. Le prince est à l'évidence très attaché à sainte Catherine d’Alexand (...)
- 20 Pour sainte Catherine : dom Morice, Preuves, tome II, col. 58 et tome III, col. 202 ; pour sainte (...)
8Il reste difficile de déterminer à quelle époque précise, pour quelles raisons et par qui leur culte fut initié : très probablement le mouvement procède-t-il des couches supérieures de la société comme le suggèrent à la fois la condition noble ou aisée des femmes qui arborent ces prénoms à la mode et l'intérêt que leur portent certains puissants. Mais cette remarque demeure bien vague : par exception, on apprend que Charles de Blois aurait connu par cœur la vie de sainte Barbe18 et qu'il favorisa sainte Catherine à Dinan en finançant l'amorce de la construction d'une chapelle à son nom19, mais leur popularité paraît solidement établie vers la fin du Moyen Âge, au moins dans certains cas20.
- 21 Christiane Prigent, « La statuaire mariale du xive au xvie siècle en Bretagne : un exemple d'ouver (...)
- 22 Seule parmi les saintes universelles, Catherine fait bonne figure parmi les témoins de l'enquête m (...)
9En témoignent aujourd'hui encore les dix-huit panneaux retraçant la vie de sainte Marguerite d'Antioche sur les lambris de la chapelle Notre-Dame du Tertre en Châtelaudren, rare chef-d'œuvre de la peinture médiévale préservé en Bretagne, comme diverses statues gothiques tardives. Toutefois la Vierge écrase sans conteste par le nombre de ses représentations figurées, martyres et servantes du Christ21 et la société demeure dans ses tréfonds assez indifférente à ces nouvelles venues quand il devient question pour les parents du commun d'arrêter un nom de baptême pour leur fille. La prénomination féminine s'affirme certes très diverse et variée, mais les saintes n'attirent guère, soit que le choix se porte sur un prénom masculin courant simplement féminisé, soit qu'ils puisent dans le stock onomastique, roman et breton dans une moindre mesure, traditionnel dans les familles ou les pays concernés22.
- 23 Connue par le dominicain morlaisien Albert Le Grand qui écrivait au xviie siècle. Haude et Tanguy (...)
10Un phénomène de rattrapage a donc entamé la prépondérance masculine héritée des Dark Ages, sans l'ébrécher véritablement au sortir des siècles féodaux : les saints nouveaux apparus alors et reconnus dans le duché sont tous des clercs - évêques ou abbé cistercien -, les rares promotions féminines paraissant pour encore suspectes, telle Haude aux côtés de son frère saint Tanguy23. Les deux siècles terminaux du Moyen Âge, s'ils promeuvent toujours des hommes sur les autels, n'ignorent plus toutefois les saintes de la chrétienté universelle et permettent de mieux apprécier la part féminine parmi les témoins et les bénéficiaires de la sainteté contemporaine grâce aux trois grandes enquêtes en canonisation dont les actes nous sont parvenus.
Dynamiques
Hommes et femmes dans l'entourage des saints modernes
- 24 pc Yves, témoins 16, 33, 36, 40, 41, 45, 49 et 52.
- 25 pc Charles, témoin 29 : il s'agit de dame Guillemette, épouse de Pierre de Barra, qui accueille le (...)
- 26 L'enquête conduite en Bretagne sur les mérites et les miracles de Vincent ne distingue pas assez c (...)
11Les règles édictées par la papauté à partir du xiiie siècle imposent que les témoins entendus par la commission apostolique ad hoc déposent sur la vie et/ou sur les miracles posthumes de chaque candidat aux autels. Aucune discrimination n'interdit aux femmes de s'exprimer sur ces matières, et elles s'en privent d'autant moins en Bretagne, quand elles le peuvent, que les trois personnages dont l'existence est ainsi passée au crible ont mené chacun une vie publique aux yeux de tous et de toutes : Charles de Blois était laïc et prince ; Yves Hélori juge ecclésiastique dans le diocèse de Tréguier, prédicateur de langue bretonne renommé et recteur de paroisse ; Vincent Ferrier, frère dominicain et prédicateur, illustre à travers la chrétienté entière pour son éloquence théâtrale et communicative. Dans cette mobilisation des souvenirs, huit femmes figurent parmi les cinquante-deux témoins de la vie de l'ancien official24, mais une seule parmi les cinquante-six personnes interrogées sur celle de Charles25 ! La guerre avec ses impondérables tout autant que la spiritualité du duc défunt les ont écartées de façon imparable à ce stade de l'enquête26...
- 27 C'est notamment le cas d'Ancoanta, la dernière fille de Panthanoda qui n'a rien à ajouter à la dép (...)
12Il est certes plus délicat de graduer la valeur informative comme l'intensité émotionnelle des dépositions recueillies, que de les dénombrer, mais force est de reconnaître que certains témoignages féminins ne font que reprendre la substance de précédentes dépositions sans rien y ajouter27, que d'autres demeurent bien superficiels ou, trop généraux dans leur enthousiasme, se révèlent vides de contenu spécifique. À la lecture des actes complets des trois enquêtes en canonisation, il apparaît donc vite que les dépositions masculines s'avérèrent capitales pour la suite car, bien plus nombreuses déjà, leur contenu était en général plus riche et mieux en accord avec les attentes de la papauté, et cela pour des raisons structurelles facilement compréhensibles s'agissant d'un responsable politique devenu, contre son vouloir, chef de guerre et de deux hommes d'Église.
- 28 Ibidem, témoin 5.
