1La Compagnie des îles de l’Amérique a besoin des marchands pour animer le commerce des îles. S’ils ne peuvent être compris comme des agents de la Compagnie car ce n’est pas elle qui les emploie, ils agissent néanmoins dans le cadre défini par celle-ci et savent même parfois s’engager auprès d’elle par contrat. Comment a-t-elle su les intéresser à son projet ? Quelles conditions leur a-t-elle proposés ? La Compagnie dispose pour les approcher de nombreux contacts dans les ports de France à commencer par ses receveurs au Havre, à Dieppe, à Nantes et à La Rochelle, et quelques associés particulièrement bien introduits, mais il est difficile de savoir quel rôle les uns et les autres ont pu jouer exactement dans les relations entre elle et les marchands. D’ailleurs, qui sont les marchands qui s’impliquent dans les affaires antillaises ? Quelles sont leurs attentes ? Les chartes-parties, les contrats d’engagement et les comptabilités d’entreprise de commerce nous renseignent sur plusieurs aspects de leurs investissements mais de nombreux bourgeois affréteurs nous échappent faute de documentation. Il est vrai qu’ils usent parfois d’hommes de paille, ce qui rend délicate la connaissance de leur participation. Ces limites à notre examen n’empêchent toutefois pas d’envisager une certaine adhésion du monde marchand au projet de la Compagnie.

Les niveaux d’intégration des marchands

2La participation des marchands au trafic vers les îles suit plusieurs modalités qui témoignent de niveaux d’intégration différents dans les affaires antillaises. Il existe d’une part des marchands ou des associations de marchands affrétant des navires ou prenant des parts dans des navires transportant des marchandises. Ils ont obtenu un congé de la Compagnie. Il y a d’autre part, des marchands qui se spécialisent dans le commerce des produits coloniaux. Ils ont des habitations dans les îles où ils produisent ce qu’ils vont vendre. Enfin, certains marchands négocient avec la Compagnie un contrat particulier avec des privilèges portant non seulement sur la traite des marchandises mais aussi sur l’exploitation des îles. Ce sont les plus intégrés dans le schéma de la Compagnie. Elle en attend beaucoup.

Les envois de marchandises vers les Antilles

3La majorité des marchands qui envoient des navires aux îles n’ont pas de vision à moyen ou à long terme. C’est l’affaire d’un jour. Elle n’est pas reconduite. En 1635, François Tranchepain et Nicolas de Paoul, tous deux marchands à Rouen, Thomas Tampson, lui aussi de Rouen, et David Duchesne l’aîné prennent des parts dans le navire du capitaine Languillet. Tranchepain est de loin le plus gros investisseur puisqu’il représente à lui seul 50 % du navire et 50 % des victuailles. Nicolas de Paoul a 25 % des parts. Les deux hommes dominent l’association. Thomas Tampson n’est dans l’affaire qu’à hauteur de 12,5 % et Duchesne pour un seizième, tout comme le capitaine. Ils envoient pour 4988 livres et 5 sols de marchandises aux îles. Le 12 mars 1635, Marin Goudes et Matthieu La Caille signent au Havre un contrat avec le capitaine Pierre Le Carbonnier pour qu’il trafique pour eux à Saint-Christophe les marchandises embarquées1. La valeur moyenne des marchandises à bord d’un navire de 50 tonneaux est de 4000 à 5000 livres entre 1636 et 1647 à La Rochelle2. Cela représente la plus grande part de l’investissement dans l’armement d’un navire pour les îles3.

4Les marchands assurent ainsi l’approvisionnement des îles en apportant des produits de première nécessité, notamment des biens manufacturés (outils et vêtements), des vivres et des armes. Certains semblent se spécialiser dans un type de commerce vers les Antilles. Ils n’envoient par exemple qu’« arquebuses à fusil, pistolets, épées4 ». Les alcools occupent une place particulièrement importante, au point d’ailleurs de constituer l’essentiel de la cargaison de plusieurs bateaux. La Bonne Fortune d’André Lesbahy qui quitte Le Havre en 1649 est exclusivement chargée de barriques de vin et de cidre, et d’eau-de-vie5. Ils font participer les producteurs de l’arrière-pays portuaire qui peuvent ainsi écouler leur production. Le nantais Louis Brétineau expédie à Saint-Christophe en 1642 « dix tonneaux d’Anjou et cinq tonneaux et demi de Nantais6 ». Mais le plus souvent, les marchands envoient tout ce dont les habitants peuvent avoir besoin et les navires ont des cargaisons assez hétéroclites. Le parisien Desmartins fait passer un bateau avec des marchandises et des armes pour les îles pour les vendre au prix qu’il désire7.

