Chapitre III. « L’iniquité est venue en Babylone » : regards sur le concile d’Embrun
p. 97-123
Texte intégral
1La politique religieuse du cardinal de Fleury permet de calmer assez rapidement les agitations du haut clergé. Prélat mesuré, prudent et fin connaisseur des ressorts à l’œuvre dans l’épiscopat, dès qu’un de ses confrères vient à décéder, il le remplace rapidement par un autre homme sur lequel il peut s’appuyer sans crainte. Les diocèses sont progressivement purgés de leurs éléments trop ouvertement jansénistes.
2En Touraine, la situation est complexe. L’archevêque d’Hervault, partisan du cardinal de Noailles lors de l’assemblée générale du clergé de France de 1713-1714, est mort en 1716. Deux éphémères prélats prennent sa suite durant la Régence : Pierre-Armand de La Croix de Castries, rapidement nommé à Albi, puis Henri Oswald de La Tour d’Auvergne, qui quitte la Touraine pour le siège de Vienne. Puis, le Régent envoie à Tours Blouet de Camilly, mais ce dernier meurt après seulement six mois de règne et c’est Louis Jacques de Chapt de Rastignac1 qui lui succède sur les bords de la Loire. Ce dernier est particulièrement compétent pour mener à bien les nouveaux axes de la politique royale : homme ambitieux et précédemment évêque de Tulle, il s’illustre par un discours flamboyant à l’assemblée du clergé de 1723. Cette intervention porte sur la nécessité de la soumission à la Bulle. Voilà le candidat idéal pour remettre de l’ordre dans un clergé diocésain récalcitrant2 ! De même à Mirepoix, La Broue, un des évêques appelants, est remplacé par Maniban, beaucoup plus mesuré que son prédécesseur.
3Fleury, tout-puissant ministre à partir de la disgrâce du duc de Bourbon en 1726, est un personnage complexe et un politicien subtil3. Les orientations qu’il donne à la tête du gouvernement sont toutes en faveur de la Bulle et durant les contestations avec Noailles, il est sans arrêt sollicité pour encourager son confrère de Paris à rejoindre les rangs constitutionnaires. Le 24 mars 1730, il exile le Parlement et fait reconnaître la bulle Unigenitus comme loi de l’Église et du royaume. Parmi les prélats qu’il promeut à l’épiscopat, certains se révèlent des partisans du mouvement port-royaliste. Mais ce que Fleury ne tolère pas, c’est la prise de position marquée. En revanche, des sentiments augustiniens et rigoristes ne le gênent pas s’ils sont professés dans la sphère privée et ne troublent pas le jeu politique.
4La décennie 1720 porte à son plus haut point l’opposition de plusieurs prélats, qui ne se rangent pas à l’orthodoxie de façade voulue par le cardinal-ministre. Les âpres négociations engagées avec Rome pour réduire l’opposition de l’archevêque de Paris ne doivent pas occulter les très nombreuses démarches menées simultanément par le gouvernement pour calmer les évêques les plus récalcitrants aux choix de Fleury. Parmi eux, les appelants survivants Colbert de Croissy et Soanen, ainsi que leurs partisans Lorraine-Armagnac de Bayeux et Quiqueran de Beaujeu de Castres. Insérés à des degrés divers dans le dispositif janséniste, ils constituent tous une faille trop visible pour Fleury. Il devient nécessaire de réduire cette fracture par une démonstration d’autorité qui, impressionnant les autres, les amènera à Canossa.
« Que voulez-vous qu’on y fasse ; il faut un exemple, on ne peut le faire que sur M. de Senez »
5Ces quelques mots du cardinal de Bissy rapportés par l’abbé Gaultier soulignent bien que le concile d’Embrun s’inscrit dans une démarche plus globale4. Soanen a été la victime expiatoire de la politique constitutionnaire de Fleury.
Réduire l’opposition des évêques contestataires
6Le paysage de la contestation épiscopale s’est progressivement clairsemé au début des années 1720. Plusieurs hauts personnages sont morts. La Broue est décédé le 20 septembre 1720, quelques mois avant la parution de son grand œuvre5, dans lequel il démontre la justesse des thèses port-royalistes. Cet ouvrage posthume ne permet pas de relancer la querelle sur la grâce. Le xviiie siècle reste bien plus politique que théologique. L’ouvrage de La Broue est un exemple rare dans ce début du siècle.
7L’autre grand polémiste du mouvement est l’évêque de Boulogne, Langle6. Depuis 1717 et la publication de l’appel, il est en conflit ouvert avec son confrère de Soissons, Languet de Gergy, ainsi qu’avec son métropolitain, Rohan-Guémené7. Ce désaccord trouve des relais dans le clergé diocésain et un certain nombre d’ecclésiastiques de Boulogne écrivent à M. de Reims pour lui signaler la farouche détermination de leur ordinaire dans sa défense de l’appel. Le 29 avril 1723, l’archevêque écrit à son suffragant :
« [Des plaintes] ont été portées au Conseil des affaires ecclésiastiques, où l’on a jugé à propos que j’en fisse parc [sic] à l’Assemblée qui a cru devoir charger les députés à l’Assemblée générale de solliciter auprès du Roi la permission d’assembler un concile de Ma province afin d’examiner lesdites plaintes, et si elles ne se trouvaient pas fondées, de pouvoir vous procurer une prompte et entière satisfaction, je le souhaite infiniment Monseigneur8. »
8La querelle est portée devant Fleury, alors à la tête du conseil des Affaires ecclésiastiques, par Languet de Gergy. Pour la première fois, on songe à convoquer un concile provincial afin d’obtenir que ce remuant prélat accepte sa déposition et qu’un foyer d’agitation janséniste s’éteigne enfin. La mise en place de cette solution requiert du temps et durant cette période, Langle n’épargne ni ses efforts pour l’empêcher, ni les constitutionnaires. Les remarques acerbes de l’évêque sont profondément irritantes pour ceux qui en sont la cible. Il n’hésite pas à s’en prendre aux prélats les plus proches du pouvoir. Un concile permettrait d’en finir avec cet impudent personnage. À partir du mois de janvier 1724, sa santé décline. Le 12 avril, Langle meurt dans sa ville épiscopale où il est enterré, au pied du jubé de sa cathédrale. Sa tombe devient rapidement un lieu de pèlerinage au grand dam de son successeur, Henriau, qui ne partage pas la même orientation ecclésiologique.
9Le nombre de prélats que l’on taxe de jansénisme s’amenuise au fil du temps ; la mort fait son office. Néanmoins, il reste encore quelques figures pouvant se prêter à un exemple. C’est le cas de Lorraine-Armagnac, pour lequel on prévoit de convoquer un concile à Rouen, ou encore de Colbert, que l’on veut traduire devant une assemblée provinciale à Narbonne9. Ces réunions sont demandées par les assemblées du clergé de 1723 et 1725. Il est difficile de s’attaquer à ces personnages. Ils représentent de puissantes coteries à la cour et disposent de soutiens qui les protègent efficacement des attaques que l’on projette contre eux.
10À condition que les évêques assemblés mettent à couvert les droits du Saint-Siège, le pape est prêt à consentir à la tenue des conciles que Louis XV, Fleury et l’assemblée réclament avec tant de fermeté. Tous les éléments sont réunis, il ne reste plus qu’à trouver le condamné idéal.
« Le Chrysostome des Gaules » : Jean Soanen, évêque de Senez
Un évêque exemplaire
11Depuis 1713, Soanen est l’une des personnalités les plus marquantes de la lutte contre l’Unigenitus. Petit neveu de Sirmond, le confesseur de Louis XIII, et fils du procureur au présidial de Riom, Soanen naît dans cette même ville le 6 janvier 1647. Sa carrière ecclésiastique commence par son entrée à l’Oratoire, après qu’il a hésité à s’enrôler chez les jésuites10. Il pénètre rapidement dans la galaxie port-royaliste puisqu’il a le père Quesnel pour confesseur.
12Prédicateur de grand talent, Soanen prêche devant Louis XIV et la cour en 1686 et 1688. Il appartient en outre au groupe de ceux que l’on surnomme les « quatre évangélistes de l’Oratoire » avec ses confrères Honoré Quiqueran de Beaujeu, Mathieu Hubert et Pompone Guibert. En 1690, il est député du roi à l’assemblée de l’Oratoire et intervient fermement contre le père de Sainte-Marthe, accusé de jansénisme. Aucun parcours n’est linéaire et Soanen ne fait pas exception à la règle. En 1695, il est nommé évêque d’un des plus petits diocèses de France, Senez, et signe sans protester le Formulaire dont Marcel Laurent a raison de rappeler que depuis la paix de l’Église, il ne portait que sur le droit et non plus sur le fait11. À Senez, il se fait connaître par sa charité, mais aussi sa rigueur contre les charivaris et toutes les fêtes de village qui contreviennent à la dignité et surtout concurrencent les fêtes religieuses.
13Lorsque la constitution Unigenitus est publiée, il se range dans les rangs du cardinal de Noailles et espère que le pape expliquera le sens des propositions condamnées. Exilé dans son diocèse par la volonté de Louis XIV, il entretient une correspondance suivie avec ses confrères de Montpellier et de Boulogne. Soanen joue aussi un rôle de soutien auprès de l’archevêque de Paris et le pousse à ne pas céder aux pressions constantes des cardinaux Rohan et Bissy.
« Vox clamantis in deserto » : les combats d’un prélat exilé
14La position de Soanen est une forme de fidélité à l’Oratoire, son premier ordre, attaqué à travers Quesnel, mais aussi une défense farouche des droits de l’épiscopat. Dans une lettre du 21 avril 1720, il résume sa position en ces termes : « Accepter la bulle sans explication, c’est renoncer à la foi. Accepter avec des explications, c’est renoncer à la bonne foi et à la raison12. » Évêque inflexible, il appartient au groupe des réappelants. Sa démarche lui vaut un nouvel exil dans son diocèse. Durant les années où il reste à Senez, il continue à mener une vie très réglée et entretient une correspondance soutenue avec Colbert, Caylus, ses confrères de l’Oratoire, des religieuses qui espèrent de lui une assistance dans leur résistance à l’Unigenitus13, et enfin avec des membres de l’Église d’Utrecht alors en plein conflit avec Rome.
15Le commerce épistolaire est la seule arme qui lui reste et l’unique moyen de faire porter sa voix au-delà des trente-deux paroisses de son diocèse ! Ses lettres sont de longueur différente. En revanche, l’évêque utilise régulièrement des citations patristiques, parfois interminables, dont le but est de souligner la continuité de son action avec celle des Pères. Le vieil homme vit sa position dans l’Église de France comme une forme de réitération de celle des évêques catholiques face à la crise arienne. Les bruits du siècle et de la politique lui parviennent, et c’est sans illusion sur son avenir proche qu’il écrit, le 12 novembre 1726, une lettre de félicitations bien particulière à André-Hercule de Fleury pour sa promotion au cardinalat :
« J’aurais tort, M., si en vous priant de donner le calme à l’Église de France, je craignais pour moi l’orage qui la trouble ; puisque le Seigneur m’a convaincu après St. Grégoire de Naziance, qu’un Évêque ne doit craindre qu’une seule chose, qui est de craindre quelque chose plus que Dieu14. »
16L’ancien évêque de Fréjus reçoit la barrette le 11 septembre 1726 et devient dès lors le tout-puissant ministre de son royal élève. Avec Rohan et Bissy, les trois éminences avaient songé aux conciles provinciaux pour déposer Lorraine-Armagnac et Colbert, projets restés lettre morte. Les évêques sont trop nobles, trop puissants, trop soutenus… Est-ce le cas de Soanen ? La réponse est évidente et le vieux prélat sait bien qu’il n’échappera pas à une procédure tôt ou tard, comme en témoigne sa lettre où il se place dans la perspective d’un martyre prochain. Provocateur, il n’hésite pas à rappeler au premier ministre l’opposition entre sa conduite et les sentiments qu’il manifestait dans une lettre du 10 novembre 172415. Soanen, très ironique, n’hésite pas à mettre Fleury face à ses contradictions. Comment soutenir dans une lettre des sentiments contraires à ceux que l’on pratique au gouvernement ? Le vieillard ne peut comprendre ce que la raison d’État impose, même s’il est tout à fait lucide sur le sort que l’on semble vouloir lui réserver16.
