Chapitre 8. Faire bouger les lignes : les normes professionnelles face aux politiques culturelles
p. 225-248
Texte intégral
« Si on n’est pas entendus [pour que les artisans d’art puissent être affiliés à la sécurité sociale des artistes auteurs], on aura des leviers, on mettra plein d’artisans d’art dans les tribunaux en partenariat avec la Maison des artistes pour faire plier la loi ! » (Président de la chambre syndicale, assemblée générale de juin 2013)
1Le rapport des travailleurs artistiques à l’action publique est souvent teinté d’une défiance, fondée sur le postulat d’une entrave à la création qui serait consubstantielle à la prise en charge de l’art par l’État : cette dernière est gage de légitimité, créatrice de valeur sociale, garante de la pérennité économique d’un secteur via les subventions, mais elle est dans le même temps suspectée de porter atteinte aux représentations idéalisées de l’autonomie de l’activité artistique1. Les céramistes n’échappent pas à cette ambivalence, d’autant plus qu’ils s’inscrivent dans un métier aux marges des consécrations artistiques, mais contestent cette position. Pourtant, l’environnement institutionnel dans lequel ils évoluent pourrait leur être relativement favorable en raison d’une ouverture progressive de l’action publique culturelle vers des formes larges d’expression artistique depuis trois décennies. En effet, un peu plus de vingt ans après la création d’un ministère de la Culture en 19592, les politiques culturelles se transforment substantiellement : d’abord, entre 1981 et 1982, « le budget du ministère connaît une croissance sans précédent de 74 %, confirmée et amplifiée les années précédentes3 ». Ensuite, cette nouvelle politique repose sur le passage d’une démocratisation culturelle – rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres reconnues et légitimes – à une démocratie culturelle à travers laquelle il s’agit de promouvoir les cultures dans leur diversité, dites mineures, marginales ou populaires (punk, graffiti, hip-hop…) ou dans leur acception anthropologique (cultures dites des « banlieues », « régionales », des territoires d’outremer, etc.4). Cette transition se traduit notamment par un décloisonnement des genres et s’inscrit dans le prolongement de la politique instaurée par A. Malraux au début des années 1960, qui avait entrepris de démocratiser la culture en réfutant « l’inscription sociale des formes et hiérarchies culturelles » et en travaillant à « dissoudre les classements constitués des Beaux-Arts5 ».
2Pourtant, l’action publique en matière d’art et d’artisanat demeure toujours très problématique pour la majorité des céramistes rencontrés au cours de l’enquête : alors que leurs critères de professionnalité intègrent à la fois les principes de l’Art et du Métier et que la plupart des céramistes oscillent identitairement entre art et artisanat, voire déconstruisent ces deux catégories, les politiques publiques entérinent ce découpage du monde social. Dans le paysage institutionnel actuel, on trouve en effet du côté de l’art le ministère de la Culture et ses services déconcentrés que sont les directions régionales des Affaires culturelles (DRAC), ainsi que la Maison des artistes (organisme de gestion de la sécurité sociale des artistes6). Du côté de l’artisanat, ce sont le ministère de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme, des chambres de métiers et d’autres organismes telles les directions régionales du Commerce et de l’Artisanat (DRCA) qui s’occupent des indépendants. Enfin, on trouve des institutions liées aux métiers d’art et sous tutelle interministérielle, tel l’Institut national des métiers d’art (INMA) bien que son rôle soit beaucoup plus discret, notamment parce que contrairement aux autres institutions citées, cette organisation ne prend pas en charge les aspects liés au travail et à l’emploi (protection sociale, formation, soutien à la création, etc.). Ce chapitre vise ainsi analyser ce qui se joue dans les échanges politiques entre ces institutions et les organisations professionnelles qui structurent le métier de céramiste, étudiées dans les chapitres précédents. Au cours de ces échanges, qu’advient-il des normes de professionnalité et comment sont-elles diffusées à l’extérieur du groupe ? Ce chapitre ne consiste donc pas à faire la sociogenèse de certaines catégories d’intervention publique en matière de métiers d’art7, mais plutôt à porter un regard sur leur réception au sein de la population de professionnels. Autrement dit, on se rapproche ici davantage des études de réception, que d’une sociologie de l’action publique mettant en lumière une configuration d’acteurs en situation de coopération concurrentielle au sein de l’État : en général, ce dernier sera d’ailleurs désigné de manière relativement homogénéisante (« les institutions », le « paysage institutionnel »).
Les céramistes face aux politiques publiques : réception, coopérations et contestations
Certains principes de division du monde (tels l’art et l’artisanat) « engagent des individus, des groupes et des sociétés entières sur des voies de développement historique desquelles il est ensuite parfois difficile de se dégager8 ».
La céramique est-elle un art ?
3L’enseignement de la céramique qui avait fait son entrée dans plusieurs Écoles nationales ou régionales des beaux-arts durant les années 1970 et 1980 (les écoles de Bourges, Aix-en-Provence, Macon, Limoges notamment) a aujourd’hui presque disparu de celles-ci. Cet enseignement persiste dans quelques écoles et refait apparition dans quelques workshops et « ateliers techniques ». Cependant, c’est essentiellement via des CAP, des formations au CNIFOP, des formations professionnelles organisées par la profession elle-même et les stages en atelier que s’enseigne le métier (chapitre 4). En outre, la rentabilité moindre de la céramique d’art pour des intermédiaires ne contribue pas à la rendre attractive aux yeux des marchands d’art et galeristes. Aujourd’hui, on peut sans doute compter en France une grosse vingtaine de galeries – dont une dizaine à Paris – uniquement consacrées à la céramique d’art, si l’on se réfère à la recension effectuée par E. Ullauri Lloré9 (vingt-trois) à laquelle on ajoute certains lieux que nous avons repérés de façon non exhaustive. Plus largement dans l’art contemporain, des évènements valorisant le potentiel artistique du matériau céramique se multiplient10. Cet art céramique de plus en plus pluridisciplinaire indique son artification, puisqu’il figure alors dans de nouveaux univers sémantiques11. Cependant, c’est bien souvent parce que la céramique revêt le statut de médium au service de l’artiste plasticien, et non celui d’un genre à part entière. L’utilisation non-conventionnelle du matériau (terre crue, peinture acrylique à la place des émaux) qui est souvent à l’œuvre dans ces situations, est aussi l’une des lignes de fracture potentielle au sein du groupe professionnel (chapitre 3).
4Les céramistes réalisant des installations ont sans doute été les professionnels les plus reconnus des mondes de l’art, à l’instar de B. Dejonghe, mais ces quelques apparitions dans les centres d’art contemporain n’ont pas transformé structurellement la conception du métier par les musées. Les inflexions du regard sur la céramique sont sans doute d’avantage liées aux initiatives menées collectivement par les céramistes eux-mêmes, comme les rencontres internationales de céramique depuis les années 1970 (Biennales de Châteauroux et Vallauris, etc., chapitre 6), jusqu’aux récents festivals de création céramique contemporaine (« Parcours céramique », « Céramique 14 »). Ainsi, si la céramique se constitue très progressivement en tant que genre artistique, entre-t-elle pour autant dans le champ d’action des politiques publiques artistiques ?
