Annexe III. Lettre circulaire de l’assemblée de 1714
p. 323-325
Texte intégral
Lettre à tous les prélats du Royaume, par l’Assemblée des Cardinaux, Archevêques et Évêques de l’année 1714 pour la réception de la Constitution Unigenitus
1Les Cardinaux, Archevêques & Évêques assemblés en la Ville de Paris,
2Aux Archevêques & Évêques du Royaume, nos très honorés Frères,
3Salut en Notre Seigneur,
4Monsieur,
5Vous avez su quel a été le sujet de notre Assemblée, commencée le 16. Octobre dernier par l’ordre du Roi, à l’occasion de la Bulle de notre Saint Père le Pape, du 8. Septembre 1713. Obtenue à la prière de Sa Majesté, qui a bien voulu nous la faire remettre, afin que nous délibérassions sur les moyens de l’accepter, avant l’expédition des Lettres-Patentes pour la faire publier dans son Royaume.
6Un des principaux Articles de nos Délibérations, a été d’écrire à tous les Prélats absents, pour les informer de ce que nous avons fait, qui ne doit moins les intéresser que nous-mêmes. Tout doit être commun entre les Évêques dans ce qui regarde l’Église, où ils sont établis par le Saint-Esprit pour la gouverner [Actor. 20. 8. S. Cypr.]. comme ne composant tous ensemble qu’un seul Épiscopat. Il n’y aura peut-être jamais d’affaire où cette union toujours si désirable, le soit plus que dans celle-ci.
7Il s’agit de la condamnation portée par cette Bulle contre le Livre des Réflexions Morales sur le nouveau Testament, & les cent une Propositions qui en ont été extraites. Personne n’ignore la nature de cet Ouvrage ; il n’a été que trop connu & trop répandu.
8Il n’en a paru aucun depuis longtemps qui ait été à la fois & plus applaudi & plus digne de censure, tant l’esprit de séduction y a su mêler avec artifice le bon grain avec le mauvais ; Il est composé de telle sorte, qu’on peut y être aisément surpris, quand on ne fait que le lire ; & qu’au contraire on ne peut que le trouver très condamnable, dès qu’on se donne le soin de l’examiner.
9On y trouve non seulement les Hérésies des Propositions tant de fois condamnées, mais encore toutes les autres erreurs du livre de Jansénius, qui avaient été auparavant proscrites dans Baïus par les souverains Pontifes.
10Nous y avons vu encore avec douleur au milieu de tant de dogmes pernicieux le dernier excès où se porte enfin toute Hérésie soutenue avec opiniâtreté, qui est de s’élever ouvertement contre l’Église. On ne se borne plus, comme on a fait si longtemps, à éluder ses décisions par tant de faux-fuyants & de vaines subtilités ; on attaque enfin directement son autorité qu’on veut rendre inutile.
11On entreprend de décrier sa conduite ; on méprise les excommunications, qui sont ces armes puissantes & redoutables, que Jésus-Christ lui a mises en main, pour abattre toute hauteur qui s’élève contre la science de Dieu & pour punir les désobéissants [II. Corinth. 10. 4. 5]. On apprend dans ce livre à ses enfants rebelles à ne pas les appréhender & à persister dans leur désobéissance. On ne parle sur cela que de persécution, d’injustice, d’entêtement, d’obstination de la part des Pasteurs, à ne vouloir ni rien examiner, ni reconnaître qu’on s’est trompé. C’est la vérité, qui est persécutée dans la personne de ses Prédicateurs & de ses Disciples. On ose donner ce nom à ceux que l’Église juge dignes de ses censures, pour ne vouloir pas obéir à ses décisions ; & ce qu’elle a si justement ordonné contre eux pour la signature du Formulaire, c’est ce qu’on appelle dominer sur la foi des fidèles, multiplier les occasions de parjures, de dresser des pièges aux faibles & aux ignorants, être contraire à l’esprit de Dieu & à la doctrine de Jésus-Christ.
12Vous avez remarqué, sans doute, tous ces étranges excès, & vous aurez senti, comme Nous, combien il importe au bien de la Religion que tout l’Épiscopat se réunisse contre un tel Ouvrage. Il ne le saurait faire avec plus de force, que dans le centre de l’unité, qui est la Chaire de saint Pierre.
13Vous savez que cette union si sainte & si respectable du Corps des Pasteurs avec leur Chef, a été regardée dans tous les temps comme le moyen le plus assuré de réprimer l’erreur, & d’en empêcher le progrès par une condamnation uniforme, soit que les Évêques l’aient prononcée par un premier jugement, comme nous en avons le droit par notre sacré caractère, & qu’ils se soient ensuite adressés au Saint-Siège pour le confirmer & se fortifier de son autorité, soit que le Pape prononçant le premier, ait envoyé ses Décrets aux Évêques, pour se joindre au Saint Siège en les acceptant, & en les faisant exécuter dans leurs Églises.
14L’une & l’autre de ces deux manières de se réunir se trouvent également employées en différentes rencontres, selon la différence de la disposition des esprits, ou des circonstances des temps.
