Préface
p. 7-9
Texte intégral
1Alors que tant d’hommes, de femmes et d’enfants se trouvent, à nouveau, sur les dramatiques routes de l’exil, situation à laquelle les Européens ont tant de difficultés à apporter une réponse juste, commune et efficace, le Comité d’histoire de l’Ofpra nous invite utilement à revenir sur le moment de l’invention en France, en 1952, de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), indissociable de la mise en œuvre de la convention de Genève de juillet 1951.
2Ce retour vers cet acte de naissance éclaire les défis auxquels est aujourd’hui à nouveau confronté l’Office. Il nous rappelle, si besoin était, aux exigences qui doivent sans cesse nous guider.
3Comme le montrent Dzovinar Kévonian, en mettant au jour la présence des juristes et diplomates impliqués dans la protection des réfugiés entre 1942 et 1955, Anouche Kunth, à travers l’exil arménien en France, Mirian Méloua avec l’exil géorgien et Aline Angoustures en revenant sur l’exil espagnol, l’invention de l’Ofpra en 1952 est à la fois une rupture et une certaine forme de continuité avec la mise en place dans les années 1920 et 1930, d’Offices nationaux de protection gérés par les réfugiés eux-mêmes.
4Le choix fut alors fait en 1952, avec la création de l’Ofpra, d’une prise en charge directe de la mission de protection par une instance publique, nationale et unique, même si l’Ofpra intégrera alors des réfugiés qui œuvraient auparavant dans les Offices nationaux.
5Si la contribution de Karen Akoka montre, par contraste avec de précédentes études, que le questionnement demeure sur ce que furent les motivations profondes de la création en 1952 d’une autorité publique nationale en charge de la détermination des statuts de protection, celle de Greg Burgess rappelle que la virulence des débats qui l’accompagnent ne fait aucun doute.
6Cette « nationalisation » de la politique de l’asile suscita notamment l’hostilité de Daniel Mayer, au nom de l’attachement au droit international des réfugiés. Frédéric Tiberghien revient sur les conditions de mise en place du cadre juridique et institutionnel de l’Ofpra durant cette période. Quant à Frank Caestecker, il rappelle que l’Ofpra hérita alors des premiers éléments du droit international des réfugiés construit avant-guerre et à l’issue de la guerre : le principe, qui demeure fondateur, de non-refoulement, mais aussi l’exclusion, visant initialement des collaborateurs du régime nazi. Cette exclusion, prévue par la convention de Genève, constitue aujourd’hui encore l’une des pierres angulaires du droit international et de la mission de l’Ofpra pour exclure du bénéfice de la protection les auteurs de crimes contre l’humanité, de génocide, de guerre et de terrorisme. Ces dispositions sont désormais utilement conjuguées, dans le cadre fixé par la loi asile du 29 juillet 2015, avec la compétence universelle de la justice française pour la lutte contre l’impunité des auteurs de tels crimes.
7Les débats qui entourèrent l’invention de l’Ofpra, et singulièrement les préventions de Daniel Mayer, éclairent la nature toujours hybride de l’Office au regard des politiques nationales – l’Office est une institution nationale – insérée comme le montre Jin-Hee Kang dans un réseau d’acteurs et de structures qui ont pour mission l’assistance sociale et l’insertion par le travail des réfugiés – et du droit international – qu’il met en œuvre avec la convention de Genève. Il s’y ajoute de plus en plus une dimension européenne avec notamment la protection subsidiaire et les générations successives de directives européennes de l’asile, dont les dernières sont mises en œuvre en France par la loi de juillet 2015.
8Cette double nature apparaît notamment à travers la place dévolue au Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), institution qu’évoque Gilad Ben-Nun, dans ce dispositif. Le HCR est ainsi membre du conseil d’administration de l’Ofpra et s’associe dans le cadre de la profonde réforme de l’Office engagée en 2013 – qui lui permet notamment d’être désormais et de loin la principale autorité de reconnaissance des protections en France – à un contrôle de qualité régulier de ses décisions. Les débats récents sur l’asile en Europe ont encore montré l’existence d’une « famille de l’asile », au sein de laquelle des autorités de détermination des statuts de protection sont soudées par la mise en œuvre de la convention de Genève, dont le HCR est un membre éminent.
