1Les Messieurs du parlement de Metz composent et font vivre une institution du royaume de France créée pour arrimer une province et renforcer la politique expansionniste du roi aux frontières. Ce monde se trouve aux portes des États de Lorraine, repris en main par le duc Léopold. Or, ce parlement a toujours été très ouvert à des candidats de toutes origines, grâce à un accès plutôt facile à ses fonctions et au caractère de tremplin procuré par celles-ci, caractéristiques confirmées par l’existence de deux « cours semestres » – ainsi sont-elles appelées1 – alternant tous les six mois, multipliant le nombre de charges et rendant l’exercice moins contraignant pour les non-Messins.

2La découverte d’un flux régulier de Lorrains des duchés vers ce parlement aiguise la curiosité. Car si le phénomène peut sembler naturel tant les deux Lorraines sont imbriquées, tant les frontières d’Ancien Régime sont, ici plus qu’ailleurs, peu sensibles, tant les relations, les alliances matrimoniales, la vie dans le monde et les liens économiques rapprochent, il reste qu’il n’allait pas de soi. En effet, nous sommes en présence d’États distincts ; or, il s’agit ici d’entrer et de sièger dans un corps du royaume de France. En outre, les duchés ont leurs propres cours souveraines. De plus, il est constaté que certains hommes accèdent au parlement de Metz après avoir servi une Lorraine indépendante, que d’autres ont approché les princes – et si ce ne sont eux, ce sont leurs pères ou de proches parents – ou bien encore ont, par le mariage et les alliances, une proximité avec le milieu aulique ducal. Il nous faut donc donner une idée de ce flux, des cas de figure essentiels rencontrés et, par la connaisssance acquise sur les hommes et les familles, tenter de comprendre et se poser la question du rapprochement des duchés de la France puisque leur basculement vers le royaume s’est opéré au xviii^e siècle.

Le flux des Lorrains vers le parlement de Metz

3Une idée du flux des candidats admis au parlement peut être donnée, en sachant la difficulté qu’il y a toujours à classer un groupe selon les origines, tant les personnes peuvent être déjà établies, d’autres être natives du lieu mais d’une souche extérieure, sans compter les aléas des parcours individuels. Il semble que 188 candidats aient été reçus dans le corps du parlement de Metz du temps de Léopold, donc sur trente et une années. Si vingt et un viennent tout droit des duchés, outre un dont le père est un Breton récemment établi, vingt-deux autres sont déjà fixés dans les Évêchés mais de famille lorraine : ensemble, ils représentent donc une proportion de près d’un quart.

4Les cas de figure rencontrés sont de quatre types. Le premier est celui de parlementaires messins recevant des bienfaits du prince lorrain ; le second cas est celui des hommes dont ce sont les pères qui ont reçu grâces ou récompenses et qui se tournent vers le parlement de Metz dès le règne de Léopold ou au-delà, le troisième correspond à ceux dont les parents et alliés ont fréquenté la cour ducale et le dernier à ceux qui, issus de familles lorraines enviées, accèdent à ce parlement.

5Le premier cas ne concerne que quelques personnages. Le conseiller Louis-Ignace Rehez d’Issoncourt se démet de sa charge au parlement de Metz en 17082, est fait conseiller d’État de Lorraine puis secrétaire d’État, surintendant des finances et garde des Sceaux du prince de Vaudémont à Commercy, Léopold lui accordant en 1712 de flatteuses lettres d’érection en comté de sa seigneurie de Sampigny3. Il y a aussi le conseiller des requêtes puis garde des Sceaux Charles Lamy de Châtel, qui reçoit des lettres de baron en 1726, ou encore le conseiller François-Joseph Gauthier de Vigny, qui se retire en 1728 alors qu’il est fait conseiller d’État de Lorraine4…

6Le second cas est illustré par deux hommes précieux pour le duc Léopold, du même âge, et anoblis pour services éminents. L’un est Louis de Barbarat, fermier général de Lorraine, l’autre est Dominique Anthoine, banquier et trésorier du duc. Ils sont pourvus le même jour, 23 août 1719, de deux offices alternatifs héréditaires de conseiller d’État entrant au Conseil, trésorier général des finances – la considérable finance, selon les lettres données le 9 août, « employée à la construction et au restablissement de nos palais et château de Nancy et de Lunéville5 ».