5Aujourd’hui en France, la définition de l’art qui est mobilisée par les institutions publiques exclut généralement la notion d’utilité des œuvres. Pour l’INSEE, les artistes plasticiens sont les « artistes et créateurs qui, dans le domaine des arts graphiques et plastiques, élaborent une production dont le caractère artistique est affirmé et reconnu comme tel12 ». Les artisans d’art sont quant à eux définis comme des professionnels « hautement qualifiés fabriquant ou restaurant, en général à l’unité ou en petite série, des objets d’art, mais dont l’activité n’est pas reconnue comme purement artistique. Les artisans d’art n’ont pas de définition théorique : une liste exhaustive des métiers d’art a donc été établie empiriquement13 ». D’un point de vue juridique, le statut d’artiste est octroyé par l’affiliation à la sécurité sociale des artistes-auteurs gérée par la Maison des artistes. Pour examiner les demandes de rattachement, cet organisme s’appuie sur trois textes, à commencer par le Code de la sécurité sociale, qui associe le régime de protection sociale des artistes-auteurs au régime général et leur fait bénéficier des prestations familiales dans les mêmes conditions que les salariés14. Or, dans ce cadre sont proposés des critères pour déterminer les conditions d’admission à la Maison des artistes : l’originalité, le type de métier, la part de création, le dépassement d’une simple mise en valeur de la matière, la destination de l’œuvre (utilitaire ou non), la formation, la référence à un circuit de diffusion, ainsi que les travaux antérieurs15. Ensuite, c’est un article du Code des impôts qui constitue la base juridique de l’affiliation16, considérant comme œuvres d’art les « exemplaires uniques de céramique, entièrement exécutés par l’artiste et signés par lui17 ». Enfin, la Maison des artistes s’appuie sur le Code de la propriété intellectuelle, qui stipule que les « œuvres de l’esprit » sont « les œuvres des arts appliqués » et « les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographe18 », et ce, « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». On retrouve donc dans ces règlements la notion d’originalité (via la signature du créateur), mais aussi de « destination de l’œuvre (objet utilitaire ou non) ». C’est d’ailleurs ces aspects que la Maison des artistes a retenu afin de fixer les limites du champ d’application du régime, y ajoutant l’idée de « nature » des pièces et faisant d’ailleurs primer ce critère sur tous les autres. Le statut d’artiste exclue :
« Les réalisations utilitaires par nature relevant notamment du design d’objet ou des métiers et artisanat d’art, indépendamment de leurs caractéristiques techniques (c’est-à-dire : nombre d’exemplaires : pièce unique ou série limitée, mode d’exécution, signature de l’exécutant…), même si elles constituent le support d’une création et remplissent une fonction décorative19. »
6En définissant les conditions d’obtention du statut d’artiste, la Maison des artistes constitue une « académie invisible », qui « défini[t] l’excellence tout en l’encourageant20 », et cette définition de la légitimité artistique se déploie en fait, par ricochet, au sein des institutions publiques. Malgré l’absence de critériologie stabilisée pour statuer sur la qualité des productions artistiques21, la non-utilité demeure par exemple un critère excluant dans l’attribution des subventions par la DRAC auprès de laquelle nous avions enquêté (étude des dossiers sur une période de dix ans [2002-2012]). Or, un tel critère est ambigu lorsque l’on a affaire à des bols à plusieurs centaines d’euros exposés en galerie : s’agit-il de pièces uniques seulement décoratives, ou sont-ils destinés à être utilisés ? En tout état de cause, ces enjeux de critériologie sont déterminants parce qu’ils incluent ou excluent les céramistes d’un périmètre de l’action publique culturelle : en plus d’ouvrir ou de fermer des droits sociaux, cette inscription sociale et juridique est l’expression symbolique de la valeur sociale du métier. Ainsi, la céramique d’art est un genre artistique encore relativement méconnu, cantonné officiellement à un artisanat, au mieux un artisanat d’art. Des céramistes ayant le statut d’artiste ou d’autres ayant le statut d’artisan mais revendiquant la dimension artistique de leur travail, voient donc leur identité professionnelle contrariée par l’identité perçue par autrui :
« Non mais de toute façon il y a des préjugés à l’encontre des céramistes et de la céramique, parce que nous, y’a encore pas tellement longtemps les gens qui sont rentrés dans la maison étaient très étonnés qu’on ait des livres ! C’est fou ! Pour eux, on est vraiment… »
Célestine, 74 ans, artiste
7Ce désajustement est vécu de façon violente lorsqu’il n’émane plus seulement du grand public, mais des institutions à même de pouvoir consacrer la valeur sociale d’un travail :
« Quand j’allais à la DRAC, j’avais toujours affaire au conseiller métiers d’art. À aucun moment on ne m’a jamais laissé déposer un dossier au titre de l’art contemporain. Avec cette vision toujours patrimoniale de l’histoire quoi… »
Stéphane, environ 40 ans, conjoint collaborateur d’une céramiste
« Quand je fais une demande de validation d’acquis par l’expérience auprès des Beaux-Arts, ça m’est refusé. Y’a pas de justification. Alors que j’ai le statut d’artiste, que j’expose depuis plusieurs années, que je cotise. […] C’est là que je me suis rendu compte que la céramique elle n’était pas du tout reconnue en tant que Beaux-Arts. Tu as beau exposer, tu as beau être en galerie. »
Amélie, 41 ans, artiste
8On retrouve typiquement ici le sentiment de « décalage entre l’identité personnelle de l’artiste, son identité sociale et son identité professionnelle22 ». Or, comme l’a montré la trajectoire sociale de ces professionnels (chapitre 4), ils sont nombreux à détenir au moins plusieurs propriétés sociales assurant un important capital scolaire et culturel : études en grandes écoles d’art, parents cadres et professions intellectuelles supérieures, disposition au cosmopolitisme avec par exemple des études de céramique à l’étranger. Ces parcours de vie constituent autant de dispositions à l’assurance de la valeur de leurs propres pratiques et autant d’inclinaisons à un sentiment de déclassement lorsque la reconnaissance de cette valeur n’est pas assurée par des institutions en lesquelles ils projettent des attentes (ministère de la Culture, DRAC). Les rapports entre les céramistes et les DRAC et le ministère de la Culture relèvent en fait d’un « non-rapport » mal venu ou de rapports très distanciés, comme le signalent les attitudes systématiquement péjoratives des enquêtés à l’égard de ces institutions : soupirs, rires nerveux, voix navrée ou emportée, vocabulaire peu gratifiant envers les responsables institutionnels pour fustiger, souvent de façon métonymique23, l’institution elle-même. Autrement dit, si les enquêtés remettent en cause le système de classement de ces institutions culturelles, ils aspirent cependant à une profonde reconnaissance de la part de ces mêmes institutions. « La théorie bourdieusienne du capital symbolique n’est pas autre chose que la théorie de l’accumulation d’un capital de reconnaissance24 » et la violence des émotions ressenties par nombre d’enquêtés face à la marginalisation de leur activité traduit un rapport complexe à la culture légitime au sein d’un groupe de professionnels globalement familiarisés à celle-ci, mais qui en sont en partie exclus du fait de l’exercice de leur métier. C’est pourquoi le combat sur les mots – art, artisanat, culture légitime – prend tout son sens, dans la mesure où ils véhiculent les rapports de force entre l’espace professionnel et certaines institutions.
L’introuvable place des métiers d’art dans les politiques : un art déclassé, un artisanat ennobli
« Globalement ça se passe comme ça avec la politique, […] la gauche elle mise plutôt sur l’art contemporain, et la droite plutôt sur tout ce qui est patrimoine, traditions et savoir-faire. Et entre les deux ben y’a les métiers d’art, qui ont du mal à trouver leur place : pour la gauche ça a un côté ringard, et pour la droite, c’est un peu gauchiste comme milieu ! » Christian, artisan, 53 ans
9La mixité des régimes d’action et de valeurs qui structure la professionnalité des céramistes d’art semble embrasser une catégorie souvent utilisée de manière unifiante voire homogénéisante, que l’usage, le législateur, et le sens commun ont pragmatiquement nommée « métiers d’art ». Cependant, ils constituent un « non-lieu », puisqu’« artisan d’art n’est pas un statut. Il se définit de manière empirique et par défaut25 ». Les métiers d’art sont « une économie de transition, à cheval sur deux types d’économies26 », comme en témoigne leur inexistence en tant que catégorie socioprofessionnelle à l’Institut national de la statistique et des études économiques. Aussi les métiers d’arts sont-ils tantôt sous la tutelle du ministère de l’Économie, tantôt sous celle du ministère de la Culture et de la Communication – ainsi que de leurs déclinaisons locales (DRAC, Chambres des métiers) et institutionnelles (INMA, Conseil des métiers d’art…) :
« C’est bien notre problème, c’est qu’on dépend des deux [ministères]. Ce qui nous montre qu’on est tellement dans les deux, c’est qu’on peut avoir trois statuts [l’enquêté pense à ceux d’artiste, artisan et profession libérale]. Et c’est la preuve que notre société n’est pas claire là-dessus. Si une société elle te propose trois statuts pour la même activité, c’est qu’elle n’est pas claire, culturellement pas claire. »
Jean-François, 51 ans, artisan, installé en 1980
10En effet, ce secteur professionnel « insaisissable27 » a fait l’objet d’appropriations concurrentes selon les diverses instances étatiques en charge des métiers d’art, mais aussi entre ces dernières et les organisations professionnelles du secteur. A. Jourdain montre, in fine, l’échec d’une institutionnalisation univoque de cette catégorie28. Aujourd’hui encore, les acteurs ou analystes institutionnels reconnaissent la « tutelle théorique » – soit une tutelle mineure – du ministère de la Culture sur les métiers d’art. Car dans les faits, la cohabitation d’un potier et d’un sculpteur sur un marché de potiers, c’est-à-dire dans un même espace commercial et, par extension, social, peut paraître incongrue aux responsables d’une DRAC29. Cela indique le porte-à-faux qui pèse sur l’identité composite des céramistes, entre Art et Métier, et son désajustement avec les politiques publiques culturelles fondées sur la dichotomie entre l’art et l’artisanat.
