1Le questionnement retenu porte sur la redéfinition des places et rôles féminins et masculins en lien avec des politiques publiques qui agissent sur les pratiques spatiales et temporelles, notamment à partir de l’expérience de communes inscrites dans la démarche Cittaslow1. Il s’agit de regarder « ce que le slow fait aux normes de genre », d’interroger l’apparition (ou non) d’un brouillage des normes de genre spatio-temporelles induite par une remise en question des modes de vie fondés sur l’accélération (Rosa, 2010). En effet, on peut penser que ces mouvements inscrits dans des logiques alternatives, qui remettent en question la vision libérale des sociétés occidentales, qui promeuvent des valeurs différentes et questionnent un système fondé sur la compétition et la hiérarchie, sont à même de porter des pistes d’évolution concernant la place des femmes et des hommes dans la société.

2La question du temps, des temporalités, des rythmes est centrale dans la séparation/hiérarchisation au principe du genre2 ; de même que celle du rapport à l’espace, intrinsèquement lié au temps (Élias, 1996 ; Lussault, 2012). Ces deux dimensions sont également au cœur des rapports d’âge et de génération. Le temps comme l’espace ne peuvent être considérés comme de simples cadres préexistants aux pratiques sociales, des réceptacles dans lesquels elles se dérouleraient de façon neutre. Sociologues et géographes ont montré qu’ils sont à appréhender comme le résultat de ces pratiques (Lussault, 2007) et, à ce titre, comme des producteurs de rapports de pouvoir, notamment de rapports sociaux de sexe (Coutras, 1987, 1996 ; Flahault, 2001, 2009 ; Denèfle, 2004 ; Bessin, Gaudart, 2009), mais aussi de rapports sociaux d’âge (Haicault, 1998 ; Gestin, 2003 ; Pennec, 2004, 2006).

Des pratiques spatiales et temporelles souvent pensées au masculin neutre

3Pourtant, les pratiques d’aménagement comme les analyses de ces pratiques restent longtemps aveugles au genre. « On est sorti de l’idée de la neutralité de l’espace, grâce aux nombreux travaux qui montrent notamment une spatialisation des classes sociales, mais l’espace pensé par ses concepteurs véhicule aussi une vision surplombante, masculine du territoire, portant inconsciemment les stéréotypes de genre » (Haicault, 2014). Les recherches dans ces domaines ont elles aussi longtemps ignoré la dimension du genre, à l’exception des recherches féministes. Et cette occultation « semble s’accentuer lorsqu’il s’agit des vieux et en particulier des vieilles femmes » (Pennec, 2004).

4L’ordre social est presque toujours pensé au masculin neutre, « le masculin apparaît comme le référent implicite aussi bien des politiques que de la recherche urbaine. Les décisions politiques s’appuient sur un arbitraire de sexe, correspondant grosso modo à un acteur économique productif et consommateur de sexe masculin, actif, avec peu de charge de travail familial, circulant le plus souvent en voiture, mais qui n’est jamais clairement identifié, ni désigné comme tel » (Haicault, 2003). Pourtant, dès la fin des années 1970, les recherches féministes ont montré que les pratiques des hommes et des femmes diffèrent significativement. La division sexuelle du travail induit pour les femmes un double phénomène de chevauchement et de cumul d’activité qui rend leur temps plus contraint et plus complexe que celui des hommes (Haicault, 1984 ; Langevin, 1984 ; Chabaud-Rychter et al., 1985), et leurs pratiques des espaces bien différentes. D’une part, « [l]a domination masculine repose sur la construction du rapport au temps : la naturalisation des compétences dites féminines s’appuie sur une temporalité basée sur le rapport à l’autre et l’engagement dans la durée » (Bessin et Gaudart, 2009). D’autre part, l’articulation des temps relevant des sphères privée et publique incombe toujours prioritairement aux femmes, ce qui influe parallèlement sur leurs pratiques spatiales. Sphère publique et sphère privée s’interpénètrent en effet en permanence, imposant de penser simultanément espace et temps du travail salarié, de la famille, de la formation, de l’action politique et temps à soi. « Les distinctions spécifiques aux âges et celles relatives au genre se combinent aux effets de génération ainsi qu’aux périodes et aux moments du cycle de vie pour affecter les pratiques urbaines » (Pennec, 2006). Ainsi, « [e]n ville, en droit, rien ne différencie les hommes et les femmes. Mais du point de vue des normes sociales, au contraire, tout distingue les pratiques féminines et masculines » (Denèfle, 2004), le phénomène s’accentuant avec l’avancée en âge. Pour ne prendre que l’exemple des déplacements urbains, les femmes, et tout spécialement les femmes âgées, utilisent majoritairement les transports en commun, pourtant peu compatibles avec les horaires décalés qui les concernent au premier chef ; « elles se déplacent tout au long de la journée, sur des trajets inter-quartiers, de moins bonne qualité, non prioritaires » (Hervé, 2001).

