Chapitre II. Sur le devant de la scène
p. 75-131
Texte intégral
1S’interroger sur l’émergence de l’écologisme dans la France des années 1970 confronte immédiatement avec la question des origines. Est-il possible de dater, si possible avec précision, l’apparition de cette nouvelle forme de militantisme ? La candidature de René Dumont, mise en œuvre au nom d’un « mouvement écologique français » dont l’appellation sous-entend l’unité et la cohérence1, manifeste aux yeux des Français et des partis politiques l’existence d’une nébuleuse nouvelle ; néanmoins, elle ne constitue au mieux que l’acte de naissance médiatique d’un phénomène bigarré, éclaté, sans appellation consensuelle.
2L’écologisme français, si tant est qu’il soit possible de recourir au singulier, est durant cette période avant tout caractérisé par son « insoutenable légèreté2 » comme nous le verrons dans un premier temps. Dans cette perspective, la candidature de René Dumont apparaît sous un nouveau jour : ce happening politique et médiatique ne s’adresse pas uniquement au grand public à qui il faudrait révéler une réalité occultée mais aussi aux militants et aux organisations susceptibles de se reconnaître dans ce message et appelés à s’y conformer pour véritablement faire advenir ce « mouvement écologique français » alors bien évanescent.
L’insoutenable légèreté de l’écologisme
3La métaphore de la nébuleuse est régulièrement mobilisée dans les sciences humaines pour caractériser un champ aux contours flous, constitués de réseaux aux configurations variées, d’organisations aux caractéristiques diverses et de publications qui jouent fréquemment un rôle essentiel dans la structuration de l’ensemble3.
4À bien des égards, l’écologisme français du début des années 1970 répond à cette définition. Alors que le foisonnement des réflexions visant à refonder les rapports entre l’homme, la société et la nature se poursuit, des publications et des groupes militants apparaissent et entrent en contact.
5La mise en évidence de ces activités, l’esquisse d’une quantification des groupes, bref, la caractérisation de cette nébuleuse doit permettre une meilleure compréhension du phénomène écologiste du début des années 1970 marqué par une insoutenable légèreté. En effet, cette nébuleuse n’est encore à l’époque qu’une somme de potentialités et de débats opposant les acteurs sur ses contours, ses méthodes, ses finalités sans qu’aucune approche ne l’emporte sur l’autre.
Les conflits environnementaux, matrice de l’écologie politique
6Les années 1970 n’ont en rien le monopole des conflits environnementaux qui surviennent quelle que soit l’époque dès lors que l’usage d’une ressource est disputé entre plusieurs acteurs ou que l’usage d’un territoire fait débat. Il est néanmoins plausible de supposer que de tels épisodes se soient multipliés à partir du xixe siècle du fait de la diffusion spatiale de l’industrie et de l’augmentation de la population4. Cela dit, pour la plupart des Français des années 1970, l’environnement est un enjeu nouveau ce qui explique les réactions particulièrement catastrophées à la suite du naufrage du Torrey Canyon (18 mars 1967) ou l’écho suscité par la mobilisation des paysans du Larzac à partir de 1971. Or, dans un certain nombre de cas, ces conflits conduisent à la structuration d’un milieu militant dont les objectifs, les analyses et le discours dépassent l’enjeu immédiat pour contribuer à l’émergence de la nébuleuse des mouvements écologistes.
7Au-delà des seuls protecteurs de la nature, les populations sont susceptibles de se mobiliser face à des atteintes à l’environnement considérées comme inacceptables. En 1972, la société italienne Montedison commence à rejeter au large de la Corse d’importantes quantités de dioxyde de titane qui forment des nappes de boues rouges acides et dangereuses aussi bien pour la faune que pour les pêcheurs5. En réaction, des manifestations sont organisées sur l’île dont l’une conduit, le 17 février 1973, à l’invasion de la sous-préfecture de Bastia cependant qu’un navire de la Montedison est plastiqué (le 15 septembre 1973). Des comités anti-boues rouges se mettent par ailleurs en place sur l’île et mêlent revendications nationalitaires et environnementales.
8D’importantes mobilisations se produisent également à Marckolsheim, petite commune au nord de Strasbourg sur les berges du Rhin. Dès 1973, Antoine Waechter et son association des Jeunes Amis des Animaux réintroduisent trois castors dans la forêt environnante pour protester contre le projet de zone industrielle6. L’affaire prend une tout autre ampleur au printemps 1974 lorsqu’est dévoilé le projet d’un groupe bavarois, le Chemische Werke Munchen (CWM), d’installer une usine produisant des stéarates de plomb7. Craignant des rejets nocifs pour l’environnement comme pour les individus, peu confiantes en l’efficacité des mesures anti-pollutions proposées par les pouvoirs publics, 21 associations alsaciennes et badoises occupent le site avec le concours des habitants à partir du 16 septembre 1974 poussant la société à renoncer à son projet.
9Au-delà de ces mobilisations de grande ampleur mais dont les motivations ne sont pas inédites, la contestation du nucléaire civil semble plus originale en ce début des années 1970. Si l’édification de la force de frappe française a suscité des protestations parfois non négligeables dans les années 1960, jamais la construction des centrales de production d’électricité n’avait suscité de conflits importants et durables8. À l’inverse, dès le début de la décennie suivante, deux sites sont concernés : Fessenheim (Haut-Rhin) et le Haut-Bugey (Ain).
10Le 11 août 1970, quatre personnes, Jean-Jacques Rettig, Alain Boos, G. Rossin et C. Wehrung adressent une lettre ouverte à François-Xavier Ortoli, alors ministre du Développement industriel, pour protester contre le projet de construction d’une centrale à Fessenheim9. Très vite, ils entrent en contact avec Esther Peter-Davis, traductrice au sein des institutions européennes et auteur de Fessenheim. Vie ou mort de l’Alsace où elle dénonce les dangers du nucléaire en s’appuyant sur les données diffusées par les militants américains10. C’est à la confluence de ces deux initiatives qu’est fondé le CSFR [Comité pour la Sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin], probablement l’un des premiers comités français spécifiquement dédié à la contestation du nucléaire civil. Sous son égide, 1500 personnes se rassemblent à Fessenheim le 12 avril 197111. Près d’un an plus tard, en mai 1972, ils sont 10000.
11Ces initiatives alsaciennes constituent une source d’inspiration pour Pierre Fournier, alors journaliste à Charlie Hebdo, qui cherche à cette époque à mobiliser largement contre la mise en fonctionnement du premier réacteur de la centrale du Bugey, prévue pour 197212. Tout au long de l’année 1971, au gré de des articles publiés dans Charlie Hebdo, les lecteurs découvrent le programme de la « fête de Bugey » pour laquelle la direction du journal va jusqu’à affréter des cars depuis Paris. Ils sont peut-être 10000 sur le site le week-end du 10 au 11 juillet 1971 et le rassemblement donne naissance à un groupe baptisé Bugey-Cobayes. Par la suite, une dizaine de groupes se forment dans toute la France à mesure que les « anciens combattants de Bugey » en reprennent le répertoire d’action. Ainsi, « d’une manif à l’autre, la franc-maçonnerie des écolo-gauchistes [sic] se raconte ses expériences agricoles13 ». Ces manifestations permettent donc une circulation des savoir-faire militants et favorisent l’interconnaissance et le sentiment de mener un combat commun.
12Il est frappant de constater combien les animateurs de ces premières luttes antinucléaires entendent très rapidement inscrire leur combat dans une démarche politique associant la refondation des rapports de l’homme à la nature et la mise en cause des pratiques classiques de l’aménagement du territoire. Certes, une telle montée en généralité est fréquente dans les conflits environnementaux car les contestataires cherchent à démontrer qu’ils ne sont pas uniquement mus par l’égoïste préservation de leur environnement immédiat. Néanmoins, pour certains animateurs de la lutte antinucléaire, cette démarche est plus affirmée.
13D’emblée, le CSFR s’efforce en Alsace d’éviter que les pouvoirs publics n’opposent l’intérêt supérieur de la nation, qui passerait par le développement de technologies de pointe, à l’égoïsme de quelques riverains soucieux de leur confort. Lorsque de Jean-Jacques Rettig, l’un des animateurs du CSFR, écrit au préfet du Haut-Rhin pour obtenir des précisions sur la procédure d’enquête publique qui détermine la légalité des procédures d’expropriation, il lui est répondu que « Le dossier est […] de caractère interne et ne peut pas donner lieu à publication14 ». En ce début des années 1970 où l’impératif industriel prédomine, les pouvoirs publics n’envisagent pas de consulter les populations attenantes ni même de les informer spécifiquement. Cette pratique caractéristique d’un aménagement du territoire orchestré par l’État est d’autant plus prégnante dans le cas du nucléaire, technologie d’origine militaire considérée comme une priorité nationale.
14En retour, le CSFR insiste sur la dignité de l’action entreprise car « en agissant en citoyens responsables du présent comme de l’avenir, ses membres accomplissent un Acte Politique au sens élevé du terme15 ». Dès lors, comme l’annonce le premier numéro de Ionix, le journal de l’organisation, sa lutte doit contribuer « à un large courant populaire favorable à une conception plus saine et plus humaine du progrès et par conséquent hostile à la prolifération de centrales nucléaires, sources de pollution radioactive et de déchéance16 ». Le CSFR va donc au-delà de l’effet NIMBY pour rejeter un mode de développement néfaste pour l’environnement et l’homme sur le plan physique comme moral. Les considérations politiques et environnementales sont donc étroitement liées dans une perspective globale car « la terre a ses limites. Les équilibres biologiques, écologiques sont une réalité. La logique du capitalisme d’État (URSS) et encore plus celle du capitalisme privé (bloc Ouest) conduisent à la destruction de ces équilibres17 ». Autrement dit, les luttes idéologiques structurant le clivage gauche/droite et les équilibres géopolitiques mondiaux seraient superficielles dans la mesure où les sociétés de l’Est et de l’Ouest participeraient d’un même système industriel dont la nocivité pour l’environnement obligerait à formuler une alternative globale qui prenne en compte ces nouveaux enjeux.
15Pour importantes qu’elles soient et malgré cette volonté de montée en généralité, ces premières mobilisations restent étroitement associées à un site en particulier et peinent à mobiliser au-delà de ses abords immédiats. C’est d’autant plus le cas que le nombre de centrales nucléaires est à l’époque relativement limité puisque le grand programme français de construction – dit plan Messmer – date de mars 1974.
16De fait, si les mobilisations environnementales – et singulièrement antinucléaires – constituent sans nul doute l’une des matrices de la nébuleuse écologiste, elles ne peuvent en être l’unique source dans la mesure où de nombreux groupes apparaissent également sans être liés à un conflit particulier.
Brice Lalonde et les Amis de la Terre de Paris
17Dès le début des années 1970, certaines organisations se distinguent par leur capacité à tenir un discours global sur la crise écologique et ses solutions et à le diffuser plus largement que les autres. Appelées à devenir des acteurs majeurs de l’écologisme des années 1970 et parfois au-delà, ces organisations ont par ailleurs laissé des traces archivistiques plus nombreuses que la plupart des groupes de l’époque dont la taille modeste et leur volonté d’agir dans l’instant ne les prédisposent pas à laisser à tenir des archives exhaustives.
18Retracer le parcours de Brice Lalonde et les premières actions des Amis de la Terre de Paris n’implique évidemment pas que seul ce groupe ait eu une importance décisive dans la construction de l’écologisme français. Cependant, parmi la douzaine de groupes Amis de la Terre qui apparaissent dans le début des années 1970, celui de Paris sera le plus médiatisé et peut-être le plus ambitieux. De ce fait, son étude offre un point de comparaison qui permet, en retour, d’éclairer et de comprendre les spécificités de cette nébuleuse et de ses militants durant cette période cruciale.
19Comme il l’avoue bien volontiers, Alain Hervé, fondateur et premier président des Amis de la Terre, n’a jamais été un homme d’appareil ou un militant chevronné18. Au sein de l’association, il se consacre à la mise sur pied du Courrier de la Baleine dont le premier numéro paraît en juillet 1971 et le groupe de Paris, matrice des Amis de la Terre en France, n’envisage pas au départ de poser son action en termes explicitement politiques. Les choses auraient pu continuer ainsi si Brice Lalonde n’avait poussé la porte du Quai-Voltaire, siège de l’association, au début de l’année 197219. Très vite, celui-ci en devient le principal animateur et son importance dans la construction de l’écologisme français justifie un détour biographique20.
20Brice Lalonde est né en 1946 dans une famille aisée : son père est un industriel du textile et sa mère est apparentée aux Forbes. C’est lors de ses études de lettres classiques à la Sorbonne qu’il commence ses activités militantes en adhérant à l’UNEF dont il assume la présidence pour le site parisien à partir de 1967. Brice Lalonde s’inscrit alors dans la mouvance des Étudiants socialistes unifiés, tendance syndicale de l’UNEF contrôlée par le PSU21. Un tel engagement n’est pas si fréquent dans une période où le syndicalisme étudiant peine à se renouveler après la fin de la guerre d’Algérie : un jeune étudiant désireux de militer à gauche dans les années 1960 se tournait plus volontiers vers les Comités Vietnam de Base et la sociologie à Nanterre que vers l’UNEF et l’étude des lettres classiques à la Sorbonne. Ces responsabilités syndicales permettent néanmoins à Brice Lalonde d’acquérir de nombreuses compétences militantes qui lui seront utiles par la suite, qu’il s’agisse de prendre la parole en public, de rédiger un tract ou de savoir naviguer entre des tendances antagonistes.
21Mai 68 constitue un événement important dans la vie de Brice Lalonde qui sort progressivement d’un militantisme étudiant pour mener une action plus explicitement politique à la lisière du gauchisme et de la contre-culture22. Il contribue par exemple à la création du Mouvement d’action universitaire (MAU), un comité d’action peu marqué par le marxisme, et dirige L’Agitateur qui prône une refonte totale de l’université23. Au cours de l’année 1970, il abandonne ses études pour travailler en usine sous l’influence, comme il le reconnaît lui-même, de « l’idéologie ouvriériste24 ». À la même époque, Brice Lalonde adhère au Parti socialiste unifié où il milite très activement, courant de meetings en meetings. De fait, si le parcours militant de Brice Lalonde révèle les hésitations d’une jeunesse politisée qui s’interroge sur les luttes à mener, il n’en demeure pas moins qu’entre la critique sociale et la critique artiste du capitalisme25, le futur animateur des Amis de la Terre paraît pencher pour cette deuxième voie.
22Comment Brice Lalonde est-il devenu écologiste ? En règle générale, le récit que les écologistes donnent de leur propre parcours oscille entre l’évocation d’un moment particulier de prise de conscience et l’idée que l’amour de la nature serait présent en eux depuis l’enfance26. Le cas de Brice Lalonde, pourtant bien documenté, n’échappe pas à cette ambivalence. Il se souvient d’une part que « l’amour des animaux vient de ma mère et de ma grand-mère qui habitait près de Saint-Malo27 ». Il raconte d’autre part que sa décision de s’investir dans cette cause date de sa découverte d’une affiche des Amis de la Terre dénonçant le projet de voie express sur la rive gauche, à deux pas de Notre-Dame-de-Paris. Dans un autre ouvrage, il date son éveil à l’écologie des premiers pas de l’homme sur la Lune en 1969 symbole à ses yeux du destin commun de l’humanité sur la planète28. De fait, selon ses interlocuteurs et les situations, un acteur peut être amené, de bonne foi, à situer sa prise de conscience à différentes étapes de sa carrière militante.
23Il est donc difficile de dater une prise de conscience qui impliquerait que les convictions s’édifient selon une chronologie précise et identifiable alors que l’historien n’a bien souvent à disposition que des reconstitutions bâties après-coup29. Dans la mesure où l’adoption d’un nouveau mode de militantisme constitue une inflexion majeure dans une carrière militante, la personne est amenée à réévaluer son parcours antérieur à l’aune de sa nouvelle situation pour lui redonner une nouvelle cohérence.
24Si la notion de prise de conscience semble peu opérante, il est par contre fructueux de s’interroger sur les facteurs qui amènent un individu à basculer dans une forme active de militantisme en se revendiquant écologiste. Pour sa part, Brice Lalonde adhère aux Amis de la Terre au début de l’année 1972 à une période où il éprouve « ce sentiment de ne pas servir à grand-chose30 ». De fait, le gauchisme politique s’essouffle et le PSU peine à digérer l’afflux de militants consécutifs à Mai 68, se perdant dans d’innombrables querelles internes tandis qu’une partie de ses dirigeants et de ses élus sont attirés dans l’orbite du PS. Brice Lalonde est donc à cette époque un militant chevronné, que l’aisance financière de sa famille met à l’abri du besoin, mais sans cause à défendre ni réelle perspective de prise de responsabilité au sein du PSU. Dans ce cas, comme l’a souligné Philippe Juhem à propos des fondateurs de SOS-Racisme, s’investir dans un nouveau combat permet une véritable reconversion idéologique et militante31.
25Les Amis de la Terre présentent par ailleurs plusieurs caractéristiques susceptibles de séduire Brice Lalonde. D’une part, ce groupe n’est pas constitué autour d’une idéologie ou une organisation rigide : il est donc plus facile à un nouvel arrivant de s’y intégrer sans passer par une longue phase d’initiation tout en y apportant rapidement sa contribution personnelle. D’autre part, son fonctionnement tranche avec la hiérarchisation de certains groupes gauchistes :
« Les personnes présentes semblaient très sympathiques et décontractées, par rapport à ce que j’avais connu dans le militantisme syndical, étudiant ou politique. Il y avait de l’humour, une sorte de détente, à la fois des gens jeunes et d’autres plus âgés, des intellectuels se proposant d’écrire des livres et d’autres qu’on appellerait peut-être des marginaux, certains qui avaient envie de s’amuser, de se distraire, tout en agissant32. »
26Aux yeux du nouvel arrivant, les Amis de la Terre de Paris apparaissent comme un groupe ouvert et pratiquant un militantisme joyeux ; tournés vers l’action et non vers l’exégèse des textes marxistes, ils constituent l’antithèse implicite des groupes gauchistes tels qu’il se les représente. En cela, le parcours de Brice Lalonde confirme l’intuition de Philippe Buton pour qui le reflux du gauchisme politique et de l’idée révolutionnaire favorise l’épanouissement de l’écologisme33.
27Enfin, la dimension réactive de cet engagement écologiste ne doit pas être négligée34. Depuis ses études à la Sorbonne, Brice Lalonde est très attaché au Quartier Latin et, à ses yeux, Mai 68 a consisté à le défendre face aux intrusions des forces de l’ordre35. Il perçoit dès lors les projets de rénovation urbaine et de mise en place de voies de circulation automobiles à grand gabarit comme une transformation inacceptable et illégitime d’un territoire à protéger qu’il considère comme sien. Ainsi, la carrière militante de Brice Lalonde suggère que le basculement dans le militantisme écologiste résulte d’une somme de facteurs tant politiques que personnels irréductibles à la seule prise de conscience.
28Quoi qu’il en soit, Brice Lalonde devient rapidement un rouage essentiel des Amis de la Terre de Paris et contribue à son affirmation dans le champ de l’écologisme alors à peine émergent. Quelques mois après avoir rejoint l’association, Brice Lalonde est élu président et Lison de Caunes, sa compagne, trésorière au cours d’une assemblée générale qualifiée par le Courrier de la Baleine de « mouvementée36 ». De fait, les premières années des Amis de la Terre de Paris sont marquées par une concurrence larvée entre deux sensibilités, l’une libertaire, l’autre gravitant autour de la deuxième gauche, incarnée par Brice Lalonde et majoritaire au sein du groupe.
29Dès lors, l’écologisme devient littéralement pour Brice Lalonde un mode de vie. La mort de son père en 1973 l’amène à hériter de nombreux biens et notamment d’un appartement rue du Bac qu’il met à la disposition de l’association tout en y habitant et en finançant les dépenses d’équipement et les campagnes37. Les comptes rendus des réunions hebdomadaires de l’association, bien que parcellaires, donnent à penser qu’il n’intervient cependant pas systématiquement dans son fonctionnement quotidien mais il en est incontestablement l’animateur, ce qui conforte son goût pour le commandement38.
30Dans le Paris du début des années 1970, plusieurs projets de rénovation urbaine visent à améliorer la qualité des logements et à faciliter la circulation par l’ouverture de nouvelles voies dédiées à l’automobile. Le projet de voie express rive gauche prévoit ainsi une adaptation des quais bas de la Seine au trafic routier tandis que la radiale Vercingétorix doit prolonger l’autoroute A10 jusqu’au cœur de Paris39. Très tôt, plusieurs associations de riverains et de protection du cadre de vie dénoncent des décisions autoritaires reposant sur un présupposé contestable : l’inéluctable recours à l’automobile individuelle en ville qui amènerait une augmentation des accidents des encombrements et de la pollution atmosphérique ainsi que l’enlaidissement de la ville et une ségrégation socio-spatiale accrue.
31Dans ces mobilisations, les Amis de la Terre de Paris ne sont qu’un acteur parmi d’autres, intervenant plus ponctuellement que les comités de quartier ou l’association pour la défense du site de Notre-Dame, dont l’opposition à la voie express rive gauche est la raison d’être. Néanmoins, par une série de manifestations spectaculaires, ils parviennent à se placer symboliquement au centre de la contestation tout en lui donnant une signification politique.
32Les manifestations à vélo des Amis de la Terre constituent l’exemple le plus révélateur du nouveau répertoire d’action adopté par l’association à partir de 1972. La première du genre a lieu le 22 avril 1972 et aurait rassemblé près de 8000 participants40. Les Amis de la Terre rééditent l’expérience le 7 avril 1973 sur le champ de course d’Enghien ou encore le 16 mars 1974. Spectaculaires, ces manifestations contribuent à la notoriété des Amis de la Terre bien qu’ils n’en soient pas les initiateurs. Dès 1969, la Ligue Communiste organise en effet des manifestations en solex pour affirmer la dimension festive et juvénile de l’action militante en cherchant à se distinguer aussi bien des défilés traditionnels de la gauche que du militantisme sacrificiel de certains groupes gauchistes41. De même, dans la seconde moitié des années 1960, les provos hollandais distribuent gratuitement des vélos à Amsterdam dans le cadre des « plans blancs » ; ces véhicules sont érigés en symbole de simplicité et d’hygiène par opposition au faste et à la saleté de l’automobile, reflet d’une société inégalitaire et autoritaire42.
33Ces multiples dimensions symboliques sont présentes dans les manifestations à vélo des Amis de la Terre dont l’efficacité en termes de communication politique est indéniable. Elles affirment en effet la présence physique des Amis de la Terre dans la ville en opposant clairement deux camps : les écologistes à vélo contre les automobiles représentants malgré eux la société industrielle. Mis en scène, cet antagonisme doit révéler combien les nuisances les plus quotidiennes contribuent pour le pire à l’évolution des sociétés humaines. Si l’on croit Brice Lalonde, les Amis de la Terre de Paris ont dans un premier temps envisagé de prendre l’automobile comme point d’entrée pour l’ensemble de leurs problématiques car « je pensais que l’automobile engendrait tous les maux et délimitait l’axe de notre lutte. Je me disais : “L’automobile détermine énormément de choses dans notre société : les transports, le territoire, la santé, l’habitat, l’industrie”43 ».
34Dès 1973, les épisodes de Bugey, de Fessenheim et la première campagne en faveur d’un moratoire sur l’énergie nucléaire civile montrent combien cette lutte paraît être – bien davantage que l’automobile – l’un des fronts les plus importants de l’écologisme émergent. Un coup d’éclat de Brice Lalonde permet aux Amis de la Terre d’affirmer médiatiquement leur implication dans ce domaine.
35À la fin de l’année 1972, le leader parisien rencontre à Paris un Australien, Peter Hayes, qui représente les mouvements en lutte contre les essais nucléaires français en Polynésie44. Brice Lalonde va alors prendre part à une expédition en bateau dont l’objectif est de s’approcher au plus près du site des essais pour témoigner pacifiquement du rejet du nucléaire par les populations de la région. Cette entreprise rassemble le général de la Bollardière, connu pour son opposition à l’usage de la torture en Algérie, l’abbé Jean Toulat, auteur de La Bombe ou la Vie, Jean-Marie Muller, animateur d’une communauté non-violente, et Jean-Jacques Servan-Schreiber. Le 15 juillet 1973, après de nombreuses péripéties à travers le Pacifique, l’équipe parvient à rejoindre le Fri, qui croise déjà au large de Mururoa. Dès le 17 juillet, ils sont arraisonnés par la marine française et conduits en détention à Tahiti avant d’être rapatriés en métropole. Comme c’est le cas lors des manifestations à vélo, cet épisode fait l’objet d’un long reportage dans Le Sauvage, ce qui démontre le lien étroit établi par les Amis de la Terre entre leurs actions sur le terrain et leur exploitation médiatique.
