Chapitre 19. La détérioration des finances de la Compagnie
p. 529-542
Texte intégral
1La question des moyens dont dispose la Compagnie des îles de l’Amérique pour mener ses missions sont diversement appréciées au xviie siècle. Sa faible capitalisation est souvent avancée comme la cause de son incapacité à répondre aux défis qu’elle s’est imposée et de ses déboires. Jacques Savary écrit ainsi que « l’on ne pouvait pas faire de grands progrès avec si peu de chose pour une si grande entreprise ». François Charpentier en reporte la faute sur les associés qui n’ont pas fourni « tout le fonds nécessaire pour l’accomplissement d’un si grand dessein1 ». La situation de la Compagnie peut étonner, surtout au regard de la Compagnie de la Nouvelle France qui lui est contemporaine et qui dispose de 300000 livres. Mais il est vrai que celle-ci a cent vingt actionnaires2 tandis que celle-là n’en compte qu’une douzaine, certes fortunés et qui investissent des sommes conséquentes, mais tout de même offrant moins de possibilités.
2Mais un capital social de 45000 livres est-il vraiment insuffisant ? Les avis sur cette question sont assez partagés. Dutertre, qui sait se montrer critique avec les associés, estime pour sa part que la somme est « considérable » et « capable de fournir à l’équipage de plusieurs navires3 ». Et puis le capital peut être augmenté si tous les associés le souhaitent. La limite des sociétés par actions à cette époque ne réside peut-être pas tant dans le montant du capital que dans la capacité ou la volonté des hommes qui président à leurs destinées à l’augmenter. La Compagnie dispose d’autres sources de financement. D’une part, elle perçoit en tant que seigneur des îles des impôts et des taxes sur les habitants et les marchandises qui peuvent servir à son autofinancement. D’autre part, elle peut emprunter à court terme pour financer ses opérations qu’elle rembourse avec le produit des ventes des produits des îles.
3Cependant, au milieu des années quarante, la Compagnie, déjà éprouvées en 1644 par les gros investissements pour développer la production sucrière, accuse des déficits de plus en plus lourds. Le pétun se vend de moins en moins bien, les impôts ne rentrent pas, les dettes s’accumulent. Le recours de plus en plus fréquent à l’emprunt, et pour des sommes toujours plus importantes, est un signe tangible de la fragilisation de la situation financière de la Compagnie. Le taux d’endettement progresse. La situation devient critique. Son modèle de développement touche-t-il ses limites ?
L’aggravation du déficit budgétaire
La faiblesse des rentrées fiscales
4La Compagnie en ayant hérité du roi la seigneurie des îles perçoit des droits sur les habitants. Il s’agit principalement d’une part des droits personnels, et d’autre part des droits sur les productions. S’y ajoutent tous les droits afférents à une seigneurie sur la transmission des terres et des héritages, la taxe sur le sel, la taxe sur les actes notariés4. Leur montant des impôts et des taxes dépend pour une partie de l’activité économique et du nombre de Français dans les îles, mais aussi des mécanismes de levée de ceux-ci.
5Or ils n’atteignent jamais les niveaux escomptés. Cela tient à plusieurs raisons et la Compagnie en porte en grande partie la responsabilité. En effet, elle accorde de nombreuses exonérations des droits personnels ou capitation pour favoriser le peuplement des îles – ils sont évolutifs en fonction du moment de l’arrivée des habitants et n’augmentent qu’au fur et à mesure des années – et pour récompenser ses agents et officiers qui peuvent ainsi avoir de nombreux hommes à leur service. Les premiers habitants qui peuplent un nouvel établissement bénéficient durant plusieurs années de droits faibles. Ils n’augmentent en général qu’au bout de cinq ans. La politique de peuplement compromet sa politique fiscale età son équilibre économique et financier. Les habitants exonérés des droits représentent environ un quart de la population si l’on s’en tient à l’état des années 1645-16475.
6La Compagnie compose aussi avec les habitants qui rechignent à acquitter les impôts et les taxes qui lui sont dus6. La contestation fiscale est forte dans les îles dans les années quarante et conduit même à des séditions. Les plaintes des habitants contre les droits perçus par la Compagnie ne sont pas nouvelles. Déjà par le passé, notamment en 1634, la Compagnie avait modéré les droits personnels, à l’origine de 125 livres de pétun, pour descendre jusqu’à 100 livres. Les directeurs décident le 4 avril 1635 de maintenir les droits annuels à 125 livres mais introduisent une modulation en précisant que ces 125 livres ne seront dues que les années où l’on fait du pétun, les autres années, les droits seront de 40 livres de coton et du dixième des fruits et marchandises produits dans l’île. Le 5 décembre 1635, il est décidé de nouveaux ajustements pour les habitants de Saint-Christophe. Les droits sont ramenés à 100 livres de pétun, les années où l’on fait du pétun et à 40 livres de coton les autres années. Mais un autre droit est introduit portant sur un dixième des fruits et des marchandises produits dans l’île. En 1639, la Compagnie, attentive au sort des habitants de la Guadeloupe, les décharge de la moitié des droits pour 1639, 1640, et 16417. L’auteur de l’instruction rédigée vers 1645-1647, laisse apparaître que la Compagnie peut compter sur une recette de 38666 livres tournois au titre de la capitation tous frais déduits, mais qu’il est plus sage de compter sur 25778 livres au cas où la capitation rentrerait mal8, soit un taux de recouvrement de 66,6 %.
7Ce sont les taxes qui génèrent le plus de contestation. Elles sont nombreuses aux îles, mais il est de même en métropole. Leur montant est généralement faible, mais leur nombre fait qu’elles sont mal supportées. La Compagnie perçoit notamment une taxe sur les ventes des biens immobiliers, les lods et ventes, qui est d’un vingtième (soit 5 % du prix). Cette taxe est mal perçue par les habitants qui ne cessent de dire leur mécontentement, ce qui conduit la Compagnie à réduire plusieurs fois son montant. En 1640, « pour remédier aux plaintes faites sur les habitants des îles que leurs droits de lots et ventes étaient payés trop souvent attendu les changements fréquents des habitations », la Compagnie indique que les « droits de lots et vente, ne pourront être levés qu’une fois en six mois pour une même habitation ». En 1642, elle réduit le taux au trentième du montant de la transaction (soit 3,33 %), et consent à ce qu’ils ne soient perçus qu’une seule fois par an si le même bien change plusieurs fois de propriétaire. La Compagnie se fait même accommodante en acceptant que les habitants ne « paient [que] la moitié du prix des promesses et obligations par eux faites pour le passé jusqu’à ce jour pour raison desdits vingtièmes ». En 1644, les lods et ventes sont abaissés au cinquantième (soit 2 %)9. La pesée du pétun est aussi une grande inquiétude des habitants car elle conditionne le montant de la taxe qu’ils devront payer à la Compagnie en tant que producteurs. Le contrôle de la pesée figure en bonne place dans les revendications adressées par les séditieux de la Martinique au gouverneur par intérim, La Pierrière, en 164610.
