Chapitre I. À l’aube de l’écologisme
p. 25-74
Texte intégral
1Ce serait une erreur de voir dans l’écologisme un phénomène immédiatement clair et cohérent. À l’aube de son histoire, au cœur des années 68, de nombreux groupes aux préoccupations et aux objectifs divers apparaissent ou transforment radicalement leur répertoire d’action sans qu’il n’existe une coordination d’ensemble ou de consensus à propos des objectifs à poursuivre. Ils ont néanmoins en commun de s’inquiéter de la dégradation de l’environnement et des conséquences de cette situation pour les sociétés tout en considérant que la réponse des pouvoirs publics n’est pas adéquate. C’est à ces différents groupes essentiels dans la construction de l’écologisme, à leurs analyses et à leurs divergences que ce passage est consacré.
Jeux de miroirs, l’Amérique, la France et l’écologie
2L’écologisme est-il une invention américaine ? Frappés par la précocité des mobilisations environnementales outre-Atlantique, les premiers militants en sont souvent convaincus. Au début des années 1970, Pierre Fournier, fondateur de La Gueule Ouverte, considère ainsi que les États-Unis sont le seul pays au monde en situation prérévolutionnaire du fait de la mobilisation des citoyens contre les centrales nucléaires1. De son côté, Bernard Charbonneau estime que le mouvement écologiste a d’abord pris racine en Californie avant de se diffuser dans le monde2. L’historiographie a par la suite contribué à accréditer cette vision des choses. Sylvie Ollitrault considère ainsi que les registres d’action collective, les slogans propres à l’écologisme comme une cause planétaire émergent sur les campus et dans les organisations militantes anglo-saxonnes des années 19603.
3Une telle approche alimente l’idée, pourtant largement discutable, d’un relatif désintérêt de la France pour les enjeux environnementaux jusqu’à ce qu’une vague d’outre-Atlantique ne vienne y remédier4. Ces filiations postulées et souvent célébrées présentent l’inconvénient de considérer que la circulation transnationale des idées et des pratiques militantes irait de soi dans un simple jeu de vases communicants. Or, du fait de cultures politiques spécifiques et de contextes sociaux et économiques distincts de part et d’autre de l’Atlantique, ces circulations ne s’effectuent pas sans heurts ni altérations. Les réseaux et les passeurs jouent un rôle essentiel5 dans ces jeux de miroirs complexes qu’il s’agit ici d’expliciter pour mieux comprendre la genèse de l’écologisme français.
De l’autre côté du miroir. Friends of the Earth/les Amis de la Terre
4En 1969, David Brower quitte le poste de directeur exécutif du Sierra Club qu’il occupe depuis 19526. C’est le point culminant de deux ans de tensions au sein du conseil d’administration de cette association américaine de défense de l’environnement au sujet du nucléaire civil et de la gestion de l’organisation. Brower fonde alors Friends of the Earth, qu’il envisage à la fois comme un lobby à l’échelle nationale et une organisation transnationale : celle-ci a donc dès l’origine vocation à essaimer dans d’autres pays. C’est dans ce cadre qu’Alain Hervé est sollicité pour constituer une structure similaire en France.
5Créée en 1970, l’association française devient en quelques années l’une des principales organisations écologistes à l’échelle nationale. À première vue, les Amis de la Terre constituent l’exemple le plus parlant de l’influence américaine sur la genèse de l’écologisme français. L’analyse plus précise du processus de création de l’association permet cependant de livrer une conclusion plus nuancée tant le passage de l’autre côté du miroir n’est pas sans conséquence. La première phase de l’histoire des Amis de la Terre est indissociable du parcours de leur fondateur, Alain Hervé. Né en 1932, celui-ci étudie la philosophie puis entre au Centre de Formation des Journalistes avant de travailler pour la presse écrite dans la seconde moitié des années 19507. De 1964 à 1967, cherchant l’aventure, il se lance dans un tour du monde à la voile de trois ans qui le mène jusqu’à San Francisco. À son retour en Europe en 1968, il prend la direction de la rédaction française de revue de la FAO intitulée Cérès ; cet épisode est selon lui fondateur dans son engagement écologiste. Il découvre en effet une organisation toute entière tournée vers la promotion de la révolution verte dans le tiers-monde reposant sur la mécanisation de l’agriculture et l’usage massif d’intrants chimiques. Comme Alain Hervé en témoigne après coup :
« Ça m’est tout de suite apparu comme une entreprise colonisatrice et américaine – les Américains avaient déjà un rôle déterminant à la FAO parce qu’ils la finançaient en grande partie et ils étaient très influents à l’intérieur de la FAO. Il y avait une sorte de religion du progrès technique à la FAO. »
6Il démissionne donc rapidement pour ne pas « être le vecteur de la propagande technocratique ». À la même période, il lit Jean Dorst et René Dubos8, approfondissant sa réflexion sur l’impact de l’homme sur son environnement.
7Alain Hervé est donc un homme déjà sensibilisé aux enjeux environnementaux lorsqu’il se rend aux États-Unis en 1969 pour réaliser un reportage sur les primaires démocrates pour le compte du magazine Réalités. À l’occasion d’une soirée donnée chez Robert Kennedy, il rencontre Gary Soucié, membre du groupe new-yorkais de Friends of the Earth. Ce dernier évoque avec lui les enjeux environnementaux tels qu’ils sont alors envisagés aux États-Unis et il lui propose dans la foulée de fonder un groupe Friends of the Earth en France. Comme le souligne Alain Hervé, « Ce qui m’a frappé le plus, ce n’est pas la création de l’association mais c’est ce qu’il m’a dit sur la planète Terre. J’étais réceptif dans la mesure où je l’avais parcourue moi-même ». C’est donc la démarche de décloisonnement et de globalisation des questions environnementales qui interpelle Alain Hervé. Gary Soucié l’invite alors à entrer en contact avec Edwin Matthews, avocat d’affaire américain travaillant en France au sein du cabinet Coudert Brothers et déjà impliqué dans Friends of the Earth.
8De son propre aveu, Alain Hervé est très intéressé par les idées écologistes, qui font écho à sa propre sensibilité à la nature, mais peu enthousiaste à l’idée de fonder une association, n’ayant jamais été un militant politique. De surcroît, il juge le nom de cette association « tout à fait ridicule » car un peu infantile et étranger aux traditions culturelles et philosophiques françaises. Selon lui, l’appellation Friends of the Earth renvoyait à l’univers de Henry Thoreau et Ralph Waldo Emerson donc à une vision des relations de l’homme à la nature qui n’avait pas cours en France.
9C’est finalement Edwin Matthews qui prend l’initiative de le rencontrer. Entre les deux hommes, le contact passe immédiatement. Alain Hervé est alors pigiste pour Réalités et dispose donc d’un emploi du temps relativement souple ; il accepte donc de s’impliquer et contacte Philippe Viannay, ancien résistant et journaliste au Nouvel Observateur, qu’il a connu au Centre de Formation des Journalistes. Ce dernier lui trouve les premiers bureaux de l’association, Quai-Voltaire à Paris et l’assemblée générale constitutive des Amis de la Terre-France a lieu le 11 juillet 19709.
10Ce voyage aux États-Unis est donc crucial dans le parcours militant et professionnel d’Alain Hervé car, à cette occasion, sa sensibilité à l’égard de la nature, déjà bien affirmée, gagne en cohérence et se traduit par un engagement militant concret. Ce bref séjour ne doit cependant pas être envisagé comme un voyage initiatique à l’issue duquel Alain Hervé serait sorti transfiguré mais bien davantage comme un déclic qui n’exclut pas un recul critique. Il faut néanmoins relever que plusieurs autres membres influents des Amis de la Terre ont une connaissance concrète des États-Unis10, expérience qui a constitué un élément notable dans leur parcours militant et intellectuel.
11C’est le cas de Pierre Samuel et son fils Laurent, tous deux membres de Survivre et Vivre de 1970 à 1973 puis des Amis de la Terre11. Professeur de mathématique à la faculté des sciences de Paris, il séjourne à Harvard durant l’année universitaire 1969-1970 ; c’est là que, selon ses termes, il est « converti à l’écologie » par ses lectures et à l’occasion des débats autour des projets de voies express à Boston qui aurait irrémédiablement altéré les vieux quartiers de la ville. De son côté, son fils Laurent se souvient lors de ce séjour américain avoir assisté aux manifestations du Earth Day en avril 1970 ; il commence alors à lire certains auteurs américains, tel Paul Ehrlich ou Barry Commoner, qui insistent à cette époque sur la menace que représente la dégradation de l’environnement pour la survie de l’homme sur Terre12. Ce premier contact avec une écologie présentée comme un outil d’analyse globale, à la fois scientifique et préoccupé du devenir de la société, ne représente cependant qu’une étape dans son parcours marqué par la suite par sa scolarité à Science-po et par la lecture des articles de Pierre Fournier dans Charlie Hebdo.
12Il en va de même pour Serge Moscovici, autre membre des Amis de la Terre dans les années 1970. Chercheur en psychologie sociale à l’École Pratique des Hautes Études, il commence à s’intéresser à ce qu’il appelle la « question naturelle » dans les années 196013. Dans ce cadre, il est invité en 1962 à l’Institute for Advanced Studies de Princeton. Tout comme Edgar Morin – qui séjourne à l’Institut Salk for Biological Studies de San Diego en 196914 –, ce séjour aux États-Unis constitue pour Serge Moscovici l’occasion d’approfondir sa réflexion sur la place de la nature dans les sociétés humaines et de prendre ses distances avec la doxa intellectuelle française en se familiarisant avec des courants de pensée plus marginaux15. De retour en France, il noue au sein de l’EPHE une collaboration féconde avec l’ethnologue Robert Jaulin ; de concert avec Alexandre Grothendieck, tous trois animent dans toute la France une exposition sur l’ethnocide, établissant un parallèle entre les Indiens et les paysans français, également menacés dans leur mode de vie par une modernité conquérante. Comme pour Pierre Samuel, le voyage aux États-Unis de Serge Moscovici n’est qu’un élément parmi d’autres dans sa réflexion : c’est par exemple son intérêt pour le rôle des minorités dans le changement social qui l’amène à se pencher sur la contre-culture et à fréquenter Actuel au début des années 197016.
13Pour importante qu’elle soit, cette imprégnation américaine ne détermine cependant pas les orientations des Amis de la Terre sur le long terme tant les liens entre les deux rives de l’Atlantique se distendent rapidement. Grâce à un partenariat avec les éditions Fayard, l’association se lance d’abord dans la traduction et la publication en France d’ouvrages américains17. Dès 1972, deux d’entre eux paraissent dans cette collection : La fin du ciel bleu de Catherine Delsol consacré au Concorde et La Bombe P de Paul R. Ehrlich enrichie d’une postface d’Alexandre Grothendieck et de Pierre Samuel. Pourtant, de l’aveu même d’Alain Hervé, les ventes sont catastrophiques et signent la fin prématurée de cette collection, ce qui incite les militants français à faire preuve d’une certaine circonspection dans ce domaine.
14De même, la correspondance éparse des premières années de l’association conservée aux Archives nationales suggère que, passée l’année 1970, où plusieurs lettres sont échangées avec David Brower au sujet du comité de parrainage de l’association, les relations entre les deux rives de l’Atlantique se réduisent à des échanges épars d’informations sans coordination véritable des actions18. La création des Amis de la Terre-France ne constitue donc pas la transposition d’un modèle reproduit à l’identique mais conduit plutôt à l’élaboration d’une voie originale au miroir de l’expérience américaine.
15Une telle évolution n’est pas propre aux Amis de la Terre car d’autres groupes écologistes sont fondés en France en collaboration ou sous l’impulsion de militants américains sans que des liens organiques ne se maintiennent sur le long terme. C’est par exemple en marge d’une summer school à Montréal, en juillet 1970, qu’est créé Survivre (rebaptisé par la suite Survivre et Vivre), groupe à vocation pacifiste puis écologique19 qui compte à sa création treize Canadiens, cinq Américains et cinq Français20. Pourtant, là encore, les liens effectifs avec le monde anglo-saxon se relâchent rapidement : si pendant plus d’un an, chaque numéro contient plusieurs articles écrits par des Anglo-Saxons ce n’est plus le cas par la suite21.
16Telle Alice passant de l’autre côté du miroir, plusieurs acteurs de premier plan de l’écologisme français des années 1970 découvrent au début de cette décennie les États-Unis et l’effervescence des débats environnementaux qui les caractérisent. À leur retour en France, ils contribuent à la circulation transnationale des idées et des pratiques militantes. Néanmoins, de la même manière qu’Alice fait l’expérience d’une complète altérité dans le monde du miroir, les militants écologistes français ne peuvent ni ne veulent transposer intégralement cette expérience américaine dans leur pays d’origine. Il n’y a donc pas lieu d’évoquer pour la période une quelconque internationale écologiste même si, au-delà des enjeux organisationnels, de multiples reflets et diffractions alimentent une circulation transnationale diffuse des idées entre les États-Unis et la France.
Reflets et diffractions. La circulation transnationale des idées et des pratiques
17Vus de France, au tournant des années 1960 et 1970, les États-Unis apparaissent comme une terre pionnière en matière d’écologie militante. Que ce jugement doive être relativisé n’enlève rien au fait qu’entre les deux rives de l’Atlantique les informations et les idées circulent sous de multiples formes. Par le biais de la contestation antinucléaire et la contre-culture, les notions propres à l’écologie scientifique tout comme sa déclinaison militante, l’écologisme, contribuent en France à la construction des questions environnementales comme des enjeux publics, susceptibles d’être intégrés dans un combat politique.
18Aux USA, la contestation antinucléaire a précocement recours à l’expertise scientifique par rapport à la France. Cette différence peut d’abord s’expliquer par l’organisation du secteur de l’énergie outre-Atlantique, où les centrales sont construites par des opérateurs privés, susceptibles d’être poursuivis devant les tribunaux civils. Par ailleurs, dès la fin des années 1950, les chercheurs américains engagés dans la contestation des essais nucléaires aériens puis du nucléaire civil ont voulu fonder leur action sur une démonstration scientifique rigoureuse. Dans le contexte de la Guerre Froide, ils ne pouvaient en effet se permettre d’être accusés de collusion avec l’ennemi soviétique sous peine d’être politiquement disqualifiés22. À la fin des années 1960, le débat se focalise par exemple sur l’éventuelle nocivité des faibles doses de radiation que l’AEC, l’Atomic Energy Commission, organisme chargé de la régulation du secteur aux États-Unis, considère officiellement inoffensives en dessous d’un certain seuil23. À l’inverse, certains chercheurs, et notamment John Gofman et Arthur Tamplin, entendent démontrer que même de très faibles doses de radiation peuvent avoir des conséquences néfastes pour l’organisme24. Cette controverse donne lieu à une production textuelle importante et, paradoxalement, plus accessible aux militants antinucléaires français du début des années 1970 que la documentation disponible en France.
19En Alsace, où s’organise dès 1971 un mouvement de contestation contre le projet de centrale électronucléaire à Fessenheim (Haut-Rhin), les fondateurs du Comité de Sauvegarde de Fessenheim et de la Plaine du Rhin (CSFR) rassemblent des brochures écrites au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis pour les diffuser dans le milieu associatif local25. Selon Solange Fernex, militante antinucléaire de la première heure, les écrits contestant le nucléaire civil et militaire circulent à cette époque mieux entre les États-Unis et la RFA qu’avec la France : il est donc fréquent que les brochures américaines soient traduites en allemand avant de l’être en français. Dans le milieu antinucléaire alsacien, Esther Peter Davis, traductrice au sein des institutions européennes et épouse de Garry Davis, un Américain fondateur après la Seconde Guerre mondiale du Mouvement des citoyens du monde, constitue un autre relais propice à la circulation et au transfert des savoirs et des savoir-faire entre la France et les États-Unis26.
20L’usage de ces travaux américains va au-delà de la seule démonstration scientifique. À mesure que la contestation du nucléaire civil s’organise en France, les promoteurs de cette énergie s’efforcent de la discréditer en fustigeant son absence de compétence scientifique27. Les articles de d’Arthur Tamplin ou John Gofman, chercheur en médecine réputé, qui a également contribué au projet Manhattan, permettent d’affirmer la légitimité de cette mobilisation, montrant, à tout le moins, que le doute existe quant à l’innocuité de l’industrie nucléaire28. L’existence même de ces écrits venus d’outre-Atlantique est mise en avant pour souligner en retour la discrétion des scientifiques français sur ces questions, voire, selon certains militants, leur collusion avec le pouvoir. La vulgarisation et la diffusion de ces données s’accompagnent alors d’un appel à une plus large information du public en France et d’une dénonciation du manque de démocratie dans les choix techniques opérés par le gouvernement29.
21La circulation des écrits entre les deux rives de l’Atlantique ne saurait donc se résumer à un simple transfert d’information ; par sa seule existence, elle manifeste un contraste entre deux contextes politiques et scientifiques. Au travers de ces travaux, les militants français tendent un miroir aux pouvoirs publics pour y présenter le reflet d’une Amérique plus ou moins fictive qui pratiquerait la démocratie technique avant l’heure. L’usage de cette construction est essentiellement domestique : c’est la preuve scientifique par laquelle le scandale environnemental arrive, mais c’est aussi l’indice déterminant qui fonde la dénonciation politique et la démonstration qu’un changement de société est possible et souhaitable puisqu’il se réaliserait là-bas de l’autre côté de l’Atlantique.
22Au-delà de ces emprunts conscients et raisonnés, il faut souligner l’ampleur – du reste très difficile à évaluer – de la circulation indirecte des savoirs et des idées au travers de la contre-culture américaine dont Adam Rome a montré l’importance dans le combat environnemental américain de la seconde moitié des années 196030. Sans chercher l’exhaustivité, la littérature de science-fiction est un bon exemple de ces vecteurs souterrains mais parfois déterminants. Celle-ci se saisit en effet très rapidement de la notion d’environnement définie comme la somme de systèmes physiques et sociaux en constante interdépendance et de la nécessité pour l’homme de les respecter pour ne pas mettre la civilisation en péril.
23Parmi les multiples ouvrages qui paraissent durant cette période florissante pour le genre en France, Dune de Frank Herbert est l’un des premiers à faire explicitement référence au terme « écologie31 ». L’action se déroule sur un monde désertique dont les habitants – y compris ceux qui viendraient de planètes plus clémentes – doivent comprendre et respecter les contraintes pour espérer y survivre. L’auteur propose ainsi une réflexion sur le lien intime qui doit se tisser entre l’homme avec son environnement, grâce à une technologie subtile qui se veut réaliste et surtout au travers d’une une prise de conscience spirituelle du bien-fondé de ces interrelations.
24De son côté, le livre de Robert Henlein, Révolte sur la Lune, se fait l’écho de nombreux débats écologiques de l’époque32. L’intrigue nous plonge en effet au cœur d’une révolte d’une colonie installée sur la Lune peuplée de marginaux indésirables sur leur planète d’origine contre la métropole terrienne. Cette dernière est confrontée à la surpopulation et à la pollution généralisée de son écosystème alors que son satellite vit en équilibre avec un environnement pourtant difficile dans une situation d’anarchie relative qui valorise l’individualisme créateur et l’esprit d’innovation. Révolte sur la Lune tout comme Dune remportent à leur parution le prix Hugo, l’une des récompenses les plus prestigieuses du genre, gage d’une large diffusion aux États-Unis et à l’étranger. Ils ont particulièrement enthousiasmé les militants qui voient dans la recherche technique hétérodoxe et la promotion d’une société, une voie privilégiée pour résoudre la crise écologique33.
25De fait, dans un contexte d’américanisation relative des pratiques culturelles, la science-fiction américaine vulgarise des thématiques environnementales et des réflexions écologistes. Ce processus est d’autant plus profond que ce genre littéraire connaît en France un âge d’or à la fin des années 1960 avec l’apparition de nouvelles collections éditoriales telles qu’« Ailleurs et Demain » chez Robert Laffont en 1969 et « Science Fiction » chez J’ai lu en 1970 qui consacrent une large part de leur catalogue respectif à la traduction d’ouvrages américains34.
26Dans son témoignage sur une expérience communautaire au début des années 1970, Christian Dupont raconte ainsi que, parmi les militants qui l’entourent, tous lisent beaucoup de science-fiction car ces mondes imaginaires, souvent miroir à peine déformé de la société de l’époque, leur permettent de penser les mutations en cours35. Au-delà de ces lectures probablement autant récréatives que réflexives, l’écrivain Jean-Pierre Andrevon mène à l’époque une réflexion approfondie sur les liens entre science-fiction et écologie36. Outre sa production littéraire, il écrit régulièrement dans Charlie Hebdo, Combat non-violent et surtout La Gueule Ouverte où il tient une chronique consacrée aux liens entre écologie et science-fiction. Jean-Pierre Andrevon évoque par exemple Nous autres, d’Eugène Zamiatine, écrit en 1920, qui décrit une civilisation totalitaire dont le seul but est de construire un vaisseau spatial destiné à convertir les civilisations extraterrestres au bonheur tel que le définit l’État : la chronique est donc l’occasion de dénoncer le centralisme, les aliénations et la perte d’identité37. Jean-Pierre Andrevon justifie l’existence de sa chronique en constatant que les écrits théoriques et scientifiques ne sont pas suffisants pour penser la future société écologique38.
27La chronique « Attention ! Science-fiction » n’a donc pas seulement une finalité ludique ; à partir de ces œuvres de fiction, il s’agit également de réfléchir en militant au changement de société, aux transitions possibles ainsi qu’aux risques à conjurer. En considérant la littérature de science-fiction comme un support de réflexion aussi digne d’intérêt que des ouvrages de sciences humaines réputés ardus, les militants adoptent une démarche contre-culturelle, caractérisée par la subversion des normes de distinction couramment admises, dans laquelle l’écologie peut s’épanouir.
28Au-delà de l’exemple de la science-fiction, l’aventure du magazine Actuel constitue une autre manifestation du rôle de la contre-culture dans la circulation des idées écologistes des États-Unis vers la France mais elle illustre également ses limites.