36Par la participation de Brice Lalonde à cette équipée, les Amis de la Terre s’affirment à la pointe du combat antinucléaire, dans ses dimensions pacifistes et écologistes. Par ailleurs, la présence de Brice Lalonde aux côtés de militants aguerris comme le général de la Bollardière ou d’un homme politique reconnu comme Jean-Jacques Servan-Schreiber renforce l’audience et le crédit de ce qui n’est à l’époque qu’une petite association créée trois ans plus tôt.
37Avec les Amis de la Terre de Paris se dessine un profil de groupe écologique dont les militants gravitent entre la deuxième gauche et les tendances libertaires et qui entend s’appuyer sur des conflits environnementaux particuliers pour en tirer un discours politique global, dans lequel l’écologie légitimerait la recherche d’un changement de société.
38À la veille de l’élection présidentielle de 1974, les Amis de la Terre de Paris sont l’une des principales organisations du mouvement écologiste naissant. Le dynamisme et le sens politique et médiatique de Brice Lalonde contribuent à cet essor, de même que la capacité du groupe à se placer au centre des controverses environnementales du moment. Par ailleurs, il est évident que la polarisation de la vie politique, militante et médiatique française à Paris place l’association dans une position favorable. L’arrivée au sein de l’association de Pierre et Laurent Samuel, anciens membres de Survivre et Vivre, illustre la progressive prééminence du groupe de Paris sur les autres organisations écologistes de la capitale. Pour autant, ce groupe reste somme toute d’une taille modeste et ne saurait être érigé en modèle parmi les mouvements écologistes de l’époque qui sont bien davantage caractérisés par la diversité de leur positionnement et de leur profil.
Un archipel de groupes écologistes
39Très tôt, la sociologie s’est interrogée sur la signification profonde de l’émergence des groupes écologistes. Alain Touraine a par exemple vu dans la lutte antinucléaire la principale manifestation d’un mouvement social appelé à succéder au mouvement ouvrier comme principale force de transformation de la société45. Ce paradigme du nouveau mouvement social a néanmoins l’inconvénient d’envisager l’écologisme comme un ensemble fondamentalement cohérent sur le plan idéologique et organisationnel. Or, en ce début des années 1970, aucun groupe ne peut prétendre détenir un monopole sur l’écologisme ou sa définition. C’est à cette réalité mouvante mais en voie de structuration qu’il faut désormais s’intéresser.
40L’émergence de « groupes écologiques » est contemporaine d’un renouveau associatif dans les années 68. Les déclarations d’associations en préfecture passent alors de 20000 par an dans les années 1960 à 30000 dans la décennie suivante46. Cette évolution tient pour une large part à une hausse du taux de multi-appartenance, c’est-à-dire des personnes adhérant et participant simultanément aux activités de plusieurs groupes47. Cette caractéristique est particulièrement accusée au sein de la nébuleuse écologiste, ce qui en renforce le caractère insaisissable voire évanescent.
41Évaluer le poids des mouvements écologistes dans la première moitié des années 1970 n’est donc pas chose aisée mais permet, du fait même de ces difficultés méthodologiques, de préciser la manière dont les groupes et les réseaux se structurent durant cette période.
42Il est difficile d’obtenir des chiffres précis concernant l’évolution du nombre d’associations de protection de la nature, a fortiori de les classer en catégories en fonction de leur orientation. En avril 1973, Le Sauvage avance le chiffre de 1500 associations qui, sous une forme ou une autre, s’investiraient dans les domaines de la protection de la nature ou de l’écologie48. En 1976, les Renseignements généraux évaluent leur nombre à 15000 ou 2000049.
43Une telle disproportion et l’incertitude qui en résulte sont révélatrices du manque de fiabilité des statistiques qui tient d’abord au caractère non systématique de la déclaration en préfecture qui conduit certains groupes à échapper aux statistiques de l’administration. Ce phénomène est loin d’être marginal : le CSFR, principal comité animant la lutte antinucléaire en Alsace, n’est pas une association loi 1901 mais un simple collectif informel50 tout comme le CRILAN fondé par Didier Anger pour lutter contre la construction de la centrale de Flamanville (Manche)51. Dans ces deux cas, cette décision témoigne d’un refus d’institutionnaliser la lutte, d’une crainte de privilégier l’organisation au détriment de l’action sur le terrain, auquel s’ajoute une certaine défiance à l’égard des pouvoirs publics.
44Au-delà de cette question administrative (donc archivistique), il est toujours difficile de déterminer le positionnement d’une association à la seule lecture de son nom et son objet, donc de déterminer si elle se rattache ou non à la nébuleuse écologiste. À première vue, l’Association belfortaine de protection de la nature (ABPN) semble par exemple étrangère au militantisme écologiste qui se constitue plus volontiers en comité et qui met davantage en avant l’environnement et l’écologie que la nature. Si l’on ajoute que son objet est d’œuvrer à la « restauration de la nature et de l’environnement urbain et rural du Territoire de Belfort52 », il serait tentant de ranger l’ABPN parmi les naturalistes réticents à tout engagement politique. Ce serait pourtant une erreur car l’association participe pleinement à la construction de l’écologie politique, soutenant la campagne de René Dumont puis le Mouvement écologique et s’engageant contre l’installation des missiles Plutons à Belfort, ce qui vaut à ce groupe d’être considéré comme gauchiste par les Renseignements Généraux53. Une organisation peut par ailleurs s’engager ponctuellement au sein de la nébuleuse écologiste tout en affirmant une identité naturaliste et apolitique : c’est le cas de Nord Nature, structure fédérative constituée par différentes associations de protection de la nature pour faire pression sur les pouvoirs publics, qui soutient René Dumont lors de l’élection présidentielle de 197454.
45Au début des années 1970, la nébuleuse écologiste doit donc être envisagée comme un ensemble instable de groupes et d’organisations qui participent simultanément à d’autres champs militants55. Le processus de création d’un groupe éclaire tout particulièrement ce phénomène.
46Cette effervescence concourt à l’insoutenable légèreté de l’écologisme qui apparaît comme une étiquette floue à la confluence parfois hasardeuse d’influences diverses. William Bernard, adhérent des Amis de la Terre, évoque en ces termes son désappointement après plusieurs tentatives infructueuses pour créer un groupe dans le Var :
« Le recrutement n’est pas facile, il y a déjà trop de groupes, jusqu’aux groupes de quartier. Pourquoi pas des groupes écologistes par immeuble ou par étage ? Dès qu’un individu a un peu de vernis, un peu de personnalité, il ne veut pas s’intégrer à un groupe existant, il lui faut “son” groupe. C’est absurde mais c’est comme ça56 ! »
47Ayant sollicité « des jeunes qui cherchaient à employer leur énergie », il regrette que ces derniers aient finalement choisi de former un groupe anarchiste, estimant qu’ils y seraient plus efficaces. William Bernard essaie alors de se faire connaître dans le milieu des pacifistes espérantistes, sans plus de succès.
48De son côté, Guy Bennaroche insiste sur le fait que son action au sein du Comité de Lutte Anti-Pollution et de L’Or vert à Marseille excède le cadre de l’écologisme stricto sensu57. Dans ses tracts et ses happenings, son groupe entend avant tout œuvrer dans une perspective libertaire à la recherche d’une autre société en refusant à la fois le capitalisme industriel et le marxisme. Lisant à l’époque aussi bien Jack Kerouac et Nietzsche qu’Ivan Illich et Herbert Marcuse, il se déclare en définitive incapable de déterminer a posteriori si l’un de ses courants a été plus particulièrement déterminant dans son militantisme.
49Les itinéraires de Guy Bennaroche et William Bernard montrent que la création d’un groupe est une alchimie délicate qui doit beaucoup aux circonstances qui peuvent mener les militants à centrer leur action sur tel ou tel objet en fonction de l’accueil qu’ils peuvent trouver dans les groupes qu’ils sont amenés à fréquenter, processus qui peut aussi bien mener à un approfondissement du savoir-faire militant qu’à une dilution de l’écologisme à peine émergent.
50Cette légèreté de l’écologisme se vérifie également dans la faible durée de vie d’un certain nombre de groupes. On ne peut sur ce point disposer de statistiques fiables mais le simple fait que seuls quatre-vingt-quatre groupes soutiennent la candidature de René Dumont alors que deux cent dix ont été identifiés sur la période précédant mars 1974 suggère un taux de disparition élevé. Ce processus de destruction-création de groupes n’est pas nécessairement négatif car il peut enrichir les thématiques et les approches militantes. Danielle Fournier raconte ainsi qu’elle contribue en 1968 à la création de la « Coop-Santé – Mouvement de Libération Économique et Humaine » qui se fond rapidement dans Vivre, une coopérative de consommateurs d’aliments issus de l’agrobiologie dont les activités cessent au bout d’un an58. Un peu plus tard, l’un des membres de Vivre, Jacques Bonnefond, crée Prairial, groupe qui veut sensibiliser la population aux enjeux d’une alimentation saine tout en menant des actions contre les projets de réhabilitation urbaine et s’investit dans les luttes antimilitaristes.
51L’insoutenable légèreté de l’écologisme explique que toute estimation quantitative des mouvements écologistes doit être entendue comme une tendance et comme un relevé exhaustif. Pour ce faire, nous avons recensé systématiquement toutes les associations mentionnées au sein d’un large échantillon de la presse écologiste (à savoir Le Sauvage, La Gueule Ouverte, Le Bulletin de l’APRE et Survivre) considérant que prendre l’initiative de faire passer un message dans l’un de ces organes de presse indique une relative proximité avec la ligne éditoriale défendue par le journal en question. Cette méthode a également l’avantage de ne recenser que les associations qui ont eu une période d’activité réelle, fût-elle brève, aucune source ne permettant avec certitude de savoir à quel moment un groupe est mis en sommeil. Cette méthode permet de dresser une liste de 210 associations apparues avant le début de la campagne de René Dumont (en avril 1974) et actives entre 1970 et 1974.
52La carte de la création des groupes jusqu’à la fondation des Verts (1984) à l’échelle départementale (voir cahier central, carte 3) illustre l’inégale répartition des mouvements écologistes sur le territoire français où certaines régions font figure de véritables déserts. Il s’agit essentiellement des zones rurales, où l’industrie est peu présente ou concentrée sur certains espaces relativement délimités et dont les chefs-lieux ont une taille modeste. Le Limousin, la Bourgogne, la Picardie et la région Poitou-Charentes répondent à ces caractéristiques. On pourra y adjoindre l’Auvergne, la Franche-Comté et la Champagne-Ardenne où le nombre de groupes est à peine plus important.
53Bien que caractérisées par une faible densité de groupes, les régions Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais et Lorraine présentent une configuration différente. Si en valeur absolue le nombre d’organisations y est plus élevé que dans les cas, l’importance de la population régionale tend à en relativiser le poids. Il s’agit de régions dotées de pôles urbains de premier ordre, fortement urbanisées et dans lesquels les mouvements écologistes peuvent faire preuve d’une forte activité dans certaines zones tout étant absent par ailleurs.
54Le nombre de mouvements écologistes en Haute et en Basse-Normandie, en Midi-Pyrénées et dans le Languedoc-Roussillon se situe dans la moyenne nationale pour cette période, ce qui s’explique bien souvent par la présence d’une ville universitaire active, écosystème propice à la création de groupements de ce type. Enfin, un dernier ensemble concerne les régions où le nombre de groupes est important, tant en chiffre absolu que rapporté à la population régionale.
Tableau 2. – Typologie des groupes écologistes apparus avant avril 1974.
Amis de la Terre | 24 % |
Groupe écologique indépendant | 34 % |
Groupes écologiques en réseau | 24 % |
Comités antinucléaires | 15 % |
Autres | 3 % |
55Cette approche quantitative permet en outre d’esquisser une typologie des groupes écologistes en France durant la période qui précède la candidature de René Dumont. Les comités antinucléaires y sont minoritaires : dans la période qui précède le plan Messmer de construction massive de centrales, la contestation antinucléaire demeure limitée à certains espaces. En revanche, 34 % des groupes sont des associations ponctuelles formées en toute indépendance et ne s’insérant pas dans un réseau hiérarchisé d’organisations, ce qui confirme l’éparpillement de la nébuleuse. Dans ce cadre, Pollution-non ou encore les Amis de la Terre constituent des exceptions puisque ce dernier label est partagé par 51 groupes. Néanmoins, comme le montre le tableau 2, les Amis de la Terre sont alors loin d’être dans une position hégémonique.
56Ainsi, l’analyse quantitative des groupes écologistes complétée par une approche plus qualitative restitue la diversité de la nébuleuse des mouvements écologistes. En son sein, les groupes et les affiliations sont loin d’être figés et, au-delà du processus qui conduit un groupe à se désigner comme « écologiste », l’activité militante varie profondément et dépend étroitement des réseaux locaux et nationaux dans lesquels les militants sont insérés59.
57L’insoutenable légèreté de l’écologisme se vérifie donc à la fois dans la faible durée de vie de nombreux groupes mais aussi dans l’évanescence des affiliations militantes. Dans cette perspective, la carte de France de l’écologisme s’apparente donc à un archipel où, au milieu de véritables terras incognitas apparaissent quelques pôles en voie de structuration tels l’Alsace ou encore l’Ile-de-France.
Le temps des périodiques
58Les années 68 sont propices à l’éclosion d’une « nouvelle presse » qui, derrière des orientations politiques, des formes d’écriture et des partis pris graphiques très divers, entend œuvrer à une libération de la parole60. C’est ainsi que de nombreux périodiques écologistes tels que La Vache Enragée, Le Courrier de la Baleine, L’Or Vert ou encore Pollution-Non apparaissent dans la première moitié des années 1970.
59Ces titres sont bien souvent l’émanation d’un groupe pour qui l’acte de publier est en soi une démarche militante pour faire face à la crise écologique qui hypothèque la survie de l’espèce humaine à moyen voire à court terme. L’objectivité journalistique est alors redéfinie au profit d’un engagement militant qui établit un lien explicite entre la protection de la nature et de l’environnement, l’écologie et la transformation de la société.
60L’étude des principaux titres de la presse écologiste est d’autant plus précieuse pour comprendre l’émergence de cette nébuleuse en France que les archives des groupes écologistes sont au mieux lacunaires et trop souvent inexistantes pour le début des années 1970. Face à l’insoutenable légèreté de l’écologisme, ces périodiques contribuent de manière décisive à la structuration de cette nouvelle forme de militantisme en explorant différentes pistes.
61Dans un premier temps, nous évoquerons l’exemple de Survivre… et Vivre, acteur essentiel de l’émergence de l’écologisme dans la France du début des années 1970. La Gueule Ouverte nous permettra ensuite d’analyser comment une partie de la nébuleuse, désireuse de prolonger Mai 68, définit le militantisme écologiste. Enfin, avec Le Sauvage, nous verrons comment une partie de la presse militante s’efforce de concilier, avec plus ou moins de succès, radicalité de l’analyse et ouverture à un large public.
Survivre… et Vivre, « laboratoire idéologique de la révolution écologique61 »
62À l’origine, Survivre est un groupe fondé le 20 juillet 1970 à Montréal par des mathématiciens français, américains et canadiens en marge d’une Summer School sous l’impulsion, notamment, d’Alexandre Grothendieck62. Rebaptisé par la suite Survivre… et Vivre, le groupe se consacre avant tout à l’édition d’un journal éponyme dédié à l’antimilitarisme, à la critique du scientisme et surtout à l’écologie au point de faire du périodique le « laboratoire idéologique de la révolution écologique63 ».
63Entre 1970 et 1973, Survivre cherche en effet à faire de l’écologie le creuset d’une transformation radicale de la société dont les termes exacts demeurent en suspens. Le journal fourmille donc de débats, de controverses et de pistes de réflexion à peine esquissées ; par ses tâtonnements comme par ses prises de position, Survivre contribue ainsi à la formation intellectuelle pour de nombreux militants à travers toute la France64.
64Comme le montre le parcours de quelques-uns des animateurs du mouvement, Survivre se situe à la confluence de plusieurs courants de contestation qui agitent le monde au cours des années 68.
65Par son implication dans le groupe et l’ampleur de sa réflexion, Alexandre Grothendieck (1928-2014) est l’une des figures centrales de Survivre. Né à Berlin d’une mère journaliste et d’un père anarchiste et apatride, juif et originaire de Russie, Alexandre Grothendieck échappe à la déportation en se cachant au Chambon-sur-Lignon65. Après son doctorat obtenu en 1953, il est rapidement considéré comme l’un des plus brillants mathématiciens de son siècle grâce à ses travaux en géométrie algébrique66. Après avoir enseigné plusieurs années à l’étranger, il devient à la fin des années 1950 chercheur à l’Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES) où, bénéficiant de conditions de travail idéales, il reconnaît après coup ne pas prendre le temps de réfléchir aux implications sociales de ses activités67.
66C’est dans la seconde moitié des années 1960 que les opinions politiques d’Alexandre Grothendieck se radicalisent. En 1967, lors d’un long séjour au Vietnam du Nord, il découvre les ravages causés par les bombardements américains sur les hommes et les écosystèmes, ce qui le conduit à affirmer un antimilitarisme déjà présent en lui depuis sa prime jeunesse. L’année suivante, Mai 68 le sensibilise à l’importance de la question de l’enseignement à l’université, qu’il considérait jusqu’à présent comme du temps perdu au détriment de la recherche. En novembre 1969, apprenant que l’IHES est subventionné par des fonds militaires, il quitte son poste et abandonne quasiment la recherche pour consacrer l’essentiel de son temps au militantisme dans le cadre de Survivre.
67Le tournant militant d’Alexandre Grothendieck s’opère donc à la confluence de trois grands débats qui agitent les années 68 : la remise en cause des hiérarchies et des normes qui allaient jusqu’alors de soi, la réflexion critique sur les finalités de la recherche scientifique et enfin l’inquiétude grandissante quant à la survie de l’espèce humaine menacée à la fois par les guerres et la destruction de l’environnement.
68Pierre Samuel (1921-2009) est une autre figure centrale de Survivre dont il est le trésorier avant de quitter le groupe en 1973 pour rejoindre les Amis de la Terre (qu’il préside entre 1982 et 1989)68. Enseignant-chercheur en mathématiques, il est durablement marqué par Mai 68, tout comme ses confrères Alexandre Grothendieck et Claude Chevalley. Il décide alors d’œuvrer à la création d’un système universitaire qui refuserait l’élitisme et prônerait une ouverture sur la société. L’année universitaire 1969-1970 constitue une seconde étape dans son éveil à l’écologie : enseignant à Harvard, il est choqué par la destruction des vieux quartiers de Boston pour la construction d’une autoroute urbaine. À l’image de son fils Laurent qui s’investit également dans Survivre puis aux Amis de la Terre, il découvre alors l’écologie américaine par la lecture des ouvrages de Barry Commoner et de Paul R. Ehrlich.
69Comme Pierre Samuel le reconnaît lui-même, c’est l’influence de Grothendieck qui l’amène à son retour en France à militer au sein de Survivre dont il constitue, entre 1970 et 1973, une véritable cheville ouvrière69. Dans son autobiographie, Alexandre Grothendieck salue « [son] bon sens et [sa] bonne humeur souriante qu’il mettait dans le travail en commun », acceptant d’endosser le rôle de « l’affreux réformiste » face à des analyses plus radicales, apaisant des conflits parfois vifs entre les membres du groupe70.
70Comme son nom l’indique, Survivre se donne à l’origine pour but d’empêcher l’extinction de l’espèce humaine ; l’antimilitarisme et le refus de soumettre la recherche scientifique à des finalités militaires sont donc les principales préoccupations des premiers militants. Très vite pourtant, l’écologie occupe une place essentielle dans la réflexion du groupe71.
71La dégradation des écosystèmes est dès lors évoquée avec précision en s’appuyant sur des ouvrages américains. Cette vulgarisation scientifique s’inscrit également dans les réflexions qui ont présidé à la création de la revue : ne pas réserver la science aux seuls experts mais en diffuser les débats au plus grand nombre. Dans les colonnes de la revue, Pierre Samuel s’attache ainsi à dresser un panorama le plus complet possible de la crise écologique, insistant sur le fait que les problèmes sont liés entre eux :
« Il y a une évidente parenté entre la pollution des mers par les produits pétroliers, celle des rivières par les déchets, l’abus des insecticides chimiques, la dégradation des sols tropicaux due à l’économie prédatrice, et les dangers biologiques et génétiques des centrales atomiques : partout de très gros intérêts financiers sont en jeu, et ils s’appuient sur la philosophie que l’homme est sur terre pour exploiter la nature, pour s’opposer à elle et que « tout ce qu’on peut faire, on doit le faire72. »
72Aux yeux de Pierre Samuel, les multiples formes de la dégradation de l’environnement participent d’une même menace globale dont l’homme est le principal responsable et, in fine, la victime. Ce constat le conduit à faire sienne une critique de la société industrielle largement diffusée durant les années 1960, tout en les réinterprétant à l’aune de la crise écologique. S’appuyant par exemple sur les analyses de Jean Baudrillard, il souligne combien l’essor de la consommation est source d’aliénation et d’accroissement des inégalités mais aussi de dégradation de l’environnement, laissant augurer, à terme, un épuisement inévitable des ressources naturelles : la prise de conscience de la finitude du monde est donc un aspect essentiel dans la mise en avant de l’urgence environnementale.
73Dans le texte « Vers un mouvement », élaboré par le comité de rédaction de Survivre et destiné à résumer les réflexions du groupe, cette crise est présentée comme la conséquence d’une mentalité technicienne marquée par une foi inconditionnelle dans le progrès et un désir de puissance sans limite. Loin d’être une question purement technique ou idéologique, la dégradation des écosystèmes exprimerait donc plus fondamentalement une « crise des valeurs73 » dont la domination des experts sur la vie quotidienne et l’aliénation culturelle constituerait d’autres manifestations tout aussi cruciales.
74En réponse, Survivre entend œuvrer à l’éclosion d’une « mentalité écologique » à travers laquelle chaque individu aurait conscience d’être une partie intégrante de la nature. Cette réaffirmation du lien avec le reste du vivant n’implique pas uniquement une limitation de la puissance de l’homme car, de manière plus positive, les membres de Survivre sont persuadés que la mentalité écologique libérera l’homme en permettant la libre expression des besoins et des désirs de chacun.
75Grâce à Pierre Samuel, mais également à Denis Guedj ou encore à Alexandre Grothendieck, Survivre est le lieu où s’opère une synthèse élaborée et réfléchie mêlant les alarmes quant à la destruction des écosystèmes et la pensée critique des années 68 dans son sens le plus large.
76Survivre accueille de ce fait des réflexions diverses qui ne se limitent pas au lien entre écologie et contre-culture. Un auteur uniquement connu sous le pseudonyme de Diogène s’attache ainsi à clarifier le rapport de l’écologie au gauchisme74, alors à l’apogée de son influence en France et prétendant incarner la seule force de transformation de la société légitime et efficace75. Aux yeux de Diogène, le militantisme écologique ne peut être réduit à une dissidence du gauchisme dont il diffère sur des points essentiels tout en étant, lui aussi, éminemment politique76. D’une manière un peu provocante, Diogène estime que si Marx et Lénine avaient vécu dans les années 1970, ils auraient pris conscience de la gravité des problèmes écologiques et figureraient parmi les premiers écologistes.
77La couverture du n° 10 de Survivre… et Vivre77, est révélatrice du regard porté sur les organisations se revendiquant du marxisme. En mettant en scène des travailleurs uniquement soucieux de l’augmentation de leur pouvoir d’achat, Didier Savard en fait des conservateurs, inconscients des nouveaux enjeux symbolisés par la pollution qui les environnent. De fait, cette couverture montre également combien le dialogue entre les ouvriers et les écologistes peut être difficile en raison du rejet dont l’industrie fait l’objet dans une partie de la nébuleuse.
78En dépit de ces divergences ou peut-être du fait de cette diversité d’opinions, Survivre devient rapidement une référence pour tous ceux qui, en France, entendent allier écologie et transformation de la société, contribuant ainsi à la définition et à la diffusion de l’écologisme. Évoquant une rencontre avec des communautés installées dans le Midi de la France, des membres de Survivre écrivent qu’« ici encore, nous avons été frappés par des convergences remarquables dans l’évolution de ces camarades, et celle de certains d’entre nous. De plus, il semble se présenter ici une constellation très particulière, qui pourrait déboucher sur une expérience tout à fait fascinante – et semée d’innombrables embûches78 ». De fait, à plusieurs reprises, des militants expriment dans les colonnes de la revue leur enthousiasme en découvrant que d’autres partagent leur combat sinon dans son objet précis, du moins dans ses principes et ses finalités.
79À partir de 1972, vingt-deux groupes locaux Survivre et Vivre, dont la durée de vie a été très variable, se mettent en place79. Survivre s’efforce également d’être actif sur le terrain. Au travers de l’affaire des fûts de Saclay, le groupe s’engage ainsi dans une critique de l’énergie nucléaire. En avril 1972, Alexandre Grothendieck et Denis Guedj sont invités par la CFDT à donner une conférence au Centre d’Études Nucléaires de Saclay (Essonne). Ils y découvrent des fûts de déchets nucléaires entreposés dans des conditions peu conformes aux assurances de sécurité données par le CEA. De concert avec Pierre Fournier à Charlie Hebdo, Survivre organise alors une campagne d’information autour du nucléaire et en profite pour intégrer cette question à sa réflexion sur le système technicien et la nécessité de passer à une société écologique décentralisée80.