11Les politiques publiques en faveur des métiers d’art au sein du ministère de la Culture ne sont donc ni vastes, ni déployées à travers un ensemble de mesures ou d’axes coordonnés entre l’échelon national et régional. Les institutions relevant du ministère de la Culture menant une politique moins évidente en matière de métiers d’art, les céramistes pourraient alors se tourner vers l’autre pôle institutionnel, celui de l’artisanat. En 2010, est justement créé l’Institut national des métiers d’art (INMA), visant à remplacer la Société d’encouragement aux métiers d’art (SEMA) née en 1976, et mettre en place une véritable politique interministérielle : cet institut a pour fonction d’« associe[r] l’ensemble des acteurs du secteur professionnel et institutionnels au service de l’intérêt général des métiers d’art30 ». Pourtant, aujourd’hui et spécifiquement chez les céramistes d’art, l’INMA est non seulement peu connu des professionnels, mais très peu y adhèrent : dans notre enquête quantitative, c’est le cas pour seulement 2 personnes sur les 218 répondants. L’INMA est également peu évoqué dans les entretiens formels, comme dans les observations et lorsqu’il est connu de certains, il s’agit le plus souvent de professionnels très impliqués dans les associations. Ceux-ci le perçoivent essentiellement comme une institution « giscardienne » peu active, « un peu poussiéreuse » et ne relaient donc pas la nécessité d’y adhérer auprès de leurs collègues :
« Et peut-être que ça a été une erreur de notre part de ne pas aller plus vers le ministère du Commerce et de l’Artisanat. Mais bon, ça, je me pose des questions parce que le Commerce et l’Artisanat nous a toujours envoyés vers une structure qui s’appelle la SEMA… […] Et en fait y’a très peu de retombées sur les métiers d’art. […] C’est vrai que cette structure-là, on l’a un peu laissée tomber parce que toutes les démarches auprès d’eux ça a été une catastrophe donc… donc on s’épuise, aussi, à travailler avec des gens qui rament à contre-courant. »
Un céramiste, artisan, impliqué dans les associations de professionnels depuis les années 1980 ainsi que dans le CNC
12Lorsque les enquêtés évoquent les relations qu’ils entretiennent personnellement avec les chambres de métier, c’est-à-dire des institutions départementales ou régionales, on repère au mieux une évocation sur le ton de l’entente cordiale, de l’indifférence et/ou un léger sentiment de dépréciation lorsqu’il s’agit d’exposer dans une foire d’artisanat « à côté des confits de canard et des savons parfumés ». Dans le pire des cas apparaît un sentiment d’être utilisés comme « vitrine ».
« Et ce qu’on voit de plus en plus dans le développement de notre métier (enfin tu as vu à X) [un village de tradition potière], pour 4,60 €, tu peux voir un potier tourner, c’est une aberration énorme, quoi… Tu peux payer pour voir quelqu’un qui tourne, ce qui est… ce qui est complètement… fou, quoi. C’est-à-dire qu’en consommant dans ce domaine-là, notre métier, c’est une dénatur… enfin… ça ne va pas du tout avec ce qu’on fait : pour moi le potier, il vit de… de faire des objets. C’est ni un clown, ni un… je ne sais pas comment te dire ça, moi ! »
Régis, 53 ans, artisan, installé en 1981
13Cette critique est reproduite symétriquement à l’encontre du ministère de la Culture, et c’est en particulier le dispositif des Maîtres d’art – nomination créée sur le modèle des Trésors vivants japonais – qui est visé : très peu de céramistes connaissent par exemple ces mesures, et la plupart de ceux qui en sont informés critiquent ce dispositif, conçu comme élitiste et avant tout d’ordre symbolique.
14Finalement, l’accusation d’instrumentalisation est assez récurrente et dirigée vers les deux ministères : « alibi » servant à montrer l’ouverture d’un ministère de la Culture vers des pratiques moins légitimes, « vitrine culturelle » de l’artisanat alors que les chambres des métiers consacrent l’essentiel de leurs actions aux métiers classiques de l’artisanat (bâtiment, métiers de bouche31…). À l’image des métiers d’art, qui ne trouvent pas facilement leur place dans les politiques publiques culturelles, la céramique est marquée du sceau de la double marginalité : art déclassé, artisanat ennobli, ou également ce que les sociologues peuvent qualifier d’art moyen en tant que pratique mineure transposée par des agents de classe moyenne dans un espace savant et ainsi, légitimable32. Quoi qu’il en soit, l’ancrage dans un double régime de l’Art et du Métier est désajusté avec l’environnement normatif. Il est dès lors intéressant de comprendre comment se déroulent les interactions entre les professionnels et ces institutions. Comment les normes de professionnalité sont-elles renforcées, infléchies ou transformées au gré de ces échanges politiques ?
La coopération : échecs et réussites face aux professionnels de la politique
15Les situations de coopération entre les céramistes – via leurs associations – et des collectivités locales existent, avec plus ou moins de réussite. Nous verrons successivement deux cas : d’une part, la mise en place d’un « plan de développement des métiers d’art » impulsé par une direction régionale du Commerce et de l’Artisanat (DRCA), à laquelle ont été impliqués les céramistes d’art de manière centrale, et d’autre part, l’organisation de marchés de potiers par les associations de professionnels en collaboration avec des collectivités territoriales. Mais dans tous les cas, le même enjeu est au cœur des dynamiques professionnelles : garder la maîtrise de la professionnalité.
16Le ministère de l’Économie a initié, à la fin des années 1990, des programmes régionaux de développement des métiers d’art (PRDMA33). Nous avions étudié l’un d’eux en 2008, qui associait trois partenaires : les professionnels, réunis par le biais de leurs représentants au sein de l’Union des métiers d’art, l’État via la DRCA, et la région via le réseau de Chambres des métiers et de l’artisanat. Le PRDMA illustre ainsi l’une des caractéristiques de la gouvernance, à savoir l’association d’acteurs hétérogènes et « la mise en relation ou le mixage d’univers sociaux distincts34 ». La présence de professionnels « interprètes » capables de traduire ou transcoder35 des langages professionnels et institutionnels, semble dès lors incontournable. Christian, impliqué lors du lancement du PRDMA, explique :
« Moi j’ai été élu [représentant d’une association de professionnels], donc j’ai un peu les deux vocabulaires : je suis capable de traduire du potier au technicien de la région, et inversement. »
17En l’occurrence, ce sont les professionnels les plus familiers de la relation au personnel politique qui se sont impliqués dans le PRDMA, permettant aux artisans d’art de ne pas se faire complètement imposer les termes de l’échange : « être en situation de dépendance, c’est au contraire se voir imposer des qualifications, des mises en relation, des reconversions, c’est subir des alliances forcées et des principes de jugement36 ». Cette habileté à rendre intelligibles les discours des uns auprès des autres dépasse la maîtrise des langages, et touche au maniement de plusieurs rationalités dans une forme d’aisance relationnelle. Lorsque cette capacité fait défaut, elle leur donne au contraire le sentiment qu’en s’impliquant dans ce monde qui n’est pas le leur, « quelque part, [ils] perd[ent] un peu [leur] âme ».