13Qui, en effet, mieux que d'anciens condisciples fréquentés aux facultés de Paris ou d'Orléans, pouvaient évoquer la précoce dévotion d'Yves Hélori encore étudiant ? Qui, mieux que ses aides domestiques ou ses visiteurs, pouvaient restituer ses longues veilles employées à éduquer des rudiments de la foi les pauvres accueillis dans son manoir hospice de Kermartin ? Qui, sinon de jeunes prêtres, pouvaient rappeler ses efforts afin de procurer un supplément de formation religieuse à des volontaires levés parmi le clergé de Tréguier, qui ne s'estimaient pas suffisamment instruits28 ? Il en va de même pour Charles, fils cadet du comte de Blois, formé parmi d'autres jeunes nobles qui remarquèrent, parfois alors pour s'en gausser, son attirance juvénile pour les exercices de piété, devenu par le mariage imposé par son père un prince qui a toujours vécu entouré des nombreux serviteurs nécessaires à son rang, d'officiers en tout genre et de militaires envahissants à cause des circonstances particulières de son règne contesté. Seul le souvenir porté de Vincent Ferrier fait exception à cette règle d'une structurelle prédominance masculine puisque, étranger au duché par ses origines comme par sa longue carrière, il y pénétra en 1418 entouré d'une équipe restreinte de clercs dont, en 1453-1454, les membres ont disparu ou sont dispersés à l'heure de l'enquête, laissant ainsi la parole à son auditoire des deux sexes.
- 29 Elle apparaît bien dans l'enquête, mais comme témoin d'un miracle advenu grâce à une relique, un c (...)
- 30 Ibidem, témoin 42 : Adelicia, fille d'Hamon Derte, et Raudelena, toutes deux de Tréguier et défunt (...)
- 31 Dès le temps de sa jeunesse, Charles se retire sitôt qu'il entend évoquer à la cour de son père de (...)
- 32 Jean-Christophe Cassard, « Le légat catéchiste. Vincent Ferrier en Bretagne (1418-1419) », Revue H (...)
14Dans ces conditions, l'entourage masculin est le seul à même d'introduire à leur personnalité profonde comme à leurs actes, puisque les femmes demeurent confinées sur les marges de leur existence de par leur statut mais aussi de façon délibérée. Yves Hélori entretient des relations assez distantes avec sa sœur Catherine29, mais il n'hésite pas à héberger onze ans durant une pauvresse, Panthanoda, arrivée à Kermartin en compagnie de son mari, Rivallon le Jongleur, et de leurs quatre enfants. Il peut aussi compter sur l'aide matérielle que lui procurent une poignée de femmes pieuses au Minihy-Tréguier, celles que l'on appelle « les sœurs de saint Yves30 ». Des relations de Charles avec Jeanne de Penthièvre, les témoins ne nous apprennent rien sinon qu'il fut toujours chaste, c'est-à-dire fidèle à son épouse31... Quant à Vincent Ferrier, pendant sa dernière maladie qui le fait revenir et mourir à Vannes en 1419, il tombe sous la coupe de Jeanne de France, duchesse de Bretagne, qui, avec ses dames d'atour, veille l'agonisant puis pourvoit à l'organisation de ses obsèques solennelles32.
- 33 L'influence de la mère d'Yves Hélori sur la vocation de son fils m'est apparue déterminante : Jean (...)
- 34 PC Yves, témoins 2, 19 et 34. Il facilite aussi la défense de veuves menacées de procès injustes a (...)
- 35 pc Charles, témoin 21.
- 36 Ibidem, témoins 24 et 38.
15Mais quelle perception avaient-ils tous trois des femmes en dehors de leur entourage familier33 ? Sans doute d'abord celle de pauvresses auxquelles il convenait de faire la charité, avec des inflexions particulières à chacun : en tant qu'officiai, Yves Hélori se montre très sourcilleux sur la question des jeunes filles abusées par un suborneur qui leur avait promis le mariage puis s'était rétracté34 ; Charles de Blois se préoccupe du salut de l'âme d'une prostituée, qu'il engage de vive voix à changer de vie, à laquelle il donne une certaine somme d'argent pour se constituer une dot grâce à laquelle elle trouvera un époux... ce qui fut le cas, nous dit-on, car depuis elle mène une vie de femme honnête35. On remarquera aussi que s’efforçant d'aider des orphelins méritants, le prince infléchit sa conduite à leur égard en fonction de leur sexe : s'il finance les études des garçons jugés les plus doués afin qu'ils deviennent clercs, il dote les filles pour les marier décemment36...
- 37 Lorsqu'il dort avec la duchesse, Charles enlève son cilice et n'impose pas à Jeanne de partager sa (...)
- 38 Ibidem, témoin 29 : le duc n'hésite pas à traverser à pied une rue pour venir saluer son hôtesse e (...)
- 39 pc Yves, témoins 4 et 16. Il est aussi le confesseur de Jeanne de Beuc-Maner, mère du chevalier Ge (...)
- 40 Ibidem, témoin 4.
- 41 Ibidem, témoins 1 (chez Jean de Kerhoz, pour complaire à l'épouse de son ancien précepteur), 4 et (...)
- 42 Ibidem, témoins 25, 38, 42, 43 et 51.
- 43 Ibidem, témoins 97 et 98.
- 44 Ibidem, témoin 52.
- 45 Il soulage également de leurs douleurs les femmes enceintes en imposant ses mains sur leur ventre.
16Cette vision misérabiliste se combine avec des relations de sociabilité apparemment normales entretenues avec les dames de sa cour chez Charles37, et même avec une bourgeoise de Saumur qui viendra témoigner de sa politesse constante à son égard malgré leur différence de rang38 ; Yves, qui n'a jamais rompu avec son milieu d'origine, la noblesse trégorroise, devient le confesseur et le conseiller spirituel d'une dame de bonne maison, Constance de Roscanvel, qu'il accompagne en pèlerinage à Locronan avec ses trois filles, quitte à s'arrêter de chevaucher à un carrefour afin de lui permettre de se reposer un peu39, tout comme il exerce son ascendant sur des demoiselles auxquelles il conseille d'épouser le Christ plutôt que de fonder un foyer, notamment Aylicie, la sœur du seigneur de Mûr et quelques-unes de ses compagnes40. Pour ne pas froisser ses amies nobles, invité à leur table Yves consent à tempérer son abstinence habituelle en mélangeant de vin son eau ou en ajoutant un dîner à son unique repas quotidien41. Bref, l'héritier de Kermartin sait se conduire en société et ne pas heurter ses hôtes ! Il n'hésite pas non plus à pénétrer seul dans la maison d'une femme malade ou ayant besoin d'une aide spirituelle42, accepte de cheminer en compagnie de deux pèlerines de Lanmeur parties seules sur les routes43 et, déjà rendu à l'agonie, il ne repoussera pas une femme enceinte, dont il était le confesseur, en dépit du moment pour le moins fort mal choisi de sa visite44 ! Vincent, quant à lui, fait preuve en toute occasion d'une grande politesse envers les femmes et les soulage de la migraine en imposant ses mains sur leur tête45.