8La Compagnie se montre souvent conciliante avec les habitants car elle ne veut pas provoquer de crise. Elle invite ses commis à être prudents et éventuellement à ne pas percevoir tous les droits qui lui sont dus pour éviter toute tension11. Elle demande à l’intendant général Leumont de gérer avec prudence la levée des lods et ventes afin « qu’ils puissent être aisément établi et payé par les habitants sans murmures ». Il est probable que les taxes les plus mal supportées par les habitants n’ont pas été systématiquement acquittées. Cependant les lods et ventes doivent rapporter suffisamment car ils sont convoités par les gouverneurs et les officiers. La Compagnie leur adresse une fin de non-recevoir en arguant de son droit12.
9L’attitude des capitaines généraux ne facilite pas toujours la levée des impôts. Ils accordent parfois des exemptions de leur propre autorité. D’Esnambuc puis du Parquet accordent pendant trois ans des exemptions des droits aux habitants13. Ce sont autant de rentrées en moins pour la Compagnie qui manifeste à l’occasion son mécontentement.
10La levée des droits occasionne aussi des conflits avec les commis de la Compagnie attachés à son faire leur office, peut-être parfois avec un peu trop de zèle et sans grande souplesse. En 1637, les associés invitent ses commis à ménager les gouverneurs prendre « garde à n’avoir point de différend avec le gouverneur pour la levée des droits de la Compagnie14 ». Poincy exploite le mécontentement fiscal et en fait l’un des éléments de sa politique contre la Compagnie avec laquelle il est en conflit. Il incite les habitants à ne pas lui payer les impôts. Le manifeste porté par le capitaine Boutain à la Martinique assure que le nouveau lieutenant général du roi Patrocle de Thoisy n’est venu « que pour appuyer ses vexations injustes, établir le vingtième pour les droits de lots et ventes, et enfin pour mettre le droit de trois pour cent sur les marchandises françaises, et de huit sur les étrangères15 ».
11La politique fiscale de la Compagnie conduit à un manque à gagner important et porte atteinte à sa survie financière à court et à moyen terme. La Compagnie fait le pari du long terme. Le choix de soutenir le peuplement des îles et la colonisation au détriment de ses propres intérêts est donc risqué. Il illustre en tout cas les objectifs parfois contradictoires auxquels elle doit faire face. Cependant, l’abondance de population peut permettre de dynamiser la production et les échanges et à la Compagnie d’avoir un retour sur investissement.
12Le niveau des recettes fiscales de la Compagnie dépend aussi du cours des produits que la Compagnie reçoit en paiement des droits. Tout cela n’assure pas des finances stables. C’est une fragilité structurelle. La chute des cours compromet sa capacité de remboursement et ses investissements. La volonté de supporter des cultures plus rentables montre à quel point les associés en ont conscience.
L’augmentation des dépenses de la Compagnie
13La Compagnie a peu de frais de structure. La direction coûte peu. Le 7 mars 1635, 300 livres sont mis à la disposition du directeur Berruyer pour « les petites dépenses que la Compagnie pourrait être obligée de faire à Paris16 ». Elle ne rémunère qu’un secrétaire, Jean de Beauvais, à hauteur de 400 livres par an et un commis aux comptes, pour 300 livres17. Les réunions mensuelles se tiennent au domicile d’un des directeurs, chez François Fouquet puis chez d’Aligre, et ne coûtent rien, pas plus que les assemblées générales. Les convocations sont envoyées aux associés mais comme ils sont peu nombreux, la dépense demeure modérée. La correspondance à destination des agents, en particulier les receveurs dans les ports de France, occasionne aussi quelques frais. En revanche, les lettres pour les îles sont, elles transportées sur un navire ayant obtenu un congé. La garde et de l’entretien de ses entrepôts en France, le transbordement des marchandises et la rémunération des receveurs semblent être les seules charges que la Compagnie doive supporter en France. Encore convient-il de remarquer que certains receveurs ont mis à sa disposition leurs propres entrepôts. Reste cependant la question de la manutention. Quant au fret, la Compagnie bénéficie de la gratuité sur les bateaux-qui ont reçu un congé dans la limite fixée dans les congés. Le coût des armes et des marchandises que la Compagnie envoie aux îles est amorti par leur vente aux habitants.
14Les dépenses concernent davantage les îles. La Compagnie doit supporter les frais de son habitation à la Guadeloupe la famille, déjà évoqués, les gages des artisans, qui sont de plus en plus nombreux et qu’elle fait passer à ses frais, et de ses agents. Elle assure aussi le passage et l’entretien des religieux. Elle rencontre bientôt des difficultés pour honorer tous ses engagements. Les artisans réclament en vain le paiement de leurs gages et les jésuites se plaignent de n’avoir pu obtenir l’argent promis pour leur mission18. L’investissement représente assurément la part la plus lourde des dépenses opérées par les associés, mais ils en attendent des retombées.
Le monopole commercial menacé
15La Compagnie attend beaucoup du commerce des îles dont elle détient le monopole. En 1626, elle en est aussi le seul et unique acteur : « les marchandises qui y seront portées […] celles qui en seront rapportées de France et autres lieux […] sont, seront et demeureront pour et au profit […] des associés19 ». Mais en 1634, devant l’impossibilité dans laquelle elle est d’envoyer par elle-même suffisamment de navires, la monarchie lui permet d’autoriser les particuliers à armer des navires avec son accord20. La Compagnie est la seule à pouvoir autoriser des capitaines à faire du trafic en échange de la perception de certains droits en argent et en service. Elle entend demeurer maîtresse de la circulation vers les îles. Elle fait contrôler tous les navires et les marchandises afin de s’assurer de leur qualité. Ainsi ses agents pèsent, vérifient, stockent et charge tous les produits à destination des îles. La Compagnie établit un double contrôle au départ et à l’arrivée. Le 3 mars 1638, la Compagnie rappelle à son commis à Saint-Christophe, Gentil, que seuls les navires ayant sa permission peuvent venir traiter sous peine de confiscation. Dans le même temps, elle demande à ses agents dans les ports de France de vérifier si les navires qui partent pour les îles ont bien reçu un congé21. En 1639, les procédures de contrôle se renforcent encore. Un capitaine ne peut aller dans les îles qu’avec une ampliation du commis du port du départ et doit rapporter un certificat du commis général de l’île où il descend qui accrédite qu’il a accompli ses obligations à peine de 500 livres d’amende22. La Compagnie réitère auprès de ses agents dans les îles la nécessité du contrôle des permis des capitaines23.
