Chapitre 17. Les débuts de l’économie sucrière antillaise
p. 479-496
Texte intégral
1S’il est une culture que la Compagnie entend bien développer pour satisfaire le marché européen, c’est le sucre. Dès 1635, elle invite les capitaines Charles Liénard de L’Olive et Jean du Plessis, qui s’apprêtent à partir à la conquête d’une île pour son compte, à orienter les habitants vers la culture de la canne à sucre1. Le père Jacques Bouton écrit dans la relation qu’il adresse aux associés que le sucre est plein de promesses. L’Anonyme de Saint-Christophe, sensiblement à la même époque, se montre tout autant enthousiaste, en assurant que « ce sera le moyen de faire telle quantité de confitures sèches et liquides qu’on désirera, lesquelles étant envoyées en France, on en tirera de quoi faire subsister abondamment les peuples de ces îles. Et que peut-on désirer de plus délicieux2 ? ». Le sucre s’impose à la même époque dans l’île anglaise voisine de la Barbade. « Ils reconnurent aussitôt que c’était la principale plante qu’il fallait cultiver pour faire valoir toute l’île », écrit Richard Ligon en 16473. L’historiographie, en grande partie influencée par les récits des chroniqueurs, a longtemps fait des Hollandais chassés du Brésil en 1654 les véritables entrepreneurs sucriers dans les Antilles françaises4. Les travaux de Christian Schnakenbourg et de Michel Christian Camus ont mis en lumière les prémices de cette économie sucrière, mais ils ont négligé le rôle de la Compagnie5. Or il apparaît qu’il a été essentiel dans ce domaine, gagnant en ampleur au fil des années. Les contrats établis, les investissements réalisés et les engagements faits en témoignent. Les délibérations des associés montrent combien ils croient à l’avenir de cette production. Leur politique en matière sucrière consiste à inciter à la culture de la canne, à soutenir les grandes entreprises sucrières et à participer à la production.
Le soutien de la Compagnie aux entreprises sucrières
2La canne à sucre n’est pas une plante indigène. Sa culture a suivi l’expansion européenne dans l’Atlantique. Elle se développe à Madère, aux Canaries, aux Antilles, au Brésil. Il existe un engouement en Europe pour ce nouveau produit. Les confiseurs et les sucriers sont de plus en plus nombreux pour satisfaire une clientèle avide de nouvelles saveurs. Le sucre est aussi utilisé pour ses vertus médicinales et la confection de potions et de remèdes. Il est introduit en France au xvie siècle par les marchands portugais et hollandais6. Le marché sucrier européen est essentiellement alimenté par les produits venant des colonies portugaises et espagnoles7. Les Hollandais importent eux de grandes quantités de sucre d’Asie dans les années trente et quarante8. Ils développent eux aussi le système des plantations dans leurs enclaves brésiliennes au xviie siècle9.
Tableau 36. Les exportations de sucre des colonies portugaises.
année | en arrobes | année | en arrobes |
1617 | 1000000 | 1638-1642 | 360000 chaque année |
1618 | 500000 | 1641 | 600000 |
1620 | 25552 | 1643 | 1100000/1200000 |
1627 | 90 0 00 | 1645 | 1200000 |
1630 | 1300000/1500 00 | 1647 | 240000 |
1631 | 193200 | 1650 | 2100000 |
Source : C. Rahn Phillips, « The Growth and Composition of Trade in the Iberian Empires 1450-1750 », dans J. D. Tracy (éd.), The Rise of Merchant Empires, Cambridge, Cambridge UP, 1990, p. 60-61.
3La production est réalisée outre-mer mais les raffineries qui permettent de le blanchir sont essentiellement en Europe. Elles sont peu nombreuses en France. Le roi de France octroie le premier privilège de raffinerie à Jérémie Vualens à Rouen en 1613 pour une durée de sept ans. Il est renouvelé en 1620. En 1628, les Portugais de Rouen Gonsales Delgado, Diego Henriques Cardose, Henriques Diaz, Fernando Loppes et Antoine de Fonseca s’associent au rouennais Philippe de Saint-Léger pour fonder une raffinerie. Le marchand hollandais David Dierquens est à l’origine de la raffinerie établie à Bordeaux en 1633. Il est associé dans cette affaire à Jean de Riedder10.
4La culture de la canne à sucre a été vraisemblablement introduite dans les Petites Antilles par les Espagnols, mais ils qui l’ont vite délaissée, et les cannes sont retournées à l’état sauvage. L’Anonyme de Carpentras évoque la présence des cannes à sucre en 1619. Les Indiens les débitent en tranche ou en tirent le jus11. Cette canne dite sauvage a été au commencement des expériences françaises. Le jésuite Jacques Bouton dit d’elle qu’elle pousse sans beaucoup de travail et vient à sa perfection en huit mois. Le jésuite se montre particulièrement optimiste quant à son exploitation : « on en a fait l’expérience qui a bien réussi […] quand les moulins seront faits, cette île [la Martinique] sera plus considérable que par le passé ». L’Anonyme de Saint-Christophe souligne que les « cannes de sucre sont en abondance en l’île de la Guadeloupe, où elles croissent naturellement12 ». Il n’existe pas d’indices d’une culture de la canne par les Français avant la fin des années trente.
La Compagnie et les petits producteurs
5La Compagnie se propose de soutenir tous ceux qui envisagent de se lancer dans la culture de la canne en leur offrant des exemptions fiscales, en mettant à leur disposition des équipements, et en leur octroyant des monopoles. Ainsi, en 1638 la Compagnie accorde au sieur Turque, qui se propose de passer à la Guadeloupe avec des hommes pour travailler au sucre, une exemption des droits personnels pour lui et six hommes. Elle s’engage à payer son passage ainsi que celui de sa femme. Turque ne semble pas être venu aux îles, et le projet d’exploitation du sucre à la Guadeloupe est resté lettre morte. Quelques mois plus tard, la Compagnie promet à tous ceux qui exportent du sucre vers la France, l’exemption des droits pour eux et quinze hommes pendant six ans13. Il semble que des habitants cultivent la canne à Saint-Christophe car quelques engagements y sont explicitement référence. Le 20 juin 1640, Pierre Labadie, engage par exemple Jean Sutard et sa femme Perrine Despréaux pour faire du pétun, du coton « et du sucre » est-il précisé dans le contrat14. L’Anonyme de Saint-Christophe évoque quant à lui « quelques compagnies de marchands [qui] ont fait bâtir [des moulins] » à la Guadeloupe15. Nous ne connaissons pas ces entrepreneurs. La date de composition de la relation n’étant pas connue, il est difficile d’avancer à quelle époque se réfère la chronique16. Il semble que la politique volontariste de la Compagnie rencontre peu d’échos à cette époque. Du Parquet écrit aux associés le 17 août 1639 que personne n’est assez fort à la Martinique pour cela17.
6Les associés ne voient cependant d’avenir que dans la canne à sucre. L’évolution des cours et le développement de la demande européenne ont du attiser leur intérêt. Ils s’engagent en 1643 à soutenir les petits producteurs en leur consentant une baisse importante des droits qui lui sont dus par les colons de la Guadeloupe qui travaillent la canne. Ils ne payeront que 60 livres de pétun durant la première levée. Ils invitent en 1645 Charles Houël à apporter son soutien aux habitants qui cultivent la canne. Houël joue un rôle essentiel dans ce domaine. Il lui revient notamment de mettre à prix les cannes apportées par les habitants aux moulins de la Compagnie, en accord avec ses agents. Le prix, payable en sucre, est établi pour trois années18.
7La situation des petits producteurs sucriers est délicate car les investissements nécessaires à la culture, au traitement et à la transformation de la canne à sucre sont importants. Il convient de disposer d’une main-d’œuvre abondante pour préparer le sol, planter les cannes, les couper, puis les porter au moulin pour qu’elles y soient broyées. Les opérations sont nombreuses pour obtenir du sucre et nécessitent des équipements coûteux. Il faut un moulin, où la canne est broyée entre deux roues ou meules, et plusieurs chaudières de cuivre où le jus est mis à bouillir et écumé régulièrement afin de le purifier et de l’épaissir. Le sirop de sucre chaud est ensuite mis à refroidir pour qu’il cristallise, puis il est versé dans des barriques. Dutertre évoque l’existence de moules en terre ou formes qu’on est « obligé de faire venir de Hollande à grands frais » car on ne sait pas les faire précise-t-il19. Le nombre de chaudières dépend en grande partie des investissements consentis20. Afin de soutenir l’effort des habitants, la Compagnie construit des moulins dits banaux pour broyer les cannes qu’ils doivent obligatoirement utilisés. Les préoccupations économiques motivent cette mesure – d’ailleurs, dans le même temps, elle permet aux habitants de la Guadeloupe de porter leurs cannes au moulin des Trezel21 – mais la volonté d’affirmation seigneuriale et l’intérêt fiscal sont aussi très présents. Les petits producteurs ne font que cultiver la canne. Ils n’ont pas la possibilité de traiter par eux-mêmes davantage le produit. Leurs habitations se distinguent des « sucreries » qui abritent, elles, les moulins, les entrepôts, puis, par la suite, les chaudières et les distilleries. C’est une première limite à la reconversion des habitants dans cette production. Et elle va perdurer. Charles de Rochefort rapporte que dans les années cinquante les habitations sucrières sont encore de petites exploitations et que « beaucoup de ses habitants ne sont pas encore capables d’avoir assez de chaudières et de se procurer les grandes machines où les cannes sont broyées22 ». Les grandes entreprises sucrières semblent aux yeux des associés les seules capables de dynamiser ce secteur.