- 46 pc Yves, témoins 4 (le seigneur de Coëtpont, dont Yves déclare qu'il se serait arrêté au carrefour (...)
- 47 Ibidem : 3 déments (témoins 106, 120 et 190) et un dément habité par le démon (témoin 100) pour 5 (...)
- 48 Ibidem, témoins 8, 20, 22, 30. 35, 36, 42, 43 et 44.
- 49 Ibidem, témoin 31 : ce couple aurait vécu dans la continence depuis vingt-cinq ans après avoir été (...)
17Le saint contemporain de l'automne du Moyen Âge n'est donc plus un être bourru retiré au fin fond des bois ou terré derrière l'abri de la clôture monastique : il aborde sans hésitation toutes celles qui viennent à lui et fréquente celles que les convenances lui imposent de fréquenter. Remarquons au passage que le sexe dit faible n'incarne plus au xive siècle l'instrument de prédilection du démon sur terre : on repère plus de seigneurs lubriques que de filles folles de leur corps (ils sont quatre nommément cités à avoir changé de vie sur les admonestations d'Yves Hélori46), et les esprits possédés de Satan se partagent assez équitablement entre déments et démentes47. Le machisme clérical, la peur panique devant la souillure appelée jadis, comme inexorablement, par le beau sexe, ne hantent plus les hérauts du Seigneur malgré toute l'insistance mise par saint Yves à exalter la chasteté48, y compris dans les relations conjugales49, malgré son dégoût de la luxure sous toutes ses formes : il s'agit là de l'un des leitmotiv obsessionnels de ses prêches, mais cela s'adresse d'abord aux hommes, les premiers et presque les seuls coupables en ces déplorables matières. En tant qu'être humain voulu par Dieu, la femme est reconnue dans sa dignité de chrétienne.
- 50 Jean-Christophe Cassard, « Le saint et l'enfant en Bretagne au bas Moyen Âge », Mémoires de la Soc (...)
- 51 Jean-Christophe Cassard, « Le légat catéchiste... », article cité, p. 336-337.
18Toutefois cette familiarité de bon aloi comme cet apostolat universel demeurent assez distants et ne prennent pas en compte les soucis spécifiques de l'un et l'autre sexe. Seul Vincent Ferrier se distingue par sa conduite apaisante à l'égard des femmes souffrant de céphalée — tout comme il se différencie de son prédécesseur par son intérêt pastoral pour les enfants et les jeunes gens50 tandis que le commun des adultes bénéficie de ses prêches, mais hommes et femmes ségrégés par une corde tendue entre eux par ses aides. Ensemble certes, quoique séparés en deux groupes bien distincts, ce qui paraît constituer une innovation en Bretagne51. Le genre n'inhibe donc plus la spiritualité des saints modernes : malgré tout, l'enseignement des vérités élémentaires de la religion, le souci des pauvres, l'attention à l'âme des défunts sont des thèmes autrement porteurs qui concernent l'ensemble des êtres humains ayant reçu l'eau régénérante du baptême.
- 52 Exception faite d'une jeune femme mariée, enlevée par des soldats, violée par ces soudards, devenu (...)
- 53 Jean-Christophe Cassard, « Le saint et l'enfant... », article cité, p. 139-147.
- 54 Une bourgeoise de La Roche-Derrien obtient pour son fils, embarqué sur une nave en difficulté dans (...)
- 55 Jean-Christophe Cassard, « Le saint et l'enfant … » article cité, p. 142.
19Une identique absence de discrimination sexuée se retrouve à l'étape suivante de l'enquête, celle des miracles obtenus à l'intercession du saint en devenir. Ici cependant les sphères masculine et féminine se démarquent d'abord avec assez de netteté. Il est des miracles réservés aux hommes : tout ce qui tourne autour de la guerre passée et présente dans l'enquête sur Charles de Blois52 (guérisons de blessures, libérations jugées miraculeuses, protections en situation de danger, etc.). Il en est d'autres qui ressortent exclusivement du féminin, notamment tout ce qui relève de l'enfantement (grossesses difficiles, enfantements périlleux, fièvres puerpérales). Bénéficiaires comme émettrices du vœu sont alors des mères, tantes, nièces ou simples voisines agissant comme matrones ou spectatrices désolées. La répartition sexuée des rôles se brouille néanmoins aussitôt que l'on aborde la petite enfance : la maladie mortelle comme l'accident inopiné survenu au nourrisson, plus encore à l'enfant voire à l'adolescent désolent de la même façon pères et mères, oncles et amies, sans que l'on puisse discerner une quelconque sphère de déploration discriminée par le genre53. Il en va de même pour les aléas de la vie courante même si, bien sûr, les miracles maritimes sont à très forte implication masculine54, comme ceux de la route. Enfin, les garçons s'affirment à tous les âges de la vie plus turbulents que les petites filles et donc plus exposés qu'elles à des accidents55.
- 56 Onze mères vouent leur enfant à saint Yves, contre trois pères (dans trois autres cas, c'est le co (...)