29À l’origine fanzine consacré au jazz d’avant-garde, Actuel est repris en 1970 par Jean-François Bizot qui le transforme en une vitrine de la contre-culture, notamment américaine. Curieux de tout et surtout des alternatives en tout genre, Actuel traite de la libération sexuelle, des drogues, de la beat generation mais aussi d’écologie au point d’y consacrer un numéro spécial, dont l’éditorial est suggestivement intitulé « beuark !39 ». Dans ce numéro, la plupart des références viennent des États-Unis : il est ainsi fait allusion au « vaisseau Terre » qu’il est nécessaire de défendre par l’écologie contre la désintégration qui le menace. Or, cette notion a été proposée par l’architecte et essayiste américain Richard Buckminster Fuller pour souligner la nécessité de conserver les ressources qui se trouvent sur notre planète en quantité limitée et de ne pas les gaspiller inconsidérément40. Sont également présentées comme des solutions possibles les démarches respectives du New Alchemy Institute fondé par l’océanographe John Todd ou encore du groupe Ecology Action fondé en 1967 par de jeunes ingénieurs de Berkeley41. En cela, Actuel illustre, parmi d’autres exemples possibles, l’intérêt des contestataires européens à l’égard des mouvements radicaux américains qui se développent dans les années 1960.
30Ce serait néanmoins une erreur que de croire que les références aux États-Unis sont systématiquement positives et que ce pays est perçu comme un nouvel Eden écologique tant la représentation de ce pays est ambivalente chez les militants (comme dans l’ensemble de la société française)42. Alors que la guerre du Vietnam suscite une dénonciation vigoureuse de l’impérialisme américain et constitue une occasion de première socialisation militante pour de nombreux lycéens et jeunes étudiants, il aurait été étonnant qu’il en fût autrement43. Les deux auteurs de l’éditorial d’Actuel s’interrogent notamment sur le nombre « de Viêt-Nam « naturels » […] ainsi concoctés dans les cerveaux des dévoreurs d’arbre » en gestation44. De même, le magazine publie une longue interview de Barry Weisberg – l’inventeur de la notion d’écocide – qui dénonce l’usage des défoliants au Vietnam comme arme de guerre et se montre extrêmement critique à l’égard de l’organisation sociopolitique des États-Unis, considérant qu’il est dans la nature du capitalisme de polluer son environnement45. La perception des États-Unis comme un contre-modèle environnemental se retrouve plus tard lors de la campagne présidentielle de René Dumont qui fustige la consommation énergétique excessive de ce pays ou encore la pollution alarmante de Los Angeles due à l’étalement urbain et à l’usage irréfléchi de la voiture46.
31En définitive, quel sens donner aux circulations transnationales et aux transferts de savoir et de savoir-faire entre les États-Unis et la France ? Comment évaluer leur importance dans la genèse de l’écologisme français ? Au tournant des années 1960 et 1970, les idées et les pratiques militantes traversent l’Atlantique mais ce serait adopter une vision bien naïve de l’histoire transnationale que de considérer a priori que ces échanges ont, par leur seule existence, une portée décisive.
32Ces transferts, parfois indirects, souvent épisodiques voire sans lendemain ont pourtant leur importance. Au travers d’eux, les premiers militants français rassemblent des informations, des données, des analyses qui attestent de la réalité de la crise écologique ; ils sont en outre amenés à envisager d’autres futurs possibles, différents de l’eschatologie marxiste traditionnelle. Par leur existence même, ces transferts permettent un décentrement, un pas de côté par rapport au contexte national et à la culture politique traditionnelle des milieux contestataires. En faisant de l’écologie, en tant qu’instrument d’analyse critique de la société, une démarche venue des États-Unis, les premiers militants mettent en œuvre une rhétorique de la nouveauté. L’écologie serait un souffle nouveau, posant des questions inédites, apportant des réponses qui le sont tout autant, offrant une vision originale de la société, présente comme à venir.
33Le foisonnement des idées en faveur de la protection de la nature et de l’environnement aux États-Unis donne ainsi le sentiment aux militants de découvrir une vérité longtemps occultée et facilite alors l’investissement dans une nouvelle cause, d’abord considérée comme marginale. Comme le souligne Pierre Serna, la circulation transnationale des idées et des pratiques est donc indissociable d’un jeu de miroir déformant47. Entre les deux rives de l’Atlantique, une Amérique souvent fantasmée prend bien souvent le pas sur la réalité sociologique et politique des États-Unis et les premiers militants écologistes hésitent entre une fascination pour un pays érigé en symbole de la société écologique à venir et une condamnation des excès de cette même société.
Au chevet du territoire français
34Tout au long de la période dite des trente glorieuses, et singulièrement durant les années 1960, il est incontestable que le territoire français connaît de profondes transformations. Plus urbains – le taux d’urbanisation bondit de dix points en une décennie – les Français découvrent un nouveau paysage où fleurissent les ZUP, les grands ensembles et autres villes nouvelles48. 1963 marque par ailleurs un tournant dans la société de consommation avec l’implantation du premier centre commercial de France à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) qui modifie la relation des consommateurs à l’espace. En outre, si les débordements industriels ne sont pas, loin s’en faut, l’apanage de cette décennie, certains événements marquent durablement l’opinion, qu’il s’agisse de l’explosion de la raffinerie de Feyzin le 4 janvier 1966 ou de la marée noire du Torrey Canyon en mars 1967.
35La population française dans son ensemble est certes affectée, à des degrés très divers, par ses transformations mais, en l’absence d’étude précise dépassant le sondage d’opinion isolé, il serait aventureux de décrire en quelques mots combien le rapport de celle-ci à l’environnement s’en est trouvé altéré. Dès lors, plutôt que de sacrifier à un tableau d’ensemble de la situation dont l’exactitude serait douteuse, il semble plus judicieux de s’intéresser à des groupes d’acteurs précis et directement concernés par l’aménagement du territoire et les enjeux environnementaux pour s’interroger sur l’évolution de leurs représentations et de leurs pratiques.
36De fait, tout au long des années 1950 et surtout 1960, au sein des pouvoirs publics comme parmi les chercheurs, on s’interroge sur la portée de la transformation du territoire français, sur les nuisances entraînées par cette situation et sur les moyens de lutter contre la dégradation de la nature. Saluant la modernisation du pays tout en s’inquiétant de ses conséquences, ces acteurs tentent de conceptualiser les problèmes auxquels ils font face – le terme « environnement » se diffuse alors – et d’y apporter des solutions. Dans ce processus, ils sont confrontés à la question de la limite entre activité professionnelle et militantisme : les diverses réponses qu’ils apportent à cette situation, mais aussi les impasses auxquelles ils font parfois face, nourrissent par la suite la réflexion et l’action des mouvements écologistes.
Les pouvoirs publics, l’aménagement du territoire et l’environnement
37En France, la fin de la guerre d’Algérie assoit définitivement l’image d’une France certes ouverte sur l’Europe mais hexagonale à rebours des projets de fédérations sur les deux rives de la Méditerranée envisagés lors de la décennie précédente49. Cette nouvelle représentation du territoire national est d’autant plus fondatrice qu’elle accompagne l’affirmation des politiques d’aménagement du territoire50. Dans un pays encore marqué par la défaite de 1940 puis par la perte de l’empire colonial, le progrès et la puissance passent aux yeux de beaucoup par l’industrialisation et la croissance économique orchestrée par les grands serviteurs de l’État51.
38Ce territoire, dont la vocation naturelle serait d’être le support de la puissance française commence également à être envisagé un espace fragile, qu’il convient de gérer avec circonspection voire de protéger. De manière souvent souterraine, une nouvelle notion apparaît jusqu’à devenir une catégorie de l’action publique : l’environnement52. Progressivement, ce terme se trouve défini, le périmètre d’action des pouvoirs publics déterminé et une nouvelle réglementation voient le jour, qu’on pense à la loi du 22 juillet 1960 relative à la création de parcs nationaux ou encore la loi du 16 décembre 1964 sur le régime et la répartition des eaux et la lutte contre leur pollution53. Dans cette perspective, la création en janvier 1971 du premier poste de ministre délégué chargé de la Protection de la nature et de l’Environnement, confié à Robert Poujade député-maire UDR de Dijon, n’est pas seulement une concession à l’air du temps mais s’inscrit dans une évolution qui s’étend sur toute la décennie. Dès lors, comment concilier aménagement du territoire et protection de l’environnement ?
39Comme l’a démontré Florian Charvolin, certains hauts fonctionnaires, souvent liés à la DATAR, jouent un rôle majeur dans l’invention administrative de l’environnement54. Énarque, magistrat à la Cour des Comptes avant de rejoindre la DATAR dès 1963, Serge Antoine est l’un d’eux55. Après avoir participé à la création des parcs naturels régionaux, il contribue à la rédaction du Livre blanc sur l’environnement remis à Jacques Chaban-Delmas le 11 avril 1970. Homme de réseau, Serge Antoine est en relation avec d’autres hauts-fonctionnaires intéressés par ces enjeux au sein de diverses administrations tels que Jean-François Saglio, ingénieur des mines, directeur de l’Agence financière de bassin Rhin-Meuse (1966-1969) avant d’être directeur de la prévention des pollutions et nuisances au ministère ou encore Yves Bétolaud, ingénieur général des Eaux et Forêts en charge des parcs nationaux.
40Pour ces acteurs, la régulation des controverses environnementales passe par le recours à une technocratie éclairée, attentive aux innovations techniques et aux expériences transnationales menées dans ce domaine. À leurs yeux, cela implique un lent et patient travail de conviction, de mise en place de réseaux et d’outils administratifs sans chercher à remettre en cause un système politique et économique auquel ils s’identifient.
41Pour autant, il est parfois difficile pour ces hauts-fonctionnaires de concilier leur préoccupation à l’égard de l’environnement avec les missions qui leur sont confiées car l’action souterraine et le militantisme administratif peuvent se révéler parfois décevants. Il arrive alors que ces hauts-fonctionnaires se fassent militants dans le sens où leur engagement devient public : la prise de parole prend alors le pas sur leur carrière professionnelle sans pour autant nécessairement mener à une défection56.
42L’exemple de Philippe Saint-Marc est sur ce point particulièrement éclairant57. Énarque et magistrat à la Cour des comptes, il devient président de la Mission Interministérielle pour l’Aménagement de la Côte Aquitaine (MIACA) en 1967 en charge de la mise en tourisme de cet espace. Refusant la création de stations intégrées sur le modèle de la côte languedocienne, Philippe Saint-Marc se fait l’avocat d’un tourisme plus diffus, respectueux des espaces naturels et des populations locales, ce qui lui vaut d’être révoqué en 1970 et de rejoindre le ministère des Affaires culturelles.
43Un an plus tard, il publie Socialisation de la nature, vendu à plus de 100000 exemplaires, où il plaide pour une autre société reposant sur de la spiritualité et les biens immatériels58. Politiquement, cet ancien membre de l’aile gauche du MRP en appelle à un « socialisme humaniste » qui mette l’être humain et la nature au centre de sa stratégie de développement. Fort du retentissement de son ouvrage, Philippe Saint-Marc s’associe à René Richard, ancien syndicaliste FO proche des milieux socialistes et président de l’influente URVN59 pour rédiger une Charte de la Nature. Celle-ci affirme l’importance de la protection de la nature et de l’environnement en des termes suffisamment consensuels pour être acceptés par tous, au-delà des clivages sociaux et politiques, dans l’espoir de faire pression sur les élus et d’obtenir ainsi des avancées législatives précises dans ce domaine60. Publiée en novembre 1972 et relayée par la presse, notamment Le Parisien Libéré, la Charte recueille 300000 signatures en quelques mois bien que ses retombées concrètes demeurent modestes61.
44Au-delà de cette technocratie éclairée, le personnel politique joue un rôle parfois déterminant dans la promotion de politiques publiques qui seraient au chevet du territoire français. Engagé de longue date dans les mouvements gaullistes, député et maire de Dijon, Robert Poujade, futur ministre de l’Environnement, est déjà sensibilisé à la protection de la nature dans les années 1960 comme membre de la Ligue urbaine et rurale, fondée par Jean Giraudoux en 1943, et de la Ligue contre le bruit. D’autres hommes politiques s’intéressent de longue date à ces questions : Roland Nungesser, député-maire UDR de Nogent-sur-Marne, Gabriel Péronnet, député de l’Allier, ou encore Édouard Bonnefous, sénateur des Yvelines, président de plusieurs associations de protection de la nature et auteur en 1970 de L’Homme ou la nature62.
45Par ailleurs, à la fin des années 1960, les parlementaires sensibles à ces questions s’organisent pour mieux faire valoir leurs préoccupations. Le groupe d’études parlementaire pour la protection de la nature est ainsi fondé en 1967 par Pierre de Montesquiou, député réformateur du Gers. Il existe également un comité sénatorial pour la protection de la nature et de l’environnement créé en 1969 par Antoine Béthouart (représentant les Français établis hors de France).
46Qu’en est-il au sommet de l’État ? De fait, l’attitude de Georges Pompidou à l’égard des enjeux environnementaux est particulièrement ambivalente. Aux yeux du président, il est évident que la France doit tenir son rang grâce à l’expansion industrielle, appelée à remodeler le territoire. Par ailleurs, cet amateur d’art contemporain éprouve pour l’urbanisme moderne et surtout pour l’automobile une indéniable fascination qui ne le prédispose pas à se faire le promoteur d’une politique de défense de l’environnement63.
47Pourtant, en marge du rapport relatif à la création d’une toute nouvelle Direction générale de la protection de la nature, le 15 octobre 1970, Georges Pompidou écrit que « c’est donc une action à laquelle je tiens à attacher mon rôle pendant la durée de mes fonctions64 ». Comme il le relève dans une note datée du 6 novembre 1973 :
« La France n’est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et quelle que soit l’importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage […]. La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes – je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes – est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d’un milieu humain65. »
48La préservation de certains paysages typiques semble fondamentale pour le président ; l’utilisation de l’expression « milieu humain » est intéressante en ce qu’elle dénote le souci de maintenir un lien, voire un équilibre, entre l’homme et un environnement façonné au fil des siècles et menacé de disparition. De fait, l’approche de Georges Pompidou des enjeux environnementaux reflète sa mentalité conservatrice. Convaincu que les grands bouleversements de l’histoire ont été avant tout une source de souffrance pour la population, Georges Pompidou n’entend pas transformer radicalement les structures sociales, ni altérer l’essence de ce qui fait la France.
49Il tente donc de concilier ces deux impératifs en se faisant le promoteur d’une « morale de l’environnement » qui « imposerait à l’État, aux collectivités, aux individus, le respect de quelques règles élémentaires faute desquelles le monde deviendrait irrespirable66 ». Le président entend ainsi privilégier un ensemble de mesures incitatives qui reposerait dans une large mesure sur la responsabilité individuelle. La création du premier ministère délégué à la Protection de la nature et de l’Environnement s’inscrit dans cette logique incitative voire morale, ce qui en explique les moyens, humains et financiers, limités.
50Dans une certaine mesure, l’ambivalence de Georges Pompidou à l’égard de l’expansion industrielle et des enjeux environnementaux est à l’image des contradictions d’une France en pleine modernisation. Les pouvoirs publics adoptent pourtant à partir des années 1960 une politique réformiste, qui prend peu à peu en compte les enjeux environnementaux tout en se refusant à remettre en cause un ethos modernisateur auquel ils se sont peu à peu identifiés.
Les scientifiques face à la crise écologique
51Dès le xixe siècle, certains scientifiques s’alarment de la dégradation des milieux, de la disparition de certaines espèces ou encore des nuisances industrielles67. De la Société d’acclimatation en France68 à l’action de John Muir aux États-Unis en passant par le militantisme d’Octavia Hill et John Ruskin en Angleterre69, les sociétés en cours d’industrialisation d’Europe et d’Amérique du Nord n’ont pas attendu le dernier tiers du xxe siècle pour voir apparaître un militantisme en faveur de la protection de la nature.
52Pour autant, une telle attitude n’a jamais fait l’unanimité au sein de cette corporation. Certains acteurs entendent ainsi dresser une barrière étanche entre une science pure et désintéressée d’une part et d’autre part des incursions dans le monde politique ou médiatique. En France, la promotion du terme « écologue » à partir de 1979 est révélatrice d’une volonté de se démarquer de l’écologie militante pour réaffirmer l’existence d’une frontière entre les deux activités70.
53C’est après la Seconde Guerre mondiale que l’idée d’une crise écologique globale mettant en cause le rôle dévastateur de l’homme à l’échelle de la planète, se cristallise et pousse certains scientifiques à l’engagement. Devenu une force géologique à part entière, l’homme menacerait la nature et l’ensemble de la civilisation par son usage irraisonné des ressources et par une croissance démographique sans frein, en devenant tout à la fois l’acteur principal et la première victime.
54Cette crise écologique serait globale : il n’est dès lors pas étonnant que sa genèse transnationale remonte aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale71. Aux États-Unis, nouvelle puissance mondiale, deux livres significatifs paraissent en 1948 : Our Plundered Planet de Fairfield Osborn et Road to Survival de William Vogt qui soulignent tous deux le caractère crucial de la conservation des matières premières et les risques de déstabilisation induits par l’explosion démographique mondiale. Ces inquiétudes aboutissent à l’organisation de plusieurs congrès sous l’égide de l’Union Internationale pour la Protection de la Nature (UIPN)72, préludes aux grands programmes scientifiques et politiques internationaux du tournant des années 1960 et 197073.
55Sans surprise, les scientifiques français les plus impliqués dans la vulgarisation de la notion de crise écologique globale sont également parmi les mieux insérés dans ces communautés épistémologiques transnationales74. Ainsi, Roger Heim, mycologue reconnu, directeur du Muséum national d’histoire naturelle de 1951 à 1965, est aussi l’un des fondateurs de l’UIPN en 1948. Il en va de même pour Jean Dorst, professeur au Muséum et spécialiste des oiseaux ; également membre de l’UIPN, il aide en 1956 le gouvernement équatorien à créer une réserve naturelle sur les îles Galápagos.
56Ces scientifiques dénoncent d’abord la transformation irréfléchie des milieux. En agissant ainsi, l’homme menace des équilibres naturels dont il ignorait jusqu’à l’existence mais qui sont pourtant essentiels au fonctionnement des écosystèmes, donc à sa propre survie. Ces analyses reposent évidemment sur les notions centrales de l’écologie (qu’il s’agisse du concept de réseau trophique ou l’approche thermodynamique) mais celles-ci sont en quelque sorte élargies pour révéler une conception holistique des relations entre l’homme et la nature.
57Roger Heim insiste par exemple sur le fait qu’« entre les champignons et l’Homme, se sont noués ainsi des liens étroits » dont on peine encore à prendre la mesure75. De même, selon Jean Dorst : « Beaucoup de nos contemporains estiment […] qu’ils sont en droit de couper les ponts avec le passé. Toutes les lois qui présidaient jusqu’à présent aux rapports de l’homme avec son milieu paraissent désuètes. Le vieux pacte qui unissait l’homme à la nature a été brisé76. » Pourtant, malgré les progrès de la science et de la technologie, l’homme reste dépendant des cycles naturels. Roger Heim décrit par exemple les « agencements insaisissables » de la forêt tropicale, résultat des interactions entre plus de deux mille essences différentes et irrémédiablement détruits par la surexploitation du bois77.
58Ces scientifiques soulignent régulièrement que leurs préoccupations ne concernent pas seulement vers les écosystèmes, qu’il s’agirait de préserver pour leur valeur intrinsèque. Cette crise écologique ferait en effet peser une menace directe sur la santé humaine. Ainsi, Jean Rostand insiste notamment sur les phénomènes de concentration des polluants à chaque étape de la chaîne alimentaire. Situé à l’extrémité de celle-ci, l’homme est exposé à des concentrations toujours plus fortes de produits chimiques et radioactifs au risque de développer des cancers et des mutations génétiques78.
59De même, dans sa préface à l’édition française du Printemps silencieux de Rachel Carson, Roger Heim s’insurge contre l’usage irraisonné des produits chimiques :
« On arrête les “gangsters”, on tire sur les auteurs des “hold-up”, on guillotine les assassins, on fusille les despotes – ou prétendus tels – mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leurs imprudences79 ? »
60Tuant sans distinction l’insecte utile comme le nuisible, les pesticides seraient une véritable déclaration de guerre aux écosystèmes dont il n’est pas certain que l’homme sorte vainqueur80. En pointant du doigt la responsabilité de la société toute entière et plus précisément celle de certaines firmes, Roger Heim contribue à faire de la crise écologique non pas une fatalité qui s’abattrait sur l’humanité mais le produit d’une série de décisions, d’aveuglément et de négligences coupables donc susceptibles d’être analysées sous un angle politique.
61Enfin, la croissance démographique ininterrompue au cours du xxe siècle constituerait le péril le plus inquiétant. Très tôt, celle-ci suscite aux États-Unis des inquiétudes néomalthusiennes illustrées par le livre de Paul R. Ehrlich, La Bombe P, paru en 1968, ou encore les travaux de Garret Hardin81. À leurs yeux, la croissance de la population mondiale serait insoutenable à moyen terme car les terres cultivables et les ressources nécessaires à la vie quotidienne viendront bientôt à manquer. Dès lors, seule une limitation drastique de la natalité, y compris par des moyens autoritaires, serait la solution : la conservation des ressources naturelles se mêle alors à la conscience de la finitude de la planète et à une tradition eugéniste plus durable qu’on ne l’a parfois cru.
62Ces analyses se retrouvent dans les ouvrages des scientifiques français qui considèrent eux aussi l’explosion démographique comme une composante à part entière de la crise écologique. Dès 1952, Roger Heim souligne combien la croissance de la population mondiale, associée à la destruction des sols, détruit l’équilibre naturel et pose donc le « problème de l’avenir même de notre espèce82 ». Jean Dorst considère quant à lui qu’il est impossible de dissocier ce phénomène de la dégradation plus générale de la nature car nourrir ces bouches toujours plus nombreuses implique d’exploiter les sols et les ressources de manière toujours plus intense, au mépris des règles de conservation83.
