Le renouvellement de la politique urbaine à Blois sous le mandat de Pierre Sudreau dans les années 1970
p. 137-147
Texte intégral
1Nommé préfet du Loir-et-Cher en 1951 (en poste jusqu’en 1955), puis député centriste du Loir-et-Cher à partir de 1967, Pierre Sudreau décide de poursuivre sa carrière locale en se lançant dans la campagne des municipales à Blois en 1971. Il est élu avec 68 % des voix et bat ainsi le maire sortant Louis Pétré. Cette confiance des Blésois lui sera renouvelée en 1977 avec 51,4 % des voix, puis en 1983, avant qu’il ne soit battu en 1989 au premier tour par le ministre Jack Lang. Le premier mandat municipal de Pierre Sudreau se caractérise, entre autres, par un renouvellement de la politique urbaine à Blois, qui s’inscrit dans une évolution au niveau national en matière de construction de logements.
Un renouvellement en lien avec le contexte national
2Un an après l’élection de Pierre Sudreau à Blois, l’arrivée d’Olivier Guichard au ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Équipement, du Logement et du Tourisme en 1972 marque effectivement un tournant dans le domaine du logement. Celui-ci décide de mettre fin à la construction des grands ensembles et d’encourager le passage aux Zones d’aménagement concerté (ZAC)1. En 1973, lors des débats à l’Assemblée nationale (auxquels participe Pierre Sudreau), Olivier Guichard défend sa vision d’une urbanisation plus humaine, moins dense et sa volonté de faire revivre les cœurs de ville en danger face au développement des grandes surfaces périphériques. Ce tournant dans la politique urbaine est acté dans la circulaire du 21 mars 1973 qui annonce la fin des grands ensembles. Le ministre encourage également le développement des « villes moyennes », censées représenter un certain art de vivre à la française. La « ville moyenne » constituerait une des réponses possibles au défi de la croissance urbaine et des nuisances qui en découlent. Ainsi, après les métropoles d’équilibre, après les villes nouvelles, les villes moyennes apparaissent comme la panacée face aux maux de la civilisation urbaine. Elles pourraient jouer un rôle original dans le mouvement d’urbanisation en orientant l’expansion de l’habitat loin des grandes concentrations urbaines. La notion de ville moyenne recouvre les villes entre 20000 et 100000 habitants. Le 4 novembre 1972, la 23e Journée mondiale de l’urbanisme est organisée à Blois, sur le thème des villes moyennes. À l’occasion de cette journée, Olivier Guichard effectue le déplacement à Blois et met ainsi à l’honneur cette nouvelle « ville moyenne ». C’est dans ce contexte d’évolution de la vision de l’espace urbain, que Pierre Sudreau reprend cette volonté de mettre fin à une urbanisation très dense, qu’incarnaient les Zones à urbaniser en priorité (ZUP) et d’engager également la rénovation urbaine d’une partie du centre-ville de Blois.
3Pierre Sudreau était familier de ce type de procédure de restructuration des centres urbains depuis 1955 et sa nomination comme commissaire à la Construction et à l’Urbanisme de la région parisienne. Ces opérations de rénovation urbaine consistaient essentiellement en des destructions d’immeubles insalubres ce qui permettait de restructurer le centre des villes, notamment pour les adapter à l’automobile (élargissement des rues et parkings). L’Instruction générale du 8 novembre 1959 avait rappelé que
« la rénovation urbaine n’a pas seulement pour objet de reloger dans des immeubles sains des familles qui dépérissent physiquement et moralement dans des taudis. Elle ambitionne aussi de restituer au centre des villes, lorsqu’ils ont été dégradés par le manque d’entretien et par des constructions désordonnées, une structure et une architecture dignes de notre temps2 ».