20L'observation fine des conduites rogatoires et gratulatoires va dans le même sens. Il s'agit de savoir qui implore le Seigneur par l'entremise d'un résident supputé de la cour céleste, puis qui accomplit le vœu auquel on s'était engagé à l'heure du malheur : autrement dit, à qui revient l'initiative et quelle personne tient parole en accomplissant les gestes promis ? Là encore la réponse sociale montre bien qu'offrandes de cierges et pèlerinages sont pris en charge par toute la parentèle lorsque les bénéficiaires ne peuvent le faire eux-mêmes pour des raisons d'âge ou de commodité : il n'est pas rare de voir des pères et des mères venir ensemble au tombeau ou devant l'image du saint pour rendre grâce à la place de leur enfant miraculé, à moins qu'ils ne l'accompagnent ou qu'un seul parent se déplace avec le plein assentiment de l'autre56. La clientèle des sanctuaires renommés pour leur efficacité n'a rien de sexuée, au contraire !
21Ainsi, hormis les circonstances exceptionnelles nées de la guerre et certaines pratiques professionnelles à risque, les saints intercèdent sans discrimination sexuelle ni préjugé quelconque en faveur de ceux comme de celles qui les implorent dans la sincérité de leur cœur de croyant(e)s : aux xive et xve siècles, toute trace de misogynie ou de préférence masculine semble effacée des interventions du Ciel sur la terre d'Armorique. Ce terreau épuré des vieux clichés reliant la femme au diable, apparaît ainsi tout préparé à accepter l'émergence nouvelle de la sainteté au féminin.
Émergences
Une sainteté féminine désormais envisageable ?
- 57 André Vauchez, La sainteté en Occident..., op. cit., tableaux p. 316-317.
22Les lourdes procédures juridiques mises en place par la papauté afin de contrôler de bout en bout les processus de béatification ou de sanctification, favorisent de façon presque unilatérale la part masculine de l'humanité : entre 1198 et 1431, 81,7 % des enquêtes et 85,7 % des décisions positives concernent des hommes. Nulle surprise à cela d'ailleurs puisque la sainteté intéresse à cette époque le personnel épiscopal au premier chef. Il n'empêche. Lorsqu'on tourne le regard vers la sainteté laïque, très minoritaire, le pourcentage des femmes pieuses bondit à 55,5 % (pour 58,8 % des procès57) et la Bretagne n'échappe pas à cette tendance de fond favorable à la promotion de dames demeurées dans le siècle durant la plus grande partie ou la totalité de leur vie.
- 58 pc Charles, témoin 162.
- 59 Jean-Christophe Cassard, « Les pèlerins à Charles de Blois. Un enjeu politique dans la Bretagne de (...)
23Il n'est peut-être pas indifférent de constater que les premiers balbutiements dans le duché d'une dévotion à feu le duc Charles émanent de dames liées à son parti (à Saint-Brieuc, vers la fin de l'année 1364 qui vit la mort du prince à Auray, l'épouse du chevalier Pierre Bressin, qui souffrait d'une fièvre continue depuis plusieurs semaines, est guérie sur les conseils de la fille de Jean de Beaumanoir de tourner ses implorations vers le défunt, ainsi qu'elle-même venait de le faire avec succès58), avant que le culte ne soit véritablement lancé par l'arrivée à Guingamp d'étranges pèlerins, des enfants originaires du Blésois et de l'Anjou59. Faut-il discerner dans ce précoce intérêt éprouvé par une poignée de demoiselles, comme l'amorce du rapprochement en cours entre les femmes et la sainteté ?
- 60 Jean-Christophe Cassard, « Propagande partisane et miracles engagés dans la guerre de Succession d (...)
- 61 La Vie de la bienheureuse et les dépositions reçues lors de l'enquête préliminaire sont publiées d (...)
24En tout cas, une autre femme, qui sera proclamée bienheureuse en 1871, participe de la faveur qui entoure un temps le duc trépassé puisqu'elle possède un fragment de son cilice, comme elle manifeste une réelle dévotion envers saint Yves que Charles avait lui-même activement contribué à promouvoir sur les autels en 134760. Il s'agit de Jeanne-Marie de Maillé, épouse virginale de Robert de Sillé-le-Guillaume : sa Vie est rédigée dès 1414, l'année de sa mort, par son confesseur franciscain, Martin de Boisgaultier, en parallèle avec le procès informatif diocésain dont les pièces nous sont parvenues61.
25Certes, il est assuré que Jeanne-Marie ne vint jamais en Bretagne, mais elle tisse depuis Tours — où elle vit en recluse volontaire à partir de 1362 dans la ferme intention d'échapper aux siens qui voulaient la remarier après son veuvage — des liens forts avec nombre de dames adhérant par leur famille au parti de Penthièvre. Elle côtoie ainsi Marie de Bretagne (†1404), la fille aînée du vaincu d'Auray, devenue reine de Sicile par son mariage avec Louis d'Anjou, dont Jeanne-Marie devient la marraine de l'un des fils, mais aussi Isabelle d'Avaugour († 1400), dame de Mayenne et comtesse de Thouars, la tante de Jeanne de Penthièvre, fondatrice avec son époux des Cordeliers de Dinan, Isabelle de Clisson, de la parenté du connétable Olivier, la dame de La Hunaudaye, une Tournemine, ou, à la génération suivante, Marie de Montfort-Laval, comtesse d'Alençon et du Perche. Toutes ces femmes pieuses trouvent en Jeanne-Marie conseils et réconfort spirituel, tout en lui assurant en retour une aide matérielle puisqu'elle a volontairement abandonné ses biens et se trouve réduite à la mendicité. Par cet aréopage pénètre peu à peu dans l'aristocratie bretonne l'idée qu'est possible une déclinaison au féminin de la spiritualité mendiante, idée que conforte encore, au sein du parti adverse, par sa personnalité et son action la duchesse Jeanne de France († 1433), fille de Charles VI, auprès de Jean V dans les premières décennies du xve siècle.