63Comme sur la question de la pollution chimique, le thème de la surpopulation conduit ces auteurs à prolonger leurs analyses au-delà de la seule préservation des écosystèmes pour mettre en garde contre certains fléaux sociaux révélateurs d’un déséquilibre entre l’homme et la nature. Ainsi, selon Roger Heim, « en un siècle et demi, la population du monde a triplé. Dans cinquante ans, elle aura doublé. Il reste à l’enfermer dans d’immenses fourmilières où l’attendent promiscuité, indiscrétions, névroses et suicides84 ». Alors que la superficie des villes françaises a doublé au cours des années 1960, que de grands ensembles et les ZUP fleurissent, l’auteur s’aventure donc sur le terrain de la psychologie sociale. Il en va de même pour Jean Dorst qui, citant Robert Hainard, estime que l’homme mourra de dégoût avant de mourir de faim85. Plutôt que d’y voir une naturalisation du monde social, comme croit le discerner Jean-Louis Fabiani86, il faut plutôt envisager ces déclarations comme une forme de politisation de l’écologie scientifique qui s’insère dans un contexte plus large d’interrogations sur le sens et les bienfaits de la société industrielle.
64De fait, la crise écologique n’appartient pas uniquement à l’univers scientifique car il s’agit aussi une réflexion plus large sur les liens que l’homme entretient avec la nature, sur sa dépendance et le danger qu’il court à trop la négliger. Pour reprendre le vocabulaire de Bruno Latour, la crise écologique est donc un « hybride », qui ne relève pas uniquement du monde scientifique ou technique, mais qui participe également du politique et du culturel87. En cela, la crise écologique remet en cause le « grand partage » issu du discours sur la modernité distinguant le savant et le politique, le culturel et le naturel. En brouillant la frontière entre des domaines parfois présentés comme imperméables les uns aux autres, en invitant à établir des liens entre des éléments auparavant disparates, la crise écologique constitue donc une contribution fondamentale à la politisation des questions environnementales dans la France des années 1960. Elle fournit un cadre conceptuel qui fait sens et justifie un militantisme ancien qui accède à une dignité supérieure : il ne s’agit plus seulement de défendre la faune et la flore par sentimentalisme ou par égoïsme mais bien de livrer un combat dont dépend l’avenir de l’humanité.
65Tout comme Jean Rostand, biologiste indépendant qui évolue en marge des institutions officielles, Roger Heim et Jean Dorst cherchent à mettre en garde l’opinion publique et les décideurs sur la gravité de la situation dès les années 1950. Il faut néanmoins souligner l’inflexion notable de leur discours dans la décennie suivante. Progressivement, leurs analyses évoquent moins la situation globale et se concentrent davantage sur le territoire français, ce qui conduit à une évolution notable dans les solutions proposées. Dès lors, la crise écologique est mise en avant pour justifier une implication des scientifiques dans les questions d’aménagement et, plus largement, dans les débats portants sur la définition de l’intérêt général.
Un militantisme renouvelé
66À première vue, la situation de l’écologie française dans les années 1950 et 1960 paraît peu propice à ce que cette discipline joue un rôle décisif dans la définition des politiques publiques ou devienne le fer de lance d’une forme nouvelle de militantisme.
67Depuis l’entre-deux-guerres, l’écologie occupe en effet une place mineure dans la hiérarchie académique des sciences du vivant et fait face à la concurrence de la géographie. Ce n’est ainsi qu’en 1970 que Jean-Pierre Raffin et François Ramade mettent sur pied un enseignement d’écologie à la faculté des sciences de Paris où il n’existait pas en tant que tel88.
68En outre, l’idéal de la science désintéressée, seule condition de sa légitimité, reste très fort comme le rapporte Jean-Pierre Raffin, qui enseigne à la faculté des sciences de Paris à la fin des années 196089. Ainsi, dans les années 1960, malgré l’action vigoureuse de quelques individus comme Roger Heim ou Jean Dorst, l’écologie reste dans l’ensemble peu audible et rétive à s’organiser en groupe de pression90.
69Pourtant, dans une période où l’idée de crise écologique commence à gagner les esprits, certains scientifiques cherchent à peser directement sur les politiques publiques tandis que de nouvelles associations apparaissent. L’apparente contradiction d’une discipline qui peine à trouver sa place dans le champ académique tout en rencontrant un écho toujours plus large dans la société invite à analyser précisément les ressorts de cette nouvelle forme d’engagement. En saisir la portée et les limites doit permettre de mieux comprendre les rapports entre écologie et politique à l’orée des années 1970.
70Paradoxalement, la relative marginalité de l’écologie au sein de l’université française explique que certains écologues soient amenés à insister sur l’utilité sociale de leurs recherches pour les pouvoirs publics. Il s’agit alors d’obtenir en dehors du monde académique les gratifications qu’ils ne peuvent recevoir en son sein.
71En dénonçant le péril de la crise écologique, Roger Heim tout comme Jean Dorst n’entendent pas se faire les prophètes d’une cause perdue, pas plus qu’ils n’ont l’intention d’en faire une analyse uniquement scientifique. Leur objectif est bien davantage d’infléchir l’attitude des citoyens et des pouvoirs publics et de faire valoir l’expertise spécifique des écologues dans le cadre de politiques rationnelles et raisonnées de conservation des ressources. Cette politique de « saine gestion des ressources naturelles91 » n’a pas pour priorité la préservation d’écosystèmes mais une stratégie de développement qui tire parti de la nature sans la détruire. Jean Dorst se dit ainsi convaincu qu’une « bonne entente entre les économistes et les biologistes peut et doit mener à des solutions de bon sens et assurer le développement rationnel de l’humanité dans un cadre en harmonie avec les lois naturelles92 ».
72L’avènement de la Ve République et d’un État aménageur et planificateur offre aux écologues une opportunité de faire valoir leur point de vue. L’appropriation de l’aménagement du territoire par les écologues s’apparente alors à une stratégie de légitimation de leur propre expertise et de leur discipline à laquelle ils peuvent trouver une utilité sociale nouvelle dans un contexte géopolitique en pleine évolution. Évoquant l’usage des produits chimiques, Pierre Aguesse, enseignant à l’université d’Orléans, prend l’exemple de l’implantation d’une papeterie au confluent de la Loire et de l’Allier qui provoque une intense pollution des eaux et entrave le développement des activités de loisir en aval93. Selon l’auteur, les services d’un écologue auraient été très précieux pour évaluer si la plus-value locale liée à la création d’une nouvelle usine était supérieure au manque à gagner consécutif à la diminution des activités touristiques dans toute la région. Une nouvelle alliance devrait se nouer entre les protecteurs de la nature et les planificateurs, qui doivent, selon Jean Dorst, « admettre que l’homme ne peut s’affranchir de certaines règles naturelles94 ».
73L’analyse de Sezin Topçu sur le positionnement des scientifiques critiques à l’égard du nucléaire peut donc également s’appliquer aux écologues qui se situent à mi-chemin entre l’intellectuel universel et l’intellectuel spécifique95. Le premier tient un discours désintéressé, dont la portée se veut universelle : c’est la mise en garde contre la crise écologique ; le second s’appuie sur sa compétence professionnelle pour affirmer la légitimité de son discours. Dans les faits, un certain nombre de scientifiques tentent d’articuler ces deux dimensions avec plus ou moins d’écho.
Tableau 1. – La floraison des associations de protection de la nature en France dans les années 1960.
Nom | Sigle | Date de création |
Société d’Études et de Protection de la Nature en Bretagne | sepnb | 1959 |
Association Fédérative Régionale de Protection de la Nature [Alsace] | afrpn | 1965 |
Comité Régional d’Étude pour la Protection et l’Aménagement de la Nature en Basse-Normandie | crepan | 1968 |
Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature | ffspn | 1968 |
Société pour l’Étude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-ouest | sepanso | 1969 |
Société de Protection de la Nature en Midi-Pyrénées | spnmp | 1969 |
Groupe d’Étude et de Protection des Oiseaux de Picardie | gepop | 1970 |
Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature | frapna | 1971 |
Union Régionale Vie et Nature | urvn | 1971 |
Fédération Nord-Nature | – | 1971 |
Union Centre Atlantique des Associations de Protection de la Nature et de l’Environnement | ucapne | 1971 |
Fédération Limousine pour l’Étude et la Protection de la Nature | FLEPNa | 1975 |
74Le champ de la protection de la nature ne se réduit cependant pas à la seule implication de quelques scientifiques dans les politiques publiques et se traduit également par un profond renouvellement des formes et des structures du militantisme. Au début des années 1960, il existe déjà en France des associations de protection de la nature dont certaines datent du xixe siècle96 mais comme le montre le tableau 1, de très nombreuses organisations apparaissent durant cette décennie, notamment à l’échelle régionale.
75Ces nouvelles structures sont bien souvent des fédérations qui rassemblent à l’échelle régionale des associations plus anciennes qui, sans abandonner leur spécificité, entendent gagner en visibilité et en efficacité97. Cette floraison d’associations est d’autant plus significative qu’elle s’accompagne d’un profond renouvellement du répertoire d’action des adhérents, qui pour un certain nombre d’entre eux du moins, se font militants.
76Le répertoire d’action est un concept sociologique développé par Charles Tilly pour désigner l’ensemble des modes d’intervention auxquels peut avoir recours un acteur pour se faire entendre et défendre sa cause dans un milieu donné98. Les types d’actions potentielles à la disposition des militants ne sont pas infinis et dépendent de certains scripts prédéfinis qui évoluent avec le temps en fonction des contextes politiques, culturelles ou technologiques. Or, au cours des années 1960, les protecteurs de la nature, comme d’autres groupes de pression, découvrent l’utilité des pétitions, des réunions publiques ou encore des recours en justice pour faire valoir leur cause.
77Ainsi, dès 1958, Philippe Lebreton (professeur à l’université de Lyon à partir de 1963) s’inspire d’expériences suisses et anglo-saxonnes pour créer le Groupe Ornithologique Lyonnais qui se mobilise pour la protection des rapaces99. En 1963, il s’investit également dans la défense du marais des Échets (entre Lyon et la Dombes), menacé par un projet d’assèchement : cette longue controverse, qui ne s’achève qu’en 1972, lui apprend à discuter avec les fonctionnaires et les élus, à utiliser à son profit la législation en vigueur, à organiser des réunions publiques et à rédiger des communiqués. Pour les membres de ces associations, souvent des scientifiques ou des enseignants, le militantisme devient donc synonyme d’action et d’apprentissage. En Bretagne, les membres de la SEPBN connaissent une évolution similaire en œuvrant par exemple pour la création d’une réserve ornithologique dans le cap Sizun. Dans ces combats, les militants cherchent autant à convaincre les autorités par des arguments scientifiques qu’à gagner la population à leur cause par des actions d’éducation populaire : cela montre que la démarche des sociétés naturalistes, qui mettent très tôt en avant la dimension pédagogique de leurs activités, n’a pas été oubliée mais réinterprétée dans un sens nouveau. Il ne s’agit plus seulement d’éveiller les individus aux merveilles de la nature mais de les sensibiliser collectivement à la gravité de la crise écologique voire de les pousser à la mobilisation sur des sujets précis.
78À bien des égards, l’affaire de la Vanoise à la fin des années 1960 illustre et couronne des évolutions à l’œuvre durant toute la décennie. En 1968, le promoteur d’un projet de station de ski à Val Thorens envisage de créer une piste de ski sur glacier à l’intérieur du parc national de la Vanoise (Savoie), remettant en cause son intégrité pour des motifs purement économiques100. Aux yeux des associations de protection de la nature, l’affaire est d’autant plus grave qu’elles avaient été associées à la définition des caractéristiques des parcs nationaux lors du vote de la loi de 1960. Elles se mobilisent donc fortement sur ce dossier qui les conduit à se structurer davantage et à gagner en visibilité.
79À l’époque, les associations françaises n’ont certes pas une organisation aussi professionnalisée que leurs consœurs anglo-saxonnes, qui font notamment appel à une main-d’œuvre salariée non négligeable et mènent des campagnes de sensibilisation de grande ampleur. Néanmoins, la Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature (FFSPN) joue un rôle fondamental de coordinateur de la campagne au niveau national. Jean-Pierre Raffin, alors doctorant en science naturelle, est officieusement détaché auprès de l’association, à plein-temps et avec l’accord de son directeur de recherche, pour s’occuper des questions logistiques101. Par ailleurs, Jean Carlier, alors directeur du service des informations à RTL, utilise sa position et ses relations dans les médias pour alerter l’opinion102. Les associations mobilisent leurs membres, organisent des réunions publiques, font signer des pétitions et introduisent des recours en justice dans une campagne finalement victorieuse. En 1970, au grand soulagement des associations, Georges Pompidou réaffirme le principe d’inviolabilité du parc. Par son retentissement national et par la mobilisation de la toute jeune FFSPN, l’affaire de la Vanoise contribue donc à l’intégration d’un nouveau répertoire d’action par les défenseurs de la nature et couronne une décennie d’évolution dans ce domaine.
80Plus largement, les évolutions de l’action militante durant les années 68 contribuent à transformer la démarche des protecteurs de la nature dont certains élargissent leurs préoccupations en vivant « le conflit avec la société de manière frontale103 ».
81C’est le cas de la SEPANSO fondée en 1969 au sein de laquelle de nouveaux membres plaident rapidement pour une action plus conflictuelle sur le terrain vis-à-vis des pollueurs. On peut citer parmi ces nouveaux venus Bernard et Simon Charbonneau, Michel Rodes, l’un des piliers de la SEPANSO Béarn, ou encore Max Crouau104. En août 1972, ces derniers distribuent des tracts aux touristes sur la plage d’Arcachon en dénonçant, chiffres officiels à l’appui, l’état bactériologique des eaux de baignades. Le même mois, ils organisent, avec l’appui de l’APRI et du Comité de Sauvegarde de la Côte Aquitaine, une marche antipollution contre l’immersion de déchets radioactifs à 1000 km au large d’Arcachon qui rassemble 1500 personnes.
82Ces associations permettent d’amener vers l’écologisme des militants qui correspondent au profil du jeune Noël Mamère. Né en 1948, le futur membre député-maire écologiste de Bègles reste « imperméable à la déferlante des mouvements inspirés de la « contre-culture » américaine ainsi qu’aux signes avant-coureurs de Mai 68 » et « ne se sens nullement gauchiste105 ». Ce n’est donc pas par l’intermédiaire du gauchisme culturel ou politique qu’il se rallie à l’écologisme mais par une radicalisation de la démarche de protection de la nature. Il rejoint alors le Comité de Sauvegarde de la Côte Aquitaine, animé par Bernard Charbonneau, et collabore avec la SEPANSO en produisant deux documentaires militants sur la vallée de la Dordogne et sur la défense du cadre de vie en Aquitaine.
83Par ailleurs, contrairement à l’idée reçue qui établit une nette distinction entre une démarche politique d’un côté et associative de l’autre, bon nombre de militants écologistes des années 1970 font leurs premières armes au sein des associations de protection de la nature au cours de la décennie précédente, favorisant des hybridations fructueuses dans les répertoires d’action.
84Il n’est pas rare qu’un militant soit à la fois membre d’une association de protection de la nature et d’un mouvement plus explicitement politisé (on le qualifie alors de multipositionné106) : les convergences entre les deux champs s’en trouvent alors facilitées. L’exemple alsacien est particulièrement révélateur des liens durables qui s’établissent dès le milieu des années 1960 entre protecteurs de la nature et militants plus investis en politique. En 1965, plusieurs naturalistes et universitaires strasbourgeois, dont Roland Carbiener, Henri Ulrich et Henri-Jean Maresquelle, créent l’Association Fédérative Régionale de Protection de la Nature [AFRPN] pour œuvrer à la sauvegarde du patrimoine et des ressources naturelles de la région107. Solange Fernex et Antoine Waechter, par la suite des figures de l’écologisme alsacien, participent à ses instances décisionnelles dès la fin des années 1960. Solange Fernex devient ainsi membre du Conseil d’Administration du Fonds Français pour la Nature et l’Environnement, présidé par Jean Sainteny, puis présidente de l’AFRPN du Haut-Rhin en 1974108. De même, Antoine Waechter fonde à seize ans sa première association, une antenne locale des Jeunes Amis des Animaux avant d’être élu en 1969 président départemental de l’AFRPN tout en poursuivant des études d’ingénieur écologue109. L’importance de ces liens se vérifie dans le fait que le Comité de Sauvegarde de Fessenheim et de la Plaine du Rhin [CSFR], investit dans la lutte contre la centrale de Fessenheim dès 1970, soit par ailleurs membre de l’AFRPN, ce qui montre le caractère mouvant de la frontière entre le mouvement associatif à fondement scientifique et la démarche plus explicitement politisée.
85Dans d’autres situations, l’adhésion à une association de protection de la nature peut être une étape dans un parcours militant, constituant une période de formation et de maturation des convictions. L’exemple d’Alain-Claude Galtié, membre des Amis de la Terre de 1971 à 1974, est sur ce point révélateur110. De sensibilité libertaire, il décide d’œuvrer à la suite de Mai 68 à l’émergence d’une société à la fois plus proche de la nature et organisée sur des principes antiautoritaires. À la recherche d’une structure militante pour concrétiser ses aspirations, il adhère à Jeunes et Nature, nouvellement créée par François Lapoix. Devenu un membre actif de cette association, Alain-Claude Galtié se rend fréquemment au Muséum et encadre des classes d’élèves pour des sorties dans la nature. Rétrospectivement, il considère ce passage dans cette association comme une période de formation au contact de personnes détenant un savoir en sciences naturelles et en écologie difficile à acquérir à l’époque faute de documentation accessible.
86Insatisfaits de l’organisation hiérarchisée de l’association et désireux d’aller plus loin dans la contestation du système social, plusieurs militants de Jeunes et Nature, dont Alain-Claude Galtié, décident d’organiser une Semaine de la Terre en 1971 sur le modèle du Earth Day américain du 22 avril 1970. Le relatif succès de cette manifestation les conduit à rejoindre les Amis de la Terre en septembre 1971. Dans ce cas, les associations de protection de la nature font office de propédeutique au militantisme écologiste, apportant à la fois une formation pratique (rapports aux médias, organisation et animation d’une réunion publique) et théorique.
87Michelle Zancarini-Fournel et Xavier Vigna ont souligné combien les années 68 sont propices à des « rencontres improbables » entre ouvriers, paysans et étudiants111. À la faveur d’épisodes de contestation et du fait de la multipositionnalité de certains acteurs, les frontières sociales traditionnelles se font plus poreuses. C’est dans ce contexte que des liens se nouent entre les protecteurs de la nature et des militants plus politisés, contribuant à l’émergence du champ de l’écologisme.
88Plus largement, les transformations du territoire français, l’investissement de certains scientifiques dans le débat public ou encore le renouveau des associations de protection de la nature contribuent à renouveler la question toujours ouverte depuis le xixe siècle des rapports entre connaissance et protection de la nature, entre science et politique. Sur le plan conceptuel, il s’agit de redéfinir la protection de la nature dans un contexte d’industrialisation et d’urbanisation, ce qui peut passer par l’adoption de la notion d’environnement ou par la mise en avant de l’idée de crise écologique. Dans ce processus, la nouvelle représentation du territoire français, ramené à un hexagone fortement anthropisé, en quelque sorte vulnérable car confiné, constitue un facteur important dans la réflexion de ces acteurs. Sur le plan pratique, il faut imaginer des instruments, administratifs ou militants, capables d’avoir un impact concret sur la situation.
89Cependant, de même que l’écologisme n’est pas uniquement inspiré par les évolutions propres aux États-Unis, de même on ne saurait considérer que les seules alarmes des scientifiques et des hauts fonctionnaires amènent un type nouveau de militantisme. Pour autant, à l’aube des années 1970, ces acteurs n’entendent pas remettre en cause la société toute entière ni même la modernisation du pays mais tout au plus en corriger les travers. Une telle position, qui se veut réaliste, mesurée et efficace, suscite bientôt nombre d’insatisfactions parmi des militants qui souhaitent mener une action plus radicale. Dans ce bouillonnement social, culturel et militant des années 68, l’écologisme se constitue à partir d’apports très divers, ce qui démontre l’ampleur et la complexité du tournant environnemental dans la société française des années 1960 et 1970.
Le bouillonnement idéologique des années 68
90Pour de nombreux auteurs, la cause est entendue : l’écologie, du moins dans sa version politique, serait une fille de Mai. Au-delà de l’apparente simultanéité chronologique, cette analyse repose avant tout sur le parcours de plusieurs futures figures des mouvements écologistes. Avant de devenir l’un des animateurs des Amis de la Terre, Brice Lalonde est président de la Fédération des groupes d’études de lettres de la Sorbonne et participe à Mai 68 au sein du MAU (Mouvement d’Action Universitaire)112. De même, Yves Cochet se souvient qu’il « a connu toute la faune de l’extrême-gauche, tous les maoïstes, les trotskistes, etc. » lors des événements113. Il est par ailleurs indéniable qu’à l’occasion de Mai 68, certains thèmes ultérieurs de l’écologisme acquièrent un écho inédit : la critique de la société de consommation, la dénonciation de l’aliénation et des destins tout tracés auraient été décisives dans le passage de la simple protection de la nature à l’écologisme, de l’analyse des écosystèmes à la société dans son ensemble114.
91Pour autant, le lien direct entre Mai 68 et les mouvements écologistes semble trop ténu pour être considéré comme véritablement central. D’une part, au sein des militants écologistes, cette centralité soixanthuitarde n’est en rien systématique. Antoine Waechter, alors étudiant à Strasbourg ne participe pas à Mai 68 car il est rebuté par ce qu’il nomme le « terrorisme intellectuel dans les assemblées générales115 ». De même, le parcours militant de Solange Fernex, il est vrai plus âgée et vivant en milieu rural, est bien davantage marqué par le christianisme que par les situationnistes et il n’est fait aucune référence à Mai 68 dans sa biographie116. Enfin, on chercherait en vain dans les slogans de Mai 68 des références directes à la préservation des écosystèmes ou aux nouvelles relations entre l’homme et la nature117.
