Présentation. Une perspective pluridisciplinaire

1Comme nous le rappelle sans cesse l’actualité (ainsi en septembre 2003 l’épineux dossier du sauvetage d’Alstom), les principes liés à la concurrence sont au cœur de la construction européenne et sont, tout particulièrement, défendus par la Commission. En même temps, les traités, à commencer par le traité fondateur de la CEE, indiquent qu’un niveau de protection sociale élevé est l’un des objectifs fondamentaux de l’intégration européenne. La conciliation entre la libre concurrence et la protection sociale est, de ce fait, l’un des enjeux clefs de l’intégration européenne, mais aussi l’un des plus problématiques, non seulement parce que les États-Providence européens se sont construits sur des principes telles que l’obligation et le monopole (public), tout à fait contraires à la concurrence, mais aussi parce que la protection sociale reste l’un des domaines où les compétences étatiques sont les plus fortes (et les plus fortement défendues). La conciliation entre la logique économique des marchés ouverts à la concurrence et la logique de protection sociale est de par là aussi un enjeu politique majeur puisqu’il renvoie à la capacité des États à prendre en charge les risques sociaux auxquels sont exposés leurs ressortissants.

2Une telle question suppose d’adopter résolument un angle d’analyse pluridisciplinaire afin d’appréhender les différentes dimensions des articulations multiples entre concurrence et protection sociale dans le cadre de l’Union européenne. Trois dimensions peuvent être mises en avant. Il s’agit tout d’abord de la dimension juridique. En effet, les principes liés à la libre concurrence et au marché occupent une place fondamentale dans le droit communautaire (C.-T. Barreau), que ce soit dans le droit originel des traités et dans celui, dérivé, de la Cour de Justice des Communautés européennes. Et c’est tout particulièrement dans la très abondante jurisprudence de celle-ci que se joue l’articulation entre la protection sociale et le droit de la concurrence (S. Hennion-Moreau), notamment à propos de la libre prestation des services (F. Kessler et J.-P. Lhernould). L’impact du droit communautaire sur les systèmes de protection sociale est notable pour les mutuelles (M. Del Sol) et pour les régimes professionnels de retraite (D. Gadbin). Il l’est également, de manière plus indirecte, sur les réformes du financement de la protection sociale (B. Friot) et des systèmes de protection maladie (P. Hassenteufel).

3La deuxième dimension de l’articulation concurrence et protection sociale est économique. La libre concurrence n’est pas seulement un principe juridique aux effets multiples mais aussi un processus économique. Elle s’inscrit dans un processus plus général de convergence croissante des économies européennes, sous l’effet de la construction du marché unique, puis de l’Union économique et monétaire. Cette dynamique économique conduit à des transformations de plus en plus convergentes des systèmes de protection sociale, notamment en termes de maîtrise des dépenses, de baisse des taux de couverture publique, de renforcement de l’équivalence entre contributions et prestations, d’activation des minima sociaux… (A. Lechevalier). L’intégration économique et monétaire a également des effets de convergence sur les marchés du travail et la formation des salaires (S. Tanguy).

4La troisième dimension est politique et renvoie principalement aux mobilisations d’acteurs au niveau européen. Elles traduisent un changement d’échelle d’action politique et l’émergence croissante d’acteurs européens pour les enjeux de protection sociale, en particulier dans le domaine des retraites (A. Math). Les acteurs porteurs d’une logique de concurrence au niveau de la protection sociale agissent aussi parfois à des niveaux supra-nationaux, comme c’est le cas pour l’Organisation mondiale de la santé qui a, peu à peu, épousé les grilles de lectures économiques en matière de protection maladie. Elle en vient, ainsi, comme l’OCDE et la Commission européenne, à prôner des réformes passant par la mise en place de mécanismes de concurrence (F. Pierru).

5La diversité des enjeux de l’articulation entre concurrence et protection sociale nécessite donc de combiner au moins trois grands types d’approche : l’approche juridique, l’approche économique et l’approche de science politique. C’est ce que nous faisons dans cet ouvrage. Il fait suite à un colloque, pluridisciplinaire et international, organisé conjointement par le Centre de recherches sur l’action politique en Europe (CRAPE-UMR CNRS 6051) et par l’Institut de l’Ouest : Droit et Europe (IODE-UMR CNRS 6050) qui s’est tenu à l’Université de Rennes 1, en octobre 2001, dans le cadre de l’IREIMAR (FR CNRS 07).

6L’ouvrage est divisé en trois parties. La première s’interroge, de manière générale, sur l’articulation entre les dynamiques de concurrence (au niveau juridique et économique) et les systèmes de protection sociale dans leur ensemble. La deuxième partie porte plus spécifiquement sur les enjeux liés au vieillissement : systèmes de retraites et prise en charge de la dépendance. Si l’impact du droit communautaire et de la mobilisation des acteurs au niveau européen conduisent à une libéralisation progressive des systèmes de retraite, cette dynamique est moins nette pour la vieillesse dépendante (T. Frinault). La dernière partie porte sur la protection maladie pour laquelle l’européanisation se traduit par une libéralisation progressive qui a cependant des traductions nationales différentes (M. Bellanger). Ainsi, en Allemagne, elle prend la forme de la mise en concurrence entre caisses d’assurance maladie (O. Kaufman).

7Cet ouvrage n’aurait pas vu le jour sans le soutien de différentes institutions que nous remercions vivement : l’Université Rennes 1, la Faculté de droit et de science Politique, l’IREIMAR, le CNRS, l’Institut d’Études Politiques de Rennes, la ville de Rennes, Rennes Métropole, le Conseil régional de Bretagne, le Conseil général d’Ille-et-Vilaine. Last but not least, ce livre doit énormément à Marylène Bercegeay qui a effectué, avec une vigilance de tous les instants et un grand professionnalisme, l’irremplaçable travail de relecture et de mise en forme de ce livre.