80Le groupe est donc à la fois le témoin et l’acteur des convergences qui se nouent entre des associations et des individus qui menaient jusqu’à présent des actions isolées. Le prestige intellectuel et militant de Survivre est sans nul doute un facteur déterminant pour susciter un nouveau militantisme sous l’égide de l’écologie.
811972 marque l’apogée du rayonnement de Survivre : le secrétariat reçoit une dizaine de lettres par jour et la revue peut compter sur 120 sympathisants qui la diffusent dans toute la France ainsi que sur vingt-cinq librairies, essentiellement à Paris81. Durant cette période, le tirage de Survivre… et Vivre approche les 15000 exemplaires, ce qui est remarquable pour une publication uniquement animée par des bénévoles. Les interventions et conférences des militants à travers la France, placées sous le sceau de la « subversion culturelle », lui assurent également une audience importante : Alexandre Grothendieck rapporte ainsi que lors d’un séjour en Bretagne, il a pu écouler 700 exemplaires de la revue et nouer de nombreux contacts intéressants82.
82Au-delà des qualités intrinsèques de la revue – qui comporte notamment de nombreux dessins de qualité réalisés par Didier Savard – son succès s’explique probablement par l’affaiblissement à la même époque du gauchisme politique83. Pour de nombreux militants, l’écologie offre en quelque sorte une idéologie de substitution, qui permet de maintenir l’espoir d’une transformation de la société tout en rompant avec la relative fermeture doctrinaire inhérente aux milieux gauchistes84. L’ouverture totale du comité de rédaction de chaque numéro, auquel peut participer toute personne désireuse de le faire85, amène un travail collectif certes laborieux mais qui permet à Survivre… et Vivre de se faire l’écho du bouillonnement militant de cette période. Les lecteurs provinciaux, moins susceptibles de contribuer directement à la fabrication du journal, y trouvent un modèle de dynamisme et d’engagement auquel ils peuvent participer à leur échelle en achetant le journal et en agissant localement.
83L’aventure de Survivre ne dure pourtant qu’un temps et, dès 1973, Alexandre Grothendieck et Pierre Samuel s’en éloignent définitivement. Le premier déplore la transformation du groupe en une organisation « gauchiste », « au jargon tranchant et aux analyses sans répliques » et décide de suivre un chemin plus personnel86. Le second, prenant acte de désaccords fondamentaux avec d’autres piliers du groupe, particulièrement Denis Guedj et Didier Savard, décide d’adhérer aux Amis de la Terre pour y poursuivre une action moins radicale et plus axée sur la résolution de la crise écologique que sur la promotion de la contre-culture87. Ces départs emblématiques illustrent des désaccords fondamentaux au sein de Survivre entre ceux qui désirent fonder leur militantisme sur l’écologie et ceux pour qui la révolution à venir doit reposer sur la libre expression des besoins et des désirs de chaque individu. À ce titre, le groupe est révélateur, jusque dans ses dissensions, de la diversité du militantisme écologique, avant même que la question de la participation aux élections ne soit soulevée.
84Après le départ de nombreux militants en 1973 – dont une partie rejoint les Amis de la Terre – la publication de Survivre… et Vivre se poursuit quelque temps avec une périodicité aléatoire jusqu’à ce que la rédaction décide de partir à la recherche d’autres voies d’expression et de réflexion88.
85En définitive, l’expression de « laboratoire » employé par Pierre Fournier pour qualifier Survivre se révèle pleinement justifiée. Au sein de cette publication s’exprime une pensée foisonnante et contradictoire sur l’écologie et son potentiel de transformation de la société. Pêle-mêle, les idées interagissent et suscitent des réactions en chaîne qui expliquent la fin rapide du groupe.
La Gueule Ouverte ou la subversion radicale par l’écologie ?
86Parmi les multiples périodiques écologistes apparus au début des années 1970, La Gueule Ouverte se distingue par son tirage89, l’aura de Pierre Fournier, son fondateur, et sa longévité puisque, commencée en 1972, sa publication ne s’arrête qu’en 1980 après de multiples péripéties et changements de formule90.
87Ce passage est consacré à la première période du journal, de novembre 1972 à octobre 1974, durant laquelle La Gueule Ouverte est un mensuel. Ce rythme de publication amène les journalistes à ne pas se contenter d’évoquer l’actualité du moment : de manière plus ambitieuse, ils cherchent à définir un modèle de militantisme associant une forte implication dans les luttes des années 68 et une perspective qui fait de l’écologie le ferment d’une transformation de la société. La Gueule Ouverte est donc bien plus qu’un journal : c’est l’une matrice de l’écologie politique française.
88Depuis le milieu des années 1960, le journaliste et dessinateur Pierre Fournier collabore à Charlie Hebdo où il dénonce sans cesse l’illusion du progrès et les plaquettes insecticides Vapona, l’aliénation de la société de consommation et le nucléaire91. Peu à peu, il acquiert ainsi une incontestable audience auprès des lecteurs du journal qu’il parvient à mobiliser par milliers pour une manifestation contre la construction d’une centrale nucléaire dans l’Ain en juillet 1971.
89En dépit de sa relative popularité, Fournier est dans une position délicate au sein de Charlie-Hebdo. Son directeur, Georges Bernier – dit le Professeur Choron – concède volontiers que grâce à Fournier « la rue Montholon [siège de Charlie-Hebdo] était […] le phare de tous les hippies, de tous les « gardarem lou Larzac », les éleveurs de chèvres, les bouffeurs de carottes et de riz complet92 ». Le lectorat du journal s’en trouve élargi et celui-ci apparaît comme la vigie des toutes dernières alternatives. Néanmoins, les relations de Fournier avec le reste de la rédaction sont loin d’être sans nuage et les incompatibilités d’humeur s’ajoutent aux désaccords de fond. Si Cavanna salue le style de celui qu’il qualifie de « barbu sinistre93 », il demeure attaché à la recherche scientifique quand Fournier n’a de cesse d’en fustiger les conséquences. Quant à Georges Bernier, il déclare abruptement que « Moi, j’en avais rien à foutre, le nucléaire…94 ».
90La création de La Gueule Ouverte, éditée jusqu’en 1974 par les éditions du Square, propriété de Georges Bernier, est donc à la fois un acte militant de la part de Fournier mais aussi une opération commerciale de la part d’un éditeur désireux d’occuper un créneau prometteur tout en éloignant un collaborateur ombrageux.
91C’est ainsi que le premier numéro de La Gueule Ouverte paraît au mois de novembre 1972. À la différence de nombreux titres militants de cette période, qui ne survivent que par l’implication bénévole d’un petit nombre d’individus, La Gueule Ouverte entend associer militantisme et journalisme professionnel. Certains de ses membres les plus en vue participent de ces deux univers et sont appelés à devenir des acteurs essentiels de l’écologie politique durant les années 1970.
92Isabelle Cabut (1937-2012) – qui signe ses articles de son seul prénom – est issue de la bourgeoisie éclairée de Lyon ; d’abord institutrice, elle entre à Charlie Hebdo à l’automne 1970 par l’intermédiaire de son compagnon de l’époque, le dessinateur Jean Cabut95. Elle intègre La Gueule Ouverte dès novembre 1972 tout en continuant à travailler à Charlie Hebdo pendant près de deux ans. Très intéressée par les expériences communautaires et les mouvements d’éducation alternative, elle veille à ce que le journal soit également le porte-parole d’un écologisme explicitement politique et non pas seulement alternatif.
93Parmi les journalistes travaillant dans les deux périodiques figure également Henri Montant dit Arthur (1939-2010), présent à La Gueule Ouverte dès le premier numéro et dont la collaboration avec Charlie Hebdo commence au printemps 1974. Sorti du Centre de Formation des Journalistes en 1964, il travaille un temps comme rédacteur à l’ORTF puis au Dauphiné Libéré qu’il quitte après Mai 6896. Libertaire, irascible mais salué pour ses compétences journalistiques, il consacre la plupart de ses articles aux luttes sur le terrain, dénonçant la technocratie et l’État tout en s’interrogeant sur le potentiel révolutionnaire des comités locaux.
94Comme le signale Stéphane Mazurier, ce ne sont pas les vétérans d’Hara-Kiri qui constituent le cœur de l’équipe de La Gueule Ouverte mais plutôt la « deuxième » voire la « troisième » génération, autrement dit les journalistes qui ont intégré Charlie Hebdo alors que celui-ci est bien installé97. Nés vers la fin des années trente, ils sont donc sensiblement plus jeunes que leurs prédécesseurs – Cavanna est né en 1923, le Professeur Choron en 1929 – et plus diplômés. Isabelle Cabut a ainsi obtenu une licence de psychologie et de sciences de l’éducation tandis que Fournier est passé par l’École nationale supérieure des arts décoratifs.
95Animée par des journalistes professionnels, La Gueule Ouverte est également un journal militant qui fait appel à des contributeurs venus d’horizons divers, sans formation journalistique particulière et dont l’aisance à l’écrit est variable, ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés.
96Si Bernard Charbonneau, agrégé d’histoire et écrivain, ou Philippe Lebreton, professeur à l’université de Lyon, savent rédiger des articles digestes, il en va en effet autrement pour d’autres contributeurs. Isabelle Cabut évoque « des démêlées rocambolesques avec les compagnons montagnards de Fournier, écolos aussi purs que durs » et se souvient que « Tout fut difficile ! Arthur était le seul journaliste professionnel de la bande, et ni lui ni moi ne parvenions à inculquer quelque notion de lisibilité aux militants verbeux98 ».
97Ce mélange de professionnalisme et d’amateurisme militant n’est pas fortuit mais participe d’une volonté de réduire la distance entre émetteurs et récepteurs du message journalistique, ce qui explique que les lecteurs soient invités à intervenir dans le processus de rédaction et de diffusion du journal, démarche que l’on retrouve fréquemment dans la presse militante de l’époque99. En février 1973, quelque temps avant sa disparition, Pierre Fournier organise ainsi une table-ronde sur ce thème où, à quelques exceptions près, les intervenants prônent une approche exigeante et radicale100 ; Bernard Charbonneau estime ainsi que la force de La Gueule Ouverte doit résider dans sa volonté de poser les problèmes sans apporter des solutions toutes faites ; il souhaite donc que les lecteurs se réunissent et agissent localement en s’appuyant sur les données lues dans La Gueule Ouverte. De même, pour « Vergnes », la radicalité et l’exigence du journal à l’égard de ses lecteurs sont la seule garantie contre la récupération de l’écologie qui doit rester une lutte révolutionnaire.
98Lors de cette réunion de février 1973, dans l’exaltation générale, rares sont ceux qui émettent des réserves quant à l’opportunité d’abolir la frontière entre le journalisme et le militantisme, entre le lecteur et le rédacteur. Marc Arabyan déplore néanmoins que cette démarche condamne le journal à ne s’adresser qu’à une élite militante, convaincue par avance. De même, « Delabarre » déclare :
« J’apprécie énormément Fournier dans “Charlie Hebdo” et j’ai du mal à digérer ma “GO”. D’abord, c’est un journal qui annonce la fin du monde : tout est déprimant. Quand j’ai lu une demie-heure, je dis vite Wolinski, vite autre chose. […] J’utilise la “GO” en tant que militant […] il y a tout là-dedans, mais j’aurais un bouquin ce serait la même chose. Ma femme a renoncé, elle lit “CH” mais pas la “GO”101. »
99Lire La Gueule Ouverte est donc un exercice difficile du fait de la densité des informations, de sa ligne catastrophiste mais aussi en raison d’une mise en page peu aérée. Très vite, le nombre de lecteurs chute drastiquement ce qui amène Georges Bernier à poser un ultimatum à l’équipe, lui laissant trois mois pour redresser les chiffres de vente102. La Gueule Ouverte doit alors se conformer à certaines pratiques de la presse classique d’autant que la pesanteur logistique inhérente à une publication mensuelle distribuée en kiosque rend difficilement envisageable une fusion effective entre le journaliste, le militant et le lecteur. Celle-ci perdure néanmoins en tant qu’idéal, contribuant à l’idée qu’une révolution écologique doit être totale et non pas cantonnée au seul domaine environnemental.
100Cette aspiration à faire de l’écologie une force de transformation de la société et de l’individu se vérifie dans la variété des thèmes abordés au gré des numéros103. Si 30 % des articles sont consacrés à la crise écologique (voire 45 % en 1973), d’autres questions n’en sont pas pour autant délaissées, qu’il s’agisse de la politique (15 %), de l’économie ou encore une nouvelle vision de l’épanouissement de l’homme (20 %). La diversité des thèmes traitée est révélatrice de la différence entre une approche strictement environnementale et la « révolution écologique » prônée par Pierre Fournier, la seule selon lui qui soit globale, radicale donc fondamentale104.
101Le fondateur de La Gueule Ouverte entretient néanmoins un rapport ambigu avec les contestations emblématiques des années 68, qu’il s’agisse de la contre-culture, dont il craint la marginalisation, ou des mouvements gauchistes, encore obnubilés par l’usine et la classe ouvrière. La « révolution écologique » qu’il envisage doit s’approprier les critiques de l’exploitation et de l’aliénation propres aux années 68 pour mieux les dépasser, dans le cadre d’un anarchisme individualiste car, selon Fournier, la liberté individuelle est le fondement de toute chose.
102Pourtant, en dépit de cette aspiration affichée à dépasser certaines apories inhérentes aux années 68, La Gueule Ouverte s’inscrit résolument dans la culture politique contestataire de son époque. En prenant la parole sur des sujets à leurs yeux occultés, en premier lieu le nucléaire civil, en remettant en cause le poids et la légitimité des experts, en cherchant à rendre les enjeux scientifiques accessibles à tous, les journalistes de La Gueule Ouverte participent de « la crise de consentement à l’ordre symbolique105 » dont Mai 68 demeure la manifestation la plus emblématique. Au sein du journal, Émile Prémillieu est, avec Philippe Lebreton, la personne la plus investie dans cette démarche. Dans ses « chroniques de la mort radieuse », il publie de larges extraits de rapports scientifiques sur le nucléaire en y ajoutant des notes de bas de page et des intertitres pour tenter de les rendre accessibles à tous106. Cette démarche de vulgarisation n’a pas seulement pour but de former les militants aux nouveaux enjeux scientifiques mais doit contribuer plus fondamentalement à une critique d’un système de domination sociale fondée sur la possession d’un savoir spécifique.
103Menacée économiquement par une baisse des ventes, La Gueule Ouverte est progressivement réorganisée au cours de l’année 1974. Émile Prémillieu, compagnon de Fournier dans l’aventure de Bugey-Cobayes, dont les articles sur le nucléaire sont aussi fouillés qu’indigestes, est écarté au profit d’Isabelle Cabut dès le mois de mars 1974107. Au cours de l’été qui suit, une polémique éclate avec Delfeil de Ton, journaliste à Charlie Hebdo, qui accuse le journal de « se servir de l’écologie pour justifier sa soif de pureté, son désir d’un idéal ascétique, sa trouille de la mort et son besoin du merveilleux108 ». La Gueule Ouverte quitte alors les éditions du Square pour une SARL, les Presses de la Bûcherie, fondée par Arthur, Isabelle Cabut et Danielle Fournier, veuve du fondateur109.
104Ces différents épisodes marquent l’épilogue d’une première période de La Gueule Ouverte exprimant un militantisme total, se situant dans la suite de Mai 68 tout en cherchant à le dépasser. Après le décès de Pierre Fournier, cette aspiration demeure et influence durablement l’écologisme français.
Le Sauvage ou la volonté de parler d’écologie au plus grand nombre
105À sa création, La Gueule Ouverte entend être un journal militant où l’approfondissement de la conscience écologique de quelques-uns prime sur la diffusion des informations auprès du plus grand nombre. En 1973, Alain Hervé, fondateur des Amis de la Terre, s’entoure d’une poignée de journalistes pour fonder Le Sauvage dans une perspective très différente. Il imagine en effet une publication accessible à un large lectorat mais spécifiquement tournée vers la question de la crise écologique et de sa résolution, autrement dit, pour reprendre ses termes, un « Paris-Match de l’écologie110 ».
106L’étude de la genèse du projet éditorial du journal et de sa réception par les lecteurs permet d’éclairer une autre facette de la construction du militantisme écologiste distincte de la démarche totale et dans une certaine mesure ascétique prônée par La Gueule Ouverte.
107Lorsqu’il fonde les Amis de la Terre en 1970, Alain Hervé n’a en aucun cas l’intention de s’investir en politique. Considérant que les clivages idéologiques sont toujours réducteurs et artificiels, il entend faire de la nouvelle association la matrice du combat écologique en s’inspirant de la démarche du Touring Club. En homme de presse, Alain Hervé n’envisage pas de parvenir à cet objectif sans un journal pour relayer les idées et les activités de ce mouvement.
108C’est la raison d’être du Courrier de la Baleine dont le premier numéro paraît en juillet 1971. Alain Hervé en a lui-même choisi le titre en hommage au Moby Dick d’Herman Melville mais aussi en référence aux luttes environnementales où la baleine est érigée en symbole d’une merveille de la nature menacée d’extinction par la surpêche et l’inertie de la commission baleinière internationale. Ce titre illustre ainsi la démarche d’Alain Hervé pour qui l’écologisme doit être consensuel et rassembler un maximum de bonnes volontés pour pouvoir l’emporter.
109À bien des égards, les premiers numéros du Courrier de la Baleine préfigurent la démarche reprise par la suite par Alain Hervé dans Le Sauvage. À la différence de La Gueule Ouverte, le journal s’adresse à des lecteurs peu familiers des enjeux écologiques. Au fil des numéros, plusieurs intellectuels publient leurs réflexions générales sur la crise écologique. René Dubos insiste ainsi sur les limites de l’adaptabilité du milieu d’un point de vue biologique111 et Paul R. Ehrlich présente ses thèses en faveur du contrôle démographique, seule manière selon lui d’éviter une famine mondiale à moyen terme112. Malgré la gravité du propos, le ton adopté par le journal est mesuré et les rédacteurs ont à cœur de présenter une solution jugée efficace : le militantisme au sein des associations écologistes pour faire pression sur les pouvoirs publics et les pollueurs. L’ordre des priorités défini dans Le Courrier de la Baleine diffère donc de celui de La Gueule Ouverte car l’écologisme n’est pas présenté comme un outil de transformation de sa propre conscience – voire de la société – mais comme le moyen de résoudre une situation intenable à terme sur le plan environnemental113.
110Dès l’origine, pourtant, les moyens humains et financiers ne sont pas à la hauteur de l’ambition du projet. Sans publicité, reposant exclusivement sur des bénévoles et sans l’appui d’un groupe de presse, Le Courrier de la Baleine ne parvient pas à conserver une périodicité régulière114. Dans l’éditorial du n° 3, la rédaction appelle les lecteurs à s’abonner et à envoyer leurs propres textes pour qu’ils soient publiés, ce qui revient à reconnaître que l’équipe n’a pas à elle seule les forces nécessaires pour alimenter le journal115. Le Courrier de la Baleine entre donc dans une phase chaotique : à l’évidence, il ne saurait être le journal à forte diffusion dont rêve Alain Hervé mais il n’est pas non plus un bulletin de liaison interne aux Amis de la Terre, l’association étant encore trop jeune et insuffisamment développée pour en avoir besoin.
111À bien des égards, la création du Sauvage tire les enseignements de l’échec du Courrier de la Baleine ; sans l’appui d’un groupe de presse, les Amis de la Terre ne peuvent espérer produire une publication suffisamment professionnelle pour fidéliser un large lectorat et susciter un vaste mouvement d’opinion.
112Dès 1971, Alain Hervé entre en contact avec Claude Perdriel, propriétaire du Nouvel Observateur, qui envisage de faire paraître un journal spécifiquement dédié à la défense de l’environnement et à l’écologie116. Selon le diagnostic du patron de presse, le Nouvel Observateur a acquis au fil des années une image bourgeoise et réformiste qui risque de l’éloigner d’un lectorat plus jeune et radicalisé par Mai 68. À ses yeux, la vogue de l’écologie permettrait de capter cette nouvelle cible. Pourtant, de l’aveu d’Alain Hervé, les négociations sont délicates car Claude Perdriel refuse que la future publication prenne des positions antinucléaires. En tant que polytechnicien, il a foi dans le progrès technique et fait confiance au savoir-faire des ingénieurs pour résoudre les problèmes éventuels de sécurité ; en tant que patron de presse, il ne peut se permettre de froisser EDF qui est à l’époque un annonceur très influent117. Ces difficultés expliquent que les négociations traînent durant de nombreux mois.
113C’est en 1972 que les événements s’accélèrent. Peu de temps après l’arrivée de Brice Lalonde aux Amis de la Terre en 1972, Alain Hervé lui cède avec soulagement le poste de président pour revenir au journalisme à plein-temps. Alain Hervé entre au Nouvel Observateur au sein du service « Notre époque » et, en juin 1972, au moment de la conférence de Stockholm, il est chargé de diriger un numéro spécial intitulé « La dernière chance de la Terre ».
114Pour capter un lectorat appartenant aux classes moyennes diplômées, les articles sont écrits par des intellectuels reconnus comme Théodore Monod ou encore Edgar Morin, qui réfléchissent à la signification anthropologique de cette crise et à ce qu’impliquerait une conscience écologique du monde. Dans son éditorial, Alain Hervé développe une analyse de la crise écologique inspirée par l’écologisme américain et par son ami Edward Goldsmith, écologiste et homme de presse anglais ; il met en garde à la fois contre la pollution, la dislocation du tissu social et l’écrasement des sociétés tribales avant de conclure que l’humanité dispose d’une dizaine d’années pour éviter la catastrophe118. Ce ballon d’essai est un succès commercial incontestable puisqu’il s’écoule à 200000 exemplaires.
115Près d’un an après le numéro spécial consacré à la « dernière chance de la Terre », Le Sauvage paraît sous la forme d’un bimestriel. Malgré le titre choisi, Alain Hervé se défend d’avoir voulu prôner un retour à la nature ou une critique radicale de la civilisation. C’est plus prosaïquement l’un des collaborateurs du journal qui en aurait eu l’idée un matin en se brossant les dents avec un dentifrice qui portait justement ce nom119. Pour autant, ce titre témoigne d’une volonté d’opposer l’écologie à l’artificiel, à la routine et à une certaine image de la vie urbaine.
116Les premiers collaborateurs du Sauvage viennent bien souvent du Nouvel Observateur ou ont été proposés par Philippe Viannay, membre du conseil d’administration du journal et soutien constant d’Alain Hervé120. Ainsi, de manière plus ou moins volontaire, Alain Hervé associe l’écologie à la gauche non-communiste dont Le Nouvel Observateur est l’un des piliers. Dans un premier temps, les ventes du Sauvage sont relativement satisfaisantes avec un tirage frôlant les 50000 exemplaires121 : Alain Hervé dispose donc enfin de l’outil journalistique qu’il avait tenté de mettre en place sans succès avec Le Courrier de la Baleine.
117Bien qu’il dépende d’un grand groupe de presse, Le Sauvage jouit d’une large autonomie qui lui permet de fonctionner en constante interaction avec les groupes écologistes sur le terrain et en particulier avec les Amis de la Terre de Paris, pour lesquels il constitue une sorte de laboratoire d’idée. Alain Hervé reste en effet membre de l’association et Brice Lalonde intègre bientôt le journal d’abord comme correcteur puis comme auteur sous le pseudonyme d’Olivier Forbes. Tous deux se lient rapidement avec un journaliste du Nouvel Observateur dont la formation marxiste ne prédisposait pas a priori à prêter une oreille bienveillante à l’écologisme mais qui se révèle comme l’un de ses théoriciens majeurs : le philosophe André Gorz, qui officie au sein du journal sous le nom de Michel Bosquet.
118Coutumier des changements d’identité, celui-ci est né Gerhart Hirsch à Vienne en 1923 avant devenir Gerhart Horst en 1930122. Ingénieur chimiste de formation, il rencontre Jean-Paul Sartre après la Seconde Guerre mondiale et s’installe à Paris où il commence une carrière de journaliste. C’est à cette période qu’il fait paraître ses premiers ouvrages de philosophie où il associe marxisme et existentialisme. Faisant de l’autonomie de l’individu une valeur essentielle, marqué par Mai 68 et réticent à l’égard du gauchisme, André Gorz s’éloigne peu à peu de l’existentialisme pour découvrir les perspectives politiques nouvelles ouvertes par l’écologie. Alain Hervé se souvient avoir eu avec Brice Lalonde et Michel Bosquet des « discussions épatantes » sur l’écologie qui se terminaient souvent au bout de la nuit123. Au sein du Sauvage, auquel il collabore régulièrement, Michel Bosquet réfléchit plus particulièrement aux liens que l’écologie entretient avec le socialisme et c’est également l’un des principaux diffuseurs de la pensée d’Ivan Illich en France124, contribuant à enrichir le corpus idéologique de l’écologisme français en général et des Amis de la Terre en particulier.