5Les produits de France sont rapidement écoulés malgré leur prix élevé. Nathanaël Péron vend en 1634 à Saint-Christophe les souliers 8 livres de pétun la paire, l’eau-de-vie entre 3 et 5 livres la bouteille, les serpes 5 livres, les bas de toile 4 livres la paire, les chapeaux avec leurs cordons et leurs rubans 35 livres8. À la même époque, une paire de souliers est vendue 1 livre tournois et 18 sols au Havre, soit un écart de 1 à 8,6 sur la base de deux livres tournois pour une livre de pétun. Jacques Petitjean Roget calcule un écart moyen des prix entre les îles et la métropole de 1 à 109. La Compagnie estime pour sa part en 1636 que les Hollandais, Anglais, et Français « survendent tout au double du juste prix10 ». Elle est très en deçà de la réalité. La mention des Hollandais est surprenante, car il apparaît qu’ils ont plutôt tendance à vendre leurs produits raisonnablement pour se faire aimer des habitants et à offrir des coûts de fret très compétitifs11. Elle sert surtout à dénoncer la place des étrangers dans le commerce antillais. L’Anonyme de Saint-Christophe rapporte d’ailleurs que le vin d’Espagne apporté par les marchands anglais et hollandais « sera toujours à aussi bon marché qu’à Paris […] y estant porté sans impôt12 ».

6La Compagnie s’emploie à plusieurs reprises à réguler le prix des marchandises venues de France. En 1638, une nouvelle plainte des habitants de l’île de Saint Christophe la conduit à le fixer « au prix qu’elles coûtent en France avec 30 ou 35 pour cent pour les risques de la mer ou autrement ainsi qu’il sera jugé plus à propos ». Elle rappelle à Poincy en 1638 que « que les marchands français se contenteront d’un prix modéré pour la vente de leurs marchandises et fret de celles des habitants qu’ils rapporteront en France13 ». Il n’est pas certain que la Compagnie ait été entendue car Jean-Baptiste Dutertre souligne que les commerçants français abusent de leur position pour exiger des prix excessifs des marchandises qu’ils apportent. Il n’y a guère que le capucin Pacifique de Provins qui trouve que les marchandises apportées par les navires français, anglais et hollandais sont vendues à bon marché à la Guadeloupe14. En 1641, les associés envoient à Poincy un courrier indiquant le prix des marchandises15. Les prix continuent cependant d’augmenter dans les îles, et davantage qu’en métropole. Ils doublent entre 1635 et 1650-1664, alors que le mouvement est moins prononcé en France. Il faut désormais compter 30 livres pour une paire de souliers aux Antilles16. Certains produits comme l’huile et le beurre n’arrivent pas de façon régulière et demeurent particulièrement onéreux. Dutertre rapporte que « les pauvres n’ont pas le moyen d’en acheter17 ». Les prix élevés ne sont pas seulement du fait des capitaines de navires qui viennent aux îles. Il apparaît en effet que plus d’un habitant cherche à acquérir les biens qui sont débarqués pour les revendre au plus fort prix. La Compagnie invite pour cela les lieutenants généraux et les commis à la vigilance et à consulter les principaux habitants pour lutter contre ces trafics18.

7Les particuliers ne sont pas les seuls à animer le trafic de marchandises pour satisfaire les besoins des habitants. La Compagnie y prend aussi part. Elle charge ainsi son receveur à Dieppe, Michel Manichet, d’envoyer pour 2000 livres d’outils, de vêtements et de médicaments à la Guadeloupe en 1640. Le détail est donné dans la délibération du 4 avril 1640 : 700 livres pour les grosses toiles, chemises et caleçons, 300 livres pour les souliers, 200 livres pour les houes, haches, serpes et couteaux, 200 livres pour les eaux-de-vie, 2000 livres pour l’huile d’olive et l’huile à brûler, 4000 livres pour le coffre à médicaments et les rasoirs21. En 1641, elle fait envoyer des habits pour les esclaves et les hommes à son service, puis le mois suivant 300 paires de souliers et 1000 livres de toiles à Saint-Christophe22. L’un des plus gros envois connus de la Compagnie a lieu en 1641. Jean Rozée en est à l’origine, un peu malgré lui, quand il entend affréter pour son compte un navire de 100 tonneaux pour lequel il a obtenu un congé. La Compagnie s’invite dans l’affaire « pour donner une plus considérable assistance aux habitants » et charge Jacques Berruyer d’investir en son nom 14000 livres pour entrer pour moitié dans l’affrètement. Elle envisage d’envoyer pour 300 tonneaux de marchandises sur un ou deux navires à partir de La Rochelle avant le 15 décembre 164123. La Compagnie prend parfois des parts dans les navires qui partent aux îles. Les produits envoyés ne sont pas toujours de qualité et les habitants de Saint-Christophe s’en plaignent24. La morue, le saumon, le hareng et le maquereau salé se corrompent dès qu’on ouvre les barils25.