18Sur le fond, ce dispositif matériel qu’est le PRDMA peut être conçu à la fois comme une démarche volontariste et un intérêt des institutions envers un secteur professionnel, mais aussi comme une forme de contrôle, c’est-à-dire comme « influence créatrice d’ordre, i.e. d’une certaine régularité37 ». L’étude de sa réception parmi les céramistes permet donc de mettre en lumière les manifestations du rapport à l’institution, les définitions concurrentes du sens et des définitions de l’activité, ainsi que les enjeux d’autonomie professionnelle. En l’occurrence, on retrouvait des similarités entre les revendications des artisans d’art et les axes développés dans le PRDMA. Malgré cela, le programme avait bénéficié d’une plutôt réception mauvaise (peu d’adhésion et un désengagement progressif des professionnels impliqués initialement), bien qu’aucun programme n’en ait eu de meilleure jusque-là. Conclure à « l’asociabilité des artistes38 » ou au désintérêt de ceux-ci semblerait réducteur, et surtout, contradictoire avec leur recherche récurrente d’intérêt et de reconnaissance auprès des institutions. Aussi, au-delà de l’opposition entre les figures de l’artiste et du gestionnaire, trois types de réticences à ce programme peuvent en fait être repérées :
une défiance du politique a priori, nourrie par un cadrage plus général de la situation39 réalisé au sein du groupe professionnel face aux politiques publiques ;
le statut ambigu de « partenaires » face aux professionnels de la politique, qui se traduit par une indétermination des formes d’engagement des professionnels (entre bénévolat et professionnalisme) et de leur rôle social (experts, acteurs de décisions tripartites, cautions morales au PRDMA ?) ;
une volonté de conservation de l’autonomie autour de la définition du métier, de ses objectifs et contenus, c’est-à-dire de la professionnalité. Les deux types de critiques à l’égard de l’action publique culturelle qui structurent l’espace professionnel se retrouvent alors : une accusation de dévalorisation du contenu créatif de l’activité (cantonnant ainsi le métier à un art mineur et reniant sa dimension artistique), un soupçon de folklorisation du métier, qui ne serait plus qu’un alibi et instrument pour façonner une image de l’artisanat ou des territoires (les métiers d’art étant parfois exposés au milieu des brioches à l’ancienne et des miels de pays dans les foires artisanales).
19La réussite et le maintien des échanges entre certaines fractions du groupe professionnel mandatés pour agir en son nom et des acteurs de l’action publique dépendent donc de plusieurs facteurs : l’accord sur le contenu des dispositifs mais aussi la valeur sociale dont les différents partenaires se sentent investis.
20Passons désormais à un second cas de collaboration, beaucoup plus fréquent, entre professionnels et institutions publiques : l’organisation de marchés de potiers. Les enquêtés soulignent à la fois l’efficacité de cette coopération, mais aussi le caractère indispensable de la co-élaboration de ces événements par les associations de professionnels d’un côté, et les municipalités de l’autre. Dans ces situations, les associations posent des conditions et définissent largement les termes du contrat en revendiquant leur expertise professionnelle, en particulier lorsqu’ils doivent collaborer avec des responsables des Office de tourisme ou de petites municipalités pas nécessairement dotés d’un adjoint à la culture. Armand, fondateur d’une association évoque les dissensions potentielles entre les conceptions professionnelles et celles d’un exécutif intercommunal :
« On a reçu une lettre du président [de la communauté de communes] qui nous a dit que nos expositions étaient trop ambitieuses et n’étaient pas adaptées à la population locale. Donc nous, on lui a dit “vous prenez vos administrés pour des cons”. Et c’est vrai que nos expositions elles étaient très ambitieuses, et on voulait montrer le meilleur de la céramique actuelle […] La communauté de communes c’est petit, c’est une zone agricole, viticole, etc. C’est pas des gens que je méprise, mais ils ont aucune compétence pour monter des expos de céramique comme on le faisait. […] On a dit qu’on ne reviendrait organiser des expos ponctuelles [au sein de ce projet] que si ça restait un lieu qu’on peut décemment continuer à fréquenter. Si ça devient un lieu où on fait n’importe quoi… C’est malheureusement le cas dans beaucoup de petites villes de provinces : on fait exposer les artistes locaux avec du miel, du vin… »
Armand, 69 ans, artisan, installé vers 1986
21Face à ce que qui est perçu comme un risque d’instrumentalisation, mais aussi comme l’incompétence supposée de certaines partenaires, la défense des normes professionnelles passe par l’instauration de partenariats qui prennent généralement la forme d’une charte ou d’une convention entre l’association et la structure organisatrice. C’est ce qu’illustre le préambule de la convention de partenariat établi par une association régionale (que nous appellerons « Terre d’argile »), qui souhaite que « les marchés de potiers respectent et promeuvent : la qualité de production céramique, la professionnalisation de l’organisation du marché, l’accueil de jeunes potiers, l’accueil du public et l’éducation à la céramique ». On retrouve également dans ce document les bonnes pratiques communautaires ou l’éthique (chapitre 6), telle la « convivialité40 », la « solidarité » (organisation du Bol de la solidarité) (chapitre 7). Le comité d’organisation du marché comprend par ailleurs un « potier référent » : il s’agit la plupart du temps d’un professionnel résidant sur place, également membre de l’association organisatrice, qui se charge de la logistique et de la coordination (réunions préparatoires avec les différents acteurs, matériel et conseils techniques, etc.), mais aussi de la mise en œuvre des critères de professionnalités (chapitre 2) : « présence uniquement de céramistes professionnels en règle », « renouvellement des exposants ». Cela va de pair avec la sélection des exposants par leurs pairs, puisque le comité de sélection « comporte obligatoirement un potier de [l’association] avec voix délibérative ». Cette répartition des tâches prévaut généralement dans la plupart des échanges politiques entre associations et collectivités : l’association garde la maîtrise des enjeux de professionnalité et met à disposition ses ressources (carnet d’adresses d’exposants potentiels et de visiteurs, panneaux pédagogiques, bénévoles, etc.), tandis que la structure partenaire assume les charges financières et logistiques (signalétique, gardiennage, espaces au sol, etc.) et paie des droits à l’association afin de pouvoir bénéficier de l’appellation « Marchés de potiers Terre d’argile », conçue comme un gage de qualité. À ces conditions, cet exemple témoigne d’une inclusion réussie de normes de professionnalité dans les échanges avec des acteurs institutionnels. La construction symbolique du groupe s’effectue donc à travers le contrôle sur les individus qui le composent (sélection des exposants, exigence d’une « bonne tenue du stand41 », etc.), mais aussi par la maîtrise de la diffusion des normes professionnelles auprès des instances extérieures. Cet aspect montre combien l’élaboration des normes et leur imposition dans des configurations de pouvoir n’existent pas seulement à l’état discursif et cognitif, mais aussi à l’état pratique, à partir des contextes de travail42.
22L’exemple de la convention établie par Terre d’argile se décline ailleurs et notamment dans les autres grandes associations régionales, puisque celles-ci forment un réseau commun et mutualisent leurs initiatives respectives à travers le CNC. D’ailleurs, la mention d’un marché sur le calendrier officiel des marchés de potiers produit par le CNC requiert la satisfaction de la plupart des critères fondamentaux de professionnalité : « un céramiste référent doit faire partie du comité d’organisation ; les exposants sont des céramistes professionnels déclarés ; les revendeurs sont proscrits ; l’entrée du public est libre et gratuite ; la sélection assure un renouvellement des exposants et l’accueil des débutants43 ». Pour l’année 2014, il est précisé que « l’acceptation de la candidature [d’un marché sur le calendrier officiel] se fera sous réserve d’approbation par l’Association régionale adhérente au Collectif national des céramistes », plaçant ainsi l’évaluation de la qualité des marchés sous un double contrôle national (par le CNC) et local (une association régionale). Enfin, la chambre syndicale (AAF) encourage indirectement cette formalisation des normes, puisqu’elle subventionne ceux de ses adhérents qui exposent dans un marché agréé par le CNC à hauteur de « 75 € par manifestation, et limitée en 2012 à six par an, soit 450 € par an par adhérent44 ». Nés à partir de 1976, les marchés de potiers les plus reconnus existent donc aujourd’hui à travers l’action, parfois conjointe, de ces deux grandes organisations professionnelles que sont AAF et le CNC. Là encore, cette professionnalisation s’effectue de manière multi-située, par la complémentarité des moyens mis en œuvre par ces organisations : les chartes et conventions associatives et le soutien logistique d’AAF témoignent donc d’une relative unification – tout du moins dans la « façade » institutionnelle – de l’action collective. Comme l’écrit A. Strauss, « nous devrions aussi demander, lorsqu’une profession apparaît relativement unifiée au grand public, pourquoi semble-t-il en être ainsi45 ». Or, d’abord, ces chartes sont des dispositifs produits par une certaine frange de professionnels et non par tout le groupe, et plus précisément, par les « bâtisseurs » du métier. Ensuite, comme pour les systèmes de solidarité, le soutien d’AAF aux actions du CNC ancre la chambre syndicale au cœur du terrain et des événements professionnels, et ces bénéfices symboliques ne sont sans doute pas étrangers au maintien d’une telle synergie. En tout état de cause, les interactions entre les professionnels et les institutions publiques sont tributaires de la solidité de l’identité collective promue par les instances représentatives du groupe. Dit autrement, la défense des normes de professionnalité par les céramistes à l’extérieur de leur profession est conditionnée par un travail de façonnage et de consolidation de cet ensemble normatif en interne.