92De fait, pour comprendre pleinement la genèse de l’écologisme, il semble nécessaire de dépasser Mai 68 en tant qu’événement pour replacer cet événement dans une perspective chronologique et spatiale plus large. La notion d’« années 68 » invite à lever les yeux au-delà d’un épisode longtemps envisagé comme un éclair dans un ciel sans nuage en s’intéressant à une période allant du début des années 1960 à la fin des années 1970 et pensée comme un ensemble chronologique cohérent marqué par une forte conflictualité sociale, d’intenses affrontements idéologiques et politiques et une effervescence culturelle multiforme118.
93Cette attention prêtée à la circulation des pensées critiques, envisagées globalement, peut faciliter la compréhension de la genèse théorique et militante de l’écologisme en insistant sur les décloisonnements fondateurs. Ainsi, des pensées hétérodoxes marginalisées après la Seconde Guerre mondiale sont redécouvertes et enrichies de thèmes nouveaux tels que la nature, l’environnement ou encore le cadre de vie.
Le retour d’une critique « personnaliste » du progrès
94Les années trente, secouées par des crises politiques et économiques majeures, sont propices à l’émergence d’une critique radicale du progrès. C’est notamment durant cette période qu’émerge le « personnalisme gascon119 », critique originale de la société industrielle menée au nom du sentiment de nature par Bernard Charbonneau et Jacques Ellul, deux représentants de ces relèves des années trente s’inscrivant dans une mouvance spiritualiste proche d’Esprit120. Dans la même période, d’autres intellectuels, tels que Denis de Rougemont, font le procès du machinisme, de l’américanisation de la société et de la négation de personne humaine.
95Dans ces conditions, il serait tentant de faire de ses hommes des précurseurs voire des inspirateurs des mouvements écologistes des années 68. C’est le point de vue de Jean Jacob dans Le retour de l’« Ordre Nouveau121 ». Selon lui, Mai 68 aurait permis aux théories conservatrices exprimées dans l’entre-deux-guerres de revenir sur le devant de la scène sous une apparence progressiste au travers d’une critique renouvelée de la modernité et d’un éloge de la communauté dont l’association Écoropa, fondée en 1976 et présidée par Denis de Rougemont, aurait été le porte-drapeau122. À l’inverse, Bernard Charbonneau a remis en cause l’importance de sa propre contribution à l’émergence de l’écologisme français en déclarant que « si nous avions pu nous y consacrer, ce n’est pas en Californie, mais à Bordeaux que le mouvement, étiqueté plus tard écologiste, aurait pris racine […] Notre échec a été celui de tous les précurseurs123 ».
96En s’intéressant davantage aux flux et aux reflux de la réception des idées des relèves des années 1930 qu’aux doctrines proprement dites, il devient possible de transformer les termes de ce débat pour ainsi contribuer à l’éclairer.
97Dans les années 1930, Ellul et Charbonneau sont parmi les intellectuels qui consacrent la plus large part de leur réflexion à l’idée de nature. C’est durant cette décennie qu’ils mûrissent leur pensée tout en s’intégrant à des réseaux intellectuels nationaux de premier plan124. Les deux hommes participent ainsi au mouvement personnaliste en formant un groupe régional Esprit dans le sud-ouest de la France entre 1934 et 1937. Évidemment liés à la revue éponyme lancée par Emmanuel Mounier, ils sont également proches d’Ordre nouveau qui rassemble Alexandre Marc, Denis de Rougemont ou encore Claude Chevalley, futur animateur de Survivre et Vivre. Au-delà des différences souvent notables qui séparent ces groupes, tous entendent remettre en cause les idéologies en place : la crise économique, dont beaucoup considèrent qu’elle signe la fin du capitalisme, l’impuissance de la classe politique, le sentiment lancinant de déclin et de crise de la culture européenne contribuent à remettre en cause l’idée de progrès.
98Dans ce contexte intellectuel, Ellul et Charbonneau prônent de concert une « révolution personnaliste » qui garantisse la liberté de chacun au sein d’une communauté choisie et dans un cadre fédéral. L’originalité de leur pensée réside dans l’accent mis sur la nature et le rôle de la technique. Bernard Charbonneau réfléchit ainsi aux relations entre l’homme et la nature en soulignant les implications politiques de la « grande mue » provoquée dans la condition humaine par les progrès techniques125. C’est dans cette perspective qu’il fait paraître en juin 1937 un article intitulé « Le sentiment de nature, force révolutionnaire126 ». Il y évoque notamment le scoutisme, qu’il a personnellement pratiqué dans les années vingt au sein des Éclaireurs unionistes, expérience qu’il réédite par la suite avec Ellul. Loin de ne constituer qu’une échappatoire illusoire à l’avancée de la société technicienne, cette pratique serait le ferment possible d’une « révolution personnaliste » reposant sur une quête indissociable de nature et de liberté. Ainsi, dès cette époque, la pensée de Charbonneau constitue une critique du modernisme, défini comme la traduction agressive, prométhéenne et suffisante de la modernité127.
99Quant à Ellul, il commence au travers du personnalisme une réflexion sur la technique qu’il poursuit une grande partie de sa vie. Dans les « Directives pour un manifeste personnaliste », manifeste en quatre-vingt-trois points coécrit avec Charbonneau, rédigé en 1935 ou 1937, il définit la technique comme un « procédé général », source de gigantisme et de productivisme, et tendant à devenir une fin en soi et non pas un simple moyen industriel neutre. Là encore, à ses yeux, seule la révolution personnaliste pourrait garantir la liberté de l’homme.
100Quelques années durant, le contexte intellectuel et politique paraît propice à une réception positive de la pensée d’Ellul et Charbonneau. Pourtant, le reflux est rapide et profond et l’éclipse ne prend véritablement fin qu’avec les années 1968.
101Dès 1937, Ellul et Charbonneau rompent avec Esprit128. Trop centralisateur et parisien, ce mouvement ne sera pas la fédération souple de groupes locaux révolutionnaires et œuvrant à un changement radical dans la vie quotidienne qu’ils appelaient de leurs vœux. Sur le fond, ils reprochent surtout au groupe d’Emmanuel Mounier d’être trop naïf à l’égard des implications sociales et politiques de la technique129. Sollicité par Emmanuel Mounier en septembre 1945 pour collaborer à nouveau à Esprit, Charbonneau refuse en soulignant combien sa propre définition du progrès diffère de celle de son interlocuteur. Charbonneau s’attache en effet à dissocier le développement de la technique du véritable progrès qui doit créer pour l’homme les conditions de sa liberté et développer sa puissance d’action personnelle. Toute autre est la position d’Emmanuel Mounier qui dénonce dans une série de conférences données au sortir de la guerre les prophètes de malheur qui se complaisent dans l’idée de décadence et maudissant la machine au nom de la nature. Certain que l’angoisse de l’avenir a toujours conduit les hommes à rejeter la nouveauté technique, Mounier estime que le catholicisme doit désormais penser le progrès de manière positive sans se réfugier dans l’esprit de catastrophe, rompant au passage avec les positions exprimées par Esprit dans les années trente.
102Les différences d’appréciation entre les deux auteurs sont donc nettes et révèlent combien le climat politique et intellectuel à la Libération est peu favorable à la circulation des positions d’Ellul et Charbonneau. La découverte du marxisme par toute une génération intellectuelle n’y est pas étrangère. La mystique du prolétariat comme agent historique de la transformation de la société, le prestige de l’Union Soviétique, l’attrait du marxisme comme théorie scientifique donnent en effet un coup de jeune à l’idée de progrès cependant que l’urgence de la reconstruction, puis le retour de la croissance économique, redonnent foi dans le productivisme. Dès lors, la pensée d’Ellul et Charbonneau devient pour le moins hétérodoxe.
103Ce n’est qu’au début des années 68 que les deux hommes sortent peu à peu de leur marginalité intellectuelle. Pour autant, ils ne sont alors pas considérés comme des précurseurs appelés à inspirer une nébuleuse écologiste à peine émergente. Dans les années 1960, ils apparaissent bien davantage comme des « éveilleurs130 ». Sans être nécessairement sur le devant de la scène médiatique, l’éveilleur marque de son enseignement et de sa pensée de jeunes esprits pour qui cette rencontre représente alors un moment-clé dans leur parcours militant et intellectuel. Cette influence peut également se manifester par une sociabilité spécifique. Ainsi, alors que la notion de précurseur confine l’analyse à une étude des textes, celle d’éveilleur amène à s’interroger sur les mécanismes de circulation de cette influence et les conditions de sa réception.
104Dans Mes vertes années, Noël Mamère raconte comment, jeune étudiant issu d’une famille catholique de Libourne, il fait la connaissance à l’université de Bordeaux de Simon Charbonneau, fils de Bernard Charbonneau, recruté comme assistant de droit en 1969. Il participe alors aux « camps du Boucau », sorte de séminaires de réflexion organisés par la famille Charbonneau, consacrés aux problèmes d’environnement, de développement ou encore à la question de la liberté.
« Nous refaisions le monde et passions en revue les actions prioritaires auxquelles nous devions impérativement nous atteler. Je baignais dans cette effervescence avec bonheur. J’avais pour ainsi dire trouvé mon “biotope” et aussi le plaisir de débattre tout en me nourrissant de la pensée des autres, ce qui devait être la base de toute pensée politique. Sous l’influence de Bernard, devenu mon père spirituel, je pouvais développer et cultiver sans complexe ce qui m’avait jusque-là fait défaut : un esprit critique131. »
105Le témoignage de Noël Mamère atteste du caractère marquant de cette rencontre et permet de mieux saisir le rôle de Bernard Charbonneau. Il ne s’agit pas seulement de délivrer un message mais de nouer un dialogue, et ainsi de faire mûrir des convictions militantes. La relation entre un maître et son disciple ne passe alors pas par des liens hiérarchiques mais par une admiration reconnue et une réelle proximité humaine.
106Noël Mamère n’est pas la seule personne durablement marquée par sa rencontre avec Bernard Charbonneau. Très impliqué dans les activités de la SEPANSO dans les années 1970, Michel Rodes raconte qu’il assiste pour la première fois à une conférence de Bernard Charbonneau en 1965. Il noue alors des relations étroites avec la famille Charbonneau dont il fréquente assidûment la table le dimanche.
« Le maître des lieux avait toujours mille sujets de réflexions, de méditations, de diatribes, fournis par l’actualité. On le sait, il avait souvent un thème qui le préoccupait et il dissertait un peu longuement sur la question, alertant l’entourage sur la gravité du phénomène dénoncé. Surtout, il attirait notre attention sur les mécanismes de la grande mutation : des mécanismes à la fois profonds et implacables. Puis, B.C. passait assez vite sur un autre registre plus souriant appréciant les dons de la campagne, le bon repas, les palombes, les cèpes ou les plats savamment cuisinés132. »
107Durant les années 68, d’autres figures des relèves des années 1930 renouvellent ou réactualisent leurs réflexions antérieures à la lumière de la crise écologique. C’est notamment le cas d’Armand Petitjean (1913-2003) dont la contribution à la genèse intellectuelle de l’écologisme français, bien que discrète, ne doit pas être négligée. Héritier des parfumeries Lancôme, jeune écrivain prometteur, il entre à la rédaction de La Nouvelle Revue Française en 1935133. Sa carrière littéraire, qui s’annonce brillante, est irrémédiablement compromise par sa fascination pour le fascisme et sa participation à la presse collaborationniste, notamment à la NRF dirigée par Drieu La Rochelle. À la mort de son père, la vente de Lancôme à L’Oréal en 1964 lui assure une totale indépendance matérielle. Durablement marqué par le souvenir d’Hiroshima, il se consacre alors entièrement à une réflexion sur les causes et les conséquences de la volonté de puissance de l’Occident. Dans les années 1960, il découvre l’écologie par la lecture d’auteurs anglo-saxons et voit dans cette nouvelle approche de l’homme une source de réponses à ses questions134.
108La contribution d’Armand Petitjean à l’écologisme français est rarement évoquée car ses activités, discrètes, sont avant tout intellectuelles et éditoriales. Il crée ainsi chez Fayard une collection entièrement dédiée à l’écologie où il publie Paul Ehrlich, René Dubos ou encore le Plan pour la survie d’Edward Goldsmith135. Par ailleurs, il édite Quelles limites ?, qui se veut une réponse au rapport du Club de Rome, dans une autre collection qu’il anime au Seuil. Par la suite, l’association Écoropa, dans laquelle il joue un rôle discret mais non négligeable136, lui permet dans la seconde moitié des années 1970 de rencontrer de nombreux intellectuels intéressés par les questions écologiques, notamment Jacques Robin avec lequel il participe au groupe Transversales137.
109Autre intellectuel issu des relèves des années trente, Denis de Rougemont est également interpellé par la crise écologique dans les années 1970, au point de s’intéresser aux travaux du Club de Rome et d’y consacrer un essai, L’avenir est notre affaire, paru en 1977138. Considérant que la dignité de la personne doit être le fondement de toute communauté politique véritable et que celle-ci ne peut s’épanouir que dans le cadre de la région, Denis de Rougemont considère que seule celle-ci pourra réguler les pollutions et mettre en œuvre un programme de développement des énergies renouvelables adapté à chaque situation139.
110Enfin, il faut signaler la contribution de Bertrand de Jouvenel, autre penseur marqué par les relèves des années 1930, à cette réflexion collective, dans une perspective « réaliste » et non « spiritualiste ». Cet économiste atypique est en effet le premier à employer l’expression « écologie politique » en 1957, prolongeant ainsi des remarques antérieures sur les limites de l’économisme ; il insiste tout particulièrement sur l’épuisement des ressources et le traitement des déchets dans un globe terrestre fini140. Il ne semble cependant pas entretenir de contacts directs avec les militants qui constituent les mouvements écologistes des années 1970.
111En définitive, durant les années 68, quel est l’écho des idées des relèves des années trente ? De fait, à mesure que survient une relative déprise intellectuelle du marxisme et que la critique de la vie quotidienne et des normes sociales gagne en ampleur, celles-ci semblent faire l’objet d’une attention nouvelle141. À sa parution, L’avenir est notre affaire connaît ainsi un certain retentissement au sein de la nébuleuse, au point de devenir un slogan scandé dans les manifestations antinucléaires et de figurer sur le fronton d’une bergerie érigée au début des années 1980 à Plogoff142.
112Faut-il pour autant voir dans l’écologisme naissant le « retour de l’Ordre Nouveau » ? Une telle vision des choses paraît douteuse dans la mesure où la critique personnaliste du progrès ne constitue qu’une déclinaison parmi d’autres de la floraison d’une floraison propre aux années 68 qui conduit à une réflexion et une action nouvelle autour des enjeux environnementaux.
La deuxième gauche, les années 68 et les questions urbaines
113Nébuleuse diverse et éclatée dans laquelle gravitent des syndicalistes (principalement issus de la CFDT), des clubs – dont le plus connu est sans conteste le club Jean-Moulin –, ainsi que le PSU, la deuxième gauche trouve sa cohérence fondatrice dans le combat contre la guerre d’Algérie puis, celle-ci achevée, dans la volonté de définir un socialisme moderne et réformiste plus attentif à la société civile qu’à l’exégèse du marxisme143.
114En cherchant à être en prise directe avec les défis posés par la société industrielle et d’abondance, la deuxième gauche affirme que la classe ouvrière et l’usine, pour importantes qu’elles soient, ne sont plus nécessairement centrales dans le processus de transformation de la société144. Ce courant rencontre alors des mouvements sociaux investis dans la contestation des pratiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire, suscitant l’émergence de nouvelles notions appelées à irriguer l’écologisme des années 1970.
Vers une politisation de l’espace
115Après l’avènement de la Ve République, certains militants ancrés à gauche s’inquiètent de l’émergence d’un mode de gouvernement fondé sur la technocratie plutôt que sur la délibération de l’ensemble des citoyens. Craignant que les besoins réels des populations ne soient négligés, que leurs aspirations ne soient pas entendues, que l’aliénation soit leur seul horizon, ils posent progressivement les bases idéologiques et intellectuelles d’une politisation de l’espace aux multiples facettes.
116L’une de ces facettes est l’articulation entre expertise et démocratie145. Cette question est tout particulièrement travaillée par le club Jean-Moulin dont les membres, souvent universitaires, hauts fonctionnaires ou encore ingénieurs, sont particulièrement sensibles au risque de dérive technocratique. Pour conjurer la perspective d’un gouvernement par les experts qui marginaliserait le rôle du citoyen dans le système démocratique, ils entendent promouvoir la participation de celui-ci à l’ensemble des décisions le concernant via les corps intermédiaires et dans le cadre d’un État décentralisé. Une telle organisation permettrait d’aller au-delà de la seule démocratie représentative en promouvant l’information et la concertation des citoyens, organisées et mises en forme par les associations, les syndicats et les experts.
117Les similitudes avec certaines revendications ultérieures des écologistes ne sont pas fortuites car certains acteurs font le pont entre deux mondes. Le philosophe André Gorz adhère ainsi au Club à la fin de l’année 1958146 avant de devenir l’un des piliers du journal Le Sauvage et l’un des inspirateurs des Amis de la Terre de Paris. De même, le psychosociologue Serge Moscovici, sans être membre du Club, participe à sa sociabilité informelle, en passant notamment des vacances à Cadaquès avec d’autres membres dès l’été 1958. À partir du milieu des années 1960, il se lance dans une réflexion sur la place de la nature dans les sociétés avant de rejoindre les Amis de la Terre de Paris. Il en va de même pour Serge Mallet, l’un des contributeurs essentiels du livre phare du club Jean-Moulin, L’État et le citoyen. Avant sa disparition prématurée en 1973, il s’investit dans la défense des minorités nationales et participe à la contestation de l’aménagement de la côte aquitaine ; en 1971, il cofonde un groupe qui se donne pour objectif d’étudier les nuisances de la société industrielle en s’inspirant des méthodes de Ralph Nader147.
118S’il est excessif de voir dans le Club Jean-Moulin une organisation environnementaliste, sa réflexion sur la démocratie dans une société marquée par l’abondance et le poids de l’expertise ouvre néanmoins une voie qui sera arpentée par certains mouvements écologistes sensibles à la question de la participation des citoyens à leur environnement.
119Les propositions du club Jean-Moulin se veulent, en apparence du moins, détachées des querelles idéologiques en insistant sur les procédures et les pratiques permettant une démocratie renouvelée. Au sein de la nébuleuse de la deuxième gauche, d’autres penseurs orientent leur réflexion dans une direction plus explicitement politique et particulièrement critique à l’égard de l’urbanisme de l’ère gaullienne.
120C’est notamment le cas du philosophe et sociologue Henri Lefebvre qui, une fois nommé professeur de sociologie à l’université de Strasbourg en 1961, entreprend un dialogue fructueux avec Guy Debord et les situationnistes autour de la question de la ville et l’espace148. Il aboutit alors à une critique de la société de consommation et de la modernité telle qu’elle est promue voire incarnée par le pouvoir gaulliste. De fait, selon Lefebvre, l’espace n’est pas neutre mais un produit politique ; l’urbanisme n’est pas une opération purement technique mais un instrument au service d’une idéologie149. Lefebvre dénonce donc très tôt les grands ensembles, considérant que ce type d’habitat génère sciemment l’ennui et l’individualisme pour cultiver la passivité des citoyens et favoriser leur aliénation faisant ainsi le jeu du pouvoir. Dès lors, à ses yeux, la lutte des classes et la contestation sociale peuvent et doivent investir ce nouveau terrain : l’usine ne doit plus être le seul lieu des luttes sociales.
121Dans un ouvrage éponyme, Lefebvre revendique le « droit à la ville150 », c’est-à-dire une réelle appropriation par les habitants de leur condition de citadins. Dans l’esprit du sociologue, les habitants doivent avoir toute latitude pour aménager et gérer leur espace dans une perspective ludique qui fasse la part belle à l’imprévu.
122Henri Lefebvre n’a bien évidemment pas le monopole de ces réflexions et, dans le sillage de Mai 68, la thématique de la crise urbaine est de plus en plus investie par les sociologues de l’urbain, conduisant à une remise en cause de l’État aménageur au nom d’une autre approche de l’espace. Dans La question urbaine parue en 1972, Manuel Castells évoque ainsi les mouvements sociaux urbains et les revendications environnementales tout en reconnaissant manquer de recul pour juger de phénomènes à peine émergents151.
123Troisième acteur essentiel de cette deuxième gauche, la CFDT contribue à la politisation des questions spatiales au travers de deux notions originales, la planification démocratique d’une part et le cadre de vie de l’autre.
124La planification démocratique est une tentative pour penser un autre mode de développement rompant avec les logiques productivistes et financières prévalant sous la République gaullienne152. L’attention portée à la personne humaine, tout comme l’importance accordée à l’idée de subsidiarité, dessinent une généalogie intellectuelle qui remonte au personnalisme des années trente et à la doctrine sociale de l’Église dont la CFTC se fait le relais dans les années 1950153. Devenue CFDT en 1964, le syndicat s’engage progressivement à gauche et insiste sur la maîtrise publique de l’investissement ainsi que sur l’élaboration démocratique des objectifs de consommation.
125Au-delà de la notion de planification démocratique, la CFDT est également la matrice d’une réflexion intéressante autour du cadre de vie, qui traduit une aspiration à intervenir non seulement dans les conflits du travail mais également en dehors au tournant des années 1960 et 1970. Dans une note anonyme de juillet 1970, le cadre de vie est défini comme « la prise de conscience de plus en plus grande de l’importance pour la construction de la personnalité de chaque être humain de l’ensemble des éléments composant le milieu dans lequel il vit154 ». Un groupe de travail « cadre de vie » est alors chargé de réfléchir sur cette notion qui, à l’issue de ces discussions, est envisagée comme « un problème politique155 ». Ainsi, après plusieurs mois de réflexion et de discussion entre militants, la CFDT envisage le cadre de vie comme une approche nouvelle regroupant des problèmes apparemment divers (pollution, répartition des activités, exode rural, urbanisation) mais au travers de laquelle sont abordés des enjeux essentiels tels que les relations entre les travailleurs et les consommateurs ou encore la dignité de la personne et du travailleur dans la société industrielle156.