7Leurs fils accèdent plus tard au parlement de Metz. Louis de Barbarat a le contrat de son mariage – sur le tard – du 14 septembre 1704 signé par Léopold6. Il est gratifié de lettres de noblesse trois jours plus tard7. Jadis receveur des salines de Dieuze, puis directeur des salines de Lorraine, il est découvert dans un acte passé devant un notaire messin le 5 novembre 1697 – période charnière – « directeur général des domaines et gabelles de Lorraine et Évêchés », donnant procuration pour compter avec les sous-fermiers de dix-sept villes8. Dominique Anthoine, lui, est issu de famille de marchands nancéiens mais une de ses sœurs est mariée à un conseiller au parlement de Metz9.

8Plus proche à certains égards, Claude-Marc Magny, ancien de l’académie royale de danse fait maître de danse des princes, homme de chambre de Léopold, remarié en 1721 à la fille du maréchal des logis de la cour10, est anobli en 1725 et son fils accèdera au parlement de Metz en 1759. Georges Brouet, lui, intendant du prince de Craon puis secrétaire des commandements de Léopold, vend fort cher en 1727 sa maison du faubourg d’Allemagne à Lunéville pour en faire une dépendance du château, vente traitée avec égards11 et, neuf ans après, il est reçu au parlement de Metz dans la charge de l’oncle de son épouse12.

9Le troisième cas est celui de la puissante famille messine Le Goullon : la fille du procureur général au parlement Charles Le Goullon, Anne, épouse Charles d’Ourches – alliance durable avec la maison d’Ourches qui se perpétuera par les nièces tandis qu’un neveu revêtira une charge de chambellan du roi Stanislas13. Le contrat de mariage est passé le 1^er mars 1710 vers midi au château de Cercueil en présence du « bon ami » du futur, le conseiller-chevalier d’honneur au parlement de Metz Jean-Louis de Bonnefoy, et signé le jour même au château de Lunéville par leurs altesses royales de Lorraine14. On trouve plusieurs personnages du parlement ayant eu des liens avec la cour de Léopold. Ainsi, les Tschoudy, avec le contrat de mariage l’après-midi du 31 décembre 1723, au château de Lunéville et en présence des princes, de Christine-Louise Rouault d’Assy et Claude-Henry de Tschoudy, officier pour le service de France qui a acquis une charge de conseiller-chevalier d’honneur au parlement15. On peut citer Jean-Louis de Bonnefoy, déjà rencontré, officier supérieur au régiment de la Couronne, blessé au service et reçu conseiller-chevalier d’honneur au parlement le 24 mai 1710. Allié à de grandes familles, marié à Nancy, figure messine très respectée, sans enfants à son décès, il confie par son testament du 1^er avril 1727 les titres de famille à un parent à Lunéville :

« Comme je n’ay point d’autre parent dans ce pays-cy de mon nom que M. [Charles] de Bonnefoy, capitaine au régiment des gardes de M. le duc de Lorraine et ayde-major de Lunéville, qui est loin d’où je réside, je prie M. le Président de le faire avertir de venir chercher tous les titres qui se trouveront de noblesse que je le prie de luy remettre avec une aiguière d’argent du poids de 6 marcs qui n’est point armoriée, que je prie mondit cousin d’accepter à cause de l’estime et de l’amitié que j’ay toujours eues pour luy16. »

10Pierre Charpentier, lui, est bénéficiaire de lettres de baron données à Lunéville en 1736, ses lettres de président à mortier délivrées à Versailles en 1741 rappelant ses services après ceux de son père dans la réformation des eaux et forêts de Lorraine sous Léopold – qui avait anobli le père en 1714. En outre, son mariage en 1733 l’unit à la fille d’un officier qui devient capitaine des gardes de la duchesse douairière… un beau-père que l’on retrouve dix-huit ans plus tard, après le décès de sa fille, au remariage de son gendre avec une veuve de son âge, la présidente de Barbarat17. Il y a encore les Dutertre, avec un Nicolas Dutertre, Breton surgissant dans les fermes de Lorraine18, fait secrétaire du cabinet de Léopold tout en continuant à prendre bail dans les magasins à sel par prête-nom19, qui reçoit en 1711 des lettres de noblesse flatteuses mentionnant son fils Charles et ses qualités intellectuelles20, fils pourvu de charges à Bar, marié en 1717 à la fille du procureur général de la chambre de Bar21 et qui entre en 1723 au parlement de Metz. Dès lors, les Dutertre ne cessent de se partager entre leurs possessions dans le Barrois et Metz où ils résident et se succèdent au parlement sur trois générations, coiffent le mortier de président pour, plus tard, accompagner les projets industriels des Wendel.