Faire bouger les lignes : les usages du droit comme éléments de mobilité collective
23Examinons à présent une action plus conflictuelle et ancrée dans la critique des institutions culturelles. Cette critique recouvre en fait deux types de prises de positions, pouvant bien entendu se superposer chez certains enquêtés : certains céramistes cherchent à démontrer le caractère artistique de certaines œuvres ou pratiques jugées artisanale, en contestant ce qui est institutionnellement défini comme art ; d’autres plaident pour une remise en cause de la hiérarchie entre l’art et l’artisanat et cherchent à démontrer le bien-fondé de la prise en charge de l’artisanat par le ministère de la Culture. Cette critique conduit à une forme de mobilisation assez conventionnelle, à savoir le recours au droit.
Revendiquer la dimension artistique de l’activité : la contestation des critères de partition entre art et artisanat
24Si presque un tiers (28 %) des enquêtés par questionnaire exercent sous le statut d’artiste, ils sont nombreux à avoir joué avec le règlement de la Maison des artistes pour y être affiliés, par exemple en ne présentant que des pièces sculpturales ou plastiques, en occultant la dimension utilitaire ou de petite série de leurs créations en céramique, ou encore, en présentant des dessins ou peintures et en étant officiellement inscrits comme peintre. En effet, l’entrée dans les mondes de l’art s’effectue par une artification des pratiques et par l’intégration des individus dans des réseaux propres à ces espaces, mais aussi par la soumission aux critères du champ artistique : « les exclus ne parviennent à se faire reconnaître comme créateurs qu’en se soumettant à la définition de l’œuvre comme “originale” et “inutile”, en entrant dans les réseaux et en exposant dans les lieux adéquats (Becker, 1988)46 ». On retrouve dans la citation d’H. Becker la référence au fameux critère d’inutilité, dont on a montré la centralité dans la définition de l’art en France. Pour cette raison, certains céramistes ont feint de se mettre en conformité avec ce critère : ils ont présenté dans leur dossier quelques sculptures en se gardant de montrer des photos de pièces utilitaires, ou bien ont inséré dans leur dossier des photos prises en gros plan, modifiant ainsi légèrement la nature du support (un plat pouvant alors devenir un « panneau mural »). La « gruge » ou la « triche » est ainsi un mode d’entrée assez commun à la Maison des artistes. À l’inverse, d’autres démarches entreprises par certains céramistes pour être affiliés se caractérisent par le conflit ou le « forcing », pour rependre un terme indigène. Concrètement, après avoir été refusés ou radiés en raison du caractère artisanal de leurs créations, des professionnels ont engagé des procès à titre individuel contre la Maison des artistes à partir des années 1980. Nous renvoyons à d’autres travaux47 pour le détail de ces affiliations problématiques, des luttes autour de la définition de la notion d’œuvre d’art originale (incluant, ou non, le critère d’utilité) et de la chronologie des jugements rendus. C’est en tout cas pour faire reconnaître la légitimité à être artiste tout en faisant de la céramique, mais aussi pour pouvoir « exercer leur art sur un pot » comme le mentionne un article paru dans La Revue de la céramique, que se sont battus ces professionnels. Dans les cas qui ont été portés à notre connaissance, les instances judiciaires ont finalement donné raison aux céramistes, à l’instar du verdict suivant émis en 2009 : les créations de X « sont des œuvres uniques et il n’est pas contesté qu’elles sont signées par lui. Le fait qu’elles prennent la forme d’objets utilitaires ne leur retire pas nécessairement le caractère d’œuvres originales en exemplaire unique, entièrement exécutées de la main de l’artiste et signées par lui48 ».
25Ces procès témoignent ainsi de certaines difficultés d’admission pour des céramistes fabriquant des contenants et matérialisent judiciairement l’une des deux formes de positionnement émis dans l’espace professionnel vis-à-vis des institutions culturelles : la tentative de démonstration de la nature artistique d’un travail utilitaire, et par extension, la contestation des critères classiques de partition entre art et artisanat. Ces procès ne visaient pas tant à publiciser la cause auprès du grand public ni à obtenir de gains matériels liés à la protection sociale du statut d’artiste, qu’à engager un pari sur les effets performatifs de la jurisprudence établie autour du travail et du statut de ces professionnels : c’est bien la valeur sociale de l’activité et des individus qui est en jeu ici, puisqu’en désignant les artistes (et en les distinguant de ceux qui ne le sont pas), la Maison des artistes délivre « ce qui tient lieu, bien que le terme soit évité avec soin par le texte de loi, de certificat de professionnalité49 ». À la fin des années 2000, d’autres céramistes ont contesté le principe « d’exclusion des créations « utili taires par nature »» du champ d’application de la sécurité sociale des artistes. Dans une lettre adressée à la Maison des artistes, cette céramiste écrivait par exemple :
« Bien d’autres artistes, y compris illustres, ont fait des céramiques ayant la forme de contenant que l’on peut admirer dans les grands musées nationaux : Marc Chagall, Henri Matisse, Aristide Maillol, Raoul Dufy, André Derain, Kees Vand Dongen, Maurice de Vlaminck, Georges Rouault, Maurice Denis, Paul Gauguin, etc. La liste est longue. Qui donc au juste pourrait soutenir que ces céramiques ne pourraient être considérées comme des œuvres originales, au prétexte que ce sont des contenants ? »
Photo 10 – À l’instar du peintre prenant du recul sur sa toile, la céramiste évalue sa pièce – un vase – qui constitue le support d’un décor unique.

26De fait, sur le plan esthétique, revendiquer la nature artistique du travail tout en affichant la volonté de créer des pièces s’apparentant à des « contenants » (bols, boîtes, coupes, etc.) revêt une dimension politique. Dans ces cas-là, la dimension politique de ces actes ne provient pas d’un signifié explicite (tel qu’on le retrouve parfois dans l’art engagé), mais bien de la forme choisie pour les objets : dans un tel cadre institutionnel, s’attacher à une forme esthétique qu’est celle de contenant active de fait un conflit axiologique, politique et identitaire. Comme le soulignait H. Marcuse, « c’est dans l’art lui-même, dans la forme esthétique en tant que telle, que je trouve le potentiel politique de l’art50 ».
27En ce sens, si les procès ainsi que ces diverses formes de contestation demeurent des initiatives individuelles, ils témoignent aussi des phénomènes de mobilité collective du métier. En effet, ces difficultés d’affiliation et les combats engagés pour obtenir celles-ci furent publicisées et diffusés au sein du groupe professionnel, tant par l’histoire orale que dans La revue de la céramique et du verre, par exemple, et ils font à ce titre partie de la culture de métier d’aujourd’hui. Ces récits font le groupe en le racontant, ils créent un fond d’histoire commune dépassant largement les expériences singulières et renforcent ainsi le « nous » face au « eux ». Les événements vécus de manière conflictuelle (non-affiliation ou radiation de la Maison des artistes, difficultés de dialogue avec les DRAC…) ne sont pas sporadiques et hasardeux, mais s’enchaînent sur plusieurs décennies et sont vécus comme les composantes d’une réelle politique d’exclusion et de rejet de la culture professionnelle. Ils concourent ainsi à un durcissement des positions des professionnels face aux institutions culturelles et la critique de ces dernières devient dès lors une « ligne d’action cohérente51 », parce qu’une autre attitude ne serait pas tenable ou cohérente au sein du groupe, ou parce que les coûts d’un retour en arrière sembleraient injustifiés. C’est ainsi que nous expliquons les critiques si cinglantes relatées au début de ce chapitre, à l’égard du ministère de la Culture et des DRAC, alors même que tous les céramistes n’ont pas eu à subir personnellement ce qu’ils présentent comme des affronts. Les différences entre les « plus artistes » (inclus dans ces politiques publiques) et « les plus artisans » (qui en seraient exclus) auraient pu pacifier les rapports avec les acteurs institutionnels, mais la situation décrite ici a au contraire réuni l’ensemble des professionnels autour d’une exclusion communément partagée. Cela vaut d’autant plus que la définition de l’identité collective s’effectue en effet aussi par la désignation et « la définition d’opposants52 » : c’est toute la dimension unificatrice du conflit, qui soude un groupe face à des adversaires. De la même manière que certaines anecdotes se transmettent, les nouveaux entrants dans la céramique d’art s’acculturent ainsi aux discours déplorant « la partition entre la tête et les mains régnant en France », ou « le mépris que les institutions culturelles ont pour la terre », etc., ces discours étant aujourd’hui partie intégrante des bonnes pratiques professionnelles.