126Au cœur des années 68, la politisation de l’espace apparaît donc comme un phénomène complexe impliquant un travail de définition et de montée en généralité, la création de structures adaptées mais aussi l’intégration des nouveaux enjeux dans l’histoire, l’idéologie et les pratiques plus anciennes de l’organisation. Le compte rendu de la commission confédérale « cadre de vie » de la CFDT rappelle ainsi que le secteur « Action sociale et Cadre de vie » est né d’actions inédites qu’il s’appuie aussi sur les acquis de la commission « Habitat », plus ancienne. Pour faire accepter le nouvel enjeu par les adhérents et les militants, il faut donc aussi l’intégrer dans une continuité plus ou moins fictive.
127Cette politisation de l’espace n’est en rien univoque : par son ambition de concilier modernité, démocratie et expertise, elle hésite entre technocratie éclairée et aspiration plus radicale à une révolution de la vie quotidienne. Néanmoins, par son appel à un nouveau civisme, par les réflexions qu’elle suscite sur la maîtrise de la technique ou la formulation des besoins, la politisation de l’espace menée par la deuxième gauche influence un certain nombre d’écologistes des années 1970.
L’invention militante de l’environnement
128À partir de sources d’inspirations aussi diverses que le personnalisme catholique ou le marxisme rénové, l’espace, la ville, les loisirs sont autant de phénomènes réinterprétés dans un sens politique au cours des années 1960. Dans une période où les partis de la gauche non-communiste sont affaiblis, d’autres groupements, dont le principal, sinon unique, dénominateur commun est de chercher à se distinguer des structures partidaires jugées sclérosées, se saisissent de ces enjeux pour en faire un axe de leur militantisme. Ils contribuent ainsi à une « politisation informelle157 » des enjeux environnementaux dans une période où ceux-ci sont encore très largement ignorés des programmes politiques.
129Les GAM (Groupes d’Action Municipale) sont un acteur essentiel de ce processus. Ces associations locales, constituées à l’échelle d’une ville ou d’une métropole, apparaissent dans les années 1960 et se développent tout au long de la décennie à tel point qu’on en compte près de 150 en 1971158. Appelant à une gouvernance démocratique des questions liées à l’urbanisme, à l’aménagement du territoire et au cadre de vie, ces associations expriment les préoccupations des classes moyennes face à la croissance démographique et spatiale des villes. Cette situation pose en effet des problèmes d’inadaptation des équipements collectifs, de congestion des centres et d’augmentation des nuisances – par exemple à Chambéry, Valence ou encore à Hérouville-Saint-Clair. En règle générale, les GAM sont essentiellement composés d’individus souvent syndiqués, politisés et orientés à gauche bien que leurs rapports avec les appareils politiques soient souvent délicats.
130En 1965, certains groupes présentent des listes aux élections municipales en mettant l’accent sur la nécessité d’une autre gestion municipale faisant la part belle à l’engagement citoyen. À Valence ou encore à Chambéry, les GAM obtiennent des résultats appréciables ; à Grenoble, Hubert Dubedout, animateur de la liste, parvient même à conquérir la mairie avec l’appui du PS et du PSU159. À la lisière des mouvements sociaux et de la gestion politique classique, la municipalité Dubedout contribue alors à une invention militante de l’environnement s’inscrivant dans la perspective d’un socialisme réformiste, reposant sur le savoir-faire des classes moyennes diplômées.
131Durant son premier mandat (1965-1971), Hubert Dubedout affirme ainsi sa volonté de confier à ses habitants la maîtrise de l’aménagement de la ville, en envisageant celle-ci comme un tout qui inclurait les zones périphériques jusqu’alors négligées. La création d’une Agence d’urbanisme doit permettre à la population de proposer des projets privilégiant les espaces civiques et les relations interpersonnelles. Au bout de quelques années, cette démarche avant tout urbanistique commence à prendre en compte la question des nuisances puis de l’environnement160. Ce dernier terme est employé à partir de 1970 dans La revue municipale de Grenoble qui propose, dans le numéro d’octobre, un dossier intitulé « Vivre ou Survivre à Grenoble » où sont évoqués les pollutions de l’air, de l’eau ainsi que le bruit161. Désormais, les diverses formes de pollutions sont envisagées comme autant de manifestations d’un problème global qui doit faire l’objet de politique publique spécifique. Si Grenoble constitue un cas particulier du fait de l’influence directe du GAM sur la gestion municipale, cette mouvance dans son ensemble est révélatrice de la manière dont l’aspiration à la participation accrue des citoyens contribue à la construction de la notion d’environnement.
132À la même époque, au sein des mouvements syndicaux et tout particulièrement au sein de la CFDT, des actions sont menées sur le terrain au nom de la défense du cadre de vie, sans nécessairement être impulsées par les instances syndicales nationales. Un « environnementalisme ouvrier » s’affirme alors en cherchant à dépasser les seules luttes liées aux conditions de travail pour y adjoindre les conditions de vie162.
133Ainsi, un tract de l’Union de la Région Parisienne-CFDT, daté de 1965, dénonce les conditions de vie devenues intenables dans la capitale163. Intitulé « Mieux vivre à Paris », il insiste sur la lenteur et l’inconfort des transports collectifs alors que le temps nécessaire pour se rendre de son domicile à son lieu de travail ne cesse d’augmenter. Un autre tract évoque quant à lui un air pollué par les fumées et les poussières et la rareté des espaces verts dont les travailleurs sont les premiers à pâtir164. Un dépoussiérage efficace de l’ensemble des cheminées d’usine est exigé, de même que l’installation d’appareils pour détruire les gaz nocifs et la construction de centrales thermiques moins polluantes.
134À la même époque, sur les rives de l’Erdre, en amont de Nantes, des collectifs d’associations emmenés par la CFDT refusent la privatisation des berges par les propriétaires aisés des résidences riveraines. Un libre accès à ces espaces est réclamé pour permettre à tous de s’y promener, considérant que les bords de l’Erdre « sont un site naturel remarquable et donc propriété publique165 ». Sans nécessairement s’inscrire dans un cadre conceptuel explicite, ces revendications manifestent une volonté de lutter contre une dégradation des conditions de vie à laquelle les travailleurs seraient particulièrement exposés.
Au-delà de la deuxième gauche
135La nébuleuse de la deuxième gauche n’a pas le monopole de la politisation informelle des enjeux environnementaux. Dans la foulée de Mai 68, d’autres sensibilités politiques y contribuent sans que cette question ne constitue nécessairement une part fondamentale de leur corpus doctrinaire.
136Au zénith de leur influence au tournant des années 1960 et 1970, certains groupes maoïstes jouent un rôle non négligeable dans ce domaine au niveau national166 comme au niveau local167. C’est particulièrement le cas du courant spontanéiste qui insiste sur l’importance du peuple et sur sa spontanéité révolutionnaire dans la transformation de la société168. Ainsi, pour Vive La Révolution ou la Gauche Prolétarienne, toute action de contestation, réelle ou potentielle, menée par la population doit être scrutée avec attention et, le cas échéant, soutenue. Ces facteurs idéologiques et stratégiques créent donc une situation propice à la mise au jour de nouveaux enjeux. À Pont-de-Claix (Isère), les maoïstes s’intéressent à l’usine Progil, spécialisée dans la chimie du chlore et du propène169. En 1971, le Secours Rouge, organisation caritative gravitant autour du maoïsme, y crée un journal, Vérité Chimie, qui insiste sur les dangers et des nuisances environnementales locales et informe les populations riveraines de l’usine de la nature des rejets. Les militants contactent également les agriculteurs pour les renseigner sur les conséquences de cette situation sur la santé du bétail.
137Quelques années plus tard, dans le cadre de la lutte contre la construction du surgénérateur de Creys-Malville, Cédric Philibert, l’un des animateurs de la lutte sur Grenoble, profite encore des réseaux maoïstes pour susciter des comités Malville dans la région170. À l’heure actuelle, on manque de renseignements précis concernant le reste de la France mais divers indices laissent à penser que l’exemple grenoblois n’est pas isolé car des groupes maoïstes sont actifs sur les questions environnementales à Lyon ou encore à Toulouse171. Il faut toutefois noter que pour les maoïstes, en ce début des années 1970, les nuisances industrielles et la pollution ne sont pas l’enjeu central de leur lutte mais une composante dans le cadre d’une contestation plus large de la société capitaliste.
138Néanmoins, les liens entre l’extrême-gauche et les mouvements écologistes naissants ne se déclinent pas uniquement sur le mode de la filiation ; à bien des égards, c’est aussi le rejet d’une certaine forme de militantisme d’extrême-gauche qui alimente les rangs de l’écologisme dans la période allant de 1973 à mars 1974, durant laquelle près 70 % des mouvements créés avant la campagne de René Dumont sont mentionnés pour la première fois172.
139Pour expliquer cette floraison soudaine de groupes écologistes, on évoque souvent la conférence de Stockholm (juin 1972) ou encore la parution du rapport du Club de Rome Halte à la Croissance ?173. Il faut néanmoins relever que les Français sont peu nombreux à la conférence de Stockholm et que les ventes d’Halte à la Croissance ? ont été très faibles en France par rapport à d’autres pays européens174. De fait, la crise du militantisme révolutionnaire, sensible à partir de 1972, apparaît comme un facteur beaucoup plus fondamental pour expliquer le soudain essor des mouvements écologistes175. Cette transformation du champ politique à l’extrême-gauche favorise l’adhésion à l’écologisme car le désengagement militant suscite une disponibilité biographique propice à l’adoption d’une nouvelle cause définie en opposition au militantisme sacrificiel en vigueur notamment dans certains groupes maoïstes. Yann Messiez, de Bugey-Cobaye, souligne sur ce point que « le dynamisme de ce comité et la qualité de ces collaborateurs auront ouvert la voie à une forme nouvelle de contestation inconnue jusqu’alors en France, relevant d’un esprit aussi tolérant que réaliste, enfin libéré du sectarisme et des abstractions mystiques si chères aux contestataires habituels176 ».
140Au-delà de Mai, les années 68 dont la fin de la guerre d’Algérie marque l’avènement, apparaissent comme une matrice idéologique essentielle des mouvements écologistes. La remise en cause du communisme stalinien est en effet propice à un élargissement intellectuel des pensées critiques, tant dans leur objet que dans leur base théorique cependant que de nouvelles causes mobilisent sur le terrain, au-delà des usines jusqu’alors considérées comme le lieu essentiel voire indépassable de la transformation de la société. Pour autant, jusqu’au tournant des années 1960 et 1970, ces actions demeurent souvent isolées les uns des autres et la réflexion théorique – déjà consistante – entre difficilement en dialogue avec les militants. Les incertitudes du vocabulaire – doit-on parler de lutte pour le cadre de vie, pour l’environnement, contre les nuisances ? – ne sont que le reflet de ces incertitudes. En ce qui concerne l’écologisme, il semble donc que l’existence précède l’essence sans que ses orientations ne soient pour l’heure gravées dans le marbre.
Les critiques naturistes du progrès
141Dès le xixe siècle, face à l’industrialisation et à l’urbanisation du continent européen, des individus et des groupes voient dans le retour à la nature un espoir de moralisation et de régénération de la société et des individus177. Foisonnant, divers et souvent ésotérique, le naturisme ne peut en toute rigueur être considéré comme une école de pensée unifiée. Il est néanmoins possible d’en identifier certains fondements théoriques et politiques.
142Au fondement du naturisme se trouve la certitude qu’il existe des lois naturelles qui s’imposent à tous ; les négliger ou prétendre s’en affranchir expose l’audacieux à la dégénérescence morale et physique. Un tel constat induit une critique de la société industrielle dans la mesure où, aux yeux des naturistes, le mode de vie moderne affaiblit les capacités de résistance de l’organisme. L’effort physique devenant inutile, la stimulation vivifiante des éléments naturels se fait plus rare : la rupture de cet équilibre millénaire empêche l’homme de recharger son énergie vitale. À l’inverse, respecter les lois naturelles permet à l’homme de résister aux maladies, de vivre en bonne santé et de prétendre au bonheur véritable. Le naturisme se traduit donc par un programme de réforme hygiénique des modes de vie (végétarisme, exercices physiques, bains de soleil, recherche d’une alimentation « saine »…) censé être en adéquation avec ces lois.
143Comment cet hygiénisme, plus attentif au corps humain qu’à la protection de la nature, né dans le courant du xixe siècle, a-t-il pu constituer l’une des matrices de l’écologisme du second xxe siècle ? La question n’est pas innocente dans la mesure où les origines traditionalistes, antimodernes ou encore réactionnaires de l’écologisme sont régulièrement pointées du doigt par certains travaux qui pratiquent pour l’essentiel une histoire intellectuelle178. En s’appuyant sur les penseurs de ces mouvements, ils identifient des convergences d’idées et bâtissent une généalogie où la critique du progrès passerait de la droite vers la gauche à la faveur des bouleversements idéologiques des années 1960 et 1970. Trop souvent, ces études s’apparentent pourtant à une histoire en apesanteur dans laquelle la circulation des idées et des pratiques n’est pas étudiée en tant que telle. Pour se saisir pleinement de cette question, il est dans un premier temps nécessaire d’éclairer le rapport des milieux naturistes aux idéologies d’extrême-droite avant d’analyser les conditions sociales et politiques de la circulation du naturiste durant la seconde moitié du xxe siècle.
Le naturisme est-il réductible à l’extrême-droite ?
144Au fondement de la critique naturiste du progrès se trouve la certitude que la société industrialisée menace la santé de l’homme, le condamnant à une dégénérescence dont les effets se feraient d’ores et déjà sentir. Les acteurs de cette mouvance se montrent donc tout particulièrement sensibles à la question de l’alimentation, mettant ainsi en cause l’industrialisation des pratiques agricoles caractéristique des Trente Glorieuses et prônant in fine une alternative totale.
145Dans La danse avec le Diable, Günther Schwab fustige la cuisson excessive des aliments, l’élimination des céréales et l’abus des graisses179. Dénonçant les conséquences génétiques de l’abus de viande cuite – qui se manifesteraient par un rétrécissement du visage, une asymétrie de la mâchoire et de la dentition – l’auteur affirme que seule une alimentation à base de crudités est naturelle et peut permettre une régénération de l’homme et, au-delà, de la société. Victime d’une attaque au gaz pendant la Première Guerre mondiale, Henri-Charles Geffroy recouvre la santé selon lui grâce à un régime excluant la viande et les produits industriels180. Il fonde en 1946 la revue La Vie Claire qui devient en 1948 une coopérative qui fournit aux abonnés des « aliments sains ». De son côté, Raoul Lemaire commence sa carrière en vendant un pain bis censé être plus naturel et harmonieux que le pain blanc avant de poser en 1959 les bases d’une méthode d’agriculture excluant les engrais chimiques et les pesticides181. S’associant avec Jean Boucher en 1963, il met alors au point le procédé Lemaire-Boucher, un engrais organique à base d’algues.
146L’importance dévolue par les naturistes à l’alimentation, facteur de régénération de l’individu et de la société, s’inscrit dans une perspective vitaliste où la Vie n’est pas réductible à des lois physico-chimiques ni à une âme individuelle. En vertu des « lois de concordance entre l’évolution humaine et celle de la Nature et de la Vie universelle182 », tout serait lié dans l’univers. Dès lors, la critique naturiste du progrès se structure dans l’opposition entre le naturel et l’artificiel, qui serait au principe même de la société industrielle183. Ainsi, un paysan qui suivrait les méthodes traditionnelles tout comme un individu qui se nourrirait sainement appartiendrait au domaine du naturel. À l’inverse, l’industrialisation du secteur agricole et agroalimentaire n’est pas uniquement envisagée comme la transformation d’un mode de production mais comme la fin des paysans, prélude à la disparition d’une civilisation rurale millénaire qui assurait la perpétuation de la Vie dans la répétition de gestes immémoriaux.
147Au travers de l’alimentation, c’est bien la société industrielle dans son ensemble qui est visée. L’auteur autrichien Günther Schwab, fondateur de l’Union mondiale pour la protection de la vie, est probablement celui qui pousse au plus loin la critique naturiste du progrès dans une perspective clairement réactionnaire. Comme le déclare le Diable, personnage principal de l’ouvrage de son ouvrage phare, La danse avec le Diable :
« J’empoisonne les animaux, les plantes, les campagnes, toute la Nature sans laquelle l’être humain ne peut vivre […]. Je fais passer cette misère criante pour de la prospérité et les hommes ne remarquent pas qu’ils sont bernés. J’empoisonne les âmes. Je répands la haine. J’enrichis les gredins et j’appauvris les âmes nobles. Je plante l’orgueil et la prétention dans le cœur humain, si bien qu’il méconnaît le monde et lui-même. Je le frappe de sottise et d’aveuglement, de telle sorte qu’ils ne puissent plus trouver la Vérité. Je leur ai inculqué l’envie et je les corromps par le confort ou la perspective du confort. Je suis parvenu, grâce à tous les moyens de propagande dont je dispose, à créer un état d’esprit visant à la destruction de toutes les valeurs qui concourent au maintien de la vie184. »
148Aux yeux de Günther Schwab, le progrès tant vanté ne serait qu’illusion tant la société industrielle remet en cause les vraies valeurs : l’ordre social conforte l’injustice et l’immoralité ; la décadence et la dégénérescence sont acceptées avec reconnaissance ; les pratiques vertueuses, qui concourent au maintien de la vie, sont oubliées. Ainsi envisagée, la destruction de la nature n’est qu’une des multiples facettes d’une crise beaucoup plus profonde, aux innombrables implications morales. La délinquance juvénile, le désordre des mœurs ou les conduites addictives sont perçus comme les signes précurseurs d’un effondrement inévitable de la société si celle-ci ne change pas diamétralement d’orientation. Sur un ton plus mesuré, André Birre, agronome membre de Nature et Progrès, déplore lui aussi que l’homme multiplie les désirs sans aucune nécessité vitale ou spirituelle et sans pouvoir les satisfaire, se condamnant à la souffrance185. Ce n’est donc pas la destruction des écosystèmes qui motive le rejet de la société industrielle de la part de la mouvance naturiste : ce processus n’est en effet perçu que comme un symptôme d’un péril plus grand pesant sur l’individu et la société.
149Le salut passe alors par une redéfinition des critères qui définissent le bien et le souhaitable dans une société qui doit retourner à la nature. André Birre évoque par exemple la réalisation prochaine de « l’assomption commune et glorieuse de l’être humain et de la Nature » qui permettrait de revenir à un Eden perdu186. Dans cette nouvelle société, une paysannerie pléthorique aurait la priorité sur l’industrie et l’agronome jouerait un rôle essentiel dans « ce bon gouvernement des œuvres de la terre » qui garantirait une bonne administration des hommes. L’humanité reviendrait à une division sexuée des tâches où l’homme serait chargé de la relation avec la Terre et la femme se consacrerait à l’enfantement. Dans l’esprit d’André Birre, cette société agraire ne romprait cependant pas complètement avec la modernité technique. Celui-ci se refuse par exemple à condamner totalement l’usage des engrais minéraux, se bornant à en déplorer les excès, concluant que « la solution se trouve alors dans une position moyenne d’ordre à la fois collectif et individuel187 ».
150Dans la conclusion de son roman, Günther Schwab est beaucoup plus radical dans ses préconisations. Au terme d’une journée de discussion avec le Diable, véritable incarnation des principes contraires à la vie, quatre personnes, représentant l’ensemble du genre humain, doivent faire un choix. Le technicien et le journaliste nouent une alliance avec le Diable ce que refusent le médecin et le poète. Attaqués par des créatures infernales, ces derniers en appellent à Dieu qui provoque un véritable Armageddon ; en une nuit, toutes les réalisations de la société industrielle s’effondrent. Tels Adam et Eve, les deux personnages se retrouvent seuls sur Terre. Soudain, le médecin se souvient d’« une très antique complainte que chantaient lors des semailles les paysans d’une époque révolue » et qu’enfant elle avait apprise de son grand-père188. Le couple retrouve alors le geste du semeur et une nouvelle ère commence dans le retour à la société paysanne immémoriale sous l’égide du créateur.
151La radicalité de la critique naturiste du progrès et de la société industrielle conduit à s’interroger sur le positionnement politique de ce courant au cours des années 1950 et 1960. D’une manière générale, celui-ci participe d’une culture politique de la droite réactionnaire qui, à l’occasion, ne dédaigne pas se référer à des auteurs souvent considérés comme peu recommandables tel Günther Schwab, membre du parti nazi autrichien et de la SA dans les années trente. Il existe par exemple un consensus au sein des courants naturistes pour célébrer Alexis Carrel189. Ainsi, le Dr Jacques-William Bas, président de l’Association Française de Recherche pour une Alimentation Normale fondée en 1952, membre de Nature et Progrès dès 1964, se réclame des analyses de Carrel pour insister sur la dégénérescence de la civilisation provoquée de mauvaises habitudes alimentaires190. De même, André Louis, agronome, fondateur de Nature et Progrès, cite trois personnes comme ses références intellectuelles : Rudolf Steiner, l’inspirateur de l’agriculture biodynamique, Paul Carton, médecin, fidèles aux principes hippocratiques, et Alexis Carrel. Membre du Parti Populaire Français de Jacques Doriot et régent de la Fondation française pour l’étude des problèmes humains créée par le régime de Vichy, celui-ci est assurément proche des idées fascistes.
152Plus largement, les penseurs du naturisme n’hésitent pas à célébrer des soutiens de la politique vichyste de Révolution nationale et par là même marginalisés après guerre tels Jean Yole ou Henri Pourrat. Selon André Birre, celui-ci met en garde « dès 1940 » contre le « danger de disette et de démence, de dégénérescence et de déflagration. Il nous prévenait ainsi de l’immense péril dont il voyait l’avenir se charger ». Récipiendaire du prix Goncourt pour Vent de mars en 1941 au cours d’une cérémonie placée sous le patronage du maréchal Pétain, il fait figure d’« “intellectuel organique” du régime de Vichy » prêchant le retour à la terre191.
153Une telle connivence intellectuelle entre le courant naturiste et des auteurs incontestablement traditionalistes et réactionnaires est de nature à conforter les analyses insistant sur les origines d’extrême-droite de l’écologisme192. Encore faut-il, pour évaluer pleinement la pertinence de cette filiation, saisir l’usage différencié de ces références et leur traduction en termes d’engagement politique.