Les marchands et la production des îles

8De nombreux marchands investissent dans l’économie antillaise en acquérant des habitations où ils font travailler des engagés et des esclaves à la production du pétun, du coton et du roucou pour alimenter le marché métropolitain. Il s’agit dans tous les cas de cultures d’exportation. Le mode d’organisation est toujours le même. L’un des associés s’établit aux îles pour surveiller la production et assurer son envoi en France, tandis que l’autre reste en métropole pour la réceptionner et l’écouler. Le tout est contractualisé devant notaire. L’association est souvent de six ans. En 1635, Guillemme Euldes part avec des engagés à Saint-Christophe pour travailler au pétun tandis que son associé, François Roulland, reste en France26. En 1639, Antoine de Flecques, écuyer et sieur de Lesprenier, et Guillaume Hermel, tous les deux du Havre, s’associent à parts égales dans une affaire. De Flecques part sur le navire du capitaine Danriot pour acheter une habitation à la Martinique. Hermel reste en France27. Les niveaux de participation à une société sont divers, mais généralement chaque associé avance la moitié de la somme. Cependant en 1637, Pierre Lheureux n’entre que pour un tiers dans les dépenses aux côtés de Jean Lefebvre28. Ces associations sont parfois provoquées par des colons en mal de liquidités et de main-d’œuvre. Isaac Béquet a une concession à la Tortue qui est dirigée par son fils Samuel. Mais il est sans le sou et il ne peut lui fournir ni hommes ni marchandises. Il s’associe alors pour trois ans le 16 janvier 1646 avec François de Valois, écuyer, sieur de la Forêt, et Thomas Guérineau, un marchand nantais, qui lui promettent de passer avec des hommes sur le navire du capitaine Gandouin. Ils se rembourseront pour les frais avancés sur les profits du pétun29.

9Les marchands se chargent de faire passer aux îles les hommes dont ils ont besoin pour travailler sur leur habitation. En 1637, Jean le Neuf, sieur de Vaux, fait passer 18 hommes. En 1638, Thomas Hesberd et Tassin Delaitre envoient 7 hommes à Saint Christophe et Jean Hallay, 10 hommes30. Certains marchands s’entendent avec les agents de la Compagnie pour faire des affaires. Ainsi, Pierre le Tonnelier dit Lagarde, qui est visiteur-peseur à la Pointe-de-Sable, reçoit-il des hommes d’un marchand de La Rochelle, Jacques Pépin. Il est associé avec un autre marchand, Jacques Savari31. Les marchands négocient aussi avec les capitaines de milice et les gouverneurs. D’Esnambuc, L’Olive, du Plessis, du Parquet, Poincy, Nouailly s’entendent avec eux.

10Les cultures des îles occupent la plus grande part des produits chargés sur les navires qui rentrent en France. Le pétun est la marchandise la plus recherchée. Le contrat du capitaine Thomas Jourdain stipule en 1638 qu’il doit échanger les 2100 livres de denrées et de marchandises qu’il a à son bord contre du pétun et du coton32. Les capitaines complètent parfois leur cargaison avec quelques produits plus particuliers glanés dans les établissements français de la Tortue ou même de Saint-Domingue comme le cuir ou le bois de teinture.

11Une partie des marchandises des îles est commercialisée sur le marché intérieur. Une autre partie est réexportée. Ainsi, Pierre Audet et son beau-frère Étienne Grilleau vendent-ils du pétun à deux marchands irlandais en 1644. En 1647, le Grand Armand, à peine revenu des îles, reprend la mer et gagne l’Angleterre et l’Irlande pour vendre du sel et du pétun33.

Les contrats des marchands avec la Compagnie

12Des groupes de marchands portent parfois des projets particuliers de grande ampleur qui s’inscrivent dans la durée et laissent espérer le développement des activités des établissements français. Le contrat signé avec les marchands de Dieppe en 1635 en est l’exemple le plus évident. Mais il n’a pas tenu. La Compagnie semble se satisfaire par la suite d’accords moins ambitieux mais aussi plus réalisables. Elle répond favorablement à toutes les sollicitations mais modère en général les demandes qui lui sont faites.

Les entreprises de mise en valeur des terres

13En 1637, un groupe de marchands prend contact avec la Compagnie pour établir une habitation à la Martinique. Ils remettent aux associés un projet de contrat leur permettant d’obtenir des terres et de les cultiver en pétun pendant trois années consécutives et ensuite tous les deux ans. Ils réclament de nombreux abattements et avantages fiscaux, notamment de ne payer que quarante livres de coton ou quarante livres de roucou et le dixième des autres marchandises les années où ils ne feront pas de pétun, et de ne m’acquitter aucun droit pendant deux ans pour les quarante hommes qu’ils veulent faire passer pour travailler sur l’habitation. Enfin, ils veulent pouvoir envoyer un navire tous les ans pendant six ans pour y porter des nouveaux engagés et toutes les choses nécessaires pour leurs habitations, et faire revenir leurs marchandises et leurs hommes sans aucune charge envers la Compagnie. Le 3 juin 1637, les associés accèdent à la plupart de leurs demandes en prenant en considération les coûts de l’investissement. Ils leur concèdent une terre d’un tenant en un lieu commode et non habité de leur choix pour les quarante hommes et ceux qu’ils pourraient envoyer par la suite. Mais ils ne veulent pas compromettre leur politique générale en accordant des droits qui sont en contradiction avec la politique générale de la colonisation qu’ils ont définie, aussi maintiennent-ils la limitation de la culture du pétun. Ils ne pourront faire du pétun que pendant deux années consécutives et ensuite tous les deux ans. Ils entendent aussi protéger leurs intérêts et leurs droits quant au passage des hommes et des marchandises. Ils ne leur autorisent qu’un seul navire par an pendant trois ans34.