Contester la hiérarchie culturelle entre l’art et l’artisanat
28Une autre forme de recours au droit structure la défense des normes professionnelles : la juridicisation, soit la volonté de recourir aux normes juridiques existantes ou d’en créer de nouvelles pour réguler les actions et interactions sociales53. Elle s’est développée autour de la seconde forme de critique des politiques publiques, à savoir la hiérarchie existant entre art et artisanat. En France, l’artisanat reste, dans le sens commun, souvent conçu comme un stade particulier d’une évolution aboutissant à l’art, de la même manière que les hiérarchies sociales se fondent bien souvent sur l’opposition entre l’intellect et le manuel, ou l’abstrait et le concret54. Même dans les postures cherchant à valoriser l’artisanat conçu comme une « résistance à une « industrie culturelle » dont on sait depuis Adorno combien elle déshumanise55 », certaines marques de mépris transparaissent dans la qualification de ses pratiques, lesquelles restent « assurément désuètes56 », et dont le « formalisme » s’oppose à des ambitions plus abstraites – celles de l’art – qui vient à « interroger le sens même de l’existence57 ». La technique et les savoir-faire ne seraient que des moyens techniques au service d’une ambition conceptuelle propre à l’art (puisque, dans cette vision binaire et caricaturale, l’artiste trouve quant à lui « sa raison d’être dans son incapacité à définir et à concevoir rigoureusement ses procédés58 »). Dans cette conception, l’art constitue toujours l’épicentre de la création autour duquel gravite un artisanat plus ou moins valorisé selon la distance qu’il entretient avec lui.
29Déjà, quand J. Lang était ministre de la Culture (1981-1993), des propositions autour d’un statut d’artisan d’art « créateur » avaient émergé : il s’agissait de pallier la non-reconnaissance par les chambres des métiers de la spécificité des artisans d’art ainsi que les difficultés d’accès des artisans d’art à la Maison des artistes. Cherchant à rapprocher ainsi l’activité des artisans d’art de l’activité artistique, les promoteurs de ce statut, en particulier la chambre syndicale et la Fédération nationale des ateliers d’art (FNAA), ne verront pas leur revendication aboutir59. Ce projet de statut renvoie cependant très directement aux luttes engagées par les céramistes d’art puis relayées par AAF depuis les années 1970. Vingt ans après l’échec de ce projet, cette idée est donc réappropriée par la chambre syndicale, dans un contexte d’évolution du régime des artistes-auteurs60. La création d’un statut d’artisan d’art permettrait l’affiliation au régime des artistes-auteurs et la constitution d’un cinquième collège au sein des chambres de métiers, aux côtés des quatre activités réglementaires (alimentaire, bâtiment, production et services61). En 2013, la chambre syndicale affirme qu’il s’agit d’un dossier « pris à bras-le-corps par le président de la chambre syndicale, [qui] s’appuie sur une équipe dédiée et des experts en droit social, droit des affaires et des fiscalistes62 ». Dans une note de synthèse rédigée avec l’appui d’experts juridiques63 et soumise au cabinet du premier ministre du gouvernement français de l’époque, J.-M. Ayrault, l’organisation s’emploie en effet à montrer la dimension créative de l’artisanat d’art et à défendre l’idée que « l’artisan d’art est le créateur d’œuvres originales “portant l’empreinte de la personnalité de son auteur64” ». Pour cela, AAF s’appuie notamment sur le Code de la propriété intellectuelle qui ne fait pas mention de la notion d’utilité, et rappelle que les seules conditions valables pour statuer sur une affiliation sont l’originalité, l’unicité des œuvres ou leur limitation en tirage limité, ainsi que l’exécution de la main de l’artiste65. AAF demande également une adaptation de la réglementation fiscale (Code des impôts évoqué plus haut) afin d’abolir la distinction entre art « pur » et art appliqué. Enfin, l’une des préconisations principales de la note de synthèse de la chambre syndicale est d’établir une « simple présomption d’éligibilité au régime social des artistes auteurs, au profit des artisans d’art visés à l’annexe de l’arrêté du 12 août 2003 fixant la liste des métiers d’art66 ». Ainsi, sans renier ni renoncer à la notion d’artisanat, il s’agit d’en démontrer la valeur créative et artistique et d’inclure les métiers d’art dans les politiques publiques artistiques. Ainsi, toujours en 2013, un amendement parlementaire visant à la reconnaissance légale du secteur des métiers d’art est rédigé à l’initiative de la chambre syndicale (AAF), en collaboration avec l’assemblée permanente des chambres de métier et de l’artisanat (APCMA) et l’Union nationale des métiers d’art (UNMA, qui est une émanation récente de la chambre syndicale). La loi, qualifiée d’« historique » par la chambre syndicale, est examinée et votée par l’Assemblée nationale puis par le Sénat français qui intègre cet amendement, le 16 avril 201467. Cette loi, promulguée en juin 2014, comporte deux éléments essentiels : d’une part, la reconnaissance de l’existence des métiers d’art comme secteur économique, et d’autre part, la reconnaissance des artisans d’art comme « créateurs » et de leur spécificité : la dimension artistique. Très récemment, un amendement dédié aux métiers d’art est intégré dans la loi « Liberté de création, patrimoine et architecture » de 2016, évolution saluée par AAF, parce qu’elle « ancre officiellement les métiers d’art dans le périmètre des politiques culturelles de notre pays68 » : la liste des métiers d’art nouvellement établie en 2016 « ne préjuge pas du statut professionnel des personnes exerçant l’une des activités y figurant. Elles [les personnes exerçant un métier d’art] peuvent donc être aussi, notamment, des salariés d’entreprises artisanales ou de toute autre personne morale ayant une activité de métiers d’art, des professions libérales, des fonctionnaires ou des artistes auteurs ». (article 14D)
30La loi reconnaît donc la remise en cause des frontières entre art et artisanat, initiée par certains céramistes d’art il y a maintenant une trentaine d’années. Les premières démarches influencées par Le livre du potier dans les années 1970 visaient à explorer le potentiel artistique et créatif de la céramique à travers les expérimentations techniques menées sur des objets de toutes sortes, utilitaires ou non. En cela, cette artification de la poterie était un premier pas vers l’érosion des grandes partitions entre l’art et l’artisanat. Depuis, ces démarches ont été répétées et ont participé à l’institutionnalisation de ces normes de professionnalité, d’une part, et à la transformation des normes sociales et juridiques traçant les contours de la définition de l’art en France, d’autre part.
Conclusion
31L’action publique existante se caractérise par un désajustement avec les intérêts et visions du monde véhiculées dans les organisations professionnelles et parmi une large majorité de professionnels, toutes générations confondues. Dans une telle configuration, les mesures politiques prises en faveur des métiers d’art sont alors faiblement relayées, comme l’a par exemple illustré la réception contrastée du PRDMA, ou alors ces institutions sont ignorées voire méconnues des professionnels, à l’instar de l’INMA. En fait, nous avons montré dans ce chapitre que les collaborations avec des collectivités publiques étaient plutôt « réussies » – au sens où elles existaient, voire perduraient – dans les situations où les professionnels estiment garder une maîtrise sur leurs normes de professionnalité. Quant aux relations avec les institutions publiques du pôle artistique (ministère de la Culture, DRAC) elles relèvent souvent du conflit, auquel s’ajoute de manière ambiguë une quête de reconnaissance inassouvie. Plus qu’une position située, selon les poncifs courants, « entre tradition et modernité », la céramique d’art s’inscrit en fait à l’intersection du patrimoine, des arts mineurs démocratisés (le street art, le rock…) et de l’art contemporain. Ainsi, le rapport des céramistes à la définition de l’art montre la labilité des critères traditionnellement utilisés pour distinguer celui-ci de l’artisanat (utilité ou fonction, virtuosité et sérialité69). H. Becker signalait dans Les mondes de l’art, leur caractère déterminant, tout en suggérant que ceux-ci étaient socialement situés, et cet ouvrage apporte, plus de trente ans après ce livre fondateur, une illustration du caractère relatif et mouvant des mondes de l’art.