154Il est indéniable que certains animateurs du courant naturiste tentent à diverses périodes de défendre leurs idées sur le terrain électoral ou dans le cadre d’un parti politique, itinéraire qui les mène rarement vers la gauche. Raoul Lemaire s’engage ainsi en politique dès 1936, en réaction à la victoire du Front Populaire et à la création de l’Office National Interprofessionnel du Blé, qu’il considère comme une immixtion insupportable de l’État dans les pratiques des paysans. Il est par la suite candidat poujadiste aux législatives de 1956 et 1958 et, en 1957, il prend la présidence du Rassemblement paysan créé par Henri Dorgères, se reconnaissant dans un projet politique corporatiste et agrarien marqué à droite. De même, l’écrivain et propagandiste d’extrême-droite Henry Coston dira d’Henri-Charles Geffroy qu’« Il était de droite, comme on l’était dans la première moitié du xxe siècle, c’est-à-dire fermement attaché à notre sol et à nos traditions, et non moins fermement hostile aux puissances d’argent193 ».
155Les exemples de Raoul Lemaire ou d’Henri-Charles Geffroy ne doivent cependant pas conduire à établir une forme d’équivalence entre le naturisme et l’extrême-droite qui serait à la fois anachronique et artificielle. Ainsi, il ne faut pas oublier qu’Alexis Carrel est de son vivant une sommité intellectuelle, couronnée par le prix Nobel en 1912 et dont l’ouvrage, L’Homme, cet inconnu (1935), connaît jusqu’aux années 1950 un grand succès. De fait, dans les années 1960, si la référence à Alexis Carrel ne classe pas son utilisateur dans le camp du progressisme, elle ne l’étiquette pas non plus à l’extrême-droite.
156Il convient par ailleurs de distinguer un engagement politique explicite et continu à l’extrême-droite et le fait de posséder une culture politique traditionaliste. Ainsi, si André Birre célèbre des écrivains marqués par la Révolution nationale, il n’en est pas pour autant un laudateur inconditionnel de la période vichyste. Il déclare ainsi qu’il a « suivi le phénomène [du retour à la terre] durant la Deuxième Guerre mondiale, alors que les appels de Giono, et ceux d’ailleurs du Maréchal Pétain, sensibilisaient les cœurs à ce retour à la terre nourricière. Dirais-je que l’idée m’avait séduit ? » avant d’ajouter : « Mais en raison de mon instinct demeuré paysan, je mesurais avec trop d’acuité les risques d’échec pour me laisser entraîner194. » Cette observation est significative d’un rapport à l’action politique finalement peu déterminé par l’idéologie. Intimement convaincu que seules des pratiques agricoles conformes à ses positions pourront sauver la société de la dégénérescence, Birre subordonne à cet impératif son jugement sur toutes les autres questions. Dès lors, ce n’est pas le caractère réactionnaire de la politique vichyste du retour à la terre qui l’a arrêté, pas plus que l’orientation autoritaire et collaborationniste du régime, mais bien ses doutes quant à l’efficacité des politiques envisagées.
157Soulignons enfin l’existence, dès la fin du xixe siècle, d’une sensibilité mêlant anarchisme et naturisme dont les fondements idéologiques sont très éloignés de la culture politique réactionnaire. Des retours à la terre sont alors tentés pour échapper au capitalisme et vivre en conformité avec les lois de la nature, hors des besoins artificiels suscités par la société195. Comme nous allons le voir plus loin, Pierre Fournier est dans une large mesure un héritier de cette sensibilité.
158Le naturisme associe à la nature des vertus régénératrices et moralisatrices. Si ce courant émerge en réaction au xixe siècle à l’industrialisation et à l’urbanisation, il mène au cœur des Trente Glorieuses une critique globale du progrès et de la société industrielle inspirée par une culture politique traditionaliste mais à laquelle on ne saurait l’y réduire.
159Or, dans le cadre du tournant environnemental, ce courant longtemps isolé sinon groupusculaire découvre avec surprise que les thèmes qu’il évoque depuis des décennies rencontrent un écho nouveau dans l’opinion publique en général et en particulier chez certains militants dont la culture politique les positionne a priori à gauche sur l’échiquier politique. L’un des acteurs essentiel de cette circulation d’une critique naturiste du progrès est l’association Nature et Progrès.
Nature et Progrès, entre naturisme et écologisme
160Des années trente aux années 1960, les courants naturistes français s’organisent et précisent leurs idées mais semblent néanmoins cantonnés dans une relative marginalité. Pourtant, progressivement, leur audience progresse y compris à chez des militants se situant à gauche de l’échiquier politique.
161Héritière du Groupement des agriculteurs biologiques de l’Ouest (1958) et de l’Association Française d’Agriculture Biologique (1961), Nature et Progrès (1964) ont our objectif de soutenir la recherche et les expérimentations dans le domaine de l’agrobiologie et d’établir des liens directs entre les producteurs et les consomateurs. Fondée en 1964 par André Louis, Mattéo Tavera et André Birre, l’association participe d’abord pleinement de la critique naturiste du progrès ; progressivement, elle s’ouvre à la question de la conservation de la nature et fait évoluer son projet jusqu’à devenir, au début des années 1970, l’une des matrices de l’écologisme naissant.
162Dès sa création, Nature et Progrès s’inscrit dans une démarche qui rompt avec les groupes naturistes plus anciens. Ses fondateurs refusent en effet les prétentions de Raoul Lemaire à déterminer les seules méthodes d’agriculture biologique acceptables. L’association se veut donc ouverte à tous les procédés et toutes les expérimentations à condition qu’ils respectent certains principes généraux196. Cette démarche expérimentale est essentielle aux yeux des fondateurs, eux-mêmes très investis dans ce domaine. André Louis, ingénieur-agronome, directeur des services agricoles de la Charente avant d’enseigner dans un lycée agricole en Gironde, échange par exemple une très importante correspondance technique avec Matteo Tavera, architecte et ingénieur, qui cultive des arbres fruitiers dans le sud de la France197. Ces recherches n’ont pas seulement pour but d’améliorer le rendement et la qualité des productions agrobiologiques mais aussi d’apporter à ces pratiques une validation empirique et scientifique. Dans le même esprit, Nature et Progrès recherche systématiquement le dialogue avec les organismes de recherche en agronomie ainsi qu’avec le ministère de l’Agriculture pour sortir l’agrobiologie de sa marginalité.
163Nature et Progrès s’efforce également de transformer les pratiques militantes en vigueur au sein des courants naturistes : les conférences dénonçant les méfaits de la chimie devant un auditoire conquis d’avance ne suffisent plus, pas plus que la vente de produits sains dans des coopératives où l’on ne se retrouve qu’entre soi. En insistant sur son caractère totalement apolitique – dans le sens où elle ne prend aucune position partisane –, l’association entend s’ouvrir au plus grand nombre. Esquissée dans les années 1960, cette évolution est approfondie au cours de la décennie suivante avec l’organisation de congrès à Paris puis la création de Marjolaine en 1976, un grand salon ouvert à tous, mêlant conférences sur la vie saine et vente de produits biologiques198.
164La croissance régulière du nombre d’adhérents semble valider ce projet puisque l’association passe de 2000 membres en 1968199 à 6000 en décembre 1977200. Ces multiples renouvellements permettent à Nature et Progrès d’être moins marquée idéologiquement que La Vie Claire ce qui explique son rôle important dans l’intégration des idées naturistes au tournant environnemental.
165Les articles publiés dans Nature et Progrès attestent également d’une profonde rénovation de la représentation de la nature. Auparavant envisagée d’un point de vue avant tout moral et symbolique, celle-ci intègre désormais une dimension écologique, comme en atteste l’utilisation de plus en plus régulière des termes « écologie » et « environnement » dans la revue Nature et Progrès201. Ainsi, en 1968, un article s’inquiète d’un prévisible épuisement des ressources naturelles sans lesquelles l’homme n’est rien puisqu’il « est un maillon de la nature202 ». De même, Matteo Tavera, pourtant fervent partisan d’une perception ésotérique des relations de l’homme à l’univers, se prononce également en faveur d’une gestion rationnelle de la planète.
166L’association n’abdique cependant pas toute spécificité dans son approche des questions environnementales. Lors du congrès de l’association à Tours en 1970, les participants déplorent que l’écologie ne se concentre que sur les pollutions industrielles et les parcs nationaux, oubliant trop souvent l’agriculture203. Les membres de l’association craignent notamment que la politique de conservation de la nature alors promue n’aboutisse à une approche américaine de l’espace, préservant quelques îlots de wilderness (la nature sauvage) pour livrer le reste du pays à l’urbanisation et à la monoculture. Voilà pourquoi l’un des adhérents insiste sur le fait que « la défense de l’homme, de la nature et de l’agriculture sont indissolublement liées204 ».
167Dans une certaine mesure, Nature et Progrès tente donc au tournant des années 1960 et 1970 de définir une doctrine où cohabitent les multiples sens du terme « pollution » : sa signification contemporaine de phénomène ou élément perturbateur d’un équilibre établi mais également son sens étymologique qui renvoie à la souillure et à la profanation religieuse205. Si la complexité des relations entre les composantes de la nature est prise en compte, enrichissant ainsi le corpus d’idées naturiste par l’écologie, l’homme reste donc la préoccupation essentielle de Nature et Progrès.
168Cette inquiétude à l’égard de l’homme confronté à une crise de civilisation explique que l’association ne promeut pas seulement l’adoption de dispositifs institutionnels nouveaux ou de mesures techniques adéquates mais s’inscrit plus largement dans une perspective de transformation de la société qui rencontre les réflexions alors en cours dans le cadre des années 68.
169En 1967, André Birre propose ainsi d’adopter une approche « biopolitique », terme utilisé en Allemagne dès le début des années 1960 lors des congrès de la Société Internationale pour la Recherche sur les Maladies de la Civilisation et les Substances Vitales206. André Birre définit le terme comme « la science et l’art de la conduite des États, compte tenu des limites imposées par les lois naturelles et les données ontologiques » et crée les Cahiers de la biopolitique pour encourager une réflexion collective à ce sujet. Si cette publication, tout comme les groupes qui apparaissent à Paris et Toulouse, semblent n’avoir fonctionné que quelques mois, cette expérience n’en traduit pas moins un décloisonnement de la critique naturiste du progrès qui ne se contente plus de fulminer contre le monde moderne mais cherche à en comprendre la dynamique pour mieux l’infléchir207.
170La biopolitique traduit une politisation du naturisme par la montée en généralité et l’acceptation d’un débat serein qui implique des concessions de part et d’autre. Curieusement, il revient donc à André Birre, dont la culture politique est marquée par le traditionalisme, d’ouvrir le naturisme aux enjeux des années 68. Il dénonce notamment l’accélération du temps, l’aliénation du travail en usine et l’absurdité d’une société qui pousse à prendre des vacances sur des plages où chacun retrouve la foule plutôt que le contact de la nature. Certes, André Birre cite plus volontiers Alexis Carrel que Che Guevara et son projet d’une société composée de communautés rurales reposant sur l’interconnaissance est empreint de nostalgie. Néanmoins, il envisage également que ces communautés pratiquent une activité industrielle et accueillent des touristes, ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’un projet réactionnaire animé par la quête illusoire d’un âge d’or préservé des influences néfastes de la modernité.
171Par son souci de placer l’homme au centre des enjeux de conservation de la nature, par son attention portée aux problèmes de société, la biopolitique permet de construire des convergences entre des univers politiques jusqu’à présent disjoints. Il est cependant difficile d’en saisir l’influence. En tout état de cause, le groupe permanent d’études de la biopolitique réuni au sein de Nature et Progrès ne compte que onze membres, sous la présidence d’André Birre208. Néanmoins, la publication de ses articles dans Nature et Progrès, dont le nombre d’adhérents ne cesse d’augmenter, peut assurer à ses idées une diffusion appréciable.
172En 1968, le lancement par l’Unesco du programme Man and Biosphere tout comme l’Année européenne de protection de la nature en 1970209 constituent pour Nature et Progrès autant d’occasions de participer à des conférences pour faire valoir ses idées. Au début de cette décennie, un tragique accident accélère ce processus d’ouverture à un plus large public. Le 3 mai 1970, les deux fondateurs de l’association, André Louis, Matteo Tavera ainsi que la femme de ce dernier trouvent la mort sur les routes de Bretagne. Cet accident amène un profond renouvellement des instances dirigeantes de l’association dont Roland Chevriot prend la présidence.
173Considérant que les idées défendues par Nature et Progrès bénéficient alors d’un écho important, Roland Chevriot décide de l’ouvrir au plus grand nombre210. Un grand congrès est alors organisé à Versailles entre le 3 et 5 novembre 1972. L’objectif est d’informer le grand public, de lui faire découvrir les produits biologiques et d’ériger Nature et Progrès un lieu de débat sur les questions environnementales. Cette première grande manifestation est un succès puisqu’elle réunit 3500 congressistes (contre 350 les années précédentes) tandis que 5000 personnes parcourent le « salon de la qualité » qui rassemble dans le grand hall près de 80 exposants. En trois jours, 130 journalistes visitent le congrès à l’issue duquel 90 articles sont publiés211. Cet événement est d’autant plus important pour l’émergence de l’écologisme qu’il rassemble à l’occasion des débats organisés ou informels des militants de toutes tendances qui échangent sur les rapports de l’homme à la nature, aux enjeux environnementaux et leurs implications politiques.
174Ainsi, Max Crouau, ingénieur agronome, prononce une conférence intitulée « Pourquoi l’agriculture biologique ? » replaçant cette question « dans le cadre de la crise de l’environnement et de l’écologie212 » tandis qu’une table-ronde consacrée à la surpopulation mondiale rassemble Alain Hervé (fondateur des Amis de la Terre), Edward Goldsmith (écologiste anglais, auteur du remarqué Plan pour la survie) et le Dr Jacques Pezé (qui s’inscrit dans la tendance naturiste). De leur côté, François Lapoix (de la FFSPN), Bernard Charbonneau et Philippe Saint-Marc (auteur de Socialisation de la Nature) s’interrogent sur la manière de « repenser le progrès ». Les débats sont passionnés, parfois virulents, notamment sur la limitation des naissances ou la place de la technique dans une société écologique. On frôle même l’incident lors du débat sur « les nouvelles formes de vie communautaires et autarciques » quand certains participants dénoncent la trop grande place faite aux marchands dans le salon et envisagent d’envahir la grande salle de conférences.
175Il semble donc que toutes les personnes intéressées en France et en Europe par les questions de protection de la nature et d’écologie se soient retrouvées à Versailles pour le congrès de Nature et Progrès qui a ainsi permis une large circulation des idées et des pratiques.
176L’évolution de Nature et Progrès est révélatrice de la révolution silencieuse de certains courants naturistes qui, sans nécessairement renoncer à leur culture politique d’inspiration réactionnaire, parviennent néanmoins à renouveler leurs idées pour leur assurer une plus large circulation. Participant pleinement au tournant environnemental des sociétés industrialisées, Nature et Progrès contribue à la genèse de l’écologisme par son attachement à démontrer que les enjeux environnementaux ne sont ni anecdotiques ni extérieurs à l’homme mais qu’ils le concernent au premier chef, lui et la société qui l’entoure dont seule la transformation radicale peut empêcher la catastrophe qui vient.
« Dans le fond, Fournier, t’es de droite213 »
177De Paul Carton à Henri-Charles Geffroy en passant par Raoul Lemaire, de très nombreux représentants des courants naturalistes se sont reconnus dans les diverses cultures politiques de droite mais le parcours et les positions de Pierre Fournier (1937- 1973) montrent que le naturisme a pu se mêler avec d’autres sensibilités, donnant naissance à des hybridations fructueuses.
178Dessinateur à Hara-Kiri puis Charlie-Hebdo, pionnier de la contestation du nucléaire civil, héraut de la révolution écologique, il fonde en 1972 La Gueule Ouverte, journal emblématique des années 1970. Au fil des articles et des critiques qui lui sont formulées, Pierre Fournier élabore une critique du progrès qui emprunte au naturisme comme à la pensée libertaire des années 68. Pour comprendre la spécificité des positions de Pierre Fournier, un point de vue surplombant, qui envisagerait cette pensée comme une œuvre construite selon des critères de validation propres au monde universitaire, ne saurait convenir. Il en va en effet de Pierre Fournier comme des lecteurs évoqués par Michel de Certeau : « Ils circulent sur les terres d’autrui, nomades braconnant à travers les champs qu’ils n’ont pas écrits, ravissant les biens d’Égypte pour en jouir214. » Mobilisant des écrits aux statuts et aux origines très diverses, empruntant à La Vie Claire comme aux ouvrages de John Kenneth Galbraith, Pierre Fournier se livre à un véritable « bricolage intellectuel215 » dont il s’agit ici de rendre compte.
179Ne se souciant pas de formaliser une œuvre au sens intellectuel du terme, radical par conviction et par goût de la provocation, Pierre Fournier a irrité autant qu’il a été célébré et sa réflexion hétérodoxe, qui met en cause le progrès au nom du nécessaire enracinement de l’homme dans la nature, a suscité nombre de critiques tant elle s’efforce de remettre en cause les frontières militantes établies216.
180Comme Pierre Fournier aime à le souligner, son militantisme n’a pas pour point de départ une réflexion métaphysique ou la lecture de Karl Marx mais une inquiétude concrète, presqu’organique : la conviction que la société industrielle va à l’encontre des réalités biologiques et que cela ne pourra qu’aboutir à la mort de l’homme217. Cette analyse s’enracine dans son expérience personnelle car il subit en 1960 une lourde opération de l’aorte qui le rend particulièrement sensible aux questions de santé218.
181Aux yeux de Pierre Fournier, la pollution n’est pas seulement le résultat d’une catastrophe exceptionnelle, qui envahirait une nature préservée. Infatigable contempteur des plaquettes insecticides Vapona faites de résine plastique jaune imprégnée d’un gaz toxique, Fournier voit en elles une arme silencieuse, invisible et inodore braquée sur chaque membre de la famille219. Il s’oppose également à la pilule contraceptive qui ne profiterait selon lui qu’aux trusts pharmaceutiques qui, promettant le meilleur des mondes, ne vendraient qu’un produit mortifère. Ainsi, la pollution n’est pas synonyme pour Fournier de destruction de la nature mais avant tout d’une mort lente et insidieuse, qui gagnerait chaque jour du terrain et contre laquelle personne ne pourra bientôt se prémunir.
182Cette attention prêtée au corps dans sa matérialité et à sa dégradation le conduit à livrer une critique radicale du progrès. Parodiant les réactions suscitées par son refus de la plaquette Vapona, il s’exclame :
« Elle l’a payée sa plaquette, pour rien au monde elle jetterait un truc qu’elle a payé et qui fonctionne. […] Alors vous êtes contre le progrès ? On refuse pas le progrès, croyez-moi, c’est pas possible parce que le progrès c’est l’avenir et sans le progrès jamais on pourra résoudre les problèmes qui se posent de plus en plus à l’homme220. »
183C’est donc à partir de la vie quotidienne que Pierre Fournier réfléchit à l’évolution des sociétés, considérant que c’est là que les impacts sur la vie des individus sont les plus marquants. À l’instar de nombre de critiques du progrès, la place de la technique dans les sociétés contemporaines est centrale chez Fournier car sa glorification permet à l’homme de nier les réalités biologiques qui le concernent au même titre que le reste du vivant. C’est pourquoi il refuse d’utiliser le terme « environnement » car « il pue l’anthropocentrisme alors que, justement, la prise de conscience qui l’a mis à la mode annonce la fin d’un anthropocentrisme dépassé221 ». Pour Pierre Fournier, l’homme est enraciné dans la nature, dans son corps et de sa vie quotidienne : dans ces conditions, toute abstraction risquerait d’être mortifère.
184Dans son argumentation, Pierre Fournier s’appuie abondamment sur les idées issues du courant naturistes sans faire mystère de sa lecture assidue de La Vie Claire et de Vie et Action, soulignant qu’il n’aurait probablement rien compris à l’écologisme sans le naturisme et l’hygiénisme222. Cela ne l’empêche pas de critiquer vivement l’idéologie qui anime certains de ces groupes. Ainsi, Henri-Charles Geffroy, fondateur de La Vie Claire, lui est profondément antipathique du fait de son rigorisme outrancier. La manière dont Fournier lit La Vie Claire s’apparente alors à la lecture braconne théorisée par Michel de Certeau :
« Si vous êtes capables d’en prendre ou d’en laisser, si vous n’êtes pas de ces types qui lâchent un bouquin quand un mot surprenant leur saute à la gueule, achetez quand même “La Vie Claire” pour vous informer. Et si ça vous étonne que je vous invite à lire le journal d’un type que je considère comme un sectaire, un pourri, un margoulin et un individu dangereux, c’est d’une part, que vous faites des illusions sur les auteurs de livres et les directeurs de journaux en général, d’autre part, que vous n’avez pas bien lu ce qui précède223. »
185Pierre Fournier distingue donc clairement les informations contenues dans une œuvre et les orientations politiques de son auteur. La lecture est pour lui un acte de sélection et d’interprétation où chacun mobilise des compétences qui lui sont propres : c’est à cette démarche exigeante que Fournier convie ses lecteurs. De cette manière, le journaliste bricole sa propre interprétation de la crise écologique, mobilisant un répertoire d’idées et de réflexions hétéroclites qu’il extrait de leur contexte d’origine pour en faire un nouvel outil d’analyse adapté à ses propres objectifs224.
186Une telle approche amène Pierre Fournier à relativiser l’importance des idéologies. Il déclare ainsi s’être considéré de droite à vingt ans par opposition aux idéologues de gauche dont l’irréalisme l’horripilait225. Quinze ans plus tard, il a perdu tout espoir de voir un jour la droite choisir la voie de la subversion au nom des réalités biologiques : il reviendrait donc aux forces de gauche de mener une révolution qui concilie la survie de l’espèce et le libre épanouissement de l’individu. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’idée de « révolution écologique » prônée par Fournier à partir du début des années 1970, utilisant un terme marqué à gauche tout en insistant, dans une perspective propre au naturisme, sur l’importance des lois à respecter pour mener à bien cette révolution.
