Chapitre IV. Penser la société écologique à venir
p. 153-180
Texte intégral
1Très tôt dans les années 1970, la nébuleuse des mouvements écologistes entend dépasser le cri d’alarme, aller au-delà de la mise en garde contre la crise écologique pour proposer une refonte des rapports de l’homme à la nature, matrice d’une société nouvelle. Pour autant, cette réflexion s’avère complexe tant la nature, l’environnement, l’écosystème sont des termes polysémiques, politiquement et philosophiquement complexes.
2Catherine Larrère a souligné combien la réflexion sur la dimension morale des rapports de l’homme à la nature a longtemps été difficile en France1. Dans les années 1960 et 1970, se référer à la nature conduit souvent à être considéré comme un nostalgique de la période vichyste. Plus tard, la nature et l’écologie ont été diabolisées derrière l’appellation « deep ecology » employée par Luc Ferry2. Dans Le nouvel ordre écologique, l’écrivain voit en effet derrière un ensemble de pensées pourtant très différentes l’expression d’un romantisme antimoderne aux origines du fascisme3.
3Progressivement, les militants sont donc amenés à reléguer la nature au second plan de leurs réflexions pour privilégier, à la faveur de la contestation antinucléaire, l’esquisse d’une société solaire dans laquelle la technique constituerait une médiation positive entre l’homme et la nature.
La nature, les écologistes et la société
4Dans le courant des années 1970, il est évident pour le grand public que tout écologiste – fût-il politique – est avant tout un amoureux de la nature. Le vert, symbole de cette nébuleuse depuis les cantonales de 1976, n’est-il pas par excellence la couleur de la nature4 ?
5Pourtant, faire de la nature la matrice d’une action militante nouvelle s’avère délicat. Cette difficulté tient d’abord à la polysémie du terme de nature qui désigne tout aussi bien le principe interne d’une chose et l’extériorité dans laquelle se déploient les choses, qui impliquent la permanence et le changement et peut être perçu successivement comme descriptif ou normatif5. La nature, si familière de prime abord, n’est pas pour autant transparente.
6Dans un premier temps, il semble que la nature doive être avant tout protégée ; dans ce cadre, les écologistes cherchent à influer sur les modalités de cette protection. La nature apparaît également comme le support d’une réflexion critique sur le caractère artificiel de la société industrielle. Pourtant, en dépit de la richesse de cette réflexion, il s’avère que la nature reste un objet dont la politisation est difficile, concourant à sa relative marginalisation chez les militants écologistes.
L’écologisme implique-t-il la protection de la nature ?
7Une étude de l’écologisme qui se concentrerait exclusivement sur l’activité des états-majors militants pourrait facilement conclure à une marginalisation de la protection de la nature au profit d’une réflexion plus globale consacrée à la transformation de la société. Pourtant, dans le contexte des années 1970, alors que les politiques publiques de protection de l’environnement et de lutte contre les pollutions sont encore balbutiantes, la défense de la nature demeure un ressort essentiel de l’engagement des militants qui s’attachent à définir une forme de protection de la nature qui n’implique pas la préservation de l’ordre social en place.
8En dehors des campagnes électorales, finalement de courte durée, l’essentiel de l’activité quotidienne des militants écologistes au sein des groupes locaux est consacré à des actions relatives à la protection de la nature et de l’environnement.
9En 1975, les Amis de la Terre de Privas s’investissent pleinement dans un recours devant le tribunal administratif contre un projet d’un incinérateur d’ordures ménagères6. À la même période, le groupe de Paris envisage une action autour de la convention de Washington qui interdit la commercialisation des espèces en voie de disparition. De même, le numéro 3-4 de L’écho de l’Escaut, publié par les Amis de la Terre de Denain consacre cinq pages sur vingt-sept à la protection de la nature dans ses aspects les plus triviaux, sans nécessairement l’inscrire dans une démarche politique. La rubrique « Info express » convie ainsi le lecteur à l’assemblée générale des Joyeux pêcheurs lourchais tandis que la rédaction salue la création d’un club « Nature » par l’amicale laïque de Roeulx7.
10Les Amis de la Terre de Denain ne sont pourtant pas des naturalistes apolitiques puisque l’éditorial de ce même numéro souligne que « l’écologie n’est pas seulement, même si c’est important, la protection des arbres et des oiseaux », reprenant l’idée d’une nécessaire appréhension politique de la nature8. Ce dualisme existe également au sein des Amis de la Terre de Marseille qui pratiquent un militantisme libertaire tout en publiant des dossiers très détaillés sur la pollution des plages marseillaises ou l’abattage des arbres consécutif à un projet de lotissement à Allauch9.
11Ces annonces et ces analyses dessinent un autre écologisme, plus pragmatique et davantage tourné vers la protection de la nature et de l’environnement que le seul examen des programmes politiques n’aurait pu le laisser croire. Dès lors, toute la question est de savoir comment les écologistes définissent l’articulation entre protection de la nature et démarche politique.
12L’itinéraire de Philippe Lebreton peut éclairer l’une des articulations possibles de ces deux dimensions10. Né en 1933, ingénieur chimiste de formation, il devient en 1963 professeur à l’université de Lyon où il crée un laboratoire de phytochimie et de phytophysiologie. Dès les années 1950, sa passion pour l’ornithologie l’amène à rencontrer les pionniers d’une protection de la nature militante tels que Michel-Hervé Julien et surtout Robert Hainard dont l’influence sur sa vision de la nature est déterminante. Philippe Lebreton se mobilise dans les années 1960 pour la protection des rapaces puis, à partir de 1963, pour celle du marais des Échets (Ain), menacé par un projet d’assèchement du Génie rural. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Philippe Lebreton s’investisse ensuite dans la défense du parc de la Vanoise puis qu’il soit en 1970 à l’origine de la FRAPNA (Fédération Rhône-Alpes de Protection de la nature) qui devient rapidement l’une des principales composantes de la FFSPN.
13De prime abord, Philippe Lebreton incarne le naturaliste devenu militant pour préserver des écosystèmes remarquables11. Philippe Lebreton n’entend pourtant pas se borner à proposer des solutions techniques aux problèmes écologiques ; à ses yeux, alors que l’écologue reste neutre, l’écologiste a le devoir de s’engager après avoir tiré les conséquences morales et politiques de son savoir12. Philippe Lebreton assume donc un positionnement explicitement militant, s’investit dans la contestation antinucléaire et œuvre à l’émergence des mouvements écologistes. Il tient ainsi une chronique régulière dans La Gueule Ouverte où, de concert avec son collègue Roger Bernard et sous le pseudonyme commun de « Professeur Mollo-mollo », il réfléchit à la place de la nature dans la société contemporaine et aux ambiguïtés du progrès13. Après la campagne présidentielle de René Dumont, il devient l’un des animateurs du Mouvement écologique dans la région Rhône-Alpes (MERA)14. L’exemple de Philippe Lebreton montre combien une démarche militante peut s’opérer au nom de la protection de la nature et de l’environnement qui, tout en restant centrale, l’amène à se saisir de l’ensemble des problèmes de la société, ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’articulation des deux dimensions.
14Les activités des groupes écologistes comme l’itinéraire militant de Philippe Lebreton éclairent la manière dont les écologistes envisagent la protection de la nature et de l’environnement. Celle-ci reste fondamentale dans leur engagement mais n’est pas envisagée comme une activité neutre, indépendante de leur réflexion politique générale sur les dégâts du progrès induits par la société industrielle. Cette perspective amène les militants écologistes à critiquer vigoureusement les politiques publiques mises en place sans pour autant réussir à totalement s’en distinguer.
15Devenu président, Valéry Giscard d’Estaing exprime un vif intérêt pour les questions environnementales mais nombre de militants se montrent réticents à l’égard de toute cogestion de l’environnement avec l’État. Lorsqu’en 1977, le chef de l’État réunit les représentants des associations de protection de l’environnement pour leur présenter les nouvelles orientations de sa politique dans ce domaine, les Amis de la Terre dénoncent une manœuvre de récupération et annoncent leur intention de porter la contestation jusque sous les ors de la République en pratiquant ce qu’ils appellent le « judo politique15 ».
16L’appropriation de la protection de la nature et de l’environnement par les pouvoirs publics est souvent perçue comme une volonté d’affermir leur emprise sur la société. La Gueule Ouverte se montre ainsi hostile à la mise en œuvre des parcs naturels régionaux, dénoncée comme une forme de colonisation de l’intérieur – Paris prétendant dicter à la province ses choix d’aménagement – et comme l’acceptation cynique de la destruction de l’environnement sur le reste du territoire16. Laurent Samuel va même plus loin en s’inquiétant d’une « fascisation en douceur de l’ensemble des structures sociales en France », processus dans lequel les préoccupations écologiques joueraient un rôle important17. À ses yeux, sous couvert de protection, les pouvoirs publics tendraient à réduire la nature à une fonction sanitaire et sociale de contrôle du comportement des individus18.
17Ces critiques montrent combien il est difficile de définir une autre forme de protection de la nature et de l’environnement face aux pouvoirs publics qui, de fait, bénéficient de possibilités beaucoup plus importantes pour mettre en œuvre et médiatiser leur démarche.
18Cet attachement à installer une approche politique de la protection de la nature se traduit également dans la volonté des écologistes de se distinguer des militants qu’ils perçoivent, à tort ou à raison, comme de simples défenseurs de la nature.
19Dans son histoire de la contestation écologique publiée en 1978, Claude-Marie Vadrot, membre des Amis de la Terre et du PSU, entend séparer une écologie radicale ou révolutionnaire d’une écologie qu’il qualifie de réformiste ou centriste. Sous cette dernière appellation, il désigne aussi bien des personnes directement impliquées en politique, comme Philippe Saint-Marc que des associations se situant a priori hors du champ politique comme la FFSPN19. En mêlant des acteurs politiques et associatifs, l’auteur montre que son approche ne repose pas uniquement sur des critères partisans, qui distingueraient la droite et la gauche de la nébuleuse écologiste. Selon Claude-Marie Vadrot, la relation aux pouvoirs publics nouée par ces défenseurs de la nature serait le point déterminant car :
« Ce sont des personnalités que l’on peut inviter à siéger dans des comités […] en ayant la certitude qu’ils ne mettront jamais les pieds sur la table ou dans le plat. Des gens qui savent se tenir et que les nominations et les honneurs réussissent à apprivoiser juste comme il faut20. »
20Ces défenseurs de la nature seraient donc enclins à faire des concessions, à privilégier la concertation pour se satisfaire de demi-mesures. À l’inverse, l’écologiste véritable s’illustrera par son goût de l’indépendance et le rapport de force et sa hantise de la récupération qui remettrait en cause sa propre liberté. Claude-Marie Vadrot publie son ouvrage à l’approche des législatives de 1978 dans un but militant évident. S’inquiétant de l’alliance d’Écologie 78 avec SOS Environnement, considéré comme trop modéré et susceptible d’entraîner une dépolitisation de l’écologisme, il entend démontrer par cette description que les écologistes se doivent d’être radicaux sous peine de disparaître21.
21En définitive, les écologistes sont contraints de définir les grandes lignes d’une nouvelle alliance entre l’homme et la nature. Dans son affiche de campagne intitulée Quand vous voudrez et dessinée par ses soins, Brice Lalonde propose une telle vision [voir cahier couleur, p. II].
22Celle-ci représente un quartier de Paris où la nature foisonne. L’énergie électrique est produite par le soleil et le vent grâce à des capteurs solaires et des éoliennes installés sur les toits. La végétation fait corps avec les immeubles et des légumes sont cultivés dans les squares tandis que les enfants se baignent dans une Seine à nouveau pure. Brice Lalonde imagine dès lors une ville conviviale, dans laquelle vivre dans un quartier implique un réel sentiment d’attachement et d’appartenance. Dans cet espace libéré des automobiles, les habitants circulent aisément à pied, en vélo ou en bus et semblent mener une vie quotidienne ouverte sur la rue où ils se croisent, échangent et vivent. Brice Lalonde décrit ainsi une ville qui transcende le clivage entre la nature et l’artifice pour affirmer l’existence possible d’une alliance intime entre ces deux termes sous les auspices de l’homme, qui en reste le grand ordonnateur. Sous le trait de Brice Lalonde, la ville n’est plus une antinature, un lieu d’aliénation et d’exploitation mais un écosystème viable et convivial. Ce Paris écologiste est une cité-jardin d’un nouveau genre. Cette perception d’une nature construite et façonnée par l’homme doit beaucoup aux réflexions de Serge Moscovici pour qui il est impossible de penser la nature indépendamment de l’homme car cela ne conduirait qu’à des dysfonctionnements et des frustrations, obligeant à une multiplication des interdits22.