32Dans ce contexte, le rapport ambigu des céramistes à la légitimité culturelle et leurs dispositions sociales ne sont pas étrangers à la contestation (y compris juridique) du système de hiérarchie culturelle. Ceux-ci sont particulièrement disposés – appétents et compétents – à contester des institutions auxquelles ils se sentent par ailleurs associés au regard de leurs origines et trajectoires. Cette propension est ravivée par le sentiment d’injustice, dont on sait qu’il constitue l’un des ferments de la politisation70. Cette conjonction de facteurs a permis de consolider l’identité collective des « potiers » et leurs prises de position : la posture collectivement et culturellement construite parmi les céramistes constitue une forme de contre-cadrage face aux normes institutionnelles existantes. En ce sens, le mouvement de professionnalisation étudié dans les chapitres 7 et 8 interroge donc les liens entre l’inclinaison à la politisation et le type supposé – plus ou moins « apolitique » et « établi » – de métiers ou professions. Prolongeant ainsi la réflexion sur la dichotomie entre les professions dans leur conception anglo-saxonne et les métiers ordinaires entamée par les travaux interactionnistes, l’étude de la professionnalisation des céramistes conduit à concevoir la politisation comme un phénomène qui lui est consubstantiel, quelles que soient les activités étudiées. D’abord, concernant le traditionnel critère de la dichotomie entre espace public et espace sectoriel qui sert d’aiguillon pour définir la politisation, il nous semble qu’une professionnalisation effective peut difficilement demeurer exempte de conséquences qui « débordent largement le cadre de la profession pour atteindre l’espace public71 » : la diffusion de la professionnalité doit, par définition, être reconnue, validée, négociée à l’extérieur du groupe. Ensuite, de la même façon que la politisation est ici conçue dans ses formes extensives, le cas des céramistes questionne la validité des frontières entre les « types » de groupes professionnels (profession établie, profession à pratique prudentielle, groupe professionnel…), dont les savoirs seraient plus ou moins formalisés. Certes, comme le montrent les travaux sur la profession médicale, le degré d’autorité conféré par l’exercice d’une profession72 (très peu prestigieuse ici, bien au contraire), ainsi que la position et les ressources antérieures des professionnels (éléments en revanche majeurs ici) demeurent des facteurs majeurs expliquant la réussite des entreprises de professionnalisation. En outre, certains types d’engagements peuvent distinguer des activités professionnelles, comme le postule la notion de « professions à pratique prudentielles » : cette catégorie repose sur l’existence d’une dimension civique de l’activité, de contenus complexes impliquant une formalisation seulement partielle et une réflexivité nécessaire à la définition de l’activité et des valeurs qui la structurent. Cette approche à l’avantage de montrer comment les luttes au sein de territoires professionnels et entre ceux-ci sont intriquées aux contenus professionnels (savoirs, pratiques) et comment ces deux pans des dynamiques professionnelles sont finalement mutuellement transformés73. De même, elle permet de montrer, y compris chez les céramistes, que les ressorts de l’engagement public ne se situent pas – ou pas seulement – dans un rapport antérieur à « la politique », mais d’abord dans la pratique professionnelle elle-même, c’est-à-dire dans une continuité entre exercice professionnel et engagement. L’exemple des luttes pour la reconnaissance de la dimension artistique de l’activité et la focalisation autour de la forme du « bol » en sont des cas exemplaires. Cependant, la catégorie de profession à pratique prudentielle apparaît comme un idéal-type relativement plastique, ce qui nuance dès lors sa portée analytique. En effet, le cas des céramistes comporte des éléments caractéristiques des professions à pratiques prudentielles : il en va ainsi de la réflexivité (les débats engagés autour de la définition de l’art et de l’artisanat) comme de la formalisation partielle des savoirs (par exemple, les savoirs tacites au cœur de l’excellence professionnelle). Nous préférons ainsi l’idée que la réflexivité comme la dimension civique des métiers résultent en fait aussi, tout comme la politisation, de processus d’« étiquetage » plus que de qualités intrinsèques à des « types » de savoirs professionnels. Sans tomber dans une conception relativiste mettant par exemple sur le même plan l’engagement politique de magistrats et le discours d’un céramiste attribuant une dimension civique à son travail, cette enquête montre que des activités peuvent sans doute, sous l’action de leurs membres et selon la manière dont ils recodent leurs activités, être défendues et institutionnalisées sur la base d’une politisation. Le groupe professionnel des céramistes d’art, relativement restreint et surtout, méconnu, interroge ainsi les typologies et catégories pour appréhender les activités professionnelles, supposées plus ou moins mobilisées et mobilisables politiquement. En particulier, les moments de crise comme les conflits autour de la valeur culturelle du travail donnent ainsi à voir « les potentialités d’action impensées voire impensables recelées par des professions74 », a fortiori lorsque ces crises pouvaient elles-mêmes être perçues comme peu probables en raison de la petite taille du groupe professionnel ou de son faible degré d’engagement public.
Notes de bas de page
1 Cordier M., « Les artistes de cirque directeurs de compagnie : une autonomie en demi-teinte », Communication au Congrès de l’association française de sociologie, 2013.
2 Dénommé ministère des Affaires culturelles, il devient le ministère de la Culture, traduisant ainsi le changement d’orientation donné aux politiques menées sous J. Lang.
3 Dubois V., La politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’intervention publique, op. cit., p. 426.
4 Voir des exemples, et l’étude du cas du graffiti en particulier : ibid., p. 396-410.
5 Ibid., p. 426.
6 Administré par un conseil d’administration comprenant des représentants élus des artistes-auteurs et des diffuseurs, ainsi que des représentants de l’État.
7 Jourdain A., Du cœur à l’ouvrage. Les artisans d’art en France, op. cit.
8 Lallement M., Le travail une sociologie contemporaine, op. cit., p. 40.
9 Nous ne traiterons que succinctement la question de la place de la céramique dans l’art contemporain, et renvoyons plus largement aux travaux de cette sociologue. Ullauri Lloré E., La création céramique au sein de la scène artistique contemporaine : vers le renouveau des représentations et des pratiques d’un art dit « mineur » au contact d’un art « majeur », université de Provence, sous la direction de Sylvia Girel, 2011, p. 68.
10 Ullauri Lloré E., La création céramique au sein de la scène artistique contemporaine : vers le renouveau des représentations et des pratiques d’un art dit « mineur » au contact d’un art « majeur », op. cit.
11 Ibid., p. 61.
12 Nomenclature INSEE actuelle (PCS 2003). Il y a quelques années, l’INSEE indiquait que les artistes sont ceux qui, « dans le domaine des arts plastiques ou graphiques, créent une œuvre originale, susceptible de procurer par sa contemplation un plaisir esthétique et reconnue comme porteuse de sa propre finalité » : Moulin R., L’artiste, l’institution et le marché, op. cit., p. 267.
13 Idem.
14 Article L382-1 du Code de la sécurité sociale.
15 Ministère De la santé et De la sécurité sociale et ministère De la culture et De la communication, Lettre ministérielle du 7 avril 1981 relative aux critères d’affiliation au régime de sécurité sociale des artistes auteurs d’oeuvres graphiques et plastiques, p. 9. Annexe à la circulaire du 16 février 2011 relative aux revenus tirés d’activités artistiques relevant de l’article L 382-3 du code de la sécurité sociale.
16 [http://www.secuartsgraphiquesetplastiques.org/], page consultée le 12 février 2014.
17 Code général des impôts, annexe 3 – Article 98 A.
18 Article L 112-2 du Code de la propriété intellectuelle.
19 [http://www.secuartsgraphiquesetplastiques.org/], page consultée le 18 août 2013.
20 Heinich N., « Les frontières de l’art à l’épreuve de l’expertise. Politique de la décision dans une commission municipale », Politix, 1997, vol. 10, no 38, p. 112.
21 La décision collective sur les œuvres relève généralement de principes de jugement partagés, mais dans une configuration qui reste cependant fortement aléatoire et personnalisée. Ibid., p. 113.
22 Moulin R., « De l’artisan au professionnel : l’artiste », art. cité, p. 388.
23 Des expressions telles que « des guignols », « ils sont nases », « cette conne de la DRAC » ont parfois été utilisées à l’égard des employés des DRAC.