119De fait, la réflexion de Brice Lalonde doit beaucoup au Sauvage et à ses dossiers spéciaux. Lorsque les Amis de la Terre envisagent de faire de la contestation de l’automobile leur combat prioritaire, ce n’est sans doute pas un hasard si Le Sauvage consacre en septembre 1973 un numéro spécial à ce sujet125. On y trouve ainsi un article de Jean-Pierre Sergent intitulé « Qui saborde les transports en commun ? » qui donne de nombreux chiffres reproduits tels quels dans les documents de la campagne présidentielle de René Dumont en 1974126.
120Si Le Sauvage est un outil particulièrement utile aux Amis de la Terre pour collecter des informations, affiner leur expertise et diffuser leurs positions, il n’en reste pas moins que l’objectif éditorial du journal est avant tout de convertir le plus grand nombre à une approche de la société inspirée par l’écologie militante127. Au contraire de La Gueule Ouverte, qui insiste sur le caractère intense et dans une certaine mesure exceptionnel du militantisme écologiste, Le Sauvage veut en montrer le caractère certes nécessaire, à l’évidence politique mais aussi ouvert à tous.
121Le courrier des lecteurs montre néanmoins que cette démarche est loin de faire l’unanimité. Ainsi Georges Masson dénonce la présence de publicités dans le magazine, craignant que Le Sauvage ne devienne un support commercial agrémenté de « quelques articles très intellectuels pour petit-bourgeois et technocrates se sentant vaguement concernés128 ». De même, aux yeux de Michèle Paul, il existe une contradiction fondamentale entre l’idéologie du journal et les moyens utilisés : sa démarche, sa présentation et jusqu’à la qualité du papier lui paraissent « très “bourgeois” […] et incompatible avec l’écologie129 ». Sans que l’on puisse déterminer leur représentativité, ces lettres n’en traduisent pas moins la cristallisation de perceptions distinctes et difficilement conciliables du militantisme écologiste. Pour ces lecteurs, la démarche d’ouverture consubstantielle au projet éditorial du Sauvage impliquerait la compromission avec la société telle qu’elle est au détriment de l’alternative telle qu’elle devrait être.
122À l’inverse, d’autres lecteurs accusent le journal de politiser l’écologie en l’associant à toute force au socialisme alors que l’environnement devrait de se situer hors de ces clivages qui n’entraîneraient que la division130. Dans cette perspective, le journal est perçu comme une entreprise de récupération et non de décrispation alors même que, sur le diagnostic de la crise écologique, les positions du Sauvage ne sont pas si éloignées de celles de La Gueule Ouverte.
123Le Sauvage a pour ambition d’ouvrir les lecteurs du Nouvel Observateur, appartenant souvent à la gauche non communiste, à une autre réalité, en leur faisant prendre conscience de la gravité de la crise écologique et de la nécessité d’agir pour la résoudre. Par cette démarche, le journal fondé par Alain Hervé est révélateur de la variété des usages militants possibles pour un journal à la fois laboratoire d’idée du groupe de Paris des Amis de la Terre et outil de propagande.
124Derrière la volonté de s’adresser au plus grand nombre se trouve l’idée que la résolution de la crise écologique ne pourra passer que par la conversion de la majorité de la population à des thèses à l’époque encore marginales. Cette tentative illustre ainsi jusque dans ses ambiguïtés la pluralité de l’écologisme émergent qu’on ne saurait donc confiner dans la seule marginalité militante.
125L’étude successive de Survivre… et Vivre, de La Gueule Ouverte et du Sauvage est riche d’enseignement sur l’émergence et la structuration de l’écologisme au début des années 1970. Il s’avère ainsi que cette presse militante ne peut être totalement isolée de la presse tournée vers le grand public – même si celle-ci est souvent accusée par celle-là de traiter superficiellement les enjeux environnementaux. Le Sauvage n’aurait jamais pu exister sans Le Nouvel Observateur et La Gueule Ouverte serait restée un vœu pieux de Pierre Fournier sans l’appui des éditions du Square. Ce constat démontre qu’en dépit de la radicalité de la ligne des trois publications, l’écologisme ne peut être analysé sans prendre en compte les évolutions globales de la société face auxquelles il réagit et se positionne en permanence, ne serait-ce qu’implicitement.
126Par ailleurs, dans une période où les groupes militants sont encore peu nombreux et souvent peu organisés, cette presse, par les informations qu’elle répercute et les actions qu’elle impulse, joue un rôle essentiel dans la construction de réseaux et la définition de ce que doit être un militant écologiste. Au-delà de la diffusion de l’information, la presse militante joue donc au début des années 1970 un rôle essentiel dans la structuration de l’écologisme comme un champ spécifique où des propositions distinctes sont en compétition pour être reconnue comme prédominante.
Vers la politisation de l’écologisme
127Aujourd’hui encore, la campagne présidentielle de René Dumont en 1974 est souvent considérée comme la première véritable incursion des écologistes en politique, succédant à une période d’action apolitique sur le terrain131. Il est vrai qu’avant cet événement, les militants ne sont pas avares de déclarations peu amènes à l’égard d’un monde politique auquel ils se voudraient étrangers. Ainsi, Georges Krassovsky, déplorant que les gens de droite le trouvent trop à gauche et inversement, prône une démarche apolitique pour faire avancer la cause de l’écologie132. De même, Brice Lalonde décrit cette période comme « la fusion originelle d’un mouvement sans clivage, qui se précipitait dans l’action sans avoir à surmonter de problèmes majeurs » avant que les querelles politiques ne suscitent des controverses133.
128Or, un regard très différent peut être porté sur la période qui précède la campagne de René Dumont ; celle-ci apparaît en effet comme une phase d’intense politisation qui ne se résume pas à la participation aux élections mais qui consiste plus largement à penser l’écologisme en termes de transformation de la société, en assumant l’idée que cette perspective puisse susciter de profonds clivages. Pour les partisans de ce processus de politisation, ce serait un moyen d’unifier la nébuleuse des mouvements écologistes et d’en définir plus rigoureusement les finalités alors que de nombreux débats se font jour.
129Comment agir face à la crise écologique ? Faut-il privilégier la fuite hors de la société ou peut-on agir en son sein ? Dans la mesure où l’écologie dévoile les lois régissant les écosystèmes, celles-ci ne remettent-elles pas en cause la liberté des individus ? Les polémiques qui s’ensuivent manifestent un réel malaise chez les militants confrontés à l’indéfinition du terme « écologie » : en mars 1974, La Gueule Ouverte décide ainsi d’abandonner son sous-titre « mensuel écologique134 », comme si cette référence était devenue plus encombrante qu’éclairante.
130Dans cette perspective, la candidature de René Dumont n’est pas un simple accident de l’histoire ou l’expression d’ambitions politiques mal dissimulées mais constitue plus fondamentalement un moyen de résoudre certaines contradictions inhérentes à la nébuleuse et de parvenir à une définition plus opératoire de l’écologisme.
Le catastrophisme et ses apories
131Au tournant des années 1960 et 1970, les sociétés industrielles semblent saisies par le « syndrome de Babylone135 », craignant de disparaître du fait de l’homme, de sa démographie galopante, de son usage inconsidéré de la technologie et de l’ensemble des pollutions qu’il répand autour de lui. Pierre Fournier est ainsi un infatigable prophète de cette catastrophe imminente, annonçant sans cesse que bientôt l’humanité manquera d’eau, d’humus, des minéraux nécessaires à la vie et même d’oxygène136. De leur côté, les Amis de la Terre adressent une « lettre ouverte aux habitants d’une planète mourante » dans laquelle ils dressent un bilan particulièrement noir de la situation des écosystèmes mondiaux, estimant que la cote d’alerte est atteinte dans tous les domaines137. Georges Pompidou lui-même, pourtant héraut de l’impératif industriel, s’interroge : l’homme, « tel un apprenti sorcier, ne risque-t-il pas finalement de périr par les forces qu’il a déchaînées138 » ? Les écologistes n’ont donc pas le monopole de la catastrophe à venir ; ces alarmes connaissent probablement leur apogée en 1972 avec la parution du rapport du Club de Rome, Limits to Growth, et l’organisation du sommet de la Terre de Stockholm où ces sujets sont largement évoqués et débattus.
132Pour les premiers militants écologistes, le catastrophisme s’apparente à une forme écologisée de révolution, fondée sur la dénonciation du caractère intolérable de la situation présente et sur l’espérance d’un changement radical à venir, idéal remis au goût du jour par Mai 68139. Largement partagées, ces positions n’en sont pas moins problématiques.
133Parmi les germes de la catastrophe à venir, le nucléaire occupe rapidement une place privilégiée dans les représentations des écologistes, alors même que la contestation antinucléaire bascule des questions militaires vers les centrales140. De fait, au travers de cette contestation, les écologistes enrichissent et radicalisent leur définition de la pollution jusqu’à faire de cette énergie le symbole même de l’apocalypse à venir.
134Des mouvements pacifistes des décennies précédentes, les militants des années 1970 conservent l’idée que cette forme d’énergie fait peser une menace globale et absolue sur l’humanité141. Néanmoins, le spectre d’une apocalypse nucléaire tend progressivement à être concurrencé par les inquiétudes quant à une possible contamination radioactive de la population du fait même de l’utilisation quotidienne de cette énergie. Au sein du Mouvement contre l’Armement Atomique, le biologiste Jean Rostand s’alarme dès les années 1960 du risque de dégénérescence génétique entraîné par la multiplication des essais nucléaires, qui dispersent des radioéléments dans l’atmosphère142. De son côté, Jean Pignero crée l’APRI en 1965 pour ne plus seulement protester contre les examens radiologiques obligatoires mais contre les méfaits des rayonnements ionisants d’une manière générale143.
135Dans les années 1970, le nucléaire est regardé comme une nouvelle forme de pollution mortifère et particulièrement insidieuse. Celle-ci n’est en effet pas perceptible par les cinq sens et ses effets sur la santé humaine peuvent survenir des années après l’exposition. C’est pourquoi, au-delà des arguments scientifiques, les militants éprouvent à son égard une répulsion et une angoisse presque physique. Isabelle Cabut décrit ainsi la peur panique qui l’étreint lors de sa visite du chantier de la centrale de Flamanville comme si l’édifice de béton concrétisait ses craintes144. Cette dimension subjective et émotionnelle du rejet du nucléaire tend cependant à être reléguée au second plan pour ne pas prêter le flanc aux accusations des partisans du nucléaire pour qui le refus de cette énergie repose sur une peur irrationnelle et sans fondement145.
136Au travers du nucléaire, la pollution n’est plus seulement la « dégradation d’un écosystème par l’introduction d’un agent […] provoquant une dégradation dans un milieu donné146 » mais retrouve dans une certaine mesure sa signification religieuse originelle qui renvoie à la profanation et à la souillure. L’énergie nucléaire devient alors le symbole d’un système mortifère et appelé à disparaître à brève échéance.
137Pourtant, au-delà de la crainte d’une catastrophe imminente, il n’existe pas chez les militants de consensus sur les causes profondes de cette situation. Tire-t-elle ses origines de la forte poussée démographique à l’œuvre depuis le milieu du xxe siècle, de l’individualisme contemporain, de la rapacité du capitalisme industriel ou encore d’une morale judéo-chrétienne invitant l’homme à prendre possession de la terre ? Sur ce point, les militants ont conscience d’avancer sur un terrain mouvant.
138Se saisissant des questions démographiques, les Amis de la Terre font paraître en 1972 La Bombe P de Paul R. Ehrlich, célèbre aux États-Unis pour son appel à une réduction de la population mondiale147. L’ouvrage entend démontrer que dans un monde plein, sans terre vierge ouverte à l’émigration, la croissance démographique mène immanquablement à l’épuisement des ressources, donc à une catastrophe planétaire148. Ces observations sont reprises par Michel Bosquet dans le numéro spécial du Nouvel Observateur « La dernière chance de la Terre » où il souligne sa crainte de voir se déclencher des guerres et des famines dans un monde fini149. L’écologisme français n’ignore donc pas totalement le débat sur les origines démographiques de la crise écologique mais force est de constater que celui-ci n’a pas la même vigueur qu’aux États-Unis. De fait, La Bombe P, grand succès de librairie outre-Atlantique, est un échec commercial en France150. Cette discrétion s’explique probablement par la difficulté à imaginer des solutions susceptibles d’inverser la courbe démographique mondiale sans mettre en place des mesures coercitives ou sans pénaliser le Tiers-Monde, alors principal foyer de croissance de la population.
139Outre la démographie, les débats sur la catastrophe à venir portent également sur la responsabilité de l’individualisme contemporain. Usant d’arguments tirés de l’écologie, certains mouvements naturistes dénoncent les désordres moraux de la société contemporaine, présentant sa réforme, et dans une certaine mesure de sa purification, comme la voie privilégiée pour éviter la catastrophe. Une telle approche est loin de faire l’unanimité au sein de la nébuleuse écologiste. Évoquant la « Saine Expo » organisée par Georges Krassovsky en 1971, Pierre Samuel dénonce les positions d’associations naturistes telles que la Ligue française d’hygiène mentale ou l’Union Française pour la Protection de la Vie (UFPV) dont Jean Royer, le très conservateur maire de Tours, est l’un des vice-présidents. Cette dernière diffuse une brochure qui, parmi les dix dangers qui menacent le monde, mentionne « la dégradation progressive de l’autorité dans la famille, dans le travail et l’État151 ». Le « Plan pour la Survie » d’Edward Goldsmith suscite des réserves similaires car faisant le procès de la modernité individualiste, il prône le retour de petites communautés fondées sur la perpétuation de la tradition et le maintien d’un relatif contrôle social dans le respect des lois naturelles. Or, ces idées, bien qu’elles s’insèrent dans la perspective d’une catastrophe écologique globale, suscitent l’hostilité de nombre de militants, qui considèrent que le rétablissement de l’autorité n’est pas la solution mais au contraire la source de l’ensemble des problèmes de l’humanité et que l’écologie suppose la diffusion du pouvoir et non sa concentration152.
140Les controverses sont particulièrement vives au sein du groupe Survivre. Évoquant les débats suscités par le rapport du Club de Rome et l’émoi suscité par la lettre de Sicco Mansholt à Franco Maria Malfatti (février 1972) appelant à une croissance zéro de l’économie, Laurent Samuel s’émeut de l’apparition d’une tentation « écofasciste », autoritaire, qui, au nom de l’urgence de la crise écologique, plaiderait pour un renforcement de la société technicienne et de la technocratie153. Didier Savard s’inquiète lui aussi de l’éclosion d’un « écofascisme », qui, sous couvert de préserver le potentiel biologique de la planète, ne ferait « que renforcer le pouvoir des spécialistes, l’emprise des spécialistes du pouvoir et la fonction oppressive du vieux monde » ; à ses yeux, pour conjurer ces évolutions mortifères, « la solution aux problèmes de l’écologie ne peut être que politique, c’est-à-dire qu’elle doit se poser la question du pouvoir154 ».
141La mise en avant de la catastrophe à venir pose donc plusieurs problèmes aux militants écologistes. Beaucoup craignent ainsi de voir l’écologie devenir une nouvelle technique de gouvernement qui permettrait un encadrement plus fin de la population justifiée par l’imminence de la catastrophe, au risque d’une dérive technocratique voire totalitaire. Par ailleurs, contrairement à réflexion reposant sur le concept de risque, qui tend à favoriser le développement de l’expertise scientifique et technique, donc à mettre en avant les capacités de l’homme à surmonter les pires difficultés155, la pensée de la catastrophe donne à voir une humanité faible, faillible et vulnérable, totalement dépassée par ses propres créations156. Dans cette perspective, la catastrophe à venir peut amener à la démobilisation et pas à l’action, risquant de conduire l’écologisme dans une impasse prématurée.
Entre communauté et société
142Face à une catastrophe qu’ils jugent imminente, les écologistes se doivent de proposer des pistes pour assurer rien de moins que la survie de l’humanité. Les solutions explicitement coercitives écartées, deux propositions coexistent, s’opposent et se fécondent mutuellement au sein de la nébuleuse écologiste en ce début des années 1970. La première est fondée sur une stratégie de rupture avec une société qui exploite, aliène et empoisonne, elle est notamment illustrée par certaines tendances du mouvement communautaire. La seconde repose sur la mobilisation de la société civile pour remettre en cause ici et maintenant des projets condamnables et fonder à terme un nouvel ordre politique. Or, dès 1972, cette deuxième option, qui implique une forme de politisation, semble avoir la faveur des principaux animateurs de la nébuleuse et des périodiques écologistes.
143Commencé dès avant Mai 68, le mouvement communautaire culmine en France entre 1971 et 1973 bien que les effectifs concernés restent encore aujourd’hui difficiles à chiffrer ; en tout état de cause, à l’échelle de certaines vallées du sud de la France, ce phénomène est massif157. Dans le tout début des années 1970, ce mouvement est évoqué dans les journaux écologistes comme un modèle possible de rupture nette et immédiate avec une société condamnée :
« En détruisant les liens organiques qui nous unissaient aux autres hommes et à la nature, c’est-à-dire aux autres êtres, aux autres objets, aux autres sujets, la société industrielle (capitaliste si vous préférez) a fait de nous des individus atomisés, encadrés et collectivement irresponsables. Aucune possibilité, dans ces conditions, d’échapper aux enchaînements qui conduisent à la catastrophe.
Nous ne pouvons pas lutter contre ce système en restant actionnaire de ce système.
La communauté, c’est [sic] pas l’avènement automatique d’un monde plus juste et plus fraternel. C’est briser le carcan158. »
144Aux yeux de Pierre Fournier, le mouvement communautaire impliquerait un retour à la nature pour recréer un ordre organiciste et ainsi échapper à l’anomie et au déracinement suscités par la société industrielle. Le fondateur de La Gueule Ouverte exprime ici la dimension antimoderne de sa pensée en décrivant les communautés comme le moyen de recréer un accord entre nature et culture qui aurait été altéré par la modernité159.
145De son côté, Jean-Marc Carité considère que les communautaires sont les seuls militants à pouvoir véritablement conjuguer révolution et écologie en cherchant un changement radical dans leur vie quotidienne et non dans un quelconque ordre politique inévitablement artificiel160. D’après lui, le déséquilibre planétaire serait si grand que toute tentative de redresser la situation est vouée à l’échec : la seule solution réaliste consisterait donc en une désertion loin d’une société condamnée pour vivre en accord avec l’ordre naturel.
146La communauté autarcique et rurale comme solution à la catastrophe à venir est pourtant rapidement déconsidérée, en premier lieu parce que rares sont les groupes qui survivent au premier hiver du fait de leur inexpérience. Nombre d’entre eux croient en une nature nourricière et surabondante tandis que d’autres se désintéressent tout bonnement de la question161.
147Par ailleurs, la démarche communautaire est critiquée par une partie de la nébuleuse écologiste. Ainsi, dès janvier 1972, les Amis de la Terre déclarent que toute tentative de construire un paradis perdu dans les Cévennes serait une fuite sans issue162.
148Intitulé « Dictionnaire des idées reçues écologiques », un dessin de La Gueule Ouverte figure une communauté rurale cultivant son bout de jardin dans une célébration naïve de l’autarcie, inconsciente d’être littéralement cernée par la société industrielle et urbaine, symbolisée par l’aérotrain au premier plan et des structures qui s’apparentent aux dômes géodésiques de Buckminster Fuller à gauche. Pour séduisante qu’elle soit, l’aventure communautaire est dépeinte comme une impasse voire une illusion dangereuse car loin de lutter contre les « tendances suicidaires de la société », les communautaires ne font que leur tourner le dos, risquant de se faire submerger. À l’évidence, aux yeux du dessinateur, l’autarcie rurale n’est pas la solution : il faut donc chercher ailleurs.
149Le retour à la nature, l’établissement à la campagne ne sont pas rejetés en tant que tels mais la justification politique qui accompagne cette démarche est remise en cause. Loin d’être un signe de lucidité, elle ne serait en effet qu’une fuite en avant irréaliste ; sous couvert de sacrifice, elle encouragerait une démarche apolitique.
150En définitive, ces critiques adressées au mouvement communautaire traduisent l’essoufflement de la croyance dans une révolution imminente qui viendrait couronner Mai 68. Dès lors, les médias écologistes délaissent cette perspective pour valoriser les luttes menées sur le terrain par les citoyens et les militants. Cette démarche constitue une première forme de politisation de l’écologisme, entendue au sens large « de montée en généralité et de reconnaissance de la dimension conflictuelle des positions adoptées163 ».
151Dès 1971, les Amis de la Terre appellent chacun à « agir comme s’il était sa propre ligue de protection de la nature, d’écologie, de contrôle démographique et de pollution (etc.) à lui tout seul ». Les combats à mener seraient en effet innombrables : « Ce sera par exemple une nouvelle route, un nouveau parking, des concerts de klaxon malgré la réglementation. Il faut bien vous dire que ce qui vous ennuie, ennuie probablement votre voisin et peu importe qu’il soit de gauche ou de droite164. » Cette conflictualité n’implique donc pas seulement de reconnaître la nocivité du système mais aussi d’affirmer que chaque individu peut contribuer à ces luttes. Politique, cette mobilisation au nom de l’écologie ne serait pas partisane car ces clivages ne seraient qu’abstraction au regard des nuisances et des menaces pesant sur l’environnement.
152La mobilisation de tous et de chacun n’est pas uniquement mise en avant par les Amis de la Terre. On la retrouve à La Gueule Ouverte où Mabille fait l’éloge de la combativité des associations face à la collusion des industriels et des pouvoirs publics qui projettent d’installer un gazoduc au fond du lac Léman165. Dans cet article, deux camps sont clairement distingués et leurs positions respectives sont explicitées grâce à des données économiques (l’espoir de bénéfices tirés de l’exploitation du gazoduc), sociales (la collusion élitaire entre les élus locaux et les industriels) et écologiques (l’équilibre écologique du lac Léman, gravement menacé). La mise en récit des conflits environnementaux n’oppose donc pas uniquement deux projets de société abstraits mais se situe pleinement dans le cadre de la société industrielle, fût-ce pour en subvertir les fondements.
153Ainsi, la première forme de politisation de l’écologisme consiste en une mise en avant de la capacité des citoyens à se mobiliser face à une situation inacceptable. Pour autant, la question de la montée en généralité des individus et des associations demeure délicate. En effet, les militants sont bien conscients que la combativité des populations locales repose souvent sur leur refus de voir une infrastructure gênante ou une source de nuisance s’installer à proximité de leur domicile. Évoquant la mobilisation des villages de la Dombes contre un projet de raffinerie, Arthur invite à la prudence : « Est-ce à dire, toute rigolade mise à part, que le drapeau vert de la révolution écologique flotte sur nos clochers ? Non. Car tous les comités de défense commencèrent à se renvoyer la balle sur le thème : pas chez moi, chez les autres166. » De même, Judith Delorme craint que l’écologisme n’évolue vers un « côté rassemblement de râleurs tous azimuts dont la seule perspective serait d’envoyer le chien pisser sur la porte du voisin plutôt que sur la sienne167 ». Bien que le terme ne soit pas employé, ces deux commentateurs craignent le développement d’un syndrome NIMBY168, dans le cadre duquel les acteurs peuvent se mobiliser localement mais refusent toute montée en généralité vers des enjeux politiques, économiques ou sociaux plus large.
154Derrière leur caractère consensuel, les mobilisations des citoyens et des associations de défense suscitent donc des réserves chez les militants écologistes qui doutent que ces actions soient à la hauteur des enjeux. Dominique Pons relève ainsi que « pour que les actions des associations de défense réussissent, il faut qu’elles parviennent à passer du particulier au général et que, partant de la défense des intérêts locaux, elles réussissent à atteindre un stade supérieur169 ». François Lourbet va plus loin en estimant que « la défense de l’environnement – et du consommateur – ne peut avoir de sens que dans la mesure où sont remises en cause toutes les structures de la société industrielle avancée », ajoutant que « les réponses sont d’ordre politique […]. Le danger de la lutte écologique, c’est qu’elle risque de démobiliser quantité de révolutionnaires en puissance170 ».
155Au début des années 1970, l’écologisme est un objet particulièrement plastique voire instable, fait de débats et de divergences. En définitive, ces controverses favorisent une politisation de l’écologie, processus qu’on peut définir comme la volonté d’assumer des positions conflictuelles et de chercher à monter en généralité au-delà des luttes ponctuelles. Dans cette perspective, cette opération doit permettre aux écologistes de formuler un message clair et audible.
Les écologistes face au champ politique
156Dès le début des années 1970, la politisation de l’écologie est donc envisagée comme une voie possible pour conjurer le risque d’une dérive autoritaire du mouvement et sortir de l’impasse d’une approche uniquement fondée sur le catastrophisme. Loin d’être purement théoriques, ces réflexions reposent sur une acculturation réelle des militants et des organisations au champ politique.