Poincy et le sucre
8Poincy s’intéresse très tôt au sucre. Il s’entend au mois de mai 1639 avec Adam Raye pour cultiver la canne à Saint-Christophe. Raye s’engage à faire venir dans l’île un moulin avec des équipements23. C’est un homme connu dans le milieu marchand rouennais. Son frère Jehan, qui a séjourné au Brésil à Pernambuc, s’est spécialisé dans le sucre24. Il en a l’expérience. Sa proposition ne peut que retenir l’attention du chevalier de Malte25. Poincy est très enthousiaste. Cependant, prudent, il avise la Compagnie de son projet pour obtenir son aval. Les associés acquiescent le 1er juillet 1639, mais ils n’entendent pas lui laisser le bénéfice de l’entreprise et s’invitent dans l’affaire. En 1642, ils le prient de lui envoyer un état de la dépense à faire26. Mais il n’est pas certain que la Compagnie soit effectivement entrée dans l’entreprise de sucre de Poincy car nous n’avons nulle part mention d’un quelconque investissement de sa part. Par ailleurs, Poincy n’aurait pas manqué de signaler cette présence quand il est en conflit avec les associés et leur réclame des dédommagements.
9Poincy fait du sucre sur ses vastes terres de la Montagne et de Cayonne. L’habitation de la Montagne compte 100 esclaves, 200 artisans et un moulin à sucre en 164627. Elle s’agrandit considérablement durant la décennie suivante. Vers 1650, elle compte plus de 300 esclaves, 100 domestiques et 3 moulins. L’habitation de Cayonne a elle aussi 3 moulins à sucre dont 2 mus par des animaux et un autre par la force d’un ruisseau28. En 1654, Poincy possède au total 600 à 700 esclaves et 6 moulins sur ses différents domaines29. Les investissements consentis par Poincy dans le sucre sont importants. Michel Christian Camus les évalue pour la sucrerie de la Montagne à 3 750 livres pour le moulin, et à 50 000 livres pour les esclaves. Il compte 50 livres par engagé et par an30. Le coût des esclaves est certainement à réviser car le capitaine général reçoit selon la coutume les deux-tiers des esclaves pris sur les navires31. Mais les prises sont irrégulières et incertaines, aussi Poincy a-t-il certainement acheté beaucoup d’esclaves sans que nous puissions en dire le nombre. Le mode de financement des opérations de Poincy est assez obscur. L’homme a de l’argent. La rente annuelle de ses commanderies se monte à 20000 livres tournois32. Il tire aussi quelques profits des habitations antillaises. Mais cela peut-il suffire ? car il doit faire face en même temps à d’importantes dépenses pour son château de la Montagne. Le chevalier de Malte s’endette. Il est bientôt dans une passe difficile car il ne peut faire face à toutes ses obligations. En 1643, ses commanderies sont saisies. Ses créanciers lui réclament 300000 livres33. Poincy tente de trouver d’autres sources de revenus. Il se tourne alors vers le commerce et s’entend avec les Rubergues, des bourgeois de Middelbourg, pour assurer l’approvisionnement de Saint-Christophe. Il essaie plus tard de négocier le rachat des avances consenties aux Zélandais pour 600000 livres avec la Compagnie qui le renvoie vers Leumont34. La négociation n’aura jamais lieu. Il entre en rébellion et chasse Leumont de Saint-Christophe. Poincy diversifie ses activités. Il fait du vin de canne dont il semble tirer un grand profit35. Ainsi, s’enrichit-il considérablement grâce au sucre. L’habitation de la Montagne lui rapporte 30000 écus de revenu par an36. Pierre Cultru évalue sa fortune – constituée en grande partie en capital – à plus d’un million de livres. Ce chiffre est exagéré car comme le note Michel Christian Camus, les conversions des écus en livres tournois qu’il effectue sont fausses et les biens sont souvent surestimés37. Il n’en demeure pas moins que Poincy dispose d’un revenu confortable.
10Poincy n’est pas le seul sucrier de l’île de Saint-Christophe. En 1650, dix-sept sucreries sont en activité38. Rochefort assure qu’au milieu des années cinquante les parents de Poincy (Longvilliers, Tréval, Bénévent) ont tous des habitations sucrières et des moulins. Le capitaine de milice, Aubert, a pour sa part une habitation à la Montagne, non loin de celle de Poincy, où il fait faire du sucre et du gingembre avec une cinquantaine d’esclaves. Le marchand havrais Jean Boivin possède une habitation où il a planté 15000 pieds de canne en 1647. Mais il est inquiet car il manque de main-d’œuvre pour assurer la coupe. Il demande le 6 septembre 1647 à son frère Isaac, qui est resté au pays, de lui envoyer des engagés. Il craint de ne pouvoir faire la récolte et se résout même au pire au cas où il ne disposerait pas des hommes attendus, à savoir tout vendre sur pied et perdre son investissement. Mais il envisage de planter 30000 autres pieds de canne s’il dispose d’assez de main-d’œuvre39. À titre de comparaison, l’habitation du colonel Modiford, l’une des principales de la Barbade anglaise, compte dans les années cinquante, 500 arpents dont 200 de cannes, mais aussi des citernes et une distillerie. Elle a 96 esclaves, 3 Indiennes et 28 serviteurs40.
La Compagnie et Trezel
11En 1639, les associés sont approchés par un bourgeois de Rouen d’origine hollandaise, Daniel Trezel, pour un projet sucrier d’envergure41. Il présente à leurs yeux quelques garanties qui justifient leur attention. Trezel bénéficie de nombreux appuis dans la communauté protestante de la ville42 et connaît le commerce du sucre. Son fils Cornelis achète d’ailleurs du sucre au Brésil avec Pierre Offermans, un autre marchand hollandais de Rouen43. Daniel Trezel espère peut-être diversifier ses approvisionnements à moins qu’il n’ait vu dans l’accord conclu entre Raye et Poincy une menace pour ses propres affaires.
12Les associés sont intéressés par l’offre de Trezel et chargent Chanut et Martin de Maunoy d’en discuter avec lui. Un contrat est signé le 6 avril 1639. Que promet la Compagnie ? Ne désirant pas à cette époque investir directement dans cette production ou n’ayant pas les moyens financiers pour se lancer dans l’aventure, elle délègue avec satisfaction à Trezel le soin de développer cette activité à ses frais. Les charges et la faisabilité de l’entreprise sont supportées par le seul Trezel. Elle lui offre des conditions optimales pour son entreprise en lui concédant le monopole de la culture de la canne à la Martinique pour une durée de cinq ans (jusqu’en 1645). Elle lui promet 2400 arpents de terre, mesure de Paris, à la Martinique près d’une rivière dont il sera le propriétaire à la condition de lui verser, en tant que seigneur, un cens annuel d’une livre de coton pour 600 toises. Il en sera exempté la première année. Il devra aussi à la Compagnie le dixième des sucres et un quarantième à une personne désignée par la Compagnie. À la fin des six années, le monopole expirera et Trezel paiera un dixième des sucres. Il bénéficiera de la prolongation de son contrat et d’une compensation financière en cas d’occupation de l’île par les ennemis de la France. Trezel obtient en outre de la Compagnie une ou deux habitations à la Guadeloupe pour y faire des sucres « aux conditions générales et sans privilège particulier ». Il y est un producteur comme les autres, devant acquitter les droits à la Compagnie. Cette clause trouve son origine dans le contrat signé entre la Compagnie et les marchands de Dieppe pour l’exploitation de la Guadeloupe. Mais il est aussi possible que la Compagnie ne veuille pas porter préjudice aux petits planteurs qui exercent à cette époque à la Guadeloupe. La Compagnie espère beaucoup de l’entreprise de Trezel à la Martinique et entend bénéficier de ses retombées. Aussi, est-il interdit à Trezel de traiter avec les étrangers. Il doit envoyer toute sa production en France. Le 1er juillet 1639, la majorité des associés approuvent le contrat44.