L’ultime provocation d’un prélat sans appui
17Les bruits de la politique, de la malice, sont parvenus jusqu’à Senez et l’évêque n’est pas dupe des machinations qui se trament à la cour. Ses confrères de Montpellier, Bayeux et Boulogne ont été inquiétés sans résultat. Son cas à lui est plus simple. Sans réels appuis, Soanen sait qu’il est une proie facile et se prépare déjà à l’éventualité d’une déposition.
18Quelques semaines avant que Fleury ne reçoive la lettre du 12 novembre, le vieil oratorien publie une instruction pastorale en forme de testament spirituel :
« Occupez, comme nous devons l’être, de ce compte terrible, Nous nous sentons pressés de vous adresser ces paroles du premier des Apôtres [note : II Pet. I, 12] Je ne cesserai point de vous faire toujours souvenir de ces choses, quoique vous soyez déjà assez instruits, & confirmés dans la créance de la Vérité, que je vous ai annoncée. Je crois qu’il est juste que pendant que je demeurerai dans la tente de ce corps mortel je vous réveille par mes Avertissements, car je sais que dans peu je dois quitter cette tente… Mais j’aurai soin que même après ma mort, vous puissiez souvent vous remettre ces choses en mémoire17. »
19La première citation de cette longue instruction est tirée de la deuxième Épître de Pierre et insiste sur l’importance du témoignage apostolique. Les paroles du prince des apôtres servent bien sûr à sa démonstration. On ne peut s’empêcher d’y voir une nouvelle provocation. Dans son diocèse, Soanen joue un rôle que le pape ne remplit plus pour la chrétienté puisqu’il participe à la confusion théologique et dogmatique introduite par l’Unigenitus. L’objet de l’instruction est de réveiller la conscience des fidèles et de leur fournir un portrait vrai de sa foi. Elle est une déclaration de guerre à tous les accommodants et aux politiques. La charge de l’évêque est virulente. Il attaque les libertins – ce qui paraît normal sous la plume d’un prélat aussi rigoriste –, mais aussi ses confrères dont il affirme qu’ils corrompent la morale chrétienne. Et avec Jérémie, il les accuse d’être de faux prophètes préférant la douceur du mensonge à la rigueur sainte de la pénitence. Il en vient ensuite à une défense de Noailles et de ses démarches contre la Bulle, en affirmant la nécessité de s’engager pour protéger ce qu’il croit juste :
« Si on nous opprime par des entreprises manifestes sur les droits de l’Épiscopat & de l’Église, nous savons qu’on ne viendra jamais à bout d’opprimer la vérité ; & nous avons une ferme confiance que l’oppression de ses défenseurs servira elle-même à hâter son triomphe18. »
20Soanen envisage la fin de son existence comme une suite d’épreuves devant lui permettre de rendre témoignage de sa foi et ainsi de gagner la palme du martyre. L’ensemble de son œuvre ainsi que ses biographies en portent rapidement la trace. Cette tendance est voulue et pensée par l’évêque, afin de renforcer la dimension militante de son action. Il consacre son instruction à défendre ses confrères attaqués, en particulier Lorraine-Armagnac et Colbert. Entre M. de Montpellier et lui, les liens sont étroits et la vision des affaires du temps semblable19.
21À eux deux, ils forment un front commun contre les prélats zelanti, comme par exemple Languet de Gergy, Belsunce à Marseille ou encore Beaumont à Saintes. Ce dernier a publié, en 1725, un mandement très polémique : il y demande une soumission pure et simple à la constitution Unigenitus et condamne aussi douze articles tirés d’un ouvrage intitulé Explication de Notre Saint-Père le Pape Benoît XIII sur la bulle Unigenitus20. Daté du 26 novembre, ce texte est une charge très forte contre l’appel et les opposants à la Bulle. Soanen le récuse vigoureusement dans son instruction pastorale en montrant les contradictions majeures existantes entre les tenants du mouvement constitutionnaire. La morale défendue par l’évêque de Senez est rigoureuse et intégrale. Aucun compromis ne peut être trouvé, la tradition doit être acceptée dans son entier et sans les arguties casuistes qui réduisent les exigences de la foi à rien21.
22Cette défense d’une morale sévère, par un prélat dont les positions ecclésiologiques sont connues et marquées par le gallicanisme, fait naître une assimilation entre ecclésiologie janséniste et rigorisme. Si Antoine Arnauld et les évêques proches de Port-Royal comme Nicolas Pavillon à Alet ou Henri Arnauld à Angers en ont été des zélateurs, ils n’en ont jamais eu le monopole et d’ailleurs, d’autres l’ont aussi professée avec autant de zèle que les jansénistes. Jean-Louis Quantin a raison de dire que « la réaction contre la morale relâchée aurait lieu même sans le jansénisme, quoique sans doute, sous une autre forme et pour d’autres résultats22 ». Rigorisme et jansénisme sont deux mots que le vocabulaire courant rend synonymes, mais tous les rigoristes n’ont pas été jansénistes.
23L’instruction pastorale de Soanen se termine par un vibrant hommage à Colbert et par une annonce du triomphe de la vérité à la fin des temps. L’Apocalypse ne peut que donner raison à l’appel. Pour lui, le mouvement janséniste est déjà engagé dans une dimension figuriste, les souffrances de l’Église ne sont qu’une réitération de celles du Christ descendu aux enfers ou de l’exil des Juifs à Babylone23.
24Le testament spirituel de Soanen est particulièrement provocateur24. Il évoque sa confiance dans l’infaillibilité de l’Église et dans l’action du Christ qui fera triompher la vraie foi, en « ôtant le pouvoir de nuire » aux ennemis de la cause appelante et en changeant la disposition des cœurs des constitutionnaires. Le combat n’a pas qu’une dimension spirituelle, il ne peut se résoudre autrement que sur terre. Même dans ce texte si élevé théologiquement, la basse politique n’est jamais loin et il espère un renversement qui portera au pouvoir des partisans de l’appel.
Des réactions traduisant la fracture de l’Église de France
25Le coup d’éclat du vieux prélat ne passe pas inaperçu. Les Nouvelles ecclésiastiques qui, en 1727, n’ont pas encore de parution régulière et systématique, n’en annoncent pas moins la publication dans un article du 26 janvier et concluent sur la perfection de la démonstration25. L’abbesse de Chelles, fille du Régent, se déclare très satisfaite du texte, de même que Caylus26. Quant à Colbert, la lettre qu’il envoie à Soanen, le 2 février, renferme autant de satisfaction à être couvert d’éloges que de plaisir à voir un confrère se lancer si vivement dans la lutte contre les constitutionnaires :
« J’ai bien envie de faire usage de votre Instruction pastorale pour presser, pour exhorter, pour encourager. Quelle pièce plus capable de produire tous les bons effets que nous en attendons. Ceux à qui je l’ai fait lire ici, se sont enchantés. Ayez la bonté de m’en envoyer encore quelques exemplaires. On ne saurait trop la répandre, & il ne faut rien épargner pour en multiplier les éditions27. »
26L’analyse de l’évêque de Montpellier montre que l’instruction pastorale est trop engagée pour rester impunie et Colbert a conscience que deux menaces pèsent sur son ami : d’abord la saisie du temporel de l’évêché, c’est-à-dire la mise sous séquestre des revenus du diocèse condamnant son titulaire à l’indigence28, puis la tenue d’un concile contre le rebelle.
27L’idée d’une assemblée provinciale est de plus en plus envisagée. Soanen n’ayant aucun soutien à la cour, il constitue une proie facile. Son métropolitain, l’archevêque d’Embrun, Tencin, est prêt à tout pour se signaler aux yeux de Fleury, et en élève du cardinal Dubois, il ne craint pas de s’attaquer à un prélat que tout l’épiscopat reconnaît comme vénérable et pieux29. La correspondance de M. de Senez permet de savoir qu’il a vent des premières rumeurs de la réunion vers le 20 juin 1727, car il en parle dans une lettre du 22 juin30. En fait, la décision d’assembler un concile provincial est prise le 14 juin. Fleury a tranché, Soanen sera la victime expiatoire d’un mouvement janséniste trop rebelle et pas assez malléable.
Le concile d’Embrun : la théologie au risque de la politique
La convocation
28L’assemblée provinciale d’Embrun est une volonté du pouvoir, mais c’est aussi une grande surprise pour l’époque. Les précédentes avaient été convoquées pour déposer des évêques apostats, des hérétiques, des concussionnaires. Jean Soanen n’était rien de tout cela et la stupéfaction a été grande quand le public a su que l’on voulait destituer ce prélat considéré jusque-là comme un modèle de vertu :
« Il est vrai, Monseigneur que les bruits publics m’avaient appris qu’on projetait de faire tenir un concile de votre province, & par conséquent contre vous ; mais je ne pouvais croire qu’on en vînt jusqu’à l’exécution, ni qu’aucune partie de l’Église de France voulût se déshonorer jusqu’à ce point31. »
29Même chez l’évêque le mieux informé du mouvement appelant, la surprise est grande. En effet, des rumeurs semblables avaient déjà circulé contre Lorraine-Armagnac et Colbert. Mais la montagne conciliaire avait accouché d’une souris et rien n’avait été entrepris. Le cas de Soanen est différent. Si l’on se conforme aux analyses de Louis de Héricourt dans ses Lois ecclésiastiques de la France, la réunion d’un concile provincial suit des règles précises que le droit canon a codifiées depuis le Moyen Âge32. L’Église n’est pas qu’une forme spirituelle, elle a comme institution humaine des lois et des procédures qui la réglementent et que chaque clerc doit respecter33.
30Le concile provincial d’Embrun a une autre nature. Il est chargé d’examiner les positions de Soanen envers la bulle Unigenitus et le Formulaire. Rapidement, les propagandistes du mouvement font de ce synode un tribunal devant condamner la vérité et lui accolent le surnom de « brigandage », rappelant ainsi le deuxième concile d’Éphèse de 449 dont les canons ont été refusés par saint Léon, mais aussi le concile du Chêne de 401 qui a déposé Jean Chrysostome34.
31Dès le début, cette assemblée se place sous le signe d’une démonstration de force. Les convocations sont envoyées en juin 172735. Soanen ne se fait d’ailleurs guère d’illusion et sait parfaitement à quoi s’en tenir, comme le confirme sa lettre du 25 juin 1727 :
« Quoique je dusse m’attendre à tout ce que la mauvaise volonté des enfants du siècle pourrait faire contre moi, & encore plus à celle des Pères & des défenseurs du mensonge, cependant, comme je n’avais jusqu’à présent que des nouvelles vagues de Paris, de Digne, d’Aix, sans en avoir encore d’Embrun, je les regardais comme des bruits en l’air, ou comme des menaces pour faire peur…
Tout cet appareil doit faire plus de pitié que de peur. Sept Évêques au lieu de douze, un Arrêt du Conseil, les trois Prélats déjà marqués par la vocation de la cour, & non par mon choix dans les provinces voisines, & bien d’autres irrégularités se préparent assez ouvertement pour me fournir de bons moyens d’abus par Appel au Parlement & au concile36. »
32Le prélat comprend immédiatement que le concile serait un tribunal et sa lettre du même jour à Tencin, toute pleine d’ironie, montre sa satisfaction de pouvoir se justifier selon la forme des anciens canons37. Les premiers sentiments de M. de Senez sont malgré tout marqués par une attention spéciale à la procédure canonique. Le commentaire38 qu’il fait de la convocation envoyée prouve qu’il s’attend à une bataille plus juridique que théologique39.
33Appelés à se réunir le 16 août 1727 à Embrun, les pères devant siéger sont dans l’obligation de regagner la Provence, ce qui ne manque pas d’exciter la verve épistolaire du vieillard. Dans une lettre datée du 6 juillet à un oratorien, il écrit perfidement à propos d’Anthelmy, évêque de Grasse :
« M. de Grasse fait semblant d’ignorer le concile ; & je sais d’ailleurs que c’est pour ce sujet qu’il est venu en Provence : car à un Prélat de cour & en faveur, les besoins pressants d’un Diocèse sont un léger motif pour venir40. »
34Par petites touches répétées, sournoisement, Soanen tente de discréditer les autres prélats. Anthelmy peut-il être un juge impartial, quand on sait qu’il ne réside pas dans son diocèse et qu’il est « en faveur », c’est-à-dire proche du pouvoir ? À cette question, la réponse que l’évêque de Senez sous-entend est bien sûr que non. Anthelmy est son exacte antithèse et ce n’est pas la justice qui le motive.