23De fait, si la protection de la nature et de l’environnement est une activité fondamentalement pratiquée par l’ensemble des groupes écologistes sur le terrain, celle-ci s’insère plus largement dans une vision revendicative et militante de la transformation de la société. Dans ce domaine, la prise de distance à l’égard des défenseurs de la nature témoigne d’une réticence à l’égard d’une relation à la nature qui ne se fondrait que sur la seule protection. Aux yeux des écologistes, cette démarche occulterait en effet trop souvent la question de la responsabilité politique dans la dégradation de l’environnement.
24Il est donc impossible de résumer la démarche des écologistes à la seule protection de la nature. Plus fondamentalement, ceux-ci voient dans l’écologie, entendue ici comme un certain regard porté sur la nature, la possibilité d’une nouvelle donne dans les relations de l’homme à la nature susceptible de constituer la matrice d’une transformation de la société.
La délicate politisation de la nature
25La nature est abordée par les militants écologistes par le prisme du politique, comme un élément d’un projet plus vaste. Or, cette politisation, définie comme un décloisonnement des enjeux et leurs inscriptions dans une perspective explicitement politique23, ne va pas de soi.
26À l’occasion des élections législatives de 1978, Brice Lalonde relève plaisamment l’incongruité d’un mouvement social qui prétend prendre la place de la politique en prenant le nom d’une science qui, jusqu’à présent, ne se mêlait justement pas de politique24. Si cette dernière observation peut être discutée, l’animateur des Amis de la Terre n’en souligne pas moins à raison combien la construction de l’écologisme relève d’une transgression des frontières traditionnellement établies entre les univers sociaux et les domaines de la connaissance.
27Chez les militants eux-mêmes, cette transgression pose problème dans la mesure où, si l’on en croit Bruno Latour, elle bouleverserait « l’ordonnancement, la hiérarchie et la composition des êtres au sein des sociétés politiques25 » en revenant sur les idées reçues propres à la modernité qui établissait un grand partage entre les sociétés et la nature26. Ainsi, après avoir proclamé que la nature est politique, les militants sont confrontés à la difficulté d’en tirer l’ensemble des conséquences pratiques et idéologiques.
28L’une des difficultés posées par la politisation de la nature est de se prononcer quant à l’existence de lois écologiques qui pourraient être appliquées aux sociétés humaines. Dans les premiers numéros du Courrier de la Baleine, les Amis de la Terre appellent à imaginer une civilisation qui « sache la soumettre aux lois de la nature27 ». Pierre Fournier, comme à son habitude, est encore plus radical puisqu’il rejette l’usage du terme « environnement » qui « pue l’anthropocentrisme » pour appeler à l’adoption d’une « conception rationnelle d’un réel consistant en un ensemble de lois à comprendre pour s’y adapter28 ».
29Ces réflexions s’insèrent dans un contexte intellectuel plus large. Au tournant des années 1960 et 1970, les recherchent en génétique conduisent la société française à s’interroger sur la part du culturel et du naturel dans le comportement humain comme en atteste le succès des livres de Jacques Monod29 et de François Jacob30. Ces deux auteurs entendent faire la part des choses entre ce qui relève de la liberté humaine et les contraintes indépassables de notre condition biologique. Ces réflexions font par ailleurs écho aux réflexions des militants écologistes sur l’intérêt d’une approche systémique des mécanismes sociaux permettant d’envisager une société fondée sur la libre coopération des individus31.
30Le principal concept issu de l’écologie scientifique que les militants s’efforcent de mobiliser est celui d’équilibre naturel dont le maintien devrait être l’objectif de toute société32. Edward Goldsmith, auteur du Blueprint for survival et proche des Amis de la Terre, souligne ainsi qu’une société idéale devrait obéir aux lois de la nature en vivant dans un environnement stable sans le détruire. Toute l’organisation sociale devrait être tournée vers la perpétuation de la communauté et le progrès ne devrait s’opérer qu’à un rythme extrêmement lent33.
31De son côté, Philippe Lebreton a recours aux concepts issus de la biologie pour souligner combien l’homme ne doit pas se leurrer sur sa prétendue exceptionnalité par rapport à l’ensemble du vivant34. À ses yeux, il existerait par exemple plusieurs races humaines même s’il dénonce l’extrapolation partisane qui a pu en être faite, conduisant l’idée de leur hiérarchisation35. Au fil des millénaires, les races auraient selon lui évolué dans une dialectique subtile et incessante avec leur milieu pour apporter la meilleure réponse possible aux conditions climatiques et nutritives locales. Cette analyse conduit Philippe Lebreton à critiquer le recours à l’immigration qu’il qualifie d’importation de main-d’œuvre déracinant les individus et les exposant à des troubles physiques et psychologiques qui rendent leur réintégration difficile de retour chez eux.
32Une telle approche de la question migratoire est tributaire d’une période où les pouvoirs publics et la plupart des Français voient dans les immigrés une main-d’œuvre temporaire venue satisfaire un besoin, sans que leur installation durable en France ne soit encore clairement perçue. Elle n’en est pas moins révélatrice d’une volonté d’analyser le monde contemporain par le prisme de lois biologiques permettant de penser conjointement l’homme et la nature.
33Il est tentant de rapprocher ces propositions sociobiologiques des réflexions de la Nouvelle Droite au zénith de son influence à la fin des années 1960 grâce à ses connexions avec le groupe Hersant qui lance le Figaro Magazine en 197836. Envisageant la société comme un système organique dans lequel l’enracinement occupe une place centrale37, ce courant politique en tire argument pour promouvoir une doctrine antiégalitariste et biologisante hostile à la démocratie et vantant les mérites de la communauté organique38.
34Le projet des écologistes et celui de la Nouvelle Droite sont cependant loin de se recouper comme le relève Olivier Dard. Alain de Benoist, l’un des principaux théoriciens français de la Nouvelle Droite, refuse ainsi à cette époque toute pertinence à l’écologisme. Dans Vu de Droite, paru en 1977, il considère que cette approche repose sur une fausse idée de la nature et des rapports de l’homme à son milieu39. De fait, la Nouvelle Droite n’accorde à cette époque aucune place spécifique à la nature et ne remet pas en cause la technique et le nucléaire.
35De leur côté, les militants entendent ne pas prêter le flanc à des accusations de dérive réactionnaire. La condamnation définitive et répétée de La Vie Claire en atteste40. De même, dans La Gueule Ouverte, un article vise explicitement le GRECE et s’inquiète du retour d’un racisme qui, sous une apparence scientifique, viserait à justifier l’émergence d’une élite biologique qui détiendrait le pouvoir41. Il n’en demeure pas moins que des convergences ponctuelles s’établissent à la fin des années 1980 entre certains leaders écologistes et Alain de Benoist42, ce qui montre la difficulté pour les militants à politiser la nature tout en se préservant de ce qu’ils considèrent comme des dérives.
36Les écologistes peinent donc à déterminer une position commune sur la nature qui fait toujours l’objet de suspicions de leur part tant sa politisation semble complexe. Dans ces conditions, Lambert, dans sa chronique hebdomadaire dans La Gueule Ouverte, n’hésite pas à déclarer que « toute référence à une nature détermine une idéologie régressive43 ». De fait, l’idée de nature s’intègre mal à une approche idéologique et militante du monde. Asselin, journaliste à la Gueule Ouverte-Combat non-violent, en fait le constat désabusé en 1977 :
« Si son entrée [il parle de l’écologie] dans le secteur économico-politique faisait un bruit de Mai 68 et si elle recrutait, à l’aide du radicalisme somptueux de l’antinucléaire, ses troupes de choc, il reste que le domaine des petites fleurs et des petits oiseaux retournait au ridicule pincé, dont beaucoup n’auraient voulu le voir sortir. La Nature, curieusement point de départ de la conscience écologique, devient l’accessoire folklorique du moment. L’écologie n’est-elle pas : politique ?44… »
37Les militants écologistes semblent donc éprouver des difficultés à intégrer la nature à leur discours autrement que comme symbole ou symptôme d’une crise multiforme. La prégnance de l’idée de changement de société, voire de révolution s’accorde mal avec la nature.
38Les écologistes tendent alors, dans leurs analyses et leurs programmes, à ne voir la nature et son corollaire négatif, la pollution, que comme une sorte de déclic amenant à une prise de conscience proprement politique. Évoquant les naturalistes, dont il considère pourtant qu’ils appartiennent à la famille écologiste, Philippe Lebreton relève qu’ils doivent dépasser la défense des « petites fleurs » pour prendre des positions plus générales, notamment sur le nucléaire45. La prise de conscience politique impliquerait donc de se détacher d’une situation ou d’une action particulière pour accéder à un niveau supérieur de compréhension du monde.
39De même, les débats qui opposent au sein de Nature et Progrès les partisans d’une démarche politique à ceux qui désirent s’en tenir à la seule promotion de l’agriculture agrobiologique traduiraient selon les écologistes deux niveaux inégaux de prise de conscience. Ainsi, le congrès de Vichy de Nature et Progrès inspire à Action Ecologique l’analyse suivante :
« Partie des “petits oiseaux”, l’écologie poursuit sa « politisation », c’est-à-dire la double prise de conscience : d’une part que l’homme n’est qu’un élément parmi d’autres dans un complexe naturel ; d’autre part qu’il n’y a pour nous de réussite possible que dans un changement de société46. »
40Dans cet extrait, la nature est évoquée de deux manières très différentes. D’une part, elle se résume aux « petits oiseaux » autrement dit à la protection de la nature envisagée de la manière la plus prosaïque qui soit. D’autre part, l’expression « complexe naturel », employée ici dans un sens apparemment proche de celui d’écosystème, suggère que la nature n’est acceptable que dans la mesure où elle est problématisée et mise en théorie par la science écologique.
41En définitive, il semble que l’écologisme, en tant que démarche de politisation des questions environnementales en vue d’un changement de société, implique le dépassement de la nature. Ainsi, Brice Lalonde rappelle qu’au milieu des années 1970, les Amis de la Terre étaient à la recherche d’un cheval de bataille pour mener une critique globale de la société industrielle. Pendant un temps, ils envisagent de concentrer leurs attaques sur l’automobile car cela leur permettrait de combattre l’ensemble des nuisances de la société moderne – urbanisme, culte de la vitesse, pollutions, exploitation du Tiers-Monde pour le pétrole – tout en proposant un projet alternatif de société, reposant sur les transports en commun et la société conviviale47. Cette anecdote illustre la volonté de dépasser les enjeux immédiats, de ne pas seulement être en réaction contre un projet d’aménagement ou une source particulière de pollution mais de proposer une alternative globale et cohérente.
42Par ailleurs, il est possible qu’une approche de la politique donnant la priorité à l’idée au détriment du concret imprègne un certain nombre d’écologistes français. S’ils récusent souvent le terme d’idéologie, ils n’en restent pas moins particulièrement désireux de construire une définition abstraite de l’écologisme.
43C’est pourquoi l’écrivain Roland de Miller considère que « l’insistance avec laquelle les écologistes soulignent qu’ils remettent en cause non seulement les relations des sociétés avec la nature, mais des hommes entre eux trahit leur honte de s’intéresser à la nature48 ». De même, Cédric Philibert constate que malgré des déclarations de solidarité avec les renards, les organisations écologistes ne font rien pour éviter la disparition des ours, des lynx et des carnivores en général49. Ce jugement définitif ne paraît pas totalement erroné au regard de la position apparemment subordonnée dans laquelle est tenue la nature au sein de la nébuleuse écologiste.