13Daniel Trezel envoie aussitôt ses fils dans les îles pour superviser les premiers travaux45. À la Martinique où arrivent rapidement ouvriers et matériel, l’entreprise semble moins prometteuse que prévue. Martin de Maunoy, Berruyer et Chanut rapportent aux associés le 6 avril 1640 que Trezel « se serait résolu d’abandonner ce dessein46 ». Trezel s’est peut-être lancé un peu rapidement dans ce projet sans prendre en compte les conditions locales, mais il dresse vraisemblablement un tableau un peu sombre de son entreprise dans ses courriers aux associés pour espérer de nouveaux privilèges. L’affaire est visiblement tout aussi mal engagée à la Guadeloupe. Les terres proposées par la Compagnie pour la culture de la canne ne satisfont pas le jeune Samuel Trezel car elles sont couvertes « de grands bois périlleux et malsains ». Aussi se met-il en quête d’une autre terre. Il s’entend avec le gouverneur Charles Liénard de L’Olive, pour l’achat d’une habitation « située le long d’une belle rivière […] et d’étendue convenable » pour la somme de 35000 livres de pétun payable par moitié en deux ans. Le contrat est signé le 20 août 1639. Le gouverneur lui concède aussi « en pur don » deux jardins de « Sauvages » aux environs desquels se trouve aussi « quelque quantité de cannes sauvages bonnes à replanter47 ». Les choses prennent alors forme à la Guadeloupe. Trois jeunes gens de Dieppe, Robert Dumesnil, Antoine de La Croix et Étienne de Vic, sont recrutés48.
14En 1640, Daniel Trezel réclame aux associés de nouveaux privilèges pour exercer son activité à la Martinique et à la Guadeloupe. Le 13 mars 1640, les associés tiennent une assemblée presque exclusivement consacrée à sa requête. Ils se montrent compréhensifs mais ne peuvent tout lui concéder car certaines demandes ne relèvent pas de leur autorité, mais de celle du roi. Ils tiennent à ce que Trezel reste dans le coup car « si ledit Trezel venait à abandonner son entreprise déjà commencée […] dans les îles, cela tournerait au grand préjudice de la Compagnie49 ». Trezel veut une exemption de tous les droits et l’entrée libre des sucres en France pendant dix ans. Ils consentent tout au plus à le décharger de tous les droits sur les sucres jusqu’au 31 décembre 1645 et promettent, pour les six années suivantes, soit jusqu’au 31 décembre 1651, de ne prélever qu’un droit de seulement 7 %. Trezel désire un « privilège du roi ample et en forme due sous le grand sel avec la commission de son éminence » garantissant pour lui, ses héritiers et ayants droits pour quinze années consécutives le monopole de la culture de la canne à la Martinique et à la Guadeloupe. Il espère aussi obtenir le prêt d’un des petits vaisseaux du roi pour faire un voyage aux îles pour y transporter des hommes et matériel. Il sait que la demande est particulière et risque de rencontrer l’hostilité de la couronne jalouse de ses navires. Aussi, propose-t-il que les associés permettent à défaut le passage libre de trente hommes sur leurs navires. Les associés préfèrent dans un premier temps ne pas trop s’engager et ne lui accordent que les congés nécessaires pour l’envoi de navires aux îles. Ils se montrent finalement plus généreux en consentant au passage de trois hommes et de deux tonneaux sur chaque bateau appartenant à la Compagnie pour six voyages pour une période de six années. Comme Trezel ne dispose pas des fonds nécessaires pour réaliser les investissements nécessaires, les associés lui font un prêt de 20000 livres de pétun pour l’achat d’habitations. Ils lui promettent aussi de faire passer gratuitement sur un de leurs navires « quelques machines ou engins à sucre ». Les associés, vraisemblablement échaudés, ne veulent cependant plus dépendre pour le projet sucrier du seul Trezel et préfèrent résilier le monopole qui lui avait été concédé en 1639. Tous les habitants de la Martinique pourront désormais s’adonner à la culture de la canne. Les associés pensent ainsi développer cette production, mais, pour ne pas contrarier Trezel, ils lui promettent un tiers des droits qui seront levés par la Compagnie. Ce dernier garde en revanche le monopole des moulins50. Le nouveau contrat est signé le 6 avril 1640.
15Durant les années suivantes, les Trezel obtiennent à plusieurs reprises de nouvelles exemptions et aides de la Compagnie. En 1641, la Compagnie leur accorde le passage libre et gratuit de quatre tonneaux et de trois hommes dans le prochain navire qui s’équipera à Saint-Malo ou à Dieppe. En 1643, elle met à la disposition de Houël 1600 francs pour faciliter entre autres leur entreprise. Elle exempte les Trezel de la garde. En 1644, elle leur permet d’envoyer des navires aux îles « sans aucune charge » pendant six ans et leur accorde une exemption générale jusqu’au 31 décembre 1647. Elle met à leur disposition le vaisseau du capitaine Vallery qui se prépare à Dieppe pour porter des moulins et d’autres machines et pour passer sans frais six tonneaux51. Le gouverneur de la Guadeloupe, Charles Houël, est chargé sur place de veiller à l’affaire des Trezel et les favoriser.
16Daniel Trezel réclame des promotions pour ses fils. En 1640, la Compagnie consent à leur donner des charges quand ils « auront séjourné quelque temps dans les îles selon qu’ils s’y seront comportés et lorsqu’il y aura des emplois à donner èsdites îles ». Les associés se font dans ce domaine assez conciliants et promettent que Samuel Trezel « jouira des privilèges, exemptions, rang et séances comme s’il avait et exerçait la charge du dernier capitaine d’une compagnie en ladite île52 ».
17Ces nombreux privilèges participent incontestablement à relancer les investissements des Trezel à la Martinique et à la Guadeloupe. Le 3 juin 1644, ils forment une société pour établir des moulins à sucre à la Guadeloupe. Le 3 mars 1645, la Compagnie les autorise à avoir un moulin pour cinq ans pour lequel ils devront lui reverser un droit53. Mais si comme le dit Daniel Le Hirbec en 1642, l’on fait bien du sucre à la Martinique, il est impossible d’évaluer la production54. Les résultats des Trezel ne doivent pas être très satisfaisants car ils n’ont de cesse de réclamer davantage de privilèges et droits à la Compagnie tout au long des années quarante pour soutenir leur entreprise.
L’habitation sucrière de la Compagnie à la Guadeloupe
18Le 16 décembre 1642, les associés décident de se lancer à leur tour dans la production du sucre55. Ce changement de stratégie en matière économique est le produit d’une réflexion qu’ils mènent depuis plusieurs mois et que le manque de réussite de Trezel semble avoir précipité56. Ils considèrent que cette culture est « la » culture d’avenir et que « la Guadeloupe [est] […] de toutes les îles [celle] qui est la plus propre à la nourriture des cannes57 ». Ils espèrent semble-t-il en tirer un profit confortable. Dutertre prête à Aubert un rôle important dans ce revirement des associés, mais il n’est pas sûr qu’il ait reçu de la Compagnie l’assurance de conduire la confection des sucres, comme le dominicain le suggère. Il a très bien pu travestir les événements et lui prêter davantage de responsabilités qu’il n’en avait pour mieux dénoncer l’attitude de Charles Houël qui veut prendre sa place. Dutertre n’est pas à une erreur près. Ne dit-il pas que Houël est en 1642 un associé de la Compagnie, alors il n’entrera dans la société qu’en 164358 ? Par ailleurs, les associés n’évoquent jamais Aubert quand ils parlent de leurs projets sucriers. Le 16 décembre 1642, ils déclarent rechercher « quelque personne de considération à laquelle ils puissent confier la direction de ce dessein59 » ? L’envoi en mission à la Guadeloupe de Charles Houël en 1642 par les associés, pourrait avoir eu pour but d’évaluer la situation sur place avant de réaliser les investissements nécessaires alors que rien n’est encore décidé, et encore moins le nom du directeur du futur établissement.
19Christian Schnakenbourg soutient que la Compagnie récupère les biens de Trezel à la Guadeloupe, mais il est difficile de le suivre sur ce point car Trezel ne semble pas abandonner son affaire, il la poursuit bien au contraire à la Martinique et à la Guadeloupe où il a un moulin. Trezel n’a pu se laisser dépossédé ainsi, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, il a signé un contrat avec la Compagnie pour l’exploitation du sucre à la Martinique et à la Guadeloupe qui porte sur plusieurs années. Il ne peut être rompu unilatéralement à moins de finir devant les tribunaux, mais nous n’avons aucune mention de litige devant les instances judiciaires. Cela ne laisse que la possibilité d’une entente entre Trezel et les associés. Mais, en ce cas, quels sont les dédommagements consentis par la Compagnie ? D’autre part, il apparaît singulier que dès 1641, alors que l’entreprise n’en est qu’à ses débuts, cela ne fait que deux ans que Trezel est établi à la Guadeloupe, on pense à le remplacer. Les menaces d’abandon de Trezel ne doivent pas nous aveugler, elles participent de sa stratégie pour obtenir davantage de privilèges, elles ne signifient pas forcément son désir profond. Enfin, il serait étonnant qu’au cas où Trezel se retire et cède son moulin, il investisse à nouveau dans ce type d’affaire en 1643, et que la Compagnie invite Houël à le soutenir dans son entreprise60. En l’absence de document qui atteste d’un accord entre les associés et Trezel, nous devons nous contenter d’hypothèses.