11Le dernier cas est illustré par Antoine de Gourcy, parangon de la vieille noblesse lorraine, dont le père reçoit le 22 décembre 1713 des lettres l’élevant, avec chacun de ses descendants, à la qualité de comte22. Fils aîné, il a pris ses grades à l’université de Pont-à-Mousson en 1695 et 169623 et, au temps normal, est reçu au parlement de Metz le 20 septembre 1698 avec une banale petite dispense de l’âge requis24. Son frère puîné, Joachim, officier, épouse en 1714 à Lunéville la fille du comte du Hautoy, première fille d’honneur de la duchesse de Lorraine25. Lui-même, veuf, s’est démis de sa charge messine en 1715, se fixe à Étain, fait un second mariage en 1719 ; le contrat est passé au château de Lunéville, signé par les princes avec la gratification d’une pension et, au bas, les signatures d’une dizaine des plus grands noms des duchés26.

12En fait, bien des membres du parlement de Metz dans les années suivantes, hésitant parfois avec la Cour souveraine de Lorraine, ont eu un parent récent ayant reçu des bienfaits des princes, tant à Lunéville qu’à Commercy, à l’exemple de Nicolas-Joseph Doré, fils d’un anobli de Léopold, siégeant à partir de 1740, ou Nicolas Le Chartreux, dont l’aïeul a été anobli, reçu substitut en 1728 puis conseiller en 1738, comme Dominique Liabé, respectivement en 1739 et 1745, fils d’un précieux commensal de la douairière27. En ont aussi bénéficié au temps de Léopold, puis de la duchesse douairière à Commercy, le clan familial Cogney-Régnier et les Tailfumyr.

13Aux Tailfumyr, famille issue de maîtres de forges, anoblie par les Damoiseaux, la fortune, au sens propre comme au figuré, vient de cette sorte d’apanage de Commercy28. La branche cadette s’établit à Metz. Quatre personnages siégeront au parlement. Le premier, Charles, né à Commercy en 1626 et décédé à Saint-Mihiel en 1704, déroule un parcours heurté significatif. Il est tour à tour en charge à la chancellerie de Metz, lieutenant général au bailliage de Bar et procureur du roi à celui de Saint-Mihiel, conseiller en la Cour souveraine de Lorraine en 1667 puis au parlement de Metz en 168429, cédant sa charge à son fils en 1690 contre des lettres d’honneur mais revenant en mai 1698, à l’âge de soixante-douze ans, en la Cour souveraine lors du rétablissement dans ses États de Léopold – et décédant conseiller d’État. Son fils, Dominique-Hyacinthe de Tailfumyr, né à Saint-Mihiel en 1664, accédant au parlement de Metz en janvier 1691, se fixe dans cette même ville où il s’est marié, devient veuf tôt, résigne sa charge dans sa soixante-quinzième année et décède treize ans plus tard en 1753. Le 19 août 1712, quand survient le décès du cousin germain, Jean-Nicolas de Tailfumyr, conseiller d’État, gouverneur de la ville et principauté de Commercy, laissant trois mineurs – l’aîné étudiant à Paris – avec des biens en Picardie hérités de leur mère et une transaction de leur père avec son beau-frère le marquis d’Haraucourt, le président se rend sur place. Il rédige à Commercy le 12 septembre 1712 une déclaration en forme de récépissé, annexée à l’inventaire au décès, qu’il intitule :

« Inventaire des titres de noblesse que j’ay en despost, conformément à l’ordonnance apposée au bas de l’élection de tuteur et curateur aux enfans de feu M. de Tailfumyr de La Hayville, gouverneur de Commercy, lesquels je promets rendre à M. son fils lorsqu’il sera en majorité comme fils de l’aîné de ma famille30. »

14Second de la branche cadette, assidu à la cour, prétendant malheureux à la première présidence du parlement de Metz, ce préfet de la congrégation jésuite dans une cour gallicane passe pour un fort caractère élevant ses fils avec exigence, fils brillants et coiffant le mortier l’un et l’autre31.