157Les premiers rapprochements entre les premiers mouvements écologistes et les partis politiques ont lieu à l’occasion d’actions menées en commun – par exemple lors de la contestation des projets urbanistiques à Paris – ou lors des différentes élections qui marquent le début des années 1970. Cette acculturation est par la suite prolongée par les premières campagnes électorales menées par des militants devenus candidats.
158Bien que souvent fugaces et peu satisfaisants, ces différents contacts avec le champ politique constituent une matrice essentielle pour comprendre la décision de présenter un candidat à l’élection présidentielle de 1974.
159Dès le début des années 1970, certains écologistes envisagent les partis politiques comme une médiation possible pour leurs idées. Un premier contact se noue quand des militants décident d’interpeller les partis devant l’opinion et les électeurs en espérant ainsi lier les candidats à des engagements précis qu’ils seraient contraints de tenir une fois élus.
160La Charte de la Nature, impulsée par René Richard et Philippe Saint-Marc, correspond à cette stratégie de groupe de pression. Ce document est soumis à l’ensemble des partis et à l’opinion publique dans une campagne coordonnée par un Comité rassemblant toutes les sensibilités politiques depuis l’UDR jusqu’au PCF171. Volontairement solennelle, cette charte constate qu’« Au-dessus des frontières, cette fraternité mondiale des défenseurs de la nature donnera naissance à une civilisation nouvelle qui fasse passer le bonheur de l’homme avant le profit, les besoins collectifs avant les intérêts privés, et l’avenir de l’humanité avant l’exploitation aveugle de la terre » avant de formuler plusieurs propositions visant une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux172.
161Ce ton emphatique suscite des réserves de la part de nombreux militants qui considèrent que la Charte pose en termes ambigus – autrement dit non politiques – des vrais problèmes173. Il n’en demeure pas moins que, relayée par la presse, notamment Le Parisien Libéré, la charte suscite l’acquiescement général des partis politiques et recueille près de 300000 signatures en quelques mois. À travers elle, le Comité entend susciter un mouvement d’opinion mais aussi devenir un laboratoire d’idées pour alimenter les débats législatifs en lois favorisant la protection de la nature et de l’environnement174. Néanmoins, miné par des désaccords politiques et par des dissensions sur la question du nucléaire civil, le comité de la charte de la nature ne parvient pas à exercer une influence durable sur les parlementaires.
162Les contacts entre les écologistes et le monde politique ne sont pas réservés à quelques individus qui, comme Philippe Saint-Marc, mettent leur capital social au service des enjeux environnementaux. Dans la perspective des législatives de mars 1973, les Amis de la Terre et Pollution-Non font parvenir à près de 2000 candidats un questionnaire détaillé qui évoque aussi bien les enjeux démographiques que l’extension du camp militaire du Larzac, en passant par la protection de la nature. Bien qu’il ne donne pas lieu à une publication, ce questionnaire donne l’occasion aux militants de ces deux organisations de classer les partis politiques selon leur degré de réceptivité aux idées promues par les écologistes.
163D’une manière générale, les gaullistes de l’UDR (Union des Démocrates pour la République) se montrent peu sensibles aux enjeux environnementaux et surtout leur dénient toute dimension politique. René Tomasini, député-maire des Andelys, insiste sur la nécessité pour la France de s’industrialiser, considérant que les techniques disponibles permettent aisément d’éviter la diffusion des pollutions. Il conclut sa réponse en soulignant qu’« avant d’être “Amis de la Terre”, il faut être “Amis des Hommes” » signifiant ainsi son désintérêt pour les enjeux environnementaux175. De son côté, Michel Alloncle, député-maire de Ruffec, a un point de vue plus nuancé en tant que membre du Groupe parlementaire pour la Protection de la Nature. Il limite cependant cette question à la lutte contre les nuisances et à la sauvegarde du milieu naturel, se disant par exemple favorable à la croissance de la population et refusant de répondre à la question sur l’extension du camp du Larzac, la considérant hors sujet176.
164À l’autre extrémité de l’échiquier parlementaire, les candidats du PCF ont sur certains points des réponses similaires à celles des membres de l’UDR, se déclarant ainsi favorables à la croissance de la population et à l’industrialisation du pays. Ils sont néanmoins unanimes pour envisager les enjeux environnementaux dans une perspective politique, mettant en cause le système capitalisme, seul responsable à leurs yeux des pollutions177. Là encore, les réponses peuvent varier selon la sensibilité propre du candidat interrogé. Émile Jourdan, maire PCF de Nîmes, déclare qu’« il faut mettre le progrès scientifique et technique au service de l’homme et de la nature » et souligne combien le Programme Commun de Gouvernement permettra de faire pression sur les entreprises pour qu’elles adoptent des dispositifs antipollution178. D’une manière générale, les militants des Amis de la Terre et de Pollution-Non sont amenés à constater que le PSU et les réformateurs apportent les réponses les plus écologiques au contraire de l’UDR et du PCF179.
165Même si Brice Lalonde, alors président des Amis de la Terre, déclare dans la lettre aux candidats qui accompagne le questionnaire que son association « a pour principe de rester à l’écart de la scène politique180 », cet échange constitue bel et bien une forme de politisation de l’écologisme car il conduit les militants à avoir une vision plus fine et nuancée du champ politique et des clivages qui le traversent.
166Dans un sondage publié en juin 1973 par Le Sauvage, 48 % des lecteurs considèrent le PSU comme le parti politique le plus apte « à défendre la qualité de la vie181 ». S’il n’est pas possible d’en généraliser les résultats à l’ensemble de la nébuleuse des mouvements écologistes, cette enquête suggère malgré tout qu’une affinité élective existe entre ces deux forces souvent étroitement intriquées.
167De fait, depuis la fin des années 1960, le PSU mène une réflexion poussée sur le cadre de vie et l’écologie, notamment sous l’impulsion de Georges Gontcharoff182. Dans une période où l’écologisme n’existe pas en tant que courant politique constitué et cohérent, de nombreux militants circulent entre les associations de défense de l’environnement, les groupes écologiques et le PSU, à commencer par Brice Lalonde, président des Amis de la Terre à partir de 1972 et membre de ce parti jusqu’en 1976. Des collaborations se nouent au travers de participations communes à des collectifs politiques, qu’il s’agisse d’Objectif Socialiste ou du Comité de Liaison pour l’Autogestion Socialiste183. Fondé en janvier 1973 sous l’impulsion du PSU, celui-ci a pour but de fédérer un courant autogestionnaire ancré à gauche mais distinct du PS. Plusieurs membres des Amis de la Terre doivent ainsi participer aux Assises nationales du CLAS prévue en mai 1974 où ils prévoient d’animer une session spécifique consacrée aux relations entre écologie et autogestion184. Pour un nombre non négligeable de militants de cette association, le PSU pourrait donc bien être la médiation électorale qui leur fait alors défaut.
168Néanmoins, ces contacts privilégiés entre les Amis de la Terre et le PSU n’aboutissent qu’à un résultat décevant. Les Amis de la Terre se heurtent d’abord à la fraction modernisatrice du PSU, représentée par le secrétaire général du parti, Michel Rocard, au sujet du nucléaire. Lors des « Six heures pour l’autogestion » organisées à la Mutualité le 14 janvier 1974, Michel Rocard condamne certes l’expansion économique mais se déclare favorable à l’énergie nucléaire, considérant qu’une société qui diminuerait son apport en énergie ne serait pas viable et que les pollutions générées par le nucléaire sont maîtrisables sur le plan technique185. Cette prise de position témoigne d’une profonde divergence de vues entre une partie du PSU peu sensible à une critique politique de technique et les Amis de la Terre pour qui la technologie n’est pas neutre et peut avoir des conséquences particulièrement néfastes sur les structures sociales. Au-delà de ce désaccord de fond, les Amis de la Terre réalisent au cours de l’année 1974 que la mouvance autogestionnaire organisée autour du PSU ne saurait constituer un débouché politique crédible et efficace en raison de son déclin militant et électoral face au PS.
169Dès lors, ce dernier devient dans la foulée du congrès d’Épinay (1971) un pôle attractif, d’autant plus qu’il semble prêt à intégrer à sa réflexion les nouveaux enjeux qui agitent la société française durant les années 68, à commencer par les questions environnementales186.
170En mars 1972, François Mitterrand, son Premier secrétaire, décide de créer au sein du PS d’un Comité consultatif pour l’environnement dont l’animation est confiée à Édith Cresson187. Composé de parlementaires et de militants socialistes ainsi que d’experts indépendants, parmi lesquels Philippe Saint-Marc et Pierre Samuel, qui vient d’adhérer aux Amis de la Terre188, ce comité a pour objectif de définir la doctrine socialiste à l’égard de la défense de la nature et du cadre de vie et de concevoir des propositions susceptibles d’être reprises par les candidats aux législatives de mars 1973189. Cette réflexion programmatique demeure modeste mais conduit cependant à la formulation de quelques propositions dans Changer la vie, programme adopté en 1972, notamment sur la nécessité de créer un « nouveau modèle de croissance » et sur une politique d’aménagement du territoire qui tienne compte de l’avis des citoyens et de la société civile190.
171Pour autant, la prise en compte des enjeux environnementaux par le PS semble néanmoins limitée. Philippe Saint-Marc considère ainsi que le parti s’est à l’époque contenté de bonnes paroles sans être disposé à faire de l’écologie un élément clé de son programme191. Bernard Groslier, journaliste au Sauvage, constate que les enjeux environnementaux ont été très peu évoqués par le PS lors des législatives de 1973 et seulement sous l’angle, très réducteur à ses yeux, des nuisances générées par l’industrie192. Il regrette donc un fossé entre les propositions de la « section environnement » du PS qui envisage l’écologie dans un sens large, incluant la démographie, la remise en cause de la croissance et du nucléaire, et l’attentisme des dirigeants, soucieux de ne pas se froisser avec le PCF sur ces questions.
172En dépit de ce que pourrait laisser penser certaines déclarations de principes hostiles à tout contact entre les écologistes et le monde politique, on ne saurait donc considérer a priori les premiers écologistes comme des profanes en la matière. Si beaucoup cherchent une médiation politique parmi les partis en place, d’autres s’impliquent directement dans les scrutins électoraux, ce qui ne va pas de soi dans la mesure où il s’agit d’une activité souvent considérée comme peu noble par de nombreux militants193.
173Dès 1965, Jean Pignero, animateur de l’APRI, tente d’être candidat à l’élection présidentielle pour évoquer les menaces pesant sur l’homme, notamment les risques de pollution radioactive194 ; dans ce but, il propose la création d’un Parti de la Survie mais doit renoncer à son projet, faute de parvenir à recueillir les cent signatures nécessaires. Plus tard, lors des élections législatives de 1973, plusieurs militants sont candidats au nom de la défense de l’environnement ou la promotion de l’écologie. Henri Jenn se présente à Mulhouse au nom d’Écologie et Survie195 tandis qu’Alfred Goron, se désignant comme le représentant de la paix et du bio-humanisme, est candidat dans la quatrième circonscription des Alpes-Maritimes196. Cette même année, Jean-Claude Delarue, animateur de la Fédération des Usagers des Transports de la Région Parisienne, convainc son père de prêter son nom à une candidature dans le canton de Sceaux (Hauts-de-Seine) de manière à interpeller les élus locaux au sujet de la construction – contestée – de l’autoroute A10197.
174De tous ces exemples, l’initiative d’Écologie et Survie à Mulhouse est probablement la mieux documentée car elle implique de futurs animateurs nationaux des mouvements écologistes. En janvier 1973, soit trois mois avant les élections législatives prévues en mars, plusieurs militants de la protection de la nature se réunissent chez Solange Fernex198. Tous constatent que les partis politiques, de gauche comme de droite, défendent un programme fondamentalement similaire d’industrialisation à outrance de l’Alsace dont les conséquences seraient funestes pour la nature comme pour les habitants.
175C’est pour promouvoir un projet de société alternatif qu’ils décident de présenter des candidats aux élections législatives de mars 1973. À cette date, il ne s’agit pas tant de défendre un programme que d’alerter à la population comme en atteste le slogan du candidat – « Halte au cancer de l’expansion » – et l’affiche empruntée au WWF suisse représentant un crâne dont sortent des routes et de la fumée symbolisant le caractère mortifère du mode de développement en vigueur. C’est donc en faisant de cette candidature un témoignage et un cri d’alarme que les écologistes alsaciens rendent possible le passage à l’action électorale.
176Faute de moyens et d’effectifs, le groupe se concentre sur Mulhouse, où Antoine Waechter est déjà bien implanté grâce à l’action de son association qui a contraint la municipalité à renoncer à un projet de rocade autoroutière199. Ce dernier étant trop jeune pour être candidat, le groupe, qui se baptise Écologie et Survie, choisit Henri Jenn pour le représenter. Celui-ci obtient 1491 voix soit 2, 7 % des suffrages exprimés, ce qui le place devant le PSU200.
177Dès le lendemain de l’élection, Antoine Waechter, qui a fait office de directeur de campagne, appelle à préparer activement les futures élections cantonales (prévues pour le mois de septembre) pour proposer « un programme cohérent et progressif de changement201 ». De fait, si Écologie et Survie n’est pas encore une formation politique classique, elle affirme très vite sa volonté de concurrencer les partis politiques sur leur propre terrain – à savoir les élections – en ayant recours à des armes similaires – le programme politique.
178Cette hésitation entre une candidature de témoignage, qui exprime symboliquement un désaccord avec les positions des grands partis politiques et l’ambition d’être en position de mener une politique différente, est donc fondamentale chez les écologistes dès les premières années de leur émergence.
179Il faut néanmoins se garder de voir dans l’ensemble des militants écologistes d’enthousiastes partisans d’une participation systématique aux élections. Jusqu’à la veille de l’élection présidentielle de 1974, nombreux sont les membres des Amis de la Terre de Paris qui expriment leurs réticences devant la présentation d’un candidat écologiste, préférant envisager une association avec l’extrême-gauche en sollicitant Alain Krivine du Front Communiste Révolutionnaire ou Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière, pour qu’ils évoquent les enjeux environnementaux lors de leur propre campagne202.
180Ces hésitations et ces propositions de candidature de substitution, dans une association probablement plus politisée que la moyenne des écologistes, montrent l’idée d’une participation directe de la nébuleuse aux élections est loin de faire consensus malgré un processus de politisation multiforme observable dès le début des années 1970. Celui-ci conduit de plus en plus de militants à voir dans une approche explicitement politique de l’écologie la solution aux apories de la nébuleuse et aux déceptions nées des premiers contacts avec le reste du champ politique.
181C’est dans ce contexte que, dans la précipitation née du décès prématuré de Georges Pompidou, quelques animateurs de la nébuleuse écologiste sont amenés à organiser une candidature appelée à rester dans la mémoire collective.
La campagne présidentielle de René Dumont
182Depuis le début de la décennie, l’écologie a indéniablement commencé sa mue militante. Des groupes s’en réclamant se font toujours plus nombreux tandis que sur le terrain les termes d’« environnement » et d’« écologie » fleurissent dans les argumentaires. Pour autant, cette nébuleuse demeure bien fragile tant les groupes que la composent sont faibles et les points de divergences entre eux nombreux.
183Dans ce contexte, l’organisation d’une élection présidentielle anticipée, consécutive au décès de Georges Pompidou le 2 avril 1974, représente une précieuse opportunité pour les animateurs des premiers mouvements écologistes. En présentant René Dumont en tant que candidat du « mouvement écologique français203 », il leur est non seulement possible de profiter d’un temps d’antenne précieux pour faire connaître leurs idées mais aussi de préciser, voire d’infléchir, les contours d’un écologisme encore évanescent. La politisation, tant idéologique qu’électorale, a donc pour conséquence de renforcer la cohésion et la cohérence d’un mouvement particulièrement diffus.
Une campagne inattendue
184Dès le mois de décembre 1973, lors d’une réunion du bureau de l’AJEPN204, Jean Carlier propose de présenter un candidat écologiste aux prochaines élections présidentielles qui, selon lui, ne devraient pas tarder au vu de la dégradation de l’état de santé de Georges Pompidou205. Il ne s’agit pas dans son esprit de lancer l’écologie à la conquête du pouvoir mais de faire prendre conscience aux partis politiques qu’ils sous-estiment l’importance accordée par les électeurs à cette question.
185De concert avec les Amis de la Terre, plusieurs candidats sont envisagés mais les événements ne s’accélèrent véritablement qu’avec le décès de Georges Pompidou, le 2 avril 1974. La variété des profils alors envisagés témoigne encore une fois de cette insoutenable légèreté de l’écologisme contre laquelle les animateurs des mouvements entendent lutter.
186Jean Carlier et Philippe Lebreton contactent d’abord Philippe Saint-Marc dès le mois de décembre 1973206. Auteur de Socialisation de la Nature et animateur du Comité de la Charte de la Nature, signée par près de 300000 personnes, il est à l’époque parmi les militants les plus connus du grand public207. Par ailleurs, son statut de haut-fonctionnaire pourrait être un gage de compétence et de sérieux pour rallier des électeurs au-delà des lecteurs du Sauvage et de La Gueule Ouverte. Philippe Saint-Marc décline cependant la proposition qui lui est faite, craignant qu’une telle candidature ne conduise à faire de l’écologie un objet partisan, donc susceptible d’être combattu pour des raisons électoralistes208. Dans la foulée, plusieurs autres personnalités ayant exprimé par le passé une sensibilité à l’égard de l’environnement sont sollicitées et se récusent les unes après les autres209.
187Ce n’est donc que le 5 avril 1974 que le nom de René Dumont est proposé par Alain-Claude Galtié qui fait valoir qu’il passe bien dans les médias – l’homme n’est en effet pas un inconnu à la télévision210 – et que son dernier ouvrage, L’Utopie ou la Mort, témoigne d’une évolution intéressante vers des thèses écologistes.
188Au matin du 6 avril, une délégation est donc désignée pour prendre contact avec René Dumont de retour d’Algérie le soir même en avion. Georges Krassovsky, heureux propriétaire d’une 2 CV, emmène alors avec lui des passagers dont le nombre et l’identité varient selon les témoignages. Dumont n’évoque ainsi que la seule présence de Georges Krassovsky et Brice Lalonde211. Alain-Claude Galtié soutient quant à lui avoir pris part à cette délégation212 tandis que Roger Cans mentionne les noms de Pierre Samuel, Brice Lalonde et Claude-Marie Vadrot213. Au-delà de l’anecdote et de l’inflation du nombre de personnes que peut décemment contenir une 2 CV, ces variations montrent combien la campagne Dumont est a posteriori considérée comme un épisode fondateur de l’écologie politique en France, épisode auquel il est bon de pouvoir se rattacher.
189Toujours est-il que la délégation offre à Dumont de le raccompagner chez lui et, tout de go, lui propose d’être candidat à l’élection présidentielle. Après une nuit de réflexion, René Dumont reçoit chez lui une douzaine de personnes pour leur signifier son accord214. Dès cet instant, l’organisation de la campagne commence et les militants présents cherchent à s’accorder avec leur candidat (pour l’heure officieux) sur le sens et les objectifs de cette candidature. Faut-il aller jusqu’au bout ou se retirer à la veille du premier tour après avoir profité de la couverture médiatique ? Quelle doit être la part de la campagne consacrée au tiers-monde ? Là encore, les versions disponibles sur les positions initiales des uns et des autres divergent mais tous acceptent finalement le principe d’une candidature allant à son terme sans appel à voter pour un autre candidat entre les deux tours. Dumont avertit cependant ses interlocuteurs qu’il reconsidérera la question si d’aventure François Mitterrand paraissait en mesure de l’emporter, envisageant alors de se désister en sa faveur215.
190Le mardi 9 avril 1974, les « associations écologiques216 » se réunissent à Paris à l’Institut National Agronomique pour discuter des modalités d’une candidature à la présidentielle. Ce jour-là, deux candidats sont proposés : René Dumont et Charles Loriant. Ce dernier est l’animateur du Mouvement Français pour l’Abondance qui, s’inspirant des théories de Jacques Duboin (1878-1976), préconise une monnaie distributive pour empêcher toute spéculation et une allocation universelle corollaire d’un partage du travail entre tous. Malgré le soutien d’une partie de l’équipe de La Gueule Ouverte et du mouvement Pollution-Non à Charles Loriant, René Dumont est désigné comme le candidat d’un collectif qui se désigne, à partir du jeudi 11 avril, comme le mouvement écologique français. Il faut néanmoins souligner René Dumont ne fait pas l’unanimité en raison de ses positions modernisatrices et productivistes affichées jusque dans les années 1960. La FFSPN considère ainsi que René Dumont est un défenseur du tiers-monde plus qu’un écologiste tandis que la LPO voit en lui le héraut des remembrements, donc le destructeur des haies217.
191Jusqu’au début du mois d’avril 1974, personne n’aurait envisagé que René Dumont puisse représenter l’écologie à l’élection présidentielle. Au-delà de la succession des événements et des improvisations de ces premiers jours d’avril 1974, il est bon de se pencher sur le parcours de cet homme qui s’impose, de manière inattendue, parmi les pionniers de l’écologie politique française.
192René Dumont est né en 1904 à Cambrai dans une famille de républicains laïcs liée au monde agricole. D’abord instituteur, son père devient ensuite professeur d’agriculture et son oncle est cultivateur dans les Ardennes218. En 1922, le jeune René Dumont réussit le concours d’entrée à l’Institut National Agronomique et reçoit une formation d’ingénieur colonial. Il commence sa carrière en 1929 dans les rizières du Tonkin avant de revenir en France pour devenir en 1933 chef de travaux à l’Institut National Agronomique puis, en 1953, professeur d’agriculture comparée jusqu’à sa retraite en 1974.
193Ce travailleur acharné, connu pour son tempérament irascible et ses périodes d’abattement, est également un homme de conviction et d’engagement. Antimilitariste dès la Première Guerre mondiale, son séjour en Indochine fait de lui un anticolonialiste convaincu. Homme de gauche, il adhère à plusieurs reprises à des partis politiques sans jamais trouver sa place dans les appareils partisans. Rejetant le communisme par solidarité avec les paysans d’URSS, sympathisant de groupes libertaires, il adhère en 1932 à la SFIO et milite un temps à la section de Montargis. En 1959, il entre au PSU par opposition à la guerre d’Algérie mais quitte le parti dès 1962, rebuté par les querelles idéologiques219. Il reste néanmoins dans l’orbite de la gauche non-communiste alors en pleine rénovation en adhérant à la fin des années 1960 à Objectif 72, mouvement créé par Robert Buron qui gravite entre le PS et le PSU.
194De fait, si René Dumont n’est assurément pas un homme d’appareil, il a une expérience politique plus vaste et plus ancienne que la plupart des militants écologistes qui viennent le solliciter en 1974, ce qui entraîne quelques frictions durant la campagne. Avant de se montrer sensible aux questions environnementales, René Dumont s’illustre d’abord comme un agronome de terrain et un expert économique chantre de la productivité. De son retour en France au début des années trente jusqu’au milieu des années 1950, il cherche constamment à améliorer les méthodes de culture et les conditions d’existence des sociétés rurales, dans le cadre d’une modernisation des structures agricoles qui profiterait avant tout aux paysans.
195Dans les années trente, dans un contexte de crise économique, alors que les pouvoirs publics sont acquis aux vertus de la déflation et du malthusianisme économique, René Dumont rejoint le Mouvement Français de l’Abondance de Jacques Duboin220 et les Jeunes Équipes Unies pour une Nouvelle Économie Sociale (JEUNES) qui prônent un partage du travail et un approfondissement de la démocratie221. René Dumont participe donc de ces relèves des années trente qui entendent sortir la France du marasme économique par sa rénovation et sa modernisation, perspective qui le classe parmi les « réalistes » pour reprendre la typologie proposée par Olivier Dard222. De fait, on ne trouve pas sous la plume de René Dumont de critique de la technique et de la modernité telle qu’elle est exprimée à la même époque par les « spiritualistes », tels que Jacques Ellul ou Bernard Charbonneau, qui consacre dès cette époque sa réflexion à la nature et à sa force révolutionnaire.
196Dès l’été 1937, René Dumont collabore au cabinet de Georges Monnet, ministre socialiste de l’Agriculture223, et durant la Deuxième Guerre mondiale, il participe aux travaux du Comité d’études pour la France avant d’entrer au Commissariat général au Plan de modernisation et d’équipement orchestré par Jean Monnet. Dans toutes ces instances, il plaide pour une modernisation tous azimuts de l’agriculture française qui passerait par le développement de cultures d’exportations et le remembrement des exploitations pour permettre la mécanisation des activités, ce qui implique selon lui un exode rural contrôlé et régulé.
197René Dumont est donc à l’époque un technocrate modernisateur que sa formation scientifique et sa culture politique socialiste amènent naturellement à croire dans le progrès indissolublement social et technique. De son propre aveu, il considère alors que la nécessaire maîtrise de la nature passe par l’artificialisation du milieu pour atteindre le rendement maximal immédiat, sans se préoccuper des contraintes écologiques qu’il connaît à l’époque fort mal224.