44L’écologisme implique en effet une redistribution de l’ordonnancement de l’univers des modernes. L’écologie scientifique et la crise environnementale sont souvent présentées comme la source de cette prise de conscience mais il ne s’agit que d’une étape qu’il faudrait nécessairement dépasser pour aboutir à une analyse proprement politique. La priorité donnée à l’idée et à la théorie politique va de pair avec la mise en avant de la nécessité d’une prise de conscience, corollaire incontournable du processus de politisation. Ce processus est conçu comme une succession d’étapes nécessaires et inéluctables pour arriver à la société écologique. Ainsi, la politisation des questions environnementales confine dans une certaine mesure la nature en périphérie du discours des écologistes.
45Les écologistes ne se rassemblent pas autour d’une définition stricte et canonique de la nature et des relations que l’homme et les sociétés doivent entretenir avec elle. Comme en témoigne le flottement du vocabulaire – les militants emploient tour à tour les termes de nature, environnement, milieu, écologie – cette démarche est polysémique tout au long de la période. Cependant, ils s’accordent pour faire de l’écologie à la fois un objet de protection, une entité digne de considération et un outil de transformation de la société.
46En définitive, la politisation de la nature semble difficile à mener à bien, soit qu’elle menace de dériver vers une approche sociobiologique du monde, soit que l’analyse proprement idéologique prenne le pas sur la matérialité des écosystèmes. Par ailleurs, en insistant sur le caractère politique de leur démarche voire en prenant leur distance à l’égard de la protection de la nature stricto sensu, les écologistes risquent de susciter l’incompréhension d’une grande partie de l’opinion, pour qui ces militants sont avant des amoureux des arbres et des pourfendeurs des papiers gras.
La critique écologiste du nucléaire
47Dans le début des années 1970, les premiers militants antinucléaires mènent leur combat au nom de la lutte contre une nouvelle forme de pollution et pour conjurer le risque d’une apocalypse nucléaire. Après l’annonce du programme massif de construction de centrale, la dimension politique de ces actions tend à prendre de plus en plus d’importance au travers d’une dénonciation du productivisme et de la technocratie. Les écologistes synthétisent ainsi l’ensemble des reproches adressés à la société industrielle en s’inscrivant dans une tradition philosophique et sociologique de pessimisme à l’égard de la technique développée depuis les années 1940 par des penseurs tels que Jacques Ellul, Lewis Mumford ou encore Günther Anders50.
48Dans cette perspective, la technique n’est pas considérée comme idéologiquement neutre et son développement incontrôlé risquerait de l’ériger en un acteur autonome devenant alors la principale force déterminant l’évolution des sociétés. À mesure que la technique se ferait plus complexe et omniprésente, la liberté des hommes serait en constant recul. Mortifère, antidémocratique voire totalitaire, à bien des égards, la société nucléaire imaginée par les écologistes s’apparente à une dystopie – ou antiutopie – dont il faut ici dessiner les contours.
49Aux yeux des écologistes, le nucléaire représente avant tout un danger politique pour la société française dans la mesure où sa généralisation induirait une concentration des pouvoirs entre les mains de quelques individus, menaçant les libertés individuelles et la démocratie dans son ensemble.
50André Gorz, également connu sous le nom de Michel Bosquet, journaliste au Nouvel Observateur et au Sauvage, évoque dès 1973 l’avènement d’un « électrofascisme51 ». Le recours généralisé au nucléaire pour la production d’énergie conduirait à ses yeux à l’émergence d’une société centralisée, hiérarchisée et spécialisée. Dans la mesure où un accident nucléaire sur le territoire aurait des conséquences dramatiques, le corps de techniciens et d’ingénieurs chargé d’entretenir le parc de centrales aurait tout pouvoir pour faire face à une crise éventuelle, leurs prérogatives étant à la mesure de leurs responsabilités52. Les risques inhérents au nucléaire impliqueraient ainsi la surveillance de la population non seulement aux abords des centrales mais également sur les routes sillonnées de camions transportant les déchets vers l’usine de retraitement de La Hague.
51Sur ce point, Ivan Illich exerce une influence majeure sur les écologistes, notamment sur André Gorz qui contribue à diffuser sa pensée en France dans les années 1970. Le philosophe utilise les notions d’« institutionnalisation » et de « monopole radical » pour démontrer le caractère aliénant des outils qui entraînent la perte de l’autonomie de l’individu en lui dictant ses besoins et en l’empêchant de les satisfaire par lui-même53. Le programme électronucléaire constitue l’une des illustrations de cette théorie en impliquant une production d’électricité massive et centralisée que les citoyens n’auraient d’autre choix que d’accepter.
52Aux yeux de certains militants, le tournant fasciste induit par le recours au nucléaire ne serait pas une simple figure de style. Certains journalistes vont jusqu’à annoncer qu’en cas d’accident majeur, les forces de l’ordre seraient mobilisées pour contenir les populations irradiées dans une zone strictement délimitée pour éviter qu’elles ne propagent des radioéléments54. Cette information, en l’occurrence erronée, illustre l’angoisse de certains militants écologistes qui craignent qu’une répression impitoyable ne s’abatte sur toute opposition susceptible de gêner ces projets. Ces inquiétudes s’inscrivent plus largement dans l’idée présente à l’extrême-gauche selon laquelle les sociétés démocratiques seraient menacées par une dérive fasciste de l’État dont le coup d’État d’Augusto Pinochet au Chili en 1973 serait un signe annonciateur55. L’importante mobilisation des forces de l’ordre lors des manifestations antinucléaires tout comme les origines militaires de l’industrie nucléaire ne font qu’alimenter les appréhensions des militants sur ce point.
53Cette description du futur proche de la société sous le joug du nucléaire s’apparente indéniablement au genre dystopique dont 1984 de George Orwell est l’exemple le plus célèbre. Cette angoisse est d’autant plus forte que les militants sont persuadés qu’une fois les centrales construites et mises en fonctionnement, aucun retour en arrière ne sera possible. En effet, la gestion des déchets radioactifs, dont la durée de demi-vie peut atteindre plusieurs centaines de milliers d’années, et plus généralement l’impact du nucléaire sur la société auraient de telles conséquences qu’il serait impossible de définir une autre stratégie de développement.
54Dans ce cadre, plus que les forces de l’ordre, l’adversaire désigné des écologistes est la technocratie dont les représentants seraient le préfet auquel les antinucléaires sont confrontés sur le terrain, le scientifique jouant un rôle d’expert auprès du CEA ou encore le cadre appartenant à une multinationale impliquée dans l’industrie nucléaire56.
55Ce terme est polysémique a pu être utilisé au cours du xxe siècle par des acteurs d’horizons politiques fort divers. La critique des technocrates remonte au moins aux années trente où l’extrême-droite voit derrière la « subversion technocratique57 » le risque d’une dissolution de la France dans une idéologie mondialiste dont le règne de la technique serait l’une des manifestations. Dans les années 1960, Pierre Mendès-France fustige lui aussi les possibles dérives technocratiques de la haute fonction publique de la Ve République, tout entière acquise au projet modernisateur et oublieux de la place centrale des citoyens dans un système démocratique58. À bien des égards, la critique de la technocratie émise par les écologistes synthétise ces deux dimensions.
56Particulièrement investi dans cette réflexion sur les rapports entre technique, pouvoir et démocratie, Yves Lenoir, des Amis de la Terre, définit la technocratie à la fois une idéologie et une pratique59. Il s’agit d’une propension à opérer de choix techniques sans consulter les personnes directement concernées et sans que ce pouvoir de décision n’ait pour contrepartie un mandat donné par la population. C’est la science mise au service d’un État jacobin animé par l’idée que la technique doit permettre une domination de l’homme sur la nature. La critique de la technocratie n’implique cependant pas chez les écologistes le rejet a priori de la recherche scientifique ou du progrès technique : la critique particulièrement argumentée des technocrates par Yves Lenoir se fonde en partie sur le fait qu’à ses yeux les technocrates négligent des données scientifiques essentielles quand celles-ci infirment leurs prévisions optimistes quant à la rentabilité des centrales ou à la possibilité de faire face à l’inflation des déchets radioactifs60.
57L’autre volet de la critique écologiste du nucléaire s’inscrit dans une dénonciation du productivisme défini comme une organisation de la société et de l’économie dont le principal objectif est la croissance de la production matérielle.
58Pour de nombreux militants écologistes, les centrales nucléaires seraient l’une des clés de voûte du système productivisme dans la mesure où elles permettraient une production d’énergie massive et centralisée, alimentant l’idée qu’une croissance infinie serait à portée de la main, notamment grâce au procédé de surgénération mis en œuvre avec Superphénix. Couplé à l’usine de retraitement de La Hague, il permettrait en effet au programme nucléaire français de ne plus dépendre des réserves naturelles d’uranium, par essence limitées et majoritairement situées hors du territoire national61. Une telle débauche d’énergie irait à l’encontre des lois mises en évidence par l’écologie et induirait un déséquilibre permanent dans les rapports de l’homme à la nature. À rebours des déclarations des pouvoirs publics, le Mouvement écologique n’hésite donc pas à affirmer qu’une énergie trop abondante serait une drogue aux effets dévastateurs sur les hommes et les écosystèmes. L’évocation des enjeux énergétiques amène ainsi les écologistes à constater que « tout est lié : énergie, croissance économique et démographique, volonté de puissance62 ». Un lien explicite est tissé entre la centralisation des systèmes énergétiques, détenus par l’État ou des entreprises privées, et leur caractère polluant – par l’encouragement aux gaspillages – et aliénant – par l’hypertrophie des outils et de la publicité.
59Qu’ils dénoncent une dérive technocratique ou une tentation productiviste, les écologistes voient le nucléaire comme la principale menace planant sur la société et la nature. Au milieu des années 1970, la lutte antinucléaire reste donc un domaine dans lequel le catastrophisme du début des années 1970 perdure sur le terrain alors qu’il tend à disparaître des programmes électoraux écologistes. Il n’est donc pas étonnant que face à l’avènement de cette dystopie nucléaire, les militants soient tentés d’y opposer l’utopie d’une société solaire.
De la dystopie nucléaire à la société solaire
60Parmi les facteurs qui, aux yeux des écologistes, conduisent l’homme à la catastrophe, le nucléaire occupe rapidement une place privilégiée à tel point que les partisans de cette source d’énergie y ont vu le signe d’une hostilité caricaturale des écologistes au progrès technique. Les opposants au nucléaire ne seraient ainsi qu’une bande de naïfs inconscients des besoins croissants en électricité du pays, d’irrationnels obscurantistes animés par une crainte superstitieuse de la technologie, des nostalgiques de l’éclairage à la bougie63, voire des grottes préhistoriques64. Il est indéniable que beaucoup de communautés rurales du début des années 1970 ont aspiré à un retour à la terre envisagé comme la redécouverte de l’art de vivre au temps jadis65. Cependant, bien que médiatisées du fait de leur radicalité, ces prises de position apparaissent très minoritaires au sein de la nébuleuse écologiste.
61François Jarrige a montré combien la rhétorique du progrès tend à polariser les débats autour de la technique en distinguant artificiellement deux camps irréconciliables66. Dans cette perspective, toute personne qui remettrait en cause l’équivalence entre progrès technique et progrès social serait rangée dans la catégorie des technophobes. Pourtant, loin d’être uniquement décriée comme l’agent d’une domination de l’homme sur la nature, la technique est aussi considérée par les écologistes comme l’instrument potentiel d’une nouvelle alliance entre eux. La société solaire telle que décrite par les écologistes est donc l’occasion d’étudier la manière dont la technique peut à leurs yeux être une médiation possible entre l’homme et la nature.
62Aux États-Unis, l’existence de courants écologistes éprouvant dès cette époque un enthousiasme à l’égard des progrès technologiques et exaltant l’ingéniosité humaine tout en témoignant d’un réel souci de conservation des écosystèmes est connue67. Or, contrairement à ce que la rhétorique du progrès a pu laisser croire, les écologistes français ne restent pas totalement à l’écart de ces réflexions et tentent eux aussi de donner une dimension concrète aux notions de technologies douces et appropriées68.