Les pères conciliaires d’Embrun
35Soanen quitte son diocèse le 5 août41 et arrive à Embrun le 1242. La veille de son arrivée, il fait signifier à l’archevêque par un acte de procédure qu’il dénie à l’assemblée d’Embrun toute compétence pour le juger ou l’attaquer. En effet, il a signé un appel au futur concile général dans l’affaire de la bulle Unigenitus, seul légitime à ses yeux pour trancher sur le fond. L’assemblée n’a d’autre rôle, dans le cas d’Embrun, que de régler la morale et la discipline et ne peut en aucune manière se prétendre supérieure à l’Église universelle.
36Lors de la tenue d’une telle assemblée, les pères conciliaires sont convoqués par le roi et l’archevêque métropolitain, et ils doivent être suffragants de la province. C’est donc sous la direction de Tencin que se tiendront les débats. Personnage haut en couleur43, maître en intrigues, il est haï par Saint-Simon et les jansénistes mais n’en est pas moins un homme de grand talent et un proche du cardinal Lambertini, le futur Benoît XIV. Sa sœur Claudine44, femme d’esprit, était selon le mémorialiste la maîtresse du cardinal Dubois et c’est à elle que l’abbé devrait sa carrière. Si le rôle de Mme de Tencin est indéniable, l’archevêque doit son élévation à son entregent, à sa vive intelligence et à une réelle opiniâtreté. Avant de se lancer aux côtés de Dubois, Tencin entre à l’Oratoire, fait des études assez médiocres mais obtient tout de même un titre de docteur en théologie à la Sorbonne. Il commence sa carrière en recevant l’abbaye de Vézelay en 1702, puis devient grand archidiacre de Sens. Il se rapproche assez vite des jésuites et des sulpiciens et entretient avec eux des relations suivies. La Régence est pour lui l’occasion de sortir de l’ombre. Il est ami avec Law45 et profite largement du système de l’Écossais. Mais en 1721, il est accusé de simonie par un clerc, le frère Vaissière. Dès lors, un climat de scandale l’entoure.
37Saint-Simon décrit un véritable maître de la ruse46. Mais le portrait, aussi vif qu’il puisse être, n’est sans doute pas entièrement incorrect, puisque d’autres sources montrent des travers identiques. Le président Hénault le dit même « faux comme un jeton47 ». Tencin fait carrière à la cour48, où la maîtrise des intrigues est une qualité tout aussi utile que le zèle pastoral pour avancer.
38L’abbé commence sa carrière ecclésiastique comme homme de main de Dubois, principal ministre de Philippe d’Orléans. Tencin est ensuite choisi par Rohan pour l’accompagner au conclave. À Rome, il noue de précieuses relations, en particulier avec le cardinal Conti, qui ont pour but de lui favoriser l’accès à un siège et finalement à sa propre pourpre. Le 2 juillet 1724, il quitte le poste de chargé d’affaires à Rome que Dubois lui avait confié, il est nommé archevêque d’Embrun et sacré par Benoît XIII lui-même, un honneur rare qui donne un lustre très particulier à la succession apostolique de cet homme pourtant si peu religieux49. Même si le siège d’Embrun ne compte pas parmi les plus prestigieux du royaume50, c’est malgré tout un archidiocèse. Sur l’ensemble du siècle, les prélats nommés directement à la tête d’une métropole sont rares ; le signe est fort pour Tencin. Ce n’est qu’une étape dans une carrière qui s’annonce sous les meilleurs auspices51. La seule condition à cette promotion est une obéissance sans faille aux volontés de la cour et de Fleury52.
39Le concile est une marque de soumission éclatante. Les autres pères convoqués sont ses suffragants. La métropole d’Embrun en comporte cinq53 : les diocèses de Digne, Glandèves, Grasse, Vence et Senez. Aucun ne contient plus de soixante paroisses, ce sont des sièges minuscules dont les revenus sont à cette image. Si aux yeux du cardinal de Richelieu, Luçon était l’évêché le plus « crotté » de France, le qualificatif s’applique aussi à ces petits diocèses alpins. Lors de l’ouverture des séances siègent aux côtés de Tencin, outre Soanen, Flodoard de Bourchenu, Berton de Crillon, Anthelmy et le neveu de l’évêque de Digne faisant fonction de procureur, l’abbé Puget. Aucun d’eux n’est engagé fortement dans les affaires du temps. Ce sont des administrateurs et des pasteurs réguliers, pouvant être facilement influencés par le président du concile. Toutefois, les relations entre l’évêque de Senez et ses confrères sont anciennes et plutôt cordiales, chacun reconnaissant les qualités du vieil homme. Le seul qui échappe à ce dispositif de connaissances interpersonnelles est Anthelmy et Soanen le prend régulièrement à partie dans ses lettres.
40Avec le nombre des pères conciliaires qui augmente à partir de la treizième congrégation générale, on comprend mieux le sens de cette assemblée. Beaucoup viennent des provinces voisines – Aix, Arles ou Vienne –, certains de plus loin. Parmi ces nouveaux prélats, l’engagement constitutionnaire et ultramontain est massif. C’est le cas en particulier de Lafitau, évêque de Sisteron, qui est admis à participer aux travaux le 2 septembre 1727. Berger de Malissoles, Belsunce, Du Dousset, Castellane, Villeneuve, Milon, Vaccon, Caulet et Blisterwick de Montcley, respectivement évêques de Gap, Marseille, Belley, Fréjus, Viviers, Valence, Apt, Grenoble et Autun n’y sont intégrés que le 7.
41Lafitau est un bulliste farouche et connaît bien les milieux romains, puisqu’il a pris la succession de Tencin à Rome quand celui-ci a été nommé archevêque d’Embrun. Belsunce, Villeneuve et Castellane sont, eux, de la même sensibilité provençale, ils favorisent des dévotions comme le culte du Sacré Cœur et soutiennent une politique qui regarde davantage vers l’autre côté des monts. Soanen est bien isolé. Son orientation gallicane et augustinienne se trouve mise en contradiction avec celle de tous ses collègues. Il ne fait plus guère de doute que ce concile a été formé uniquement dans un but : faire taire un prélat dont le « jusqu’au-boutisme » est préjudiciable à la paix de l’Église.
Manifestation d’autorité et symbole du martyre
La brebis au milieu des loups ? Soanen et ses juges
Condamner le rebelle
42Les congrégations générales se déroulent du 17 août au 26 septembre 1727. Il y en eut vingt-sept. C’est à partir du 18 août que le véritable objet de l’assemblée se dévoile. Le promoteur du concile, l’abbé d’Hugues, se lance dans un discours aux accents très constitutionnaires :
« Messeigneurs : ce saint concile étant principalement assemblé pour traiter des affaires les plus pressantes, qui concernent le Dogme et la Foy ; je n’ai point trouvé d’objet plus digne de votre attention que de vous parler d’un Ouvrage […] dans lequel l’Auteur s’efforce de détruire les Lois, & de corrompre le Dogme de l’Église…
À ces traits vous reconnaissez sans doute l’Instruction pastorale, imprimée sous le nom de Monseigneur l’Évêque de Senez, en date du vingt-huitième d’août mil sept cent vingt-six, jour de S. Augustin.
Prévenu dès mon enfance d’un profond respect pour le Caractère Épiscopal ; élevé dans un État, qui fait gloire de reconnaître d’une manière particulière les Évêques pour ses Supérieurs, j’avais toujours admiré dans Monseigneur l’Évêque de Senez, le don précieux de la parole, dont celui, de qui tout le bien procède, l’a avantageusement orné ; un don si rare, soutenu par la gravité de ses mœurs, & relevé par un extérieur modeste & régulier, semblait devoir nous retracer en lui l’idée des hommes apostoliques, dont il est un Successeur par sa Dignité ; mais c’est en cela même que je trouve un nouveau motif de persister dans la conduite que je tiens : plus le suffrage de Monseigneur l’Évêque de Senez a de poids, plus les erreurs qui s’autorisent de son nom, sont dangereuses54. »
43In cauda venenum ! Même si le promoteur n’attribue pas formellement l’instruction pastorale à son véritable auteur, le ton est donné. L’évêque de Senez, modèle de vertu apostolique aux dires mêmes de ses ennemis, est un danger pour l’Église car la régularité de ses mœurs dissimule le poison de l’hérésie. Dans la suite du discours, la charge se fait de plus en plus violente. Tous les ressorts d’une rhétorique bien maîtrisée sont mobilisés afin de dramatiser le plus possible les enjeux de cette assemblée. Hyperboles, flatteries éhontées à l’égard de Tencin, le promoteur sait qu’avec un tel propos, son réquisitoire contre Soanen aura plus de force :
« L’Écrit que je vous dénonce, Messeigneurs, mérite toute votre indignation, il contient, je le dis avec douleurs ; mais je ne puis me taire & le dissimuler ; la force de la vérité m’oblige à parler, il contient des principes monstrueux, des maximes séditieuses, des erreurs capitales plus d’une fois proscrites, plus d’une fois anathématisées dans l’Église55. »
44L’évêque de Senez devient sous la plume de l’abbé d’Hugues un rebelle à l’autorité pontificale ainsi qu’à celle du roi. La présentation retenue est judicieuse car elle empêche que Soanen puisse mettre en avant sa conception gallicane de l’Église. Le roi a parlé en 1720 quand le corps de doctrine a été formulé. Ne pas accepter la bulle Unigenitus, même relativement, c’est tomber sous le coup de la rébellion. Les arguments développés manifestent en même temps un grand respect pour les décisions des souverains pontifes. Le promoteur termine son réquisitoire en exigeant la condamnation de l’instruction pastorale, et en demandant à Soanen de se prononcer sur l’ouvrage et de le désavouer publiquement56.
45Une fois ce texte lu, les querelles de procédure démarrent. Les théologiens de l’évêque de Senez sont mis en accusation par Tencin car ils sont suspects de jansénisme. Soanen récuse le concile au nom de la pièce qu’il a fournie le 11 août et à partir du 18, il n’y paraît plus. L’ensemble de son procès se fait donc hors de sa présence et sans qu’il puisse faire appel à ses secrétaires pour l’aider. Le vieil homme se trouve en butte à l’hostilité de tous ses confrères et pris à son propre piège. Par son acte du 11 août, il déclare :
« Nous déclarons encore, que nous interjetons Appel au futur concile général, & Appel comme d’abus au Parlement de Paris, de tout ce qui pourra être fait, soit contre notre Personne, soit contre nos Écrits, dans le concile Provincial d’Embrun, convoqué & indiqué pour le seize du présent mois, protestant de nullité de tout ce qui pourra être fait au contraire57. »
46Le prélat reconnaît la licéité du concile mais le récuse pour d’autres sujets. C’est un problème majeur de juridiction qui se pose, mais l’archevêque le balaie d’un revers de main et non sans ironie58.
47Puisque M. de Senez a reconnu la légitimité du concile, toutes ses démarches pour se soustraire à son autorité deviennent caduques et le piège se referme sur lui. Lors de la cinquième congrégation générale, le procès est décidé et l’on fait appel à de nouveaux évêques pour composer la cour59. Avec eux arrivent des théologiens, et en particulier l’abbé de La Mothe, vicaire général de Brancas à Aix et protégé de Vaccon. Ce dernier joue un rôle très important dans la mise en place de la condamnation de Soanen.
48Durant les semaines qui suivent, les prélats examinent les œuvres de M. de Senez qui leur fait parvenir régulièrement des actes de protestation. Lors de l’ouverture de la quinzième congrégation générale le 9 septembre, le discours du promoteur passe sur les récusations de Soanen et pose fermement la légitimité du concile pour juger des écrits d’un évêque60. Cette fois, les circonlocutions ne sont plus de mises, M. de Senez est désigné comme le rebelle, le « loup ravissant ». L’objectif du concile devient clairement de séparer Soanen de la communion ecclésiastique et de le déposer. C’est Berger de Malissoles qui est chargé de faire le rapport sur l’instruction pastorale61. Pour laisser place à la défense, Soanen est sommé de venir répondre aux interrogations de ses confrères. Il refuse par deux fois mais se rend au palais archiépiscopal à la troisième requête, pour une ultime provocation62. Refusant de répondre aux questions, il récuse une nouvelle fois le tribunal et les juges, et lit un texte contenant ses véritables sentiments sur les affaires de l’Église63. Il reprend l’histoire du jansénisme depuis la condamnation des cinq propositions de Jansénius et entend démontrer, à la suite du Grand Arnauld et de Quesnel, que jamais les théologiens du mouvement ne se sont séparés de la doctrine de saint Augustin et de celle de saint Thomas qu’ils ont unies dans un même respect. Faisant de la bulle Unigenitus la fille de la doctrine de Molina, le vieil homme réclame de nouveau que le pape accepte la convocation d’un concile général, pour trancher enfin d’une façon incontestable sur les querelles.