198Comment le technocrate modernisateur s’est-il mué, en deux décennies, en candidat des écologistes ? Le tiers-mondisme dont il est l’un des hérauts dans les années 1960 constitue sans nul doute la matrice principale de son évolution même s’il faut prendre garde à ne pas y voir l’expression d’une prise de conscience inéluctable.
199Les positions de René Dumont commencent à évoluer après son départ du Commissariat au Plan en 1953. Délaissant un temps l’agriculture française, il s’intéresse aux colonies et au tiers-monde. Grand succès de librairie, L’Afrique noire est mal partie (1962) illustre l’infléchissement de son credo modernisateur. Son rejet de l’industrialisme corollaire de l’importance qu’il donne aux sociétés rurales et à l’agriculture, sa défiance à l’égard des villes, lieux de dépenses somptuaires inconsidérées, sa profonde ambivalence à l’égard du futur, qui mêle espoir d’un progrès pour l’humanité et crainte que la catastrophe ne soit inévitable, sont en effet révélateurs de la maturation d’une forme d’écosocialisme.
200Le deuxième grand succès de librairie de René Dumont, L’Utopie ou la Mort (1973)225 est l’occasion pour l’auteur de se saisir plus explicitement de la notion d’environnement dont il reconnaît qu’il a longtemps méconnu l’importance et qu’il découvre en participant à différents réseaux d’expert à l’échelle mondiale. À l’approche de la retraite, René Dumont ressent le besoin de dresser un bilan de ses réflexions et de proposer une « synthèse à l’échelle mondiale, un projet global qui fût capable de s’opposer plus efficacement aux menaces de famine montante226 ». Dans L’Utopie ou la Mort, Dumont annonce qu’un effondrement total de la civilisation humaine se produira au cours du siècle à venir si les taux de croissance de la population et de la production industrielle se maintiennent à des niveaux élevés. Sur ce point, René Dumont ne fait que reprendre les analyses évoquées depuis le milieu des années 1960 sur la destruction des écosystèmes et l’existence de limites à l’expansion que l’homme doit prendre en compte sous peine de s’y fracasser227.
201L’originalité de cet essai est d’adjoindre à cette mise en exergue des limites une préoccupation sociale à l’égard du tiers-monde. Il entend ainsi lier les idées écologistes à une remise en cause du système capitaliste ainsi qu’à la mise en œuvre d’une solidarité planétaire. René Dumont insiste donc sur la responsabilité croissante des pays riches et des économies dominantes dans la crise à venir : il voit ainsi dans l’automobile privée ou dans le gâchis de papier des « exemples d’abus consolidant la misère des autres ». Son évocation des « exploités », sa mise en avant de la question du « pouvoir » contribuent alors à une politisation des enjeux environnementaux228.
202Par la mise en avant de la nécessité de « s’associer » à la nature et non de la « dominer229 », René Dumont semble accomplir une véritable rupture par rapport à ses positions productivistes antérieures. Il faut davantage y voir une forme de réactualisation de sa réflexion autour d’un pivot central, le tiers-monde et la faim dans le monde. Il reprend en effet des réflexions liées à l’abondancisme de sa jeunesse, considérant qu’il est encore possible de fonder un « homme nouveau230 » et d’assurer le progrès et l’abondance pour chacun. Par ailleurs, dans sa découverte de l’écologie, il ne fait pas preuve du zèle du nouveau converti, se refusant à condamner « tout emploi d’engrais chimiques, dont le danger reste limité à certains usages excessifs », ajoutant que « les tenants de l’agriculture biologique qui nous demandent parfois d’y renoncer, ne disent pas ce qu’ils feront du quart de l’humanité qu’il serait alors impossible de nourrir, même aussi mal qu’aujourd’hui231 ».
203La désignation de René Dumont s’explique donc autant par l’évolution intellectuelle d’un homme que par le hasard des circonstances. Contrairement à ce que certains militants envisageaient, la nébuleuse écologiste se dote d’un candidat qui n’entend pas être cantonné au seul rôle de porte-parole dans la mesure où il possède sa propre vision de l’articulation entre politique et écologie et de la place que celle-ci doit occuper dans le champ partisan. À ce titre, René Dumont peut être considéré comme l’un des fondateurs de l’écologie politique dans la mesure où il contribue à politiser ces enjeux et à les inscrire à gauche de l’échiquier politique.
Un agronome en campagne
204La campagne présidentielle de René Dumont débute véritablement avec la conférence de presse du 11 avril 1974 où l’expression « mouvement écologique français » est employée pour la première fois232. Commencent alors plus de trois semaines d’effervescence et d’improvisations jusqu’au premier tour prévu le 5 mai. Durant les quelques semaines qui le séparent du premier tour, le 5 mai 1974, le candidat écologiste détonne par son usage répété du vélo et le pull-over rouge qu’il porte systématiquement lors de ses interventions télévisées233.
205Néanmoins, à trop insister sur l’improvisation collective et le pittoresque de la candidature, on risque d’occulter l’action déterminante de plusieurs acteurs (singuliers et collectifs) qui entourent et encadrent René Dumont pendant la campagne. En étudiant les modalités de prise de décision, il est ainsi possible de dépasser le folklore pour analyser une étape importante de la construction de l’écologie politique.
206Le choix de René Dumont comme candidat s’est opéré avant même que les promoteurs de cette campagne ne se préoccupent de son financement et, plus globalement, de la lourde logistique inhérente à une élection présidentielle. C’est donc dans la précipitation qu’un comité de soutien entoure René Dumont sur une péniche amarrée près du pont de l’Alma et prêtée par Jean Bruel, PDG des bateaux-mouches, défenseur du vieux Paris hostile à la construction des voies express. Tous les témoignages recueillis concordent dans la célébration de l’ambiance extraordinaire qui règne sur cette « joyeuse galère234 » où tous les participants sont exaltés par la certitude de créer quelque chose de fondamentalement nouveau.
207Le comité de soutien parisien a la haute main sur l’organisation de la campagne. Il s’agit d’un ensemble de bénévoles composés d’Amis de la Terre (Brice Lalonde, Alain Hervé, Lison de Caunes, Pierre et Laurent Samuel), de journalistes, comme Marc Ambroise-Rendu, du Monde, Isabelle Cabut, de La Gueule Ouverte, ou encore Jean Carlier mais également de militants de la protection de la nature tels Christian Garnier, de la FFSPN, et Roger Fischer, de Maisons Paysannes de France235. Il n’est pas surprenant que parmi les membres de cette garde rapprochée, nombreux sont ceux qui ont plaidé depuis le début des années 1970 pour une politisation de l’écologie : à bien des égards, cette campagne constitue donc l’aboutissement de leurs réflexions. Au sein de cette équipe de campagne, la répartition des fonctions et des attributions reste floue. Les fonctions de conseiller en communication semblent être par exemple partagées entre Jean Carlier, qui prépare René Dumont pour ses passages à la télévision et à la radio, et Alain Hervé, chargé des relations avec la presse236. Le bateau-mouche attire également une foule de sympathisants venus spontanément pour se rendre utile, depuis des situationnistes jusqu’à des lycéens des grands établissements parisiens en passant par Henri Cartier-Bresson, qui réalise gratuitement les photographies de la campagne.
208Les tâches assurées par le comité de soutien sont si diverses et cruciales que cette appellation ne doit pas être prise au pied de la lettre : dans les faits, ce groupe dirige la campagne, détermine la stratégie du candidat face aux partis politiques, planifie ses déplacements237.
209Au-delà du comité de soutien, l’animation de la campagne de René Dumont est confiée à un collectif d’associations aux orientations variées. On considère parfois que la campagne présidentielle de 1974 a entraîné un grand partage entre des associations de protection de la nature, souvent appelées d’environnementalistes, caractérisées par leur refus de s’investir en politique, et des groupes écologistes pour lesquels cette démarche aurait été naturelle. Dès 1974, Claude-Marie Vadrot dénonce « les vieilles associations de défense de la nature […] incapables de prendre le moindre risque et de se mettre à travailler avec des gens qui prétendent que l’écologie et la politique doivent être mêlées238 ». Pour le journaliste, ces associations feraient le choix du conservatisme en refusant d’aller au bout des idées qu’elles défendent, inconscientes qu’une protection véritable de la nature implique une transformation complète de la société. De fait, la FFSPN et la LPO refusent de s’associer à la campagne par défiance à l’égard du candidat239. Une telle décision est sans doute motivée par le souci de ne pas susciter en leur sein des querelles politiques entre les adhérents, qui pourraient entraîner de graves dissensions internes et, in fine, remettre en cause leur légitimité auprès des pouvoirs publics.
210Néanmoins, l’analyse de la liste des associations soutenant la candidature de René Dumont conduit à nuancer l’idée trop rapidement admise d’un clivage structurel et indépassable entre les associations de protection de la nature et les écologistes.
Tableau 3. – Profil des groupes soutenant la candidature de René Dumont240.
Profil des groupes | Pourcentage |
Groupes écologiques | 26 % |
211Au total, parmi les 84 groupes mentionnés comme des soutiens à la campagne de René Dumont, on trouve des « groupes écologiques » (comme les Amis de la Terre, Écologie et Survie ou encore le Collectif havrais d’écologie) mais également des groupes de défense du cadre de vie, autrement dit des organisations tournées vers la contestation d’un projet d’infrastructure ou d’aménagement spécifique ; c’est le cas du comité de sauvegarde de la forêt de Réno ou de l’association « Sauvegarde des vieux villages de l’arrière-pays niçois ». Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme Claude-Marie Vadrot, les groupes de défense de la nature ne sont pas absents de la campagne de René Dumont puisque quinze associations de ce type en sont parties prenantes parmi lesquelles la société de protection de la nature Val-de-Marne-Essonne, Nord-Nature ou encore la FRAPNA.
212Ces associations de protection de la nature, souvent plus anciennes et donc mieux implantées que les groupes écologistes, jouent même un rôle essentiel dans le recueil des signatures nécessaires à la validation de la candidature de René Dumont. Ainsi, le Pr Vignon, doyen de la faculté des sciences à Amiens, assure René Dumont du soutien du collectif des organisations pour la sauvegarde de l’environnement en Picardie et annonce pouvoir recueillir assez facilement entre cinq et dix signatures dans la région241. De même, René Dumont a salué le rôle déterminant d’Émile Vivier, président de Nord-Nature, et de Philippe Lebreton, de la FRAPNA, dans l’accomplissement de cette tâche242. De fait, malgré l’inquiétude du comité de soutien, les partisans de René Dumont parviennent à recueillir 167 signatures, soit bien plus que les 100 nécessaires à la validation de la candidature par le Conseil Constitutionnel243.
213Au niveau local, l’animation de la campagne de René Dumont est confiée aux associations déjà implantées ainsi qu’aux 130 comités de soutien créés pour l’occasion244. Les informations précises sont rares sur ces groupes éphémères, souvent informels et dont les orientations politiques varient selon les cas. Ainsi, Régis Brasseur, qui adresse une lettre à René Dumont durant la campagne, semble avant tout être un militant de la protection de la nature, membre du Groupe écologique de sauvegarde des espèces vivantes dans la Somme, avant de monter un comité de soutien dans ce département245. À Nantes au contraire, le comité de soutien est davantage constitué, aux dires des RG, de « gauchistes » et d’anarchistes plus que de protecteurs de la nature246.
214Plusieurs indices laissent à penser que l’apport de ces groupes à la campagne de René Dumont est au mieux aléatoire et souvent très faible. En Loire-Atlantique, le comité de soutien, appuyé par le Groupe Écologique Nazairien, organise une manifestation à bicyclette le 27 avril à Saint-Nazaire qui réunit environ 100 personnes mais de telles actions semblent l’exception et non la règle247. Dans le Tarn-et-Garonne, l’APRI 82 déplore ainsi être le seul groupe actif dans le département malgré l’existence aux alentours d’autres groupes se réclamant de l’écologie248. De même, à la faculté de lettres de Besançon, la réunion organisée pour soutenir la candidature de René Dumont ne semble pas aboutir à grand-chose : « 2 affiches discrètes 5 heures à l’avance. 30 à 40 personnes. C’est beaucoup. Ça a discuté sec. Apparemment peu de gens disposés à voter Dumont mais des gens paumés désireux de faire quelque chose249. » Cet extrait montre que certaines personnes peuvent être sincèrement intéressées par le message de René Dumont, voire organiser un comité de soutien en sa faveur, sans pour autant chercher à recueillir des voix en sa faveur, distinguant le message écologiste et sa traduction électorale.
215La campagne présidentielle de René Dumont est donc le fruit d’interactions instables entre une multitude d’acteurs différents, au premier rang desquels se trouvent le candidat et son comité de soutien parisien. Le petit groupe qui entoure René Dumont déploie une grande activité durant quelques semaines mais il ne peut, à lui seul, conduire une campagne efficace sur le terrain. La faiblesse de la coordination des écologistes au niveau national explique que la présence de René Dumont dans les médias soit fondamentale pour assurer la diffusion de son message essentiel, la politisation de l’écologie.
Le programme de René Dumont
216Dans la communication politique du candidat, deux éléments interpellent l’opinion et contribuent à forger l’image atypique de René Dumont. Au classique complet-veston, le candidat préfère un pull-over rouge nettement moins sobre et dont la couleur est qui plus est associée au radicalisme politique ; la mémoire collective a par ailleurs retenu l’image d’un René Dumont grave, peut-être en colère, en tout cas solennel, qui brandit un verre d’eau pour alerter les téléspectateurs sur sa raréfaction prochaine250. Ce serait pourtant une erreur que de réduire la première candidature écologiste à ces anecdotes tant cette campagne est l’occasion de construire, au fil des meetings et au travers d’un livre-programme, une première proposition concrète d’écologie politique.
217Au-delà de leurs divergences, le candidat et son comité de soutien s’accordent en effet sur l’idée que lancer un cri d’alarme sur la réalité de la crise écologique n’aura de sens que dans une perspective politique. Loin de se résumer au fait de solliciter le suffrage des électeurs, la politisation de l’écologie implique de contester « la pertinence et la légitimité des séparations instituées et constamment consolidées » entre le champ politique et d’autres univers sociaux251. Associer enjeux environnementaux et politique, et convaincre les électeurs de la pertinence de cette association, est tout l’enjeu de la campagne de René Dumont.
218De fait, si le manifeste électoral souligne qu’une croissance économique et démographique infinie est impossible, l’humanité n’ayant qu’une seule planète à sa disposition252, René Dumont rompt avec la figure du scientifique vulgarisateur qui présenterait au grand public les principaux résultats des travaux menés dans le domaine de l’environnement. La dimension scientifique de l’écologie n’est donc évoquée qu’en passant :
« Il veut dire que l’homme, comme toutes les espèces vivantes, est inclus dans un milieu qui comprend la nature, les autres espèces vivantes, les autres hommes et qu’il ne peut pas se permettre de détruire ce milieu sans se détruire lui-même253. »
219Dans cet extrait, les liens d’interdépendance de l’homme à l’égard du reste du vivant n’ont d’intérêt que dans la mesure où ils démontrent le caractère mortifère du comportement des sociétés occidentales. L’écologie n’est alors pas une fin en soi mais avant tout un outil pour dévoiler à l’opinion publique, preuves à l’appui, l’ampleur de la crise écologique présente et à venir. Dans cette perspective, la mort prochaine des océans, la vie grinçante dans les villes modernes ou encore les méfaits liés à la prédominance de l’automobile ne sont pas présentés comme des phénomènes isolés mais comme les symptômes d’une crise globale de la société autrement plus grave que les questions traditionnellement évoquées par les partis politiques254.
220On chercherait donc en vain dans le programme de René Dumont une idéalisation de la nature considérée comme un élément extérieur à l’homme et aucun thème abordé lors de la campagne radiotélévisée n’a trait à sa protection en tant que telle255. La conscience de la dépendance de l’homme à l’égard des écosystèmes ne conduit pas à d’une éthique biocentrique accordant une valeur intrinsèque à chacune des entités naturelles256. La démarche qui anime la campagne ne relève pas non plus d’une approche écocentrique – qui insiste sur l’interdépendance des éléments et leur commune appartenance à un ensemble où les membres n’ont pas de valeur en eux-mêmes – car l’homme en société est au centre des préoccupations des écologistes regroupés autour de René Dumont. La marginalisation de la nature et la relative discrétion de l’écologie scientifique témoignent ainsi de l’objectif essentiel de la campagne, à savoir politiser l’écologie.
221Contrairement aux pouvoirs publics, pour qui l’écologie ne représente au mieux qu’une politique publique parmi d’autres, les acteurs de la campagne de René Dumont affirment la nécessité de promouvoir « un projet global de la société transformée de fond en comble257 ». Le programme présidentiel de René Dumont est donc l’occasion d’opérer un processus de montée en généralité caractéristique du processus de politisation en s’appropriant des concepts qui appartiennent déjà au champ politique.
222À plusieurs reprises, René Dumont souligne que les mesures de réorientations de l’appareil économique et de transformation des modes de vie qu’il préconise ne sont que de grandes orientations qui ont vocation à être mises en œuvre dans le cadre d’une « auto-organisation » et d’une « autogestion » de la société par elle-même258. Sur ce point, René Dumont fait explicitement référence aux idées portées par Charles Piaget, leader des Lip et membre de la CFDT, un temps envisagé comme un candidat potentiel. De ce fait, la candidature de René Dumont fait pencher sa campagne, donc les écologistes, à gauche même si l’invocation de l’autogestion va au-delà du simple marqueur idéologique.
223Envisagée depuis Mai 68 comme un moyen de combattre l’aliénation idéologique et la domination sociale, l’autogestion permet aux écologistes de penser la transformation de la société et des comportements sans proposer des solutions coercitives, notamment sur les questions démographiques. Dans cette perspective, la politisation de l’écologisme fournit des pistes pour sortir la nébuleuse de l’ornière théorique dans laquelle elle risquait de tomber.
224Pour les familiers de la nébuleuse écologiste du début des années 1970, le programme présidentiel de René Dumont ne présente pas d’aspects fondamentalement originaux. Dans ce domaine, cet épisode est davantage l’aboutissement d’une réflexion collective menée depuis plusieurs années qu’une proposition véritablement novatrice sur le plan théorique. En revanche, la volonté de politiser l’écologie en affirmant l’importance d’un projet global et en faisant le lien avec la démarche autogestionnaire constitue bien un coup de force symbolique lourd de sens face auquel l’ensemble des écologistes doivent dès lors se positionner. La montée en généralité induite par cet exercice conduit en effet les écologistes à privilégier une approche anthropocentrique qui marginalise la place de la nature dans leurs propositions au profit d’une plus grande importance accordée aux questions idéologiques. Il reste désormais à évaluer l’impact de cette campagne sur les électeurs et les partis politiques.
Un échec fondateur ?
225Au soir du premier tour, le 5 mai 1974, René Dumont recueille 337190 voix, soit 1,35 % des suffrages exprimés259. Il se place ainsi en sixième position derrière Arlette Laguiller (2,33 % des voix), devançant la plupart des candidatures de témoignage, ce qui peut constituer pour les militants un premier motif de satisfaction. L’objectif de cette campagne n’était cependant pas de réaliser un score élevé. En profitant de la possibilité donnée au candidat écologiste d’être présent dans l’ensemble des médias nationaux, René Dumont entendait « souligner aux Français des menaces qu’on leur dissimule260 ». Dans quelle mesure l’implication des écologistes dans la campagne présidentielle a-t-elle entraîné une plus grande sensibilisation de l’opinion publique et de la classe politique à l’écologie et aux enjeux environnementaux ?
226Dans un sondage commandé par le comité de soutien à René Dumont et réalisé par Publimétrie les 25 et 26 avril (soit une dizaine de jours avant le premier tour) auprès de 1117 personnes, 67 % des personnes interrogées déclarent savoir que René Dumont est candidat et 80 % considèrent s’inquiéter des dégâts « causés par [la] civilisation industrielle261 ». Ces chiffres donnent à penser que la campagne présidentielle a effectivement permis aux écologistes de mieux faire connaître leurs idées. Néanmoins, faute de disposer de l’ensemble du sondage, il est impossible d’en faire une analyse plus précise. En revanche, les lettres adressées au candidat par des militants ou de simples particuliers durant ces quelques semaines (plusieurs centaines en tout) permettent une approche plus qualitative de la manière dont la démarche de René Dumont est perçue dans le pays, au-delà de son score au soir du premier tour262.
227Ces lettres attestent de la diversité des regards portés sur les enjeux environnementaux qui ne coïncident pas nécessairement avec le message délivré par les écologistes. Ainsi, J. Péricart, ingénieur électricien, vice-président d’une société d’entomologie, écrit à René Dumont qu’il partage l’essentiel de ses positions sauf sa méfiance à l’égard des centrales nucléaires, dont il souligne la sûreté263. Ce faisant, il réduit implicitement l’écologie à la seule protection de l’environnement et adopte une optique naturaliste, considérant la nature avant tout comme un objet d’étude. À l’inverse, Jean-Paul Perret estime qu’il « ne s’agit pas, par la nouvelle mode de l’écologie, de “sauver” l’Occident, dont on n’a que faire : il s’agit de préserver ce qui subsiste des cultures qui, jadis, vivaient en harmonie avec la nature264 ». Dans cette perspective, le terme « écologie » est employé dans un sens qui excède de loin la protection de la nature ou l’idée d’une démarche scientifique pour apparaître comme la matrice d’une nouvelle civilisation qui prendrait le contre-pied de la société industrielle.
228Entre ces deux positions extrêmes, la plupart des les lettres saluent l’action de René Dumont mais réduisent son message à la seule lutte contre les nuisances. François Lavaud dénonce ainsi les progrès de la pollution265 tandis que Jacques Chevreux s’insurge de son côté contre les « abus inqualifiables » subis par la vallée de Chamonix où il réside, défigurée au nom du développement touristique266. René Dumont est alors perçu comme l’imprécateur qui dénonce une situation intolérable, le porte-voix de l’ensemble des Français mécontents des modifications récentes de leur cadre de vie mais pas nécessairement comme celui qui apportera des solutions globales aux problèmes soulevés.
229La diversité des représentations exprimées dans ces écrits invite à dépasser le seul constat d’une prise de conscience des Français. Derrière l’usage de termes tels que « nature », « environnement » ou « écologie » peuvent aussi bien s’exprimer un rejet des nuisances industrielles ou l’aspiration à une révolution fondamentale dans les rapports de l’homme à la nature, qui constituerait le ferment d’une transformation essentielle de la société.
230La carte 2 du cahier central figure le score réalisé par René Dumont le 5 mai 1974 à l’échelle des circonscriptions législatives de 1973. Elle permet de rendre compte de variations géographiques notables dans la répartition du vote écologiste. D’une manière générale, le vote en faveur de René Dumont est très modeste. Le meilleur score du candidat écologiste est ainsi réalisé dans la quatrième circonscription de Paris (3,60 %) alors qu’il n’obtient que 0,36 % dans la troisième circonscription de Corse.
231Il n’en demeure pas moins qu’il existe des différences sensibles dans la répartition des votes. René Dumont réalise en règle générale de faibles scores dans les circonscriptions rurales, souvent de moyenne montagne et peu dynamiques sur le plan démographique (0,55 % des voix dans le Cantal et 0,65 % en Corrèze). À l’inverse, certains espaces se distinguent par un vote écologiste plus élevé que la moyenne nationale : c’est le cas de la majeure partie des Alpes – René Dumont rassemble 1,92 % des voix en Haute-Savoie, 1,96 % en Isère – des deux départements alsaciens267 et de l’Ile-de-France où le candidat écologiste réalise ses meilleurs scores268.
232À Paris même, le candidat écologiste obtient ses meilleurs résultats dans les 5e (3,48 %) et 6e arrondissements (3,60 %) qui comptent parmi les plus favorisés et les mieux formés de la capitale. À l’inverse, les 18e, 19e et 20e arrondissements, plus populaires, ne lui ont pas été très favorables269. Ailleurs dans la région, ce sont des communes résidentielles et aisées qui ont été les plus sensibles au message de René Dumont qui recueille par exemple 4 % des voix à Sceaux270. En dépit des professions de foi anticapitalistes et autogestionnaires de René Dumont, le vote écologiste n’apparaît donc pas comme un vote de classe qui attirerait les milieux populaires.