9Le travail de Greg Burgess souligne cette double filiation de l’Ofpra, au croisement de l’héritage républicain français – depuis les proclamations de la Convention en 1792 en passant par le préambule de 1946 et jusqu’aux innovations les plus récentes en matière d’asile constitutionnel sur lesquelles Patrick Weil insiste par exemple souvent – et du droit international.
10De ce fait, avec le choix de l’invention de l’Ofpra en 1952, se pose de manière récurrente la question de l’indépendance de l’institution au regard des enjeux politiques, diplomatiques et migratoires nationaux – et de plus en plus européens. Ce questionnement apparaît notamment dans la contribution de Victor Pereira sur l’exil portugais en France, qui pourra faire l’objet d’éclairages complémentaires à l’avenir.
11De nombreux travaux évoquent plus ou moins directement ce questionnement auquel l’article 7 de la loi du 29 juillet 2015 apporte une réponse novatrice en posant pour la première fois explicitement que « l’Office exerce en toute impartialité ses missions […] et ne reçoit dans leur accomplissement, aucune instruction ». Cette exigence d’indépendance fonctionnelle de l’Office relève d’une bonne application du droit, mais aussi de la spécificité d’une institution nationale en charge de l’application du droit international.
12L’Ofpra a ainsi pour obligation, désormais de manière explicite et légale, de mettre en œuvre le droit d’asile hors de toute autre considération – laissant naturellement ouverte la réflexion sur la manière dont de façon plus diffuse des enjeux de différentes natures pourraient au plan sociologique concerner le fonctionnement de l’Ofpra comme de toute administration publique ou de toute organisation sociale. Le champ de la recherche en la matière reste vaste et l’on ne peut qu’inciter les chercheurs à l’investir pleinement.
13Au moment où la dimension européenne de l’asile prend de l’ampleur, il paraît indispensable que ces exigences d’indépendance des autorités de détermination à l’égard de toutes autres considérations que celles relevant du droit d’asile, s’imposent aux institutions européennes, surtout si le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) ou une future Agence européenne de l’asile devaient à un titre ou à un autre se voir confier une influence, un rôle, voire des prérogatives dans l’examen des demandes de protection.
14Comme on pourra le constater avec cet ouvrage, ce retour sur l’invention de l’Ofpra est une nouvelle manifestation du dynamisme de la recherche autour des archives de l’Office depuis leur ouverture en 2009/2010. Sylvain Manville et Pascal Even montrent aussi que d’autres sources existent pour la recherche sur les questions d’asile.
15Toutes méritent d’être plus explorées, notamment pour approfondir de premiers constats qui devraient susciter de nouveaux éclairages, comme par exemple ce qui concerne la période de l’Occupation et le rôle, encore méconnu et incertain, du Bureau chargé des intérêts des apatrides pendant la période de Vichy ou encore le rôle de l’Ofpra dans l’indemnisation des déportations et des victimes de la Shoah comme le montre Jean-Marc Dreyfus.
16Ces recherches, qu’elles concernent le sort et le devenir des demandeurs d’asile et des réfugiés, le fonctionnement de l’institution ou l’action collective ou individuelle de ses agents au cours des années, nous sont d’un éclairage précieux au moment de relever les défis de la protection des réfugiés en application de la tradition républicaine, du droit européen et de la convention de Genève.
Auteur
-
Pascal Brice
Né le 24 septembre 1966 à Nantes (France). Il est diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, titulaire d’un DEA d’Économie et ancien élève de l’École Nationale d’Administration. Diplomate, il a longtemps participé aux négociations au sein de l’Union européenne et a été en poste au Maroc et consul général de France à Barcelone. Il est ministre plénipotentiaire. Ancien collaborateur des ministres des Affaires étrangères Hubert Védrine (200-2002) et de l’Économie et des finances Pierre Moscovici (2012), il a été rapporteur à la Cour des Comptes (2010-2012). Il a été nommé directeur général de l’Ofpra en décembre 2012 et renouvelé en décembre 2015 pour un nouveau mandat.
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