Les sanctions contre Soanen
49Aucune des protestations de l’évêque ne trouve grâce aux yeux du concile qui les rejette toutes et les récuse. Le reste des séances est consacré à l’examen de l’instruction. Les conclusions du promoteur sont remises au bureau de l’assemblée le 20 septembre et se terminent ainsi : « Concluons, à ce que l’Instruction Pastorale de Monseigneur l’Évêque de Senez en date du 28 août 1726 soit condamnée64. » Le livre est la première victime du concile. L’instruction pastorale de Soanen est condamnée et les qualificatifs employés par le promoteur sont très lourds. La sanction encourue pour avoir conservé ce texte est à cette image : l’excommunication. Mais l’évêque ne s’en tire pas à si bon compte. Dans les considérants de son discours, l’abbé d’Hugues a souligné que Soanen a reconnu être l’auteur de cette instruction65. Il est donc coupable d’avoir écrit un brûlot hérétique et schismatique, et il faut aussi que des peines soient prises contre lui :
« Que ledit Révérendissime Seigneur Jean Soanen, Évêque de Senez, soit & demeure suspens, interdit de toutes les fonctions épiscopales & des Saints Ordres, ensemble de toute inspection & autorité dans ledit diocèse de Senez, jusqu’à ce qu’il aye rétracté et condamné par un Acte authentique sa dite Instruction Pastorale & les Écrits qu’il a faits pour les soutenir. […] Qu’il soit nommé par le concile un Grand Vicaire pour ledit Diocèse de Senez, auquel Monseigneur l’archevêque d’Embrun donnera des Lettres à ce nécessaire au nom du concile66. »
50C’en est fini de la résistance, le concile l’a abattu. Il ne peut plus exercer aucune autorité sur son diocèse et tous ses actes sont cassés et effacés des registres de Senez. On lui demande de passer sous les fourches caudines, de désavouer son combat et ses écrits. Le jugement est clair et définitif. Soanen perd tout et l’exemple est fait. La sentence est rendue aussitôt après le discours du promoteur, signée par tous les prélats, puis signifiée à l’évêque le même jour et lue à Senez, afin d’informer les fidèles des conclusions de l’assemblée. Le diocèse est confié à des administrateurs nommés par le concile : les abbés de Saléon et de La Mothe. Tencin ne pouvait choisir ecclésiastiques moins conformes aux vues de l’évêque déposé.
Les réactions à la condamnation : indignation et soulagement
51La quatrième session s’ouvre par un concert de satisfaction après la condamnation de M. de Senez. Le premier à prendre la parole est sans surprise l’évêque de Marseille, Henri de Belsunce, qui souligne la justesse des propos employés contre Soanen et rappelle que lui-même avait été l’objet d’attaques personnelles de sa part. En effet, leurs orientations théologiques sont aux antipodes et le Marseillais cherche à se venger un peu plus de son infortuné ennemi. Il demande que ses instructions soient lues et examinées afin d’en vérifier la doctrine. La réponse du concile marque son triomphe et la validation de ses thèses ultramontaines67.
52Cette décision porte un coup terrible aux combats menés par Colbert et Soanen. Leur lutte trouve ici une condamnation sans équivoque. Eux qui défendent le gallicanisme et une vision rigoriste de la morale sont désavoués par l’assemblée d’Embrun. Le concile s’achève par la rédaction d’une missive très obséquieuse au pape Benoît XIII, et d’une autre au roi faisant de Louis XV un nouveau Théodose. Une lettre de cachet informe Soanen de son exil à La Chaise-Dieu.
53Pendant la durée du concile, l’évêque a beaucoup correspondu avec ses partisans, et en particulier avec Colbert qui relaie l’information. En effet, dans plusieurs courriers, ce dernier demande à ses confrères de plaider la cause de Soanen68. Avec un certain succès, il essaie de ranimer un réseau de soutien au prélat et aux positions appelantes. Grâce à lui, Tourouvre se manifeste, de même que MM. de Troyes, Bayonne, Castres, l’ancien évêque de Tournai et celui de Dax. De plus, le Parlement s’engage pour M. de Senez et une consultation de quarante avocats prend la défense de l’évêque déposé69. Colbert se déclare satisfait des échos indignés qui lui parviennent :
« Toutes les nouvelles que je reçois de Paris disent qu’on y est extrêmement irrité de ce qui se passe à Embrun. La consultation des Avocats & la Lettre circulaire de M. de Senez soulèvent les plus indifférents.
Autant qu’il y aura de gloire à prendre la défense de l’opprimé, autant il y aura de déshonneur à se rendre l’apologiste des juges qui ont livré le sang d’un innocent. Mais parce que c’est le sang d’un Évêque, il deviendra par la grâce de celui pour qui il est répandu, une semence féconde, qui donnera à l’Église dans son extrême des Évêques pleins de zèle pour toutes les vérités que ce saint Prélat a défendues70. »
54Toute la rhétorique traditionnelle est alors convoquée autour de Soanen : il est l’agneau sacrifié sur l’autel de la raison d’État et le martyr qui fait du concile d’Embrun une figure des grandes persécutions de l’Église primitive. Tertullien dit que le sang des martyrs est semence de chrétien. Son sang doit faire germer, par réaction, de nouveaux prélats pleins de vénération pour l’augustinisme et le thomisme, très éloignés du molinisme et du compromis politique. Les prélats d’Embrun pensent faire un exemple, mais dans l’optique de Colbert, cet exemple ne peut avoir que l’effet inverse : l’injustice faite à Soanen renforce la justesse de la cause appelante.
55Les témoignages en faveur de l’évêque de Senez se multiplient. Son biographe, l’abbé Gaultier, les note avec soin dans la Vie de messire Jean Soanen, évêque de Senez. Le 8 octobre 1727, Quiqueran de Beaujeu écrit : « Je vous félicite, M., & je plains vos juges. Ils vous ont couronné de gloire, & ils se sont couverts d’un opprobre éternel71. » Puis c’est au tour de Dominique-Marie Varlet, évêque in partibus infidelium de Babylone, et de son confrère l’archevêque d’Utrecht, Cornelius Barchman, de lui exprimer un soutien et de dire qu’il est devenu rien moins qu’un saint72. La manifestation la plus éclatante est la publication d’une lettre signée par douze évêques à Louis XV73. Une fois encore, l’opposition est menée par un Noailles vieillissant que secondent activement Colbert dans le milieu épiscopal et Dorsanne dans le clergé de Paris. Ce dernier manifeste lui aussi son soutien74 au reclus de La Chaise-Dieu et se félicite de voir que le cardinal est revenu à des sentiments plus augustiniens75. Sous la conduite de Noailles, les prélats dénoncent auprès du souverain les conditions du jugement rendu à Embrun. Soanen a été moins bien traité qu’un condamné de droit commun :
« Qu’il nous soit permis de répandre notre douleur dans le sein d’un Prince plein de bonté, en voyant un ancien évêque, que sa vertu & son grand âge n’ont pu mettre à couvert des traits de ses accusateurs, se plaindre dès le commencement du concile, de ce que, par les démarches les plus opposées à la liberté qui devait régner, & par un appareil menaçant & capable d’inspirer la terreur, on le prive de secours dont il a besoin pour sa défense […] Quoi, Sire, des criminels ne sont point privés de ces ressources, & des Évêques le seraient ? Les Tribunaux séculiers les procurent eux-mêmes à ceux qui ne les ont pas ; & on les ôterait à un Évêque dans une Assemblée Ecclésiastique76 ? »
56Les prélats se fondent sur les nombreux vices de forme que M. de Senez dénonçait déjà dans ses lettres durant le concile. Il est vrai que Soanen n’a pas pu être entouré par ses théologiens, trop jansénistes aux yeux de Tencin. Ils tentent aussi de plaider l’incohérence du jugement montrant que la doctrine de leur confrère n’a pas varié. Or l’Église n’a jamais erré, ni jamais varié dans sa foi. C’est un argument théologique bien connu provenant des Dictatus papæ que les conciles du Moyen Âge ont développé à l’envi et que Bossuet a utilisé avec beaucoup de subtilité dans sa lutte contre les protestants. La constance des sentiments de Soanen est une preuve de sa rigueur et sa justification ultime. Ceux qui sont dans l’erreur sont les ecclésiastiques qui veulent introduire des changements dans le dogme et pousser le vieillard à apostasier. Le dernier argument fort de cette lettre des douze évêques reprend le reproche traditionnel des opposants à la constitution Unigenitus. Toute la condamnation repose sur une absence totale de précision. Elle est globale et par conséquent fausse. La théologie est une science de la discussion et de la controverse qui fonctionne par confrontation d’autorités, subtilités rhétoriques et logiques. La réception de la Bulle et le concile d’Embrun sont des démonstrations d’autorité qui veulent interdire la réflexion, afin qu’elle ne vienne pas contredire la volonté pontificale :
« On fait retentir dans toute la France des accusations générales d’erreurs monstrueuses ; & le Prélat accusé ne peut savoir quelles sont ses erreurs contraires à la foi : on ne cesse de faire des reproches vagues ; & il ne cesse de demander qu’on s’explique, & qu’on articule avec précision les points de doctrine dont il s’agit77. »
57Soanen n’est donc pas rebelle puisqu’il ne sait sur quel point il est attaqué. Son attitude trouve son explication dans le refus de ses adversaires de lui dire en quoi il est coupable. Il est vrai que durant les séances du concile, aucune raison précise n’a été évoquée. Il s’agissait d’abord d’établir que l’Instruction pastorale de monseigneur l’évêque de Senez dans laquelle à l’occasion des bruits qui se sont répandus de sa mort, il rend son clergé et son peuple dépositaire de ses derniers sentiments sur les contestations qui agitent l’Église était bien son ouvrage ; ensuite d’affirmer qu’elle était dangereuse et poussait au schisme. Cependant, l’argument est faible et ne peut suffire à convaincre le pouvoir pour lequel la condamnation du prélat était une nécessité politique. Au xviiie siècle, le monde ecclésiastique fonctionne par réseaux et les informations y circulent vite. Il est donc probable que les consignes données par Fleury à Tencin étaient connues, ne serait-ce que sous forme de rumeurs78. En effet, dès le 8 juillet 1727, l’archevêque d’Embrun exposait déjà le résultat du concile à son ami l’archevêque de Sens, Chavigny79. L’information est sue même en dehors des cercles étroits des juges d’Embrun. Le concile est bien un procès politique où la controverse théologique n’est qu’un prétexte. Dès lors, quelle est la nécessité de fixer clairement les termes de la condamnation ? C’est inutile, le prévenu était coupable avant même de paraître devant l’assemblée.
58Comme c’est devenu l’habitude, à une lettre d’un groupe d’évêques au roi répond immédiatement une autre missive d’une tendance différente. Les prélats réunis à Embrun prennent la plume pour défendre leurs décisions et attaquer vivement leurs adversaires. L’amalgame est une arme toujours efficace et ils n’hésitent pas à l’utiliser, effaçant ainsi les différences entre tous les opposants. Ils dépassent ce stade en faisant des partisans de Soanen des protestants et reprennent l’assimilation entre jansénisme et calvinisme que le cardinal Mazarin avait résumée par la formule « calvinisme rebouilli80 ». Ici, les évêques vont plus loin, ils comparent la critique de la Bulle du concile d’Embrun et l’apologie de Quesnel avec le refus des réformés de reconnaître les décisions tridentines :
« C’est ainsi que les Protestants s’élevèrent contre le saint concile de Trente, & nous ne devons pas être surpris que les Partisans de Jansénius & de Quesnel, publient contre un concile Provincial, ce que ces Hérétiques osèrent avancer contre un concile Œcuménique. Mais n’est-il pas honteux, à des Évêques de n’être dans ces vaines déclamations que les échos de quelques téméraires Jurisconsultes, aussi peu instruits de nos Règles, qu’incapables en tous sens de prononcer sur des Matières Dogmatiques81 ? »
59À l’argument de variation développé par les défenseurs de Soanen, ses adversaires répondent par la même attaque. Les protestants ont nié la valeur du concile de Trente, comme Soanen celle du concile d’Embrun, l’homologie fonctionne pour anathématiser l’opposant. La remarque la plus intéressante de la riposte des prélats d’Embrun est de transformer leurs confrères en porte-parole des magistrats du parlement de Paris. Ce dernier est à partir de ce moment-là un acteur beaucoup plus virulent que l’épiscopat, impressionné qu’il est par la démonstration d’autorité faite sur M. de Senez et renvoyé à son incapacité en matière de théologie et de dogme. Ce que les avocats dénoncent, c’est bien plus les conditions du jugement que le fond lui-même. Les juges d’Embrun demandent d’autres synodes provinciaux qui réduiraient ainsi les rebelles au silence ; de cette façon le pouvoir triompherait sans que le Parlement pût se saisir des affaires.