26La figure de Jeanne-Marie de Maillé ne concerne néanmoins que de façon marginale le duché. Françoise d'Amboise (1427-1485), elle, est bien bretonne par son extraction (elle est la fille aînée de Marie de Rieux, représentante d'un important lignage féodal) et par son mariage en 1442 avec le futur Pierre II († 1457), comme elle le demeure par sa vie de veuve attachée au célibat puis de religieuse cloîtrée. Piétisme et renonciation au monde : les caractères dominants de son existence traduisent cette piété personnelle, influencée par la devotio moderna, que l'on repère à la même époque chez de nombreuses dames de l'aristocratie à travers leurs livres d'heures fatigués à force d'avoir servi, mais portée chez elle à un point d'exacerbation inédit puisque la duchesse douairière refuse de se remarier en dépit des pressions que Louis XI exerce sur elle pour qu'elle convole à nouveau en justes noces avec Philippe de Savoie.
- 62 Hervé Martin, Les ordres mendiants en Bretagne, vers 1230-vers 1530, Rennes, 1975, p. 69-70, 125 e (...)
27Dès le temps où elle était duchesse régnante, elle apporte son concours à l'installation des clarisses à Nantes le 8 juin 1455, mais ce n'est pas cet ordre qu'elle élit en définitive. Avec quatre de ses demoiselles, elle prend, en effet, le voile le 25 mars 1468 chez les carmélites de Bondon près de Vannes (neuf sœurs venues de Liège s'y étaient installées le 31 octobre 1463), avant d'être élue prieure de cet établissement qu'elle quittera néanmoins, en compagnie de neuf de ses sœurs, pour s'établir aux Couëts près de Nantes en décembre 1477 suite à des dissentiments locaux avec ses voisins chartreux (elle obtiendra dès 1479 la réunion des deux maisons sous son autorité avec la fermeture provisoire de Bondon62).
28Son action comme princesse puis son choix de la vie contemplative amorcent une nouvelle époque, celle de la multiplication à venir des couvents féminins en Bretagne et donc d'une certaine normalisation de la province en ce domaine, sans rupture cependant chez elle avec la tradition familiale : Françoise d'Amboise vénère sainte Ursule et les vierges martyres. Alors qu'elle vit encore dans l'état laïc, elle distribue chaque mercredi cinq « petits blancs » à onze jeunes filles pauvres qu'elle avait conviées à sa table auparavant ; elle effectue en outre une fondation perpétuelle en l'honneur de sainte Ursule dans l'église des chartreux de Nantes, en faveur des filles déshéritées. Après ses vœux définitifs, par son exemple elle conforte dans le duché la viabilité du monachisme féminin. Mais est-elle pour autant une sainte médiévale en vérité ?
- 63 Père Vital Wilderinck, « Les Exhortations de la Bienheureuse Françoise d'Amboise », Carmelus, vol. (...)
29On sait que le pape Pie IX procède à sa béatification en 1863 seulement, au su du culte immémorial dont elle fait l'objet car, en l'absence d'une enquête en bonne et due forme, les pièces manquent pour un procès régulier. Non que Françoise n'ait laissé aucune trace tangible de son existence, au contraire : en dehors des actes officiels dans lesquels elle paraît, princesse cultivée, elle a rédigé ou participé à la rédaction de deux ouvrages notables, les Constitutions des Carmélites de Bretagne et les Exhortations63 écrites pour partie de sa main, aidée par Julien Soreth, général des carmes en France († 1471) et actif promoteur d'une réforme générale de son ordre. Pourtant le caractère léger de François II - un duc tourné vers les plaisirs faciles, qui affichait en sa jeunesse Antoinette de Maignelais, une maîtresse quasi officielle à la cour de Nantes - puis les soucis de la fin de son règne ne l'incitent guère à promouvoir l'expérience de sa parente par alliance ; Anne, pas mieux que son père, n'agit en faveur de celle qui aurait pu devenir la plus haute illustration des vertus intrinsèques de la maison de Bretagne. Et bientôt Françoise d'Amboise sort des mémoires avec l'incorporation du duché dans un royaume vite happé par les tourments de la Réforme protestante.
- 64 Sur une vingtaine de livres répertoriés dans son hagiographie, la première moitié du xviie siècle (...)
30Il faut attendre le xviie siècle pour la voir revenir sur le devant de la scène64 : Albert Le Grand, le dominicain morlaisien, lui consacre une rubrique de ses Vies des saints de la Bretagne armorique parues en 1636, bientôt imité par plusieurs écrivains soucieux de fonder en dignité mémorielle la geste nouvelle des congrégations féminines dans la France de la réforme catholique. Par l'entremise de cette résurrection de papier Françoise d'Amboise appartient plutôt à l'âge baroque qu'aux temps médiévaux : sa promotion récurrente signe alors, en quelque sorte, l'effacement d'une anomalie pluriséculaire héritée des préventions entretenues jadis par la religiosité brittonique à l'encontre du mode de vie, de l'existence même de moniales en Armorique. L'intégration réussie de cette province dans l'espace français et celle, concomitante, dans le courant tridentin de la catholicité passent aussi par la reconnaissance d'une authentique Bienheureuse autochtone, que la papauté entérine au xixe siècle seulement.
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31Décidément, la sainteté féminine ne coulait pas de source parmi les rétifs enfants de la péninsule occidentale ! Il resterait à déterminer les raisons sociales, et plus précisément les racines anthropologiques de cette longue réticence opposée à la femme bretonne dans la sphère du religieux, mais cela est-il possible en l'état de notre information ? On peut douter que jamais les causes de ce dimorphisme d'une durée presque millénaire soient reconnues par l'histoire du genre.
Notes
1 L'auteur de la vita prima de saint Guénaël (éd. Fañch Morvannou, Saint Guénaël, Brest, 1997, p. 69) rappelle qu'après le décès du bienheureux son abbaye demeura longtemps fermée aux laïcs comme aux femmes ; celui de la seconde rédaction de la Vie attribue à Nominoë l'ouverture de l'enceinte monastique à tous (ibidem, p. 96-97).