63Ainsi, dans le n° 9 de Survivre et Vivre, daté d’août-septembre 1971, un article évoque une prise de contact avec les responsables du groupe LASITOC (notamment Peter Harper)69. En novembre 1972, Survivre… et Vivre mentionne le démarrage d’une communauté de recherche sur les techniques douces près de Lisieux qui travaillerait en collaboration étroite avec le BRAD (Biotechnic Research And Development) de Robin Clarke, installé au Pays de Galles70. De même, Le catalogue des ressources, réalisé par Gérard Aimé, Patrice Aoust, Philippe Bone et Marie-Paule Nougaret, paraît en France en 1975. Directement inspiré du Whole Earth Catalog américain, il entend mettre les lecteurs en capacité de construire une vie différente où la technique jouerait un rôle positif de médiateur entre l’homme et la nature71.
64Parmi tout l’éventail des technologies douces, l’énergie solaire est probablement celle qui exerce la plus grande fascination sur les écologistes français, qu’ils soient des militants particulièrement investis ou de simples sympathisants. Laurent Samuel se souvient que le numéro spécial du Sauvage intitulé Le guide de la Maison solaire (n° 52, avril 1978) s’est vendu à plus de 100000 exemplaires, soit le chiffre de vente le plus élevé atteint par la revue depuis le premier numéro72. Le lecteur pouvait y trouver quarante-deux plans de maisons, des adresses des constructeurs et architectes ainsi qu’un service conseil gratuit. De fait, un réseau de consommateurs se met en place pour grouper les achats de matériel et ainsi obtenir des prix intéressants. En 1978, le groupe Que Choisir – Le Sauvage enregistre ainsi 3000 demandes73.
65Aux yeux des militants, le solaire n’est pas seulement une source d’énergie ; il s’agit plus fondamentalement de l’antithèse de l’énergie nucléaire, matrice possible d’une civilisation nouvelle. Celui-ci est notamment incarné par le soleil souriant dessiné en 1975 par une militante antinucléaire danoise sur lequel on peut lire ces mots « Nucléaire ? Non merci ! » dans toutes les langues européennes74.
66« Nous sommes tous des héliotechniciens » s’exclame de son côté le professeur Mollo-Mollo dans La Gueule Ouverte en août 197375. Réminiscence des slogans lancés par les manifestations en Mai 68, cette formule illustre le caractère militant, voire révolutionnaire associé à cette source d’énergie. Inaliénable, naturellement distribuée, gratuite, l’énergie solaire donnerait à l’homme l’espoir de s’extraire des échanges marchands et de la domination qui en découle. Sortir de l’aliénation de la société industrielle serait donc à la portée de tout bon bricoleur, pour peu qu’il soit disposé à y consacrer du temps et de l’imagination. C’est le message des chroniques de Reiser dans La Gueule Ouverte dans lesquels on ne trouve que rarement des références techniques précises mais des appareils incongrus, parfois inutiles, souvent irréalisables qui tous font appel de manière poétique à l’énergie solaire.
67La promotion de l’énergie solaire s’inscrit dans l’idée déjà avancée pour le nucléaire que le mode de production d’énergie induit une forme d’organisation politique. Amory Lovins, chercheur sur les questions énergétiques, développe particulièrement cette idée dans Soft Energy Paths, paru aux États-Unis en 1977, qui constitue une influence majeure pour les Amis de la Terre76. Il y fait l’éloge des énergies douces qui répondraient à un modèle diamétralement opposé aux systèmes énergétiques conventionnels dans la mesure où il serait pluraliste et décentralisé, fondé sur la diversification des sources d’énergie et sur des critères environnementaux et sociaux77.
68L’absence supposée de pollution est un autre argument récurrent avancé par les militants écologistes pour justifier leur intérêt à l’égard de cette source d’énergie78. Une telle position méconnaît certes l’impact environnemental de la fabrication de n’importe quel objet manufacturé mais elle témoigne de l’importance symbolique de la référence à l’énergie solaire aux yeux des militants écologistes. Face à la pollution, au nucléaire et à la société industrielle, le solaire est perçu comme un gage de pureté, de la même manière que les naturistes du xixe siècle vantent les vertus thérapeutiques et sanitaires des bains de soleil79.
69La maison solaire est alors présentée comme un moyen de renouer un contact direct, biologique sinon organique avec leur environnement comme si leur habitation s’immergeait totalement dans son écosystème au point de n’en être qu’une composante parmi d’autres80. Dans ce domaine, les dispositifs techniques possibles sont très divers et sont souvent combinés. « L’architecture solaire » consiste ainsi à construire et aménager un bâtiment en fonction des données bioclimatiques, en tirant parti au maximum des usages et des matériaux locaux. Plusieurs militants s’investissent ainsi dans la construction de leur propre « maison solaire ». Celle de Jean-Marc Reiser près de Perpignan est alimentée par six panneaux photovoltaïques permettant de charger des batteries garantissant huit jours d’autonomie à ses occupants81. De même, Maryse Arditi, l’une des fondatrices du groupe héliotechnique de Paris, organise sa maison dans l’Aude en fonction de l’exposition au soleil dont elle tire parti par des capteurs solaires et des serres82.
70Les panneaux photovoltaïques, destinés à la production d’électricité, ne sont pas inconnus des écologistes mais ce procédé pose à l’époque plusieurs problèmes ; leur prix d’achat est élevé – notamment en raison du coût des batteries dont l’installation est indispensable pour stocker l’électricité –, les rendements sont très médiocres et la mise en œuvre est relativement délicate. C’est pourquoi les écologistes privilégient le solaire thermique, utilisé pour produire de la chaleur. Les chauffe-eaux semblent les plus répandus en raison de leur souplesse d’utilisation même si l’utilisation de l’eau comme fluide caloporteur les rend particulièrement sensibles au gel contrairement aux capteurs à air83.
71Ainsi, contrairement aux accusations lancées contre eux à l’époque, les écologistes ne prônent pas le « retour à la bougie » mais avant tout une réflexion sur les besoins et la légitimité des choix techniques au regard des évolutions de la société. Parée de toutes les vertus qui font défaut au nucléaire, l’énergie solaire permettrait une relation nouvelle de l’homme à la nature, elle le libérerait du joug technocratique et permettrait une libre-expression de sa créativité.
La fabrique de l’écologisme
72La diversité des mouvements écologistes, y compris sur le plan doctrinal, est un topos qui, tôt apparu, perdure par la suite. À l’occasion des premières candidatures écologistes, les observateurs s’interrogent sur ce qui unit ces militants tandis qu’à gauche comme à droite, on dénonce un manque de clarté, un flou politique voire des idées venues de la gauche post-soixanthuitarde et de la droite la plus conservatrice. L’écologisme serait une chimère vaporeuse appelée à disparaître dès lors que les forces politiques déjà en place se saisiront des questions soulevées par les militants84.
73S’il ne saurait être question de nier l’ampleur des débats qui agitent les militants, il faut dépasser l’idée qu’une force politique devrait nécessairement se référer à un corpus idéologique cohérent et construit sur une longue période, à l’image du Parti communiste avec le marxisme.
74Dans une période d’émergence de l’écologisme, alors qu’il ne peut s’appuyer sur une structure partidaire pour réguler les débats internes en s’appuyant sur des instances ad hoc et une exégèse construite au fil des décennies, comment se fabrique l’écologisme et quels sont les usages de la théorie en milieu militant85 ?
L’écologisme et les intellectuels
75D’emblée, la fabrique de l’écologisme ne saurait être limitée à quelques intellectuels considérés, pour des raisons diverses, comme les penseurs canoniques du mouvement. Ce serait en effet résumer l’écologisme à un corpus idéologique et intellectuel cohérent, construit à l’image des règles de validation propres au monde universitaire. C’est l’un des reproches que l’on peut adresser à l’ouvrage par ailleurs fort complet de Jean Jacob86 ; en cherchant à définir les contours théoriques de l’écologisme, l’auteur reste prisonnier d’une vision unilatérale de la relation nouée entre les clercs et les militants, envisagée uniquement sous l’angle de l’influence exercée par une autorité intellectuelle sur les acteurs du mouvement.
76Or, une telle perspective néglige d’autres types de relations, depuis un compagnonnage sur une longue période jusqu’à la rencontre fortuite, ponctuelle et pourtant décisive en passant par l’incompréhension fructueuse. Par ailleurs, celle-ci limiterait la fabrique de l’écologisme aux seuls ouvrages écrits par des intellectuels alors qu’un récit de science-fiction ou un article de vulgarisation peuvent avoir sur les militants un impact tout aussi décisif87.
77Il est donc nécessaire d’analyser plus en détail et dans toute leur diversité les rapports entretenus par les militants aux intellectuels qui, ponctuellement ou de manière plus durable, se sont engagés dans une réflexion sur la refondation des rapports de l’homme à la nature.
78Parmi ces derniers, Alain Touraine est peut-être celui qui tente le plus explicitement d’infléchir le développement de la nébuleuse. Sociologue du travail, il consacre à partir de la fin des années 1960 ses travaux à l’analyse des nouveaux mouvements sociaux en partant du présupposé que pour une société donnée, il n’existe qu’un seul mouvement social capable d’incarner l’ensemble du projet de changement social88. Il revient alors au sociologue d’en repérer les manifestations parmi le foisonnement des luttes. Selon Alain Touraine, le mouvement ouvrier a longtemps joué ce rôle mais ne serait plus en mesure de le faire du fait des évolutions sociologiques, démographiques et politiques de la classe ouvrière. Il part donc à la recherche des manifestations concrètes de ce mouvement social dans les luttes qui agitent la société de son temps89.
79Alain Touraine fait alors l’hypothèse que le conflit social majeur de son époque opposerait les populations aux institutions qui chercheraient à leur imposer un certain type de conduite ; la lutte antinucléaire, envisagée comme un combat contre la technocratie, pourrait dès lors incarner le mouvement social de la société postindustrielle à condition qu’elle ne se cantonne pas à la seule défense d’un site et de ses riverains.
80Pour déterminer si le mouvement antinucléaire est bien ce qu’il pourrait être, Alain Touraine et son équipe ont recours à une méthode d’enquête particulière : l’intervention sociologique. L’équipe de sociologues s’implique directement dans l’enquête non pas par le biais d’une simple observation participante mais en tentant d’orienter la réflexion des militants sur le sens souhaitable à donner à leur action, en fonction d’une grille de lecture définie au préalable, processus qu’il désigne sous le terme de « conversion90 ». L’équipe constitue ainsi deux groupes d’analyse à la fin de l’année 1977, l’un à Malville, l’autre à Paris, rassemblant à chaque fois des militants écologistes, des syndicalistes et des scientifiques dont les débats, orientés et guidés par les sociologues, forment le cœur de La prophétie nucléaire. Outre les discussions au sein du groupe, les militants sont confrontés à des interlocuteurs divers qu’il s’agisse de représentants de haut niveau d’EDF et du CEA, de généraux, de dirigeants du PCF et de la majorité.
81La collaboration qui se noue entre les sociologues et une partie de la nébuleuse écologiste est donc profondément originale dans la mesure où elle repose sur une forte implication de ces intellectuels sur la signification même à donner au mouvement, sur la stratégie à adopter et les combats à mener.
82À l’automne 1978, l’équipe d’Alain Touraine présente les résultats provisoires de son enquête lors d’une réunion nationale du Réseau des Amis de la Terre ainsi qu’à plusieurs autres groupes écologistes dans toute la France qui se montrent d’autant plus intéressés que cette tournée se déroule dans l’année qui suit la manifestation du 31 juillet 1977 à Malville. Dans cette période particulière, les militants semblent particulièrement désireux d’obtenir des clés d’analyse pour comprendre l’évolution de la nébuleuse.
83Outre ce besoin qui s’apparente à de l’autoanalyse, certains militants écologistes voient dans les théories d’Alain Touraine l’occasion d’affirmer la légitimité de leur démarche en en faisant le mouvement social d’avenir, au cœur des enjeux futurs de la société postindustrielle, de la même manière que le mouvement ouvrier le fut dans la société industrielle. Ainsi, le groupe des Amis de la Terre de Lille, qui partage avec Alain Touraine une proximité idéologique et politique avec le courant rocardien du Parti socialiste91, propose un manifeste en 1980 qui s’ouvre sur cette exclamation potache mais significative : « Marx est mort ! Vive Touraine92 ! » Au-delà de la formule, le groupe considère qu’il est nécessaire d’assumer dans la société l’existence d’un conflit dont la résolution négociée entre l’ensemble des parties permettrait d’accéder à une forme supérieure d’organisation. Aux yeux de Pierre Radanne, l’animateur du groupe, cette perspective, métaphore du fonctionnement des écosystèmes, implique que l’écologisme s’ouvre aux enjeux sociaux et politiques en s’alliant à la CFDT et aux autres organisations de gauche93.