La fraude
16Les receveurs de la Compagnie dans les ports connaissent bien le milieu marchand et sont donc particulièrement bien renseignés sur les armements prévus et en cours. Les préparatifs d’un navire passent rarement inaperçus car il faut avitailler, recruter un équipage, charger des marchandises. Ils attirent inévitablement l’attention. Les départs illégaux sont vite connus. Cavelet du Herteley constate ainsi durant le printemps de l’année 1636 qu’Antoine Richard prépare son navire à Honfleur. Ce dernier signe d’ailleurs plusieurs contrats en avril et en mai 1636 pour faire passer des engagés24. Il met bientôt le cap sur Saint-Christophe sans avoir sollicité d’autorisation. Cavelet du Herteley en avise aussitôt les associés qui se réunissent le 2 juillet 1636 pour statuer sur son cas avant même son retour des îles. Ils se promettent d’engager des poursuites et avertissent par courrier d’Esnambuc de la situation. Les bourgeois avitailleurs du navire se décident alors à trouver un accommodement avec la Compagnie25. La Compagnie tente de dissuader les capitaines de frauder en leur proposant des accords de dernière minute. Le capitaine Le Tellier veut traiter aux îles sans prendre la peine de demander un congé à la Compagnie. Mais Berruyer réussit à le convaincre d’accepter ses conditions et de passer six mousquets et six bandoulières en 1637. Nous ne savons pas quelles ont été les pressions exercées pour le décider. Mais Le Tellier n’est pas homme de parole car il débarque à Saint-Christophe les hommes promis pour la Guadeloupe. Son lieutenant, Moisan, le dénonce à la Compagnie. Elle ordonne à L’Olive de le faire poursuivre26.
17Le dispositif mis en place par la Compagnie ne dissuade pas les capitaines et les marchands de partir aux îles sans congé pour y commercer comme ils l’entendent. Il est difficile de quantifier le phénomène mais il semble récurrent. Mais doit-on s’en étonner ? Les monopoles concédés par la monarchie sont rarement acceptés par tous27. Cependant, la Compagnie veille. Elle interpelle capitaines et bourgeois avitailleurs lors du retour en France des navires qui ont enfreint les règles pour exiger la régularisation de la situation sous peine de saisie du navire et de la cargaison, voire de poursuites devant les tribunaux compétents. L’année 1637 connaît de très nombreuses affaires. Ainsi le 4 mars 1637, Berruyer se rend-il personnellement à Dieppe pour discuter avec les capitaines Belleteste et Desforges et les marchands qui les ont envoyés aux îles sans permission. Il inflige une amende de 100 livres au capitaine Desforges28. La Compagnie, peu rancunière, autorise en 1637 et en 1639 Desforges à partir trafiquer aux îles à charge de porter des armes et de rapporter du pétun pour son compte. Mais elle demeure méfiante à son endroit. Elle charge son agent à Nantes de vérifier qu’il a bien « satisfait aux clauses dudit congé » sous peine de confiscation du navire et de la marchandise29. En juillet 1637, la Compagnie charge Rozée de négocier avec le capitaine Boyer et ses bourgeois qui, quoiqu’ayant affrété le navire pour les îles sans permission, lui réclament d’être payés pour avoir transporté son pétun. Il propose 2000 livres de pétun pour le fret. L’offre n’est pas négociable. La Compagnie menace en cas de désaccord de saisir la justice et de demander la confiscation du navire30. Le 7 octobre 1637, la Compagnie propose à Baillardet d’abandonner toute action contre lui s’il fait passer deux femmes et rapporte ses marchandises sans fret à raison de 10 % du navire31. Il faut croire que ces conditions ont été acceptées car à la fin de l’année, Baillardet obtient une permission pour passer aux îles32. Les menaces ont souvent raison des contrevenants. Mais parfois, elles ne suffisent pas et elles sont mises à exécution. Les navires sont saisis et les capitaines et les marchands traînés devant les tribunaux. La Compagnie intente ainsi un premier procès devant la table de marbre de Rouen à propos de pétun arrêté à Dieppe, probablement au début de l’année 1635. Il n’est pas certain que les choses évoluent comme elle l’entend car elle envisage de porter une requête devant le conseil du roi33. Le manque d’informations sur cette affaire nous empêche de connaître les raisons de son action. Quelques mois plus tard les directeurs ont maille à partir avec le sieur de Caen dont le navire revient de Saint-Christophe avec du pétun a été arraisonné à Dieppe car il n’avait pas d’autorisation. Berruyer est chargé de négocier avec de Caen. Les associés doivent bientôt reconnaître que de Caen est en règle car il a un congé de Richelieu, délivré avant la reformation de la Compagnie et le nouveau contrat avec la monarchie. Ils tentent de s’accommoder avec lui pour ne pas payer le fret du pétun qu’il transportait pour leur compte34. Peut-être s’agit-il du navire saisi à Dieppe évoqué lors de la séance du 7 mars 1635. En 1646, les directeurs de la Compagnie durcissent le ton et écrivent à leurs commis de faire saisir et arrêter les vaisseaux et marchandises des capitaines qui n’ont pas de congé35.
18La fraude est une perte sèche pour la Compagnie des îles même quand elle parvient à faire entendre son droit car la régularisation de la situation après coup est souvent forfaitaire et ne peut couvrir qu’imparfaitement le préjudice subi. Dans le même temps, ce trafic, quoiqu’illégal, participe au renforcement des liaisons transatlantiques et à l’approvisionnement des îles. Aussi, les associés se montrent-ils finalement accommodants.
La lutte contre le poids des commerçants étrangers
19Le contrat de 1626 établit que le commerce avec les îles doit se faire exclusivement avec les ports de France36. Mais la commission donnée par Richelieu à d’Esnambuc et Roissey se fait plus compréhensive en affirmant que les deux capitaines devront assurer la protection des navires marchands français et alliés37. Les étrangers, et notamment les Hollandais, occupent une grande place dans le commerce de Saint-Christophe dans les années vingt et trente. Ils apportent les marchandises et les hommes dont les Français ont besoin. Ils les sauvent plus d’une fois d’une situation critique en leur apportant des vivres38. Les habitants leur confient leur chargement de pétun pour le vendre aux Provinces-Unies ou en Angleterre pour échapper aux taxes et dans l’espérance d’un plus grand profit39.
20Le rôle des étrangers est mal perçu par les associés qui craignent de perdre le contrôle du trafic et les taxes y afférant. La Compagnie décide en 1635 que les habitants de la Guadeloupe « ne pourront traiter avec les étrangers et seront tenus d’envoyer toutes les marchandises qui proviendront de ladite île ou à Dieppe ou au Havre jusqu’à ce que autrement en ait été ordonné ». Cette rigueur est dictée par le contrat établi avec les marchands de Dieppe à qui la Compagnie a cédé le monopole du trafic. Elle se montre plus souple dans le cas des autres îles. Ainsi, les marchands étrangers peuvent traiter à Saint-Christophe ou à la Martinique, mais à la condition que la priorité soit donnée aux marchands français. Ces règles ne sont pas semble-t-il respectées car elle doit les rappeler à d’Esnambuc en 163740. Les marchandises des îles peuvent être envoyées sur des vaisseaux étrangers que si tous les navires français présents dans la rade ont été chargés. La Compagnie, connaissant les avantages offerts par les marchands étrangers, invite les capitaines français de satisfaire les besoins des habitants et à s’attirer leurs bonnes grâces en modérant le prix de leurs marchandises. Elle charge le commandant, le juge, le commis général de la Compagnie et les six principaux habitants de l’île de fixer le prix du fret41.