5Plus encore que pour l’espace urbain, qui a fait l’objet de recherches ou réflexions plus ciblées depuis quelques années (Denèfle, 2004 ; Rasselet, 2011 ; Di Méo, 2012) le genre est absent de l’étude des espaces ruraux et périurbains comme angle d’analyse. Les effets du genre ont pourtant été signalés par plusieurs recherches récentes (Baudelle et al., 2004 ; Luxembourg et Thomann, 2007 ; Rougé, 2010 ; Dodier, 2012).

6« C’est à la fois dans la sphère publique, dans la sphère privée et dans leur interrelation, gouvernée en particulier par la division sexuelle du travail et du temps, que les obstacles pratiques à la citoyenneté des femmes résident » (Lister, 1997). En la matière, les territoires périurbains et ruraux peuvent apparaître favorables à une plus grande égalité, notamment du fait des solidarités locales et intergénérationnelles qui s’y déploient ou de l’accès plus aisé des femmes aux fonctions électives. A contrario, ils peuvent être perçus comme défavorables à cette égalité dans la mesure où l’implantation plus rare ou clairsemée de services de tous ordres, dans un contexte marqué par la division sexuelle du travail (Kergoat, 2012), peut amener certaines femmes à prendre de la distance avec le marché de l’emploi et ajouter un degré supplémentaire de complexité à l’organisation spatio-temporelle familiale dont elles restent les principales gestionnaires. C’est également dans ces types d’espaces que des expérimentations voient le jour, à l’initiative des pouvoirs locaux comme Cittaslow ou de façon plus individuelle.

Les politiques des temps : une revendication féministe, des applications décevantes

7Dans la seconde moitié des années 1980, après le Canada et les pays nordiques, l’Italie a été pionnière en Europe dans la prise en compte de la question articulée des temporalités et des pratiques des espaces. S’appuyant sur des analyses féministes de la vie quotidienne qui avaient mis en évidence les contraintes qui pesaient sur les femmes, les villes italiennes inventent alors « une démarche consistant à penser l’aménagement d’un territoire à partir de l’agencement de différentes temporalités » (Junter, 2009). Il s’agit de penser ensemble territoire physique et territoire social à partir d’une approche temporelle qui conduit à expérimenter des aménagements d’horaires plus favorables aux femmes car prenant leurs contraintes spécifiques en compte (Bonfiglioli, 1997 ; Boulin, 1997 ; Denèfle, 2004). Ces expériences essaiment rapidement en Europe et la France expérimente à son tour, dans quelques grandes villes au début des années 2000, une politique des « temps des villes », notamment à travers la création de Bureaux des temps. Cependant, en matière de réduction des inégalités femmes-hommes, le bilan apparaît mitigé. Les principales actions réalisées au titre de cette politique se démarquent peu des mesures générales adoptées dans le cadre de l’égalité professionnelle, souvent dans une logique de conciliation toujours pensée au féminin. De plus, si l’adoption de mesures sur les temps apparaît indissociable de la présence de femmes engagées dans des responsabilités politiques, sociales, professionnelles et académiques (Junter, 2009), il semble que « d’actrices de premier plan en Italie, les femmes en France sont devenues premières bénéficiaires de ces politiques. Si elles sont présentées comme les “premières victimes”, elles constituent néanmoins une priorité de second rang » (Lépinard, 2002). Finalement, « alors même que ces politiques pourraient être porteuses de véritables innovations en termes de rapports sociaux de sexe, celles-ci sont progressivement contournées, reformulées, technicisées, et le débat, pourtant central, sur la division sexuée du travail domestique et éducatif reste occulté » (Lépinard, 2002). Ces rapports sociaux peuvent même s’en trouver renforcés comme le montre Catherine Lenzi dans son analyse des Banques du temps italiennes. Ces dernières, en permettant aux femmes de s’arranger entre elles et de composer avec leurs multiples contraintes, tendent à renforcer l’idée que l’articulation des temps familiaux et professionnels est l’affaire des femmes : « Dans les Banques du Temps, l’objectif d’une meilleure articulation des temps de vie enferme les femmes dans une économie de proximité liée au domestique et rend difficile l’appropriation d’un temps et d’un espace pour soi et pour la collectivité » (Lenzi, 2007, p. 195).