Le soutien de la Compagnie à des projets particuliers

14Les associés accordent toute leur attention aux initiatives des particuliers.

15Antoine Girault est un de ces hommes tout autant capitaine, bourgeois et colon, qui est établi à Saint-Christophe. Il obtient en 1636 de la Compagnie de pouvoir faire naviguer son navire, dont il n’en est pas visiblement le capitaine, aux îles d’Amérique afin de « pêcher et chasser dans les îles pour la nourriture et entretien des Français habitants des îles35 ». Il a des ambitions. Il entreprend la Compagnie pour faire habiter la Désirade. Il dépose auprès des associés un projet de contrat. Les associés examinent ses propositions le 3 septembre 1636 et lui accordent « qu’il pourra découvrir l’île de la Désirade et les îles circonvoisines non encore habitées par les Français, prendre possession d’icelles au nom de sa majesté, et de la Compagnie, et y laisser tel nombre d’hommes qu’il avisera à la charge d’envoyer un procès verbal authentique de la dite prise de possession dans six mois, avec la description sommaire de la consistance de l’île qu’il aura occupée, et lors sera traité avec lui par la Compagnie pour le tout ou partie de l’île qu’il aura occupée à des conditions très raisonnables et avantageuses pour lui et par préférence à tous autres à la réserve toutefois des îles de la Dominique, Saint-Vincent et la Grenade36 ». Les directeurs sont chargés de mener les négociations pour s’accorder sur les termes du contrat. Girault fonde à dessein une compagnie particulière. Cependant, un an plus tard, le projet n’est toujours pas réalisé37. Il ne le sera jamais.

16Jean Belleteste offre un profil intéressant dans la mesure où il est un marchand de la place de Dieppe investi tout autant dans les affaires antillaises que canadiennes. C’est l’un des rares personnages de cette envergure, avec Jean Rozée. Bellesteste participe à une compagnie particulière avec Pierre Desportes pour exploiter le droit de traite et de pêche au Cap-Breton. Il a pour le représenter un commis à Dieppe38. Il délaisse quelques temps plus tard les terres septentrionales pour s’installer à Saint-Christophe. Il commence par le commerce du pétun, puis il passe à Saint-Christophe avec son frère. Le 25 septembre 1636, il est à Nantes sur la Notre-Dame et fait signer un engagement au jeune Nicolas Touzeau pour 200 livres de gages par an comme chirurgien39. Il semble être passé fin 1636 ou début 1637 dans les îles pour trafiquer sans licence40. En 1638, il demande à la Compagnie l’exemption des droits pour lui et sa famille, et la confirmation d’une donation d’une terre de 400 pas de face qui lui aurait été concédée par d’Esnambuc et qu’il aurait commencée à défricher et à planter en vivres. La cession serait donc intervenue en 1636. Aurait-il conçu dès cette époque de s’installer dans les îles ? La Compagnie accède à ses demandes mais lui impose de planter des cotonniers et non du pétun. Elle lui donne deux années pour défricher les terres et exempte les hommes qui y travailleront des droits personnels en 1639. Ils devront payer 30 livres de coton net par an les années suivantes41. Belleteste apparaît en 1641 parmi les commis de Poincy à Saint-Christophe42.

17Parmi toutes les ententes entre les marchands et la Compagnie, il convient de distinguer les contrats sucriers. La Compagnie accorde aux marchands qui sont prêts à investir dans les nouvelles cultures aux îles des conditions avantageuses. Nous aborderons cette question plus loin à propos des débuts de l’économie sucrière dans les Petites Antilles françaises.

Les caractéristiques des associations de marchands

18Les marchands apparaissent dans la documentation sous de nombreuses appellations – marchands, bourgeois, avitailleurs – qui témoignent des différentes opérations qu’ils effectuent dans les affaires des îles et de leur degré d’implication dans le trafic. Ils sont tour à tour, et parfois un peu de tout cela en même temps, des producteurs, des transporteurs, des affréteurs, des commerçants. Le Havrais David Duchesne l’aîné apparaît ainsi comme avitailleur du navire du capitaine Jacques Labbé en 1628. En 1635, il est pour un seizième dans le navire du capitaine Languillet43. François Rolland est pour sa part à bord d’un des navires commandé par Roissey en 1627 comme maître de navire. En 1635, il s’associe avec Guillemme Euldes dans une affaire de pétun à Saint-Christophe44. Il est difficile cependant de faire un portrait de ces marchands car les documents ne donnent pas beaucoup de renseignements sur leur compte.

Un monde peu spécialisé

19Les actes notariés concernant les opérations vers les îles laissent apparaître plusieurs centaines de noms de marchands et de bourgeois avitailleurs différents qui ne sont pas toujours clairement identifiés. Marcel Delafosse relève par exemple les noms de 35 investisseurs différents pour les 31 navires quittant La Rochelle entre 1636 et 1655 pour lesquels il dispose du nom des marchands45. Cela montre qu’il s’agit souvent d’affaire d’un jour. Les marchands et bourgeois qui affrètent des bateaux pour les îles ne semblent pas, à quelques exceptions près, privilégier le commerce antillais. Ils n’apparaissent que pour un ou deux bateaux entre 1635 et 1648, soit en une dizaine d’années. Ils poursuivent leurs activités vers les destinations habituelles principalement européennes. Mais quelques noms rochelais reviennent à plusieurs reprises : Jacques Pépin, Nicolas Bonneau et Pierre Melot. Jacques Pépin est le plus actif. Il participe à neuf voyages entre 1635 et 1664, Nicolas Bonneau à cinq voyages et Pierre Melot à quatre à partir de 164346.