Les investissements de la Compagnie pour la famille
20L’habitation de la Compagnie à la Guadeloupe, « la famille » comme l’appelle les associés, est mal connue. Nous n’en savons ni le lieu ni la superficie. Il est possible qu’elle occupe les terres dont dispose la Compagnie dans l’île, et qui lui ont été cédées par Charles Liénard de L’Olive le 20 juillet 1641, quand ce dernier s’est résolu à abandonner sa charge de capitaine général de la Guadeloupe61. Elles doivent être à Cabesterre où il était établi62, voire à Basse-Terre. Les contrats de vente de la Guadeloupe et des biens de la Compagnie dans l’île à Charles Houël en 1649 ne donnent pas davantage d’informations sur ce point.
21Les associés font construire des bâtiments, apportent du matériel et recrutent de la main-d’œuvre. Le moulin pour broyer la canne est un élément essentiel de l’habitation. En 1643, un modèle est établi par un menuisier et en 1644, la Compagnie dispose de son moulin63. Nous n’en connaissons pas les caractéristiques techniques. L’un des rares moulins décrits à cette époque par Maurile de Saint-Michel parle de deux roues écrasant les cannes. Dutertre évoque un peu plus tard, un moulin composé de trois rouleaux qui broient les cannes, mus par un attelage de bœufs64. Il n’est jamais question dans la documentation de la Compagnie des chaudières pour faire bouillir le jus tiré des cannes broyées qui donnera le sucre. En 1642, alors qu’elle définit son projet, la Compagnie table sur une centaine de personnes spécialement dédié à la famille, « soixante nègres et quarante ou cinquante artisans ». Combien d’artisans sont venus ? Tout au plus savons-nous qu’en 1645, Houël revient de France avec cent hommes, mais nous ne savons pas leurs spécialités65. Ils n’ont pas du être tous affectés à la famille. La Compagnie a pu aussi mobiliser les engagés qui sont à son service à la Guadeloupe. Mais la plus grande partie de la main-d’œuvre est constituée d’esclaves. Ils sont à la base du développement de la culture de la canne et annoncent la structure de la société coloniale dite d’habitation si bien étudiée dans le cas martiniquais par Jacques Petitjean Roget66. Mais combien sont-ils ? Le capitaine Drouault livre 62 esclaves en 1643 à la Guadeloupe pour la famille conformément au contrat signé avec Jean Rozée au début de l’année. Dutertre indique que la Compagnie dispose de 5 à 6 serviteurs et 56 esclaves quand le gouverneur de l’île et directeur de la famille, Charles Houël, arrive à Fort-Royal le 5 septembre 164367. Sont-ce ceux achetés quelques mois plus tôt et livrés par Drouault ? Houël acquiert aussi tous les esclaves qui arrivent à la Guadeloupe en décembre 1643 sur un navire anglais, mais on ne sait combien furent affectés à la famille. Il semble qu’un bon nombre fut revendu aux officiers de l’île. Le 24 août 1644, Drouault apporte de nouveaux esclaves68. En 1645, Houël achète 100 esclaves69, semble-t-il principalement pour la Compagnie. Un jésuite atteste qu’il y a près de 180 esclaves travaillant sur l’habitation70.
22La famille est conçue comme une unité de production autonome. Tous ceux qui y travaillent dépendent de la Compagnie qui leur fournit tout ce dont ils ont besoin. Ils reçoivent du commis des vivres, outils, marchandises, ustensiles et munitions. Ils peuvent aussi acheter au magasin de la famille un certain nombre de produit dont le prix est retenu sur leurs gages71.
23Les associés dépensent beaucoup d’argent pour leur habitation. Le 6 janvier 1645, ils avouent avoir mis 40000 livres du fonds de la Compagnie et avoir une dette de 35000 livres alors qu’ils envisagent une nouvelle dépense de 10000 livres pour du matériel et du personnel72, soit un investissement de 85000 livres. Cela est assurément plus qu’ils ne comptaient. Les dépenses ne sont pas toujours maîtrisées. Houël et ses commis entament largement le crédit de la Compagnie en tirant des lettres de change sur son compte73. La Compagnie doit donc emprunter 45000 livres pour couvrir ses frais et poursuivre ses activités.
L’organisation de la famille
24Les associés lient la charge de directeur de la famille à celle de gouverneur de la Guadeloupe en suivant la suggestion faite par Charles Houël. Le 4 mars 1643, Charles Houël est choisi comme directeur et reçoit la charge de gouverneur74.
25Le directeur donne les ordres aux commis, aux ouvriers, aux conducteurs et aux esclaves de la famille « selon qu’il jugera le plus à propos pour l’exécution dudit établissement de la manufacture des sucres ». Il ne peut investir dans des affaires économiques ni tenir une habitation, sauf permission spéciale de la Compagnie, car il contrarierait ses intérêts alors qu’il est chargé de les défendre. Il reçoit pour cela à titre de dédommagement « six soldats auprès de lui […] nourris aux dépens de ladite Compagnie dans le corps de ladite famille », auxquels elle promet 100 livres de gages par an. Il bénéficie aussi d’« un dixième franc de tous les sucres qui seront faits et fabriqués par ladite famille en la Guadeloupe tant qu’il y fera séjour en ladite charge, et pour ce que les trois premières années ne produiront qui fort peu de revenus, ladite Compagnie promet audit sieur Houël de lui continuer le même droit de dixième sur tous les sucres manufactures par ladite famille durant trois années après son départ de ladite île pourvu qu’il y soit demeuré six années75 ». Il peut compter sur l’assistance d’officiers, dont on ne sait s’ils sont spécialement affectés à la famille.
Figure 25. La structure de la famille.

26La Compagnie a beau accorder sa confiance à Houël et s’en remettre « totalement à sa prudence », comme il est dit dans les délibérations, elle n’entend pas pour autant le laisser trop libre. Il est son agent et dépend d’elle. Il doit suivre ses instructions. Il « avancera l’exécution de ce dessein suivant les intentions de la Compagnie qui lui ont été communiquées et l’acheminera par les voies portées en l’instruction particulière qui lui est baillée à cet effet en sorte néanmoins qu’il ne demeurera point responsable des événements encore qu’il eut changé lesdits ordres ». Les associés invitent Houël à s’entretenir avec l’intendant général des affaires de la Compagnie « pour avoir ses avis aux choses importantes76 ». Les associés espèrent ainsi bénéficier de remontées d’informations. Mais Leumont réside à Saint-Christophe, et les liaisons existantes entre les différents établissements français aux Antilles ne permettent pas toujours pas un contrôle aussi rigoureux que voulu.
27La tenue des comptes et des livres de la famille revient au commis de la famille. Il doit aviser la Compagnie de la conduite des affaires et lui envoyer tous les six mois les extraits de ses livres et les états des habitations, moulins, terres cultivées, plants de cannes, ouvriers, Noirs, afin qu’elle connaisse les progrès de l’entreprise77. Nous ne savons pas s’il y eut un commis dès 1642. Il est possible qu’à cette date la famille soit sous l’unique contrôle de Houël. Un commis aux écritures spécialement choisi par lui a pu œuvrer sous sa conduite. Le 3 mars 1645, la situation change. Les associés nomment Legay commis de la famille. Il perçoit des appointements de 3000 livres de pétun par an et est nourri au frais de la famille78. La nomination de Legay en 1645 pourrait être une réponse des associés pour mieux encadrer l’action de Houël et éviter de nouvelles dépenses.
28Les instructions données à Legay précisent la façon dont il doit tenir ses livres. Ainsi le registre de la dépense « contiendra tout ce qui aura été employé ou consommé dans ladite famille [et] sera divisé en quatre chapitres dont le premier sera des choses distribuées aux particuliers de ladite famille et sera divisé en plusieurs articles comme de vivres, outils, marchandises, ustensiles et munitions ; le second contiendra ce qui aura été délivré ou donné aux sauvages, soit vivres ou traite ; le troisième ce qui aura été vendu aux habitants ou baillé aux officiers et gens de ladite famille sur étant moins de leurs gages ; le quatrième, tout ce qui aura été envoyé en France des effets de la famille, par quels vaisseaux, à quelle condition de fret et quel commis le tout aura été adressé en France ». Le commis a à l’œil tous ceux qui travaillent sur l’habitation. Il doit aviser la Compagnie des officiers et gens de travail qu’il faut gratifier ou au contraire réprimander. Il tient un livre des gagistes. Les directeurs de la Compagnie insistent sur le fait qu’il doit bien garder toutes les pièces justificatives des dépenses79. Mais il ne peut en engager aucune. Il n’est qu’un agent d’exécution sous l’autorité directe du gouverneur et de l’intendant général.
29Legay n’est pas la seule personne nouvellement nommée par les associés. Sa femme Julienne Bourgoing est autorisée à passer dans l’île aux frais de la Compagnie « pour servir à la conduite du ménage de ladite famille », aux gages de 1000 livres de pétun. Dans le même temps, le procureur fiscal de la Guadeloupe, Mathurin Hédouin, reçoit 2000 livres en qualité de maître des ouvrages de la famille80.