21Les Hollandais sont assurément les étrangers les plus présents dans les îles françaises. Environ 800 navires hollandais sillonnent l’Atlantique entre 1621 et 1634, essentiellement à destination de l’Amérique, principalement le Brésil et les îles d’Amérique. Ils sont entre 12 et 30 à être affrétés annuellement tout spécialement pour les Antilles42. Cette forte présence hollandaise s’explique par plusieurs facteurs : l’importance de leur flotte et le dynamisme de leur commerce maritime, leurs faibles coûts de fret et leurs implantations dans les îles. Les stratégies maritimes et commerciales des Hollandais ont fait l’objet de nombreuses études. Ils sont depuis le xvie siècle de grands armateurs, ils disposent de la plus importante flotte marchande en Europe et transportent des marchandises dans tout le continent. On les appelle les rouliers des mers. Là réside leur pouvoir. C’est aussi une arme politique dont ils usent dans leur lutte contre l’Espagne pour obtenir leur indépendance43. Leurs coûts de fret sont très compétitifs. Jean Meyer a calculé qu’ils étaient inférieurs de moitié à ceux des navires français dans les années cinquante et soixante44. Cela tient aux faibles salaires versés aux marins et à la taille plus importante des navires qui permet de contracter les coûts45, alors que les Français vont toujours sur de petits navires. Le fret vers les Antilles est une affaire qui rapporte. Dutertre note qu’un marchand peut espérer gagner 8000 ou 10000 livres sur son fret pour un vaisseau de 250 tonneaux. Mais la concurrence entre capitaines conduit à une baisse très sensible des coûts de fret, il passe d’« un sol pour livre quand on payait en argent, […] à dix, et même à huit deniers pour livre46 ». En 1660, Cosimo Brunetti estime pour sa part le coût du fret à 100 francs par tonneaux. Il compte 1200 francs par mois pour le transport du fret sur un navire de 300 tonneaux auxquels il ajoute 1000 livres pour payer les 50 hommes d’équipage et la nourriture47.
22Les Hollandais ont de nombreux établissements en Amérique qui sont voisins de ceux des Français et à partir desquels ils peuvent facilement opérer. Ils sont à Saint-Eustache et à Saint-Martin qu’ils partagent avec les Français, et plus au sud, à Tobago, Curaçao, Aruba, Bonaire. Ils ont aussi des établissements sur la côte du Brésil et en Guyane48. Il existe un intense trafic entre Saint-Christophe et Saint-Eustache. Certains capitaines sont coutumiers des échanges avec les Français. Jean Cranes de Flessingue embarque Daniel Le Hirbec à la Martinique à bord de la Lifde, un navire de 150 tonneaux, à la fin de l’année 1642, avant de gagner la Hollande. Il s’agit vraisemblablement du Jean Kram qui passe à Saint-Eustache en 1646 le carme Maurile de Saint-Michel qui veut aller assister les Français de l’île49. Les capitaines La Fontaine et Camot fuient Saint-Christophe alors que leur tête est mise à prix à bord d’un navire de Flessingue commandé par le capitaine Breda en 1646 avec qui ils sont amis50.
23Les navires qui viennent de Zélande (Flessingue, Middelbourg) et de Hollande apportent de nombreuses denrées à des prix très compétitifs aux Français. André Chevillard souligne que le vin est encore rare dans les années trente et qu’il arrive par les navires hollandais51. Ils offrent aussi des esclaves à bas coût52. Dans un registre plus anecdotique, le dominicain Raymond Breton reçoit de Poincy deux chaperons et deux scapulaires que les Hollandais ont pris sur un vaisseau espagnol53. Les Français nouent de bonnes relations avec eux. Poincy négocie en 1640 plusieurs contrats avec les bourgeois de Flessingue pour ravitailler Saint-Christophe en vin et en farine. Ils obtiennent en échange du tabac et du sucre54. Les rotations des navires hollandais facilitent la transmission des informations. C’est un capitaine hollandais venant de Pernambuc qui rapporte le 15 avril 1640 la nouvelle de la destruction de l’escadre espagnole qui croisait dans l’Atlantique et dont l’arrivée imminente dans la Caraïbe était redoutée. En 1645, un navire hollandais apporte à la Guadeloupe les nouvelles de la prise de l’île de Sainte-Croix par les Anglais et la mort du gouverneur Denis. Les navires hollandais s’arrêtent bien souvent en France avant de reprendre leur route vers les îles ou les Provinces-Unies et assurent des liaisons nécessaires pour la colonie et son administration. Les particuliers en usent aussi. Le 6 septembre 1647, Jean Boivin envoie à son frère Isaac resté au Havre des documents par un navire flamand55. Les navires hollandais sont aussi d’un précieux secours pour les Anglais dans les îles56.
24Les Hollandais occupent une place importante dans la vie économique antillaise qui n’est pas dénuée d’ambiguïtés pour la Compagnie car s’ils nuisent à son commerce et pèsent sur ses rentrées fiscales, ils apportent dans le même temps les produits dont les habitants ont besoin pour assurer leur survie et le développement des îles. Les associés n’hésitent pas de leur côté à solliciter les capitaines hollandais pour faire passer leurs marchandises. Ainsi, en 1644, 75000 livres de pétun sont-elles chargées sur un navire hollandais à destination de la France57. Ils transportent aussi parfois quelques religieux58. Le pragmatisme l’emporte sur les considérations politiques de l’époque entendant favoriser les intérêts nationaux dans le domaine commercial et maritime. La dénonciation de la place prise par les Hollandais dans le transport international est générale. Leur présence dans le commerce colonial souvent mal supportée. Le roi du Portugal n’apprécie pas les menées de la Compagnie hollandaise des Indes occidentales qui portent préjudice à ceux de sa nation59. Les Anglais veulent réduire la place des Hollandais dans le trafic vers leurs colonies d’Amérique, notamment vers l’Amérique du Nord. En 1633, ils leur ferment la Virginie. En 1637, le gouvernement de Londres interdit aux colons de commercer avec eux dans les îles60. La critique est générale. Elle annonce, côté anglais, l’acte de navigation de 1651 et côté français, les tarifs douaniers de Colbert de 1664 et 1667. Pour l’heure, les Hollandais poursuivent leurs négoces. Ils sont bien perçus des habitants des établissements français des îles car ils offrent de plus bas coût de fret et surtout apportent des marchandises à meilleurs marché. La Compagnie, jalouse de son monopole, aimerait pouvoir réduire leur influence. Ainsi les habitants et la Compagnie n’apprécient pas la présence hollandaise de la même façon, ce qui nourrit une part d’incompréhension. Colbert parle dans plusieurs mémoires adressés au roi de 150 à 200 navires hollandais trafiquant dans les Antilles françaises vers 1663. Les chiffres peuvent sembler élevés au regard d’autres sources, mais ils témoignent d’une crainte réelle du pouvoir de voir le commerce des îles lui échapper totalement. Le manque à gagner pour l’État est estimé à plusieurs millions de livres en raison des taxes qui lui échappent61. Les relations tissées depuis plusieurs décennies entre les colons français et les Hollandais font que les restrictions imposées par la loi n’atteignent pas leur cible. Quand les règles se durcissent, les Hollandais peuvent user d’autres stratégies comme l’usage de prête-noms et la contrebande62. Le gouvernement français doit lui-même reconnaître que l’exclusion des Hollandais du commerce des îles décidée en 1664 au moment de la création de la Compagnie des Indes occidentales ne réussit pas comme escomptée. La nouvelle compagnie peine à les remplacer pour assurer le transport des marchandises. En octobre 1666, Colbert opère un revirement en permettant à tout le monde de trafiquer aux îles grâce à une licence donnée contre une redevance qui porte sur 2,5 % de la valeur de la cargaison pour les Français et sur 5 % pour les étrangers. Il faut attendre 1670 pour que le commerce soit réservé aux seuls Français63.