20Les Antilles sont bien souvent leur unique incursion en terre américaine. Les marchands et bourgeois ne semblent pas participer aux affaires du Canada car ils n’apparaissent pas dans les relevés des affrètements qui ont pu être effectués. Il n’existe par exemple aucun armement nantais pour Terre-Neuve à cette époque47. Ils ne sont pas des familiers des choses américaines et ils ne peuvent se prévaloir d’une quelconque expérience. Ils saisissent les opportunités offertes par les îles pour réorganiser leur activité. Il en est ainsi d’Isaac Boivin. Il dirige une petite maison de commerce qu’il a hérité de son père surtout orientée vers le trafic des produits de la Baltique48. Mais à l’aube des années quarante, il se diversifie. Il achète et revend du pétun au Havre venu de Saint-Christophe en 164349. Il envoie un bateau à la Tortue quelques années plus tard. Il est en affaire avec le gouverneur Le Vasseur qui lui met de côté du bois de Brésil. Il y a une habitation50. Son frère Jean Boivin réside à Saint-Christophe. Il lui demande des hommes pour l’aider sur son exploitation en 1647 car il s’est lancé dans la culture de la canne à sucre et a besoin de main-d’œuvre. Il lui promet un peu de pétun51. Son beau-frère, Jean Lefebvre, participe aussi au commerce antillais. Il est originaire de Rouen et s’est associé à Pierre Lheureux pour faire du pétun à Saint-Christophe. Il s’y rend avec trois hommes en 1637. Il ne reste pas sur place, il rentre bientôt en France. Mais en 1639, il fait de nouveau le voyage à Saint-Christophe52.

Le poids des marchands des grandes villes

21Les marchands les plus investis sont très largement originaires des villes portuaires où ont lieu les affrètements des navires sur lesquels ils chargent leurs marchandises. Les Havrais négocient au Havre, les Rochelais à La Rochelle. Le tableau des contrats des engagements signés à Nantes donné par Jean Tanguy est à ce titre particulièrement éloquent. Tous les marchands qui figurent dans les documents notariés sont de la Fosse, à quelques exceptions près53.

22Les relevés effectués par Charles et Paul Bréard, Albert Anthiaume et Philippe Barrey à partir des archives notariales normandes, montrent que les marchands de Rouen occupent une place prépondérante dans le trafic normand vers les îles54. Ils apparaissent le plus souvent dans de grosses affaires. Les marchands du Havre, issus de petites maisons de commerce, et quelques bourgeois de Caen sont aussi à noter. Le marchand de Caen Jean Halley fait passer dix hommes sur le navire du capitaine Antoine Le Cesne en 1638 « moyennant la somme de 360 livres et 1000 livres de pétun plus 20 sols par tête pour le droit de chirurgien55 ». Le rôle des marchands normands dans leur ensemble est important. Ce sont eux qui animent le trafic des différents ports de France. Ils se déplacent aisément pour conclure des affaires. Le marchand dieppois Jean Belleteste se rend à Nantes le 25 septembre 1636 pour faire des engagements56. Bon nombre d’expéditions voient l’intervention d’un marchand normand à un titre ou à un autre, même s’il est difficile de mesurer le phénomène finement. Ainsi, le nantais Louis Brétineau négocie-t-il « 70 rolleaux de pétun » avec Robin Basin, un marchand de Caen57. Mais ils semblent aussi fonctionner en réseau. Le 7 décembre 1638, le nantais Jean Aubin s’entend avec le capitaine dieppois Nicolas Labbé pour qu’il passe prendre des hommes. Aubin a un associé dans cette affaire, Nicolas Lhoste, qui est lui originaire de Fécamp. Lhoste s’entend avec Labbé quand celui-ci arrive à la Fosse pour faire passer sur son navire des hommes pour un certain Adrien Advise, qui est de Bolbec. Les liens normands (Dieppe, Fécamp et Bolbec) en sont vraisemblablement la cause58.

23Quelques marchands parisiens apparaissent dans la documentation. Les liens entre Paris et la Normandie, et Rouen en particulier, sont étroits. En 1627, Claude Reneur, un marchand parisien, participe à l’avitaillement du navire du capitaine Girard Vaullart pour un seizième. Le montant des marchandises achetées se monte à 1603 livres et 3 sols. En 1628, un autre parisien, Nicolas Marchand, participe à hauteur de 1500 livres au navire du capitaine Julien Morin59. Le cas le plus intéressant est celui d’Antoine Desmartins. Il apparaît comme le propriétaire de la Petite-Europe qui emporte en 1639 le père jésuite Jacques Bouton de Nantes à la Martinique. Il obtient de la Compagnie de pouvoir passer des armes et des marchandises pour les vendre aux habitants60. Il s’associe au gouverneur Poincy à Saint-Christophe61. Desmartins apparaît encore dans un contrat d’engagement pour les îles signé à Nantes en 163962. Il est fortement impliqué dans le commerce colonial puisqu’il a des parts aussi dans la Compagnie des Indes orientales de Rigault63. Un autre parisien, Cantien Ragoulleau – il habite dans la paroisse Saint-Eustache – trafique avec Saint-Christophe et signe un contrat avec un engagé, Mathurin Godefroy, en 18 mai 1649 pour le servir dans son négoce64.