4Les habitants étaient souvent relogés en dehors de leur quartier, dans les grands ensembles de logements sociaux construits à la même époque, à la périphérie de la ville. Pour certains habitants, quitter un taudis pour un logement moderne (avec chauffage central, salle de bains et chambre pour les enfants) était un grand progrès. Pour d’autres, c’était une mise à l’écart. Les opérations de rénovation et restauration urbaine s’étaient généralisées au reste de la France avec l’entrée en vigueur en août 1962 de la « Loi Malraux3 ». Le texte de cette loi avait été entièrement élaboré au ministère de la Construction, alors dirigé par Pierre Sudreau, et déposé au Parlement sous le double contreseing des deux ministères de la Construction et de la Culture avant le changement de gouvernement d’avril 1962 (date à laquelle Pierre Sudreau avait changé de ministère pour passer à l’Éducation nationale).
5La rénovation urbaine du centre-ville de Blois que va engager Pierre Sudreau s’opère dans le cadre du Secteur Sauvegardé. Cette opération va s’inscrire dans une politique urbaine visant à insuffler une nouvelle dynamique au centre-ville, donner un caractère plus humain à la deuxième tranche des grands ensembles (ZUP II), développer la construction de pavillons et urbaniser des espaces jusque-là restés à l’écart (rive gauche de la Loire). Nous allons examiner comment la rénovation urbaine du centre-ville s’inscrit dans cette évolution de l’urbanisme blésois.
6La critique de la ZUP a été un argument électoral utilisé par Pierre Sudreau pour son élection à la tête de la municipalité en 1971. La population attend un changement en matière de politique urbaine, les partisans les plus ouverts de cette évolution étant non seulement les habitants de ces nouveaux grands ensembles, mais également le lobby commerçant qui aspire à une restructuration du centre-ville. Lors du conseil municipal du 20 mars 1971, le maire sortant Louis Pétré, faisant le bilan de son mandat, a évoqué ce défi urbain que devrait relever son successeur, à savoir, l’expansion et la rénovation de Blois.
7Pierre Sudreau va pour cela donner une nouvelle orientation à la politique du logement à Blois4. La raison principale de ce changement découle de la remise en cause de l’habitat collectif massif. Dès sa construction la ZUP avait suscité des critiques, en particulier la dénonciation des conditions de vie ainsi que les multiples dysfonctionnements. En 1971, l’extension de cette ZUP est sujette à controverse dès le départ et certains acteurs de l’aménagement, comme par exemple les Ponts et Chaussées, proposent au cours des commissions d’urbanisme d’atténuer la densification de cette zone. Ces controverses locales ne sont peut-être pas étrangères au fait que, lors de son intervention à l’Assemblée nationale le 2 avril 1973, Pierre Sudreau réclame la révision du processus de décision en matière d’aménagement et d’urbanisme afin d’accorder un rôle décisionnel plus important aux municipalités.
Une première forme de mise en œuvre : la rénovation urbaine
8La nouvelle municipalité de Blois engage donc une politique de restauration et de rénovation du parc ancien afin de revaloriser le centre-ville en perte de dynamisme. Le secteur sauvegardé5 de Blois a été créé par un arrêté du 3 septembre 1970. Il s’étend sur 19,52 hectares soit 123000 m2 hors voirie6, et 70000 m2 de surface bâtie répartis sur 385 parcelles. Il est traversé par les RN 157 et 766 et compte trois places publiques (place Saint-Honoré, place Saint-Louis, place du Château) ainsi que cinq jardins publics. Lors de la délibération du 23 avril 1971, la ville décide de la restauration du quartier du Bourg-Saint-Jean et de celui du Puits-Châtel7. En 1972, l’exécution des travaux est confiée à la Société d’économie mixte de rénovation et de restauration de Blois (SEMIREB). Le choix de la municipalité se porte sur ce secteur car les études du Bureau d’études et de réalisations urbaines (BERU) ont souligné la vétusté, voire le délabrement des logements du Bourg-Saint-Jean. La SARPI (Société auxiliaire de restauration du patrimoine d’intérêt national) est le conseiller technique de la SEMIREB. L’architecte parisien André Aubert est désigné comme architecte en chef de cette rénovation ; il est chargé de contrôler les études et les opérations qui seront réalisées par deux architectes blésois, Roger Richez et Aubry-Ferrieux. Le processus est supervisé par le ministre de l’Équipement et du Logement. Celui-ci délimite le secteur opérationnel de restauration en juin 19718. Le financement est assuré en partie par le Fonds d’aménagement urbain (FAU).