84Cette expérience sociologique illustre la circularité des discours savant et militant dans laquelle les militants se montrent disposés à intégrer les analyses de chercheurs à leur propre discours, contribuant en retour à la validation de ces théories tout en leur conférant une dimension proprement politique94.
85Bien qu’abondamment reprises, les propositions et la démarche d’Alain Touraine ne font pas l’unanimité. Membre éminent des Amis de la Terre, Pierre Samuel exprime des positions qui, bien qu’empreintes d’une certaine ironie bienveillante, n’en restent pas moins catégoriques lorsqu’il déclare :
« J’accuse Alain Touraine et son équipe d’avoir fait tourner en bourrique et d’avoir déboussolé une vingtaine de malheureux écologistes en leur posant un problème insoluble, en les mettant dans des conditions où ils ne pouvaient pas le résoudre. […] Valait-il la peine d’user de procédés manipulatoires pour faire comprendre aux antinucléaires qu’ils forment un “mouvement social” ? Le mouvement se prouve en marchant95. »
86Fondamentalement, Pierre Samuel récuse le type de relation établie entre l’intellectuel et les militants dans laquelle il voit une manipulation qui profiterait avant tout au sociologue sans permettre au mouvement d’avancer dans sa réflexion. À ses yeux, chercher à définir un conflit central dans la société réduit l’écologisme à la seule lutte antinucléaire alors qu’il serait intellectuellement plus ambitieux de définir un nouvel équilibre entre nature et culture. De manière plus abrupte encore René Commandeur, membre du MEP (Mouvement d’Écologie Politique), déclare que « certains Amis de la Terre que je rencontre avec leur Touraine sous le bras me font bien rigoler…96 », fustigeant le mirage d’une nouvelle gauche dont les écologistes seraient le ferment et la matrice.
87Ces observations attestent de la relativité de la définition de l’écologisme comme mouvement social au sein d’une nébuleuse diverse. Cette nécessaire prudence à l’égard de l’influence supposée des intellectuels sur les militants est également éclairée par le cas de l’association Écoropa, parfois présentée comme une sorte d’éminence grise de l’écologisme européen97, mais qui, dans les faits, se borne à organiser quelques colloques et à rédiger un manifeste sans grand retentissement98.
88Bien souvent, les réflexions des penseurs de l’écologisme demeurent lointaines pour de nombreux militants. L’exemple de Robert Hainard est sur ce point particulièrement révélateur. Jean Jacob consacre en effet de longs développements à la pensée de l’artiste suisse99 qui est particulièrement salué par certains animateurs de la nébuleuse écologiste ; Philippe Lebreton le considère ainsi comme un « père spirituel100 » tandis qu’Antoine Waechter le cite parmi ses sources d’inspiration101.
89Pourtant, Robert Hainard est peu impliqué dans les débats idéologiques et politiques de l’écologisme français où il est finalement peu cité, tout particulièrement dans la seconde moitié des années 1970 comme si l’urgence de la lutte antinucléaire et la participation aux élections l’emportaient sur le débat d’idées102. Seul le Mouvement écologique se réclame de ses analyses en soulignant combien la civilisation industrielle s’est organisée autour de l’exploitation illimitée de la nature mais, même dans ce cas, les références directes et explicites demeurent rares103. De son côté, La Gueule Ouverte consacre un seul grand entretien à Robert Hainard104. Les références à son œuvre restent donc éparses, ponctuelles et allusives.
90Bernard Charbonneau est sans nul doute davantage connu des militants grâce à sa « chronique du terrain vague » qui paraît dans La Gueule Ouverte entre 1973 et 1977105. La diffusion appréciable de ce périodique tout au long des années 1960 assure à Bernard Charbonneau une relative audience au niveau national. Par ailleurs, le témoignage de Noël Mamère atteste de l’aura de Bernard Charbonneau en Aquitaine où il participe au Comité de sauvegarde de la côte aquitaine, organise des groupes de réflexion qui amènent le futur député-maire de Bègles à « poser un autre regard sur le monde et les hommes106 ». Si Bernard Charbonneau n’est certainement pas inconnu des militants écologistes des années 1970, rien n’indique qu’il ait bénéficié au sein de la nébuleuse d’un écho particulier. Son ouvrage Le Feu Vert ne bénéficie ainsi que d’une recension par Pierre Samuel dans le Courrier de la Baleine107.
91Dans ce domaine, le groupe de Paris des Amis de la Terre est, par sa proximité avec un certain nombre d’intellectuels, une exception. Membre de l’association et psychosociologue, Serge Moscovici voit un certain nombre de ses concepts repris par Brice Lalonde dans le cadre de sa propre réflexion sur la place de la nature dans une société écologiste qu’il espère libérale, apaisée, délivrée des hiérarchies trop pesantes et des conventions artificielles108. André Gorz insiste de son côté sur les implications sociales du tournant environnemental considérant que l’écologie peut contribuer au dépassement du capitalisme109.
92Bien que les prémisses de leur réflexion soient très différentes, André Gorz et Serge Moscovici contribuent donc à la formalisation d’un écologisme autogestionnaire et antiautoritaire qui devient la marque de fabrique des Amis de la Terre110. En fournissant à cette association des slogans mobilisateurs et des analyses de fond, ils contribuent indéniablement à l’approfondissement et à la politisation du discours des Amis de la Terre, l’une des plus novatrices de l’époque au sein de la nébuleuse écologiste.
93Dans un contexte où l’écologisme est sans cesse remis en cause dans ses analyses comme dans son existence, le recours à des références intellectuelles est un moyen d’asseoir sa légitimité et d’approfondir ses analyses. Les Amis de la Terre s’illustrent par la variété de leurs usages de ces références qui contribuent à la réflexion théorique sur l’essence de l’écologisme, sur la stratégie à adopter et qui constituent également une ressource proprement politique.
94Dès lors que l’analyse se concentre sur les animateurs de la nébuleuse écologiste, le rôle des intellectuels paraît central tant pour légitimer le mouvement que pour alimenter ses réflexions. Néanmoins, en déplaçant le regard vers les militants et la manière dont ils s’approprient ces idées et ces prescriptions, la configuration générale des rapports entre les écologistes et les intellectuels apparaît très différente.
Une coopérative intellectuelle
95Dans la mesure où la nébuleuse écologiste est composée de nombreux groupes indépendants les uns des autres et inégalement investis dans la construction d’une identité collective, la fabrique intellectuelle de l’écologisme ne peut être assimilée aux processus qui se déroulent dans des organisations structurées sur le plan national, où la formation et l’acculturation des militants jouent un rôle majeur.
96À bien des égards, la nébuleuse écologiste a pour ambition d’apparaître comme une coopérative intellectuelle au sein de laquelle se construiraient de nouveaux modes d’élaboration des connaissances conformes la manière dont les militants envisagent la société à venir. Une telle approche est cohérente avec la représentation que les classes moyennes des années 68 ont souvent d’elles-mêmes, dans leur propension à s’identifier aux courants intellectuels d’avant-garde, voire à se prêter un rôle particulier dans une optique de transformation de la société111.
97Plusieurs raisons peuvent alors expliquer le rayonnement très relatif des intellectuels s’intéressant à l’écologisme auprès des militants. D’une manière générale, leurs œuvres sont bien souvent d’un abord ardu avec une forte dimension théorique. Dans son entretien avec Jacques Ellul paru dans La Gueule Ouverte, Michel Rodes commence par lui demander de réagir à l’accusation récurrente selon laquelle sa pensée ne pourrait aboutir à aucune action concrète112. Ainsi, il est possible qu’une telle réflexion ne réponde pas à la demande sociale des militants absorbés par la contestation antinucléaire et convaincus que le changement de société ne pourra s’opérer que sur le terrain et non à la faveur d’une construction intellectuelle complexe.
98Par ailleurs, de nombreux militants cherchent à donner un sens à leur action en mêlant délibérément des éléments de réflexion issus de plusieurs penseurs différents. Sur ce point, il ne fait aucun doute que les périodiques écologistes alimentent des effets de modes, insistant un temps sur l’importance d’un penseur avant de s’en désintéresser. Ainsi, l’équipe de La Gueule Ouverte se montre un temps très sensible aux théories d’Henri Laborit, philosophe et chercheur en neuroscience. En 1974, Isabelle Cabut parle ainsi de La Nouvelle Grille comme d’un « ouvrage obligatoire pour notre programme » car il permettrait à chacun de mieux se comprendre113. Cette vogue est remise en cause aussi rapidement qu’elle survient. Dès juillet 1975, Lambert regrette que le nom de Laborit soit devenu au sein du journal un argument d’autorité114. Fustigeant l’analyse à ses yeux trop sommaire des phénomènes sociaux proposée par Laborit car calquée sur les phénomènes biologiques, Lambert va plus loin en critiquant la figure même de l’intellectuel, qu’il considère comme une réponse à un sentiment d’insécurité ressenti par la plupart des militants. De fait, à partir du milieu des années 1970, La Gueule Ouverte ne fait presque plus allusion aux théories de Laborit.
99Cette forme de versatilité traduit une évolution d’ampleur des modes d’accès aux idées de ces penseurs qui passent de plus en plus par la presse, qu’elle soit grand public ou militante. Dans Le Sauvage, Laurent Samuel dresse ainsi une sorte de tableau comparatif des idées de six intellectuels différents autour du changement social115. De l’apologie de la contre-culture de Théodore Roszak à la notion de mouvement social imaginé par Alain Touraine en passant par le développement d’activités autonomes évoqué par Pierre Rosanvallon, le lecteur est en quelque sort invité à choisir. Une telle approche traduit l’évolution générale des sources de la reconnaissance intellectuelle qui passe de plus en plus par les médias grand public comme en témoigne le succès peu durable des « Nouveaux Philosophes » à la fin des années 1970116. Les revues militantes elles-mêmes aspirent à jouer par l’entremise de leurs journalistes un rôle d’intellectuel collectif à la recherche d’une nouvelle société. En octobre 1974, Pierre Samuel, membre éminent des Amis de la Terre, se réjouit ainsi que la presse écologiste ne se contente plus de condamner la pollution et qu’elle se refuse de laisser la définition d’un projet de société aux partis politiques117. De même, l’équipe du Courrier de la Baleine déclare en 1976 vouloir animer par ses articles une réflexion générale sur ce qu’est l’écologie, ce que doit être une société écologique et les tactiques à employer dans ce but118. Sur ce point, la rédaction de La Gueule Ouverte proclame clairement son ambition de faire du journal un « centre itinérant de rencontre et de recherche119 » où les lecteurs seraient constamment impliqués.
100Isabelle Cabut, alors rédactrice en chef, présente ainsi le numéro 30 du journal comme quinze pages « tournées vers une recherche des causes de notre dépossession, de notre aliénation120 ». Cette posture de recherche, d’ouverture et de réflexivité qui devrait être, selon le journal, l’apanage de tout écologiste est ainsi présentée au sein de La Gueule Ouverte comme un moyen de se distinguer d’un militantisme classique considéré comme routinier et aveuglément fidèle à une idéologie. Cette conviction est partagée par Jean-Paul Lambert qui estime que « pour que notre militantisme ne s’enlise pas dans de nouveaux enrégimentements, il doit être vécu de manière critique121 ». Cela implique à ses yeux de renoncer à toute vérité absolue pour ne plus envisager ses actions que comme des expérimentations qui interrogent sans cesse la nature et la place du pouvoir.
101Une telle démarche critique et révolutionnaire se traduit par un élargissement de la définition donnée à l’acte politique qui n’implique pas uniquement de participer à la démocratie représentative mais s’exerce au quotidien. Les écologistes n’ont pas le monopole de cette démarche : traquer les mécanismes de domination où qu’ils se trouvent pour les dénoncer, les subvertir ou les annihiler se retrouve dans d’autres démarches critiques des années 1968, tel le féminisme ou le mouvement communautaire122. En cela, l’écologisme participe d’une posture critique plus large qui valorise l’expression de la subjectivité et de l’esprit critique du militant.