24Des provinciaux complètent l’ensemble. En 1646, Claude Bourgat, marchand de Lyon, et Philippe Thévénard, marchand de Tours, signent un contrat avec Guillaume Laserre de Bordeaux pour qu’il passe à la Martinique65.

25Les marchands étrangers, ou d’origine étrangère, installés dans le royaume n’investissent pas ou peu dans les navires ou les entreprises vers les îles à partir des ports de France. Les Portugais sont les plus actifs mais ils apparaissent rarement comme les acteurs du commerce avec les îles, hormis à Nantes comme nous l’avons vu plus haut. À Rouen, Antoine de Casseres, Antoine Rodrigues de Marais et Antoine Rodrigues Lamego privilégient des associations avec des familles locales bien établies pour mener à bien ces opérations66. Ils occupent surtout une grande place dans la redistribution des produits américains en Europe67. Gabriel Debien n’a relevé qu’un cas de marchand étranger à La Rochelle avant 1648, celui du londonien Christophe Queynel qui participe à une affaire le 11 avril 164668.

26Les grandes familles de commerçants sont peu présentes dans la documentation. Nous ne voyons pas apparaître les noms des marchands connus de la place de Rouen. Les rochelais Tessereau, Allaire et Pagez ne participent pas à cette époque au commerce transatlantique. Il faut attendre le milieu des années cinquante, quand le sucre s’affirme comme une production pleine de promesses, pour qu’ils s’y intéressent69. Quelques grandes familles nantaises, venant principalement du commerce avec l’Espagne, mais pas exclusivement, participent cependant au commerce transatlantique. Guy Saupin souligne en particulier l’implication des Valleton et des Libault. La famille Valleton est une des plus actives familles marchandes nantaises du milieu du xvii^e siècle. Elle possède une certaine influence. Pierre Valleton est trésorier de la Contractation de 1612 à 1622. Ses deux petits-fils Jacques et François ont des participations dans le Grand-Armand qui va à la Martinique en 1647. Ils mènent de nouvelles opérations en 1648 et 1657. Dès 1639, René Libault et ses trois fils Guillaume, Gratien et Nicolas, s’entendent avec plusieurs marchands de la Fosse pour acquérir la cargaison du dieppois Nicolas Labbé revenant de Saint-Christophe. Gratien poursuit le commerce du tabac avec les îles en 1640, 1643 et 164570. Ils s’intéressent aussi au recrutement d’engagés pour le compte des habitants de Saint-Christophe. En 1642, Guillaume et Gratien envoient ainsi deux mariniers à Denis Pesillon. En 1647, Gratien engage Guillaume Dubreuil pour servir Marin La Rouche à Saint-Christophe. Quelques mois plus tard, il sert d’intermédiaire entre deux habitants de l’île, Jean de Lormel et Charles Poullain, et un candidat au départ vers Saint-Christophe, Guillaume Simon71. Les affaires qu’ils réalisent ne sont cependant pas très nombreuses ni très régulières.

27Doit-on penser à une certaine frilosité des marchands établis ? Cela pourrait expliquer en partie pourquoi les associés de la Compagnie des îles se tournent, vers les communautés les plus dynamiques, notamment portugaises qui sont très actives dans les ports de France, à Nantes et à Rouen, pour défendre ses intérêts et animer le flux vers les îles. Les réticences des marchands à participer au commerce transatlantique sont multiples. Ils craignent de ne pas pouvoir rentrer dans leurs frais72. Ils sont aussi en général assez soucieux de mener leurs affaires comme ils l’entendent et se méfient de la trop grande intervention de l’État. Les Dieppois refusent ainsi quelques décennies plus tard, en 1665, de participer à la Compagnie des Indes occidentales malgré l’insistance du gouverneur de Normandie car ils se méfient des compagnies de commerce, ces grandes entreprises d’État, voulues par le pouvoir73.

28Les efforts déployés par les familles de marchands dans les années trente et quarante sont souvent poursuivis dans les décennies suivantes. À Nantes, les trois frères Libault suivent les pas de leur père et participent à plusieurs armements dans les années 1650. Ils ont des parts dans le Croissant qui part aux îles en 165574. Ils expédient au moins deux navires vers l’Afrique à la fin des années cinquante75. Les circuits antillais semblent donc se mettre en place dans les années trente et quarante.