9La première intervention est une opération de rénovation urbaine et de restauration immobilière : lorsque l’immeuble présente un intérêt architectural et historique, la restauration est privilégiée ; pour le reste, la technique de rénovation est appliquée. Cette intervention comporte elle-même une première phase, qui concerne la délimitation du secteur opérationnel de restauration et l’acquisition par la ville de Blois d’un certain nombre d’immeubles compris dans ce périmètre. Ces expropriations se font au profit de la SEMIREB, concessionnaire de la ville. Dans une seconde phase sont exécutés, sur les immeubles acquis, les travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition. La ville a choisi ces îlots pour l’intérêt architectural des bâtiments et la nécessité de restaurer des immeubles vétustes et dépourvus de confort. L’architecte Aubert souhaite doubler la population, dans une volonté d’animer ce quartier sans pour autant que cela apparaisse comme une densification. Le but est de réhabiliter une partie du tissu urbain du centre-ville et de l’adapter aux réalités du monde contemporain. On envisage également de mettre à la disposition de candidats aux HLM, 80 logements restaurés, afin de procéder à un rééquilibrage socio-démographique.
10L’opération s’étend sur les îlots 4-5-6-7-8 du quartier du Bourg-Saint-Jean, qui s’étire le long de la Loire depuis le centre historique de la ville, englobant le pourtour Saint-Louis, la rue Pierre de Blois, la rue des Juifs, la rue Fontaine-des-Élus et la rue de la Foulerie. Le parcellaire de ce secteur a peu varié depuis le Moyen Âge. Ce secteur opérationnel touche, à l’ouest, la zone reconstruite après la Libération. La superficie du secteur concerné est de 13337 m2, dont 10240 m2 de bâti. 237 logements sont touchés par l’opération, ainsi que 35 locaux d’activités économiques. On prévoit la restauration de 135 immeubles, la construction de 6 et la conservation de 157. La phase de rénovation comporte la démolition de 19 logements et de deux locaux d’activités économiques. La partie restauration porte sur 207 logements, 33 locaux d’activités économiques et une surface de plancher de 24464 m2. Seize de ces logements verront seulement leur façade ravalée ; dans 25 autres, seront exécutés des travaux dits « légers » ; quant aux 166 derniers représentant une surface de planchers de 15065 m2, ils seront complètement transformés, certains étant d’ailleurs supprimés puisqu’on n’en aura plus que 110 à la fin des travaux. Ceux-ci auront permis la création de 157 logements et de 33 locaux d’activités économiques, dont 135 restaurés.
11Les destructions prévues concernent les immeubles vétustes construits à l’intérieur des îlots. C’est ce qu’on appelle le curetage, opération qui consiste à dégager les immeubles et les éléments d’architecture présentant un grand intérêt d’ordre esthétique. L’objectif est de permettre la restauration des immeubles conservés, dans des conditions telles que l’habitat y soit salubre et convenablement équipé. On prévoit également la construction de parkings souterrains et de jardins en complément de ces rénovations et restaurations. L’implantation de 25 logements HLM locatifs, notamment 21 rue du Puits-Châtel et 20 rue du Bourg-Saint-Jean, est prévue afin de faciliter le relogement des ménages modestes. La municipalité, ainsi que l’État, souhaitent maintenir une cohésion architecturale dans ce quartier et conserver un type d’architecture régionale particulier (toitures en ardoises de Trélazé pentées à 50°, incorporant des lucarnes avec croupe de style régional, emploi de la pierre de taille de Lavoux, etc.). Les choix architecturaux induisent un coût financier très élevé qui va peser grandement sur le budget de la Ville. La municipalité9 établit un plan de mise en état de la voirie et des divers réseaux du quartier à l’occasion de ces travaux de rénovation et de restauration. Le réseau d’eau, très vétuste puisqu’une partie date de 1837, est en grande partie refait. L’exécution des travaux est l’occasion d’installer un réseau d’assainissement dans ce quartier qui en est dépourvu.