102Cette posture critique peut également prendre la forme d’un militantisme existentiel à la recherche d’une relative austérité marqué par le refus ostentatoire des gadgets issus de la société de consommation (qu’il s’agisse du lave-vaisselle ou presse-agrume)123 dans une volonté de mettre en évidence l’impact environnemental des actes les plus quotidiens. Isabelle Cabut se réjouit ainsi de la virulence des réactions des lecteurs de La Gueule Ouverte après qu’elle eût proposé dans une recette de cuisine de mettre de la margarine dans un pâté végétal124. Cette anecdote est l’occasion pour elle d’affirmer le caractère politique et fondamental d’un militantisme existentiel.
« Ouais, élever trois laitues dans trois pots de fleurs sur un rebord de fenêtre mansardée au quatrième étage de la rue du Pot de Fer (par exemple) ça ne fait pas très costaud, question théorie révolutionnaire, lutte des classes et combat syndicaliste. Mais ça fait plaisir ! C’est bon, c’est beau. Et ça donne envie d’autres plaisirs, d’autres beautés, plus profondes, plus collectives, plus radicales, plus absolues125. »
103Confrontés à la remise en cause de leur démarche, considérés par certains thuriféraires du marxisme comme infra-politique, accusés de n’être que des « mangeurs de carotte », les écologistes sont amenés à retourner le stigmate en affirmant le caractère politique et subversif de la vie quotidienne qui traduit également l’idée que l’homme appartient à un ensemble écologique plus vaste avec lequel il interagit à chaque instant.
104Dans tous les cas, il est frappant de constater combien l’écologisme se trouve à la confluence de plusieurs courants qui tous, d’une manière ou d’une autre, valorisent le rôle de l’individu comme producteur de savoir, qu’il s’agisse de l’autogestion, de la réflexion écosystémique ou encore de la cybernétique. À ce titre, malgré ces obstacles techniques, cette fabrique collective des idées écologistes annonce indéniablement les pratiques apparues près de deux décennies plus tard avec l’internet dit 2.0.
105Aux États-Unis, la frange la plus technophile du mouvement écologiste, symbolisée par Steward Brand, l’éditeur du Whole Earth Catalog, a pu constituer une passerelle entre la contre-culture et la cyberculture dans une commune dénonciation du cloisonnement, des hiérarchies, du travail fractionné126. À ces errements sont alors opposées des pratiques collaboratives passant à la fois par une libération de la parole ainsi que par l’utilisation avisée de technologies facilitant les échanges entre les individus.
106En France, ce courant associant contre-culture, approche systémique et technophile existe même s’il n’a pas fait l’objet d’études approfondies. Les Amis de la Terre insistent ainsi beaucoup sur le potentiel civique des radios libres et de la télévision par câble comme de possibles vecteurs d’une information non hiérarchisée, diffusée et appropriée localement par des individus ordinaires : ces procédés techniques pourraient être le fer de lance d’un renouveau de la vie civique en permettant l’information et la participation de la population127. De même, au tournant des années 1970 et quatre-vingt, alors que les pouvoirs publics réfléchissent aux utilisations possibles de l’informatique et de la télématique, les Amis de la Terre des Landes animés par Gérard Dupouy commencent une réflexion novatrice sur les conséquences sociales de l’informatisation de la société128. Les réflexions mobilisées dans la lutte antinucléaire sont alors réinvesties dans le cadre d’une nouvelle forme de circulation du savoir, souple et décentralisée, à l’image des technologies douces de production d’énergie.
107Les liens entre fabrique de l’écologisme et technologies de la communication et de l’information suggèrent que, dans ce domaine comme dans celui de l’énergie, l’écologisme français tend à privilégier le bricolage. En l’occurrence, celui-ci est moins manuel qu’intellectuel et se rapproche du processus mis en lumière par Claude Lévi-Strauss dans La pensée sauvage129. À mesure que les événements font surgir de nouvelles questions, au gré des consultations électorales qui imposent de réfléchir à de nouveaux enjeux, les écologistes se comportent en bricoleurs puisant certes dans les réflexions des intellectuels mais selon un processus qui leur est propre et qui s’apparente à une autogestion intellectuelle valorisant le rôle de l’individu.
108La fabrique intellectuelle de l’écologie politique associe ainsi des intellectuels à ce processus sans que l’on ne puisse le résumer à une circulation verticale des idées depuis les clercs jusqu’aux militants tant les faits démontrent au contraire la variété des formes de réception et de réappropriation des propositions des intellectuels au sein de la nébuleuse écologiste.
109En définitive, l’écologisme apparaît comme une idéologie fragmentée, qui s’ébauche, se construit et s’enrichit à mesure que de nouveaux enjeux se posent aux yeux des militants. Dans ces conditions, toute tentative pour exposer l’écologisme de manière synthétique le transformerait en un artefact pour finalement obscurcir la compréhension du phénomène. Il est donc préférable de définir d’abord l’écologisme comme une méthode et une construction toujours provisoire s’interrogeant sur les rapports de l’homme à la nature, s’enrichissant et se recomposant au fil des enjeux.
Les grandes orientations programmatiques des mouvements écologistes
110À la faveur des différentes élections qui se succèdent durant les années 1970, la nébuleuse des mouvements écologistes mène une réflexion d’ampleur. Bien souvent, celle-ci n’est pas présentée comme un programme politique unifié : l’idée est de préserver la liberté de chaque candidat de formuler ses propres propositions en fonction de sa sensibilité et des spécificités de la situation locale130. Il existe néanmoins quelques grands textes visant à récapituler l’ensemble des idées des écologistes. À la suite des élections cantonales de 1976, Écologie et Survie met en forme un corpus de textes divers, à la fois des extraits d’ouvrages, des analyses thématiques consacrées à l’économie ou à l’énergie ainsi que des coupures de presse destinées à alimenter la réflexion de l’ensemble des militants131. De même, le livre Vers une société écologique aujourd’hui publié peu avant les législatives de 1978132 propose des pistes pour une transformation de la société sur le long terme, au-delà des seuls impératifs électoraux du moment.
111Au-delà de la pluralité des propositions concrètes – qui évoquent la restriction de la circulation automobile ou encore l’extension de la pratique du recyclage133 – les candidats s’accordent à dénoncer le productivisme comme une menace à la fois pour l’environnement et les hommes. Ce système tourné vers la croissance continue de la production de biens matériels par la recherche perpétuelle de progrès techniques est considéré comme le fondement de la société industrielle. Il serait à l’origine de l’aliénation de la vie quotidienne tout en entraînant une inégale répartition des richesses au niveau mondial et ceci sans prendre en compte le caractère fini des ressources planétaires134. Parce que l’idéologie productiviste se retrouve aussi bien à dans les systèmes capitalistes que socialistes, il serait donc nécessaire d’imaginer le passage vers une autre société.
112En 1975, Cornelius Castoriadis publie L’Institution imaginaire de la société dans lequel il réfléchit à une voie nouvelle pour conduire à une émancipation du capitalisme par l’autonomie, à la fois individuelle et collective135. Sur le moment, cet ouvrage ne semble pas commenté par les militants écologistes même si, quelques années plus tard, le 27 février 1980, Cornelius Castoriadis et Daniel Cohn-Bendit prononceront une conférence commune à l’université de Louvain-la-Neuve autour des liens entre écologie et autonomie136. En l’absence de cette référence explicite, les programmes écologistes insistent néanmoins de manière très appuyée sur la nécessité à rechercher l’« autosuffisance » dans tous les domaines, démarche considérée comme essentielle pour sortir de la société industrielle et du productivisme137.
113Dans le contexte de la contestation antinucléaire, cette autosuffisance est bien évidemment énergétique. En 1978, Vers une société écologique aujourd’hui appelle sur ce point à une « stratégie de décroissance138 », considérant qu’une trop forte disponibilité en énergie a rompu l’équilibre qui liait l’humanité aux écosystèmes. Cette notion va néanmoins au-delà pour envisager une approche locale de l’agriculture en revenant à une organisation la plus proche possible des écosystèmes locaux qui aurait recours à un matériel « adapté aux exigences d’un paysage diversifié avec haies et arbres » et aux techniques de l’agriculture biologique139. De même, les écologistes se proposent d’établir de liens directs entre les producteurs et les consommateurs pour réduire les coûts (énergétiques et financiers) et rendre à la population une autonomie de décision dans les choix de production alimentaire.
114Candidat au nom du Mouvement écologique dans le canton de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), Maurice Bardet insiste sur la nécessité de protéger le cadre de vie local, menacé par les transformations des activités économiques dans le sud de la France140. Il dénonce ainsi l’urbanisation incontrôlée du littoral qui remet en cause la vocation agricole de cet espace, en particulier la culture de l’olive de Provence. Il refuse également le tourisme de masse symbolisé par les grandes stations intégrées, telle Isola 2000, qu’il assimile à une « colonisation temporaire », pour prôner l’essor des gîtes ruraux, qui profiteraient aux populations locales tout en permettant un réel échange humain avec les vacanciers. Il propose également d’attribuer en priorité les chantiers de construction aux petites entreprises implantées dans la région plutôt qu’aux firmes nationales et internationales dont les bénéfices seront dépensés ailleurs.
115Ce renforcement de l’autonomie ne concerne pas uniquement les territoires mais aussi les individus. La réduction de la durée du travail pour l’ensemble des salariés va dans ce sens. Justifiée par des considérations économiques, cette mesure s’inscrit également dans une volonté d’assurer l’autonomie la plus large possible à l’individu, dans une perspective très inspirée par les analyses d’André Gorz141. Dans le cadre du programme du Mouvement Écologique pour les législatives de 1978, cette proposition est chiffrée et argumentée : les auteurs envisagent dans un premier temps une limitation de la durée du travail à 35 heures, mesure dont le coût est estimé à quatre-vingt milliards de francs pour 1978. Rejetant le recours à l’emprunt, les auteurs envisagent de financer cette mesure par un doublement de l’impôt sur le revenu, soulignant que son relèvement est également souhaité par le Comité des revenus et des transferts dans son rapport préparatoire au VIIe Plan.
116Pour favoriser cette autonomie, les textes programmatiques du Mouvement écologique142 et des Amis de la Terre143 veulent reconsidérer la place du citoyen dans le système institutionnel français. De leur point de vue, la remise cause de la tutelle de l’État ne doit pas conduire à conforter la prééminence des élus locaux mais à renforcer le pouvoir d’agir des citoyens144. Du fait du contexte des élections municipales de 1977 et de la propension des écologistes à envisager l’autonomie dans un cadre local, il n’est pas étonnant que la commune fasse l’objet de toutes leurs attentions.
117Le Mouvement écologique envisage ainsi la commune comme un écosystème qui doit tendre à l’autosuffisance, d’un point de vue énergétique mais aussi politique145. De même, Brice Lalonde assimile la communauté locale à un écosystème au sens propre comme au figuré146. Son autonomie est présentée comme un moyen d’assurer sa libération hors de la tutelle de l’État, que Brice Lalonde rejette, qu’elle prenne l’apparence de la providence ou du gendarme. Dans le cadre de ce programme écologiste, cette réflexion sur la communauté à peine esquissée apparaît comme une troisième voie possible, distincte du collectivisme et de l’anomie de la société capitaliste.
118Au sein des Amis de la Terre, cette réflexion repose sur le lecteur du philosophe américain Murray Bookchin qui considère que le changement social doit passer par les municipalités147 mais aussi sur les diverses expériences autogestionnaires en cours à l’époque dans certaines communes françaises comme Louviers (Eure) ou Coupvray (Seine-et-Marne)148. Dès lors, comme le soulignent les Amis de la Terre :
« Là où nous pouvons encore décider, s’il est encore possible de retrouver dans un lieu public ce sentiment de propriété collective, alors il sera sans doute également possible de reconnaître dans l’air, dans l’eau, dans la nature vierge et le bocage verdoyant le sens du patrimoine collectif, qui est nôtre, comme une immense maison sans portes ni fenêtres où les saccageurs sont entrés, nous privant de notre bien-être. Ensemble, mettons-les dehors et laissons la nature reconquérir ses droits149. »
119Cet extrait associe très étroitement l’accroissement du « pouvoir d’agir150 » des citoyens et la préservation de l’environnement. L’intérêt général, étendu à la jouissance d’un cadre de vie vierge de pollutions, n’est ici plus pris en charge par les élus mais par un « nous » qu’on peut rapprocher des réflexions de Brice Lalonde sur la communauté comme unité de base librement choisie. Pour les Amis de la Terre, les communes doivent être le cadre d’une démocratie directe écologiquement viable où les individus seraient en mesure d’agir directement sur leur environnement.