25S’ils sont les plus nombreux, les Hollandais ne sont cependant pas les seuls étrangers à fréquenter les rades des îles françaises. Il y a aussi des Anglais et des Portugais. Le trafic européen est intense. Daniel Le Hirbec compte ainsi plus d’une vingtaine de navires de toutes les nations tant français, que flamands et anglais, dans la rade de Saint-Christophe en 1642. Le capucin Pacifique de Provins note en 1645 la présence de nombreux navires anglais et hollandais à la Guadeloupe « qui apportent des vins et des farines64 ». Les Anglais envoient une centaine de navires par an aux îles. Richard Ligon en compte pour sa part vingt-deux à la Barbade en 1647. Avec un peu d’exagération, Antoine Biet parle de deux cents navires issus de toutes les parties d’Europe venant chaque année à la Barbade pour le sucre au début des années cinquante65. Ils vont souvent vers les établissements français voisins. Les navires portugais sont plus rares. En 1647, l’un d’eux est dans la rade de Saint-Christophe. Il se propose de prendre à son bord Maurile de Saint-Michel qui veut repasser en France. Mais le religieux n’embarque pas car il refuse d’arriver à Lisbonne66.
26Bien des fois, l’arrivée de navires des autres nations dans les îles françaises est involontaire. Le 16 septembre 1646, une caravelle portugaise chargée de cent quatre-vingts pipes de vin de Madère, prise en chasse par plusieurs vaisseaux hollandais, se réfugie à la Guadeloupe après avoir quitté le Brésil. Elle avait marché à si vive allure « qu’elle avait rompu un de ses mâts à force de porter des voiles », ajoute le père Dutertre. Le capitaine hollandais Laurent Arnoult, qui la poursuit, n’ose l’attaquer dans la rade et demande la permission de la prendre au commandant de l’île. Le lieutenant général du roi Patrocle de Thoisy lui défend de ne rien tenter et se proclame protecteur du navire en vertu de l’alliance nouée entre la France et le Portugal. Le Hollandais tente malgré tout l’assaut mais l’intervention d’une chaloupe française avec six ou sept hommes en armes, contrecarre ses plans. Le capitaine et le pilote hollandais sont capturés67. Maurile de Saint-Michel rapporte que « les Portugais mêmes, pensant aller au Brésil, sont souvent rejetés par le vent d’est dans nos îles, où ils sont obligés de faire leur charge et de s’en retourner en Portugal68 ».
L’endettement croissant de la Compagnie
Les revers économiques de la Compagnie
27La Compagnie affiche depuis sa fondation de grandes ambitions qui sont rapidement contrariées. Le retrait des investisseurs dieppois de la Guadeloupe ruine l’espoir d’un développement soutenu de l’île, même si elle peut espérer relancer les investissements en soutenant des productions plus prometteuses. Mais les déboires sucriers de Trezel à la Martinique et à la Guadeloupe refroidissent ses ardeurs. Les difficultés de sa famille à la Guadeloupe sont durement ressenties par les associés qui plaçaient dans ce projet de grands espoirs. Les résultats de l’année 1644 sont décevants. Houël est désigné comme le grand fautif.
28À ces effets nés de la structure des échanges et des choix économiques de la Compagnie, s’ajoutent les difficultés conjoncturelles. La Compagnie joue de malchance. La production de pétun baisse dramatiquement en raison de la vermine survenue à Saint-Christophe en 164469. Toute l’économie de l’île est profondément affectée. La conséquence pour la Compagnie est immédiate, elle ne peut percevoir les droits sur lesquels elle comptait pour solder plusieurs opérations. Les vivres sont aussi touchés et les associés doivent consentir à « remettre aux habitants ce qu’ils doivent de reste à la Compagnie pour les droits personnels de l’année dernière et de la présente70 ». Par ailleurs, le pétun qui a pu être sauvé par les commis n’arrive pas à destination. La Notre-Dame de Honfleur est prise par des Dunkerquois. Un autre navire, hollandais celui-là, fait lui naufrage sur la côte de l’île de Terceira au mois de juin 1644 avec soixante-quinze mille livres de pétun71.
Les associés et la dette
29La Compagnie vit depuis sa fondation d’emprunts pour financer ses actions. Mais les nombreux investissements consentis, les envois répétés de marchandises et le faible cours du pétun, la conduisent à emprunter de plus en plus : 24000 livres en 1642, 8000 livres en 1643, 45000 livres en 1645, et 4000 livres supplémentaires le 7 juillet 164572. Elle doit aussi faire face aux demandes de remboursement des gouverneurs et des capitaines de navire qui ont investi en son nom. La dette grossit. La Compagnie ne peut plus rembourser dans les délais. Les créanciers se font de plus en plus pressants. Les capitaines et les marchands doivent faire des relances. La situation devient préoccupante.
30Les associés prennent cruellement conscience des déficits accumulés et des dépenses réalisées à la Guadeloupe à la fin de l’année 1644. L’état général des affaires de la Compagnie établi par les directeurs le 9 décembre 1644 montre qu’elle est au bord du gouffre. Les grandes dépenses faites par Charles Houël ont consommé tout le fonds. De Ricouart, Chanut et Ladvocat sont chargés d’examiner les comptes en détail et de calculer le montant de la dette pour en aviser l’assemblée générale de 1645. Il faut que tous soient bien au courant de la situation. Des mesures exceptionnelles sont préconisées : un nouvel emprunt ou une contribution des associés73.