12Le relogement des populations de ce secteur est problématique. Il entraîne d’ailleurs des retards importants dans l’ouverture des chantiers. On peut évoquer l’exemple d’un immeuble, situé au 19 rue du Puits-Châtel. Une des familles de 10 personnes, dont le père est ouvrier chez Poulain et la mère femme au foyer, refuse tout relogement en HLM. finalement la Ville est contrainte de mettre à sa disposition à titre temporaire jusqu’à la retraite du père de famille un immeuble situé dans le quartier du Bourg-Saint-Jean. Par ailleurs, dans l’habitat le plus précaire de ce quartier, on trouve des travailleurs immigrés. Or leur relogement est d’autant plus problématique que leur solvabilité est très faible. Une grande partie des occupants modestes se retrouvent évincés dans des logements plus éloignés du centre-ville, en particulier dans la ZUP.
13Ces opérations de rénovation urbaine, qui se généralisent à plusieurs villes moyennes françaises, nécessitent la mise en place de nouveaux instruments d’action foncière et de planification urbaine : c’est dans ce contexte que les Zones d’intervention foncière sont créées par la loi du 31 décembre 1975 et le décret n° 76-277 du 29 mars 1976. La création d’une ZIF permet de contrôler le marché immobilier et de préempter si nécessaire : elle permet aux municipalités de pratiquer une politique de maîtrise des sols. Elle facilite la mise en œuvre d’une politique d’habitat social dans les zones urbaines et constitue un instrument commode de restructuration des centres. À Blois, deux ZIF sont créées dans le centre-ville. La Zone d’intervention foncière du Bourg-Saint-Jean, située sur une partie du secteur sauvegardé de Blois, est créée par arrêté préfectoral en avril 1977 et durera jusqu’en 1983. Elle a pour but de limiter la spéculation foncière dans un secteur où l’opération de rénovation revalorise le prix du foncier. En septembre 1980, la municipalité réclame la création d’une autre ZIF dans les secteurs Saint-Nicolas et Saint-Saturnin qui renferment environ 500 logements inconfortables.
Une deuxième forme de mise en œuvre : la politique d’expansion de la ville
14Parallèlement à ces opérations de rénovation urbaine, Pierre Sudreau poursuit la politique d’expansion de la ville. La création des nouveaux quartiers au nord-ouest de Blois s’était effectuée dans le cadre des ZUP dès 1959, à une période où Pierre Sudreau était à la tête du ministère de la Construction. Dans une interview de 197910, il revient justement sur la création de la ZUP de Blois :
« Il fallait aller vite puisque c’est, en réalité, une course contre la montre qui était engagée, Blois risquant d’être laminée par le développement rapide d’Orléans et de Tours. »
15Il estime ainsi que cette zone a permis un développement fulgurant pour Blois. Néanmoins, il n’approuve pas la densification imposée par l’État :
« La Nouvelle République – Vous dites fréquemment que “la concentration urbaine est la plus grande erreur de notre temps”. Est-ce qu’on n’a pas construit trop de logements ?