Un paysage plus complexe qu’il n’y paraît
60L’opposition frontale entre deux groupes de prélats aux positions politico-théologiques différentes n’a rien de surprenant (figure 4). La querelle de l’Unigenitus fait émerger des personnalités emblématiques luttant pied à pied pour la défense de l’orientation ecclésiologique qu’ils jugent la meilleure. En revanche, une part importante du clergé a l’air d’ignorer ces conflits et continue son œuvre pastorale sans prendre manifestement parti.
61Parmi ceux qui s’engagent, les réactions sont parfois surprenantes. En 1748, les Nouvelles ecclésiastiques, pour fustiger Tencin, rappellent cet épisode évoqué par Soanen dans la biographie de l’abbé Gaultier82 :
« N’est-il pas vrai, Mgr, (lui dit M. de Senez) que si avec cette encre & ce papier qui sont sur votre table, j’écrivais dans ce moment que je renonce à la doctrine de la grâce efficace par elle-même, & à la nécessité d’un amour dominant pour Dieu dans le Sacrement de Pénitence ; de noir que je suis à vos yeux comme les charbons, je deviendrais blanc sur le champ comme la neige ? OUI, Mgr, répondit d’abord M. de Tencin. Si vous voulez l’écrire tout à l’heure, je vous réponds que vous pouvez partir dès aujourd’hui pour votre Diocèse, & que vous y serez fort tranquillement. Il est donc visible, répondit M. de Senez, que tout mon crime est d’avoir défendu ces vérités fondamentales. Je m’estime plus heureux d’être proscrit pour une telle cause, que vous de toute votre faveur83. »
62Même l’archevêque, qui est pourtant responsable de l’organisation de ce concile, reconnaît que la condamnation peut être levée si un acte officiel de soumission intervient. D’autres n’hésitent pas à se déjuger et demandent à Soanen une bénédiction bien surprenante :
« L’Évêque [Caulet] de Grenoble envoya à souper à son respectable confrère ; à qui il ne manqua pas de rendre sa visite le soir même. Le lendemain, il commanda un déjeuner où il voulut être avec M. de Vence, autre Père du concile. […] Le temps du départ étant arrivé, le St. Évêque se leva pour aller se mettre dans une chaise qui devait le conduire à Lyon. Mais les deux prélats l’arrêtèrent un moment & le prièrent de vouloir bien oublier le passé. M. de Vence fléchit le genou pour lui demander sa bénédiction ; M. de Senez le releva en l’embrassant, & leur dit à tous deux : Vous m’avez, Messeigneurs, brisé bras & jambes ; comment pourrais-je vous bénir ? Mais ils le supplièrent encore une fois d’oublier leur faute, & il partit en les assurant de tous ses vœux84. »
63Cette scène de réconciliation prouve une fois encore le caractère éminemment politique de l’assemblée. Si le dogme est en jeu comme les actes publiés et les déclarations le laissent entendre, on comprend mal pourquoi deux prélats aussi constitutionnaires et respectables que Caulet et Surian auraient fait un tel adieu à celui qu’ils considéreraient comme un hérétique. Au-delà de la sociabilité et des règles de bonne conduite que l’on doit observer entre évêques, il y a une forme d’admiration pour ce que représente Soanen. Il est à leurs yeux un modèle des vertus épiscopales et un homme très respectable par sa piété et son passé de brillant orateur.
64Les prises de positions sont largement dépendantes de la situation politique. Ce que le roi exige, Dieu le veut et l’évêque doit, dans son diocèse, appliquer les orientations générales décidées à Versailles, même si elles vont contre ses propres conceptions pastorales. Un des personnages qui permet le mieux de comprendre cette attitude est l’archevêque de Tours, Rastignac. Prélat ambitieux à la réputation antijanséniste tenace, il est chargé par Fleury de tenir un territoire ayant vécu depuis plus de sept ans sans véritable évêque et dans une opposition permanente entre les principaux chapitres du diocèse, Saint-Gatien et l’abbaye royale de Saint-Martin à Tours85. Comme il l’explique dans une lettre au lieutenant général de police Hérault : « Je ne suis ni assez attaché à la Touraine pour ne pas croire trouver ailleurs les mêmes ressources et les mêmes douceurs dans le cours de la vie86. » Il faut manœuvrer pour trouver ailleurs ce que le présent n’offre pas encore. Il le fait en choisissant de se soumettre pleinement aux décisions du pouvoir. Rastignac mène une action très agressive mais pourtant n’hésite pas à confier à ses proches des sentiments ambivalents. Peu après le concile d’Embrun et la publication de son mandement de soutien à Tencin, il se confie dans le secret de son cabinet à l’abbé de Vaubrun :
« Monsieur de Vaubrun Abbé de Cormery, se trouvant à Diner chez M. l’Archevêque, dit, en parlant des affaires d’aujourd’hui, & adressant la parole au Prélat : “Il faut avouer, Monseigneur, qu’on se serait bien passé de la Constitution et du concile d’Embrun.” – “Je ne conviendrai pas tout à fait de cela” répondit le Prélat. “Mais, Monseigneur, convenez au moins que cette Bulle fait bien du mal.” – “Tout ce que je puis vous dire, Monsieur, répliqua le Prélat, le vin est tiré, il faut le boire”87. »
65Réflexion lapidaire, mais tellement pragmatique ! L’histoire religieuse du xviiie siècle est incompréhensible si l’on ne se réfère pas au cadre politique. Les positionnements épiscopaux ne doivent pas grand-chose à la théologie ; en revanche, ils prennent tout leur sens quand on les replace dans les enjeux de pouvoir et d’influence auxquels le haut clergé n’échappe pas. De la même façon, les relations entre les évêques de Riez et Senez ont toujours été cordiales. La surprise de Soanen est donc grande quand il apprend que Phélypeaux refuse d’accueillir les prêtres du diocèse de Senez persécutés par les vicaires généraux nommés par Tencin88.
66Ce que Soanen analyse – dans une lecture très figuriste – comme l’annonce de l’apocalypse prochaine n’est que la traduction naturelle de la faiblesse humaine. Les évêques ont beau être des ministres de la religion, ils n’en restent pas moins des hommes sensibles aux pressions et à la peur du pouvoir. Les vexations contre les prélats qui s’engagent en faveur des appelants sont connues. Elles participent à cette crainte généralisée qui pousse beaucoup d’entre eux à mettre en place une politique plus modérée que leurs actes officiels pourraient le laisser deviner.
La défense de la Consultation des avocats
67Comme il l’avait laissé entendre à Colbert avant de se rendre à Embrun, Soanen est conscient des irrégularités de la procédure. Et dès le 1er juillet 1727, les avocats du parlement de Paris rendent un premier jugement d’incompétence89. Fort de ce premier soutien, l’évêque place son espoir dans une tractation juridique qui casserait les décisions prises lors du concile. La seconde consultation d’octobre 1727 va dans ce sens et Soanen remercie les avocats ainsi :
« J’ai depuis longtemps si grande opinion de votre science & de votre probité, qu’à la seule lecture de votre Acte d’Incompétence contre l’entreprise du prétendu concile d’Ambrun [sic], je regardai ce premier plaidoyer comme un gage de victoire. Mon espérance n’aurait pas été vaine, si mes Adversaires avaient voulu écouter les maximes du Royaume & le langage de la Tradition90. »
68Sa lettre est traversée de références à Paul, auquel il s’identifie de plus en plus. À l’image de l’apôtre dans l’Épître à Philémon, il signe ses lettres de captivité de la formule « prisonnier de Jésus-Christ ». Le Parlement devient sous sa plume le pendant séculier de la lutte qu’il mène dans l’épiscopat. Les avocats prennent fait et cause pour lui91. Leur texte se présente contre un vaste réquisitoire de plus de quatre-vingt-dix pages organisé autour de trois parties : la forme du jugement, la compétence du tribunal, le corps du délit92. Ses auteurs commencent par relever les nombreuses irrégularités qui ont entaché le déroulement de l’assemblée, reprenant en cela les diverses critiques déjà formulées par Soanen lui-même93. Ensuite, les juristes en viennent à démontrer l’incompétence formelle du concile à se substituer à l’instance supérieure à laquelle Soanen et ses trois confrères ont interjeté appel en 1717, instance qui est l’Église universelle assemblée dominant toutes les autres institutions. Ils se lancent dans une démonstration rigoureuse des principes gallicans94.
69On retrouve les mêmes mots sous la plume des théologiens du mouvement lors de la publication de la bulle Unigenitus en 1713. Le barreau défend une ecclésiologie conciliaire et gallicane95. Dans cette vision, les évêques ont un rôle majeur, ils ne doivent leur pouvoir qu’à la grâce de Dieu et non à une quelconque autre autorité. Les avocats poursuivent :
« Du Principe que la plénitude de Pouvoir & d’Infaillibilité ne réside que dans l’Église Universelle, naît la conséquence, que les Premiers Pasteurs, ni le Pape même n’est infaillible, & ne peut s’arroger le droit de soumettre les autres à sa décision particulière.
Ainsi les Jugements que le Pape même prononce sur des points de doctrine contestés dans l’Église, ne peuvent acquérir le caractère de règle de Foy, que par l’acceptation claire, libre unanime, décisive, que l’Église en fait par ses Pasteurs96. »
70La Consultation des avocats veut prouver l’innocence et la justesse des démarches de Soanen en revenant au principe essentiel de l’Église : la nature du pouvoir épiscopal. Les évêques doivent juger avant, avec et après le pape des décisions de foi et celle-ci n’est mise à couvert que lorsque la décision est « claire, libre, unanime, décisive ». Or les anticonstitutionnaires n’ont eu de cesse de montrer que la bulle Unigenitus n’était ni claire – ou sinon quel est le sens des multiples accommodements que l’on a préparés ? –, ni libre – les pressions politiques sont indiscutables –, ni unanime – il y a opposition entre les acceptants et les refusants et le pape refuse de s’expliquer –, ni même décisive – l’instance incontestable n’a pas été réunie pour trancher. Sans le concile, l’histoire ne peut avoir de fin ! Les développements juridiques sont étayés par de nombreuses citations que les avocats ont tirées des actes de Constance, de la Pragmatique Sanction de Bourges, des délibérations de la Sorbonne, mais aussi des textes des évêques gallicans comme Caylus. Puisque la bulle Unigenitus n’a aucun caractère dogmatique, M. de Senez ne peut pas être condamné pour ne pas la reconnaître.
71La dernière partie de la Consultation entend démontrer que Soanen et ses œuvres ont été jugés en dépit des règles du droit et de l’honnêteté et que l’on ne peut y trouver aucune trace de ce qu’on lui reproche97. Les avocats reprennent ses instructions pastorales, ils se livrent à une analyse précise, manifestement à décharge, et arrivent à cette conclusion provocatrice pour le pouvoir :
« On traitera de rebelles, d’opiniâtres, d’orgueilleux, ceux qui demanderont en grâce qu’il leur soit permis, non pas de les contredire ou de les condamner même intérieurement, mais seulement de douter, & de ne pas jurer qu’ils y acquiescent ; & comme il y a peu de ces Faits qui soient plus importants que ceux qui regardent l’Excommunication, & même les Dépositions des Rois, il faudra encore acquiescer aux Jugements de Rome, sous peine d’être accusé de résister opiniâtrement à une Autorité légitime et respectable. Y a-t-il un Cœur français qui ne frémisse en envisageant toutes ces conséquences ?
Il faut donc en revenir à la vérité & à la raison. L’Église est infaillible dans la décision des Dogmes ; donc elle est en droit d’exiger, & on ne peut lui refuser à cet Égard une obéissance sans réserve, une soumission de Foi Divine & de croyance intérieure.
L’Église n’est point infaillible dans la décision des Faits humains non révélés ; donc elle ne peut exiger à cet égard une soumission de Foi qui n’est due qu’à une Autorité infaillible, mais seulement une soumission de Respect & de Discipline98. »
72La consultation affirme la dimension patriotique qui apparaît dans la querelle de l’Unigenitus. Les évêques comme Soanen, Colbert ou Bossuet luttent pour défendre les spécificités de la culture gallicane contre les empiétements systématiques de la puissance pontificale. Cette prise de position est aussi un acte de rébellion envers le roi et le gouvernement qui ont des priorités politiques.