187Cette synthèse issue de ses lectures braconnes n’est pas nécessairement du goût de tous et amène Fournier à nouer un dialogue parfois vif avec les lecteurs d’Hara-Kiri puis de Charlie-Hebdo.
« Avant la “révolution de mai”, quand j’osais dire à mes amis que le but de la vie, quel qu’il fût, ne pouvait pas être d’acheter la télé à crédit sans versement au départ, je les voyais sourire de ma naïveté. Les nécessités économiques, la loi du progrès, il faut vivre avec son temps, ils savaient, eux. Maintenant, ça y est, ils ont pigé au moins ça […]. Enfin je vais pas me plaindre parce qu’ils ont compris déjà un tout petit bout du problème, c’est mieux que rien, c’est un premier pas. Encore deux ou trois chaos, et ils comprendront peut-être le reste226. »
188Cette observation de Fournier est révélatrice de son rapport ambivalent à Mai 68 et plus largement à l’effervescence gauchiste du début des années 1970. Il salue certes le rôle de Mai 68 dans la diffusion et la radicalisation d’une critique de la société de consommation, de l’aliénation de la vie quotidienne et de l’exploitation par le travail227. Néanmoins, il reste très critique à l’égard d’une prise de conscience encore très superficielle à ses yeux dans la mesure où elle met en cause les conséquences délétères d’un modèle économique sans aller jusqu’à la nécessité de reconstruire la société sur des réalités biologiques comme lui-même le souhaiterait.
189De fait, Fournier ne cesse de dénoncer les erreurs et les combats sans issue menés par les partis de gauche. À ses yeux, ces derniers n’auraient d’autre but que de récupérer les mouvements sociaux pour ne pas compromettre leur propre arrivée au pouvoir228. De même, il juge les nationalisations inutiles voire dangereuses dans la mesure où elles ne permettent pas de résoudre les vrais problèmes : il faut selon lui abolir la production et non pas s’emparer d’elle. Fondamentalement, et au-delà de toute provocation, Fournier considère que le marxisme est une pensée abstraite donc morte, en ce qu’elle ne permet pas de saisir des vrais problèmes, et encore moins de les résoudre. Son appartenance à Charlie-Hebdo, ses fréquentations et certains traits de sa réflexion renvoient donc Fournier à une culture politique d’extrême-gauche dans lequel il se sent pourtant bien à l’étroit.
190Les difficultés – en définitive insurmontables – rencontrées par Fournier pour établir des communautés dans le sud de la France sont révélatrices du défi de la traduction en acte de la critique naturiste du progrès.
191À ses yeux, le retour à la terre serait inévitable pour retrouver les lois naturelles. Néanmoins, Fournier se distingue des positions naturistes classiques en soulignant que l’établissement de ces communautés ne signifie pas copier le mode de vie des paysans d’autrefois mais inventer une nouvelle forme de société, à la fois organique, car au contact de la terre, mais égalitaire, démocratique et traversée par de perpétuelles expérimentations pour garantir la liberté de chacun229. En cela, la démarche du journaliste se situe dans le prolongement du naturisme libertaire du début du xxe siècle lorsque des anarchistes comme Georges Butaud, Sophia Zaïkowska ou encore Louis Rimbault prônent l’établissement de projets de « milieux libres » et de « cité végétaliennes230 ».
192Il n’est donc pas excessif de qualifier Pierre Fournier de naturiste libertaire tant la liberté représente à ses yeux une vertu cardinale dont il voudrait qu’elle anime chaque individu dans sa vie quotidienne. Face à la crise de la société industrielle, il considère en effet que l’homme ne survivra qu’en s’adaptant, donc en faisant l’usage le plus large possible de sa liberté.
« Moi, je m’en fous que tout soit con, j’aime trop la terre, les racines de la vie, la nourriture et le sang de la terre, les vieilles maisons, les arbres, les petits oiseaux, les fleurs et la douceur des paysages pour pouvoir supporter sans rien faire que les cons détruisent ça231. »
193Alors que Mai 68 a donné un coup de fouet au marxisme et à l’idée de révolution, que l’usine est plus que jamais un lieu de lutte politique, la critique du progrès de Fournier est indéniablement marquée du sceau de l’hétérodoxie tant elle se repose sur une indignation face à la destruction de tout un univers. Les fréquentes critiques adressées à Fournier – dont il se fait amplement l’écho dans ses articles – montre que si ces réflexions sont désormais audibles, elles sont loin de faire l’unanimité, d’autant plus qu’il s’agit d’une pensée éruptive, en recherche constante, dans laquelle il ne faut pas chercher une cohérence absolue.
194Les milieux naturistes participent donc au tournant environnemental des sociétés industrielles dont ils parviennent à s’approprier l’essentiel du message tout en adaptant leurs idées à cette nouvelle donne intellectuelle et militante. La radicalité de l’analyse de la crise écologique fonde la spécificité de cette critique qui considère qu’il sera bientôt impossible de faire face aux dégâts du progrès qui mettent en péril l’homme d’un point de vue biologique et même ontologique. Les questions liées à la santé de l’homme apparaissent bien comme l’une des matrices des futurs mouvements écologistes.
195De fait, le groupe Vie Naturelle à la Seyne-sur-Mer (fondé en 1963) ou encore Vie et Avenir (apparu en 1965) appartiennent à la nébuleuse naturiste avant de participer, ne serait-ce que fugacement, à l’écologisme naissant. De même, l’Association pour la protection contre les rayonnements ionisants (APRI) créée par un instituteur de Seine-et-Marne, Jean Pignero, en 1957 se constitue elle aussi autour des questions de santé en réaction à l’examen radiologique systématique alors pratiqué dans les établissements scolaires pour repérer les cas de tuberculose232. Jean Pignero s’attache d’abord à démontrer l’imprécision, la nocivité et l’inefficacité de la scopie qui ne peut repérer que des lésions tuberculeuses avancées avant de progressivement élargir son combat au cours des années 1960. Ainsi, le bulletin de l’association, Protection contre les Rayonnements Ionisants, s’intéresse également aux failles techniques dans l’exploitation de l’énergie nucléaire. Au début des années 1970, de nombreux animateurs des mouvements écologistes saluent le caractère pionnier de son action dont l’expertise en fait un informateur incontournable pour tous les militants désireux de s’investir dans cette lutte. Jean Pignero est ainsi en contact avec Pierre Cuesta, membre du groupe écologiste Être et du Comité antinucléaire de Paris, avec les militants wallons qui fondent APRI-Belgique233 ou encore avec les fondateurs du CSFR en Alsace234, faisant le lien entre une préoccupation centrée autour des questions de santé et l’élargissement des préoccupations militantes à l’œuvre dans les années 1970 au travers de la notion d’écologie.
196La critique naturiste du progrès est donc essentielle à la genèse de l’écologisme car elle insiste sur le fait que les dégâts de la société industrielle ne sont pas seulement d’ordre esthétique ni localisés uniquement autour des usines mais qu’ils remettent en cause l’homme en tant que tel. Au tournant des années 1960 et 1970, ces théories suscitent un intérêt plus grand qu’auparavant. Elles profitent d’une part d’une inquiétude grandissante de l’opinion publique à l’égard de la dégradation de la nature et entrent d’autre part en résonance avec d’autres critiques de la société industrielle, portées notamment par la mouvance gauchiste. Sur ce point, la réception plus attentive des critiques du progrès illustre le relatif desserrement des clivages et des cloisonnements intellectuels et idéologiques, phénomène propre aux années 68 qui permet à un certain nombre d’acteurs de faire circuler ces idées entre des univers politiques et sociaux distincts.
197En définitive, qu’ont en commun le biologiste convaincu de la nécessité de préserver les écosystèmes, le naturiste pour qui une alimentation saine est le plus sûr rempart contre la décadence de la société ou encore le militant de la deuxième gauche en lutte contre un aménagement du territoire trop autoritaire ? Au-delà de leurs différences, tous aspirent à une nouvelle articulation des rapports entre la nature et la société, seule solution à leurs yeux pour sauver l’un et l’autre. À leur manière, tous concourent au tournant environnemental des sociétés européennes qu’on ne saurait donc limiter à une invention administrative235 tant il est nécessaire d’évoquer des inventions de l’environnement à la fois concurrentes et convergentes.
198Bien des choses les distinguent néanmoins et aucun amalgame ne s’opère naturellement. C’est pourquoi l’écologisme n’apparaît pas spontanément ; c’est une construction progressive, instable, qui se réclame, qui plus est, d’un terme alors peu usité en France, l’environnement. À l’évidence, son usage désigne mais surtout distingue. À mesure que l’État proclame sa volonté de prendre en charge les questions de protection de la nature et de l’environnement, les militants sont amenés, dans une stratégie plus ou moins explicite de distinction, de se réclamer de l’écologie pour mieux dénoncer ce qui relève, de leur point de vue, de l’effet d’annonce ou de l’instrumentalisation. Aux yeux des écologistes, la politique environnementale du gouvernement n’est pas seulement inefficace, elle serait plus fondamentalement biaisée par la volonté des pouvoirs publics de n’en retenir que les idées inoffensives, sans réelles conséquences sur l’organisation de la société. Dès lors, l’écologie acquiert peu à peu une connotation politique voire révolutionnaire pourtant absente à l’origine.
199Se placer sous l’égide de l’écologie va cependant au-delà de la simple logique de distinction. Cette science expérimentale exerce en effet une réelle fascination chez des militants dans une période où la question de l’application de lois scientifiques à l’organisation de la société fait l’objet d’un engouement certain, qu’il s’agisse de la science des systèmes, qui semble annoncer une compréhension plus fine des mécanismes sociaux et une société fondée sur la libre coopération des individus236, ou de la génétique.
200Il n’en demeure pas moins qu’en ce début des années 1970, rien ne permet d’affirmer que l’amalgame entre ces différentes visions des rapports de l’homme à la nature peut s’opérer. C’est sur le devant de la scène, en pleine lumière et dans le cadre d’un processus de politisation, que celui-ci commence.
Notes de bas de page
1 Gominet P., Fournier D., Fournier. Précurseur de l’écologie, Paris, Les Cahiers dessinés, 2011, p. 161.
2 Foi et Vie, décembre 1994, cité par Jean-Luc Porquet, Jacques Ellul, p. 28.
3 Ollitrault S., Militer pour la planète, op. cit., p. 131 sq.
4 Massard-Guilbaud G., « La France, une “société vert clair” ? Retour sur The Light Green Society : Ecology and Technological Modernity in France, 1960-2000 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2012/1, n° 113, p. 206.
5 Rioufreyt T., « « Les passeurs de la « troisième voie ». Intermédiaires et médiateurs dans la circulation transnationale des idées », Critique internationale, 2013/2, n° 59, p. 33-46.
6 Brower D., For Earth’s Sake. The Life and Times of David Brower, Salt Lake City, Peregrine Smith Books, 1990, p. 239.
7 Entretien avec Alain Hervé. 5 avril 2010. Sauf mention contraire, les informations du passage qui suit sont extraites de cet entretien.
8 Jean Dorst (1924-2001) est un biologiste spécialisé en ornithologie, enseignant au Muséum National d’Histoire Naturelle. Dans Avant que nature meure, paru en 1964, il s’inquiète des déséquilibres à venir du fait de la propension de l’homme à éradiquer la nature sauvage et son cadre de vie. René Dubos (1902-1982) a fait l’essentiel de sa carrière comme chercheur en biologie. Il publie L’Homme et son environnement en 1966, signe de son intérêt pour l’écologie qui le conduit à préparer avec Barbara Ward le rapport de la conférence de Stockholm (1972) intitulé Nous n’avons qu’une Terre.
9 CAC. Fonds Amis de la Terre (AT). Carton 1. Procès-verbal de l’assemblée générale fondatrice. 11 juillet 1970.
10 Brice Lalonde, l’un des principaux animateurs de l’association dans les années 1970, est lié aux États-Unis par sa famille maternelle puisque sa mère est apparentée aux Forbes – il est d’ailleurs le cousin de l’homme politique John Kerry. Lalonde B., Sur la vague verte, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 13.
11 Samuel P., Histoire des Amis de la Terre, 1970-1989. 20 ans au cœur de l’écologie, 2006 [http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/Histoire_des_AT_1970-1989.pdf], consulté le 11 mars 2010, p. 5.
12 Entretien avec Laurent Samuel. 18 mars 2010.
13 Moscovici S., Essai sur l’histoire humaine de la nature, Paris, Flammarion, 1968, p. 11.
14 Morin E., Journal de Californie, Paris, Seuil, 1970.
15 Sussan R., Les utopies posthumaines. Contre-culture, cyberculture, culture du chaos, Sophia-Antipolis, Omniscience, 2005, p. 63 sq.
16 Ribes J.-P., Pourquoi les écologistes font-ils de la politique ?, Paris, Seuil, 1978, p. 51.
17 Entretien avec Alain Hervé. 05/04/10.
18 CAC. Fonds AT. 1. Lettre d’Edwin Matthews à David Brower. 23 octobre 1970 puis lettre de David Brower à Jacques-Yves Cousteau. 5 novembre 1970. Le faible nombre de lettres conservées pour cette période ne permet cependant pas d’être totalement affirmatif.
19 Grothendieck A., Récoltes et semailles. Témoignage sur un passé de mathématicien, s. l. n. d. (achevé vers 1984) [http://www.math.jussieu.fr/∼leila/grothendieckcircle/RetS.pdf], p. 621.
20 « Liste des adhérents de Survivre au 31 août 1970 », Survivre, n° 1, août 1970, p. 38-40.
21 Ainsi, tous les auteurs de Survivre… et Vivre, n° 11, sorti au printemps 1972 sont des Français.
22 Egan M., Barry Commoner and the science of survival, PHD in philosophy in history, Washington State University, 2004, p. 59 et 85.
23 Boudia S., « Les problèmes de santé publique de longue durée. Les effets des faibles doses de radioactivité », in Gilbert C., Henry E. (dir.), Comment se construisent les problèmes de santé publique, Paris, La Découverte, 2009, p. 35 sq.
24 « John Gofman. Nuclear and antinuclear scientist », The Mother Earth News, march/april 1981 [http://ratical.org/radiation/CNR/PlowboyIntrv.html], consulté le 04/10/2011.
25 Schulthess E., Solange Fernex, l’insoumise. Écologie, féminisme, non-violence, Barret-sur-Méouge, Éditions Yves Michel, 2004, p. 36.
26 Musée du Vivant [désormais MV]. Fonds Les Verts. Carton « 79-80. Adhérents, CR ». Marcel Massiou, Marcel Mayeur, « Écologie et mondialisme ». S. d. [fin des années 1970].
27 Topcu S., La France nucléaire. L’art de gouverner une technologie contestée, Paris, Seuil, 2013, p. 161.
28 Gofman J. W., « Pollution radioactive et Atomic Energy Commission », Survivre, n° 5, décembre 1970, p. 6.
29 Lebreton P., « De la contestation du nucléaire », La Gueule Ouverte, n° 7, mai 1973, p. 33.
30 Rome A., « “Give Earth a Chance” : the Environmental Movement and the Sixties », The Journal of American History, 2003/2, vol. 90, p. 541.
31 Herbert F., Dune, Paris, Robert Laffont, 1970 [1965 aux États-Unis].
32 Henlein R. A., Révolte sur la lune, Paris, Éditions Opta, 1971. L’ouvrage est paru aux États-Unis en 1966 sous le titre The Moon is a harsh mistress.
33 Kirk A. G., Counterculture green. The Whole Earth Catalog and American Environmentalism, Lawrence, University Press of Kansas, 2007, p. 189.
34 Manfredo S., La science-fiction, aux frontières de l’homme, Paris, Gallimard, 2000, p. 85.
35 Dupont C., Osons l’utopie ! Le fol été des communautés, Paris, Les Éditions libertaires, 2011, p. 102-103.
36 Né en 1937, Les Hommes-machines contre Gandahar, paru en 1969 chez Denoël, est son premier roman. Il y dépeint la lutte entre une paisible civilisation agraire, qui se consacrait aux arts et à la poésie, contre une armée de robots, associant ainsi la technologie à l’expansion agressive. À noter que la BnF conserve désormais les manuscrits de Jean-Pierre Andrevon dont l’étude présenterait un grand intérêt. Cf. Clément Pieyre, « Science-fiction », Revue de la Bibliothèque Nationale de France, n° 28, mars 2008, p. 3.
37 Andrevon J.-P., « Attention ! Science-fiction », La Gueule Ouverte, n° 19, mai 1974, p. 27.
38 Ibid., mars 1974, p. 27.
39 Saint-Cyr C., Gougaud H., « Beuark ! », Actuel, n° 13, octobre 1971, p. 2 sq.
40 Turner F., Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture, Stewart Brand, un homme d’influence, Caen, C & F éditions, 2012, p. 103 sq.
41 Saint-Cyr C., Gougaud H., « Beuark ! », art. cit., p. 10.
42 « America, America, la haine, vraiment ? », Revue française d’études américaines, 2004/1, n° 99, p. 103-126.
43 Jalabert L., « Aux origines de la génération 1968 : les étudiants français et la guerre du Vietnam », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 55, juillet-septembre 1997, p. 69 sq.
44 Saint-Cyr C., Gougaud H., « Beuark ! », art. cit., p. 5.
45 Weisberg B., « Le capitalisme pue », Actuel, n° 13, octobre 1971, p. 12.
46 Dumont R., L’écologie ou la mort, Paris, Pauvert, 1974, p. 54.
47 Serna P., « Introduction. Le Directoire, miroir de quelle République ? », Républiques sœurs, Rennes, PUR, 2009, p. 13.
48 Le taux d’urbanisation s’élève à 63,2 % de la population en 1962 et à 72,9 % en 1972. Cf. Loïc Vadelorge, « Grands ensembles et villes nouvelles : représentations sociologiques croisées », Histoire urbaine, 2006/3, n° 17, p. 67 sq.
49 Shepard T., « A l’heure des « grands ensembles » et de la guerre d’Algérie. L’« État-nation » en question », Monde(s), 2012/1, n° 1, p. 114.
50 La DATAR [Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale] est créée en 1963. Cf. Philipponneau M., « Industrie et aménagement du territoire. Essai de périodisation » in Caro P. et al. (dir.), La politique d’aménagement du territoire. Racines, logiques et résultats, Rennes, PUR, 2002, p. 111.
51 Gaïti B., « Les modernisateurs dans l’administration d’après-guerre. L’écriture d’une histoire héroïque », Revue française d’administration publique, 2002/2, n° 102, p. 295.
52 Charvolin F., L’invention de l’environnement en France. Chroniques anthropologiques d’une institutionnalisation, Paris, La Découverte, 2003, p. 10.
53 Boullet D., « La politique de l’environnement industriel en France (1960-1990). Pouvoirs publics et patronat face à une diversification des enjeux et des acteurs », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2012/1, n° 113, p. 155.
54 Charvolin F., L’invention de l’environnement en France, op. cit.
55 Cans R., Charvolin F., « Serge Antoine. Aux origines du ministère de la Protection de la nature et de l’Environnement », Pour Mémoire, n° 5, hiver 2008, p. 9 sq.
56 Hirschman A., Exit, voice, loyalty. Défection et prise de parole, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2011.
57 Vrignon A., « Philippe Saint-Marc », Dictionnaire biographique en ligne de l’Association pour l’Histoire de la Protection de la Nature et de l’Environnement [www.ahpne.fr], publié le 25 janvier 2012.
58 Saint-Marc P., Socialisation de la nature, Paris, Stock, 1971, p. 11 sq.
59 Autrement dit l’Union Régionale de Provence et de Côte d’Azur pour la Sauvegarde de la Nature et de l’Environnement. Sur René Richard, cf. « René Richard : le syndicalisme du cadre de vie », Le Monde. Dossiers et documents, « L’écologie enjeu politique », s. d. [1978], p. 24.
60 Son introduction relève ainsi qu’« Au-dessus des frontières, cette fraternité mondiale des défenseurs de la nature donnera naissance à une civilisation nouvelle qui fasse passer le bonheur de l’homme avant le profit, les besoins collectifs avant les intérêts privés, et l’avenir de l’humanité avant l’exploitation aveugle de la terre ». Musée du Vivant. Fonds Philippe Saint-Marc. FSM 16. Version finale de la Charte de la Nature. S. d. [début novembre 1972].
61 Entretien avec Philippe Saint-Marc. 01/04/10.
62 CARAN. Fonds VGE. 5 AG 3. 2396. Note de Pierre Richard à Valéry Giscard d’Estaing. 20 mai 1976.
63 Flonneau M., « Georges Pompidou, président conducteur, et la première crise urbaine de l’automobile », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1999/1, n° 61, p. 33.
64 Note manuscrite du 15 octobre 1970, citée par Charvolin F., « Georges Pompidou et la création de la Direction générale de la Protection de la nature en 1970 », in Noël G., Willaert E. (dir.), Georges Pompidou et le monde des campagnes (1962-1974), Bruxelles, Peter Lang, 2007, p. 264.
65 Citée in ibid., p. 37.
66 Pompidou G., « Discours du 28 février 1970 à Chicago » [http://www.georges-pompidou.org/Documentation/Discours/1970_02_Chicago.html], consulté le 29/03/2013.
67 Jarrige F., Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte, 2014, p. 54 sq.
68 Luglia R., Des savants pour protéger la nature, Rennes, PUR, 2015.
69 Mathis C.-F., In Nature We Trust. Les paysages anglais à l’ère industrielle, Paris PUPS, 2010.
70 Rey-Debove J., Alain Rey (dir.), Le Petit Robert de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2004, p. 828.
71 Mahrane Y. et al., « De la nature à la biosphère. L’invention politique de l’environnement global, 1945-1972 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2012/1, n° 113, p. 129.
72 L’UIPN est rebaptisée Union Internationale pour la Conservation de la Nature et de ses ressources naturelles en 1956.
73 Citons, entre autres, le programme Man and Biosphere lancé en 1968 sous l’égide de l’UNESCO, l’Année européenne de la protection de la nature organisée par le Conseil de l’Europe en 1970 et bien évidemment le Sommet de la Terre de Stockholm en 1972.
