1Les internats d’excellence représentent un objet d’étude pertinent pour réfléchir à la question des effets du contexte sur la scolarité. En effet, ce dispositif mis en place en 2008 dans le cadre du Plan « Espoir banlieues » propose l’accès en internat pour un public spécifique : les élèves dits « motivés » ou « à potentiel » issus des catégories populaires, particulièrement les élèves venant d’établissements d’éducation prioritaire et de quartiers de la politique de la ville. Dans une logique d’individualisation de la politique d’éducation prioritaire (Robert, 2009 ; Rochex, 2010), l’idée est de favoriser la réussite de ces jeunes en les sortant de leur sphère familiale et de leur quartier et en les plaçant dans des contextes plus favorisés. Les effets de la mixité sociale tant quantitatifs – en termes de performances scolaires (Broccolichi, 2009 ; Duru-Bellat et Mingat, 1997 ; Grisay, 1997) – que qualitatifs – concernant les aspirations professionnelles, la confiance en soi, l’attitude face à l’école (Beaud, 2002 ; Duru-Bellat et al., 2004 ; Duru-Bellat, 2003) – ont notamment été plusieurs fois analysés par des études sociologiques. S’inscrivant dans une démarche plus qualitative, notre texte propose de contribuer à cette réflexion en s’intéressant aux points de vue des adolescents et en se demandant comment ces derniers perçoivent les différences entre les contextes de scolarisation et les effets sur leur scolarité.

2Notre argumentation s’appuie sur les matériaux recueillis dans le cadre d’une thèse de doctorat (Boulin, 2014) – suite à cent vingt-huit jours d’observation dans un internat d’excellence et dans quatre établissements scolaires partenaires, soixante-neuf entretiens réalisés avec les internes d’excellence1 et environ mille questionnaires portant sur la sociabilité distribués à tous les internes – ainsi que les résultats produits dans le cadre d’une enquête collective portant sur les internats d’excellence, sous la direction de Patrick Rayou et Dominique Glasman et en partenariat avec l’Institut français d’éducation (Rayou et Glasman, 2012). Reposant sur une logique caractéristique des dispositifs scolaires actuels, c’est-à-dire combinant des prescriptions nationales et une invention locale et rapide des acteurs (Barrère, 2013), les internats d’excellence se sont déclinés selon les situations locales. Ainsi, l’internat d’excellence étudié, créé en 2010 et renommé « Lully » pour notre recherche, accueille environ cent cinquante élèves, âgés de douze à dix-huit ans, et issus pour les trois quarts des catégories populaires2. Les internes recrutés dans cette structure ont un niveau scolaire moyen : 55 % ont une moyenne générale comprise entre 10 et 13/20 au trimestre précédant l’entrée à l’internat. Cet internat d’excellence a la spécificité de s’organiser en réseau : les internes sont scolarisés de la cinquième à la terminale hors de l’internat dans six établissements de « centre-ville » (un collège et cinq lycées) accueillant majoritairement (environ 75 %) des élèves de milieux favorisés.

3Étudier les représentations des élèves sur la scolarisation en internat d’excellence nécessite tout d’abord d’analyser le contexte d’origine des internes et les raisons qu’ils évoquent pour expliquer leur changement d’établissement. Dans un second temps, les représentations des internes concernant leur nouveau contexte de scolarisation seront au cœur de notre analyse. Enfin, nous nous interrogerons sur les effets de ce changement de contexte sur la scolarité des internes.

La recherche d’un contexte jugé plus favorable à la réussite

4Dans un premier temps, nous avons cherché à comprendre les motivations de l’inscription en internat d’excellence, qu’elles soient liées aux lieux de vie et de scolarisation quittés ou aux représentations du nouveau contexte envisagé. Rappelons que les élèves issus des quartiers de la politique de la ville et des établissements scolaires appartenant à l’éducation prioritaire, et plus largement les adolescents issus des catégories populaires, sont visés de manière privilégiée par le dispositif. Mais des élèves appartenant aux catégories moyennes voire favorisées ont également été recrutés – à hauteur de 25 % dans la structure étudiée. Les raisons d’inscription divergent alors selon le milieu social d’origine des adolescents.

Quitter un contexte jugé pénalisant…

5Dès le lancement du projet, nous pouvons lire dans les textes officiels que les internats d’excellence sont destinés à « certains élèves appliqués, souffrant dans leur environnement de situations difficiles compromettant leurs chances de réussite » (extrait de la Note interministérielle du 23 mai 2008). Le choix du terme « environnement » volontairement large – parfois remplacé par celui de « contexte » tout aussi flou – permet de désigner aussi bien la famille que le quartier de résidence et l’établissement scolaire. Qu’entendent alors les adolescents derrière le terme d’« environnement » ? Comment justifient-ils leur inscription en internat d’excellence ?