P.S. – Sûrement pas, car l’expansion économique de Blois ne pouvait avoir lieu que si la création d’emplois s’accompagnait des logements nécessaires. En revanche, je regrette profondément qu’à cause de directives financières mal adaptées, venant des services ministériels parisiens, la densité des logements ait pratiquement doublé dans la Z.U.P.-2 entre 1965 et 1971, du fait, notamment, du nombre excessif de tours. Permettez-moi de dire que la conception de la Z.U.P.-1 est une très grande réussite, par son urbanisme aéré, alors que les plans de la Z.U.P.-2 sont apparus trop concentrationnaires. C’est pourquoi, dès mon arrivée à la tête de la municipalité, je me suis efforcé de casser cet urbanisme “parisien”, en prenant un certain nombre de décisions pour essayer d’effacer dans la mesure du possible les erreurs provoquées par les directives officielles. Nous avons supprimé des centaines de logements à la Croix-Chevalier et ailleurs, en interdisant la construction de tours supplémentaires. »
16Pierre Sudreau décide donc, dès son élection en 1971, d’introduire une nouvelle façon de concevoir l’expansion de la ville : elle consiste à renoncer à la densification à outrance et à tenir compte du souhait d’une grande partie de la population d’accéder au pavillon individuel. Or le plan-masse de la ZUP II (projet d’expansion de la ZUP I) prévoyait la construction de 3060 logements, d’une capacité d’accueil de 9000 habitants, sur un terrain de 73 hectares. L’architecte en chef, Favraud, n’envisageait que 350 constructions individuelles. Il privilégiait donc un habitat collectif dense, à savoir 42 logements à l’hectare. Cette densification avait été souhaitée par le ministère de l’Équipement et du Logement : c’est lui-même qui avait arrêté le nombre, la nature et l’échéancier des logements à construire dans la ZUP.
17La surcharge foncière de l’opération est donc critiquée par la municipalité. Aussi, lors de la réunion du comité d’urbanisme et d’environnement de la ville de Blois le 2 novembre 197111, le plan-masse de l’architecte Favraud fait l’objet d’une nouvelle présentation. Celui-ci a modifié la hauteur des bâtiments comme la Ville le lui a demandé. L’architecte blésois Lucien Joubert tient également à la présence d’espaces verts afin d’éviter les erreurs de la ZUP I, à savoir une aire bétonnée entre bâtiments formant une cour carrée. Il estime cette ZUP trop dense et souhaite que les bâtiments soient plus espacés les uns des autres, quitte à dépasser le périmètre de la ZUP.
18Pour l’extension de la ZUP, qui ne pouvait être élargie que sous la forme juridique d’une Zone d’aménagement différé (ZAD)12, la précédente municipalité avait créé une première ZAD en 1966. Celle-ci était destinée à accueillir essentiellement des constructions d’habitation à caractère individuel, preuve que la critique sur la densification des ZUP était déjà engagée13. Par ailleurs, sa création devait permettre d’éviter la spéculation foncière et le risque de constructions disparates à la périphérie de la ZUP. Pierre Sudreau va utiliser ce nouvel instrument de planification urbaine pour poursuivre l’expansion à l’est (ZAD de La Chaussée-Saint-Victor) et surtout sur la rive gauche de la Loire (ZAD du quartier de Vienne).
19Le faubourg de Vienne tient en effet une place à part dans la ville en raison de sa situation sur la rive gauche. Le parc de logements y est resté très vétuste : on estime à 40 % le pourcentage de logements anciens dénués de confort. La mairie décide de diriger son effort en matière d’acquisitions foncières sur cette ZAD de Vienne créée en 1973, notamment parce que les terrains sur la rive droite ont commencé à se raréfier. La ZAD de Vienne est créée pour stopper le processus engagé d’une urbanisation anarchique traduite par la construction au coup par coup. L’objectif est également de voir s’élever le niveau d’équipements du quartier, tout en évitant de porter atteinte au domaine bâti déjà construit. Car cette ZAD est située dans un quartier avec une identité bien marquée, un esprit de « village urbain » que la Ville souhaite maintenir en évitant une forte concentration de population.
20Malgré des soucis techniques quant à la protection contre les crues, qui vont entraîner un surcoût foncier, on peut dire que le quartier de Vienne, longtemps mis à l’écart par les aménageurs, est ainsi réintégré à l’espace blésois grâce à Pierre Sudreau. À tout le moins, il aura essayé d’urbaniser la rive gauche, de densifier la construction immobilière et de mettre ainsi fin au mitage de cet espace. Il faut noter que ce changement dans la politique de l’habitat est concomitant à l’essor de communes de la rive gauche (Vineuil et Saint-Gervais-La-Forêt), ce qui n’est certainement pas une coïncidence. C’est contrainte par un phénomène imprévu de développement de la rive gauche que la municipalité a dû se rendre à l’évidence : de l’autre côté du pont, Blois existe.