Le réseau Cittaslow : « ralentir pour mieux vivre »

8Hors des villes et après les Bureaux des temps, une autre forme d’expérimentation voit le jour à la fin des années 1990 en Italie, et à partir de 2010 en France. Dans la mouvance des mouvements sociaux qui questionnent la logique de compétition et qui trouvent des relais dans les collectivités, le mouvement Cittaslow naît dans le sillage du mouvement slow food en 1999. Le « réseau international des villes du bon vivre – Cittaslow » s’inscrit dans le mouvement slow life. Il n’affiche pas d’objectifs en termes d’égalité femmes-hommes, mais il s’inscrit dans le projet de vivre lentement, d’apprécier le temps, de lui accorder attention et Care, dans une forme de retrait doté d’une dimension politique (Emélianoff et Barbier, 2012). Pour intégrer le réseau, les villes, ne dépassant pas 50000 habitant·e·s, doivent attester au moins la moitié des quelque 100 « qualités requises », dont certaines sont obligatoires et qui se déclinent en : politique environnementale, politique infrastructurelle, technologies et équipements pour la qualité urbaine, valorisation des productions autochtones, hospitalité, sensibilisation, soutiens aux projets et activités slow food. La « ville lente » met également l’accent sur les solidarités entre les générations, présentes et à venir. Il s’agit donc d’un mouvement qui n’évoque jamais ni rapports sociaux de classe, ni rapports sociaux de sexe, ni rapports sociaux d’âge, mais qui, en inscrivant son action dans la perspective d’un changement des rythmes de vie, d’une action privilégiant les mobilités « douces » et le développement des services, notamment en direction des plus jeunes et des plus âgés, toujours largement pris en charge par les femmes dans le cadre des solidarités familiales, ne peut manquer d’avoir des incidences sur les pratiques quotidiennes des femmes et des hommes (Cittaslow, site).

9Les villes Cittaslow se situent au croisement d’une approche en termes d’espaces et d’une approche en termes de temporalité, « à l’interface du lent et du local » (Emélianoff et Barbier, 2012) ; deux dimensions fondamentales de l’assignation des femmes et des hommes à des places et rôles distincts et hiérarchisés, selon des modalités différentes selon les âges.

Segonzac, première Cittaslow française

10Segonzac est la première commune française à avoir obtenu le « label » Cittaslow, en 2010. C’est en effet avant tout un label que recherchait la municipalité pour attirer davantage de touristes dans la commune. Le projet a donc été initié par l’office du tourisme qui a présenté plusieurs labels au conseil municipal. Ce dernier a été privilégié car « les critères concernent avant tout les habitants et ensuite les touristes » (entretien conseillère municipale), le dossier a été monté par la commission « vie culturelle, tourisme » du conseil municipal. La démarche Cittaslow apparaissant cohérente avec les options prises par les équipes municipales successives depuis une trentaine d’années, le Réseau international a validé le dossier dès la première présentation en mai 2010. Il s’agit d’une initiative venue « d’en haut », d’une « démarche d’élus », dont les habitant·e·s ont, pour la plupart, entendu parler après coup dans les journaux locaux.

11L’argumentaire du dossier s’est appuyé sur les points forts identifiés, dont plusieurs ont à voir avec les pratiques spatio-temporelles : aménagement des rues afin d’inciter les habitant·e·s à emprunter à pied ou à vélo les rues transversales et arrières et afin de limiter la vitesse à proximité des écoles et sur les deux voies principales qui traversent le bourg ; regroupement des professionnels de santé dans un même lieu ; ouverture d’un centre multi-accueil pour jeunes enfants ; projet de bâtiment spécifique pour le centre de loisirs à destination des jeunes ; encouragement du commerce de proximité et des circuits courts avec l’accueil de marchands non sédentaires plusieurs jours par semaine ; implantation d’une moyenne surface (Inter Marché) « vrai service à la population […] la grand-mère elle peut aller acheter le basique et elle est pas obligée pour ça d’avoir une voiture » (entretien conseillère municipale) ; produit local (Cognac) en phase avec la démarche et favorisant une « culture du respect des rythmes ».

