1Dans son ouvrage intitulé L’Empire gréco-romain, paru en 2005, Paul Veyne écrivait : « En pays grec, les Romains sont supportés, obéis, acceptés avec accoutumance et tenus pour utiles, mais ils restent une nation étrangère pour tout le monde, intellectuels et autres, riches et pauvres, et les Grecs ne les ont jamais aimés1 ». Néanmoins, si le rejet de la domination romaine a parfois pu être viscéral (pensons à la révolte d’Aristonikos dans le dernier tiers du ii^e siècle avant notre ère), force est de constater que les élites pergaméniennes ont dû, progressivement, s’adapter à ce nouvel ordre politique. Certes, la défense des traditions de la cité (à travers le culte des dynastes disparus, par exemple) était une tâche essentielle de ces personnages, mais elle fut progressivement associée à un désir de s’intégrer au monde romain et d’en tirer profit.

Rappel analytique des principaux résultats de l’étude

2L’examen des sources pergaméniennes – les inscriptions, essentiellement – a permis de mettre en évidence un certain nombre de caractères propres aux élites de la cité à l’époque romaine, mais aussi de discuter certaines analyses formulées par H. Halfmann il y a une quinzaine d’années, comme leur conservatisme forcené ou la position quasi monarchique de certains grands notables dans la vie politique.

31. À Pergame, force est de constater que, tout au long des quatre siècles étudiés, seule la plus haute strate des notables apparaît dans les inscriptions ; les membres des autres strates ne sont quasiment pas cités ou honorés2. Or ils étaient bien présents dans la cité, formaient des dizaines de familles et siégeaient à l’Ecclésia. Un tel constat indique que la vie politique de la prestigieuse cité était en grande partie cadenassée par les membres de la haute élite, dont les familles étaient, pour bon nombre d’entre elles, installées et influentes sur place depuis l’époque royale. Du fait de la rareté des sources, on connaît peu de personnages de ce type à l’époque tardo-républicaine, mais ceux qu’on peut répertorier se distinguent de leurs concitoyens par un évergétisme brillant (pensons à Rufinus ou à la basilissa Claudia Capitôlina) et des contacts étroits avec Rome (Apollodôros fut le précepteur d’Octave). À l’époque impériale, une part d’entre eux intègre le Sénat ou, plus rarement semble-t-il, l’ordre équestre. D’autre part, l’ascendance royale de certains de ces personnages, indubitable, souligne leur profil social très particulier : ce sont des citoyens particulièrement fortunés, qui disposent de terres bien souvent héritées de leurs ancêtres (en Lydie, en Phrygie notamment), et qui apparaissent comme les dépositaires de la mémoire des rois. Ce faciès social constitue la première originalité des notables de Pergame : il s’agit de personnages particulièrement riches, influents voire brillants (Charax est un des grands historiens de son temps, Galien brille dans la médecine et intègre la cour impériale).

4D’autre part, la vie publique pergaménienne était elle-même marquée par un élitisme diffus, dont on ne peut se défaire à la lecture des sources. Procédure rare dans les poleis de l’époque, les éphèbes étaient sélectionnés (enkrisis) lors de concours traditionnels afin d’extraire la fine fleur de la jeunesse fréquentant le gymnase. Dans un tout autre domaine, la Gérousie était, elle aussi, une institution dont l’accès était plus difficile que dans les autres cités, à partir de critères financiers et moraux. Troisième témoignage essentiel de l’élitisme de la vie publique pergaménienne, celui de l’octroi des titres honorifiques : ils étaient particulièrement rares dans la cité et, alors que les bénéficiaires de titres formaient en général, dans les autres cités, un groupe hétérogène, présentant différents niveaux de richesse, il n’en était rien à Pergame ; les notables qualifiés d’évergètes ou de fondateurs étaient d’éminents citoyens, et souvent des représentants ou des soutiens de Rome. Ce type d’honneurs civiques était donc monopolisé par une étroite élite, dont l’influence dépassait largement les limites de la cité (Diodôros Pasparos assuma au moins une longue ambassade à Rome, et fut en contact avec le pharaon Ptolémée XII).