73La riposte ne se fait pas attendre. Fleury décide de convoquer une assemblée de prélats afin d’envisager avec eux la réaction à adopter et la sentence à rendre. Le 4 mai 1728, sous la présidence de Rohan, Bissy et Fleury, vingt-huit archevêques et évêques de toute la France se réunissent pour définir une action commune. Parmi ceux qui viennent, on trouve des personnages très différents : le frère du cardinal de Rohan, Rohan-Guémené, dont les démonstrations de force contre les appelants sont connues99, ou Desmarets, dont l’acceptation de la bulle Unigenitus est plus que récente100. Comme pour l’assemblée de 1713-1714, le roi – et à travers lui Rohan, Fleury et Bissy – fait appel à toutes les forces nécessaires pour donner aux décisions de la cour un poids indiscutable, soit trois cardinaux, cinq archevêques dont celui de Besançon, Grimaldi, qui en pure théorie ne fait pas partie de l’Église gallicane, et dix-huit évêques. Ont été également invités, ce qui est plus surprenant, cinq prélats qui n’ont toujours pas reçu l’investiture canonique : les nouveaux nommés Louis-François de Montclus, de Saint-Brieuc, Jean-Baptiste de Surian, de Vence, Étienne-René Potier de Gesvres, de Beauvais et futur cardinal, Pierre Guillaume de La Vieuxville, de Bayonne et enfin Jacques-Charles-Alexandre Lallemant, de Sées. Rien que par sa composition, cette assemblée montre son caractère exceptionnel. Elle est une réponse directe à ce que Fleury considère comme une provocation du Parlement. Les évêques réunis à Paris ont été choisis avec subtilité. Les trois cardinaux ont la haute main sur la politique religieuse de la France et Fleury dirige le gouvernement du royaume. Appeler des prélats non encore préconisés était un gage de soumission assuré. Mettre Desmarets qui vient juste d’accepter la bulle Unigenitus à côté de La Fare, de Laon, ou de Guénet, de Saint-Pons de Thomières, c’était le pousser à rentrer dans le rang et à faire amende honorable après ses années de résistance101. Dans son ouvrage consacré à Fleury, Georges Hardy souligne que la réaction des partisans de Soanen a été d’une telle puissance102 que le ministre est obligé d’envisager une démonstration de force : « l’assemblée du Louvre » devait en tenir lieu. Mais il ne faut jamais insulter l’avenir. Fleury le sait bien et confie la présidence à Rohan. Bissy aurait été trop virulent, sûrement plus brouillon et n’aurait pas aussi bien gagné la partie que l’alliance de sagesse, rouerie et finesse du couple Rohan-Fleury.
74Le résultat de cette conférence est une longue lettre au roi de près de cent pages, dont les véritables destinataires sont tous les évêques et l’ensemble du clergé de France. Cette assemblée formule une nouvelle fois les principes essentiels de la politique religieuse sous l’ère Fleury. Louis XV est un nouveau Constantin et même l’égal de Théodose, comme le laisse entendre la référence à la lettre de saint Ambroise à l’empereur Gratien qui émaille le texte103. Le roi ne doit pas craindre de condamner ceux qui se rebellent contre son autorité et s’élèvent contre les lois de l’Église. Les prélats s’engagent ensuite dans une réfutation nette des thèses contenues dans la Consultation de messieurs les avocats du parlement de Paris. Pour autant, ils n’en ont pas fait une dissertation théologique, mais seulement une réfutation politique :
« L’autorité réside donc dans les premier Pasteurs seuls. Quand les Ministres du second Ordre enseignent, ils n’agissent qu’avec la mission de ceux du premier ordre & toujours dans la dépendance & la subordination exigées par l’institution divine & par les règles de l’Église ; & les fidèles ont pour partage la soumission et l’obéissance104. »
75Dès les premières lignes, ils entendent réaffirmer le principe hiérarchique de l’Église catholique romaine. En tant qu’évêques, ils sont les successeurs des apôtres et n’ont de compte à rendre qu’à Dieu. Le style de cette lettre traduit leur exaspération montante car ils sont confrontés de plus en plus souvent aux résistances du Parlement et aux protestations du bas clergé, largement touché par le mouvement de l’appel. En deux phrases lapidaires, ils les remettent à leur juste place : obéissance et soumission doivent conduire la vie de ces fidèles trop rebelles. Toutefois, les prélats ne s’arrêtent pas à ces considérations ecclésiales. Ils tirent une conclusion logique et surtout alertent le pouvoir royal face aux conséquences idéologiques de cette position :
« Le langage que l’on tient dans la Consultation, est bien opposé à ces principes, qui sont les fondements de notre foi, & qui nous distinguent essentiellement d’avec les hérétiques ; ce langage tend à établir que l’infaillibilité promise à l’Église, que le pouvoir spirituel, qui lui a été donné par J.-C., que l’autorité qu’elle a de décider dans les contestations qui s’élèvent dans son sein, résident dans la société tout entière, en tant qu’elle renferme le corps des Pasteurs & les Fidèles ; de manière même, que les Évêques ne peuvent rien faire que dépendamment de cette société à laquelle ils sont subordonnés.
Si ce principe est vrai, par rapport au pouvoir d’excommunier, il le sera aussi à l’égard de faire les lois ou des décisions sur la doctrine, ou sur la discipline, & il faudra dire de même, que si c’est l’Église, qui a le pouvoir législatif en matière spirituelle pour l’exercer par les premiers pasteurs, ils ne peuvent l’exercer que du consentement au moins présumé de tout le Corps. […] & cela supposé, les Avocats, en raisonnant conséquemment, sont obligés de ne regarder l’Église que comme une République populaire dont toute l’autorité législative & coactive réside dans la société entière & dans le consentement exprès ou tacite, qu’elle donne aux actes de Juridiction exercés par ses Ministres ; c’est sans doute dans cette supposition qu’ils ont dit que les Pasteurs doivent être prêts à rendre compte à l’Église de leur administration105. »
76De la démocratie dans l’Église à la démocratie dans l’État, le pas peut être vite franchi, et les évêques de l’assemblée du Louvre veulent informer le souverain des dangers politiques que représentent les appelants. Ils reprennent en l’étayant la vieille idée ludovicienne du jansénisme facteur de républicanisme, mettent en lumière les changements pernicieux qui sont la conséquence de la doctrine des partisans de Soanen et surtout la révolution qu’ils sont susceptibles d’introduire dans toutes les sphères de la société106. L’Église catholique n’est pas un synode protestant et le royaume de France ne peut devenir une « république populaire ». Protéger l’autorité du corps des pasteurs, c’est sauvegarder la monarchie contre ceux qui souhaitent en saper les fondements essentiels107. Par conséquent, tous les arguments concourent à manifester la nécessaire soumission que les fidèles doivent aux prêtres, aux prélats et à l’Église. Les évêques rejettent les thèses richéristes et rappellent, en convoquant saint Augustin, que tout débat sur la bulle Unigenitus est vain puisque la « cause est finie » :
« Après tout, est-ce à un petit nombre d’Évêques à exiger le concile général, quand le Pape & tous les autres Évêques avec luy disent de concert, comme on le disait aux Évêques Pélagiens, le concile n’est pas nécessaire. [Note : Vestra vero apud conpetens judicium communium Episcoporum causa finita est ; nec amplius vobiscum agendum est, quantum ad jus examinis pertinet. S. Augustin, Lib III, Oper. Perf. Contr. Jul. Cap. I]. Le jugement qui a été porté est suffisant, il ne faut plus d’autre examen… la cause est finie ; l’erreur & la résistance doivent finir aussi. [Note : Causa finita est ; error utinam aliquando finiatur, Id. S. Aug. Serm. II. De Verbis Apost.]108. »
77Le principe théologique est hérité de la querelle avec les pélagiens. Ceux que le Saint-Siège a reconnus comme hérétiques doivent se taire et se soumettre. Le meilleur avocat de cette position a été saint Augustin, autorité fondamentale des port-royalistes. Les auteurs de la lettre cherchent ainsi à mettre les partisans de Soanen et les parlementaires face à leurs contradictions, et à montrer que les arguties théologiques n’ont pas de force contre les volontés de l’État, qu’elles soient pontificales ou monarchiques. Pour ne pas prêter le flanc à une accusation d’ultramontanisme, riposte facile, les références sont très souvent puisées dans les textes que leurs ennemis regardent comme majeurs, tels Augustin et Bossuet. Il s’agit de formuler une définition politique du gallicanisme qui soit plus en phase avec la réalité du royaume. Pour les appelants, le gallicanisme est un épiscopalisme conciliaire ; Constance et Bâle ont fondé la supériorité du concile dans l’Église et les évêques sont chargés de conserver les libertés françaises envers et contre tous. Les prélats de l’assemblée du Louvre considèrent quant à eux que cette position est irrecevable car les décrets de Constance n’ont jamais été observés – ce qui les rend nuls – et le concept n’est donc plus qu’une soumission des évêques au roi109. La question des libertés est secondaire, un ecclésiastique est gallican quand il obéit au prince. L’appel comme d’abus interjeté par les quatre évêques ne l’est pas – gallican –, car le pouvoir l’a condamné. Les prélats démontrent que la position des avocats n’étant pas fondée en droit, elle ne peut en rien prétendre au titre de démarche patriotique110. Tous les aspects de la défense de Soanen repris et justifiés par les avocats sont cassés. De l’autorité du pape sur l’Église, en passant par le Formulaire, jusqu’aux bulles Vineam domini et Unigenitus, les évêques ne laissent aucun point dans l’ombre. Chacun est traité avec minutie, dans une volonté manifeste de détruire l’argumentaire adverse et de faire des opposants des rebelles aux volontés de l’Église, mais plus encore à celles du roi111.
78La Consultation est un danger majeur pour l’Église et l’État car les magistrats du Parlement sont renommés. Ils agissent comme la vipère qui grandit dans le sein du royaume et dont le seul but est de saper les fondements de l’autorité monarchique, en couvrant de leur prestige les abus des appelants. La diatribe est d’une grande virulence. Les prélats de l’assemblée du Louvre produisent un texte très éloigné de toute forme de modération, car cette fois, c’est l’État qui est en jeu. Les solutions médianes, comme l’accommodement, sont envisageables quand aucun fondement de l’Église ou du royaume n’est atteint. La révolte des avocats consécutive au concile d’Embrun ne peut être tolérée parce qu’elle introduirait aux yeux des évêques une forme de républicanisme et quasiment un crime de lèse-majesté.
La diffusion de la lettre des prélats du Louvre
79La longue lettre des prélats du Louvre est une pièce importante pour la cour, elle permet au roi et à Fleury, le 3 juillet 1728, de prendre en conseil un nouvel arrêt. Ce dernier ordonne que la Consultation des avocats soit supprimée car elle contient des « propositions opposées à la doctrine de l’État, injurieuses à son autorité, contraires aux lois de l’État112 ». Quelques semaines auparavant, le pape a publié un bref condamnant la feuille113. Les démonstrations d’autorité de Rome et de la cour n’impressionnent en rien les opposants à la Bulle et, même s’ils sont condamnés une fois de plus, ils n’en sont pas moins virulents114.
80Les résultats de l’assemblée du Louvre sont rapidement connus dans les diocèses. Les évêques du royaume entreprennent leur publication. Plusieurs cas de figure se présentent. Certains – c’est la majorité – composent un mandement défendant seulement la Consultation des avocats. D’autres, moins nombreux, entreprennent une défense et une illustration du concile d’Embrun. Parmi eux, on trouve sans surprise les prélats les plus engagés dans la lutte contre l’appel, et en particulier Rastignac, Languet de Gergy encore à Soissons, Brancas ou Henriau, nouvellement arrivé à Boulogne. À l’instar de d’Antin, beaucoup se contentent d’adresser un mandement à leurs diocésains pour communiquer la lettre du 4 mai au roi et l’arrêt du conseil d’État du 3 juillet. Il est lapidaire :
« Nous avions vu, avec douleur, des Avocats du Parlement de Paris, d’ailleurs très éclairés, attaquer des points de disciplines ecclésiastiques, devenus également la règle de l’Église et de l’État, surprendre les Fidèles par une Consultation captieuse, & s’ériger en Juges, sur des faits dont ils n’ont pas l’entière connaissance115. »
81L’incise de ce premier paragraphe donne le ton au reste du texte. La lettre est publiée avec une telle modération que la virulence du propos en disparaît presque116. La précaution de d’Antin souligne le peu de soutien réel qu’il accorde aux choix de Fleury. Le duc et pair s’engage dans une démarche très mesurée. Comme beaucoup de ses confrères, il tente de ménager toutes les sensibilités, du pouvoir jusqu’au Parlement. Son attitude est révélatrice de la position d’une grande partie du clergé de France : la prise de parti se fait sur la dimension politique de la querelle et non sur son aspect dogmatique. Vingt-neuf prélats se prononcent pour interdire la Consultation des avocats. En revanche, seulement douze soutiennent Soanen et autant prennent la défense du concile d’Embrun. Au xviiie siècle, ce sont les rapports au pouvoir qui importent plus que la foi. Les prélats comme d’Antin réagissent aux pressions du pouvoir, mais ne montrent pas forcément leurs sentiments réels, lesquels peuvent osciller du soutien inconditionnel, par exemple chez La Fare, à un point de vue beaucoup plus mesuré et respectueux envers le Parlement, comme chez d’Antin ou encore Desmarets.