6L’inscription en internat d’excellence doit être, théoriquement, désirée par l’adolescent qui exprime son souhait dans une lettre de motivation. Dans les faits, quasiment les trois quarts (27 sur 38) des internes interviewés avaient rapidement consenti à s’inscrire dans la structure. Pour le quart restant (11 sur 38 enquêtés) qui a dans un premier temps exprimé son refus, l’acceptation a été plus tardive : certains adolescents ont changé d’avis au moment de constituer leur dossier ; d’autres ont cédé à la pression parentale lors de la visite de la structure ou au moment de la rentrée. Mais, durant le premier entretien réalisé en fin de première année, tous les élèves interviewés exposent des arguments justifiant leur inscription en internat d’excellence. En effet, même s’ils ne sont pas tous ravis de leur année, tous défendent l’idée que leur mise en internat d’excellence avait une raison d’être.

7Lorsque les internes justifient leur inscription en internat d’excellence, un tiers des enquêtés (12 sur 38) évoque des raisons familiales. Pour les trois quarts d’entre eux (8 sur 12), tous issus des catégories populaires, il s’agit d’échapper – au moins pendant la semaine – à des conditions de vie difficiles et/ou des investissements familiaux importants qui ne permettent pas de se consacrer à leur « métier d’élève » (Perrenoud, 1994 ; Sirota, 1993) :

Enquêteur : « Et t’avais ta chambre toute seule ?
Ava (3^e) : Nan. Parce que comme on n’avait pas les papiers, bah on habitait chez des gens. »

« Quand je rentrais, déjà il fallait que j’aille chercher les petits à la primaire, que je les ramène à la maison tout ça. Déjà, du coup, ça faisait pas mal de emps perdu, du temps personnel à moi ou même pour les études […] J’ai préféré aider ma mère avec tout ça, comme ça, ça faisait moins de charges pour ma mère. Et je continuais à faire d’autres charges pour ma mère en dehors. Et après, très tard le soir, je me mettais à faire des, mes devoirs pour moi »
Ray, 1^re STG.

8Faisant écho à certaines études sociologiques3, ces adolescents exposent l’argument des conditions matérielles entravant la réalisation de leurs devoirs. Mais le contexte familial n’est pas uniquement pointé par des adolescents issus de milieux défavorisés. En effet, le quart restant (4 sur 12 internes), majoritairement issu des catégories moyennes, expose des relations conflictuelles avec l’un au moins des deux parents, comme c’est le cas de Paul, élève de 3^e :

« En fait, mes parents, ils… je m’entendais pas du tout avec eux. Mon père il était assez violent avec toute ma famille, et puis, et puis voilà. Donc euh, on a décidé de s’éloigner quoi. »

9Après le contexte familial, les pairs du contexte d’origine sont évoqués comme seconde raison d’inscription en internat d’excellence, par plus d’un tiers des enquêtés (13 sur 38). Derrière la catégorie large du groupe de pairs, on retrouve les camarades de l’établissement scolaire d’origine qui instaurent un chahut, mais aussi les copains du quartier, source de tentation, qui éloignent de la tâche scolaire, comme nous le raconte Sophia, élève de 5^e :

« J’étais tout le temps avec mes amis, et je pouvais sortir facilement, et euh après mes devoirs je les mettais en deuxième et je préférais sortir, rester dehors qu’aller faire mes devoirs. C’est pour ça que j’ai voulu un autre environnement, où je pouvais être concentrée et travailler comme je le voudrais en fait. »

10La volonté de prendre de la distance avec les pairs, désignés parfois de « mauvaises fréquentations » par les internes, émane principalement d’adolescents issus de milieux populaires résidant dans des quartiers défavorisés – public ciblé par le dispositif.

« La 4^e ça a tout changé parce que j’ai eu de mauvaises fréquentations. Donc j’ai commencé à faire n’importe quoi. Et… Je commençais à me, je me battais en bande et tout. Ça a commencé à devenir dangereux. On m’a dit que si j’étais restée là-bas j’allais devenir une délinquante »
Océane, 3^e.

11Contrairement aux études qui relativisent le rôle du groupe de pairs dans la construction de la déviance scolaire – celui-ci n’arrivant qu’en second lieu, une fois les difficultés scolaires enracinées – (Lepoutre, 1997 ; Moignard, 2008 ; Thin et Millet, 2007 ; van Zanten, 2001)4, les enquêtés désignent, quant à eux, le groupe de pairs comme l’une des principales causes de leur déviance.