2 Les seuls établissements monastiques féminins sont Saint-Georges de Rennes et Locmaria de Quimper aux temps féodaux. Il est pour le moins curieux de constater que quatre des cinq premières religieuses connues de Locmaria portent au xie siècle des noms germaniques : Arthur de La Borderie, « Chartes inédites de Locmaria de Quimper », Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, tome XXIV, 1896, p. 97. Par la suite, le rattrapage est encore très timide à l'heure cistercienne avec une seule création féminine (Notre-Dame de la Joie, près d'Hennebont, entre 1250 et 1273) tandis que les ordres mendiants ne brillent pas mieux par leurs fondations, toutes de la seconde moitié du xve siècle avec les Clarisses de Nantes (1458) et de Dinan (1488), et les Carmélites du Bondon près de Vannes (1463) et des Couëts près de Nantes (1477).
3 Jean-Christophe Cassard, « La femme bretonne au haut Moyen Âge », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, tome 93/2, 1986, p. 127-153, spécialement p. 130.
4 Arthur de La Borderie (et alii), Monuments originaux de l'histoire de saint Yves, Saint-Brieuc, 1887 (enquête de 1330 à Tréguier) ; Albert de Sérent, Monuments du procès de canonisation du Bienheureux Charles de Blois, Saint-Brieuc, 1921 (enquête de 1371 à Angers) ; Pierre-Henri Fagës, Procès de la canonisation de saint Vincent Ferrier, Paris, 1904 (enquête de 1453-1454 à Vannes et dans sa région). Par commodité, nous désignerons ci-après ces sources sous les formes abrégées pc Yves, pc Charles et pc Vincent.
5 « Du 11e au 15e, pendant la période dite féodale et ducale, la place occupée par la femme dans la documentation écrite et figurée s'accroît notablement, mais elle y tient simplement des rôles, au sens théâtral du terme, à bonne distance de sa condition réelle, dont nous ne percevons que des échos atténués » : Hervé Martin, « Les femmes du Moyen Âge entre symboles et réalités », dans Femmes de Bretagne, Alain Croix et Christel Douard (dir.), Rennes, 1998, p. 25-43, citation extraite de la p. 25.
6 Jean-Christophe Cassard, « Les princesses de Bretagne. Approches matrimoniales d'une politique de souveraineté (xiiie-xve siècles) », dans Reines et princesses au Moyen Âge, Montpellier, 2001, p. 187-203.
7 André Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age d'après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, 1981, spécialement p. 315-318 et 410-448.
8 Magali Reungoat, Le compte du Trésor de l'Épargne dressé par Guillaume Chauvin (1469-1472), [d'après Arch. dép. Loire-Atlantique, E/205 1], ter, ubo, Brest, 1996, 2 vol., tome I. p. 167.
9 L'amiral de France Prigent de Coëlivy apparaît en prière agenouillé devant sainte Geneviève sur l'une des miniatures illustrant son livre d'heures réalisé vers 1443 : image reproduite dans Michel Mauger, Bretagne chatoyante. Enluminures et histoire, Rennes, 2002, p. 100-101.
10 Chronicques & Ystoires des Bretons par Pierre le Baud, éd. Vte Charles de la Lande de Calan, Nantes, tome I, 1907 : livre II, chapitre 31, p. 208-209 sur sainte Hélène, et tome II, 1910 : livre III, chapitre 3, p. 11 -14 sur sainte Ursule et les Onze mille vierges. « Les hystoires dessusdictes ay je bien voulu réciter affin que Ton congnoisse la magnificque noblesse de la generation de madame saincte Katherine, de laquelle Constantin premier de ce nom, roy de Bretaigne et depuis empereur, estoit ayeul paternel Et son filz Constantin le Grant, qiu fut breton, roy de Bretaigne et filz d'une Brette, et depuis fut empereur, estoit son oncle paternel, qui est moult grant honneur aux princes bretons d'avoir en la court celeste une telle parente » : Alain Bouchart, Grandes Cronicques de Bretaigne, éd. Marie-Louise Auger et Gustave Jeanneau, Paris, 1986, tome I, livre I, chapitre 77, 1 p. 179.
11 Grandes Heures d'Anne de Bretagne, Paris, BnF ms. lat. 9474, P 3.
12 Alain Bouchart, Grandes Cronicques..., op. cit. : I, 73 pour sainte Hélène et I, 77 pour sainte Catherine. Mais Bouchart réfute la légende armoricaine des Onze mille vierges et ne prononce même pas le nom de sainte Ursule (livre II, 3, 2), au contraire de la Chronique de Saint-Brieuc, éd. Gwénaël Le Duc et Claude Sterckx, Rennes-Paris, 1972 qui incorpore sainte Hélène, p. 88-91 et les Onze mille vierges, p. 132-135, mais pas sainte Ursule !
13 Christiane Prigent, Pouvoir ducal, religion et production artistique en Basse-Bretagne (1350-1575), Paris, 1992, p. 402-403. Les saintes étrangères sont, par ordre décroissant, Barbe avec 29 figurations, Catherine 19, Marguerite 14, Appoline 3 et Madeleine 2 ; les bretonnes, Brigitte 2, Gwenn et Tréphine 1 chacune.
14 Au sein de la littérature hagiographique d'essence légendaire, on repère aussi comme un frémissement à la fin du Moyen Âge ainsi qu'en témoigne la promotion de sainte Noyale autour des importantes foires rurales de Noyal-Pontivy, dont la puissante et ambitieuse famille des Rohan détenait les droits : Bernard Tanguy, « Une sainte topique du pays de Vannes : sainte Noyale », dans Britannia Monastica, Rennes et Landévennec, n° 6, 2002, p. 191-214.
15 Sainte Catherine de Sienne (1347-1380) vient d être reconnue en lieu et place de sainte Marguerite d'Antioche foulant un dragon dans la chapelle du Loc en Saint-Avé (notice de Philippe Guillo dans ArMen, n° 121, mai 2001, p. 56-57). Elle figure aussi sur un bas-relief de la fontaine du parc de l'abbaye de Daoulas. De même, une statue en kersanton de sainte Catherine d'Alexandrie, datable du xve siècle, vient d'être signalée parmi les quatre statues masquées derrière le retable de l'Ange gardien dans l'église de Plabennec (notice Plabennec d'Yves-Pascal Castel dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, tome CXXX, 2001, p. 161).