120Concrètement, les écologistes préconisent d’établir des commissions extramunicipales composées de responsables associatifs ou de simples citoyens qui auraient pour fonction de contrôler les élus voire de déterminer les grandes orientations du développement de la commune151.
121Cette promotion de l’action du citoyen dans le cadre de la commune traduit un certain discrédit à l’encontre de la fonction d’élu municipal et s’accompagne donc d’une promotion des associations, considérées comme l’expression directe des citoyens. Une telle perspective est plus particulièrement développée par SOS Environnement dans son « manifeste d’écologie politique » publié en juillet 1977. La référence à l’expérience de terrain des associations y est incessante ; elle est présentée comme un gage de crédibilité et de légitimité qui les distingue des partis politiques152. Fortes de leur prise en charge de problèmes concrets, les associations sont érigées en une nouvelle force apte à organiser la vie collective dans le cadre d’une démocratie locale vécue au quotidien. Plusieurs mesures sont ainsi proposées : la participation des associations à la gestion des équipements collectifs présents sur le sol communal, la reconnaissance par la loi du droit à l’information des citoyens et des associations, la mise en place d’un système de financement de ces dernières par le contribuable via un système de déduction d’impôt ou encore l’élection au suffrage universel des assemblées régionales aux larges compétences (aménagement du territoire, interventions économiques)153.
122Sur ce point, les écologistes oscillent donc entre la volonté faire du citoyen la clé de voûte d’une nouvelle forme de démocratie et celle de faire de la société civile, par le biais des associations, des co-gestionnaires et des co-aménageurs de la nature aux côtés des pouvoirs publics. Une telle ambivalence reflète plus largement la double dimension de la société civile. D’un côté, celle-ci tient un discours politique où elle s’attache à se distinguer de l’État, assumant une démarche faite de concurrence et de conflictualité154. De l’autre, la société civile ne peut pas, sauf à être réduite à l’impuissance, ne pas dialoguer avec les pouvoirs publics155. De ce fait, ces interrogations des écologistes qui oscillent entre propositions radicales et approche plus conciliante des débats soulevés par la refondation des institutions.
123Par certains égards, les contours de la société écologique à venir pourraient évoquer les discours post-soixante-huitards qui insistent sur la possibilité de changer la société pour peu que chacun le veuille. Dans cette perspective, Quand vous voudrez de Brice Lalonde serait le pendant écologiste de L’An 01 imaginé par Gébé et mis en scène par Jacques Doillon où comme le constate l’un des personnages « C’est très simple, il suffit d’arrêter156 ». Il existe cependant une différence de taille entre les deux œuvres. « L’An 01 » survient parce que les gens, un jour, spontanément, décident de refuser l’aliénation propre à la vie contemporaine. Quand vous voudrez suggère que le changement passera certes par la volonté d’instaurer une nouvelle forme de relations sociales mais aussi par la médiation politique et électorale.
124De fait, si les propositions des écologistes formulées à l’occasion des élections successives participent encore de l’univers politique des années 68, elles témoignent également d’une nette évolution vers la prise en compte des institutions comme facteur de changement social. Ainsi, l’arène électorale, loin d’être une caisse de résonance neutre pour les idées de la nébuleuse, infléchit profondément le discours des écologistes, reléguant le catastrophisme au second plan, induisant un dépassement des seuls thèmes environnementaux, conduisant à une sélection des acteurs les plus à l’aise dans cet exercice.
Notes de bas de page
1 Larrère C., « Ce que sait la montagne. Aux sources des philosophies de l’environnement », La vie des idées.fr [www.laviedesidees.fr], publié le 30 avril 2013, p. 8.
2 L’écologie profonde est pourtant un courant philosophique très spécifique théorisé par le philosophe norvégien Arne Naess dont l’écho en France demeure très limité.
3 Ferry L., Le nouvel ordre écologique, op. cit., p. 30.
4 Yèche H., « Die Grünen : des Verts de toutes les couleurs », in Grévy J. et al. (dir.), Vert et orange. Deux couleurs à travers l’histoire, Limoges, PULIM, 2013, p. 197.
5 Larrère C. et R., Du bon usage de la nature, Paris, Flammarion, 2009, p. 25.
6 CAC. Fonds des AT. 2005052/1. Nouvelles des groupes Amis de la Terre. S. d. [fin 1975].
7 L’écho de l’Escault, n° 3-4, 1979, p. 22.
8 Ibid., p. 3.
9 « Allauch : calèche ou bulldozer », L’Arapède, n° 2, novembre 1978, p. 5.
10 Mauz I., « Philippe Lebreton », Dictionnaire en ligne des acteurs de la protection de la nature et de l’environnement, notice parue le 19 janvier 2011 [http://www.ahpne.fr/spip.php?article103].
11 Ollitrault S., Militer pour la planète, op. cit., p. 29.
12 Lebreton P., L’ex-croissance. Les chemins de l’écologisme, Paris, Denoël, 1978, p. 166.
13 Ibid., p. 239.
14 Le Bureau du Mouvement écologique, « Actualités et actions nationales. Les Assises de Lille », Action AE, n° 2, décembre 1975, p. 1.
15 Lalonde B., « Le judo politique », LS, n° 48, 1er décembre 1977, p. 1.
16 Arthur, « Sisteron : Plantarem lou farigola », GO, n° 67, 20 août 1975, p. 3.
17 Samuel L., « Système de sécurité », GO, n° 103, 28 avril 1976, p. 6.
18 Lazzarato M., « Du biopouvoir à la biopolitique », Multitudes, n° 1, mars 2000 [http://multitudes.samizdat.net/Du-biopouvoir-a-la-biopolitique], consulté le 17/12/2012.
19 Vadrot C.-M., L’écologie. Histoire d’une subversion, Paris, Syros, 1978, p. 249.
20 Ibid., p. 174.
21 Vadrot C.-M., « Les écologistes aux municipales », Tribune Socialiste, n° 731, 23 février-3 mars 1977, p. 16.
22 Jacob J., Histoire de l’écologie politique, op. cit., p. 20.
23 Lagroye J., « Les processus de politisation », in Lagroye J. (dir.), La politisation, op. cit., p. 365.
24 Lalonde B., Quand vous voudrez, op. cit., p. 42.
25 Latour B., Nous n’avons jamais été modernes, op. cit. Voir également Latour B., « Pour un dialogue entre science politique et science studies », Revue française de science politique, 2008/4, vol. 58, p. 657.
26 Ibid., p. 662.
27 « La belle vie », CB, n° 2, janvier 1972, p. 3.
28 Fournier P., Où on va, op. cit., p. 50-51.
29 Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Paris, Seuil, 1970.
30 La Logique du vivant, une histoire de l’hérédité, Paris, Gallimard, 1970.
31 Turner F., Aux sources de l’utopie numérique, op. cit., p. 92 sq. Chamak B., Le Groupe des Dix ou les avatars des rapports entre science et politique, Paris, Éditions du Rocher, 1997.
32 Stoll E., « L’homme et le monde animal », CB, n° 36, mai 1978, p. 6.
33 Goldsmith T., « La société retribalisée », LS, n° 49, 1er janvier 1978, p. 21.
34 Lebreton P., L’excroissance, op. cit., p. 99.
35 Ibid., p. 321.
36 Duranton-Crabol A.-M., « La « nouvelle droite » entre printemps et automne (1968-1986) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1988/1, n° 17, p. 43.
37 Dard O., « La Nouvelle Droite, le libéralisme et la décroissance », in Dard O., Richard G., Les droites et l’économie en France au xxe siècle, Paris, Riveneuve, 2011, p. 88.
38 Duranton-Crabol A.-M., « La « nouvelle droite », art. cit., p. 44.
39 De Benoist A., Vu de Droite. Anthologie critique des idées contemporaines, Copernic, 1977, p. 324, cité par Dard O., « La Nouvelle Droite, le libéralisme et la décroissance », art. cit., p. 96.
40 Samuel L., « La Vie Claire récidive », GO, n° 86, 31 décembre 1975, p. 9.
41 Barloy J.-J., « La race des seigneurs », GO, n° 228bis, 20 septembre 1978, p. 14.
42 Dard O., « La Nouvelle Droite et la société de consommation », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1996/3, n° 91, p. 132.
43 Lambert, « La croisée des mots », GO, n° 236, 15 novembre 1978, p. 10.
44 Asselin, « L’ami intérieur », GO, n° 188, 15 décembre 1977, p. 2.
45 Lebreton P., L’excroissance, Paris, Denoël, 1978, p. 184.
46 « À Nature et Progrès, “politiques” contre “apolitiques” », AE, n° 2, décembre 1975, p. 3.
47 Lalonde B., Sur la vague verte, op. cit., p. 190.
48 De Miller R., « La nature, dernier souci des écologistes », CB, n° 56, novembre-décembre 1980, p. 22.
49 Cédric et Pierre, « Des mamelles et des poils », GO, n° 223, 16 août 1978, p. 16.
50 David C., « Günther Anders et la question de l’autonomie de la technique », Écologie & Politique, 2006/1, n° 32, p. 183.
51 Gorz A., « L’électrofascisme », LS, n° 20, mars 1975, p. 10.
52 « La société nucléarisée suppose la mise en place d’une caste de techniciens militarisés, obéissant, à la manière de la chevalerie médiévale, à son propre code et à sa propre hiérarchie interne, soustraite à la loi commune et investie de pouvoirs étendus de contrôle, de surveillance et de réglementation ». Cf. [Les Amis de la Terre], L’escroquerie nucléaire, op. cit., p. 219.
53 Illich I., La convivialité, Paris, Seuil, 1973, p. 18 sq.
54 « Les irradiés seront abattus comme des chiens enragés », GO, n° 202, 22 mars 1978, p. 9.
55 Le Goff J.-P., Mai 68, op. cit., p. 189 sq.
56 « Le technocrate a des cheveux blancs, coupés courts, un couplet veston à petites rayures, une cravate bien sûr, et une sorte de lenteur et d’onction paternelle dans l’élocution », Hervé A., « Nous sommes tous des ingénieurs solaires », LS, n° 21, juillet 1975, p. 9.
57 Dard O., La synarchie. Le mythe du complot permanent, Paris, Perrin, 1998, p. 158.
58 Le Béguec G., « Pierre Mendès-France et la technocratie », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2001/1, n° 63, p. 112.
59 Lenoir Y., Technocratie française, op. cit., p. 179.
60 Ibid., p. 24.
61 Lenoir Y., Rapport Poincaré. Possibilités et contraintes d’une économie du plutonium, Paris, Almonde, 1977, p. 7.
62 [Mouvement Écologique], Vers une société écologique, Paris, Le Sycomore, 1978, p. 37.
63 Il semble que cette image, appelée à être reprise à de nombreuses occasions au cours des années 1970, ait été imaginée par Georges Pompidou pour commenter ce que proposait à ses yeux le Club de Rome. Cf. Samuel L., « Commentaire », Bulletin de liaison n° 11 – supplément à Survivre… et Vivre, n° 12, s. d., p. 10.
64 Marchais G., Parlons franchement, Paris, Grasset, 1977, p. 119, cité par Sainteny G., « Le Parti communiste français face à l’écologisme », Pouvoirs, n° 70, septembre 1994, p. 150.
65 Hervieu D., « Apocalyptique écologique et “retour” de la religion », Archives des sciences sociales des religions, vol. 53, n° 1, 1982, p. 50.
66 Jarrige F., Au temps des « tueuses de bras ». Les bris de machines à l’aube de l’ère industrielle, Rennes, PUR, 2009, p. 15 sq.
67 Kirk A. G., Counterculture green. The Whole Earth Catalog and American Environmentalism, Lawrence, University Press of Kansas, 2007, p. 4.