24 Caillé A., « Reconnaissance et sociologie », in A. Caillé (dir.), La quête de la reconnaissance. Nouveau phénomène social total, Paris, La Découverte, 2007, p. 190-191.
25 Melot M., « Qu’est-ce qu’un métier d’art ? », in N. Heinich et R. Shapiro (dir.), De l’artification. Enquête sur le passage à l’art, Paris, EHESS, 2012, p. 87.
26 Ibid., p. 93.
27 Comme le mentionne le rapport Dehaye en 1976, qui marque l’amorce de l’apparition de la catégorie dans les politiques publiques (voir infra).
28 Sur les appropriations successives de la catégorie « métiers d’art » par les différents organismes ministériels, nous renvoyons aux travaux d’A. Jourdain. Jourdain A., Du cœur à l’ouvrage. Les artisans d’art en France, op. cit.
29 Dumas C., Les métiers d’art, d’excellence et du luxe et les savoir-faire traditionnels : l’avenir entre nos mains, Paris, La documentation française, 2009, p. 43-44. Pour plus de développements sur la relative absence des métiers d’art dans les DRAC, voir par exemple : Bajard F., « Ceramics in France, an unfinished process of artification. Reversing the stigma, creating an artistic norm », Cultural Sociology, à paraître.
30 [http://www.institut-metiersdart.org/qu-est-ce-que-l-inma], consulté le 13 février 2014.
31 Leur corps électoral est d’ailleurs divisé en quatre catégories, où les métiers d’art n’apparaissent pas : alimentation, bâtiment, fabrication, services.
32 Bourdieu P., L. Boltanski, R. Castel et J.-C. Chamboredon (dir.), Un art moyen : essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Éditions de minuit, 1965.
33 Dispositifs visant à développer et à promouvoir les savoir-faire des artisans d’art et à développer les entreprises artisanales à l’échelle régionale.
34 Lascoumes P., « Rendre gouvernable : de la “traduction” au “transcodage” : l’analyse des processus de changement dans les réseaux d’action publique », curapp (dir.), La gouvernabilité, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 326.
35 Ibid., p. 327-328 et 336.
36 Ibid., p. 338.
37 Chiapello E., « Les organisations et le travail artistiques sont-ils contrôlables ? », Réseaux, 1997, vol. 15, no 86, p. 83.
38 Le conflit entre « l’art et le contrôle » se manifeste par « la critique du management faite par les personnels du monde de l’art » et à l’inverse, « la dénonciation de la légèreté et de l’inconséquence du milieu artistique par les professionnels de la gestion ». Ibid., p. 88.
39 Cette allusion aux cadres de l’action collective permet de souligner la dimension cognitive des interactions conflictuelles, et particulièrement, l’élaboration progressive d’un cadre d’interprétation des politiques publiques au sein du groupe professionnel depuis les années 1980. Pour un retour sur l’approche en termes de « cadres » de l’action collective, voir Cefaï D. et D. Trom (dir.), Les formes de l’action collective, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001.
40 Convivialité qui s’impose à toutes les parties : « Les exposants s’engagent également à être présents et accueillants ».
41 Lors de certains marchés, les candidats doivent mentionner une photo de leur stand en extérieur dans leur dossier de candidature, et la « bonne tenue du stand » est un point figurant dans les chartes d’organisation des marchés labellisés par une associations de professionnels et/ou par le CNC.
42 Sainsaulieu I. et M. Surdez (dir.), Sens politiques du travail, op. cit.
43 Document édité par le CNC pour 2014.
44 [http://www.collectif-ceramistes.org/page_1363.php]. consulté le 14 février 2014.
45 Strauss A., La trame de la négociation, op. cit., p. 81.
46 Moulin R., L’artiste, l’institution et le marché, op. cit., p. 267.
47 Bajard F., « Ceramics in France, an unfinished process of artification. Reversing the stigma, creating an artistic norm », Cultural Sociology, à paraître, art. cité. Nous remercions les céramistes évoqués dans cette section, qui se reconnaitront, pour la transmission des documents liés à leur affiliation et/ou au recours judiciaires concernant celle-ci.
48 Extrait du Jugement rendu le 15 mai 2009 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale d’une ville de province.
49 Moulin R., L’artiste, l’institution et le marché, op. cit., p. 394.
50 Marcuse H., La dimension esthétique : Pour une critique de l’esthétique marxiste, Paris, Seuil, 1977, p. 9.
51 Becker H.S., « Notes sur le concept d’engagement », Tracés, traduit par Camille Debras et traduit par Anton Perdoncin, 2006, no 11, p. 191.
52 Voegtli M., « “Quatre pattes oui, deux pattes, non !” L’identité collective comme mode d’analyse des entreprises de mouvement social », Penser les mouvements sociaux, 2010, p. 209.
53 Pélisse J., « Judiciarisation ou juridicisation ? Usages et réappropriations du droit dans les conflits du travail », Politix, 2009, vol. 86, no 2, p. 73.
54 Je renvoie ici au no 46 de la revue Agone (2011) coordonné par S. Laurens et J. Mischi sur la thématique « Apprendre le travail ».
55 Arrault V., « Au-delà de la couture », Figures de l’art, revue d’études esthétiques, 2004, no 7, « Artiste/artisan », p. 312.
56 Ibid., p. 311.
57 Ibid., p. 312.
58 Ibid., p. 311.
59 Sur les tenants de cet échec, établi en 1990, voir Jourdain A., Du cœur à l’ouvrage. Les artisans d’art en France, op. cit.
60 La ministre de la Culture, en 2014, Aurélie Filippetti, a évoqué la possibilité de faire reconnaître la nature artistique de l’activité des designers pour leur permettre d’accéder au statut d’artiste-auteur.
61 Revendication accompagnée du souhait de modifications, par décret, de la loi électorale au sein des chambres de métiers, « impliquant qu’un candidat Métiers d’art soit au minimum élu dans chaque chambre de métiers. Actuellement, la loi prévoit l’élection de deux candidats minimum pour chacune des quatre catégories ». Ateliers D’art De France, Lettre des adhérents, no 72, février/mars 2014.
62 Texte publié par la chambre syndicale et disponible sur l’intranet du site web d’AAF. Consulté le 15 février 2014. On notera que le recours au droit rend l’action d’AAF plus efficace, et en retour, étend ses ressources et sa position auprès des interlocuteurs étatiques : Willemez L., « Quand les syndicats se saisissent du droit. Invention et redefinition d’un rôle », Sociétés contemporaines, 2003, p. 17-38.
63 Audugé S. et Chambre syndicale Des céramistes et ateliers D’art De France, Note de synthèse sur les artisans d’art, leur affiliation au régime des artistes-auteurs et le régime fiscal qui leur est applicable, 2013.
64 Ibid., p. 2.
65 Ibid., p. 6.
66 La note préconise enfin un assouplissement du critère d’exécution à la main et la tolérance conditionnelle d’assistance de tiers dans la réalisation des œuvres, ainsi qu’un assouplissement des règles sur la limitation du nombre d’exemplaires. Ibid., p. 11.
67 Article 20, Titre II, loi Artisanat, commerce et très petites entreprises.
68 [http://www.ateliersdart.com/news.php?id=150]. Page consultée le 15/10/2015.
69 Voir le chapitre « art et artisanat » dans Becker H. S., Les mondes de l’art, op. cit.
70 On retrouve le sentiment d’injustice comme critère de politisation chez N. Eliasoph. Voir une synthèse de cette approche dans : Hamidi C., « Éléments pour une approche interactionniste de la politisation. Engagement associatif et rapport au politique dans des associations locales issues de l’immigration », Revue française de science politique, 2006, vol. 56, p. 5-25.
71 Champy F., « Activités professionnelles prudentielles et production de la société », in I. Sainsaulieu et M. Surdez (dir.), Sens politiques du travail, Paris, Armand Colin, 2012, p. 65.
72 Conférée par la formation, mais aussi, de façon plus mécanique, par la sélection et le profil sociologique des individus qui se dirigent vers elle.
73 Champy F. et L. Israël, « Professions et engagement public », Sociétés contemporaines, 2009, p. 15-17 en particulier.
74 Israël L., « Un droit de gauche ? Rénovation des pratiques professionnelles et nouvelles formes de militantisme des juristes engagés dans les années 1970 », Sociétés contemporaines, 2009, p. 48.
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