15Il faut compter enfin ceux qui ont eu un ancêtre anobli par l’un des ducs de Lorraine successifs, tels François Huyn reçu conseiller en 1698 et Jean-François Dubois de Hoéville en 1708, Charles-Philippe Racle conseiller des requêtes en 1715, Pierre Thévenin conseiller-clerc en 1715 ou Jean-Louis Thibault de Ménonville conseiller en 1717, outre les nobles lignées parlementaires, présentes sur un siècle, des Durand, Jobal, Martin de Julvécourt et Pierre.

16Avec ces éléments, tentons de découvrir les ressorts, d’éviter les pièges et élargissons la réflexion.

L’accès à deux cours souveraines voisines

17Ce que nous savons de la facilité d’accès au parlement de Metz et, à l’inverse, de la condition d’état noble exigée par la Cour souveraine de Nancy32, des avantages du service semestre et du grand nombre de charges à Metz, de leur rotation importante qui en rend disponibles sans cesse, tout cela pourrait conduire à des conclusions hâtives. Nous avons l’exemple Grandemange. Il serait tentant d’expliquer l’achat d’un office au parlement de Metz en janvier 1706, pour son fils aîné Joseph, par un capitaine-prévôt, juge et maire de Saint-Nicolas ambitieux33. Le père reçoit un an plus tard des lettres de noblesse vantant ses services dans ses fonctions et en diverses commissions34. Le fils aîné au parlement de Metz décède soudain en charge en octobre 1708. Le cadet, Nicolas-François, entre à la Cour souveraine lorraine – fermée aux roturiers35. Gardons-nous de conclure que l’accès au parlement de Metz de l’aîné était dû à cela. D’autres raisons ont pu jouer. Un parfait gentilhomme lorrain peut, à rebours de ce préjugé, choisir le chemin de la cour messine. François Pinguet de Suzémont n’a-t-il pas un frère de son aïeul qui avait reçu reconnaissance du duc de Lorraine de cinq degrés depuis l’établissement dans ses États36 ? Enraciné dans le pays de Briey, François Pinguet occupe des offices de judicature locaux successifs, épouse en 1687 la veuve et héritière du seigneur et maître des forges de Fontoy et accède au parlement en 1690. Et s’il est reçu au conseil souverain de Lorraine en 1702, nous découvrons qu’il avait acquis une charge de procureur général au parlement de Metz le 11 août 1700 avant de la rétrocéder le 21 octobre suivant : l’échec à obtenir l’agrément a pu décider le choix lorrain37. Notre candidat malheureux devient conseiller des finances et des bois de Lorraine, conseiller d’État, tandis que sa fille épouse le jeune avocat général de la cour souveraine Jean-Baptiste Bourcier, assisté du procureur général choisi par Léopold, Jean-Léonard Bourcier38. D’autres cas sont assez voisins.

Les relations avec la cour ducale et les princes

18Il ne faut pas sous-estimer les relations avec la cour ducale et les princes. En témoigne le journal tenu à Metz par le chevalier de Belchamps, fils et beau-frère de conseillers au parlement, si bien informé sur le monde évêchois, si libre de ton et si fiable – dont les informations sur nos personnages ont été soumis au tamis le plus serré. L’intendant de la généralité de Metz nommé l’été 1720 – et qui reste en fonction très longtemps – le marquis de Creil, veuf, donne chaque hiver à l’Intendance des fêtes. Ainsi le 26 janvier 1725, « il y a eu grand bal chez M. l’Intendant. Toute la ville y a esté invitée. M. le duc de Guise39 (de la maison de Lorraine) et M. le chevalier de Saxe y sont venus. Il y a eu un pharaon. M. Goussaud [jeune conseiller au parlement de Metz] a gagné 50 louis40 ».

19Le jour de la Saint-Léopold 1725 voit notre intendant de Metz partir complimenter le duc de Lorraine – et plaider pour une fourniture en blé des Trois-Évêchés, bien éprouvés par une mauvaise saison41. L’été 1727, il est au camp des troupes royales face à un camp des Impériaux proche de Luxembourg, avec le tout nouveau commandant en chef des Évêchés, Belle-Isle. Il y tiendrait table ouverte, recevant la visite du duc de Lorraine en personne, qui « fait présent à M. de Belle-Isle d’une tente de dix-sept mille livres que feu le prince Charles avoit prise sur les Turcs42 ».