31L’année 1645 s’annonce l’année de tous les dangers. De fait, le ton un peu alarmiste des directeurs conduit les associés à venir en grand nombre à la réunion. Fouquet, de Ricouart, de Flécelles, Ladvocat, Berruyer, Chanut, de Loynes, Martin de Maunoy, Cazet, de Saint-Gilles, Houël et de La Cour se pressent chez d’Aligre. La duchesse d’Aiguillon se fait représenter par le sieur Drouart. Le constat est sévère, la dette se monte à 35000 livres, et encore les registres des receveurs de Nantes, La Rochelle et Dieppe n’ont-ils pas été examinés. Par ailleurs, 10000 livres sont déjà engagées. La Compagnie a besoin de 45000 livres rapidement. Les associés décident le 6 janvier 1645 de la renflouer à raison de 1000 livres par part (1000 x 45 = 45000). Ils se donnent trois mois pour réunir les fonds. Dans l’attente, un emprunt à court terme au denier 10 est négocié pour faire face aux obligations de la Compagnie. Ils ne se pressent pas pour apporter leur participation. Pourtant, il y a urgence. Aussi, le 5 mai 1645, Berruyer menace-t-il de saisir le Grand conseil contre les défaillants74. Les associés ne nient pas les difficultés, mais ils pensent pouvoir les surmonter aisément avec le sucre attendu de l’habitation de la famille à la Guadeloupe et la reprise de la production du pétun. Ils se montrent particulièrement optimistes.
32À la fin de l’année 1645, la situation reste préoccupante. Les décisions prises pour renflouer la Compagnie ne suffisent pas. Elles n’ont fait que répondre à l’urgence. La Compagnie doit encore beaucoup d’argent. Les indemnités dues à L’Olive n’ont par exemple toujours pas été intégralement versées75. L’année 1646 commence mal, les marchandises tant espérées des îles n’arrivent pas. Les billets payables au mois de janvier ne peuvent être honorés. Berruyer propose alors de prolonger de six mois leur échéance76. La production de pétun de la Guadeloupe est ruinée par les vers et les chenilles77. L’optimisme affiché une année plus tôt lors de l’assemblée générale est sévèrement entamé. Les associés ont-ils vraiment pris en compte l’ampleur de la catastrophe financière ? Ils savent certes la situation grâce à leurs agents demeurés fidèles quoiqu’avec un léger décalage de quelques mois, qui, s’il nuit à la réactivité de l’action politique, permet d’agir sur le plan économique, mais disposent-ils de tous les outils pour intervenir efficacement ?
Le mode de financement de la Compagnie en question
33Le mode de financement de la Compagnie par l’emprunt n’est pas en soit une faiblesse. Mais il suppose qu’elle dispose d’une assise financière suffisante pour expédier les affaires courantes dans l’attente du produit de la vente des marchandises qui assurera le remboursement de la somme empruntée. Elle risque dans le cas contraire d’être obligée de recourir à nouveau au crédit pour couvrir ses frais et de rentrer dans une spirale qui risque de lui être fatale. Par ailleurs, cela ne permet pas à la Compagnie de poursuivre ses investissements. Elle ne peut s’engager sur des sommes trop importantes. Si dans un premier temps la Compagnie des îles de l’Amérique dispose d’un fonds suffisant pour investir à Saint-Christophe, il en va autrement avec les conquêtes de la Martinique et de la Guadeloupe, qui quoiqu’en grande partie prises en charge par les capitaines et les marchands, s’avèrent coûteuses. Car il faut affréter des navires, envoyer des marchandises, pouvoir aux nécessités de défense et à l’encadrement de la société et de l’économie locale naissante en envoyant des prêtres et des administrateurs78. Ces dépenses sont nécessaires pour assurer la poursuite des établissements. Aussi, la Compagnie doit-elle emprunter des sommes toujours plus importantes.
34Le recours au crédit pour rembourser les échéances des emprunts précédents et calmer ses créanciers montre une réelle fragilité structurelle. Dès 1643, donc bien avant le commencement de la famille à la Guadeloupe souvent accusée de tous les maux, la Compagnie doit emprunter pour régler ses dettes, et non plus pour monter une expédition ou réaliser des investissements. Le manque de fonds est criant. Certains associés sont pleinement conscients de ces limites et redoutent la liquidation. Les associés n’ont visiblement pas su anticiper les problèmes et ne peuvent que constater la fragilité de leur entreprise. Mais les troubles qui vont agiter les îles ne les condamnent-ils pas à remettre à plus tard leur choix au risque de compromettre le rétablissement de la Compagnie ?
Notes de bas de page
1 J. Savary, Le parfait négociant, op. cit., liv. 2, p. 120-121 ; F. Charpentier, Discours d’un fidèle sujet du roy, op. cit., p. 32-33. Dutertre souligne par ailleurs que l’argent n’a pas toujours été bien employé (DT/1654, p. 8). Cette question du financement de la Compagnie est un point qui focalise l’attention des historiens qui y voit sa faiblesse et l’explication de ses difficultés (D. Dessert, Fouquet, op. cit., p. 13).
2 Ph. Haudrère, L’empire des rois, op. cit., p. 44. Cela ne l’empêche pas de rencontrer de grandes difficultés et de céder la place en 1645 à une communauté des habitants de la Nouvelle-France (M. Vergé-Franceschi, Chronique maritime de la France, op. cit., p. 373).
3 DT/1667, t. 1, p. 45 ; DT/1654, p. 8.
4 Délibération, le 3/03/1638, p. 323 ; Délibération, le 4/03/1643, p. 445.
5 Selon ce calcul, seuls 5800 habitants des 8500 que comptent les îles acquittent la capitation, soit 68,2 % (BnF, ms fr. 18593, Instruction des isles de l’Amérique, fol. 423v). Une décennie plus tard, un état de l’île de Sainte-Croix parle de 400 personnes payant les droits dus aux chevaliers de Malte sur les 822 habitants, soit 48,6 %. Cela représente 47000 livres de pétun (État des îles appartenant à MM. les chevaliers de Malte, vers 1664, dans DT/1667, t. 2, p. 39).
6 La pression fiscale a fortement augmenté dans le royaume de France durant la première moitié du xviie siècle. Le montant des tailles est de 39 millions de livres en 1635, 41 millions en 1636, 45,5 millions en 1638 et 44 millions en 1639 (V.-L. Tapié, La France de Louis XIII et de Richelieu, op. cit., p. 248-249).
7 DT/1667, t. 1, p. 40 ; Délibération, le 4/04/1635, p. 250 ; Délibération, le 5/12/1635, p. 255 ; Délibération, le 1/07/1639, p. 360.
8 BnF, ms fr. 18593, Instruction des isles de l’Amérique, fol. 423v.
9 Délibération, le 7/03/1640, p. 381 ; Délibération, le 26/06/1642, p. 430 ; Délibération, le 6/04/1644, p. 470.
10 Articles des séditieux présentés au Sr. de La Pierrière, 1646, dans DT/1667, t. 1, p. 334. Quatre des vingt articles du manifeste des séditieux s’intéressent à la pesée.