12Ainsi, les internes déclarent que leur réussite scolaire est freinée par une combinaison de facteurs émanant de leurs sphères familiale, scolaire et résidentielle. En effet, les inégalités éducatives peuvent être pensées comme co-construites par un ensemble d’acteurs, au premier rang desquels on trouve, dans les discours de ces élèves, les familles et les pairs5. Les adolescents ont donc bien conscience de cette co-construction et, comme acteurs de leur trajectoire scolaire, ils mettent en place des stratégies en acceptant de prendre de la distance avec leurs copains et leur famille, durant la semaine, dans le but de réussir scolairement. Mais qu’attendent-ils de l’internat d’excellence ?

… pour un meilleur cadre de travail

13Comme pour les internats scolaires ordinaires, les adolescents recherchent principalement avec les internats d’excellence un cadre-travail, défini par Dominique Glasman comme : « Un cadre permettant de travailler dans de bonnes conditions, parce que du temps sera disponible et sera consacré officiellement aux études, parce que le jeune pourra y bénéficier de l’aide d’un surveillant, parce que les tentations d’esquive si présentes à la maison sont plus rares à l’internat » (Glasman, 2012, p. 129). En effet, si on exclut les onze internes qui n’ont pas souhaité intégrer l’internat et ont subi la décision parentale, on constate cette attente de cadre-travail chez plus des trois quarts des internes restants.

« Et en fait j’étais venu aussi à l’internat pour voir comment le cadre de travail, si c’était plus encadré que chez moi »
Marc-Mathieu, 3^e.

« Je me suis dit qu’il fallait peut-être que j’aille dans un cadre plus strict, pour avoir, acquérir des méthodes de travail que j’avais pas forcément »
Fanny, 1^re ES.

14En s’inscrivant à l’internat d’excellence, la majorité des internes, quel que soit leur milieu social d’origine, attendent donc des conditions favorables à la réalisation de leur métier d’élève qu’ils ne trouvaient pas forcément dans leur établissement scolaire d’origine ou à leur domicile. Quel est alors leur point de vue sur ce contexte après y avoir passé un ou deux ans ?

Le jugement favorable du contexte par les internes davantage lié au schoolmix des établissements d’affectation qu’aux dispositifs spécifiques de l’internat d’excellence

15L’internat d’excellence Lully a pour spécificité de scolariser les internes en dehors de la structure, dans des établissements dits « de centre-ville ». Et c’est justement dans ce contexte que les adolescents vont trouver le cadre-travail qu’ils recherchaient lors de leur inscription, car le cadre de l’internat d’excellence ne les satisfait pas toujours, pour plusieurs raisons.

Un cadre-travail difficilement trouvé à l’internat d’excellence

16Dans le but de promouvoir l’égalité des chances, le dispositif des internats d’excellence place l’accompagnement scolaire au cœur de son programme. Avec l’internat d’excellence, c’est une volonté de l’école de ré-internaliser la part du travail scolaire, réalisée habituellement à la maison, qui se concrétise. Les structures mettent en place un cadre-travail avec plusieurs dispositifs pédagogiques. En effet, différents temps sont prévus par les internats d’excellence pour accompagner les internes dans leur travail scolaire. À Lully, l’accompagnement scolaire se base principalement sur deux dispositifs : l’étude encadrée par des assistants d’éducation ayant lieu une à deux heures par soir et les cours complémentaires assurés par des enseignants (de français, de mathématiques, d’anglais et de sciences) pendant une à deux heures par semaine.

17Même si les internes attendaient de la structure un cadre-travail, ces derniers sont peu satisfaits de l’accompagnement scolaire proposé. Par exemple, l’étude est loin de convenir à tous les internes. Ce n’est pas le fait d’avoir étude obligatoire qui est rejeté par les internes mais son organisation. En effet, près des deux tiers des internes interrogés (24 sur 39) se plaignent de la manière dont elle se déroule : l’absence de calme, le manque de disponibilité et de compétences des assistants d’éducation sont ainsi dénoncés. Nos observations vont dans le sens de certaines de ces critiques adolescentes, comme celles portant sur le manque de calme :