52. Ces éminents notables étaient-ils pour autant plus conservateurs que les notables des autres cités de l’Orient méditerranéen, comme l’a pensé H. Halfmann ? D’une certaine manière, il est difficile d’ignorer le conservatisme de ces personnages : de façon évidente, ils ont, comme leurs congénères, cherché à défendre les traditions politiques, religieuses ou sociales de leur cité (cultes traditionnels, esprit agonistique, évergétisme au service de la communauté, culture honorifique). Cependant, leur investissement dans la mise en place du culte impérial (dès 29 avant J.-C.) et leur capacité, de façon générale, à s’adapter au nouvel ordre romain ne constituent-ils pas une preuve de leur formidable capacité à innover, à infléchir leurs pratiques traditionnelles au gré du contexte de l’époque ? Dans la sphère religieuse, ils ont également modifié la nature de certains cultes ancestraux de la cité afin d’en tirer des bénéfices politiques ; ainsi, l’Asklépieion devint, au début du ii^e siècle apr. J.-C., un important espace du culte de l’empereur Hadrien. En d’autres termes, on ne peut se contenter de présenter les notables pergaméniens à partir de leurs seules positions conservatrices, et la défense de certaines valeurs et pratiques héritées du passé : la domination romaine les a poussés à façonner de nouveaux comportements, une nouvelle culture politique qui prit plusieurs formes. Ainsi, le culte d’Auguste fit du princeps le successeur des Attalides, et certains espaces emblématiques de la cité devinrent des lieux qui lui étaient désormais dédiés (par exemple, la terrasse du sanctuaire d’Athéna, sur l’acropole3).

63. Certains notables pergaméniens ont-ils joui d’une « véritable position monarchique4 » dans la cité, comme si certaines traditions honorifiques, héritées de l’époque royale, avaient perduré ou avaient été ressuscitées ? Si l’on examine les sources, trois personnages exceptionnels sont particulièrement présents la documentation : Diodôros Pasparos au i^er siècle avant J.-C., Mithridatès (ou Mithradatès) à l’époque césarienne et C.Antius Aulus Iulius Quadratus sous le règne de Trajan. Tous trois semblent avoir largement dominé la vie politique de leur époque, et ont reçu des honneurs impressionnants. Si un culte digne de celui des rois est clairement attesté pour le premier notable, on ne peut affirmer une telle chose pour les deux autres personnages : Mithridatès est certes comparé à Pergamos et Philétairos, mais cela ne peut constituer la preuve de l’organisation d’un culte ; Quadratus, quant à lui, est honoré grâce à de très nombreuses statues, mais là encore, rien n’indique qu’il ait bénéficié d’un culte.

7L’émergence, à trois reprises, d’un notable extraordinaire dans le corpus épigraphique, largement dominateur et reconnu comme tel, n’est pas due au hasard des découvertes archéologiques, et ne constitue nullement une exception pergaménienne. On constate en effet, dans bien des cités, à la basse époque hellénistique ou sous le Haut-Empire, des schémas de ce genre. Les exemples sont nombreux, nous n’en citerons que deux. Premièrement, dans la modeste cité béotienne d’Akraiphia, au i^er siècle après J.-C., un certain Épaminondas5 se trouve dans une situation comparable à celle des notables pergaméniens mentionnés : grand évergète (il fournit de l’huile parfumée, finance des sacrifices et de nombreux banquets, auxquels sont même conviés les visiteurs de passage, les affranchis et les esclaves), il semble seul au monde, si bien qu’il assume la magistrature principale de la cité (l’agonothésie) et relance les concours des Ptoia, qui étaient abandonnés depuis trois décennies. Ce dernier acte rappelle la restauration des Kriobolia par Diodôros Pasparos et fait de lui un personnage qui restaure la vie « à la grecque » dans la cité, après une période de déclin. Par ailleurs, dans la cité de Cos, vers 40 avant J.-C., un notable nommé Nicias6 est honoré à de nombreuses reprises par des inscriptions, apparaît sur certaines monnaies et semble, lui aussi, dominer la vie politique de sa cité. Cette position singulière est confirmée par l’un de ses contemporains, Strabon7, et par Élien8, qui le qualifient de tyran. Ce personnage semble, lui aussi, être le premier des citoyens, loin devant les autres. Tous ces notables n’étaient pourtant pas seuls dans leur cité, et d’autres individus devaient y jouer un rôle majeur ; le fait qu’ils soient placés sur un piédestal s’explique essentiellement par l’esprit agonistique des élites de l’époque, mais pas seulement, car toute la communauté partageait ces valeurs de dépassement de soi et des autres, et concédait régulièrement à un citoyen exceptionnel le premier rang dans la hiérarchie sociale de la cité, toujours mouvante9. Cette place était accompagnée d’honneurs particuliers, qui traduisaient sa validation, son acceptation par la communauté poliade.