30Les Trezel sont sollicités par la Compagnie pour aider au démarrage de la famille. Ils lui vendent une grande quantité de plants qu’ils avaient élevés, et lui apportent leurs avis et leurs connaissances. L’inexpérience des associés et de Charles Houël dans ce type de production rend leur appui et leurs conseils essentiels. Il est bien entendu que les Trezel sont obligés par la Compagnie d’aider Houël en récompense des nombreux privilèges qui leur ont été octroyés. Nous pouvons nous interroger sur le rôle exact de Samuel Trezel dont les qualités d’entrepreneur ont été plus d’une fois critiquées par les associés. Quant à ses conseils, le peu de résultats qu’il a obtenu sur sa propre exploitation laisse assez dubitatif. Mais, il sait assurément davantage que Houël. Les deux entités de production de sucre de la Guadeloupe, l’habitation de Trezel et la famille de la Compagnie, sont cependant bien distinctes et personne ne doit entrer dans les affaires de l’autre, ainsi est-il hors de question d’« admettre [Trezel] en aucune part dans l’entreprise de la confection des sucres » de la Compagnie81.
Les faiblesses de l’économie sucrière
Le manque de main-d’œuvre spécialisée
31La mise en place de la filière sucrière nécessite des ouvriers expérimentés. Mais ils sont rares. Aussi la Compagnie se lance-t-elle à la recherche d’« hommes entendus et qui veuillent entreprendre à faire des sucres dans ladite île de la Guadeloupe82 ». Elle peine à les trouver. Sa propre habitation, la famille, manque cruellement de main-d’œuvre spécialisée comme l’attestent les nombreuses délibérations consacrées à cette question83. Les associés en appellent alors à recruter à l’étranger, notamment à Madère ou en Hollande. Les Portugais exploitent la canne à sucre à Madère depuis le xve siècle. Ils en ont l’expérience. Quant aux Hollandais, ils passent depuis leur installation au Brésil et leur engagement dans la production sucrière pour de fins techniciens84. Le 31 mars 1645, les directeurs mobilisent tous leurs réseaux et leurs contacts « tant en Hollande qu’à Madère ou autres lieux pour traiter avec un ou deux hommes qui sachent travailler à faire le sucre » pour partir au plus tôt à la Guadeloupe85. L’escale à Madère faite par Charles Houël, quand il retourne aux îles en 1645 après être passé en France pour défendre son bilan devant les associés, est peut-être motivée par la recherche de personnel qualifié86. En 1646, les associés sont toujours en quête de « faiseurs de sucre87 ».
La qualité du sucre
32On sait peu de choses sur les aspects techniques de l’entreprise sucrière de la Compagnie. Les associés ne les évoquent guère et laissent faire sur place le gouverneur Charles Houël. On ne sait pas faire le sucre blanc à la Guadeloupe à cette époque en laissant, comme il se doit, sécher les formes pendant quelques jours avant d’être recouvertes de terre grasse délayée avec de l’eau qui purge le sucre de la mélasse par le petit trou qui est à l’une des extrémités. Dutertre pense que l’échec de la famille s’explique par la méconnaissance de cette technique dite du terrage88. Trezel ne semble pas connaître davantage le procédé de blanchiment du sucre89. Seul Poincy use à cette époque de cette technique dans les îles françaises grâce au concours d’un maître espagnol, un certain dom Paul, rapporte le carme Maurile de Saint-Michel90.
33De fait, le sucre produit par les Français est du sucre brut de médiocre qualité. Il est peu recherché. Il lui est bien difficile de rivaliser avec celui des Portugais et des Hollandais quoiqu’à en croire certains esprits chagrins, ces derniers ne soient pas extraordinaires. Pacifique de Provins écrit ainsi que les Portugais et les Hollandais contrefont le sucre en y ajoutant de la chaux, « chose qui est très préjudiciable à la santé des rois, des princes et de tous ceux qui en usent ». Le but semble d’obliger à la consommation car « au lieu d’une livre, il en faut deux pour rendre la douceur et saveur que l’on y prétend91 ». Les mêmes déconvenues frappent le sucre de la Barbade. Il demeure de faible valeur jusqu’à la fin des années quarante avant que les Anglais n’en maîtrisent la production grâce à des instructions venues du Brésil92.
34Le sucre des Antilles françaises a aussi du mal à s’imposer à cette époque en raison de la puissance des circuits traditionnels brésiliens utilisés par les marchands portugais ou d’origine portugaise établis dans le royaume pour approvisionner le marché93. Les mentions de cargaison de sucre transporté sur des navires venant de Saint-Christophe sont rares94.
Les difficultés de la famille
35Les lourds investissements consentis par les associés dans l’habitation tardent à porter leurs fruits. Ils savent que la culture de la canne ne peut donner rapidement et être aussitôt rentable. Les plants arrivent à maturité entre six et dix mois95. Les cannes repoussent après chaque coupe mais au bout de quelques années, les plants doivent être remplacés, ce qui nécessite un entretien continuel des champs. L’Anonyme de Saint-Christophe, souligne pour sa part qu’il faut « trois ans entiers pour rendre les cannes en état d’être cassées et brisées par ces moulins, et cette récolte ne se fait que de trois ans en trois ans96 », mais il semble peu au fait de la réalité du travail de la canne. Par ailleurs, les habitations subissent de nombreuses déprédations. Les rats qui rongent les cannes. Le carme Maurile de Saint-Michel rapporte qu’à Saint-Christophe, on leur donne la chasse avec des chiens97. Le capucin Pacifique de Provins incite en 1645 la Compagnie à poursuivre son entreprise en affirmant que le sucre sera « quelque jour, en si grande abondance en cette île de la Guadeloupe, […] que je ne doute point que, dans peu d’années, cette seule île n’en fournisse toute la France ». Il se montre particulièrement optimiste et ne laisse pas transparaître le moindre doute. Il estime même que le sucre de la Guadeloupe concurrencera le sucre portugais et hollandais. Sa proximité avec Charles Houël – dont il vante en plusieurs occasions le bon gouvernement – explique certainement en partie ce propos. Et de poursuivre « que l’on peuple cette île seulement et l’on verra ce qu’elle rapportera par la bonne conduite de monsieur le gouverneur, qui n’y plaint aucun de ses soins98 ». La production de sucre se maintient à la Guadeloupe, et Maurile de Saint-Michel peut constater en 1646 que « monsieur Houël […] y fait du sucre ». Les lettres de Houël et les rapports du capitaine Bontemps laissent espérer aux associés de la Compagnie de bientôt recevoir « les premiers fruits du travail de ladite famille99 ».
36Les désordres qui suivent la rébellion de Poincy compromettent cependant cette belle espérance. Il semble que Houël ne s’intéresse plus beaucoup alors de la famille qui semble comme délaissée, et ne se préoccupe que de la gestion de la crise politique. La situation financière de la Compagnie s’aggrave car Poincy retient toutes les taxes sur les habitants et les marchandises sur lesquelles elle compte pour poursuivre ses investissements100. Les associés ne peuvent verser les gages aux artisans de la famille. Leurs femmes restées en France, lasses de voir leurs plaintes sans réponses, entament des poursuites judiciaires contre la Compagnie à La Rochelle et à Harfleur. Les gages ne seront visiblement jamais payés, puisqu’en 1649, le beau-frère de Houël, Jean de Boisseret, promet en achetant l’île à la Compagnie d’acquitter les gages et les appointements des hommes employés à son service101.
37Quand le calme revient dans les îles, l’espoir renaît, « le sucre y vient fort bon et excellent », écrit ainsi le père dominicain Raymond Breton en 1647. Mais il doit reconnaître que le manque d’investissements pour la construction des moulins et l’absence d’ouvriers spécialisés sont des freins réels à son développement102. L’habitation de la Compagnie compte en 1647 une centaine d’esclaves et quatre-vingts autres sont attendus103. En 1649, Charles Houël escompte toujours tirer un grand bénéfice du sucre à la Guadeloupe. Il est certain du potentiel de l’île. Il espère environ 50000 livres de sucre et même 100000 livres en 1650 à 6 sols la livre104. La réussite insolente de Poincy à Saint-Christophe entretient cet espoir. Maurile de Saint-Michel s’extasie : « le sucre est la première marchandise de nos îles qui me vient en l’esprit. Monsieur le général seul en retire tous les ans la valeur de trente mille écus ». Le sucre dynamise toute l’économie de l’île et renforce son attractivité105.
38Mais pour la Compagnie, l’expérience touche à sa fin. La situation de ses finances la conduit à se séparer des îles106. En 1649, la Guadeloupe est vendue à Jean de Boisseret avec la Désirade, Marie-Galante, et les Saintes, pour le prix de 60000 livres, et 600 livres de sucre fin par an107. Le sucre devient un élément de la négociation, signe de son importance dans la vie antillaise. Les autres établissements sont cédés en 1650 et 1651. Les investissements consentis par les associés n’ont pas apporté les résultats escomptés. La Compagnie s’est lourdement endettée et les crises dans les îles l’ont privé de toutes ressources et de tout soutien logistique. Il lui a manqué de temps pour tirer un quelconque bénéfice de son entreprise. D’une certaine manière, la famille a causé sa perte.