« Le lundi 26 septembre 2011, en salle d’étude des internes de 4^e : L’étude est censée commencer à 18 h ; mais la salle n’est ouverte qu’à 18 h 08. Certains élèves finissent leur goûter avant d’entrer dans la salle. Les premières minutes sont marquées par d’incessants allers-retours d’élèves, ayant oublié – volontairement ? – des affaires dans leur casier. Vers 18 h 20, la plupart (pas tous) des vingt-quatre élèves de 4^e s’est mise au travail. Il y a un peu moins de bruit. Il n’y a jamais le silence total, étant donné que les élèves discutent en travaillant ou interpellent les assistants d’éducation pour de l’aide ou pour une demande de sortie. Vers 18 h 30, des élèves déclarent avoir fini leurs devoirs, comme Aurélie qui s’est avancée durant le week-end. Elle demande à aller en salle informatique car elle doit regarder une vidéo pour le cours de technologie. La surveillante refuse. Aurélie se retourne et discute avec sa copine. À partir de 18 h 30, le bruit sera constant dans la salle d’étude jusqu’à la fin vers 19 h 20. Les deux assistants d’éducation sont très sollicités par les élèves, en demande d’aide. De ce fait, ils n’arrivent ni totalement à faire de la discipline ni à s’investir dans l’accompagnement scolaire. Et les difficultés s’accroissent lorsqu’un des deux surveillants accompagne quelques élèves en salle informatique : le surveillant restant doit gérer seul la quinzaine d’élèves, qui s’agite de plus en plus. Le bruit ne va alors qu’en augmentant. »

18En comparaison à l’étude, les cours complémentaires sont dénoncés de façon moins virulente : l’avis des internes est plus mitigé et dépend des cours, du professeur et des attentes variées des internes. Ainsi, la seconde année, dans une proportion proche, les internes font un retour positif des cours complémentaires, un retour négatif ou un retour mitigé (l’avis de l’interne dépendant des cours). Les internes apprécient d’être aidés par les enseignants, jugés plus compétents que les assistants d’éducation. Mais le nombre trop important d’élèves dans certains cours rend difficile la mise en place d’une aide personnalisée. De plus, le mélange d’élèves de filières différentes (pour les lycéens) ou de niveaux différents pour les collégiens (5^e avec 4^e par exemple) est dénoncé.

« Alors ça [les cours complémentaires] par contre… À mon avis, ça sert vraiment à rien ! […] Et en plus, y a 5^e, 4^e, 3^e mélangés, donc c’est du grand n’importe quoi. C’est des profs qu’on connaît pas, qu’ils connaissent pas notre programme et, c’est vraiment, les cours pour moi c’est n’importe quoi et ça sert à rien. […] Déjà y a le prof qui demandait à chacun, ce qu’il avait à faire et tout. Euh y avait plusieurs classes, après il écrivait un exercice pour chaque classe et tout. En général, c’étaient les bases, des trucs qu’on savait déjà faire depuis des années. Et voilà. Après il avait pas le temps de corriger tout le monde parce que y avait plein de gens, y avait genre 20 personnes avec 10 classes différentes en tout »
Mathilde, 4^e.

19La recherche d’un cadre-travail qui n’est qu’en partie satisfaite dans l’enceinte de l’internat d’excellence se poursuit alors dans les établissements scolaires d’affectation.

Un accès à des établissements de « centre-ville » perçu comme bénéfique

20Les élèves ont conscience des phénomènes de hiérarchisation entre les établissements scolaires : les discours des adolescents mettent en lumière des disparités entre leur ancien et leur nouvel établissement. La scolarisation dans des établissements de « centre-ville » est bénéfique, selon eux, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, plus de la moitié des internes (22 sur 39 enquêtés) expliquent qu’avec l’internat d’excellence, ils ont intégré de meilleurs établissements scolaires, avec un niveau plus élevé que leur établissement d’origine. Ce « meilleur » niveau se cristallise dans les taux de réussite aux examens des établissements scolaires concernés, bien connus par les internes6. Ce changement d’établissement leur permet également d’avoir un « meilleur dossier » : les internes défendent alors l’idée qu’il est préférable de fréquenter des établissements scolaires de « centre-ville » que d’autres issus de l’éducation prioritaire. Mahjid, élève de 4^e, donne déjà l’argument du dossier scolaire qui entre en jeu pour l’accès aux écoles d’enseignement supérieur :

Mahjid (4^e) : « Enfin moi j’étais en ZEP, ici c’est pas ZEP. Après voilà, dans le dossier et tout, c’est pas la même chose.
Enquêteur : Tu penses que c’est mieux d’être dans un collège pas ZEP ?
Mahjid : Ouais !
Enquêteur : Pour le dossier ?
Mahjid : Bah par rapport à ce qu’on m’a dit ouais. »

21Ce niveau élevé est à corréler avec les cours délivrés par des enseignants décrits comme exigeants, par plus d’un tiers des internes (14 sur 39 interviewés). Les professeurs notent plus sévèrement et demandent plus de travail aux élèves.