11 Délibération, le 16/07/1637, p. 300-301.
12 Délibération, le 1/06/1644, p. 470 ; Délibération, le 6/04/1644, p. 470.
13 DT/1667, t. 1, p. 107-108.
14 Délibération, le 16/07/1637, p. 301.
15 DT/1667, t. 1, p. 328.
16 Acte, 7/03/1635, p. 249.
17 Délibération, le 24/02/1642, p. 423-424.
18 Délibération, le 23/08/1646, p. 502 ; BnF, ms fr. 18593, Plaintes desdits jésuites contre les directeurs adressées à monseigneur, 1647, fol. 371r.
19 MAE, MD, Am., 4, Contrat pour l’établissement des Français à l’île de Saint-Christophe, Paris, le 31/10/1626. Pub. dans Margry, p. 100.
20 Déclaration royale, Saint-Germain-en-Laye, le 25/11/1634, dans DT/1667, t. 1, p. 42.
21 Délibération, le 3/03/1638, p. 324 ; ANOM, F2A13, Instruction aux receveurs, Paris, le 7/03/1635, p. 89.
22 Délibération, le 2/03/1639, p. 352. En 1639, les capitaines Digard et Poictou doivent produire les certificats requis sous peine de voir leur cargaison de pétun saisie (id.). Digard était parti à la Guadeloupe avec trente hommes pour L’Olive en 1638. Il est arrivé dans l’île durant le mois de septembre 1638 (Bret/RF, vr, p. 108 et 101).
23 Délibération, le 1/07/1639, p. 360.
24 Contrat d’engagement, le 27/04/1636, dans Bréard, p. 188-189 ; Contrat d’engagement, le 28/04/1636, dans Bréard, p. 188-189 ; Contrat d’engagement, le 05/05/1636, dans Bréard, p. 189 ; Contrat d’engagement, le 19/05/1636, dans Bréard, p. 189-190.
25 Délibération, le 2/07/1636, p. 275 ; Acte le 3/12/1636, p. 284.
26 Délibération, le 3/06/1637, p. 293.
27 La Compagnie de la Nouvelle-France doit elle aussi lutter contre les prétentions de nombreux capitaines de navires. L’arrêt du roi du 26 janvier 1628 lui réservant le commerce en Nouvelle-France ne met pas fin aux contrevenants et elle doit porter de nombreuses affaires devant les tribunaux (R. Le Blant, « Les débuts difficiles de la Cie de la Nouvelle-France… », op. cit., p. 25).
28 Délibération, le 4/03/1637, p. 293 ; Délibération, le 5/08/1637, p. 303.
29 Délibération, le 2/09/1637, p. 306 ; Délibération, le 2/03/1639, p. 352.
30 Délibération, le 16/07/1637, p. 301 ; Délibération, le 5/08/1637, p. 302.
31 Délibération, le 7/10/1637, p. 310. Baillardet s’est vraisemblablement rendu à la Guadeloupe, mais le nom de l’île est barré dans la délibération (Délibération, le 2/12/1637, p. 313).
32 Délibération, le 2/12/1637, p. 313-314.
33 Délibération, le 7/03/1635, p. 250. La date du litige n’est pas évoquée dans la délibération.
34 Délibération, le 5/09/1635, p. 253. Guillaume de Caen a envoyé le navire du capitaine Jean de Cormel en 1634 aux îles. L’équipage s’est particulièrement distingué en laissant une ardoise de 236 livres et 1 sol à un tavernier de Dieppe (AD 76, 204BP3, Appel de sentence, 1634). Il peut s’agir de ce navire.
35 Délibération, le 2/02/1646, p. 500.
36 MAE, MD, Am., 4, Contrat pour l’établissement des Français à l’île Saint-Christophe, Paris, le 31/10/1626. Pub. dans Margry, p. 99.
37 Com. de Richelieu aux Srs. d’Esnambuc et du Rossey, Paris, le 31/10/1626, dans DT/1667, t. 1, p. 13.
38 DT/1667, t. 1, p. 40. Un navire de Zélande vient en 1629 « chargés de vivres, d’étoffes et de toutes sortes de denrées nécessaires ». En 1630, « la famine était déjà si grande qu’ils auraient tous péris, si la divine providence n’y eut amené ce capitaine zélandais qui avait traité avec eux l’année précédente » ibid., t. 1, p. 46 et 58.
39 Déclaration royale, Saint-Germain-en-Laye, le 25/11/1634, dans DT/1667, t. 1, p. 42 ; DT/1667, t. 1, p. 23 et 36.
40 ANOM, F2A13, Traité de la Cie avec L’Olive et du Plessis, Paris, le 14/02/1635, p. 21 ; Délibération, le 3/09/1636, p. 282 ; Délibération, le 16/07/1637, p. 299-300.
41 Délibération, le 1/09/1638, p. 338-339.
42 P. Villiers, Les corsaires du littoral, op. cit., p. 72. Douze navires hollandais viennent par exemple à Saint-Christophe en 1628 (J.-P. Moreau, Les Petites Antilles, op. cit., p. 197). Savary des Bruslons affirme que les bourgeois de Flessingue et de Middelbourg envoient avant 1664 une centaine de navires par an aux Antilles (J. Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, t. 1, 1726, p. 1260).
43 P. C. Emmer, The Dutch in the Atlantic Economy, op. cit., p. ; P. Villiers, J.-P. Duteil, L’Europe, la mer, et les colonies, op. cit., p. 6-13 ; J. I. Israel, The Dutch Republic, Oxford UP, 1995, p. 312 et suiv. Les Hollandais disposent depuis le xve siècle de l’une des principales flottes en Europe dépassant celles des grandes cités maritimes italiennes de Gênes et de Venise (L. Sicking, « Les Pays-Bas et la mer à l’époque de Charles-Quint », Revue d’histoire maritime, 2/3, 2001, p. 103-104). En 1669, d’après Colbert, les Hollandais ont 15000 à 16000 navires, les Anglais 3000 à 4000 et les Français 5000 à 6000 (Dissertation sur la question des alliances des Anglais, mars 1669, dans Colbert/L, t. 6, p. 264).
44 J. Meyer, Histoire du sucre, op. cit., p. 118-119.
45 DT/1667, t. 2, p. 463 ; C. Brunetti, « Relation des isles de l’Amérique », op. cit., p. 31.
46 DT/1667, t. 2, p. 466. Dutertre évalue les frais de l’équipage et les gages des matelots à 1200 livres par mois.
47 Il compte un baril de biscuit par homme pour deux mois qui vaut trois écus, quatre barils de lard pour les 50 hommes au prix de 55 francs le baril (C. Brunetti, « Information succinte de quelques établissements aux pays de l’Amérique méridionale », dans S. H. Anderson, « Cosimo Brunetti… », op. cit., p. 36). À titre de comparaison, le coût d’armement d’un navire de 150 tonneaux pour la Nouvelle-France est évalué à 20000 livres tournois en 1628 dont 14000 livres pour les marchandises (G. Carpin, Le réseau du Canada, op. cit., p. 121).