La mutation sucrière en question
39L’échec de la famille ne signifie pas pour autant la fin de l’entreprise sucrière dans les îles. Le grand basculement intervient durant la décennie suivante. Pierre Pelleprat souligne en 1655 qu’on « fait de fort bon [sucre] dans les îles, et particulièrement à Saint-Christophe, où il y a plusieurs sucreries » et Dutertre ne voit dans l’île que des champs de cannes à sucre108. En 1660, la Guadeloupe compte 71 sucreries109. Le sucre s’impose comme une unité de référence. En 1660, peu avant sa mort, Poincy convertit les 100 livres de pétun acquittées par les habitants en 110 livres de sucre110. Le développement du sucre affecte directement le trafic transatlantique. Dutertre note que « depuis qu’on a commencé à faire du sucre à Saint-Christophe, la rade n’a jamais été sans vaisseaux, non plus que les magasins sans marchandises. La Martinique et la Guadeloupe en sont plus fréquentées que jamais depuis qu’ils y ont travaillé, et le seront encore davantage dans la suite des temps ; et par ce flux et reflux continuel de vaisseaux, il n’y a plus d’arrière-saison dans les îles111 ». On peut penser que la mutation sucrière est alors opérée. Il faut cependant attendre les années soixante-dix afin de voir l’économie sucrière sortir vraiment « de l’ère des tâtonnements » pour reprendre l’expression de Christian Schnakenbourg112. En 1671, 89 % de la surface consacrée aux cultures d’exportation à la Guadeloupe est couverte de cannes à sucre, soit 3210 carrés ou 3049,5 hectares. La Martinique connaît la même évolution à quelques nuances près. La canne à sucre occupe 74 % de la surface cultivée soit 3112 hectares, mais le pétun représente encore 23 % des terres. La Martinique compte 111 sucreries113. Les principales habitations sucrières à la Guadeloupe sont à la fin des années soixante celles du marquisat de Sainte-Marie, de Houël et de Duquerruy. Elles produisent respectivement 100000 livres, 150000 et 60000 livres de sucre114.
Tableau 37. Les cultures des Petites Antilles françaises en 1671 en hectares.

Sources : J. Petitjean Roget, La société d’habitation, op. cit., t. 2, p. 1392 ; C. Schnakenbourg, « Le “terrier” de 1671… », p. 49 ; F. Régent, La France et ses esclaves, op. cit., p. 94.
40La canne à sucre commence à s’imposer de la même façon dans le paysage des îles anglaises. George Gardiner note en 1649 que les Anglais des îles cultivent la canne à Saint-Christophe et à la Barbade. La Barbade a réduit drastiquement la production de pétun. Antoine Biet note qu’on y cultive surtout la canne à sucre, le coton et le gingembre. Le pétun est réservé à un usage local115. Tous les prix sont dits en milliers de sucre116. Le pétun n’est plus l’étalon monétaire. Rochefort ne peut que constater la réussite des Anglais de la Barbade dans ce domaine dans les années cinquante. Et si leur sucre n’est pas le plus blanc, « il est le plus estimé des raffineurs117 ».
Notes de bas de page
1 ANOM, F2A13, Traité entre la Cie et L’Olive et du Plessis, Paris, le 14/02/1635, p. 21. L’instruction qui leur est délivrée le mois suivant est encore plus explicite : « ils feront travailler leurs gens principalement au coton et au sucre » (ANOM, F2A13, Instruction aux Srs. de L’Olive et du Plessis, Paris, le 7/05/1635, p. 80). Le protestant Charles de Rochefort explique le développement de la canne par la chute des cours du tabac (Rochefort, t. 2, p. 34 et 40).
2 Bouton, p. 82-83 et 85 ; Anonyme de Saint-Christophe, Relation des îles, op. cit., p. 128.
3 R. Ligon, Histoire de l’isle des Barbades, op. cit., p. 42. Sur le boom sucrier à la Barbade, voir R. R. Menard, Sweet Negotiations, op. cit., p. 67 et suiv.
4 Michel Devèze souligne par exemple le rôle décisif donné par les Hollandais en 1654 (M. Devèze, Antilles, Guyanes, la mer des Caraïbes, op. cit., p. 201). Jean Meyer écrit dans son Histoire du sucre que le sucre doit tout aux Hollandais, même s’il place prudemment dans les années soixante-dix la culture massive de la culture de la canne avec des esclaves en s’appuyant sur les instructions de Colbert à Pelissier, le directeur de la Cie des Indes occidentales, du 21 juin 1670 (J. Meyer, Histoire du sucre, Paris, Desjonquères, 1989, p. 109, 111 et 115). Dutertre se montre assez critique envers les Hollandais, car quoiqu’ayant bénéficié de conditions avantageuses de la part de Houël, ils se retirent assez rapidement de l’affaire, et, poursuit le dominicain, « tout cela s’évanouit sans qu’il en paraisse aujourd’hui aucun vestige, ni dans la Martinique, ni dans la Guadeloupe », (DT/1667, t. 1, p. 464).
5 C. Schnakenbourg, « Note sur les origines de l’industrie sucrière… », op. cit. ; M. C. Camus, « Le général de Poincy… », op. cit. Abdoulaye Ly écrivait pourtant en 1658 dans son étude consacrée à la Cie du Sénégal qui approvisionnait en esclaves les établissements français d’Amérique : « ce qui ne fait plus de doute c’est l’effort conscient et soutenu de la Compagnie des isles pour établir et encourager la production en grand du sucre » (A. Ly, La Compagnie du Sénégal, op. cit., p. 34).
6 V. M. Godinho, « Industrie et commerce antillais : sur le sucre des Antilles », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 3e année, 4, 1948, p. 542 ; M. Tanguy, L’essor d’un port atlantique connecté, op. cit., t. 2, p. 468 et 529.
7 C. Rahn Phillips, « The Growth and Composition of Trade in the Iberian Empires 1450-1750 », dans J. D. Tracy (éd.), The Rise of Merchant Empires, op. cit., p. 60-61. Les exportations espagnoles demeurent cependant modestes, elles se montent à 4346 arrobes par an entre 1613 et 1615, puis à 11756 arrobes par an entre 1616 et 1620 (ibid., p. 58). L’arrobe vaut en Castille 11 kg 502 g.
8 N. Stennsgaard, « Trade of England and the Dutch Before 1750 », dans J. D. Tracy (éd.), The Rise of Merchant Empires, op. cit., p. 134.
9 F. Mauro, M. de Souza, Le Brésil du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle, op. cit., p. 101 et suiv. Voir aussi Daniel Strum, The Sugar Trade : Brazil, Portugal, and the Netherlands, 1595-1630, Stanford, Stanford UP, 2013.
10 B. Gautier, « Les négociants étrangers à Rouen… », op. cit., p. 255 ; É.-H. Gosselin, Documents authentiques et inédits op. cit., p. 131 ; P. Voss, « Les raffineurs de sucre allemands à Bordeaux au xviie siècle », dans J.-P. Sanchez (éd.), Dans le sillage de Colomb, op. cit., p. 238. La raffinerie du Coudray à Nantes n’est établie qu’en 1653. La première raffinerie de sucre à La Rochelle date de 1654. Elle appartient à Jean Wesenhagen (M. Tanguy, L’essor d’un port atlantique connecté, op. cit., t. 2, p. 530 ; M. Delafosse, « La Rochelle et les îles… », op. cit., p. 256).
11 Anonyme de Carpentras, Relation d’un voyage infortuné, op. cit., p. 32 et 39-40.
12 Bouton, p. 83 ; Anonyme de Saint-Christophe, Relation des îles, op. cit., p. 128. C’est la variété créole qui perdure durant toute la période coloniale. Il s’agit d’un hybride de la canne noble et de la canne indienne. Sur les variétés de cannes, voir H. Baron, E. Marie Sainte, « Évolution des variétés de canne à sucre en Martinique », dans D. Bégot, J.-Cl. Hocquet (éd.), Le sucre, de l’Antiquité à son destin antillais, Paris, CTHS, 2000, p. 55-75.
13 Délibération, le 6/10/1638, p. 341-342 ; Délibération, le 1/12/1638, p. 346.
14 G. Debien, Les engagés pour les Antilles, op. cit., p. 81.
15 Anonyme de Saint-Christophe, Relation des îles, op. cit., p. 128.
16 Christian Schnakenbourg pense que l’Anonyme de Saint-Christophe évoque en fait l’entreprise plus tardive de Samuel Trezel (C. Schnakenbourg, « Note sur les origines de l’industrie sucrière… », op. cit., p. 273).