12Si l’habitat est relativement dispersé en raison de la présence de plusieurs hameaux, les commerces et services sont eux plutôt regroupés dans le centre bourg. De plus, les services de même nature sont eux-mêmes réunis dans un même bâtiment (services médicaux et paramédicaux), un même ensemble (services scolaires publics) ou un même périmètre (commerces alimentaires tous proches de la place sur laquelle s’installent plusieurs fois par semaine les marchands non sédentaires). Ces regroupements favorisent l’organisation spatio-temporelle mise en place le plus souvent par les femmes pour l’ensemble des membres de leur famille. Les femmes âgées, moins souvent motorisées que les plus jeunes, en bénéficient tout spécialement. En revanche, la localisation de l’Ehpad dans un hameau situé à 3 km du bourg coupe les résident·e·s de la vie du bourg.

Un espace public peu investi par les habitant·e·s

13Au-delà des caractéristiques socio-économiques de la population, la « matérialité même des espaces » étudiés apparaît ainsi un préalable nécessaire à la compréhension des pratiques spatio-temporelles, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’identifier des pratiques marquées par le genre. Il est donc nécessaire de décrire ces espaces de façon plus précise, notamment dans les contraintes et les opportunités qu’ils offrent aux déplacements et aux pratiques des un·e·s et des autres.

14La première impression en arrivant dans le centre bourg en milieu de journée, est une impression de calme, de propreté, mais aussi de vide. Ce calme fait pourtant régulièrement place à une circulation relativement intense aux heures d’embauche et de débauche, aux heures de repas. En effet, le bourg est traversé par deux routes départementales très fréquentées.

15On se situe dans un contexte rural où la voiture est considérée comme un moyen de déplacement indispensable pour ne pas « se retrouver coincé » (entretien informel habitant). Aucun transport public régulier n’existe à l’exception des transports scolaires, « ici on est vraiment dépendant de son permis de conduire, de la voiture […] ça c’est vraiment un point faible à la campagne » (entretien conseillère municipale). Comme dans le périurbain, la voiture est omniprésente (Rougé, 2005 ; Otar, 2007) ; même lorsqu’il s’agit d’utiliser les services du centre bourg. Ainsi, les rares piétons rencontrés dans les rues ou sur la place principale semblent toujours émerger de leur voiture ou y retourner. Ce constat est encore plus vrai dans les ruelles secondaires qui sont la plupart du temps désertes. Une habitante déclare être hostile à la démarche Cittaslow pour Segonzac car la commune ne s’y prête pas : « il n’y a personne dehors car il n’y a pas de trottoirs et pas de commerces ». De fait, l’absence ou la disparition brutale de trottoirs est une constante qui semble intégrée par les habitant·e·s comme par les services de la voirie. Ainsi, les pratiques des uns et des autres semblent entériner qu’ils n’ont guère d’utilité : l’usage courant des volets « en tuile », se pratique en toute saison y compris lorsque cela neutralise le peu de trottoir existant ; de même, au moment des fêtes de fin d’année, personne ne semble s’étonner que des sapins sur pied soient placés au milieu des trottoirs par les services de la voirie.

16Pourtant, des efforts notables ont été réalisés, depuis plusieurs années, afin d’inciter les habitant·e·s à se déplacer autrement. Par exemple, des lieux de halte ont été disposés en différents endroits du bourg, invitant les habitant·e·s à sortir de chez eux et à occuper l’espace public. Les automobilistes ne sont toutefois pas en reste, et les aménagements à leur destination sont également nombreux, pour tenter de limiter les nuisances occasionnées par la circulation, mais surtout pour permettre un usage pratique de la voiture dont chaque ménage dispose, à de rares exceptions près.

17On le voit ici, en amont même de la démarche Cittaslow la municipalité a pensé et mis en place des aménagements facilitant l’usage des espaces et des services publics. Mais comme le rappelle Monique Haicault « ce sont les pratiques sur la durée qui font quartier, en dépit des caractéristiques de l’espace bâti et urbanisé » (Haicault, 2014). Et ici, en l’absence d’appropriation des espaces par les habitants, les efforts semblent vains pour l’instant.