15Nous marchons, en suivant cette dernière voie, sur les traces de nos Prédécesseurs, qui nous l’ont marquée dans ce qu’ils firent pour parvenir à la condamnation des cinq propositions du livre de Jansénius. On ne la doit pas juger moins convenable dans le cas présent pour la condamnation d’un Livre encore plus dangereux, & où le Jansénisme paraît rependre de nouvelles forces.
16Il ne fallait pas un moindre remède pour un aussi grand mal, d’autant plus que les circonstances, où l’on se trouvait, ne permettaient pas de le pouvoir attendre d’ailleurs que de l’autorité du Saint Siège. Plusieurs de nos Confrères, on ne l’ignore pas étaient dans cette attente depuis quelques années ; & ils croyaient jusque-là pouvoir s’abstenir de condamner ce mauvais livre, contre lequel cependant ils prenaient soin de précautionner leur Troupeau.
17Il ne faut pas dissimuler aussi que les apparences de piété & de Religion, ainsi que le motif spécieux de faciliter la méditation des vérités saintes, étaient bien capables de diminuer l’attention sur le venin qui y était caché. Après tout, ce n’est pas le seul Ouvrage, qui par de semblables raisons, ou par d’autres, ait été souffert, non seulement plusieurs années, mais pendant des siècles entiers, avant que d’avoir été solennellement condamné.
18Mais Dieu, qui ne cesse de veiller sur son Église, a ses temps marqués pour mettre à découvert le mensonge & révéler l’iniquité, après avoir permis pour un temps par des raisons, que lui seul connaît, qu’elle demeurât cachée ; & il a été donné à Pierre & à ses Successeurs de fortifier ses frères dans ces occasions importantes [Luc. 22. 32].
19C’est ce qu’a produit la Constitution de notre Saint Père le Pape, par la condamnation des cent une Propositions & du Livre dont elles sont extraites. Ce grand nombre de propositions prises de tant d’endroits différents de cet Ouvrage, depuis son commencement jusqu’à la fin, nous a donné lieu d’en mieux connaître le venin & toutes les erreurs.
20Le temps considérable que nous y avons employé, & celui de six séances occupées toutes entières par le rapport qui Nous en a été fait, ne doivent pas laisser douter que les matières n’y aient été approfondies, autant qu’elles le méritaient.
21Nous ne pouvions avoir pour cela un meilleur guide que la Constitution même ; avec elle Nous nous sommes regardés dans notre Assemblée, comme si nous eussions eu l’honneur d’avoir le Souverain Pontife à notre tête & de prononcer un même jugement avec Sa Sainteté.
22Nous avons donc reconnu dans sa Constitution avec une extrême joie la doctrine de l’Église, nous l’avons acceptée avec soumission & respect. Nous avons condamné le Livre des Réflexions morales sur le nouveau Testament, & les cent une Propositions qui en ont été extraites, de la manière & avec les mêmes qualifications que Sa Sainteté a employées dans sa Bulle. Il ne nous reste à présent qu’à en procurer une sincère exécution dans nos Diocèses.
23Nous avons estimé devoir faire pour cela une Instruction Pastorale, qui pût faciliter aux fidèles, auxquels nous sommes redevables du dépôt de la Foi qui nous est confié, l’intelligence de la Bulle, & les prémunir contre les mauvaises interprétations, par lesquelles des gens mal intentionnés tâchent d’en obscurcir le vrai sens : Nous en avons déjà vu les effets par le grand nombre de libellés qu’on a cessé de répandre depuis le commencement de l’Assemblée.
24Cette Instruction uniforme, dont nous devons tous nous servir, fera partie de notre Procès-verbal, & elle y sera pour nous un monument éternel de notre amour pour l’unité & la conservation de la vérité.
25Nous l’annoncerons ainsi à nos Peuples, chacun dans notre Diocèse, en y publiant la Constitution, comme n’ayant tous qu’un même esprit, qu’un même cœur, & une même bouche [Rom. 15. 6], & nous espérons que Dieu en sera glorifié.
26C’est dans ces sentiments que Nous avons cru devoir vous envoyer un Exemplaire de cette Instruction. Nous vous prions, Monsieur, suivant l’usage, que nous trouvons observé par nos Prédécesseurs en de pareilles rencontres, de vouloir bien vous en servir dans le même esprit, avec lequel nous vous l’envoyons ; car nous savons bien que nous n’avons point sur cela d’obligation à vous imposer. Nous ne pouvons que vous témoigner le désir ardent que nous aurions de nous trouver unis à vous.
27Monsieur ;
28Vos très humbles & très affectionnés Serviteurs, les Cardinaux, Archevêques & Évêques assemblés à Paris.
29† Armand Gaston, Cardinal de Rohan, Évêque de Strasbourg, Président.
30Par Nosseigneurs de l’Assemblée,
31L’Abbé De Broglie, Agent général du Clergé, Secrétaire de l’Assemblée.
32À Paris, le 5. février 1714.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008