82Les évêques jansénistes sont ainsi condamnés par l’Église et le pouvoir. Pour couronner cet édifice de malheurs, Noailles, figure de proue de l’opposition à la Bulle, accepte enfin formellement la Constitution. Il aura fallu quinze ans de pressions constantes pour arriver à ce résultat117. Fleury a réussi son grand œuvre, briser le mouvement de l’appel en lui enlevant le soutien du plus prestigieux prélat de France.
83La période politique marque le succès total de Fleury. Le concile d’Embrun a été accepté. Soanen est en exil à La Chaise-Dieu. Dans sa grande majorité et au moins tacitement, le clergé de France soutient les décisions du trône. Seul le Parlement, conduit par le brillant abbé Pucelle, continue à mener une résistance farouche. C’est d’ailleurs l’un des facteurs à prendre en compte pour saisir à sa juste mesure la modération générale de Fleury contre les appelants. Les usages de l’Église de France ne lui permettaient pas de faire des démonstrations d’autorité trop fortes. Les curés du diocèse de Paris conservent leurs pouvoirs de confesser et de prêcher. En cas de jugements contre eux dans des tribunaux ecclésiastiques, ils auront droit d’interjeter appel comme d’abus devant le parlement. Leur donner des armes supplémentaires pour s’agiter, ce n’est ni nécessaire, ni souhaitable.
84La disparition de Noailles, le 4 mai 1729, clôt cette phase d’agitation politico-juridique. Sa mort est analysée assez froidement par Colbert :
« La mort de M. le Cardinal de Noailles ne nous donnera pas la paix. Il faut s’attendre à de nouveaux combats. On peut appliquer à ce bon Cardinal, en retranchant ce qu’il y a d’odieux dans la comparaison, ce que disait un Évêque Arien à qui l’on reprochait d’avoir trop de ménagement pour les catholiques : Quand cette neige sera fondue, disait-il en touchant ses cheveux blancs, il y aura bien de la boue dans l’Église d’Antioche. Il en était Évêque. J’ai toujours craint en effet la fonte de cette neige. Le bon Cardinal n’a pas fait tout ce qu’il aurait dû pour la défense de la Vérité, mais il en a assez fait pour donner lieu de le regretter longtemps. Je ne saurai lui imputer ces dernières démarches. Il paraît que le cœur n’y a guère eu de part118. »
85La boue, pour l’évêque de Montpellier, c’est la nomination de Charles-Gaspard de Vintimille comme nouvel archevêque de Paris. Transféré d’Aix, c’est un homme parfaitement orthodoxe, pieux et régulier, mais aux yeux des partisans de Colbert et Soanen, il est trop soumis au Saint-Siège. Fleury n’étant pas un boutefeu, son choix s’est porté sur un homme dont les qualités pour la négociation et l’accommodement sont connues119. C’est un fort sentiment de soulagement qui s’installe dans la population parisienne en apprenant le nom du nouveau prélat.
86Le concile d’Embrun a attaqué l’évêque le plus faible parmi les résistants à l’Unigenitus. Soanen est condamné par une assemblée dont les enjeux sont plus politiques que théologiques. Les prélats du royaume ont eu une attitude très attentiste, préférant se taire plutôt que de déplaire au pouvoir. C’est une attitude fréquente dans le haut clergé, pris par la dimension profondément sociale de la charge épiscopale.
87La réunion des évêques de la province d’Embrun a eu raison de Soanen qui, dès après son exil à La Chaise-Dieu, prend une autre dimension au sein du mouvement anticonstitutionnaire. Il devient l’évêque martyr, le « prisonnier de Jésus-Christ » paraphrasant saint Paul, celui qui a souffert pour la vérité. Son procès est une preuve supplémentaire pour les opposants à l’Unigenitus que l’Église romaine est tombée dans l’hérésie et l’apostasie. Seul le petit nombre des élus capables de témoigner de la vraie foi sont encore les frères du Christ. La persécution devient le signe tant attendu de la fin des temps. C’est cette vision apocalyptique qui se développe autour de Soanen et de ses comparses. Elle explique en grande partie le succès des interprétations des guérisons miraculeuses qui se produisent autour du tombeau du diacre Pâris.
88Le concile a été le coup d’autorité le plus fort. Après cela, les évêques de France s’engagent plus ouvertement dans la voie de la soumission. Fleury n’exige que cela d’eux, une obéissance apparente aux ordres de la cour. À partir du début des années 1730, le gallicanisme a donc changé de nature. Revendiquer trop ouvertement l’héritage théologique des conciles du Grand Schisme n’est plus possible ; de thèses ecclésiologiques, il devient dès lors pratique. Sont gallicans les ecclésiastiques qui acceptent les ordres du souverain et les appliquent sans sourciller. Même quand le roi fait le jeu du pape.
89La décennie 1720-1730 met en place des schémas de réflexion très importants pour la suite de l’histoire politique et religieuse du siècle. Le gallicanisme qui, à l’origine, liait dans une même volonté le roi, son clergé et ses magistrats, tend à devenir moins essentiel à la cour. Le pape, que Louis XIV avait voulu tenir à l’écart de 1682 à 1693, est rentré dans le jeu de l’Église de France. Versailles attend son salut de Rome et la paix du royaume est soumise aux atermoiements de la curie. En 1756, le comte de Choiseul obtient de Benoît XIV qu’il mette fin à la crise des billets de confession. Le souverain pontife publie alors l’encyclique Ex omnibus qui adoucit les rigueurs contre les jansénistes. La position subtile, mesurée de Prospero Lambertini rencontre plus de succès que celles défendues par ses prédécesseurs. La rigidité romaine a causé de grands troubles en France. Si les évêques se sont employés à en minimiser l’impact, l’opinion est, elle, très sensibilisée à ces débats où politique et théologie sont inextricablement enlacées. Aux yeux du Parlement et des curés, dont la frange richériste devient de plus en plus active, défendre les évêques appelants ou lutter contre le concile d’Embrun se fait davantage au nom de la défense des privilèges de l’Église de France que d’une quelconque orientation théologique ou morale. Si Dale Van Kley voit naître le « parti patriote » au tournant de 1760-1770, on peut affirmer que les démêlés entre la cour, le Parlement et l’épiscopat ont fourni la matrice des liens entre défense du gallicanisme et de la patrie.
Notes de bas de page
1 Andurand Olivier, « D’une norme à l’autre, Mgr de Rastignac, archevêque de Tours », dans Cottret M. (dir.), Normes et déviances de la Réforme à la Révolution, Paris, Éd. de Paris, 2007, p. 136-159.
2 Andurand Olivier, « La querelle janséniste à Tours : de l’appel à la reprise en main. Le diocèse et le chapitre métropolitain de Tours de 1714 à la reprise en main de Mgr de Camilly et de Mgr de Rastignac », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, t. 53, 2007, p. 177-183.
3 Sars M. de, Le Cardinal de Fleury, apôtre de la paix, Paris, Hachette, 1942 ; Chaussinand-Nogaret G., Le Cardinal de Fleury, le Richelieu de Louis XV, Paris, Payot, 2002.
4 Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., p. 78.
5 La Broue P. de, Défense de la grâce efficace par elle-même, Paris, F. Barois, 1721.
6 Moulis Ph., Le Clergé paroissial du diocèse de Boulogne-sur-Mer de 1627 à 1789, op. cit., t. 2, p. 329-362.
7 BnF, LD4-1345, Recueil de lettres concernant le différent de M. l’Archevêque de Reims avec M. l’Évêque de Boulogne, 1724, 49 p.
8 Arch. du ministère des Affaires étrangères, Mémoires et documents, France 27, lettre de Mgr l’archevêque de Reims à Mgr l’évêque de Boulogne, du 29 avril 1723 (cité par Moulis Ph., Le Clergé paroissial du diocèse de Boulogne-sur-Mer de 1627 à 1789, op. cit., t. 2, p. 359).
9 Durand V., Le Jansénisme au xviiie siècle et Joachim Colbert, évêque de Montpellier, 1696-1738, Toulouse, É. Privat, 1907, p. 176.
10 Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 2 : « Le jeune Soanen entra dans l’Oratoire ; & depuis qu’il eut connu les Jésuites, qu’il ne connaissait pas alors, il ne cessa de bénir Dieu, de l’avoir préservé du piège qu’ils avaient tendu. »
11 Laurent Marcel, « Jean Soanen, évêque de Senez, devant le “concile” d’Embrun (1727) », Revue d’Auvergne, t. 82, n° 2, 1968, p. 95-112, et en particulier p. 96.
12 Lettre de Mgr Soanen à MM. les évêques de Montpellier et de Boulogne, du 21 avril 1720, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 269.
13 Noirfontaine F. de, Croire, souffrir et résister. Lettres de religieuses opposantes à la bulle Unigenitus, Paris, Nolin, 2009.
14 Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 76, 151.
15 Ibid., p. 149-151.
16 Ibid., p. 151 ; Skinner Q., Les Fondements de la pensée politique moderne, Paris, A. Michel, 2009 ; Catteeuw L., Censures et raisons d’État. Une histoire de la modernité politique (xvie-xviie siècle), Paris, A. Michel, 2013.
17 Soanen J., Instruction pastorale de Monseigneur l’Évêque de Senez dans laquelle à l’occasion des bruits qui se sont répandus de sa mort, il rend son Clergé & son Peuple Dépositaire de ses derniers sentiments sur les contestations qui agitent l’Église, s. l., 1726, p. 3-4.
18 Ibid., p. 10-11.
19 Ibid., p. 26.
20 Beaumont L. de, Mandement de Monseigneur l’Évêque de Saintes au clergé de son Diocèse, portant condamnation d’un libelle intitulé Explications de N. S. P. le pape Benoist XIII […] sur la bulle Unigenitus, s. l., 1725.
21 Soanen J., Instruction pastorale […] à l’occasion des bruits qui se sont répandus de sa mort, op. cit., p. 52-53.
22 Quantin J.-L., Le Rigorisme chrétien, op. cit., p. 71.
23 Soanen J., Instruction pastorale […] à l’occasion des bruits qui se sont répandus de sa mort, op. cit., p. 61.
24 Barralis Ch., Marchal C., Wagner A. (dir.), Le Testament spirituel, du Moyen Âge à l’époque moderne. Legs, salut de l’âme, miroir des vertus chrétiennes, Metz, CRULH, 2013.
25 Nouvelles ecclésiastiques du 26 janvier 1727, article de Paris, p. 142.
26 Lettre de Mgr Soanen à l’abbesse de Chelles, du 3 avril 1727, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 161-164.
27 Lettre de Mgr Colbert de Croissy à Mgr Soanen, du 2 février 1727, dans Lettres de Colbert, op. cit., t. 1, p. 215-216.
28 Le 21 septembre 1724, un arrêt du Conseil d’État ordonne la saisie du temporel de Mgr Colbert car celui-ci contrevenait à l’ordonnance de 1665 imposant la signature du Formulaire ; Durand V., Le Jansénisme au xviiie siècle et Joachim Colbert, évêque de Montpellier, op. cit., p. 131 sq.
29 Coynart Ch. de, Les Guérin de Tencin (1520-1758), Paris, Hachette, 1910, p. 193-210, 257-264.
30 Lettre de Mgr Soanen à M. AMB…, du 22 juin 1727, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 166 : « Le temps paraît s’approcher puisque mes amis de Paris me mandent qu’on a dépêché à M. l’Arch. d’Embrun pour lui faire assembler le concile de sa Province contre moi. »
31 Lettre de Mgr Colbert de Croissy à Mgr Soanen, des 7 et 9 juillet 1727, dans Lettres de Colbert, op. cit., t. 1, p. 224.