84. L’étude des inscriptions de Pergame nous a permis de montrer que le culte attalide était resté vivace dans la cité jusqu’au ii^e siècle apr. J.-C. au moins, à travers plusieurs institutions fondamentales (prytanie éponyme et prêtrise de Philétairos dans un premier temps, culte de Dionysos Kathègémôn avec une prêtrise héréditaire détenue par des personnages d’ascendance royale). Cet attachement durable aux Attalides et l’entretien d’une mémoire des dynastes disparus constituent-ils la preuve d’un conservatisme ou d’un traditionalisme spécifique ? La réponse à cette question est négative, car le cas pergaménien n’est pas isolé. Distinct du culte dynastique d’Alexandre (fondé par Ptolémée I^er), le culte d’Alexandre-Ktistès à Alexandrie remonte vraisemblablement à la mort du grand conquérant10 et repose sur l’institution d’une prêtrise, qui fut maintenue au moins jusqu’à l’époque antonine. De même, un culte est très vraisemblable dans les cités bithyniennes de Prousias sur l’Hypios et Bithynion-Claudioupolis. Dans la première, la mémoire de son re-fondateur Prousias I^er fut maintenue jusqu’au iii^e siècle de notre ère (une tribu « Prousias » y avait été mise en place) ; pour ce qui est de Bithynion, il est très probable qu’une prêtrise de Prousias ait existé jusqu’à l’époque impériale11. En d’autres termes, les cités qui avaient connu un passé royal ont bien souvent vu leurs notables assurer la survie du culte des monarques, jusqu’au Haut-Empire. En particulier, le culte du fondateur est souvent resté dynamique : à Pergame, malgré la mort d’Attale et les violences dues à la révolte d’Aristonikos, la prytanie éponyme resta indéfectiblement associée à la prêtrise de Philétairos dans les années qui suivirent, et plus tard, le grand notable que fut Mithridatès fut comparé, dans une inscription, à ce même Philétairos, car il obtint des bienfaits de premier ordre pour la cité grâce à ses relations de confiance avec Jules César (la liberté, surtout).

Déclin et disparition apparente du modèle des évergétai pergaméniens

9Si l’on examine l’Asklépieion, qui fut au II^e siècle le miroir des élites de Pergame en ce sens qu’il constituait le lieu d’affichage privilégié de leur domination sociale et politique, on constate que très peu d’inscriptions datent du iii^e siècle12. Les décrets honorifiques retrouvés dans le sanctuaire ne témoignent alors d’aucune activité de construction, et les inscriptions honorifiques les plus tardives datent du règne de Gallien13. Malgré tout, le culte d’Asklépios resta central jusqu’à ce règne, car le sénateur Fl. Ranius Pollio Flavianus en fut l’agonothète, tout comme Sex. Claudius Silianus, ce qui montre que d’éminents membres de l’élite continuaient d’entretenir sa réputation. À cette époque avancée, Asklépios et le cercle de divinités qui l’entouraient (Tychè, les Kabires, Hygie) continuaient d’être représentés sur les différentes émissions monétaires de la cité, et apparaissaient comme ses figures tutélaires : de ce point de vue, si le culte a peut-être perdu de son prestige à ce moment, il n’a nullement perdu son caractère identitaire dans la cité.