La mobilisation des réseaux

29Les marchands font participer à leur entreprise leurs proches parents (frères, fils, cousins). De nombreuses associations sont faites au sein d’une même famille. Jean et Laurent Deshoulles forment une association le 19 mai 1636. Ils appartiennent à une bonne famille de Honfleur, Jean Deshoulles est hôtelier et bourgeois de la ville, son frère Laurent, est lui aussi bourgeois de la ville. Laurent embarque avec son neveu François Deshoulles, le fils de Jean, pour résider à Saint-Christophe pendant trois ans sur le bateau du capitaine Antoine Richard, le Saint-Jacques, avec quatre hommes loués par eux. Les marchandises seront partagées en deux parts égales entre Jean et Laurent Deshoulles76. Le nantais Pierre Moisson oriente assez rapidement ses activités vers les Antilles. Il ne signe pas moins de neuf contrats d’engagement en 1646. Son frère, Thomas, est installé à Saint-Christophe. Il y fait vraisemblablement du tabac. Il en envoie en effet régulièrement en France77.

30Il arrive que plusieurs familles s’associent pour conduire une affaire. Daniel Lesellier s’associe avec son beau-frère Pierre Lastier pour aller à la Tortue en 1640 en laissant sa femme, Judith Melot, à La Rochelle. Elle s’occupe avec son frère Pierre Melot de trouver de la main-d’œuvre pour la plantation familiale78. Les marchands sollicitent aussi les membres de leur famille pour assurer en partie le financement de leurs opérations car ils ne disposent pas toujours des fonds nécessaires. Ainsi en 1638, Noël le Grip, sieur de La Vallée, bourgeois de Honfleur, investit-il dans les marchandises du navire du capitaine Thomas Jourdain grâce à un prêt de 2100 livres tournois consenti par l’un de ses parents, Pierre le Grip, qui est avocat79. Ces ententes ne sont pas exclusives. Un même marchand peut monter plusieurs affaires successivement avec plusieurs partenaires. Ainsi le rochelais Guillaume Feniou s’associe avec Jacques Pajot, un autre marchand, en 1638. Il envoie son fils Jean Feniou aux îles. Mais en 1644, Guillaume Feniou s’entend cette fois-ci avec Antoine Mellot qui part à la Martinique pour établir une habitation. En 1649, Feniou s’associe à Michel Fradet, un marchand établi à Saint-Christophe, et à Jean Lacaze80.

31Il semble aussi que des notaires dans les ports se spécialisent dans les actes pour l’Amérique. Maîtres Belon et Brétineau sont les principaux notaires de la place de Nantes pour tous les types d’actes (contrats, emprunts) intéressant les îles81. Ils soutiennent les activités de leurs parents établis aux îles. Maître Belon de Nantes a ainsi un frère, Félix Belon, qui réside aux Antilles depuis 1640. Louis Brétineau a un frère, Nicolas Touzeau, qui est chirurgien à Saint-Christophe. Il le représente à Nantes pour signer un engagement. Les notaires investissent parfois à leur tour dans des entreprises en prenant des participations. Louis Brétineau s’intéresse en particulier au pétun qu’il réexpédie en Bretagne82.

32Mais d’autres liens peuvent-ils être mis en lumière ? La question de l’existence d’un réseau protestant orienté vers les Antilles vers les îles reste entière. Il est vrai que les marchands normands sont principalement issus du monde protestant. La Compagnie de Dieppe, qui s’associe à L’Olive et à du Plessis pour la colonisation de la Guadeloupe en 1635, est principalement composée de protestants influents. Édouard Delobette note dans son travail sur les marchands havrais « la présence très majoritaire, pour ne pas dire exclusive au Havre du négoce protestant dans ce type de compagnies depuis Colbert jusqu’à la Révolution française », quoiqu’ils soient passés après 1685 au catholicisme83. Bon nombre de capitaines appareillant au Havre, à Dieppe ou à La Rochelle sont protestants. Ils alimentent le trafic vers l’île de la Tortue alors tenue par le protestant Le Vasseur. Les soixante-cinq engagés qui partent pour la Tortue entre 1639 et 1644 sont des protestants84. Ils y ont des habitations. Louis Merle et Gabriel Debien signalent qu’un marchand vraisemblablement un protestant de Nantes, Samuel Béquet, a une habitation dans l’île où il fait du pétun en 164585.

33Il existe indéniablement un réseau protestant havrais dans la première moitié du xvii^e siècle. Le cas d’Isaac Boivin nous en livre quelques indices. Boivin est un protestant du Havre. Il est en affaire avec le gouverneur de la Tortue, Le Vasseur, qui lui met de côté du bois de brésil86. Il semble qu’il soit assez lié avec Le Vasseur car il bénéficie depuis le 18 juillet 1630 d’une procuration à son nom pour gérer ses affaires en France87. Il semble avoir fait un voyage aux îles en 162888. Les Hollandais, qui sont présents dans les ports de France, prennent parfois des participations dans les activités de leurs coreligionnaires. Cependant, cela occupe une faible part de leurs affaires89. Ils participent surtout à la redistribution des produits importés. Les marchands protestants de La Rochelle qui se sont installés à la Guadeloupe dans les années quarante sont en relation avec des Hollandais. Il en est ainsi de Nicolas Bonneau qui est installée à Cabesterre, où il fera plus tard du sucre, et qui est allié à la famille Ganspoel d’origine hollandaise. La solidarité de protestants ne connaît pas de frontière et s’étend aux pays du Nord. Judith Melot envoie les engagés pour son mari à la Tortue sur la Charité de Corneille Allard qui est originaire de Flessingue90. Les protestants français ne sont cependant pas exclusifs. Ainsi la Bonne Fortune du capitaine André Lesbahy est-elle tout autant financée par des marchands protestants que par des marchands catholiques de la place du Havre. L’équipage est lui-même multiconfessionnel91.