48 Ils ont pris Bahia aux Portugais en 1624 (mais l’ont perdu l’année suivante) et Pernambuc en 1630. Ils tiendront cette dernière place jusqu’en 1654 (F. Mauro, M. de Souza, Le Brésil du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle, Paris, SEDES 1997, p. 89 et 98). Au début du xviie siècle, ils fondent deux forts sur l’Amazone. Il existe aussi un poste de traite dès 1613 sur la rivière Corentyne et un autre sur la Berbice vers 1624, Fort Nassau (M. Devèze, Antilles, Guyanes, la mer des Caraïbes, op. cit., p. 121).
49 D. Le Hirbec, Voyages, op. cit., p. 24 ; MSM, p. 171. Kram reprend la mer en 1647 pour gagner la Hollande via Dieppe. Maurile de Saint-Michel embarque à son bord. Mais le navire connaît de nombreuses avaries et doit revenir à Saint-Christophe. Le carme prudent préfère prendre un autre navire. Le navire hollandais de Jean Kram ira s’échouer sur la côte du Portugal (MSM, p. 238).
50 DT/1667, t. 1, p. 307.
51 Chev, p. 46.
52 J. Meyer, Histoire du sucre, op. cit., p. 118-119.
53 Dupuis, p. 37.
54 A. Martineau, L.-Ph. May, Trois siècles d’histoire antillaise. Martinique et Guadeloupe de 1635 à nos jours, Paris, Société de l’histoire des colonies françaises/Leroux, 1935, p. 24 ; PDP, p. 34. Un navire hollandais venant de Saint-Christophe avec 100000 livres de tabac est saisi par les corsaires dunkerquois en 1641 (AGR, A6, Lettre de Jean Pennincq, Dunkerque, le 18/10/1641. Pub. dans J. Dams, « La correspondance de Jean Penninck », Revue de la société dunkerquoise d’histoire et d’archéologie, 34, 2000, p. 39).
55 Arch. municip. du Havre, fonds Boivin-Colombel, 49Z 06, J. Boivin à I. Boivin, Saint-Christophe, le 6/09/1647.
56 Trois navires hollandais sont par exemple chez les Anglais de Saint-Christophe en 1638 (J. Taylor, Newes and Strange Newes from St. Christophers, op. cit., p. 6). Les Hollandais apportent aussi de l’approvisionnement aux premières colonies anglaises d’Amérique du Nord, notamment des toiles et des vêtements (W. Bradford, Histoire de la colonie de Plymouth, Genève, Labor et fides, 2004, p. 181, 231, 238 et 302). Cela n’exclut pas des rivalités entre Anglais et Hollandais dans l’espace nord-américain.
57 Délibération, le 6/01/1645, p. 478.
58 C’est notamment le cas de Dutertre qui part de France en 1655 sur un navire affrété en France mais dont l’équipage et le capitaine sont hollandais. En 1656, il part en revanche du Texel (DT/1667, t. 1, p. 506-507).
59 Mazarin à M. de la Thuillerie, Paris, le 11/12/1643, dans Mazarin/L, t. 1, p. 495-496.
60 Sir John Wolstenholme to sir William Beecher, le 16/08/1633, dans CSP, t. 1, p. 171 ; The King to the feoffees of Jas. late Earl of Carlisle, avril 1637, dans CSP, t. 1, p. 251.
61 Discours sur les manufactures du royaume, 1663, dans Colbert/L, t. 2-1, p. CCLIX. « Aux Indes occidentales, […] les Hollandais font tout le trafic », écrit-il en 1664 (Mémoire sur le commerce présenté lors du premier conseil de commerce, le 3/08/1664, dans Colbert/L, t. 2-1, p. CCLXIX). Le financier parisien Pierre Formont parle de 100 à 120 navires se rendant dans les îles chaque année. Il se veut lucide et indique que la France n’étant pas en mesure de faire ce commerce, « il est à propos de le laisser encore pour un temps aux Hollandais » (ANOM, C8B1, n° 8, Mémoire du Sr. Formont pour montrer l’utilité du commerce des îles et les moyens de bien les établir, 1662, pas de n° de fol).
62 A. Pérotin-Dumon, La ville aux îles, op. cit., p. 127.
63 Ph. Haudrère, L’empire des rois, op. cit., p. 90 ; M. Devèze, Antilles, Guyanes, la mer des Caraïbes, op. cit., p. 211.
64 Délibération, le 16/12/1642, p. 438 ; D. Le Hirbec, Voyages, op. cit., p. 23 ; PDP, p. 34. Un ouragan provoque le naufrage d’une vingtaine de navires, sans compter les barques et les chaloupes. Les chiffres varient très largement d’un auteur à l’autre. Dutertre déplore la perte de vingt-trois navires, Le Hirbec de vingt-neuf, Breton, de trente-deux navires et Mathias Dupuis de trente ou trente-deux (DT/1667, t. 1, p. 221 ; D. Le Hirbec, Voyages, op. cit., p. 23 ; Bret/RF, p. 119 ; Dupuis, p. 236).
65 R. Ligon, Histoire de l’isle des Barbades, op. cit., p. 36 et 68 ; A. Biet, Voyage de la France équinoxiale, op. cit., p. 289.
66 MSM, p. 231.
67 DT/1667, t. 1, p. 343-344. En 1640, le Portugal se soulève contre l’Espagne et reçoit l’appui des puissances européennes (Provinces-Unies, Angleterre). La France signe un traité d’alliance avec le nouveau souverain portugais Jean IV le 1er juillet 1641 (L. Bély, et al. (éd.), Guerre et paix dans l’Europe du XVIIe siècle, op. cit., t. 2, p. 93).
68 MSM, p. 168.
69 Délibération, le 6/01/1645, p. 478.
70 Délibération, le 1/09/1645, p. 493-494.
71 Délibération, le 6/01/1645, p. 478.
72 Délibération, le 16/12/1642, p. 439 ; Délibération, le 7/10/1643, p. 463 ; Délibération, le 6/01/1645, p. 479 ; Délibération, le 7/07/1645, p. 492.
73 Délibération, le 9/12/1644, p. 475.
74 Délibération, le 6/01/1645, p. 476-478 ; Délibération, le 5/05/1645, p. 488.
75 Délibération, le 12/12/1645, p. 497.
76 Délibération, le 2/02/1646, p. 499.
77 Requête à M. le gouverneur de la Guadeloupe, 1646, dans DT/1667, t. 1, p. 320 ; Réponse de Houël aux habitants, le 10 mai/1646, dans DT/1667, t. 1, p. 320.
78 Abdoulaye Ly souligne que la Compagnie du Sénégal souffre des mêmes maux. Son capital initial s’avère insuffisant quand elle « augmente inconsidérément le mouvement de ses navires pour le voyage triangulaire » (A. Ly, La Compagnie du Sénégal, op. cit., p. 225).
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