68 Ce terme désigne des procédés applicables localement par des non-spécialistes, économes en énergie et plus généralement respectueux de l’environnement. Cf. Schumacher E., Small is beautiful, Paris, Seuil, 1979.
69 « Contacts et rencontre », Survivre et Vivre, n° 9, août-septembre 1971.
70 « Göreme », Survivre… et Vivre, n° 14, octobre-novembre 1972, p. 9.
71 « La petite histoire : 1975 », editionsalternatives.com [http://www.editionsalternatives.com/site.php?type=P&id=320], consulté le 18/03/13.
72 Entretien avec Laurent Samuel. 18/03/10.
73 De Gravelaine F., « Pour devenir un chaud partisan du soleil », L’Unité, n° 335, 13 avril 1979.
74 International Institute of Social History. Fonds WISE. 388. Lettre du groupe préparatoire à WISE. S. d. [février 1978].
75 Professeur Mollo-Mollo (ps. de Philippe Lebreton et Roger Bernard), « Oui à la plus grande centrale nucléaire du monde », GO, n° 10, août 1973, p. 30.
76 Évrard A., Contre vents et marées. Politiques des énergies renouvelables en Europe, Paris, les Presses de Sciences Po, 2013, p. 19.
77 Lovins A., Soft Energy Paths. Towards a Durable Peace, New York, Harper Colophon Books, 1977, cite par Evrard A., Contre vents et marées, op. cit., p. 19.
78 FL, « Adorons le soleil », GO, n° 52, 7 mai 1975, p. 4 ; Le Sauvage, « Guide pratique 1979 de la maison solaire », LS, n° 66, juin 1979, p. 6.
79 Andrieu C., Bronzage, op. cit., p. 33 sq.
80 Loubes J.-P., « Le soleil récupéré », GO, n° 41, 19 février 1975, p. 4.
81 Ellis C., « Tout solaire, tout électrique », GO, n° 148, 9 mars 1977, p. 2.
82 Letitre J.-L., « Maryse Arditi, femme de combats », La dépêche.fr [http://www.ladepeche.fr/article/ 2012/11/18/1491738-maryse-arditi-femme-de-combats.html], 18/11/12, consulté le 10/01/14.
83 De Gravelaine F., « Pour devenir un chaud partisan du soleil », L’Unité, n° 335, 13 avril 1979.
84 Daniel J., directeur de la rédaction du Nouvel Observateur dont dépend Le Sauvage, déclare un jour à Alain Hervé qu’à ses yeux l’écologisme est certes une démarche intéressante mais qu’elle ne constitue pas un « système fondateur » comme l’est le socialisme. Entretien avec Alain Hervé. 12/03/10.
85 Belorgey N. et al., « Théories en milieu militant », Sociétés contemporaines, 2011/1, n° 81, p. 6.
86 Jacob J., Histoire de l’écologie politique, op. cit.
87 Au Royaume-Uni, Douglas MacEwan a ainsi l’idée de créer la Conservation Society après avoir lu une interview de Julian Huxley dans le magazine Playboy. Cf. Herring H., « The Conservation Society : Harbinger of the 1970s Environment Movement in the UK », Environment and History, 2001/4, n° 7, p. 386.
88 Neveu E., Sociologie des mouvements sociaux, op. cit., p. 63.
89 Touraine A. et al., La prophétie anti-nucléaire, Paris, Seuil, 1980, p. 11.
90 Ibid., p. 27.
91 Alain Touraine participe ainsi à un comité « environnement et nucléaire » mis en place par le PS en avril 1977. Centre des Archives Socialistes. Fonds Robert Pontillon. 8 FP 3/124. Rapport du comité « Environnement et nucléaire » du Parti Socialiste. 1er décembre 1977.
92 « Le manifeste de derrière les fagots », L’envert du Nord, n° 26, octobre 1980, p. 31.
93 CAC. Fonds AT. 20050521/4. Agenda des Amis de la Terre, réunion du 15 janvier 1979.
94 Ollitrault S., « Science et militantisme : les transformations d’un échange circulaire. Le cas de l’écologie française », Politix, 1996/9, n° 36, p. 142.
95 CAC. Fonds AT. 20050521/1. Note de Pierre Samuel. 15 février 1979.
96 Musée du Vivant. Fonds LV. Carton « Europe Écologie-Courrier ». Lettre de René Commandeur à Europe-Écologie. 3 octobre 1979.
97 Jacob J., Le retour de l’ordre nouveau, Genève, Droz, 2000, p. 7 sq.
98 Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel [BPUN]. Fonds Denis de Rougemont. Liasse 1. Lettre de Wouter van Dieren à Édouard Kressmann. 29 juillet 1978.
99 Jacob J., Histoire de l’écologie politique, op. cit., p. 86 sq.
100 Mauz I., « Philippe Lebreton », Dictionnaire en ligne des acteurs de la protection de la nature et de l’environnement, mis en ligne le 19/01/11 [http://ahpne.fr/spip.php?article103], consulté le 23/01/11.
101 Waechter A., Dessine-moi une planète. L’écologie maintenant ou jamais, Paris, Albin Michel, 1990, p. 15.
102 Il faut par ailleurs souligner que Robert Hainard ne publie aucun ouvrage entre 1972 (date de parution d’Expansion et nature : une morale à la mesure de notre puissance) et les années 1980 où il consacre à l’écriture de livres naturalistes.
103 [Mouvement écologique], Vers une société écologique aujourd’hui, Paris, Le Sycomore, 1978, p. 45.
104 Asselin, « Même si on me prouvait que les loups sont inutiles. Entretien avec Robert Hainard », GO, n° 164, 30 juin 1977, p. 4-5.
105 Charbonneau B., « Chronique du terrain vague », GO, n° 157, 11 mai 1977, p. 4.
106 Mamère N., « Préface », in Charbonneau S., Résister pour sortir du développement : le droit entre nature et liberté, Paris, Éditions Sang de la Terre, 2009, p. 7-8.
107 Samuel P., « Une autocritique du mouvement », CB, n° 56, novembre-décembre 1980, p. 20.
108 « Il faut sauver l’homme sauvage. Entretien avec Serge Moscovici », LS, n° 19, janvier 1975, p. 92.
109 Gorz A., « Introduction. Leur écologie et la nôtre (texte paru dans Le Sauvage, avril 1974) », in Écologie et Politique, Paris, Seuil, 1975, p. 9 sq.
110 Duverger T., « Écologie et autogestion dans les années 1970. Discours croisés d’André Gorz et de Cornélius Castoriadis », Écologie et Politique, 2013/1, n° 46, p. 139.
111 Bacqué M.-H., Vermeersch S., Changer la vie ? Les classes moyennes et l’héritage de Mai 68, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2007, p. 32.
112 Rodes M., « Entretien avec Jacques Ellul », GO, n° 11, septembre 1973, p. 24.
113 « Isabelle monte en chaire. Je nous souhaite la politique », GO, n° 34, 1er janvier 1974, p. 2.
114 Lambert, « Gare aux gourous », GO, n° 61, 9 juillet 1975, p. 11.
115 Samuel L., « Le changement social en six contorsions », LS, n° 72, automne 1980, p. 60 sq.
116 Le Goff J.-J., Mai 68, op. cit., p. 416.
117 Samuel P., « Presse et pensée écologiste », GO, n° 24, octobre 1974, p. 3.
118 « Éditorial », CB, n° 18, périodicité non précisée, p. 1.
119 « Isabelle monte en chaire », GO, n° 29, 27 novembre 1974 p. 3.
120 « Isabelle monte en chaire », GO, n° 30, 4 décembre 1974, p. 2.
121 Lambert, « On ne sait toujours pas où on va mais on y va », GO, n° 160, 2 juin 1977, p. 1.
122 Mathieu L., Les années 70, un âge d’or des luttes, op. cit., p. 53.
123 CAC. Fonds AT. 20050521/1. « Le mouvement écologique et ses contradictions », Preuves, n° 19, s. d. [après juin 1974], p. 13.
124 Cabut I., « Les carnets de la vieille taupe », GO, n° 103, 28 avril 1976, p. 16.
125 Ibidem.
126 Turner F., Aux sources de l’utopie numérique, op. cit., p. 141 sq.
127 Lalonde B., « Quand vous voudrez », CB, n° 26-27, s.d [novembre 1976], p. 36.
128 « Rapport de Gérard Dupouy, le 8 septembre 1981 », Bulletin de liaison des Amis de la Terre, 28 septembre 1981, p. 11.
129 Lévi-Strauss C., La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 26 sq. « Regardons-le [le bricoleur] à l’œuvre, excité par son projet, sa première démarche pratique est pourtant rétrospective : il doit se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d’outils et de matériaux ; en faire, ou en refaire, l’inventaire ; enfin et surtout, engager avec lui une sorte de dialogue, pour répertorier, avant de choisir entre elles, les réponses possibles que l’ensemble peut offrir au problème qu’il lui pose. »
130 MV. Fonds LV. Carton « Écologie 78 ». Lettre de Serge Guiot au Mouvement écologique. 24 février 1978.
131 [Écologie et Survie], Élections cantonales. Mars 1976. Une base pour les municipales de 1977, supplément d’Action Écologique, s. d. [après mars 1976], p. 1.
132 [ME], Vers une société écologique aujourd’hui, Paris, Le Sycomore, 1978.
133 MV. Fonds LV. Carton « Municipales 1977 ». Profession de foi « Montargis Capitale Écologie ». S. d. [c. 1977].
134 « Esquisse de programme », AE, n° 2, décembre 1975, p. 2.
135 Castoriadis C., L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975.
136 Castoriadis C., Cohn-Bendit D., De l’écologie à l’autonomie, Lormont, éditions Le Bord de l’eau, 2014.
137 « Présentation », AE, n° hors série, 1977, p. 3.
138 [Mouvement écologique], Vers une société écologique aujourd’hui, op. cit., p. 49.
139 Ibid., p. 81.
140 CARAN. Fonds PSU. AP 581 43. Dossier 1974. Tract de Maurice Bardet, candidat du Mouvement écologique dans le canton de Cagnes-sur-Mer. S. d. [c. mars 1976].
141 Gorz A./Bosquet M., Écologie et politique, Paris, Seuil, [1975], 1978, p. 24 sq.
142 « Bilan des assises du mouvement écologique (Mulhouse, les 30-31 octobre et 1er novembre) », AE, n° 7, décembre 1976, p. 3.
143 « Les Amis de la Terre en France », CB, n° 25, décembre 1976, p. 9.
144 Kirszbaum T., « Vers un empowerment à la française ? A propos du rapport Bacqué-Mechmache », La vie des idées.fr [www.laviedesidees.fr], 12 novembre 2013, p. 1.
145 Ibidem.
146 « Liste des propositions écologistes », La Baleine du Ve, supplément au Courrier de la Baleine, novembre 1976, p. 1.
147 « Les écologistes aux municipales », GO, n° 134, 1er décembre 1976, p. 19.
148 « Communes : le temps de l’autogestion », CB, n° 26-27, s. d., p. 30 sq.
149 « Options écologiques générales », CB, n° 26-27, s. d. [c. février 1977], p. 17.
150 Talpin J., « Mobiliser les quartiers populaires. Vertus et ambiguïtés du community organizing vu de France », La vie des idées.fr [http://www.laviedesidees.fr/Mobiliser-les-quartiers-populaires.html], 26 novembre 2013, p. 2.
151 « Pouvoirs permanents de la population », CB, n° 26-27, s. d. [c. février 1977], p. 14.
152 BDIC. Fonds PSU. F Δ 703/28. Brochure SOS-Environnement, supplément au n° 15 des Républiques françaises. Juin 1977, p. 1.
153 Ibidem.
154 Chevrier Y., « La question de la société civile, la Chine et le chat du Cheshire », Études chinoises, 14-2, 1995, p. 153 et 194.
155 Kaplan S. L., Minard P., « Le corporatisme, idées et pratiques : les enjeux d’un débat incessant », in Kaplan S. L., Minard P. (dir.), La France, malade du corporatisme ? xviiie-XXe siècles, Paris, Belin, 2004, p. 23.
156 De Baecque A., « L’An 01 de Jacques Doillon », in Philippe Artières et al., 68 une histoire collective [1962-1981], op. cit., p. 445.
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