21La municipalité va également utiliser un autre instrument de planification urbaine, les Zones aménagement concerté (ZAC), pour créer des quartiers pavillonnaires et intégrer plus d’habitat individuel au Nord et à l’Ouest de la ville. Les ZAC des années 1970, contrastent clairement avec la ZUP en raison du nombre plus élevé de maisons individuelles. Les efforts vont porter sur la promotion de l’habitat individuel – notamment du pavillon. En effet, la raréfaction des terrains incite la Ville de Blois à collaborer à des projets de ZAC situés sur les autres communes du groupement d’urbanisme. La nouvelle politique de l’habitat tend à réduire la dispersion extrême des populations. Dans ces nouvelles ZAC, l’HLM locatif est limité. Cette nouvelle politique de l’habitat tente également d’adapter la construction aux catégories de moyen standing. L’amélioration du niveau de vie crée une clientèle potentielle relativement importante pour des logements non aidés. Pierre Sudreau décide donc d’initier la création de ZAC combinant logements collectifs et logements individuels de façon harmonieuse, à l’image de la ZAC Chavy. Celle-ci est créée en raison du débordement du périmètre de la ZUP II. Le Plan d’aménagement de la zone (PAZ) de cette ZAC est pris en considération par l’arrêté préfectoral du 29 juin 197714. Cette zone de 120 ha a une capacité d’accueil de 2000 logements, soit 6000 habitants. La ZAC de Chavy se situe dans la ZAD de Blois qui prolonge la ZUP. Le programme de construction de cette ZAC prévoit la construction de 630 logements, dont 60 % en collectif et 40 % en individuel. 8,3 ha sont réservés aux administrations et à l’artisanat. L’objectif est de créer une zone d’habitation totalement différente de la ZUP.
22En fait, le principal défi auquel sont confrontés les aménageurs de Blois est d’accepter de mener une politique de l’habitat en collaboration avec les autres communes de l’agglomération, voire de celles de l’ensemble du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU). En effet, l’étalement urbain, en grande partie à imputer à l’essor de l’automobile, contraint d’élargir le champ d’action des programmations de la construction immobilière. C’est ce que va faire le Plan d’occupation des sols (POS) dont l’étude est lancée en 1974. L’État ayant piloté la plupart des grandes opérations de construction à Blois, la Ville tente ainsi d’affirmer sa vision grâce au POS et ainsi reprendre la main en matière d’habitat. Celui-ci est rendu public par arrêté préfectoral le 31 août 1982. Il définit les grandes orientations du développement de Blois. En ce qui concerne l’aménagement de l’espace urbain, il prescrit, entre autres, l’amélioration de la circulation afin de faciliter les déplacements au sein de la ville, et de relier les nouveaux quartiers au centre historique afin de favoriser la venue de clients dans le centre-ville. Or les auteurs ont pleinement conscience de l’essor économique de la rive gauche de l’agglomération. La ville s’était toujours refusée à développer ses quartiers de la rive gauche, sous prétexte de leur inondabilité. La revanche prise cette rive, grâce au développement des communes de Saint-Gervais-La-Forêt et surtout Vineuil, n’a aucunement était planifiée par les divers aménageurs. Les auteurs du POS souhaitent harmoniser les différentes composantes de l’agglomération et mettre fin à l’antagonisme entre le vieux et le nouveau Blois.
Conclusion : quel bilan ?
