1Lorsqu'elle publie en 1998 Ecrire l'histoire des femmes, Françoise Thébaud1 a conscience de faire le bilan d'une recherche historique française qui dans ce domaine a souvent été à la traîne de ses homologues anglo-saxons. En même temps, au milieu des années quatre-vingt-dix, il s'agit de faire le point sur l'apport de l'histoire des femmes à l'historiographie française et de montrer les ouvertures offertes par l'histoire du genre. À juste titre, Françoise Thébaud déplorait les réticences voire résistances à l'intérieur du système universitaire français vis-à-vis de ces thématiques. Aujourd'hui, si les laboratoires de recherche en histoire sur ce thème restent peu nombreux, les journées d'études et les colloques se font plus fréquents et sont soutenus soit par des institutions spécifiques, soit par des laboratoires qui l'incluent dans leurs thématiques tel le Centre de recherche historique sur les sociétés et cultures de l'ouest européen situé à l'université Rennes 2 (umr-cnrs 6040). De même les thèses prennent plus souvent en compte cette dimension. C'est dans ce contexte qu'une équipe du crhisco rassemblant médiéviste, moderniste et contemporanéistes a lancé ce colloque, préparé par deux journées d'études et une journée de dea2. La première journée d'étude (septembre 2000) a cherché à cerner les relations entre le genre et le pouvoir dans le domaine public et dans le domaine privé, la journée de dea a mis en exergue les femmes et la contestation publique sur le thème « jeux de genre et enjeux de pouvoir ». Enfin, en octobre 2001, la dernière journée d'étude avant le colloque portait sur « la peur de l'autre sexe » et était nettement transpériode permettant d'utiles confrontations.

2En s'appuyant sur ces travaux, l'équipe organisatrice du colloque3 a vu émerger la relation entre genre et mutations, non que l'historiographie ait oublié cette thématique, mais il s'agissait ici de confronter ces notions entre elles, de voir si ces mutations ont une influence dans la construction de la différence sexuée et son évolution. En effet, les mutations sur le temps long ou sur un temps court de crise peuvent conduire à modifier le rapport masculin/féminin, à le redéfinir ou au contraire à en figer les normes. Il importait d'analyser ces moments charnières qui scandent l'histoire des rapports de sexe qu'ils relèvent du domaine socio-économique, politique, culturel ou de l'imaginaire. Nous souhaitions aborder les décalages et écarts culturels révélés par ces mutations, la modification du genre dans le sens du brouillage, de l'indifférenciation, ou de l'ajustement du masculin et du féminin. L'approche comparatiste s'imposait et si possible pluridisciplinaire. Si la définition de l'histoire du genre comme construction culturelle de la différence des sexes est de plus en plus admise, les actes de ce colloque montrent la nécessité de se prémunir contre certaines ambivalences.

3Outre le contenu scientifique du colloque, il faut relever un autre aspect. Pendant longtemps, les recherches sur l'histoire des femmes et l'histoire du genre a semblé « réservée » à des historiennes. Il n'en est plus de même aujourd'hui si l'on en juge par ce colloque organisé à l'université Rennes 2 en septembre 2002 puisque les hommes constituent 40 % des communicants. Au-delà du symbole, il montre l'insertion de cette approche dans les travaux d'histoire quelle que soit la période étudiée ou le champ géographique.

4L'ouvrage présenté ici s'efforce de répondre à ces questionnements. Les 34 communications s'insèrent dans cinq thèmes qui ont pu être dégagés non sans difficulté en raison de la richesse et de la diversité des communications proposées et retenues. La première partie consacrée à l'ajustement des représentations et l'invention des normes concerne la longue durée4 en abordant plusieurs facettes : la jeunesse, l'éducation, la religion, le corps, le droit. Les auteurs se sont efforcés d'appréhender dans la longue durée l'évolution des représentations du masculin/féminin accompagnée éventuellement de la mise en place de nouvelles normes. Les historiens médiévistes nous présentent une image non figée du masculin/féminin confrontée au monde religieux tandis que les historiennes de la médecine mettent en évidence les représentations de la femme chez ces hommes, rationnels et scientifiques que sont les médecins, représentations en définitive communes. Le monde contemporain français ou roumain marque les tentatives conscientes des femmes elles-mêmes pour modifier leur situation, mais ce féminisme est plutôt le fait des classes sociales favorisées ; ce sont elles qui sont capables de faire passer de nouvelles lois ou de faire accepter des associations de femmes. Si cette démarche féministe est bien connue pour le Royaume-Uni et la France, ce n'est pas le cas de la Roumanie, pays qui commence à s'intéresser à ces problématiques.

5Comprenant des communications moins nombreuses, signe d'un état des lieux de la recherche historique, la seconde partie aborde un thème classique (celui des savoirs) mais revisité. Les différentes interventions insistent sur la précocité de la volonté d'accès au savoir (scientifique, littéraire, universel) des femmes et comment les hommes sous-estiment, marginalisent les capacités des femmes dans un rapport de genre où le rééquilibrage ne se fait que lentement et avec des retours en arrière.

6La troisième partie aborde un thème central dans l'historiographie tant du genre que de l'histoire européenne à savoir les rapports au pouvoir des hommes et des femmes et les éventuelles mutations nées de la Révolution française ; ces thèmes sont ici abordés en recourant aussi bien à la linguistique, à la littérature qu'à l'histoire du droit qui permettent des angles d'approche diversifiés. De l'invention de la loi salique au rôle des femmes dans les monarchies de l'époque moderne, le genre connaît des ajustements de pouvoir. La Révolution française, crise politique, sociale, religieuse engendre une recomposition des rapports masculin/féminin dans la réalité et dans les représentations culturelles.

7Les guerres sont certainement des lieux d'observation plus classiques pour évaluer l'évolution du rapport masculin/féminin, mais l'étude de l'iconographie à l'époque médiévale comme pour la Grande Guerre révèle des surprises avec la réutilisation de thèmes bien circonscrits mais détournés, réajustés aux valeurs ( ?) du moment. Les guerres entraînent aussi une perception renouvelée des femmes et des hommes (adultères, viols, etc.) ; l'image du rapport homme-femme se brouille tandis que les pratiques judiciaires de sortie de guerre montrent une nouvelle perception des représentations masculin/féminin.

8La dernière partie explore l'intrusion du monde moderne dans les rapports entre les hommes et les femmes et l'évolution de ceux-ci. Elles relèvent des mutations économiques (nouvelles technologies dans l'agriculture, industrialisation et urbanisation accélérée au Brésil), des mutations sociales dans le cadre d'un commencement de civilisation des loisirs. Vécue comme situation inédite parce qu'elle touche à la relation, au rapport le plus intime entre hommes et femmes, la contraception, les techniques modernes de reproduction symbolisent la nécessité de repenser le genre.

9Signe que cette interrogation sur les relations entre le genre et les mutations est au cœur des problématiques actuelles est la publication au moment même du colloque de l'ouvrage de Françoise Héritier5 qui aborde la question de ce qui change ou non. Elle met en perspective l'idée de mutation, en soulignant sa lenteur perçue. La profondeur historique et géographique du colloque permet d'espérer qu'il apporte sa pierre à cette réflexion par sa diversité qui en fait sa richesse, tout en traçant espérons-le de nouvelles pistes de recherche et de réflexion.