34Le commerce effectué par les capitaines et les marchands français dans les îles anglaises et hollandaises voisines n’est vraisemblablement pas davantage l’apanage des seuls protestants. Les navires français se rendent volontiers à la Barbade. Nous en avons quelques échos dans les récits des voyageurs. Le bateau qui transporte Daniel Le Hirbec se rend ainsi le 4 juin 1642 dans l’île anglaise92. Antoine Biet note la présence d’un petit navire français à la Barbade qui appareille pour la Martinique en 1653. Un autre navire français de 200 tonneaux, venant de Dieppe et commandé par le capitaine Le Bas, arrive à la Barbade le 12 ou le 15 avril 1653, vient y vendre de l’eau-de-vie en échange de sucre93. S’il existe des connections évidentes entre les protestants de La Rochelle et les Provinces-Unies et l’Angleterre, elles sont difficiles à mettre en évidence pour notre période dans les Petites Antilles. À ce stade de notre étude, cela se limite à quelques cas.

Réussite et revers des marchands aux îles

35Les marchands connaissent des fortunes diverses. Le commerce des îles ne donne aucune assurance. La réussite n’est pas toujours au rendez-vous. Les marchands de Dieppe en manque de résultats préfèrent abandonner l’exploitation de la Guadeloupe. Le sieur Haeyematt rencontre lui aussi bien des déconvenues. Il se rend dans les îles en 1644, mais ne trouve pas de marchandises à acheter à la Martinique et à la Guadeloupe. Il doit se contenter de déposer à terre ses passagers et de repartir pour tenter de trouver ailleurs quelque chose. À Saint-Christophe, il ne trouve pas de pétun. Il n’y en a plus depuis plusieurs mois. Assurément, il est arrivé à un mauvais moment. Aussi décidet-il de repasser au Cap-Vert pour faire le trafic du sel94. David le Baillif, un commerçant de Rouen, s’est associé avec son neveu Simon Delapierre le 10 janvier 1639 pour trafiquer le pétun. Ils ont une habitation avec des esclaves noirs. L’affaire n’est pas très rentable. Leurs pertes sont de 1472 livres de pétun et de 160 livres et 2 sols en argent. Le 10 juillet 1646, Le Baillif se retire alors de l’affaire. Simon Delapierre poursuit seul l’entreprise95.

36Le havrais Isaac Boivin est confronté à de nombreuses difficultés. Il n’arrive pas à écouler l’indigo qu’il reçoit de Saint-Christophe. Il ne peut recouvrer ses créances alors qu’il a avancé des sommes importantes aux habitants dans les îles. Son frère Jean poursuit les débiteurs à la Guadeloupe en vain en 164796. Isaac Boivin est conduit à s’endetter à son tour. Il emprunte de l’argent à la famille Le Vasseur. Mais bientôt, c’est la faillite. À sa mort en 1661, ses biens sont saisis à la requête de son principal créancier, Guillaume Le Vasseur97. La chute de la maison de commerce Boivin n’est pas due exclusivement aux affaires antillaises car elle s’occupe surtout de la Baltique, mais il semble que la réorientation d’une partie de ses activités vers les îles lui a été fatale. Sans le sou, ses fils quittent la France et tentent leur chance aux îles. Isaac et Pierre Boivin s’installent à la Martinique en 1662. Leur frère Nicolas les rejoint plus tard. Il y avait déjà fait un séjour en 1644. Ils permettront à la famille de s’enraciner aux Antilles. Ils s’appuieront sur le réseau protestant, conforté par le mariage de leur sœur avec un marchand rouennais, Eustache Trevache, qui s’est établit à Amsterdam, et leurs alliances dans le milieu catholique pour s’affirmer socialement. Ils achèteront par la suite des charges anoblissantes98. Nicolas Boivin apparaît en 1671 comme un des principaux propriétaires fonciers de la Guadeloupe. Il a une habitation de 350 pas carrés dans la Grande-Terre99. La réussite ne touche que les générations suivantes.

Figure 22. Les affaires d’Isaac Boivin aux Antilles.

37L’affaire du nantais Pierre Moisson se montre au contraire fructueuse rapidement. Il écoule régulièrement sur le marché français le pétun produit par son frère Thomas qui est à Saint-Christophe. Les quantités demeurent cependant modestes : 160 « rolles » en février 1646, 200 livres en mars et 350 livres en avril. Il est très actif aussi sur le marché de l’engagement. Cela contribue à l’ascension sociale de la famille. Le mariage, au début du xviii^e siècle, de Catherine Moisson et de Claude François, sieur du Brossay en est, selon Guy Saupin, un bon exemple100.