23En 1977, le Comité de gestion du FAU dresse un premier bilan de l’opération de restauration et rénovation du Bourg-Saint-Jean15 : des travaux ont été engagés sur 25 immeubles (12 immeubles terminés, 3 immeubles en voie d’achèvement, 2 immeubles en cours de travaux, 8 immeubles prêts à démarrer dès que le problème du relogement aura été résolu par la Ville) sur un total de 80. Le comité de gestion estime cependant que la première opération de restauration et rénovation ne peut endiguer le phénomène de désertion du centre-ville et la perte de dynamisme commercial. L’opération s’achève au début des années 1980. Les procès-verbaux des différentes commissions se rejoignent tous concernant le coût élevé de l’opération, bien qu’il soit unanimement jugé nécessaire. En effet, redonner vie au centre-ville est l’une des priorités des acteurs de l’urbanisme à Blois. L’opération satisfait le lobby commerçant blésois qui s’inquiète de la baisse de fréquentation dans le centre-ville et de l’implantation de premières grandes surfaces au début des années 1970 dans des zones plus accessibles à l’automobile.
24Cependant, les effets de cette nouvelle politique des années 1970, à l’image de l’histoire du développement de l’agglomération blésoise en général, illustrent la part d’imprévisible dans la planification urbaine. La municipalité et l’État ont investi considérablement tout d’abord dans la reconstruction du centre-ville après la Seconde Guerre mondiale, puis dans les opérations de restauration et rénovation. Ces investissements se sont parfois faits au détriment d’autres programmes, comme par exemple les constructions dans la ZUP, qui ont donné lieu à la fin des années 1960 à des critiques face à certains logements défectueux16 et à la création de « ghettos » sans âme. Malgré les efforts conjugués des acteurs locaux et nationaux, à la fin des années 1970, le centre-ville n’est plus le noyau attractif de l’agglomération blésoise17. L’étalement urbain et la dispersion des activités ont eu raison du centre historique. Ce qui fait le charme pittoresque du cœur de Blois – les rues tortueuses et étroites, etc. – a empêché la ville de s’adapter réellement à la modernité. Les aménagements de voirie réalisés et les quelques emplacements de parking ne sont pas suffisants pour attirer une clientèle considérable dans les commerces du centre. Cet affaiblissement des commerces de proximité marque également un recul du lobby commerçant de la ville, qui avait joué un très grand rôle dans l’orientation des projets d’urbanisme au début des années 1970. La politique de préservation et de mise en valeur du centre-ville de Blois, mise en œuvre conjointement par la municipalité, le département et l’État a en partie échoué18. Certes le centre-ville reste un lieu historique et patrimonial, mais il n’est plus le seul lieu de centralité de l’agglomération, et même de la commune.
25C’est une des raisons de l’abandon de la rénovation urbaine, au profit des politiques dites de réhabilitation des quartiers anciens dégradés, après le choc pétrolier de 1973. À la fin des années 1970, on s’oriente vers des opérations moins coûteuses de modernisation et de mise en valeur de l’habitat dégradé dans les quartiers anciens. En 1977, la création conjointe des Opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) et de l’Aide personnalisée au logement (APL) vise une réhabilitation sociale des quartiers anciens dégradés, permettant aux locataires des taudis de conserver le même logement après les travaux. La réhabilitation est moins brutale que la rénovation-démolition. À Blois, elle va être appliquée au quartier Saint-Nicolas. La restauration de ce quartier intervenant après 1980, elle va entrer dans le cadre de cette nouvelle procédure d’OPAH19.
26Si l’on considère l’ensemble de la période couvrant les mandats de Pierre Sudreau (1971-1989), elle se caractérise par un certain renouvellement de la politique urbaine municipale. Ce changement tient compte de la montée en puissance des communes de la rive gauche, mais également d’un fléchissement de l’interventionnisme d’État dans les politiques urbaines communales. Avec le recul, le bilan des mandats de Pierre Sudreau en matière d’urbanisme est cependant à nuancer et le renouvellement peut être qualifié de relatif. Évoquons ici la réflexion menée par Michel Lussault sur cette politique :
« P. Sudreau et ses partenaires, en se contentant d’encadrer le processus d’expansion sans faire véritablement leurs les valeurs de modernité urbaine afférentes, ont négligé de restructurer l’idéologie citadine dominante et ont versé dans la facilité de la conservation de l’image classique de la ville20. »
27Le centre-ville, cité historique, incarne cette image classique qui laisse de côté les nouveaux quartiers. Ces quartiers neufs, cette modernité urbaine ici évoquée, restent antagonistes du vieux Blois historique. Michel Lussault, dans ses différents travaux sur les villes de la Loire, compare l’action de Pierre Sudreau à celle de Jean Royer à Tours qui, lui, a cherché cette cohésion urbaine entre centre-ville et quartiers issus des grandes opérations urbaines des années 1950-1960.