16 Un inventaire mentionne sa ceinture dès 1357 et les principaux épisodes de sa vie figurent représentés sur la verrière du chevet de la même église datée de 1411, avec une nette insistance sur son rôle de protectrice des femmes enceintes : chanoine Guillotin De Corson, Fouillé historique de l'archevêché de Rennes, Paris-Rennes, 1880, tome I, p. 529 et 533-534.
17 Christiane Prigent, Pouvoir ducal, religion..., op. cit., note 45 p. 411.
18 pc Charles, témoin 30.
19 pc Charles, témoins 16 et 22. Le prince est à l'évidence très attaché à sainte Catherine d’Alexandrie : il jeûne la veille de sa fête (ibidem, témoins 10, 19, 24, 28 - qui ajoute un jeûne la veille de la sainte Marguerite -, 34, 38, 45, 46, 47, 51 et 56) et fait distribuer des aumônes aux pauvres ce jour-là (ibidem, témoin 51).
20 Pour sainte Catherine : dom Morice, Preuves, tome II, col. 58 et tome III, col. 202 ; pour sainte Christine en Locmalo, ibidem, tome II, col. 972-975.
21 Christiane Prigent, « La statuaire mariale du xive au xvie siècle en Bretagne : un exemple d'ouverture sur le monde extérieur », dans 1491. la Bretagne terre d'Europe, Tanguy Daniel et Jean Kerhervé (dir.), Brest-Quimper, 1992, p. 383-404.
22 Seule parmi les saintes universelles, Catherine fait bonne figure parmi les témoins de l'enquête menée sur Yves : 6 déposantes, sur 63, arborent son prénom : PC Yves, témoins 54, 74, 124, 127 (Catherine Hélori, la sœur du futur saint Yves), 170 et 196, aux côtés de 3 Jeanne. Quatre Marguerite sont signalées dans l'enquête sur Charles, avec une seule Catherine et une Anne. Au xve siècle, parmi les 93 témoins féminins (sur 313) de l'enquête sur Vincent, les 31 Jeanne écrasent de leur nombre les 6 Catherine et les 4 Marguerite, elles-mêmes distancées par les 10 Pierrette et les 9 Guillemette. Pour autant qu'on puisse le généraliser à partir des rares dames astreintes aux obligations militaires telles qu'attestées par les « montres », Jeanne vient en tête, devant Catherine, Marguerite et Marie (Anne demeurant fort rare avant le xvie) : Michel Nassiet, « Dévotions et prénomination dans la noblesse bretonne aux xv et xvie siècles », dans Église et société dans l'Ouest catholique du Moyen Age au xxe siècle, Nantes, 2000, p. 118.
23 Connue par le dominicain morlaisien Albert Le Grand qui écrivait au xviie siècle. Haude et Tanguy auraient été les enfants du seigneur de Trémazan en Landunvez, autrement dit la souche légendaire des célèbres Du Chastel... Le personnage de sainte Enora, épouse virginale de saint Efflam, tel qu'aperçu dans la Vie de ce dernier (du xiie siècle ?), mériterait un travail particulier que nous ne pouvons amorcer ici faute de place.
24 pc Yves, témoins 16, 33, 36, 40, 41, 45, 49 et 52.
25 pc Charles, témoin 29 : il s'agit de dame Guillemette, épouse de Pierre de Barra, qui accueille le duc dans sa maison lors de ses séjours à Saumur.
26 L'enquête conduite en Bretagne sur les mérites et les miracles de Vincent ne distingue pas assez clairement les dépositions sur les deux volets de son existence pour qu'on puisse en tirer parti aussi simplement.
27 C'est notamment le cas d'Ancoanta, la dernière fille de Panthanoda qui n'a rien à ajouter à la déposition de sa sœur Amicie : PC Yves, témoin 49.
28 Ibidem, témoin 5.
29 Elle apparaît bien dans l'enquête, mais comme témoin d'un miracle advenu grâce à une relique, un chaperon, qu'elle conservait de son frère pour la prêter à qui la lui demandait, non comme témoin privilégié de sa vie terrestre : ibidem, témoin 126. Son beau-frère l'accusait quant à lui de brader son patrimoine et le tenait pour un prodigue : ibidem, témoin 32.
30 Ibidem, témoin 42 : Adelicia, fille d'Hamon Derte, et Raudelena, toutes deux de Tréguier et défuntes en 1330. qu'Yves avait converties.
31 Dès le temps de sa jeunesse, Charles se retire sitôt qu'il entend évoquer à la cour de son père des filles de mauvaise vie, ces femmes « assises sur leur pudeur » (pc Charles, témoins 5, 6, 31). Prisonnier en Angleterre, il chasse de sa compagnie un damoiseau qui, pensant bien faire, avait introduit une fille légère à son intention (ibidem, témoin 18).
32 Jean-Christophe Cassard, « Le légat catéchiste. Vincent Ferrier en Bretagne (1418-1419) », Revue Historique, tome CCXCVIII/2, 1998, p. 323-342, spécialement p. 339-341.
33 L'influence de la mère d'Yves Hélori sur la vocation de son fils m'est apparue déterminante : Jean- Christophe Cassard, Saint Yves de Tréguier. Un saint du xiiie siècle, Paris, 1992, p. 52-55.
34 PC Yves, témoins 2, 19 et 34. Il facilite aussi la défense de veuves menacées de procès injustes auxquelles elles seraient incapables de faire face : témoins 3 et 46.
35 pc Charles, témoin 21.
36 Ibidem, témoins 24 et 38.
37 Lorsqu'il dort avec la duchesse, Charles enlève son cilice et n'impose pas à Jeanne de partager sa couche habituelle : elle garde son lit et il s’étend à côté d'elle sur une paillasse.