17 Du Parquet à Fouquet, Saint-Christophe, le 17/08/1639, dans DT/1667, t. 1, p. 109.
18 Délibération, le 1/04/1643, p. 452 ; Délibération, le 4/11/1643, p. 466 ; Délibération, le 3/03/1645, p. 480-481.
19 DT/1667, t. 1, p. 464. Les formes sont utilisées vers 1648 d’après Christian Schnakenbourg qui s’appuie sur un manuscrit ancien de Dutertre – BnF, Naf, 9319 – qu’il date de 1648 (C. Schnakenbourg, « Note sur les origines de l’industrie sucrière… », op. cit., p. 288). Plusieurs auteurs évoquent aussi des moules en bois pour faire le sucre blanc (MSM, p. 167 ; DT/1667, t. 2, p. 124 ; Rochefort, t. 2, p. 43). Mais cela ne semble concerner que Saint-Christophe.
20 DT/1667, t. 2, p. 123-124. Il est généralement question de trois chaudières. Il peut n’y en avoir que deux. Alors, on laisse le suc davantage dans la seconde. Les grandes installations comptent jusqu’à six chaudières (Rochefort, t. 2, p. 43).
21 Délibération, le 3/03/1645, p. 480-481.
22 Ibid.
23 BnF, Naf, 15466, Relation de Poincy, mai 1639, fol. 209-210, cité par M. C. Camus, « Le général de Poincy… », op. cit., p. 122.
24 Adam Raye est né à Anvers en 1580. Il quitte Amsterdam après son mariage pour s’installer à Rouen en 1610. Il trafique avec les Pays-Bas et la Baltique (J.-C. Germain, « La belle-famille du flibustier Charles Fleury », GHC 2014, p. 16 [en ligne] URL : http://www.ghcaraibe.org/articles/2014-art05.pdf.). Jehan Raye, est encore à Amsterdam en 1615. Il affrète des bateaux pour Koenigsberg avec retour sur Rouen (J. Bottin, « Négoce et crises frumentaires : Rouen et ses marchands dans le commerce international des blés (milieu xvie-début xviie siècle) », RHMC, 1998/3, n° 45-3, p. 573).
25 Les circonstances de la rencontre entre les deux hommes demeurent obscures. Le chevalier de Malte affirme avoir reçu au mois de mai 1639 plusieurs propositions du sieur Raye (BnF, 15466, Relation de Poincy, mai 1639, fol. 209-210 cité par M. C. Camus, « Le général de Poincy… », op. cit., p. 122). Mais, si nous suivons la chronologie des événements, Poincy est alors à Saint-Christophe. Aussi a-t-il du être contacté avant son départ aux Antilles.
26 Délibération, le 1/07/1639, p. 357 ; Délibération, le 26/06/1642, p. 430.
27 M. C. Camus, « Le général de Poincy… », op. cit., p. 121 ; MSM, p. 115 et 167. Ce moulin est constitué de deux roues pour broyer les cannes.
28 Rochefort, t. 1, p. 97-98 et t. 2, p. 41.
29 M. C. Camus, « Le général de Poincy… », op. cit., p. 123. Les habitations de la Montagne et de Cayonne occupent chacune 2000 pas carré d’après le terrier de 1671, soit 500 hectares chacune (ibid., p. 121).
30 Ibid., p. 123.
31 DT/1667, t. 1, p. 130.
32 J. Du Fresne, Journal des principales audiences du parlement, op. cit., t. 1, p. 850 ; DT/1667, t. 1, p. 122. Un mémoire de l’Ordre de Malte de 1665 parle de 25000 livres (M. C. Camus, « Le général de Poincy… », op. cit., p. 119). P. Cultru penche pour 30000 livres sans expliquer l’origine de ce chiffre (P. Cultru, « Le commandeur de Poincy… », op. cit., p. 304).
33 P. Cultru, « Le commandeur de Poincy… », op. cit., p. 321.
34 Ibid., p. 323 ; DT/1667, t. 1, p. 165.
35 « On fait bouillir ce jus de canne avec du gingembre, du jus de citron et de l’eau, ces deux derniers froids corrigeant la chaleur des deux premiers. Ce breuvage se boit quand il est froid », (MSM, p. 167).
36 MSM, p. 115 et 167.
37 M. C. Camus, « Le général de Poincy… », op. cit., p. 119. Dans le premier essai d’évaluation des investissements de Poincy, Cultru prend pour base les 30000 écus de revenu tirés en 1646 de l’une de ses habitations sucrières disposant d’un moulin et de 120 Noirs. Comme en 1650 Poincy a six moulins, Cultru calcule un revenu de 180000 écus. Il évalue les habitations à 90000 écus. Il compte vingt-quatre chevaux par moulin à 9000 ou 10000 livres de sucre pièce, soit 16000 à 18000 livres tournois à raison de 18 livres le cent de pétun. Les esclaves sont évalués à 3000 livres de sucre, soit 540 livres par tête. Les 144 chevaux à 1700 livres représentent 244800 livres et les 600 esclaves 324000 livres. À cela, il convient d’ajouter le coût du matériel (P. Cultru, « Le commandeur de Poincy… », op. cit., p. 346-347).
38 F. Régent, La France et ses esclaves, op. cit., p. 97.
39 Rochefort, t. 2, p. 41 et t. 1, p. 98 ; Arch. municip. du Havre, fonds Boivin-Colombel, 49Z 06, J. Boivin à I. Boivin, Saint-Christophe, le 6/09/1647.
40 R. Ligon, Histoire de l’isle des Barbades, op. cit., p. 38.
41 Il s’est établi dans la cité normande en 1627 après l’arrestation de son ami Hugo de Groot dit Grotius aux Provinces-Unies (É. Lesens, « La colonie protestante hollandaise… à Rouen au xviie siècle », op. cit., t. 5, 1892, p. 213). Il est mort à Rouen en 1641.
42 Hugo de Groot le recommande en 1627 à un de ses correligionaires, Claude Sarrau, conseiller au parlement de Rouen (Lettre de Grotius, le 25/11/1627, cité dans P. Séguier, Diaire ou Journal du voyage du chancelier Séguier en Normandie après la sédition des Nu-Pieds (1639-1640), Rouen, Édouard Frère, 1842, p. 235).
43 J.-Ch. Germain, « La belle-famille du flibustier Charles Fleury : les Loyson d’Amsterdam et de Rouen et leurs alliés », p. 19. Les deux hommes trafiquent aussi de la gomme du Sénégal. La firme Offermans achète aussi du sucre venant d’Indonésie à la VOC au début des années trente.
44 ANOM, F2A13, Contrat passé avec Trezel pour les sucres, Paris, le 6/04/1639, p. 36-38 ; Délibération, le 6/04/1639, p. 355 ; Délibération, le 1/07/1639, p. 360.
45 Il arrive à la Martinique durant l’été 1639 (Du Parquet à Fouquet, Saint-Christophe, le 17/08/1639, dans DT/1667, t. 1, p. 109).
46 ANOM, F2A13, Autres privilèges accordés à Trezel, Paris, le 6/04/1640, p. 39.
47 Délibération, le 6/04/1639, p. 354-355 ; Délibération, le 13/03/1640, p. 385.
48 En 1641, ils veulent mettre fin à leur contrat et rentrer en France. La Compagnie leur indique que s’il leur reste du temps à faire, ils doivent trouver trois hommes pour finir le contrat (Délibération, le 1/05/1641, p. 408).
49 Délibération, le 4/04/1640, p. 388.
50 Délibération, le 13/03/1640, p. 383-384 ; Délibération, le 4/04/1640, p. 388-389 ; ANOM, F2A13, Autres privilèges accordés à Trezel, Paris, le 6/04/1640, p. 39-40.
51 Délibération, le 28/07/1641, p. 416 ; Délibération, le 1/04/1643, p. 451 ; Délibération, le 3/06/1644, p. 473.
52 Délibération, le 3/06/1644, p. 473. Trezel fait partie des membres du conseil souverain de la Guadeloupe en 1646 (DT/1667, t. 1, p. 316).
53 Délibération, le 3/06/1644, p. 472 ; Délibération, le 3/03/1645, p. 480.
54 D. Le Hirbec, Voyages, op. cit., p. 20.
55 Délibération, le 16/12/1642, p. 439-440. Cette partie reprend dans ses grandes lignes notre article « La famille. L’habitation sucrière de la Compagnie des îles de l’Amérique à la Guadeloupe (1642-1649) », RHAF, 69-3, 2016, p. 35-57.
56 La Compagnie souligne la responsabilité de Trezel dans son choix quand elle énonce que « les traités faits par la Compagnie avec le sieur Trezel pour introduire aux îles la manufacture des sucres [n’ont] pas eu le succès qu’elle en devait attendre par la faiblesse et mauvaise conduite des entrepreneurs [et] pour ne différer davantage un dessein si avantageux pour sa colonie », (Délibération, le 1/04/1643, p. 449).
57 Délibération, le 1/04/1643, p. 449.
58 DT/1667, t. 1, p. 207. Charles Houël acquiert une part dans la Cie des îles de l’Amérique de Pierre Chanut par contrat du 21 mars 1643 (Délibération, le 1/04/1643, p. 446).
