Introduction à la troisième partie
p. 199-201
Texte intégral
1L’historiographie du xixe siècle a fait des évêques du siècle des Lumières et du haut clergé en général, un ordre fier de ses privilèges, préférant vivre noblement que de pratiquer la charité évangélique. Force est de constater que les prélats de la première moitié du xviiie siècle ne méritent pas cet opprobre. S’ils n’hésitent pas à se faire construire des palais somptueux, comme le cardinal de Rohan à Saverne, ou à disposer d’une domesticité nombreuse, ils n’en restent pas moins fidèles aux exigences de leur charge pastorale1.
2La résidence ecclésiastique imposée par le concile de Trente a fait des évêques de véritables administrateurs. Si tous ne sont pas aussi exemplaires que Vialart de Herse à Châlons, beaucoup, au xviiie siècle, se soumettent aux exigences des canons tridentins. Durant les moments difficiles, ils sont aux côtés de la population, l’aident à surmonter les épreuves2. En 1733, la Loire connaît des crues très importantes et la ville de Tours est submergée. On compte plus d’un mètre d’eau dans la collégiale Saint-Martin3. L’archevêque, conscient des difficultés de ses diocésains, n’hésite pas à apporter son concours aux Tourangeaux. Rastignac se distingue par sa générosité envers les habitants de sa ville épiscopale, mais aussi envers ceux de Saint-Pierre-des-Corps qu’il soutient tout particulièrement en les abritant dans ses résidences4. La charité de ces prélats est régulièrement louée par les biographes et un lien étroit se développe entre les évêques résidents et leurs diocésains. Le siècle des Lumières apporte à l’évêque de nouvelles responsabilités : il devient l’un des responsables de la pénétration des idées nouvelles dans les campagnes françaises. On va même jusqu’à confier à ces administrateurs de qualité des responsabilités dans la prévention de la mendicité, ce qui est le cas de Loménie de Brienne5, archevêque de Toulouse et ancien responsable de la commission des réguliers6.
3Les domaines de l’action pastorale ne font guère débat. Les pasteurs sont chargés de veiller avec soin sur les brebis qui leur sont confiées. Nul ne peut remettre ce principe en question ; en revanche, toutes les activités épiscopales ne sont pas aussi neutres. En effet, cette dimension du travail épiscopal repose sur trois piliers fondamentaux. Le premier est la gestion propre du diocèse. Les visites pastorales et les questionnaires qui les accompagnent sont de plus en plus précis au fur et à mesure du siècle, ils témoignent d’une volonté de mieux gérer les territoires et de veiller à la dignité de la religion chrétienne dans les villages les plus reculés des campagnes7. Cet aspect a été beaucoup traité par les études menées dans les années 1970 et 19808. Nous n’y reviendrons donc pas amplement. Le deuxième pilier de la pastorale est l’enseignement. L’histoire de l’éducation a souligné combien étaient importants les séminaires diocésains. Elle s’est penchée sur l’analyse des pédagogies et sur le contenu des cours. Cependant, certains aspects n’ont pas été examinés avec autant de précision, laissant la porte ouverte à d’autres recherches. Enfin l’ultime tâche importante de la gestion épiscopale est la liturgie et la mise en place des règles sacramentelles et dévotionnelles.
4L’objet de notre travail n’est pas de réécrire l’histoire de la pastorale dans les diocèses, mais bien de voir comment la querelle de l’Unigenitus s’est répercutée dans les domaines concrets de l’administration des diocèses. Nous avons vu précédemment que la position officielle de certains prélats après la publication de la Bulle s’est accompagnée de déclarations troublantes, soulignant leur peu de goût pour un décret aussi brutal. Ainsi, analyser concrètement comment les évêques ont diffusé parmi les fidèles leurs conceptions ecclésiologiques permet de donner plus de relief à la complexité des attitudes devant l’Unigenitus.
5Missels, catéchismes et bréviaires permettent de cerner avec précision les conceptions théologiques, dogmatiques et parfois même politiques des évêques qui les commandent et organisent leur production. Se pencher sur ces ouvrages austères n’avait été fait que de façon superficielle. Nous avons choisi de fonder notre approche sur deux études parallèles : l’une – générale – de la production des ouvrages pédagogiques et liturgiques ; l’autre, une étude de cas, pour mettre en évidence l’ensemble des rouages de la machine épiscopale. Comment ces livres essentiels à la vie religieuse des fidèles ont-ils pu prolonger la querelle janséniste ?