10Le déclin progressif des élites pergaméniennes avait peut-être débuté avec l’atimie de Macrin, voire sous le règne de Marc Aurèle, qui fut marqué par une peste noire qui affecta la cité, mais selon une gravité qu’il n’est pas possible d’évaluer14. On peut penser que la population ne fut cependant pas décimée, et que Pergame conserva son éclat, puisqu’en 214 : Caracalla visita la ville et accorda une troisième néocorie aux Pergaméniens, ce qui témoigne du prestige des élites civiques et de la cité à ses yeux. On constate un très net effondrement des sources épigraphiques après ce règne, qui semble avoir été le dernier moment de gloire des Pergaméniens, mais ce phénomène largement répandu dans l’empire à cette époque ne peut être formellement interprété comme la preuve d’un déclin des élites.

11Si le contexte de la « crise du iii^e siècle » est aujourd’hui relativement bien connu, quelles hypothèses précises peut-on proposer, dans le cas particulier de Pergame ? Sous le règne de Valérien, le sénateur Iulius Apellas vit ses terres situées près de Smyrne vraisemblablement occupées illégalement par les armées romaines, alors en route pour aller repousser les Perses Sassanides15 : si l’interprétation de l’inscription mentionnant ce litige est correcte, cela indiquerait que l’armée, devenue la priorité absolue des empereurs du fait du danger perse, avait bafoué les droits et l’honneur d’un sénateur. Cela pourrait aussi traduire la perte d’influence de ces personnages dans un contexte militaire agité. Selon Kl. Rheidt16, un séisme important affaiblit ensuite la cité en 262 puisqu’il détruisit de nombreux monuments17 et, d’autre part, il est possible qu’elle fut touchée par une nouvelle épidémie de peste dans les années 26018. En outre, la crainte de voir les Goths piller la ville entraîna la construction précipitée de fortifications pour la protéger, vers 27019. Il est donc possible que les Goths, lorsqu’ils attaquèrent Éphèse et détruisirent l’Artémision lors du printemps 26320, procédèrent également à des destructions à Pergame, mais cela n’est pas prouvé21. Il y eut indéniablement une conjonction de facteurs néfastes dans les années 260, dans la deuxième partie du règne de Gallien, qui affectèrent brutalement la population pergaménienne. D’une manière générale, la situation militaire de l’empire sous les règnes de Valérien et Gallien fut principalement marquée par une crise militaire d’une gravité jamais connue dans l’histoire de l’empire, car les assauts des barbares survinrent désormais sur plusieurs points des frontières : les Goths attaquèrent la Grèce puis l’Asie à partir des années 252-253, et les troupes de Shapur I^er assiégèrent la Syrie à plusieurs reprises, jusqu’à Antioche. Ces guerres entraînèrent des pillages donc des difficultés économiques croissantes, une instabilité du pouvoir et une crise morale très profonde.

12Hormis ces facteurs, H. Halfmann a également mentionné le profil politique des empereurs du iii^e siècle, qui n’aurait plus rien eu de commun avec celui des Antonins. Si on peut effectivement considérer que ces empereurs s’étaient parfois montrés moins soucieux d’entretenir des relations privilégiées avec les Pergaméniens (Caracalla excepté), nous ne souscrivons pas à l’analyse selon laquelle ces personnages auraient possédé un « caractère militaire » particulièrement marqué, ou un esprit « prosaïque et primitif22 » qui auraient favorisé leur prise de distance vis-à-vis des élites de Pergame. Ainsi, Trajan fut un empereur extrêmement actif sur le plan militaire, tout en entretenant des relations de confiance avec certains grands personnages de la cité : ces deux comportements n’étaient donc nullement contradictoires. D’autre part, H. Halfmann a évoqué une tendance des Sévères à restaurer les cultes traditionnels de Rome ou à développer certains cultes orientaux, comme ceux venus de Syrie (sous Élagabal notamment), au détriment de certains cultes grecs. Bien au contraire, le règne de Caracalla prouve que l’empereur était particulièrement attaché aux cultes d’Asklépios et de Dionysos. On assista plutôt à une mutation de la politique édilitaire des empereurs à partir du début du iii^e siècle, car aucun d’entre eux ne chercha à modifier de façon marquante le paysage urbain de Pergame, comme Trajan l’avait fait. Après le règne de Caracalla, il semble que le culte d’Asklépios cessa d’être mis en valeur par les empereurs : l’Asklépieion commença alors à décliner lentement car il ne fut plus l’objet d’une promotion semblable à celle qu’Hadrien avait entreprise et, de plus, la « crise du iii^e siècle » commença à frapper l’empire, surtout à partir des années 230. La prospérité de Pergame étant étroitement liée au succès du sanctuaire, son relatif déclin favorisa aussi celui de la ville.