233Néanmoins, les circonscriptions dans lesquelles René Dumont réalise un score supérieur à la moyenne nationale sont trop diverses pour que le vote écologiste puisse être réduit à la seule variable socioéconomique. Le succès relatif des écologistes dans la première couronne parisienne peut être en second lieu relié à l’apparition de nombreux comités de défense dans ces territoires à partir du début des années 1970. Dans un contexte où les départements limitrophes de Paris voient leur population exploser en l’espace d’une décennie, de nombreux conflits d’usage surgissent dont l’enjeu est souvent de déterminer la vocation résidentielle ou industrielle d’un espace donné. Laurent Samuel constate ainsi que René Dumont réalise l’un de ses meilleurs scores nationaux à Chanteloup-les-Vignes où vient d’éclater un grand scandale immobilier. À ces conflits locaux s’ajoute la question du temps de transport entre le domicile et le travail allongé par des déménagements en banlieue parisienne et par les dysfonctionnements des transports en commun. En revanche, dans le reste de la France, le programme nucléaire alors en train de se mettre en place ne suscite pas encore de réactions électorales marquées dans les circonscriptions concernées par un projet d’implantation d’une centrale si ce n’est dans les rares cas où les groupes écologistes commencent à être bien implantés sur le plan local, comme c’est le cas dans le Haut-Rhin.
234Dans un entretien accordé au Monde quelques jours après le premier tour, René Dumont se dit convaincu que son électorat votera en grande majorité pour François Mitterrand271. L’analyse des résultats du premier tour conduit à nuancer cette prédiction tant les ressorts du vote écologiste semblent à l’époque relever de logiques non partisanes. Une telle situation suggère donc un important décalage entre les positions des militants et une assise électorale pour le moins instable.
235La candidature de René Dumont affirme symboliquement l’existence d’un « mouvement écologique français272 » unifié, cohérent et parlant d’une seule voix. Douteuse dès le début de la campagne au vu du faible nombre de personnes réellement impliquées, son hypothétique unité est mise à l’épreuve par la question du positionnement politique à adopter pour le second tour, ce qui constitue une facette du processus de politisation273.
236La situation est d’autant plus délicate que les résultats des deux candidats arrivés en tête, François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing, laissent présager un second tour indécis274. Dans ces conditions, les écologistes, forts des quelque 337000 voix rassemblées par René Dumont, sont un groupe qu’aucun des deux finalistes ne peut se permettre de négliger. Si l’environnement ne devient pas le thème central susceptible de faire basculer l’élection, il n’en demeure pas moins que la candidature de René Dumont attire l’attention du monde politique sur cet enjeu. Néanmoins, au-delà de ce constat général, chacun des deux concurrents encore en lice adopte une stratégie différente.
237Tout au long de la campagne, les écologistes font face à diverses pressions visant à les amener à appeler à voter François Mitterrand dès la veille du premier tour. Plusieurs personnalités de la gauche sollicitent René Dumont dans ce sens275 et des anonymes lui enjoignent de faire de même276.
238Ces diverses démarches constituent une forme de récusation du caractère politique de l’écologie : d’une part en considérant implicitement que René Dumont n’est pas à sa place dans cette élection et qu’il doit se retirer au nom d’intérêts plus importants, d’autre part en cherchant à démontrer que les thèses défendues par les écologistes ne seraient en fait qu’une déclinaison du Programme Commun de Gouvernement ; dans cette perspective, il serait naturel et inévitable que les écologistes se rallient à François Mitterrand pour le second tour. Pour les écologistes, cette situation qui s’apparente à une mise sous tutelle est d’autant plus délicate à gérer que bon nombre d’entre eux se sentent proches de la gauche non-communiste, tout en voulant affirmer la spécificité de leur démarche.
239De fait, René Dumont envisage dans un premier temps d’appeler à voter pour le candidat socialiste au nom de l’ensemble du mouvement277. Le comité de soutien doit alors menacer de le désavouer pour qu’il revienne sur sa décision. Quelques jours plus tard, lorsque Paul Guimard, conseiller personnel de François Mitterrand, propose une rencontre entre ce dernier et René Dumont, Brice Lalonde et Alain Hervé décident de l’accompagner278. Ils ont la surprise d’être accueillis par des journalistes qui ne manquent pas d’immortaliser la chaleureuse poignée de main entre les deux candidats. René Dumont finit par déclarer qu’il votera pour Mitterrand à titre personnel et va jusqu’à participer à deux meetings de soutien au candidat de gauche, respectant la lettre de la décision de son comité de soutien à défaut de son esprit.
240Il n’est guère surprenant que René Dumont, vieil homme de gauche, ancien membre de SFIO et du PSU, se prononce en faveur du candidat du programme commun. Il est plus intéressant de souligner que ces hésitations concernent d’autres acteurs essentiels du mouvement écologiste. Ainsi, à la demande de Claude Perdriel, Alain Hervé accepte de consacrer le numéro de mai 1974 du Sauvage à la présentation à part égale des idées de Mitterrand et de René Dumont sur la protection de la nature et de l’environnement279. L’éditorial du rédacteur en chef du journal atteste d’une réelle hésitation quant à la conduite à tenir à l’égard du candidat de la gauche280. Alain Hervé salue ainsi la candidature de René Dumont comme l’aboutissement de plusieurs années de luttes et de réflexions mais reconnaît que l’opportunité de cette démarche peut faire débat au moment où les forces de gauche présentent un candidat commun. Pesant le pour et le contre, il en arrive à regretter que les écologistes n’aient pas trouvé parmi les candidats classiques de porte-parole qui les satisfasse et en conclut que « François Mitterrand et René Dumont doivent trouver ensemble la formule qui permette de conjuguer socialisme et écologie ». Cette déclaration irénique, cohérente avec les appels répétés du Sauvage en faveur d’un socialisme écologique, constitue semble-t-il une tendance forte parmi les militants.
241Cette recherche de convergences entre l’écologisme et le socialisme est néanmoins bridée par les réticences du PS à se saisir de ces enjeux, ce qui s’explique à la fois par un relatif désintérêt du candidat socialiste à l’égard des questions environnementales et par les contraintes inhérentes au Programme Commun.
242Approché par François Mitterrand en 1973, Philippe Saint-Marc se souvient d’un individu d’une grande chaleur humaine, personnellement très sensible au contact direct avec la nature, mais peu attentif à la dimension politique des enjeux environnementaux281. Mitterrand aime en effet se dépeindre comme un naturaliste amateur, évoque volontiers sa Charente natale et se pose en défenseur du monde rural282. L’éloge de la nature chez Mitterrand contraste pourtant avec la rareté des références à l’environnement ou l’écologie dans ses discours officiels qui sont bien davantage marqués par l’apologie pour la modernité technique et la ville moderne.
243Ces dispositions personnelles s’ajoutent à des désaccords politiques fondamentaux pour expliquer le positionnement peu conciliant de François Mitterrand à l’égard des écologistes. Dans ses déclarations au Sauvage, le candidat du Parti socialiste refuse ainsi de se prononcer en faveur d’une diminution de la croissance – comme le souhaite le Club de Rome – considérant que cela reviendrait à pénaliser les plus défavorisés, dont le niveau de vie doit au contraire augmenter283. Il confesse en outre que sa conception de la défense de la nature est différente de certains des protecteurs de la nature les plus ardents qui, selon lui, sont les combattants d’une seule cause, ignorant les injustices criantes du système socioéconomique en place. Il estime enfin que l’Europe doit tendre vers l’indépendance énergétique, ce qui implique le recours, pour une période limitée, à l’énergie nucléaire dont le programme de développement doit être démocratiquement contrôlé. Dans le domaine de la protection de la nature, il se borne à souligner l’importance de la planification industrielle propice à l’essor des mesures anti-pollutions et permettant d’assurer une meilleure coexistence des activités économiques et de loisir. De fait, Mitterrand ne dispose pas d’un réel programme sur les questions environnementales et doit donc, dans l’entre-deux-tours, rassembler des déclarations éparses en s’efforçant de leur donner une cohérence.
244En définitive, la tentative de rapprochement avec les écologistes esquissée par François Mitterrand paraît maladroite car le candidat de la gauche affirme la supériorité idéologique du socialisme à l’égard de l’écologisme qui n’en serait qu’une déclinaison mineure, voire une impasse qui méconnaîtrait les véritables enjeux du changement social. Le candidat socialiste donne ainsi l’impression de n’évoquer les enjeux environnementaux que sous la contrainte des événements, ce qui décrédibilise ses propositions. Cette attitude pourrait lui être d’autant plus préjudiciable que son concurrent direct opte pour une stratégie beaucoup plus conséquente.
245Quelques jours après le premier tour de l’élection présidentielle, Philippe Saint-Marc est sollicité par l’une de ses connaissances, Jean Sérisé, pour rencontrer Valéry Giscard d’Estaing dont il est l’un des proches conseillers284. Le candidat de la droite lui demande d’élaborer un programme de défense de l’environnement crédible et cohérent. Philippe Saint-Marc, déjà bien introduit dans les milieux réformateurs, accepte d’autant plus volontiers qu’il est très critique à l’égard de la manière dont René Dumont associe l’écologie et la politique, considérant que ses coups d’éclat médiatiques décrédibilisent la cause plus qu’ils ne la popularisent. Par ailleurs, sur le plan politique, Philippe Saint-Marc est un opposant convaincu à la participation du PCF au pouvoir, ce qui l’amène à s’éloigner du PS.
246Il élabore donc une série de propositions directement inspirées de la Charte de la Nature et rendues publiques par l’équipe de Valéry Giscard d’Estaing le 10 mai 1974285. Ce document commence par énoncer certains principes qui guideraient candidat. Rappelant qu’il s’était prononcé dès 1972 pour une « humanisation de la croissance286 », il avance l’idée que la surpopulation est incompatible avec la sauvegarde du milieu naturel et promet une transformation de la politique d’urbanisation pour mettre fin à l’extension des grandes agglomérations. À bien des égards, la présentation du programme de Valéry Giscard d’Estaing est plus habile que celle de son concurrent car plutôt que d’affirmer le caractère idéologiquement dominé de l’écologisme, le candidat de la droite insiste sur ses points de convergence. Certes, « l’humanisation de la croissance » est une formule floue qui n’implique en rien la mise en œuvre d’une politique analogue à ce que préconise le Club de Rome et le candidat ne dit rien des mesures concrètes qu’il entend adopter pour lutter contre la surpopulation mais il n’en demeure pas moins que ses déclarations sont proches des préoccupations exprimées par les écologistes durant leur campagne.
247Ce document se poursuit par une série de dix-sept engagements précis qui visent au renforcement de l’action des pouvoirs publics dans le domaine de la défense de l’environnement (grâce à un ministère de plein exercice et par la création d’un comité national écologique), à l’amélioration de la qualité de vie dans les villes, et notamment à Paris où il annonce sa volonté de réexaminer l’opportunité des grands projets d’urbanisme qui ont suscité de nombreuses oppositions. Il souligne aussi la nécessité d’assurer la participation démocratique des grandes associations de défense à la gestion de l’environnement par la réforme de la procédure d’enquête publique comme celle de la délivrance des permis de construire.
248L’ensemble de ces propositions paraissent indéniablement plus ambitieuses et plus cohérentes que celles évoquées par François Mitterrand. Ce faisant, Valéry Giscard d’Estaing entend tirer parti de l’arrivée des écologistes sur la scène électorale mais sans que l’on puisse réduire cette démarche à la seule expression de l’opportunisme politique. Le candidat de la droite est en effet convaincu de la nécessité de décrisper la vie politique française pour assurer une meilleure cohésion sociale287. La prise en compte des aspirations des Français à une meilleure qualité de vie s’intégrerait à ce projet pour conduire à l’éclosion d’une société plus moderne, c’est-à-dire, aux yeux de Valéry Giscard d’Estaing, plus proche des pratiques anglo-saxonnes. Ainsi, pour le futur président, la défense de l’environnement – qu’il rebaptise qualité de la vie – ne se réduit pas à la protection de la nature mais apparaît bien davantage comme un enjeu démocratique.
249Grâce à la candidature de René Dumont, les écologistes espéraient placer l’écologie et la défense de l’environnement au centre des débats politiques. Ils n’avaient peut-être pas prévu que ces enjeux amèneraient une redéfinition des clivages au sein même de la nébuleuse écologiste, confrontée à l’appropriation concurrente des enjeux environnementaux par les candidats de gauche comme de droite.
250Ces propositions pour la défense de l’environnement ne doivent donc pas seulement être regardées comme l’expression de l’opportunisme électoraliste courant dans l’entre-deux-tours d’élections incertaines. Elles attestent surtout de la pluralité des définitions possibles de la dimension politique de la défense de l’environnement. Dans ces conditions, les écologistes vont être amenés à partir de 1974 à préciser les contours de l’écologie politique de manière à ne pas laisser cet objet leur échapper.
251Dans le début des années 1970, au gré des débats et des conflits environnementaux, les animateurs des mouvements écologistes en sont venus à définir leur démarche comme politique, donc à requalifier les objectifs et les finalités de leur action pour se situer délibérément dans un univers politique conflictuel288. Ce processus de politisation s’explique par la nécessité de se positionner face aux autres forces politiques mais aussi, et peut-être surtout, par la volonté de certains animateurs de la nébuleuse de remédier à son insoutenable légèreté en en précisant les contours.
252La politisation de l’écologie commence donc bien avant la campagne présidentielle de René Dumont. Pour autant, les militants ne s’accordent pas sur la signification à accorder à cette action : les uns y voient une occasion de témoigner d’un refus de la société industrielle, les autres une forme de propagande en direction du grand public tandis que certains entendent ainsi faire pression sur les partis politiques voire les concurrencer. Ces diverses motivations se mêlent et s’agglomèrent sans qu’un consensus ne s’établisse véritablement.
253Il n’en demeure pas moins que 1,32 % des électeurs permettent à la nébuleuse des mouvements écologistes d’entrer sur scène. Dès lors, toute la difficulté va consister à y rester et à définir le rôle à y jouer.
Notes de bas de page
1 Vadrot C.-M., « Histoire d’une campagne », in [Collectif], L’écologie ou la mort, Paris, Pauvert, 1974, p. 13.
2 Kundera M., L’insoutenable légèreté de l’être, Paris, Gallimard, 1990.
3 Topalov C. (dir.), Laboratoire du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Éditions de l’EHESS, 1999.
4 Bernhardt C., Massard-Guilbaud G. (dir.), Le démon moderne, op. cit., p. 10 sq.
5 Zancarini-Fournel M., « Aléria (1975) et Montredon (1976) : deux manifestations régionalistes », in Artières P. et al. (dir.), 68, op. cit., p. 720.
6 Waldvogel C., Imposer l’« environnement », op. cit., p. 191.
7 Ehni R., « Marckolsheim, Marckolsheim, morne plaine », GO, n° 26, 6 novembre 1974, p. 7.
8 Hecht G., Le rayonnement de la France, Paris, La Découverte, 2004.
9 « Qu’est-ce que le CSFR ? », Ionix, octobre 1971, p. 1.
10 [Collectif], Fessenheim. Vie ou mort de l’Alsace, Mulhouse, Schmitt-Lucos, 1970.
11 « La fin du Rhin », CB, n° 1, juillet 1971, p. 7.
12 Fournier P., « Premier et dernier éditorial », GO, n° 1, novembre 1972, p. 4.
13 « Terres libérées, où ça ? », GO, n° 2, décembre 1972, p. 10.
14 [Anonyme], « Le saviez-vous ? », Ionix, octobre 1971, p. 6.
15 Ibidem.
16 « Qu’est-ce que le CSFR ? », Ionix, octobre 1971, p. 1.
17 Jaubert A. et al., Guide de la France des luttes, Paris Stock, 1974, p. 172.
18 Entretien avec Alain Hervé. 12/04/10.
19 Lalonde B., Sur la vague verte, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 141.
20 Il devient rapidement l’un des principaux animateurs des Amis de la Terre sur le plan national comme à Paris, candidat des écologistes aux élections présidentielles de 1981, secrétaire d’État puis ministre de l’Environnement de 1988 à 1992. En 2013, il devient sous-secrétaire général de l’ONU, coordinateur exécutif de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (Rio + 20).
21 Albouy M., Le Sauvage (1973-1980). Un mensuel pionnier de la culture écologiste, mémoire de master d’histoire sous la direction de Jean-François Sirinelli, IEP de Paris, 2013, p. 208.
22 Le Goff J.-P., Mai 68, op. cit., p. 143 sq.
23 CARAN. Fonds Présidence Valéry Giscard d’Estaing. 5 AG 3. 2395. Note sur les Amis de la Terre. Décembre 1976.
24 Lalonde B., Sur la vague verte, op. cit., p. 132.
25 La première dénonce le capitalisme comme une source de misère et d’inégalités sociales ; la seconde y voit la cause d’une forme de désenchantement du monde et d’oppression de l’individu. Boltanski L., Chiapello E., Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
26 Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre article, « Quelques réflexions sur l’évolution récente de l’écologie politique au travers des autobiographies de leurs leaders », in Jalabert L., Cahiers d’histoire immédiate, « Comprendre le xxie siècle : le monde depuis 1991 », 2013/1, n° 43, p. 79.
27 Lalonde B., Sur la vague verte, op. cit., p. 41.
28 Lalonde B., L’écologie en bleu, Paris, L’Archipel, 2001, p. 29.
29 Agrikoliansky E., « Carrières militantes et vocation à la morale : les militants de la Ligue des droits de l’homme dans les années 1980 », Revue française de science politique, n° 1-2, 2001, p. 27.
30 Lalonde B., Sur la vague verte, op. cit., p. 141.
31 Juhem P., « Entreprendre en politique. De l’extrême gauche au PS : la professionnalisation politique des fondateurs de SOS-Racisme », Revue française de science politique, 2001/1, n° 51, p. 153.
32 Lalonde B., Sur la vague verte, op. cit., p. 143.
33 Buton P., « L’impensé écologiste de l’extrême gauche française avant 1968 », Écologie et Politique, n° 44, 2012, p. 102.
34 Ollitrault S., Militer pour la planète, op. cit., p. 31.
35 Lalonde B., Sur la vague verte, op. cit., p. 129.
36 Les Amis de la Terre, « Nous sommes tous des pollués », CB, n° 3, septembre 1972, p. 3.
37 De Caunes L., Les jours d’après, op. cit., p. 80 et 85. « On se retrouvait à cinq pour le dîner en tête à tête amoureusement préparé, on était sortis du bain ou du lit, qu’il soit huit heures ou minuit pour recevoir un militant paumé qui cherchait un renseignement sur le mouvement antinucléaire au Japon ou plus simplement un lit. »
38 « Il aime être le chef et commander », De Caunes L., Les jours d’après, op. cit., p. 64. Le témoignage de Jean-Paul Ribes conforte cette impression : « Les temps ont changé mais l’habitude demeure : on envisage mal de faire quelque chose sans en parler à Brice […]. “Que chacun soit chef”, proclame-t-il. Il ajoute, mezzo voce : “Et je commence par moi-même”. » Cf. Ribes J.-P., Pourquoi les écologistes font-ils de la politique ?, Paris, Seuil, 1978, p. 19.
39 Picon-Lefebvre V., « L’aménagement des lieux d’habitat », in Flonneau M., et al. (dir.), Le grand dessein parisien de Georges Pompidou, op. cit., p. 58 sq.
40 Lalonde B., Sur la vague verte, op. cit., p. 142.
41 Salles J.-P., La Ligue Communiste Révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand soir ou lieu d’apprentissage ?, Rennes, PUR, 2005, p. 64.
42 « Les bicyclettes blanches d’Amsterdam », Anarchisme et non-violence, n° 11-12, janvier-février 1978, p. 13.
43 Lalonde B., Sur la vague verte, op. cit., p. 145.
44 Lalonde B., « J’étais aux mains des pirates », LS, n° 6, septembre-octobre 1973, p. 47.
45 Touraine A., La prophétie anti-nucléaire, Paris, Seuil, 1980, p. 11 sq.
46 Andrieu C., Pour l’amour de la République, op. cit., p. 27.
47 Agostini F. et al., La dynamique du mouvement associatif, op. cit., p. 24.
48 [Anonyme], « Où militer ? », LS, n° 1, avril-mai 1973, p. 55.
49 CARAN. 5 AG 3. 2396. Contestation écologique. Associations écologiques : un panorama, décembre 1976, p. 5.
50 [Anonyme], « Qu’est-ce que le CSFR ? », Ionix, octobre 1971, p. 1.
51 Anger D., Chronique d’une lutte. Le combat anti-nucléaire à Flamanville et dans La Hague, s. l., Jean Claude Simoën, 1978, p. 45.
52 Jaubert A. et al., Guide de la France des luttes, op. cit., p. 154.
53 CARAN. Fonds VGE. 5 AG 3. 2396. Contestation écologique. Associations écologiques : un panorama. Décembre 1976, p. 112.
54 Vivier E., « Ensemble pour la Nature. Naissance et développement de Nord Nature » [http://www.nord-nature.org/la_federation/30ah/histoire_naissance.htm], consulté le 19/09/2011.
55 Mathieu L., « Rapport au politique, dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans l’analyse des mouvements sociaux », Revue française de science politique, 2002/1, n° 52, p. 95.
56 Bernard W., in « Courrier », CB, n° 5, novembre 1973, p. 14.
57 Entretien avec Guy Bennaroche. 25/04/13.
58 Samuel L., Fournier D., « Pour que biologique ne soit pas un luxe », GO, n° 14, décembre 1973, p. 18.
59 Hélène Duriez a souligné l’intérêt des études des scènes militantes locales pour rendre compte des logiques de la contestation. Cf. Duriez H., « Modèles d’engagement et logiques de structuration des réseaux locaux de la gauche mouvementiste à Lille », Politix, n° 68, 2004/4, p. 166.
60 Martin L., « La “nouvelle presse” en France dans les années 1970 ou la réussite par l’échec », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2008/2, n° 98, p. 58.
61 Fournier P., Charlie Hebdo, n° 86, 10 juillet 1972, p. 10.
62 Grothendieck A., Récoltes et semailles [http://www.math.jussieu.fr/∼leila/grothendieckcircle/RetS.pdf], p. 621.
63 Fournier P., Charlie Hebdo, n° 86, 10 juillet 1972, p. 10, cité par Pessis C., Les années 68 et la science. Survivre… et Vivre, master 2 sous la direction de C. Bonneuil, Centre A. Koyré, 2008-2009, p. 30.
64 Pessis C., Survivre… et Vivre, op. cit., p. 30. p. 4-6.
65 Grothendieck A., « Des adhérents se présentent », Survivre, n° 2-3, septembre-octobre 1970, p. 37.
66 Ces travaux lui valent de recevoir la médaille Fields – considéré comme l’équivalent du prix Nobel de mathématique – en 1966.
67 Grothendieck A., « Comment je suis devenu militant », Survivre, n° 6, janvier 1971, p. 9.
68 Samuel P., « Grothendieck’s Environmental Inspiration », Notices of the American Mathematical Society, vol. 52, n° 3, p. 322.
69 Ibidem.
70 Grothendieck A., Récoltes et semailles, op. cit., p. 143.
71 Survivre, n° 7, février-mai 1971.
72 Samuel P., « Vie, survie, population », Survivre, n° 8, juin-juillet 1971, p. 15.
73 Le comité de rédaction de Survivre, « Vers un mouvement », Survivre… et Vivre, n° 12, juin 1972, p. 2 sq.
74 Diogène, « Écologie et révolution. L’écologie, une « invention des capitalistes » ? », Survivre, n° 7, février-mai 1971, p. 3.
75 Le Goff J.-P., Mai 68, op. cit., p. 55.
76 Diogène, « Écologie et révolution. L’écologie, une « invention des capitalistes » ? », Survivre, n° 7, février-mai 1971, p. 3.
77 Consultable à cette adresse [http://science-societe.fr/survivre/].
78 « Contacts et rencontres », Survivre… et vivre, n° 9, août-septembre 1971, p. 34.
79 Pessis C., Survivre… et Vivre, op. cit., p. 161-162.
80 Orial E., « Atomes crochus », Survivre… et Vivre, n° 14, octobre-novembre 1972, p. 3.
81 Grothendieck A., Bulletin de liaison – Survivre et Vivre, n° 1, 6 février 1972, p. 3.
82 « Subversion culturelle », Bulletin de liaison – Survivre et Vivre, n° 3, 10 mars 1972, p. 4.
83 Le Goff J.-P., Mai 68, op. cit., p. 67.
84 Buton P., « L’impensé écologiste de l’extrême gauche française avant 1968 », art. cit., p. 102.
85 « Réunion des affaires courantes du vendredi 8 février », Bulletin de liaison – Survivre… et Vivre, n° 2, 21 février 1972, p. 1.
86 Grothendieck A., Récoltes et semailles, op. cit., p. 622.
87 Samuel P., « Mais concrètement, qu’est-ce que proposent Guedj, Meuret et Savard ? », Bulletin de liaison – Survivre… et Vivre, n° 14, s. d., non paginé.
88 « Histoire », Survivre… et Vivre, n° 19, s. d., p. 2.
89 Il est souvent délicat de déterminer le tirage réel d’un périodique. Roger Cans estime celui-ci à 100000 exemplaires à sa création avant de se stabiliser à 25000 (Cans R., Petite histoire du mouvement écolo, op. cit., p. 176). Néanmoins, une confidence d’Isabelle Cabut conduit à relativiser ce chiffre : elle précise en 1976 que le journal est contraint de tirer à 25000 exemplaires pour pouvoir être distribué dans toute la France alors que seule la moitié des exemplaires trouvent preneurs (Cabut I., « Éditorial », La Gueule Ouverte [désormais GO], n° 112, 30 juin 1976, p. 1).