6La modification des bréviaires fait l’objet de nombreuses polémiques. Cet ouvrage, indispensable à la célébration de l’office divin ou à la liturgie des Heures est très lu par les fidèles. Conscients de ce poids dans la culture des fidèles, les évêques tentent de les garder sous contrôle pour ne diffuser à la population qu’un message contrôlé. Lorsque l’archevêque de Paris, Vintimille, bulliste reconnu, confie la refonte de son bréviaire à un groupe de liturgistes proche de Port-Royal, la tension est grande dans le clergé. Mais elle n’égale en rien le scandale provoqué par la décision de Rome d’inclure dans le bréviaire une nouvelle légende, celle du saint pape Grégoire VII. Il s’agit là de l’ultime grande bataille entre acceptants et opposants à la bulle Unigenitus. Ce pape, de sulfureuse mémoire, est intégré au bréviaire et sa vie, mise en légende, fait l’objet de controverses. Exaltant les vertus héroïques d’un saint ultramontain, elle est rapidement sous le feu des critiques des évêques de France. Pour certains d’entre eux, c’est le gallicanisme qu’on attaque et la défense des particularités françaises passe par une condamnation de la légende. Les débats autour du bréviaire et de la légende du pape Hildebrand sont une preuve supplémentaire de la complexité intellectuelle et politique du haut clergé français ; les évêques ne peuvent se résoudre à transiger sur ce qui leur paraît être au fondement même des particularités de l’Église gallicane. Jansénisme, gallicanisme et enjeux politiques se croisent perpétuellement et la bulle Unigenitus fournit une grille de lecture et de compréhension de tous ces démêlés.
7Les recherches récentes de Philippe Martin9 et de Xavier Bisaro10 ont souligné l’importance de la réflexion liturgique au xviiie siècle. La pédagogie liturgique est confiée à des clercs de l’entourage des évêques. À Paris comme à Troyes, la mise en place des nouveaux livres d’église est un véritable enjeu car si les prélats sont acceptants, Vintimille est, lui, un ferme soutien de la politique de Fleury. Les missels et bréviaires que ces prélats donnent à leur diocèse sont rapidement taxés de jansénisme. C’est donc là qu’une étude précise d’un cas peut permettre de montrer où sont les lignes de faille dans la gestion diocésaine.
8Les catéchismes relèvent pour leur part de la fonction pédagogique de la charge épiscopale. Instruire le peuple de Dieu pour garantir son salut ne signifie pas que le contenu des leçons n’est pas orienté. Une comparaison terme à terme de tous ces manuels n’est pas possible tant leur nombre est important, mais un sondage sur le traitement de quelques points litigieux est riche d’enseignements. Seule une comparaison peut être stimulante car un catéchisme n’est qu’une suite de questions et réponses sans saveur ni style. En revanche, la mise en parallèle des réponses de plusieurs livres révèle que pour une demande similaire, l’éventail des réponses est large. C’est donc dans les choix que les prélats imposent que l’on peut appréhender leur positionnement théologique, marqué par un rigorisme sacramentel et par une défense discrète des libertés de l’Église de France.
Notes de bas de page
1 Meyer Fr., La Maison de l’évêque. Familles et curies épiscopales entre Alpes et Rhône (Savoie-Bugey-Lyonnais-Dauphiné-Comtat Venaissin) de la fin du xvie à la fin du xviiie siècle, Paris, H. Champion, 2008.
2 La charité pastorale s’exerce à destination des diocésains, mais aussi des autres territoires hors de la juridiction de l’évêque. Le cas des mandements de l’archevêque de Paris est en cela tout à fait exemplaire ; Noailles L.-A. de, Mandement au sujet de l’incendie des maisons de petit-pont et autres voisines, Paris, Josse, 1718 ; id., Mandement en faveur des habitants de la ville de Sainte-Menehould ruinée par un incendie, Paris, Josse, 1719 ; id., Mandement en faveur de plusieurs familles ruinées par un incendie arrivé en la ville de Rennes, Paris, Josse, 1721.
3 Champion M., Les Inondations en France du vie siècle jusqu’à nos jours, Paris, Dunod, 1858-1861, t. 3, p. 17.
4 Pitrou R., L’Épiscopat tourangeau, notices biographiques, Tours, Rouillé-Ladevèze, 1883, p. 292.
5 Thuillier G., Aux origines de l’administration sociale : le rapport sur la mendicité de Loménie de Brienne en 1775, Paris, Comité d’histoire de la sécurité sociale, 2003.
6 Chevallier P., Loménie de Brienne et l’ordre monastique (1766-1789), Paris, Vrin, 2 t., 1959-1960.
7 Brilland X., Mgr François Gaspard de Jouffroy-Gonsans, évêque zélé des Lumières face à la Révolution (1721-1799), thèse d’histoire, univ. du Maine, 2013.
8 Venard Marc, Julia Dominique, « Le répertoire des visites pastorales. Premiers enseignements d’une enquête », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 63, n° 171, 1977, p. 213-233.
9 Martin Ph., Le Théâtre divin. Une histoire de la messe, xvie-xxe siècle, Paris, CNRS Éd., 2010.
10 Bisaro X., Le Passé présent : une enquête liturgique dans la France du début du xviiie siècle, Paris, Le Cerf, 2012.
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