13Avec l’essor du christianisme, le modèle des élites pergaméniennes, qui reposait sur la domination politique et sociale d’une oligarchie richissime s’épuisa progressivement, sans pour autant disparaître. Lentement, la population se convertit au monothéisme chrétien et de nombreux bâtiments cultuels cessèrent d’être voués aux cultes païens. Ainsi, la Cour rouge devint une basilique chrétienne entre la fin du iv^e siècle et le milieu du v^e siècle23, et le temple rond de Rufinus fut au vi^e siècle « le siège d’une institution pieuse dépendant de l’Église de Pergame24 », qui s’occupait probablement du culte de la Vierge Marie. Désormais, le centre de la vie urbaine devint la ville basse : l’acropole fut abandonnée dans le courant du iv^e siècle25. L’activité de construction des évergétai païens cessa à ce moment, et l’on commença à ériger des bâtiments exclusivement chrétiens à partir du iv^e siècle, principalement des églises. Ces édifices furent cependant payés par les fidèles, les empereurs mais aussi de grands notables chrétiens, qui étaient aussi des évergètes.

14Bien davantage qu’une disparition du modèle des évergétai, il vaudrait donc mieux parler d’une mutation. Si, à Éphèse, le proconsul L. Caelius Montius procéda à la restauration des thermes du gymnase du port sous le règne de Constant (337-350), à Pergame seuls des thermes furent érigés à proximité de la porte d’accès à la via tecta de l’Asklépieion durant l’Antiquité tardive. La quasi-totalité des fonds privés disponibles étaient donc désormais investis dans des infrastructures chrétiennes26. Pergame, en tant qu’espace emblématique de la monarchie hellénistique, du culte impérial ou de la médecine grecque liée à Asklépios ou Hygie n’était désormais qu’un lointain souvenir ; jadis cité païenne brillante, elle figurait désormais parmi les Sept Églises d’Asie27. Aux alentours du milieu du iv^e siècle, une nouvelle période de paix et de prospérité débuta pour Pergame, et le v^e siècle fut marqué par l’érection des premières grandes églises dans la ville, dont les plus emblématiques furent probablement la Cour rouge, devenue une immense basilique chrétienne, ainsi que la basilique à atrium bâtie à l’emplacement de l’ancienne agora inférieure, sur l’acropole. De telles constructions provoquèrent une réelle modification du paysage urbain, qui fut également due au fait que l’on transforma certains temples païens en églises voire en monastères28. L’un des « moteurs » de cette évolution fut toujours constitué par les fonds privés des notables pergaméniens les plus riches, devenus, pour certains d’entre eux, des évêques29.

15Néanmoins, la cité entama vers le milieu du vi^e siècle30 un déclin, probablement causé par les ravages de la peste. Selon les archéologues, l’époque postérieure au règne de Justinien fut apparemment marquée par une faible activité politique et économique de la ville. En effet, seule une église (ou un monastère ?) datant de cette époque a été retrouvée, près d’une citerne, sur un versant de l’acropole (au sud-ouest du temple de Trajan)31. D’autre part, Justinien organisa des persécutions contre les païens en Asie et envoya sur place l’évêque Jean d’Éphèse (dans les années 540), afin d’y supprimer les quelques pratiques païennes qui y subsistaient. Cette politique, qui coïncida avec la peste, entraîna une brutale dépopulation de la plupart des villes d’Asie, y compris Pergame32.

16Enfin, cette période fut marquée par la destruction de nombreux monuments païens, emblématiques de la culture grecque ou de l’époque attalide. Le Grand Autel, peut-être décrit dans la Bible comme le « trône de Satan », fut presque entièrement démoli car il était l’un des symboles les plus forts du paganisme, et on utilisa une partie des pierres qui le constituaient pour construire les fortifications byzantines de la citadelle33. Un tel événement, qui s’apparentait à une tentative d’éradication du passé païen de la cité, symbolisa la ferme volonté du pouvoir en place de tourner une page de l’histoire de Pergame, avec le soutien des élites pergaméniennes christianisées34.