90 Colombat C., La Gueule Ouverte (1972-1980), mémoire de maîtrise sous la direction de M. Bernard, université de Clermont-Ferrand 2, 1998, p. 10-12.
91 De Miller R., « Comment j’ai compris Fournier », in Pierre Fournier, Y’en a plus pour longtemps, op. cit., p. 13.
92 Bernier G., Vous me croirez si vous voulez, cité par Stéphane Mazurier, Bête, méchant et hebdomadaire. Une histoire de Charlie Hebdo, Paris, Buchet Chastel, 2009, p. 385.
93 Cavanna F., Bête et méchant, cité in ibid., p. 46.
94 Bernier G., Vous me croirez, cité in ibid., p. 401.
95 « Isabelle Monin-Soulié, le roman d’une vie », Ricochets, n° 49, avril-mai 2013, p. 4.
96 Samuel L., « Un salut tardif à Arthur », Le Sauvage.org [http://www.lesauvage.org/2011/05/un-salut-tardif-aarthur/], 23 mai 2011.
97 Mazurier S., Bête, méchant, op. cit., p. 125 sq.
98 Monin Soulié I., « Arthur… la vie perd un de ses amoureux », Bakchich.info, 24/07/2010 [http://www.bakchich.info/france/2010/07/24/arthur-la-vie-perd-un-de-ses-amoureux-58272], consulté le 02/09/2013.
99 Martin L., « La « nouvelle presse » en France », art. cit., p. 59.
100 Isabelle, « Qu’est-ce qu’un journal écologique, à quoi ça sert ? », GO, n° 5, mars 1973, p. 4 sq. Une cinquantaine de personnes se trouvent alors réunies.
101 Ibid., p. 6.
102 Gougaud H., « Ceux qui vont à La Gueule Ouverte comme au ciné sont des cons », GO, n° 8, juin 1973, p. 4.
103 Dans son mémoire de maîtrise consacré à La Gueule Ouverte, Claire Colombat a élaboré un tableau où les articles sont classés en six grandes catégories. Cf. Colombat C., La Gueule Ouverte, op. cit., p. 43 sq.
104 Fournier P., « La révolution écologique » in Pierre Fournier, Y’en a plus pour longtemps, Paris, Éditions du Square, 1975, p. 135.
105 Gobille B., Mai 68, Paris, La découverte, 2008, p. 6.
106 Prémillieu E., « Chronique de la mort radieuse. Quand les biologistes décident de l’ouvrir toute grande », GO, n° 11, septembre 1973, p. 18 sq.
107 Isabelle, « La Gueule Ouverte », GO, n° 17, mars 1974, p. 3.
108 De Ton D., in Charlie Hebdo, 24 juin 1974, cité par Stéphane Mazurier, Bête et méchant, op. cit., p. 128.
109 Les liens ne sont pas complètement rompus entre les journalistes de La Gueule Ouverte et Charlie Hebdo, où Arthur rédige par exemple des articles jusqu’en janvier 1977. De même, ce sont les éditions du Square, propriété de Georges Bernier, qui éditent les deux recueils d’articles de Pierre Fournier qui paraissent en 1973 puis en 1975.
110 Entretien avec Alain Hervé, 05/04/10.
111 Dubos R., « Les limites de l’adaptabilité », La Courrier de la Baleine [désormais CB], n° 1, juillet 1971, p. 3.
112 « La bombe Paul R. Ehrlich », CB, n° 2, janvier 1972, p. 6 sq.
113 « Ne gémissez pas, agissez », CB, n° 1, juillet 1971, p. 11.
114 Le premier numéro paraît en juillet 1971, le deuxième en janvier suivant et le numéro 3 en septembre 1972.
115 « Éditorial », CB, n° 3, septembre 1972, p. 2.
116 Albouy M., Le Sauvage, op. cit., p. 25.
117 Entretien avec Alain Hervé. 05/04/10.
118 Pour une synthèse des positions d’Edward Goldsmith à cette époque, cf. « Terminus, Mesdames et Messieurs, tout le monde descend », GO, n° 1, novembre 1972, p. 16 sq.
119 Entretien avec Alain Hervé. 05/04/10.
120 Albouy M., Le Sauvage, op. cit., p. 44.
121 Entretien avec Alain Hervé. 05/04/10.
122 Rieffel R., La tribu des clercs. Les intellectuels sous la Ve République (1958-1990), Paris, Calmann-Lévy, 1994, p. 145.
123 Entretien avec Alain Hervé. 05/04/10.
124 Illich I., « Les berceuses de l’écologie », Le Sauvage [désormais LS], n° 6, septembre-octobre 1973, p. 32.
125 LS, n° 6, septembre-octobre 1973.
126 Sergent J.-P., « Qui saborde les transports en commun ? », LS, n° 6, septembre-octobre 1973, p. 24.
127 Le Sauvage [Alain Hervé en est en fait l’auteur], « Les trente dernières années de la terre », LS, n° 1, avril-mai 1973, p. 6.
128 Masson G., « Non à la pub », LS, n° 2, mai-juin 1973, p. 6.
129 Paul M., « Vous faites “bourgeois” », LS, n° 2, mai-juin 1973, p. 6.
130 Alain D., « Le socialisme en question », LS, n° 7, novembre 1973, p. 7.
131 Ollitrault S., « L’invention de l’écologie politique : la candidature de René Dumont », in Richard G., Sainclivier J. (dir.), Les partis à l’épreuve de 68, Rennes, PUR, 2012, p. 251.
132 « La politique, v’la l’ennemi », GO, n° 8, juin 1973, p. 44.
133 Lalonde B., Sur la vague verte, op. cit. p. 160.
134 Isabelle, « La Gueule Ouverte », GO, n° 17, mars 1974, p. 3.
135 Musset A., Le syndrome de Babylone, Paris, Armand Colin, 2012, p. 21.
136 Fournier P., Y’en a plus pour longtemps, op. cit., p. 20.
137 « Lettre ouverte aux habitants d’une planète mourante », CB, n° 1, juillet 1971, p. 8-9.
138 Pompidou G., « Discours du 28 février 1970 à Chicago » [http://www.georges-pompidou.org/Documentation/Discours/1970_02_Chicago.html], consulté le 18/09/2013.
139 Mathieu L., Les années 70, un âge d’or des luttes, Paris, Textuel, 2010, p. 108.
140 Topçu S, « Nucléaire : de l’engagement des « savants » aux contre-expertises associatives », Natures Sciences Sociétés, n° 14, 2006, p. 250.
141 Planchais J., « Les réactions de l’opinion à travers la presse et les sondages », in [Fondation Charles de Gaulle], L’aventure de la bombe, Paris, Plon, 1984, p. 248.
142 Isabelle, « Les gens sont cons », GO, n° 47, 2 avril 1975, p. 2.
143 Pignero J., « L’association pour la protection contre les rayonnements ionisants », Survivre, n° 5, décembre 1970, p. 2.
144 Isabelle, « Le dernier quart d’heure », GO, n° 48, 9 avril 1975, p. 3.
145 Topçu S., L’agir contestataire, op. cit., p. 157.
146 Rey-Debove J., Rey Alain (dir.), Le Petit Robert de la langue française, op. cit., p. 2001.
147 Entretien avec Alain Hervé. 05/04/10.
148 « La bombe P. Ehrlich », CB, n° 2, janvier 1972, p. 6.
149 Albouy M., Le Sauvage, op. cit., p. 31.
150 Samuel P., « Lettre au Mouvement Écologique Unifié », Bulletin de liaison – Survivr [novembre 1972], p. 13-14.
151 Samuel P., « La Saine Expo », Survivre, n° 8, juin-juillet 1971, p. 13 sq.
152 « Éco-fascisme ou de quelques réactions à la conférence de Goldsmith », GO, n° 4, février 1973, p. 45.
153 Samuel L., « On étouffe au ministère de l’environnement. Bref malaise de M. Messmer », Survivre… et Vivre, n° 16, s. d., p. 26.
154 Savard D., « Quand l’écologie rencontre-t-elle la liberté ? », Survivre… et Vivre, n° 14, octobre-novembre 1972, p. 33.
155 Beck U., La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Aubier, 2001.
156 Guenard F., Simay P., « Du risque à la catastrophe. À propos d’un nouveau paradigme », La vie des idées.fr [www.laviedesidées.fr], 23 mai 2011, p. 2.
157 Hervieu-Leger D., Hervieu B., Le retour à la nature, « au fond de la forêt… l’État », La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2005.
158 Fournier P., Y’en a plus pour longtemps, op. cit., p. 89.
159 Fournier P., « Terres libérées, où ça ? », GO, n° 2, décembre 1972, p. 9.
160 Carité J.-M., « Il était une fois l’écologie… (tribune libre) », GO, n° 10, août 1973, p. 13.
161 Hervieu-Leger D., Hervieu B., Le retour à la nature, op. cit., p. 56.
162 « La belle vie », CB, n° 2, janvier 1972, p. 3.
163 Hamidi C., « Franchir les frontières du politique. Engagement associatif et socialisation politique : vers une théorie des effets limités et cumulatifs », Le Gall L. et al., (dir.), La politique sans en avoir l’air, Rennes, PUR, 2012, p. 324.
164 « Ne gémissez pas, agissez », CB, n° 1, juillet 1971, p. 11.
165 Mabille, « Évian : le gazoduc dans le lac ? », GO, n° 8, juin 73, p. 5 sq.
166 Arthur, « Attention, dernière station “Total” avant l’autoroute. Les divagations d’une centrale baladeuse », GO, n° 1, novembre 1972, p. 9.
167 Delorme J., « Le contre salon de l’environnement », Bulletin de liaison de Survivre et Vivre, n° 9, s. d., p. 3.
168 Acronyme de « Not In My Backyard » (Pas dans mon jardin). Cf. Trom D., « De la réfutation de l’effet NIMBY considéré comme une pratique militante. Notes pour une approche pragmatique de l’activité revendicative », Revue française de science politique, 1999/1, vol. 49, p. 31 sq.
169 Pons D., « A quelle porte frapper », LS, n° 8, décembre 1973, p. 52.
170 Lourbet F., « Aux armes citoyens », LS, n° 7, novembre 1973, p. 31.
171 Entretien avec Philippe Saint-Marc. 01/04/10.
172 MV. Fonds Philippe Saint-Marc [FSM]. FSM 16. Version finale de la Charte de la Nature. S. d. [début novembre 1972].
173 « Où militer ? », LS, n° 1, avril-juin 1973, p. 55.
174 MV. Fonds PSM. FSM 16. Lettre de René Richard à Philippe Saint-Marc. 23 novembre 1972.
175 CAC. Fonds AT. 20050521/15. Lettre de René Tomasini à Brice Lalonde. 21 janvier 1973.
176 Ibid. Lettre de Michel Alloncle à Brice Lalonde. 22 janvier 1973.
177 Ibid. Réponse d’Hélène Constans, Marcel Rigout et Daniel Bonnet, candidats communistes dans la Haute-Vienne, au questionnaire des Amis de la Terre. S. d. [février 1973].
178 Ibid. Lettre d’Émile Jourdan à Brice Lalonde. 20 février 1973.
179 « L’initiative politique », LS, n° 1, avril-mai 1973, p. 56.
180 CAC. Fonds AT. 20050521/15. Lettre de Brice Lalonde à Raoul Bayou. 19 décembre 1972.
181 « Portrait d’une révolution imminente par 1000 Sauvages », LS, n° 3, juin-juillet 1973, p. 32. Il était possible de donner plusieurs réponses à une même question.
182 Busquet G., Idéologie urbaine et pensée politique, op. cit., p. 412.
183 En 1973, cette association fondée par Robert Buron est dominée par le PSU. CAC. Fonds Amis de la Terre. 20050521/4. Agenda des Amis de la Terre de Paris. Compte rendu de la réunion du 15 novembre 1973.
184 CAC. Fonds AT. 20050521/4. Agenda des Amis de la Terre de Paris. Compte rendu de la réunion du 7 mars 1974.
185 Lettre de Michel Rocard aux Amis de la Terre. 6 février 1974. Citée sur Alain-Claude Galtié, « Naufrage planétaire ou restauration ? » [http://naufrageplanetaire.blogspot.fr/], consulté le 18/10/2011.
186 Kraus F., Les Assises du socialisme, Notes de la Fondation Jean Jaurès. Histoire et Mémoire, n° 31, juillet 2002, p. 26.
187 Centre des Archives Socialistes. Fonds Robert Pontillon. 8 FP 3/123. Lettre d’Édith Cresson aux fédérations du Parti Socialiste. S. d. [1973].
188 Entretien avec Philippe Saint-Marc. 01/04/10.
189 Centre des Archives Socialistes. Fonds PS. Série secrétariat national aux études. 3 SN 6. Texte préparatoire pour une brochure du PS : environnement, écologie, pollution, nuisances, radioactivité. S. d. [début de l’année 1973].
190 Jalabert L., Le 10 mai 1981 : Mitterrand président. Racines et sens d’une victoire, Paris, L’Encyclopédie du Socialisme, 2010, p. 57.
191 Entretien avec Philippe Saint-Marc. 01/04/10.
192 Groslier B., « La gauche, hélas », LS, n° 12, avril 1974, p. 13.
193 À titre d’exemple, voir Barroche J., « La subsidiarité chez Jacques Delors. Du socialisme chrétien au fédéralisme européen », Politique européenne, 2007/3, n° 23, p. 153 sq.
194 Fournier P., « L’heure est grave », Charlie-Hebdo, n° 100, 16 octobre 1972.
195 Schulthess E., Solange Fernex, l’insoumise. Écologie, féminisme, non-violence, Barret-sur-Méouge, Éditions Yves Michel, 2004, p. 91.
196 MV. Fonds Les Verts. Carton « Courrier 1974. 20 ». Tract électoral « Élection législative des 4 et 11 mars 1973. Alfred Goron, candidat de la paix, du bio-humanisme. 4e circonscription des Alpes-Maritimes ». S. d. [mars 1973].
197 Entretien avec Jean-Claude Delarue. 22/09/11. Jean-Claude Delarue ne pouvait se présenter lui-même car il n’habitait pas les Hauts-de-Seine.
198 Militante infatigable engagée en faveur du tiers-monde comme de la cause des femmes, membre éminente de l’AFRPN, Solange Fernex joue par la suite un rôle décisif dans l’émergence de l’écologisme en France en tant que membre du Mouvement Écologique (devenu ensuite le Mouvement d’Écologie Politique), tête de liste des écologistes aux élections européennes de 1979 puis membre des Verts. Schulthess E., Solange Fernex, op. cit., p. 92.
199 Pronier R., Jacques Le Seigneur V., Génération Verte, op. cit., p. 104.
200 Schulthess E., Solange Fernex, op. cit., p. 93.
201 Ibidem.
202 CAC. Fonds AT. 20050521/4. Agenda des Amis de la Terre de Paris. Compte rendu de la réunion du 4 avril 1974.
203 Vadrot C.-M., « Histoire de la campagne », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 13.
204 L’Association des Journalistes-Écrivains pour la Protection de la Nature.
205 Entretien avec Jean Carlier. 08/03/10. Vrignon A., « Jean Carlier », Dictionnaire en ligne des acteurs de la protection de la nature et de l’environnement [http://www.ahpne.fr/spip.php?article125], publié le 21 avril 2011.
206 Entretien avec Philippe Saint-Marc. 01/04/10.
207 Vrignon A., « Philippe Saint-Marc », art. cit.
208 Entretien avec Philippe Saint-Marc. 01/04/10.
209 En décembre 1973, Théodore Monod et l’avocat Christian Huglo, également sollicités, refusent cette proposition.
François de Closets, auteur du Bonheur en plus, succès de librairie traitant notamment de la crise énergétique, fournit une réponse similaire à Alain-Claude Galtié des Amis de la Terre (Entretien avec Alain-Claude Galtié. 20/10/11).
210 Delporte C., « René Dumont et la télévision », Le Temps des médias, n° 25, automne 2015, p. 148.
211 Dumont R., Agronome de la faim, op. cit., p. 334.
212 Entretien avec Alain-Claude Galtié. 20/10/11.
213 Cans R., Petite histoire du mouvement écolo, op. cit., p. 152.
214 [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 12.
215 Dumont R., Agronome de la faim, op. cit., p. 334.
216 [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 12-13.
217 Besset J.-P., René Dumont, op. cit., p. 127.
218 Dumont R., Agronome de la faim, op. cit., p. 17.
219 Dumont R., Seule une écologie socialiste…, Paris, Robert Laffont, 1977, p. 186.
220 Olivier Dard relève à raison qu’il est difficile de saisir l’influence des thèses abondancistes, qui n’ont pas encore pleinement suscité la curiosité des historiens. Dard O., Le rendez-vous manqué des relèves des années 1930, op. cit., p. 214.
221 Dumont R., Agronome de la faim, op. cit., p. 67.
222 Dard O., Le rendez-vous manqué des relèves des années 1930, Paris, PUF, 2002, p. 8.
223 Dumont R., Agronome de la faim, op. cit., p. 75.
224 Ibid., p. 14.
225 Vendu à 150000 exemplaires, ce livre est également un succès médiatique qui conduit René Dumont à intervenir cinq fois à la télévision. Cf. Christian Delporte, « René Dumont et la télévision », art. cit., p. 149.
226 Dumont R., Agronome de la faim, op. cit., p. 312.
227 Locher F., « Les pâturages de la Guerre Froide : Garrett Hardin et la “tragédie des communs” », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2013/1, n° 60-1, p. 7.
228 Dumont R., L’Utopie ou la mort !, op. cit., p. 6.
229 Ibid., p. 29.
230 Ibid., p. 7.
231 Ibid., p. 33.
232 Vadrot C.-M., « Histoire de la campagne », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 13.
233 Dumont R., « Campagne électorale officielle : élection présidentielle du premier tour », ORTF, 19 avril 1974 [http://www.ina.fr/video/CAF88000834/rene-dumont-video.html], consulté le 10/10/1974.
234 Vadrot C.-M., « Histoire de la campagne », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 14.
235 Dumont R., Agronome de la faim, op. cit., p. 336.
236 Samuel P., Histoire des Amis de la Terre, 1970-1999 [www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/Histoire_des_AT_1970- 1989.pdf], consulté le 12/10/2011, p. 21.
237 Dumont R., « Il ne s’agit pas de changer la société mais de changer de société », LS, n° 13, mai 1974, p. 8.
238 Vadrot C.-M., « Histoire de la campagne », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 13.
239 Besset J.-P., René Dumont, op. cit., p. 127.
240 [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 32-33.
241 MV. Fonds Les Verts [désormais LV]. Carton « Courrier 1974. 20 ». Télégramme du Pr Vignon à René Dumont. S. d. [début avril 1974].
242 Dumont R., Agronome de la faim, op. cit., p. 337.
243 Vadrot C.-M., « Histoire de la campagne », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 15.
244 CAC. Fonds AT. 20050521/4. Agenda des Amis de la Terre de Paris. Compte rendu de la réunion du 9 mai 1974.
245 MV. Fonds LV. Carton « Courrier 1974. 20 ». Lettre de Régis Brasseur à René Dumont. S. d. [avril 1974].
246 Archives départementales de Loire-Atlantique. 1944 W 12. Note des renseignements généraux. 29 avril 1974.
247 Ibidem.
248 MV. Fonds LV. Carton « Courrier 1974. 20 ». Lettre d’Alain Thalmann à René Dumont. S. d. [fin avril 1974].
249 Ibid. Lettre de Maniez à René Dumont. S. d. [avril 1974].
250 Dumont R., « Campagne électorale officielle : élection présidentielle 1er tour », ORTF, 19 avril 1974 [http://www.ina.fr/video/I09167743], consulté le 13/10/2013.
251 Lagroye J., « Les processus de politisation », in Jacques Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, 2003, p. 362 sq.
252 Le manifeste se réfère implicitement à la fois le rapport du Club de Rome ainsi qu’à l’ouvrage de Ward B. et Dubos R., Nous n’avons qu’une seule terre, paru en 1972. Ibid., p. 40.
253 « Manifeste électoral », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 41.
254 « M. Dumont politise sa campagne électorale », Le Monde, 20 avril 1974, p. 8. Il s’exprime également dans ce sens à Tours. Cf. « René Dumont à Tours », JT 13 h, 30 avril 1974, ORTF [http://www.ina.fr/video/CAF94054915/rene-dumont-a-tours-video.html], consulté le 03/10/13.
255 « Les fiches par émission », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 50.
256 Larrère C., « Ce que sait la montagne. Aux sources des philosophies de l’environnement », La vie des idées.fr [www.laviedesidées.fr], publié le 30 avril 2013, p. 2.
257 « Esquisse de Dumont à « piocher » pour le programme », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 37.
258 « M. René Dumont : pourquoi je me présente », Le Monde, 21-22 avril 1974, p. 6.
259 « Le premier tour de l’élection présidentielle annonce un scrutin serré le 19 mai », Le Monde, 7 mai 1974, p. 1.
260 Dumont R., « Préface », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 8.
261 « Résultats d’un sondage », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 137.
262 Musée du Vivant. Fonds LV. Cartons « Courrier 1974 », 20 à 23.
263 Ibid. Lettre de J. Péricart à René Dumont. 16 avril 1974.
264 Ibid. Lettre de Jean-Paul Perret au Comité de soutien à René Dumont. 16 avril 1974.
265 Ibid. Lettre de François Lavaud à René Dumont. 19 avril 1974.
266 Ibid. Lettre de Jacques Chevreux à René Dumont. 2 mai 1974.
267 René Dumont obtient 1,60 % dans le Bas-Rhin et 1,72 % dans le Haut-Rhin.
268 Soit 2,32 % des voix à Paris et 2,31 % dans les Hauts-de-Seine et dans l’Essonne.
269 Ambroise-Rendu M., « René Dumont : je voudrais être l’unificateur du mouvement écologique », Le Monde, 10 mai 1974, p. 6.
270 Samuel L., « Paraît qu’il y a un mouvement et qu’il faut le politiser », GO, n° 20, juin 1974, p. 32.
271 Ambroise-Rendu M., « René Dumont : je voudrais être l’unificateur du mouvement écologique », art. cit., p. 7.
272 Vadrot C.-M., « Histoire de la campagne », in [Collectif], L’écologie ou la mort, op. cit., p. 13.
273 Christine Guionnet a bien analysé cette difficulté avec l’exemple des listes Motivé.e.s apparues à l’occasion des élections municipales de 2001. Pour entrer dans le jeu politique, les nouveaux acteurs sont contraints de conformer à un minimum de règles établies (notamment l’obligation de se positionner sur le clivage gauche/ droite) pour exister en tant qu’acteurs. Cf. Guionnet C., « Marginalité en politique et processus d’institutionnalisation », in Arnaud L., Guionnet C. (dir.), Les frontières du politique, Rennes, PUR, 2005, p. 263 sq.
274 François Mitterrand a recueilli 43,36 % des voix contre 32,94 % pour Valéry Giscard d’Estaing qui peut néanmoins compter sur une grande majorité des voix qui s’étaient portées sur Jacques Chaban-Delmas (14,55 %). Becker J.-J., Nouvelle histoire de la France contemporaine. T. 19. Crises et alternances (1974-2000), Paris, Seuil, 2002, p. 27.
275 C’est le cas de Françoise Seligmann (cf. René Dumont, Agronome de la faim, op. cit., p. 334) et de Pierre Mendès-France (« Le peuple breton veut se rapprocher du socialisme », Le Monde, vendredi 3 mai 1974).
276 MV. Fonds LV. Carton « Courrier 1974 ». 21. Lettre de Christian Delorme à René Dumont. 20 avril 1974.
277 Entretien avec Jean Carlier. 05/03/11.
278 Entretien avec Alain Hervé. 05/04/10.
279 Ibidem.
280 Hervé A., « Naissance de l’écologie politique », LS, n° 13, mai 1974, p. 6.
281 Entretien avec Philippe Saint-Marc. 01/04/10.
282 Sainteny G., « François Mitterrand and Nature », Environment and History, 9, n° 1, February 2003, p. 77 sq.
283 « François Mitterrand : « Un arrêt brutal de la croissance sacrifierait les plus faibles », LS, n° 13, mai 1974, p. 9.
284 Entretien avec Philippe Saint-Marc. 01/04/10.
285 « Valéry Giscard d’Estaing. Le candidat présente son programme de défense de l’environnement », Le Monde, 11 mai 1974, p. 2.
286 Ibidem.
287 Bernard M., « Le projet giscardien face aux contraintes du pouvoir », in Berstein S., Sirinelli J.-F. (dir.), Les années Giscard. Les réformes de société (1974-1981), Paris, Armand Colin, 2007, p. 15.
288 Sur ce point, voir Lagroye J. (dir.), La politisation, Paris, Belin, 2003, p. 367.
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