20Enfin, on prétend que le duc Léopold aurait offert en vain en 1727 la première présidence de la Cour souveraine au président à mortier du parlement de Metz Godefroy Pierre, homme très considéré et qui serait issu d’une famille de l’Argonne lorraine43. Les deux fils de ce dernier seront à leur tour des figures de proue du parlement et entretiendront des amitiés dans les duchés et leur cour.

21Nous avons évoqué les titres universitaires du conseiller de Gourcy. Or l’université lorraine mêle les noms évêchois et lorrains qui nous concernent, au parcours des registres de promotions aux grades ou d’enregistrement des actes de baptêmes des étudiants44.

22C’est en déroulant le fil de la famille Barbarat, probablement la plus riche du parlement de Metz, que l’on décline bien des thèmes mis en valeur par cet ouvrage : un fermier général, Louis de Barbarat, homme neuf, a toute la confiance du nouveau duc de Lorraine. Il épouse à Lunéville la fille du secrétaire du cabinet de ce prince Paul Protin, anobli en 1700 pour des services rendus notamment « en cour de France45 ». Il laisse un fils unique qui épouse en 1728 Marie-Anne-Agathe-Rose, fille de l’Aragonnais Michel-Jérôme de Ponze, diplomate servant ses princes, l’un électeur de Trèves, l’autre duc de Lorraine46 – et nièce du gouverneur des pages de Léopold, Philbert de Biderstroff47. Ce fils unique, Claude-Georges de Barbarat, accède au parlement de Metz dans les années 1730. Il décède jeune, laisse une veuve de forte personnalité qui va présider aux destinées d’une famille qui ne cesse de s’allier à de grandes maisons de Lorraine et se partage entre Metz, le château d’Arry du val de Moselle – à mi-chemin de Metz et de Pont-à-Mousson – et celui de Brabois, près de Nancy. L’enracinement lorrain, conjugué à l’accès, puis à la fidélité au parlement de Metz, la vie – si l’on ose dire – à cheval sur les Évêchés et les duchés, tout ceci en soi intéressant, doit être compris avec le point de départ qui est la reconnaissance par le prince d’un serviteur éminent, Louis de Barbarat, auquel il est fait appel en toutes circonstances, les archives en donnant témoignage, comme lorsque la ville de Nancy lui emprunte sans intérêts dans son manque de blé cruel au grand hiver 1709 ou bien lorsque le souverain fait appel à lui en 1721 pour sortir de la catastrophe de la compagnie de Lorraine établie en 172048. Sa fortune, recueillie par son fils unique le président Claude-Georges de Barbarat, est composée d’une masse de créances sur les plus grands noms de la cour ducale et de seigneuries considérables avec forêts et forges49. Or, dans un autre clan familial, le conseiller Pierre de Cogney, son frère officier au service de Lorraine, la veuve, le gendre le conseiller Jacques Régnier, les premiers lorrains et le dernier évêchois de Toul, fidèles au parlement messin, établis à Metz et Arry, ont soin à distance de leurs fiefs des montagnes vosgiennes pour lesquels les princes lorrains successifs sont bienveillants50, comme d’ailleurs ils le sont pour l’ancien conseiller Louis-Ignace Rehez d’Issoncourt51 et les intérêts industriels des présidents de Tailfumyr en pays de Commercy et, plus tard, en Sarre.

La mention des services rendus en Lorraine dans les lettres de provisions

23Il reste qu’une étude attentive des registres de provisions du parlement, en y exerçant un esprit critique, prenant en compte leur plus grande prolixité au fil du temps et l’habitude des tournures d’usage qui sont le lot commun, laisse songeur. Les lettres octroyées de Versailles aux Lorrains entrant au parlement de Metz sont discrètes au temps de Léopold, a fortiori s’ils avaient servi dans ses États, ou leurs pères ou leurs ancêtres, en comparaison de celles qui sont données à des sujets du royaume ayant exercé en d’autres provinces ou cours. En effet, lettres de provisions, de dispenses diverses en vue d’une réception, en cours de fonction ou bien d’honneur, soulignent habituellement, ici et là, des services passés. Nous connaissons les Tailfumyr, la branche aînée à Commercy et la cadette à Metz et son parlement. Or, les lettres de provisions d’une présidence à mortier au fils aîné du second de la lignée, Charles-François-Dieudonné, en 1733, si elles sont flatteuses, demeurent silencieuses sur les services rendus hors du royaume :