74 Charvolin F., Bonneuil C., « Entre écologie et écologisme : la protection de la nature au Muséum dans les années 1950 », Responsabilité et environnement, n° 46, avril 2007, p. 47.
75 Heim R., Les champignons toxiques et hallucinogènes, Paris, Boubée, 1978, p. 10.
76 Dorst J., Avant que Nature meure, op. cit., p. 16.
77 Heim R., Destruction ou protection de la nature, Paris, Armand Colin, 1952.
78 Dubois A., Jean Rostand, un biologiste contre le nucléaire, Paris, Berg International, 2012, p. 18.
79 Heim R., « Hommage à Rachel Carson », in L’Angoisse de l’an 2000 : quand la nature aura passé, l’homme suivra, Paris, Éditions de la Fondation Singer-Polignac, 1973, p. 261.
80 « Fort heureusement pour ces arthropodes, et pour la vie terrestre, l’Insecte, précurseur de l’Homme depuis 500 millions d’années, peut découvrir encore dans son sac les astuces que les espèces qui le composent sont fort capables de mettre en œuvre. Si l’Homme veut la guerre, l’Insecte la lui fera, et l’Homme saura l’aider par son imprévoyance et sa stupidité, que son génie ne suffira point à compenser. C’est la moralité objective de cet ouvrage. Livrons-là comme un souverain avertissement », ibid., p. 266.
81 Locher F., « Les pâturages de la Guerre Froide : Garret Hardin et la « tragédie des communs », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2013/1, n° 60-1, p. 7 sq.
82 Heim R., Destruction ou protection de la nature, op. cit., p. 68.
83 Dorst J., Avant que Nature meure, op. cit., p. 215.
84 Heim R., « Nature Morte », in L’angoisse de l’an 2000, op. cit., p. 324.
85 Dorst J., Avant que nature meure, op. cit., p. 34.
86 Fabiani J.-L., « Science des écosystèmes et protection de la nature », in Cadoret A. (dir.), Protection de la nature. Histoire et idéologie. De la nature à l’environnement, Paris, L’Harmattan, 1985, p. 81.
87 Latour B., Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1997, p. 8.
88 Deléage J.-P., Une histoire de l’écologie, op. cit, p. 14. Voir également Jean-Louis Fabiani, « Science des écosystèmes et protection de la nature », art. cit., p. 76.
89 Entretien avec Jean-Pierre Raffin. 31/03/11.
90 Le Démezet M., Maresca B., La protection de la nature en Bretagne. La SEPNB (1953-2003), Rennes, PUR, 2003, p. 17 sq.
91 Aguesse P., Clefs pour l’écologie, Paris, Seghers, 1971, p. 125.
92 Dorst J., Avant que Nature meure, op. cit., p. 31.
93 Aguesse P., Clefs pour l’écologie, op. cit., p. 49.
94 Dorst J., Avant que Nature meure, op. cit., p. 30.
95 Topçu S., « Nucléaire : de l’engagement des « savants » aux contre-expertises associatives », Natures Sciences Sociétés, 2006, n° 14, p. 251.
96 Matagne P., Aux origines de l’écologie, les naturalistes en France (1800-1914), Paris, Éditions du CTHS, 1999.
97 Waldvogel C., Imposer « l’environnement ». Le travail révélateur des associations alsaciennes (1965-2005), Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2011, p. 51.
98 Tarrow S., « Charles Tilly and the Practice of Contentious Politics : From France to England and [Not quite] Back Again », Histoire@Politique. n° 10, janvier-avril 2010, p. 2 [www.histoire-politique.fr].
99 Mauz I., « Philippe Lebreton », Dictionnaire biographique en ligne de l’Association pour l’Histoire de la Protection de la Nature et de l’Environnement [www.ahpne.fr], parue le 19 janvier 2011, consulté le 16 octobre 2011.
100 Carlier J., La Vanoise, victoire pour demain, Paris, Calmann-Lévy, 1971.
101 Entretien avec Jean-Pierre Raffin. 31/03/11.
102 Entretien avec Jean Carlier. 08/03/10.
103 Rodes M., « Bernard Charbonneau : quel militantisme entre réflexions théoriques et pratiques de terrain ? » in [Collectif], Bernard Charbonneau, op. cit., p. 131.
104 Davant P., « 40 ans ! L’histoire – anecdotique parfois – de la SEPANSO. Ses grands combats et ses principaux responsables », Sud-Ouest nature, n° 145-146, septembre 2009, p. 5.
105 Mamère N., Mes vertes années, Paris, Fayard, 2002, p. 48.
106 Rioufreyt T., « Les passeurs de la « troisième voie », art. cit., p. 33.
107 Schulthess E., Solange Fernex, l’insoumise. Écologie, féminisme, non-violence, Barret-sur-Méouge, Éditions Yves Michel, 2004, p. 75.
108 Waldvogel C., Imposer « l’environnement ». op. cit., p. 57.
109 Pronier R., Jacques Le Seigneur V., Génération verte. Les écologistes en politique, Paris, Presses de la Renaissance, 1992, p. 104.
110 Entretien avec Alain-Claude Galtié. 18/09/11.
111 Vigna X., Zancarini-Fournel M., « Les rencontres improbables dans “les années 68” », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2009/1, n° 101, p. 163 sq.
112 Lalonde B., Sur la vague verte, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 126.
113 Témoignage d’Yves Cochet recueilli par l’auteur, 17/02/11.
114 Cans R., Petite histoire du mouvement écolo en France, Paris, Delachaux et Niestlé, 2006, p. 108 sq.
115 Mentionné par Antoine Waechter dans un carnet de note remis à Pronier R., Jacques Le Seigneur V., Génération Verte, op. cit., p. 105.
116 Schulthess E., Solange Fernex, op. cit.
117 Ainsi, parmi les très nombreux documents recueillis par Schnapp A. et Vidal-Naquet P., aucun ne fait référence à ces enjeux. Cf. Journal de la commune étudiante. Textes et documents. Novembre 1967-juin 1968, Paris, Seuil 1988 [1969 pour la 1re édition].
118 Legois J.-P. et al., « Les années 68 », in Dreyfus-Armand G., Les années 68. Un monde en mouvement, Paris, Syllepse, 2008, p. 13 sq.
119 Roy C., « Aux sources de l’écologie politique : le personnalisme “gascon” de Bernard Charbonneau et Jacques Ellul », Annales Canadiennes d’histoire, XXVII, avril 1992, p. 67.
120 Dard O., Le rendez-vous manqué des relèves des années trente, Paris, PUF, 2002.
121 Jacob J., Le retour de « l’Ordre Nouveau », Genève, Droz, 2000, p. 7 sq.
122 Goldsmith E., « Editorial. Breakthrough for the European Ecological Movement », The Ecologist, vol. 7, n° 1, janvier/février 1977, p. 3 sq.
123 Foi et Vie, décembre 1994, p. 28.
124 Cette période a été étudiée par Jean-Louis Loubet del Bayle dans Les non-conformistes des années 1930. Une tentative de renouvellement de la pensée politique française (Paris, Seuil, 2001) ainsi que par Olivier Dard dans Le rendez-vous manqué des relèves des années 1930, Paris, PUF, 2002.
125 Charbonneau B., Le jardin de Babylone, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2002, p. 8.
126 Celui-ci paraît dans le Journal Intérieur des Groupes Personnalistes du Sud-Ouest. Cf. Rognon F., « Bernard Charbonneau et Jacques Ellul. Aux sources de l’écologie radicale du xxie siècle », Écologie et Politique, n° 44, 2012, p. 71.
127 Jauréguiberry F., « Discours d’ouverture. L’actualité de la pensée de Bernard Charbonneau », in [Collectif], Bernard Charbonneau : habiter la terre. Actes du colloque du 2-4 mai 2011. Université de Pau et des Pays de l’Adour, 2012 [http://web.univ-pau.fr/recherche/set/charbonneau/], p. 9.
128 Rognon F., « Bernard Charbonneau et Jacques Ellul. Aux sources de l’écologie radicale du xxie siècle », op. cit., p. 68.
129 Roy C., « Une critique du “progrès” à contre-courant du mouvement personnaliste : Bernard Charbonneau face à Emmanuel Mounier au sortir de la guerre », Encyclopédie de L’Agora. Pour un monde durable [http://agora.qc.ca/documents/progres--une_critique_du_progres_a_contre-courant_du_mouvement_personnaliste_par_christian_roy], consulté le 15 février 2013.
130 Sirinelli J.-P., « Alain et les siens. Sociabilité du milieu intellectuel et responsabilité du clerc », Revue française de science politique, 1988/2, n° 38, p. 272 sq.
131 Mamère N., Mes vertes années, op. cit., p. 66.
132 Rodes M., « Bernard Charbonneau : quel militantisme entre réflexions théoriques et pratiques de terrain ? », in [Collectif], Bernard Charbonneau, op. cit., p. 129.
133 Cornick M., « Introduction », in Jean Paulhan, Armand Petitjean, Correspondance 1934-1968, Paris, Gallimard, 2011, p. 19.
134 Miller R. de, « Armand (-Marcel) Petitjean », Les grands pionniers de la conservation et de l’écologisme [http://asbric.pagesperso-orange.fr/bibli/e-petitjean.html], consulté le 06/01/2012.
135 [The Ecologist], Changer ou disparaître. Plan pour la survie, Paris, Fayard, 1972.
136 Grinevald J., « Goldsmith et Petitjean, une amitié écologiste », Reporterre. Le quotidien de l’écologie, 31/09/09 [http://www.reporterre.net/spip.php?article542], consulté le 24/12/09.
137 Cornick M., « Introduction », in Jean Paulhan, Armand Petitjean, Correspondance, op. cit., p. 44.
138 De Rougemont D., L’avenir est notre affaire, Paris, Stock, 1977.
139 Ibid., p. 90.
140 Dard O., Bertrand de Jouvenel, Paris, Perrin, 2008, p. 320.
141 Charbonneau B., Le Feu vert : autocritique du mouvement écologique, Lyon, Parangon/VS, 2009, p. 13.
142 Simon G., Plogoff. L’apprentissage de la mobilisation sociale, Rennes, PUR, 2010, p. XXIII.
143 Duclerc V., « La “Deuxième gauche” », in Jean-Jacques Becker et al., Histoire des gauches en France (t. 2), Paris, La Découverte, 2005, p. 175 sq.
144 Chatriot A., « À la recherche des forces vives », in Serge Berstein et al. (dir.), De Gaulle et les élites, Paris, La Découverte, 2008, p. 220 sq.
145 Andrieu C., Pour l’amour de la République. Le Club Jean-Moulin (1958-1970), Paris, Fayard, 2002, p. 23 sq.
146 Ibid., p. 117.
147 « Communiqué », Le Courpatier, n° 2, s. d., p. 10.
148 Trebitsch M., « Henri Lefebvre », Jacques Julliard, Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, op. cit., p. 835.
149 Busquet G., Idéologie urbaine et pensée politique, op. cit., p. 143.
150 Lefebvre H., Le droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968.
151 Castells M., La question urbaine, Paris, François Maspero, 1972, p. 237 et 421.
152 Bécot R., « L’invention syndicale de l’environnement dans la France des années 1960 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2012/1, n° 113, p. 172.
153 Georgi F., L’invention de la CFDT, op. cit., p. 47 et sq.
154 ACFDT. 8H 1455, « La CFDT et le cadre de vie », note pour les ENO, juillet 1970.
155 Ibid. Lettre de Marcel Gonin au groupe de travail « Cadre de vie », 9 juillet 1970.
156 Ibid. Compte rendu de la Commission confédérale « Cadre de vie », 7 octobre 1971.
157 Offerlé M., Le Gall L., « Introduction. La politique informelle entre incertitudes et inconstances », in Offerlé M., Le Gall L., Ploux F. (dir.), La politique sans en avoir l’air., Rennes, PUR, 2012, p. 7 sq.
158 Lecomte P. et al., « Les Groupes d’action municipale dans le système politique local : Grenoble, Valence, Chambéry », Revue française de science politique, 1972/2, n° 22, p. 296.
159 Bruneteau B., « Le « mythe de Grenoble » dans les années 1960 et 1970, un usage politique de la modernité », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1998/1, n° 58, p. 114.
160 Sibille J., Grenoble : les municipalités Dubedout face à l’environnement (1965-1983), mémoire de master 1 sous la direction d’Anne-Marie Granet-Abisset, université Grenoble 2, 2011, p. 27 sq.
161 Sibille J., Grenoble, op. cit., p. 45.
162 Bécot R., « Agir syndicalement sur un territoire chimique : aux racines d’un environnementalisme ouvrier dans le Rhône, 1950-1980 », Écologie & Politique, 2015/1, n° 50, p. 57-70.
163 Archives Confédérales de la CFDT [désormais ACFDT]. 8H 1457, tract de l’URP CFDT « Mieux vivre à Paris », juin 1965.
164 Ibid. Tract de l’URP CFDT « Mieux vivre à Paris », 1965.
165 Ibid. Communiqué l’UD-CFDT de Loire-Atlantique, « La CFDT et les bords de l’Erdre », 10 juin 1971.
166 Buton P., « L’impensé écologiste de l’extrême gauche française avant 1968 », Écologie et Politique, n° 44, 2012, p. 95. Id. « L’extrême gauche et l’écologie. Une rencontre difficile (1968-1978) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 113, 2012/1, p. 192 sq.
167 Lerosier T., Culture technoscientifique et émergence d’une contre-culture dans la construction d’une capitale scientifique. Grenoble (1960-2011), mémoire de Master 2 sous la direction de Guillaume Lachenal, université Paris 7- Denis Diderot, 2011, p. 71 sq.
168 Buton P., « L’extrême gauche et l’écologie », art. cit., p. 193.
169 Lerosier T., Culture technoscientifique, op. cit., p. 74-75.
170 Entretien avec Cédric Philibert. 24 mars 2011.
171 Lerosier T., Culture technoscientifique, op. cit., p. 77.
172 Soit 147 groupes et associations sur les 210 recensés.
173 Duverger T., « De Meadows à Mansholt : l’invention du “zégisme” », Entropia, n° 10, printemps 2011, p. 115 sq.
174 Vadrot C.-M., Déclaration des droits de la nature, Paris, Stock, 1973, p. 334.
175 Buton P., « L’impensé écologiste de l’extrême gauche française avant 1968 », Écologie et Politique, n° 44/2012, p. 102.
176 Messiez Y., « Bugey-Cobaye », Le Courrier de la Baleine, n° 2, janvier 1972, p. 14.
177 Baubérot A., Histoire du naturisme. Le mythe du retour à la nature, Rennes, PUR, 2004 ; Hanse O., A l’école du rythme. Utopies communautaires allemandes autour de 1900, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2010.
178 Rivière-Wekstein G., Bio, op. cit., p. 165 sq. ; François S., L’écologie politique : une vision du monde réactionnaire ? Paris, Cerf, 2012 ; Coston H., Non ! L’écologie n’est pas de gauche. Elle n’est d’aucun parti., s. l., Publications Henry Coston, 1995 ; Ferry L., Le nouvel ordre écologique, Paris, Gallimard, 2002.
179 Schwab G., La danse avec le Diable, Paris, La Colombe, 1963, p. 73.
180 César C., « Les métamorphoses des idéologies de l’agriculture biologique. La voix de la Vie Claire (1946-1981) », Écologie et Politique, 2003/1, n° 27, p. 198.
181 Landron O., Le catholicisme vert, Paris, Cerf, 2008, p. 204.
182 Birre A., Une autre révolution. Pour se réconcilier avec la terre, Paris, Jean-Pierre Delarge éditeur, 1976, p. 15.
183 Birre A., Une politique de la terre. Une espérance de nature biologique et humaine, Lille, Vie et Action, 1967, p. 6.
184 Schwab G., La danse avec le Diable, op. cit., p. 24.
185 Birre A., Une autre révolution, op. cit., p. 379.
186 Ibid., p. 380.
187 Birre A., Une politique de la terre, op. cit., p. 165.
188 Schwab G., La danse avec le Diable, op. cit, p. 282.
189 Alexis Carrel (1873-1944), chirurgien et biologiste, prix Nobel de médecine en 1912. Il est particulièrement connu pour son ouvrage L’homme cet inconnu (1935) où il prône une politique eugéniste reposant sur un biologisme qui se veut rationnel.
190 Rivière-Wekstein G., Bio, op. cit., p. 55-56.
191 Sapiro G., « La raison littéraire. Le champ littéraire français sous l’Occupation (1940-1944) », Actes de la recherche en sciences sociales, 1996/2, n° 111-112, p. 6.
192 Rivière-Wekstein G., Bio, op. cit., p. 165 sq.
193 Henry Coston cité par Rivière-Wekstein G., Bio, op. cit., p. 192.
194 Birre A., Une politique de la terre, op. cit., p. 134.
195 Baubérot A., « Aux sources de l’écologisme anarchiste : Louis Rimbault et les communautés végétaliennes en France dans la première moitié du xxe siècle », Le Mouvement Social, 2014/1, n° 246, p. 64 sq.
196 Chevriot C., « En témoignage de fidélité », Nature et Progrès, 7e année, n° 3, juillet-septembre 1970, p. 3.
197 MV. Fonds André Louis. Correspondance avec Matteo Tavera. Cf. par exemple lettre de Matteo Tavera à André Louis. 22 juillet 1961 ou encore lettre du 27 mai 1969.
198 Chevriot C., « Pourquoi Marjolaine », Nature et Progrès, 13e année, n° 49, janvier-mars 1976, p. 3.
199 Tavera M., « Activités de l’association », Nature et Progrès, 5e année, n° 3, juillet-septembre 1968, p. 4.
200 Vadrot C.-M., L’écologie. Histoire d’une subversion, Paris, Syros, 1977, p. 193.
201 Ces deux termes apparaissent respectivement dans les numéros d’avril-juin 1970 (n° 2) et juillet-septembre 1970 (n° 3) de Nature et Progrès.
202 Richli K., « Priorité à la vie ! », Nature et Progrès, 5e année, n° 1, janvier-mars 1968, p. 36.
203 « Congrès « Nature et Progrès » des 20-22 novembre à Tours », Nature et Progrès, 7e année, n° 3, juillet-septembre 1970, p. 38.
204 Chevriot R., « En témoignage de fidélité », Nature et Progrès, 7e année, n° 3, juillet-septembre 1970, p. 3.
205 Bernhardt C., Massard-Guilbaud G., « Écrire l’histoire de la pollution », in Bernhardt C., Massard-Guilbaud G. (dir.), Le démon moderne. La pollution dans les sociétés urbaines et industrielles d’Europe, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2002, p. 10.
206 Birre A., « Pourquoi la biopolitique dans « Nature et Progrès » ? », Nature et Progrès, 6e année, n° 3, juillet-septembre 1969, p. 30. La définition de la biopolitique au sein de Nature et Progrès diffère donc complètement de celle donnée quelques années plus tard par Michel Foucault.
207 Birre A., « Les structures agricoles vues sous l’angle de la biopolitique », Nature et Progrès, janvier-mars 1970, p. 29.
208 « Groupe d’études de la biopolitique. Compte rendu de la réunion de Dourdan », Nature et Progrès, janvier-mars 1970, p. 33.
209 Birre A., Une autre révolution, op. cit., p. 19.
210 Chevriot R., « Quand « Nature et Progrès » sort de l’ombre », Nature et Progrès, 8e année, n° 2, avril-juin 1971, p. 1.
211 Chevriot R., « Au-delà de Versailles », Nature et Progrès, 10e année, n° 1, janvier-mars 1973, p. 1.
212 « Le congrès de Versailles (3-5 novembre 1972) », Nature et Progrès, 10e année, n° 1, janvier-mars 1973, p. 5 sq.
213 « Allez, salut ! », GO, n° 5, mars 1973, p. 3.
214 De Certeau M., L’invention du quotidien, t. 1, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 252.
215 Lévi-Strauss C., La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 26 sq.
216 Jean Jacob évoque ainsi la « naïveté » de ses positions qu’il explique par son ignorance « de la philosophie politique, de l’histoire des idées politiques ». Jacob J., Le retour de « l’ordre nouveau », op. cit., p. 68.
217 Fournier P., Où on va ? J’en sais rien mais on y va, Paris, Éditions du Square, 1973, p. 28.
218 Fournier D., « Préface », in Pierre Fournier, Y’en a plus pour longtemps, Paris, Éditions du Square, 1975, p. 10.
219 Fournier P., Où on va ?, op. cit., p. 9.
220 Ibid., p. 9.
221 Ibid., p. 50.
222 Fournier P., Y’en a plus pour longtemps, op. cit., p. 109.
223 Fournier P., Où on va, op. cit., p. 35.
224 Lévi-Strauss C., La pensée sauvage, op. cit., p. 28.
225 Fournier P., Y’en a plus pour longtemps, op. cit., p. 161.
226 Fournier P., Où on va, op. cit., p. 13.
227 Gobille B., « La vocation d’hétérodoxie », in Damamme D. et al. (dir.), Mai-juin 1968, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2008, p. 279.
228 Fournier P., Y’en a plus pour longtemps, op. cit., p. 26.
229 Ibid., p. 73.
230 [Anonyme], Louis Rimbault et « Terre libérée », 1923-1949. École de pratique végétalienne et Retour à la Terre, Rimogne, Les Brochures de l’en dehors, 2005, p. 6-8.
231 Fournier P., Où on va, op. cit., p. 16.
232 Pignero J., « L’association pour la protection contre les rayonnements ionisants », Survivre, n° 5, décembre 1970, p. 2.
233 Etopia. Fonds Survie. APRI. 1. Survie Universelle, « Risques nucléaires inacceptables », avril 1975, p. 1.
234 Pignero J., « L’association pour la protection contre les rayonnements ionisants », p. 5.
235 Charvolin F., L’invention de l’environnement en France, op. cit.,
236 Turner F., Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture, Steward Brand, un homme d’influence, Caen, C & F éditions, 2012, p. 92 sq. Cf. Chamak B., Le Groupe des Dix ou les avatars des rapports entre science et politique, Paris, Éditions du Rocher, 1997.
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