38 Ibidem, témoin 29 : le duc n'hésite pas à traverser à pied une rue pour venir saluer son hôtesse en dépit de la flaque de boue qui l'obstrue ; il s'adresse toujours à elle en enlevant son chapeau et en la vouvoyant, comme il le fait pour tous les humbles qui lui parlent et même pour ses serviteurs.
39 pc Yves, témoins 4 et 16. Il est aussi le confesseur de Jeanne de Beuc-Maner, mère du chevalier Geoffroy de Tournemine, de la famille d'un évêque de Tréguier : ibidem, témoin 174.
40 Ibidem, témoin 4.
41 Ibidem, témoins 1 (chez Jean de Kerhoz, pour complaire à l'épouse de son ancien précepteur), 4 et 16 (sur les instances de Jeanne de Roscanvel), 33 (à la demande d'Olivier Charruel, chevalier, et d'Oliva son épouse).
42 Ibidem, témoins 25, 38, 42, 43 et 51.
43 Ibidem, témoins 97 et 98.
44 Ibidem, témoin 52.
45 Il soulage également de leurs douleurs les femmes enceintes en imposant ses mains sur leur ventre.
46 pc Yves, témoins 4 (le seigneur de Coëtpont, dont Yves déclare qu'il se serait arrêté au carrefour où il prêchait si à sa place il y avait eu quatre filles et un tambour du diable...), 35 (Derrien de Kergoat, noble violent et violeur, et Aucrède Rimenton, clerc débauché, tous deux de Louannec, qu'Yves convertit et expédia à Rome en pèlerinage expiatoire), 46 (Geoffroy Carbanec, débauché converti).
47 Ibidem : 3 déments (témoins 106, 120 et 190) et un dément habité par le démon (témoin 100) pour 5 démentes (témoins 61, 108, 110, 111 et 112) ; PC Charles : 2 déments (témoins 164 et 177) pour une femme folle après avoir été violée (témoin 120).
48 Ibidem, témoins 8, 20, 22, 30. 35, 36, 42, 43 et 44.
49 Ibidem, témoin 31 : ce couple aurait vécu dans la continence depuis vingt-cinq ans après avoir été convaincu par lui de l'horreur de la luxure.
50 Jean-Christophe Cassard, « Le saint et l'enfant en Bretagne au bas Moyen Âge », Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, tome LXXV, 1997, p. 127-147, spécialement p. 137- 138.
51 Jean-Christophe Cassard, « Le légat catéchiste... », article cité, p. 336-337.
52 Exception faite d'une jeune femme mariée, enlevée par des soldats, violée par ces soudards, devenue démente suite à ce traumatisme puis guérie sur le tombeau du duc à Guingamp : PC Charles, témoins 120 et 125. Elle est originaire de l'Ouest de la France où la guerre se poursuit dans les années 1370. Les textes les plus significatifs extraits de l'enquête sur Charles sont produits dans Jean-Christophe Cassard, L'Hermine ensanglantée. Naître et survivre au xive siècle, Skol Vreizh n° 47, Morlaix, 2000.
53 Jean-Christophe Cassard, « Le saint et l'enfant... », article cité, p. 139-147.
54 Une bourgeoise de La Roche-Derrien obtient pour son fils, embarqué sur une nave en difficulté dans le port de La Rochelle par suite d'une tempête, le salut de celui-ci grâce aux prières quotidiennes qu'elle adressait à saint Yves depuis son départ : pc Yves, témoin 87.
55 Jean-Christophe Cassard, « Le saint et l'enfant … » article cité, p. 142.
56 Onze mères vouent leur enfant à saint Yves, contre trois pères (dans trois autres cas, c'est le couple parental qui agit de concert) ; Charles est imploré par neuf pères, sept mères et dix couples ; dans l'enquête sur Vincent, pères et mères agissent globalement à égalité, quoique la restitution de la part de chacun soit rendue difficile par l'enregistrement de dépositions souvent trop vagues.
57 André Vauchez, La sainteté en Occident..., op. cit., tableaux p. 316-317.
58 pc Charles, témoin 162.
59 Jean-Christophe Cassard, « Les pèlerins à Charles de Blois. Un enjeu politique dans la Bretagne de l'immédiate après-guerre de Succession », dans L'image du pèlerin au Moyen Age et sous l'Ancien Régime, Pierre-André Sigal (dir.), Rocamadour, 1994, p. 25-40.
60 Jean-Christophe Cassard, « Propagande partisane et miracles engagés dans la guerre de Succession de Bretagne », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, tome 102/2, 1995, p. 7-24.
61 La Vie de la bienheureuse et les dépositions reçues lors de l'enquête préliminaire sont publiées dans les Acta Sanctorum, mars III, p. 737-765. André Vauchez, « Une « sainte femme » du Val-de-Loire à l'époque de la guerre de cent ans : Jeanne-Marie de Maillé (1331-1414) », dans Les laïcs au Moyen Âge. Pratiques et expériences religieuses, Paris, 1987, p. 225-236.
62 Hervé Martin, Les ordres mendiants en Bretagne, vers 1230-vers 1530, Rennes, 1975, p. 69-70, 125 et 359-360. Patrick Sbalchiero, « Profil spirituel d'une sainte méconnue : la Bienheureuse Françoise d'Amboise (1427-1485) », dans Église et société dans l'Ouest..., op. cit., p. 69-84.
63 Père Vital Wilderinck, « Les Exhortations de la Bienheureuse Françoise d'Amboise », Carmelus, vol. 11, fasc. 2, 1964, p. 211-266.
64 Sur une vingtaine de livres répertoriés dans son hagiographie, la première moitié du xviie siècle puis les années entourant sa béatification au xixe siècle sont les plus florissantes. Les thèmes structurant son portrait sont établis dès la première période : Patrick Sbalchiero, « Profil spirituel... », article cité, p. 73-76.
© Presses universitaires de Rennes, 2003