18Cette première étape de l’enquête exploratoire montre à quel point il est compliqué d’appréhender les pratiques spatio-temporelles des habitant·e·s de milieu rural à partir des outils construits pour le milieu urbain, même en les adaptant. Or ces pratiques sont jusqu’à présent peu renseignées et cela d’autant moins qu’on s’intéresse à leur dimension sexuée. Comment définir les pratiques sexuées lorsqu’on ne voit pratiquement personne dans l’espace public ? Ce sont non seulement les outils d’enquête qui demandent à être revisités, mais aussi la démarche en elle-même. Si les femmes et les hommes de Segonzac sont relativement invisibles dans l’espace public de leur commune, c’est qu’ils sont ailleurs.

Espaces-temps sexués : quelques tendances

19Dans cette phase exploratoire, les observations sur place et les parcours commentés réalisés avec trois habitant·e·s dessinent quelques tendances.

20Les « espaces-temps des hommes » apparaissent davantage identifiables : deuxième partie d’après-midi sur le terrain de boules du jardin public, fin de matinée et première partie d’après-midi au bar PMU. Les « espaces-temps des femmes » semblent plus dilués et moins collectifs : matinée sur la place lorsque les commerçants non sédentaires sont présents (les marchands sont plutôt des hommes et les clientes des femmes), matin et soir, et dans une moindre mesure midi et 13 h 30, à la sortie des écoles (mais ici les grands-pères semblent également assez présents, surtout à la mi-journée), ou encore le supermarché. Si les uns sont plus visibles que les autres, c’est notamment parce que les hommes stationnent dans ces espaces alors que les femmes ne font souvent qu’y passer ou y sont davantage en mouvement.

21Les parcours commentés font ressortir un lieu de visite plébiscité inattendu : le lavoir à l’époque des têtards, en compagnie des enfants (les siens, qu’on soit homme ou femme, et ceux que l’assistante maternelle a en garde).

22Ces quelques constats restent sans grande portée tant qu’on ne peut les inclure dans un ensemble de pratiques spatio-temporelles, qui seront forcément distinctes selon la génération à laquelle on appartient, le moment dans le cycle de vie, le milieu social ou encore les configurations familiales.

23Tenter de montrer l’espace sexué, les manifestations spatio-temporelles des rapports sociaux de sexe en milieu rural ou périurbain, n’est pas chose aisée, mais c’est un projet stimulant. L’objectif est bien de donner à voir « l’expérience sociale des espaces, différentes pour les femmes et les hommes » (Haicault, 2000) et selon les âges de la vie, non seulement dans leur dimension de différentiation mais aussi dans ce qu’ils constituent des rapports de pouvoir qui induisent des résistances, des contournements, des subversions et des réappropriations.

24Cela implique dans un premier temps d’aller à l’encontre des idées premières sur le monde rural, notamment vu comme opposé au monde urbain ; de rompre avec la vision urbano-centrée qui est la nôtre. Comme le genre « déstabilise les mythes urbains de la durabilité et de la modernité » (Denèfle, 2014), il déstabilise le mythe rural de l’archaïsme et du conservatisme. Cela implique également de partir des pratiques et des espaces vécus ; « d’enquêter sur les pratiques de l’espace sans omettre de spécifier, avec quelques indicateurs précis, l’état des aménagements temporels de l’espace étudié, tels qu’ils se présentent en direction des acteurs sociaux et sexués » (Haicault, 2014). Au-delà des stéréotypes sur l’invisibilité des femmes (Cattan, 2009) et des premières impressions que peut laisser l’enquête exploratoire, les femmes sont mobiles et bien présentes dans l’espace rural : rue et jardins, place centrale du bourg, jardin public. Il importe ici de penser l’espace comme processus en construction, penser l’interdépendance et l’articulation des lieux (Cattan, 2012).

25Il faut encore, comme le propose Monique Haicault, sortir de la dichotomies rural/urbain, privé/public et appréhender la « dynamique des trajectoires » dans toute leur complexité. « Quel espace en milieu rural remplit aujourd’hui par l’agir des pratiques sociales genrées, la fonction politique et sociale de civilisation qu’est un espace public ? Comment et quels lieux remplissent les fonctions de lien social, de regards croisés, de socialisation ? » (Haicault, 2014).