« Suivant les exemples de vertu que luy ont laissés ses ancestres et qu’il trouve dans la personne de nostre amé et féal le sieur Dominique-Hyacinthe de Tailfumyr son père, second président en nostre dite cour de Parlement, il augmentera encore l’estime que nous faisons des services de sa Maison et la haute réputation qu’elle s’est acquise dans tous les temps52. »

24Plus tard, en 1742, alors que la dynastie lorraine a quitté ses États qui glissent vers la France, les plumes trouvent les mots, que l’on cherchait durant trois décennies, pour les lettres de provisions, par exemple, de Claude-Georges de Barbarat :

« Que nous trouvons en luy de sûrs garants de son affection pour notre service et celuy du public, animé par les exemples du sieur Louis de Barbarat de Mazirot son père, lequel a remply pendant près de vingt-cinq années sous les règnes des deux derniers ducs de Lorraine une place de conseiller d’Estat avec l’exactitude, l’affection, la vigilance et le zèle que l’on pouvoit attendre53. »

25Quand Charles-Henri-Ignace de Bousmard se présente, ses lettres de provisions données le 1^er août 1744 sont explicites :

« Sur les témoignages avantageux qui nous ont esté rendus […] et pour récompenser les services que rend actuellement à nostre très cher et très amé beau-père le roy Stanislas, roy de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, le sieur Charles-François de Bousmard son père en qualité de conseiller d’Estat et ceux qui ont esté rendus aux anciens ducs de Lorraine par ses ayeul, bisayeul et trisayeul dans les places de maîtres des requêtes et de conseillers54. »

*

26Ainsi, nous réalisons l’importance et le sens du flux des Lorrains vers un parlement de Metz si ouvert et d’une offre de charges si généreuse. Il n’allait pas de soi que tant de familles aient des relations à Lunéville ou aient reçu des bienfaits des ducs de Lorraine, voire même qu’elles aient des liens avec leur cour. Certains hommes du parlement évêchois ont hésité ou ont alterné les services dans les cours souveraines de Metz et de Lorraine, si proches et si concernées l’une par l’autre au fil des soubresauts de l’Histoire.

27Comment ne pas faire une nouvelle fois la réflexion que le duc Léopold a eu grand besoin d’hommes plein de talents et de zèle pour reconstruire ses États, les mettre en valeur, et qu’il a disposé de divers moyens pour les encourager et les récompenser : lettres de noblesse, brevets de conseillers d’État, agréments manifestés à des mariages et d’autres grâces distillées ? L’œuvre de Léopold se lit également dans les facilités accordées aux initiatives industrielles et, précisément, bien des Messieurs du parlement de Metz ont eu des opportunités, parfois héritées, ou ont conçu des projets sur une carte industrielle qui se joue des frontières de ces États imbriqués. Il est enfin permis de penser que les duchés se relevant d’un siècle terrible ont été confrontés à un autre défi, celui de la reconfiguration de la noblesse de service. Or, à leurs portes, le parlement de Metz offre un nombre de charges considérable, disproportionné à son modeste ressort. Il est établi dans une cité qui est alors la plus peuplée du quart nord-est de la France, pourvue d’une gamme d’institutions rarement aussi complète, souvent traversée par des princes français ou étrangers et proche des frontières.

28À partir d’une institution étrangère aux duchés et sans lien évident avec la cour de Lunéville, il a été possible d’offrir un modeste regard sur un éventail de trajectoires qui témoignent d’une réelle mobilité des élites lorraines, d’une proximité et d’un rapprochement constant avec la France. Ceci à partir de l’exemple de personnages qui ont, soit gravité autour de la cour ducale et des princes, soit bénéficié de bienfaits. Le basculement vers la France qui va se réaliser est facilité par une certaine porosité des frontières. C’est un nouvel écho à cette ouverture réelle de l’espace lorrain.