59 Délibération, le 16/12/1642, p. 439.
60 Délibération, le 4/11/1643, p. 466.
61 Il laisse « toutes les habitations, armes, canons et autres ustensiles » pour 120000 livres de pétun (Délibération, le 22/12/1641, p. 435). La négociation a été menée par Poincy en son nom et à ses conditions (Délibération, le 19/02/1640, p. 37).
62 L’Olive s’est établi dès son arrivée à Fort Saint-Pierre (DT/1667, t. 1, p. 77 ; Bret/RF, p. 87). On peut raisonnablement penser que ses terres sont alentour.
63 Délibération, le 10/05/1643, p. 453 ; Délibération, le 3/06/1644, p. 472.
64 MSM, p. 167 ; DT/1667, t. 2, p. 123.
65 Délibération, le 16/12/1642, p. 439-440 ; Délibération, le 6/01/1645, p. 477.
66 Il convient pour l’espace britannique de regarder : R. S. Dunn Sugar and Slaves. The Rise of the Planter Class in the English West Indies, 1624-1713, Chapell Hill, University of North Carolina Press, 1972 ; K. Morgan, Slavery and the Bristish Empire from Africa to America, Oxford, Oxford UP, 2007 ; R. R. Menard, Sweet Negotiations, op. cit.
67 Délibération, le 22/12/1642, p. 439 ; Délibération, le 7/01/1643, p. 443 ; Délibération, le 4/02/1643, p. 444 ; Bret/ RF, p. 120 ; DT/1667, t. 1, p. 225.
68 Bret/RF, p. 120-121.
69 Délibération, le 6/01/1645, p. 477.
70 BnF, ms 18593, Avis donné par un jésuite touchant l’état des isles de l’Amérique, pas de date, fol. 367.
71 ANOM, F2A13, Instruction au commis de la famille à la Guadeloupe, le 3/03/1645, p. 220.
72 Délibération, le 6/01/1645, p. 477.
73 Délibération, le 1/12/1645, p. 496.
74 Délibération, le 4/03/1643, p. 445. La délibération du 16 décembre 1642 rapporte en effet « que le sieur Houël, sieur du Petit-Pré, pourrait accepter la charge de conduire ladite entreprise dans la Guadeloupe s’il y était envoyé par la Compagnie avec la qualité de gouverneur de ladite île » (Délibération, le 16/12/1642, p. 440).
75 Délibération, le 1/04/1643, p. 450.
76 Délibération, le 1/04/1643, p. 449-450.
77 Ibid., p. 451.
78 Délibération, le 3/03/1645, p. 484.
79 ANOM, F2A13, Instruction au commis de la famille à la Guadeloupe, le 3/03/1645, p. 220 et 222.
80 Délibération, le 3/03/1645, p. 483-484.
81 Délibération, le 3/06/1644, p. 473 ; Délibération, le 2/03/1644, p. 466.
82 Délibération, le 22/12/1641, p. 435.
83 Délibération, le 31/03/1645, p. 487 ; Délibération, le 1/12/1645, p. 496 ; Délibération, le 2/02/1646, p. 500.
84 A. Huetz de Lemps, Histoire du rhum, Paris, Desjonquères, 1997, p. 17 ; DT/1667, t. 1, p. 464 ; F. Mauro, M. de Souza, Le Brésil du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle, op. cit., p. 101.
85 Délibération, le 31/03/1645, p. 487.
86 DT/1667, t. 2, p. 57 ; Délibération, le 1/12/1645, p. 496. En 1645, son compagnon de voyage, le capucin Pacifique de Provins, n’évoque pas l’escale à Madère, mais il ne s’intéresse pas à la route dans sa relation.
87 Délibération, le 2/02/1646, p. 500.
88 « À faute de ce secret, monsieur Houël a été contraint de quitter la sucrerie au grand dommage des seigneurs des îles », DT/1654, p. 173. Sur la technique du terrage, voir MSM, p. 167 ; DT/1667, t. 2, p. 123-124.
89 C. Schnakenbourg, « Note sur les origines de l’industrie sucrière… », op. cit., p. 274.
90 MSM, p. 167. Dutertre parle d’un maître portugais qu’il a sauvé de la pendaison (DT/1654, p. 172). Rochefort confirme que Poincy veut garder ce savoir secret (Rochefort, t. 2, p. 43).
91 PDP, p. 34.
92 R. Ligon, Histoire de l’isle des Barbades, op. cit., p. 140-141. Selon Ligon, les premiers plants de canne viennent de Pernambouc.
93 Voir G. Saupin, « Trajectoires sociale d’une famille marchande portugaise immigrée : les Loppes à Nantes au xviie siècle », dans M. Augeron, P. Even (éd.), Les étrangers dans les villes-ports atlantiques, Paris, Les Indes savantes, 2010, p. 218. Le sucre arrive raffiné à Lisbonne. Il n’y a pas d’industrie sucrière au Portugal en vertu d’une provision royale de 1559. Il peut aussi être redistribué par des marchands hollandais bien établis sur la place de Lisbonne, ou encore venir de Pernambouc qu’ils occupent à partir de 1630 (F. Mauro, M. de Souza, Le Brésil du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle, Paris, SEDES 1997, p. 69-70).
94 Nous en avons tout de même quelques mentions. Ainsi, en 1639, la Catherine du capitaine Labbé rapporte du pétun et du sucre à Nantes (G. Saupin, « Les marchands nantais et l’ouverture de la route antillaise », op. cit., p. 178).
95 DT/1667, t. 2, p. 122 ; Bouton, p. 83 ; Rochefort, t. 1, p. 149.
96 Anonyme de Saint-Christophe, Relation des îles, op. cit., p. 128.
97 DT/1667, t. 2, p. 303-304 ; Rochefort, t. 1, p. 262 ; MSM, p. 167. L’introduction des chats fait reculer leur nombre (DT/1667, t. 2, p. 306) mais la menace demeure tout au long du xviie siècle. Le dominicain Jean-Baptiste Labat raconte les nombreux dégâts produits par les rats dans les champs de canne de son ordre à la Martinique en 1704 (J.-B. Labat, Voyage aux îles, Paris, Phébus, 1993, p. 433).
98 PDP, p. 34.
99 MSM, p. 112 ; Délibération, le 23/08/1646, p. 502.
100 Les associés établissent très clairement que les dettes contractées par la Compagnie correspondent aux dépenses faites pour la famille (Délibération, le 15/05/1648, p. 510).
101 Délibération, le 23/08/1646, p. 502 ; DT/1667, t. 1, p. 444.
102 « Il faut de grands frais pour monter un moulin et des hommes adroits », Bret/RF, p. 49.
103 BnF, ms 18593, Avis donné par un jésuite touchant l’état des isles de l’Amérique, pas de date, fol. 367-368 ; S. L. Mims, Colbert’s West India policy, op. cit., p. 34.
104 Houël à Boisseret, le 4/07/1649, dans DT/1667, t. 1, p. 443-444.
105 MSM, p. 167 ; DT/1667, t. 2, p. 466.
106 Dès 1647, un premier projet de vente de Saint-Christophe est ébauché (Délibération, le 28/07/1647, p. 505 ; Délibération, le 6/12/1647, p. 506 ; AD 77, 427 F 327, Acte de vente de Saint-Christophe, 1647. Pub. dans M. Guillaume, B. et Ph. Rossignol, M. du Chaxel, « Un projet de vente de l’ile de Saint-Christophe », Centre de généalogie et d’histoire des îles d’Amérique, cahier n° 2, septembre 1982, p. 2-9).
107 ANOM, C7A1, Contrat de vente de l’île de la Guadeloupe, le 4/09/1649, p. 411.
108 P. Pelleprat, Relation, op. cit., 1re partie, p. 9 ; DT/1667, t. 2, p. 7-8.
109 P. Butel, Histoire des Antilles françaises, op. cit., p. 73.
110 DT/1667, t. 1, p. 581.
111 Ibid., t. 2, p. 467.
112 C. Schnakenbourg, « Note sur les origines de l’industrie sucrière… », op. cit., p. 311. Paul Butel place pour sa part la mutation sucrière après 1680 (P. Butel, Histoire des Antilles françaises, op. cit., p. 76-77).
113 F. Régent, La France et ses esclaves, op. cit., p. 94 ; C. Schnakenbourg, « Le “terrier” de 1671… », p. 49.
114 C. Schnakenbourg, « Le “terrier” de 1671… », op. cit., p. 52 ; C. Schnakenbourg, « Note sur les origines de l’industrie sucrière… », op. cit., p. 307 et 309. Elles comptent 185, 121 et 89 esclaves.
115 G. Gardyner, A Description of the New World, op. cit., p. 74 et 77 ; A. Biet, Voyage de la France équinoxiale, op. cit., p. 290.
116 A. Biet, Voyage de la France équinoxiale, op. cit., p. 274-276. Il parle ainsi d’une habitation d’une valeur de 20 milliers de sucre, soit 3000 livres, à raison de 50 écus le millier de sucre. Un esclave vaut 2000 livres de sucre. Le voyage des îles en France coûte 500 livres de sucre.
117 Rochefort, t. 1, p. 77.
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