28Quoi qu’il en soit, en vingt-cinq ans, Blois aura doublé sa population et multiplié par dix sa superficie construite. L’action de Pierre Sudreau dans le domaine économique ou culturel aura également été considérable. Un regret : l’opportunité ratée de créer une gare TGV à Blois, domaine pourtant cher à son cœur. En 1989, il est battu au second tour par Jack Lang. Cette défaite met fin à plus de trente ans d’ancrage local pour Pierre Sudreau.
Notes de bas de page
1 Avec interdiction de dépasser des unités de 1000 logements dans les villes de moins de 50000 habitants et de 2000 dans les villes de plus de 50000 habitants.
2 Archives nationales, archives de Pierre Sudreau, AN 91AJ/74.
3 Loi n° 62-903 du 4 août 1962 complétant la législation sur la protection du patrimoine historique et esthétique de la France et tendant à faciliter la restauration immobilière.
4 Dans cet article, nous ne distinguons pas l’action de la municipalité de celle du maire lui-même, Pierre Sudreau. Des recherches complémentaires seraient à effectuer pour arriver à une perception plus fine (rôle de l’adjoint à l’urbanisme, etc.).
5 Notons que ce secteur sauvegardé comporte trois sites classés, à savoir les rives de la Loire à 1500 m de part et d’autre du pont, le parc de l’ancien évêché et le jardin des Lices.
6 La voirie représente 34,4 % de la surface totale du secteur.
7 Arrêté n° 78-362, « Restauration immobilière du 1er secteur opérationnel dans le quartier du Puits Châtel à Blois ».
8 Archives départementales du Loir-et-Cher (abrégé infra en AD), 1174 W 4.
9 Commission régionale des opérations immobilières de l’architecture et des espaces protégés, séance du 8 janvier 1973, exposé du chef du Service régional de l’équipement, M. Chatain (AN 890 320 article 052).
10 Article de La Nouvelle République du 18 septembre 1979 concernant l’anniversaire de la décision de création de la ZUP, avec un interview de Pierre Sudreau : « Vingt ans après : le nouveau Blois » (AD 1054 W 83).
11 AD 1588 W 8.
12 Instituée par la loi n° 62-848 du 26 juillet 1962, la Zone d’aménagement différé (ZAD) constitue un nouvel outil pour maîtriser la pression foncière.
13 Cf. l’opération au lieu-dit des Sarazines lancée en 1968 sous la forme d’un village-modèle de pavillons individuels.
14 Celui-ci sera modifié en novembre 1979.
15 AN 860 662 article 122.
16 Enquête menée auprès des habitants de la ZUP de Blois, cf. La Nouvelle République du 30 août 1968 : « Une enquête de “logement-service” » (AD 1115 W 36).
17 Dossier Habitat datant de juillet 1977 réalisé par la SACEC et le CREPAH.
18 Ibid.
19 La procédure d’Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat permet d’atteindre les objectifs suivants :
– réhabiliter un patrimoine qui se dégrade ;
– permettre le retour dans le centre de populations qui ont dû le quitter ;
– éviter des tendances non maîtrisées : transformation de l’habitat à d’autres fins, taudification ou, au contraire, spéculation foncière et immobilière.
20 Michel Lussault, « L’autre de la ville », in Thierry Ermakoff et Michel Melot (dir.), Blois, une étrange douceur, Paris, Autrement, coll. « France », n° 17, 1998.
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2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008