32 Le Tourneau D., Le Droit canonique, Paris, PUF, 2002 ; Gaudemet J., Église et cité. Histoire du droit canonique, Paris, Le Cerf, 1994.
33 Héricourt L. de, Les Lois ecclésiastiques de France, op. cit., p. 105-107.
34 Andurand Olivier, « Monseigneur Soanen, “martyr de la Vérité”. La construction de l’image de l’évêque martyr dans la littérature janséniste », dans Bélissa M., Cottret M. (dir.), Le Martyr(e). Moyen Âge, temps modernes, Paris, Kimé, 2010, p. 89-121.
35 BPR, LP 438 = 4.
36 Lettre de Mgr Soanen à un prêtre de l’Oratoire, du 25 juin 1727, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 166.
37 Lettre de Mgr Soanen à Mgr Guérin de Tencin, archevêque d’Embrun, du 25 juin 1727, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 167.
38 Lettre de Mgr Soanen à M. AMB…, du 26 juin 1727, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 167-168.
39 Ibid., p. 168.
40 Lettre de Mgr Soanen à un prêtre de l’Oratoire, du 6 juillet 1727, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 173.
41 Lettre de Mgr Soanen à M.***, du 5 août 1727, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 174.
42 Lettre de Mgr Soanen à M. l’évêque de Montpellier, du 18 août 1727, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 175.
43 Saint-Simon L. de, Mémoires, op. cit., t. 7, p. 507.
44 Bollmann M., Madame de Tencin, romancière, thèse de littérature, univ. Paris III, 1982 ; La Croix de Castries R. de, Madame de Tencin, 1682-1749, Paris, Perrin, 2004.
45 Buat N., John Law. La dette ou comment s’en débarasser, Paris, Les Belles Lettres, 2015. On consultera aussi le toujours utile Faure E., La Banqueroute de Law, 17 juillet 1720, Paris, Gallimard, 1977.
46 Saint-Simon L. de, Mémoires, op. cit., t. 7, p. 509-510.
47 Hénault d’Armozeran Ch.-F., Mémoires du président Hénault, Paris, É. Dentu, 1855, p. 393.
48 Hours B., Louis XV et sa Cour. Le roi, l’étiquette et le courtisan. Essai historique, Paris, PUF, 2002 ; Solnon J.-F., La Cour de France, Paris, Fayard, 1987.
49 Sareil J., Les Tencin. Histoire d’une famille au dix-huitième siècle d’après de nombreux documents inédits, Genève, Droz, 1969 ; Pialoux A., Négocier à Rome au xviiie siècle, op. cit., p. 575 sq.
50 D’après l’Almanach royal de 1753, le revenu de l’archevêché s’élève à vingt-deux mille livres.
51 Il est d’ailleurs nommé archevêque de Lyon et primat des Gaules en 1740.
52 Dawson Nelson-Martin, « Le concile d’Embrun de 1727 : quelques aspects méconnus d’une démonstration d’autorité », Bulletin de la Société d’études des Hautes-Alpes, 1994, p. 117-143, et en particulier p. 125-126.
53 Il y a en effet cinq diocèses suffragants compris dans les limites du royaume en 1727, mais un autre siège échappe à la domination du roi, c’est celui de Nice qui relève pourtant de la province d’Embrun.
54 Guérin de Tencin P., Concilium provinciale Ebrebuni habitum ab illustrissimo & reverendissimo Domino D. Petro de Guerin de Tencin, miseratione Divina Archiepiscopo Principe Ebredunensi, Sancti Romanae Imperii & Tricamerario, Throno Pontificio Assistente, Regi ab omnibus Consiliis, Grenoble, P. Faure, 1728, p. 38-39.
55 Ibid., p. 41-42.
56 Loc. cit.
57 « Acte signifié à Monseigneur l’Archevêque le onzième Août, de la part de Monseigneur l’Évêque de Senez », dans Guérin de Tencin P., Concilium provinciale Ebrebuni, op. cit., p. 48-49.
58 Ibid., p. 56.
59 Ibid., p. 91, 95. Le 2 septembre, lors de la quatorzième congrégation particulière, l’évêque de Sisteron arrive au concile. Il est rejoint le 7 septembre par ses confrères de Gap, Marseille, Belley, Vence, Fréjus, Viviers, Apt et Grenoble.
60 « Discours du Promoteur du concile Guillaume d’Hugues à l’ouverture de la 15e congrégation générale du concile d’Embrun le 9 septembre 1727 », dans Guérin de Tencin P., Concilium provinciale Ebrebuni, op. cit., p. 106-107.
61 Ibid., p. 116-118.
62 Ibid., p. 120, 124, 127.
63 Ibid., p. 131-141, le texte a été inséré dans les actes du concile.
64 Ibid., p. 184-185.
65 Ibid., p. 176.
66 Ibid., p. 185-186.
67 Ibid., p. 204.
68 Lettre de Mgr Colbert de Croissy à Mgr de Tourouvre, évêque de Rodez, du 5 août 1727, dans Lettres de Colbert, op. cit., t. 1, p. 227-228.
69 Consultation de Messieurs les Avocats du Parlement de Paris au sujet du jugement rendu à Ambrun, contre M. l’évêque de Senez, s. l., 1728.
70 Lettre de Mgr Colbert de Croissy à Mgr de Tourouvre, évêque de Rodez, de septembre 1727, dans Lettres de Colbert, op. cit., t. 1, p. 233.
71 Lettre de Mgr de Quiqueran de Beaujeu à Mgr Soanen, du 8 octobre 1727 dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 280.
72 Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., p. 289.
73 BPR, CF 62 = 2, Lettre des cardinaux, archevêques et évêques au roi, au sujet du jugement rendu à Ambrun, contre M. l’évêque de Senez, s. l. [1727].
74 Lettre de trente-deux curés de la ville, fauxbourgs et banlieue de Paris à son Éminence le cardinal de Noailles, s. l., 1728.
75 Dainville-Barbiche S. de, Devenir curé à Paris, op. cit., p. 166.
76 Lettre des cardinaux, archevêques et évêques au roi, au sujet du jugement rendu à Ambrun, contre M. l’évêque de Senez, s. l. [1727], p. 1-2.
77 Ibid., p. 3.
78 La rumeur a fait l’objet de très nombreuses études. On citera en particulier Kaplan S., Le Complot de famine : histoire d’une rumeur au xviiie siècle, Paris, Éd. de l’EHESS, 1982.
79 BnF, B-2284, Recueil de pièces sur le concile d’Embrun, pièce n° 14, fol. 3, lettre de Mgr Guérin de Tencin, archevêque d’Embrun, à Mgr Le Bouthilier de Chavigny, archevêque de Sens, du 8 juillet 1727.
80 La formule a fait florès, mais elle n’est pas clairement identifiée. On trouve en revanche dans un prêche de 1643 du théologal Isaac Habert, l’expression « Calvin rebouilli ».
81 Lettre des évêques qui ont assisté au concile d’Embrun au Roi au sujet de celle que quelques Évêques ont écrite à S. M. contre ce concile, Grenoble, P. Faure, 1728, p. 2.
82 Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 92.
83 Nouvelles ecclésiastiques du 26 mars 1748, article de Paris, p. 1, col. 1-2.
84 Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 92-93.
85 Andurand Olivier, « La querelle janséniste à Tours : de l’appel à la reprise en main. Le diocèse et le chapitre métropolitain de Tours de 1714 à la reprise en main de Mgr de Camilly et de Mgr de Rastignac », art. cit. ; Maillard Ch., Le Chapitre et les chanoines de la « Noble et Insigne Église de Saint-Martin de Tours » au xviiie siècle (1709-1790), thèse d’histoire, univ. Bordeaux III, 2007.
86 BnF, Arsenal, fonds Bastille, ms. 10190, lettre de Mgr Chapt de Rastignac, archevêque de Tours, à M. Hérault, lieutenant de police, du 25 novembre 1730.
87 Nouvelles ecclésiastiques du 10 juin 1728, extrait d’une lettre de Tours (du 26 mai 1728), p. 58.
88 Lettre de Mgr Soanen à M. l’évêque de Montpellier, du 1er mars 1728, dans Gaultier J.-B., Vie et lettres de Soanen, op. cit., t. 1, p. 238-239.
89 Consultation des Avocats du Parlement de Paris, pour la cause de Monsieur l’Évêque de Senez…, s. l. n. d.
90 BPR, LP 438 = 9, « Lettre de Monseigneur l’Évêque de Senez à Messieurs les Avocats du Parlement de Paris », s. l., 1728. La lettre est datée du 5 janvier 1728 et est mise en exergue de la Consultation de Messieurs les Avocats du Parlement de Paris au sujet du Jugement rendu à Ambrun contre M. l’Évêque de Senez, Paris, s. n., 1728.
91 Consultation de Messieurs les Avocats du Parlement de Paris au sujet du jugement rendu à Ambrun, contre M. l’évêque de Senez, op. cit., p. 9.
92 Ibid., p. 11.
93 Ibid., p. 11-31.
94 Ibid., p. 33.
95 Leuwers H., L’Invention du barreau français, 1660-1830. La construction nationale d’un groupe professionnel, Paris, Éd. de l’EHESS, 2006, p. 213-215.
96 Consultation de Messieurs les Avocats du Parlement de Paris au sujet du jugement rendu à Ambrun, contre M. l’évêque de Senez, op. cit., p. 35.
97 Ibid., p. 72-92.
98 Ibid., p. 93.
99 Nouvelles ecclésiastiques du 10 juin 1728, article d’Épernay, p. 60 sq.
100 Coüet Marie-Emmanuelle, « Mgr Desmaretz, seigneur-évêque de Saint-Malo (1702-1739) : du jansénisme à l’orthodoxie », Histoire, économie & société, t. 18, n° 3, 1999, p. 467-487.
101 Hardy G., Le Cardinal de Fleury et le mouvement janséniste, op. cit., p. 96 sq.
102 Ibid., p. 96 : « Les douze évêques semblaient plus forts que Fleury. »
103 Lettre des Cardinaux, Archevêques et Évêques assemblés extraordinairement à Paris par les ordres du Roy pour donner à Sa Majesté leur Avis & Jugement sur un Écrit, qui a pour titre Consultation de Messieurs les Avocats du Parlement de Paris, au sujet du Jugement rendu à Embrun contre M. l’Évêque de Senez, Paris, Veuve Mazières & J.-B. Garnier, 1728, p. 6.
104 Ibid., p. 8.
105 Ibid., p. 9, 12-13.
106 Bélissa M., Bosc Y., Gauthier F. (dir.), Républicanismes et droit naturel : des humanistes aux révolutions des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Kimé, 2009.
107 Bourdin B., La Genèse théologico-politique de l’État moderne, Paris, PUF, 2004.
108 Lettre des Cardinaux, Archevêques et Évêques assemblés extraordinairement à Paris, op. cit., p. 30 (nous soulignons).
109 Ibid., p. 31.
110 Ibid., p. 46 sq.
111 Ibid., p. 95, 97.
112 Arrêt du Conseil d’État du Roi rendu sur le Vu de l’Avis & Jugement des Cardinaux, Archevêques Évêques assemblés extraordinairement à Paris…, Paris, Imprimerie royale, 1728, p. 10.
113 Le texte du bref est intégralement reproduit dans les Nouvelles ecclésiastiques du 8 juillet 1728, article d’Italie (mois de juin), p. 140-141. Et les Nouvelles d’ajouter ce commentaire après le texte pontifical : « Le Cardinal de Bissy disait ces jours passés en parlant de ce Bref : Si Paris ne s’y rend pas, Je n’y entends plus rien. »
114 Hardy G., Le Cardinal de Fleury et le mouvement janséniste, op. cit., p. 99.
115 Pardaillan de Gondrin d’Antin P. de, Mandement de Monseigneur l’Évêque duc de Langres, Pair de France, En envoyant à son Clergé la Lettre de Nosseigneurs les Cardinaux…, Langres, C. Personne, 1728, p. 3.
116 Ibid., p. 5.
117 Chaunu P., Foisil M., Noirfontaine F. de, Le Basculement religieux de Paris au xviiie siècle, op. cit., p. 195.
118 Lettre de Mgr Colbert de Croissy à Mgr Bossuet, du 24 mai 1729, dans Lettres de Colbert, op. cit., t. 1, p. 388.
119 Chaunu P., Foisil M., Noirfontaine F. de, Le Basculement religieux de Paris au xviiie siècle, op. cit., p. 199-200.
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