Enquêteur : « Si tu devais comparer ton collège de l’année dernière et de cette année ?
Mory (3^e) : Ici c’est plus sérieux.
Enquêteur : Qu’est-ce qui est plus sérieux ?
Mory : Les règles, c’est plus strict. Les profs sont plus sérieux. C’est pas que l’année dernière c’était pas sérieux. Mais en fait ici ils visent plus haut.
Enquêteur : Ils visent plus haut c’est-à-dire ?
Mory : Parce que si t’as 12 à Grechko [collège d’origine] ils te disent c’est bien, et quand t’as 12 ici ils te disent tu peux faire mieux.
Enquêteur : Et tu trouves ça bien ?
Mory : Oui.
Enquêteur : Donc tu préfères être ici qu’à Grechko ?
Mory : Largement. J’ai plus l’impression d’évoluer. »

22Comme Mory, certains internes se réjouissent du haut niveau d’exigences des enseignants qui encouragent les élèves à s’investir pour réussir. De plus, neuf adolescents mettent en avant que leurs professeurs sont « bons » : ils sont expérimentés, font des cours de bonne qualité et finissent le programme.

23Enfin, pour les internes, les différences entre leur nouvel et leur ancien établissements ne concernent pas uniquement les comportements – et exigences – des enseignants, mais aussi ceux des élèves. 56 % (22 sur 39) des enquêtés mentionnent l’idée que les externes sont des élèves qui ont un comportement conforme aux attentes des professeurs et des autres personnels de l’établissement. En comparaison aux camarades des établissements d’origine, les externes sont décrits comme « plus calmes », « moins bruyants », « moins violents » et « plus travailleurs ». Dans ces classes où il y a une meilleure « ambiance de travail », l’interne peut alors davantage se concentrer sur son métier d’élève et reçoit une bonne influence de la part de ses camarades, comme le décrit Laurent :

Laurent (4^e) : « Cette année je sais pas, c’est peut-être les autres qui m’influencent.
Enquêteur : Les autres de ta classe ?
Laurent : Oui.
Enquêteur : Ils t’influencent à quoi ?
Laurent : À faire le bien (rire). Ils m’influencent pas très très parce que, enfin pas trop, parce que la preuve je fais pas mes devoirs. Et je pense aussi que c’est un peu grâce à eux que j’ai pas de croix. Enfin que j’ai moins de croix. J’espère l’année prochaine que je serais dans une classe encore plus sage que celle-là. »

24Dans ce cadre, les internes profitent de leurs nouveaux camarades pour tisser des relations scolaires. Stéphane Beaud montre que malgré la situation inconfortable des élèves de milieux populaires scolarisés dans des établissements favorisés – forte compétition scolaire, intimidation symbolique – ces derniers apprennent rapidement les codes culturels nécessaires à leur scolarité et gagnent en confiance en eux (Beaud, 2002). Les relations entre élèves de niveaux social et scolaire différents sont également bénéfiques en matière de motivation pour apprendre et, plus largement, dans l’attitude face à l’école (Duru-Bellat, 2003). En effet, dans les classes des établissements d’affectation, les nombreux échanges entre internes et externes portent sur le domaine scolaire : sur 82 interactions verbales observées dont nous avons entendu les propos échangés, 71 % concernent la sphère scolaire. Les internes et les externes discutent du cours, du professeur, mais surtout de notes en comparant leurs résultats. Ce climat de compétition dans les classes d’externes peut avoir un effet positif sur la motivation des internes :

« Quand on a un devoir à rendre, on est tous là en train de comparer nos notes en train de, y a, je sais pas comment dire, on essaie de tous faire le mieux, d’avoir la meilleure note. Et ça j’aime bien, des fois quand j’ai la meilleure note de la classe et bah je suis bien contente “ah j’ai eu la meilleure note”, ça j’aime bien »
Sophia, 4^e.

25Pourtant, nos observations montrent que l’entraide apparaît assez superficielle. Il s’agit davantage d’échanger du matériel et des informations (demande du numéro de l’exercice à réaliser, par exemple) que de travailler réellement ensemble. Effectivement, dans un questionnaire distribué dans 31 classes où se trouvent des internes, lorsque ces derniers répondent à la question « Un de tes professeurs demande d’effectuer à deux un travail écrit. Avec qui choisis-tu de le faire ? », seuls 37 % d’entre eux (50 sur 82 internes répondants) désignent un externe. Les internes préfèrent réaliser le travail avec un interne avec qui ils ont tissé un lien d’amitié plutôt qu’avec des externes (Boulin, 2014, 2015). En résumé, c’est moins l’aide que le climat général des établissements scolaires qui est importante.

26Les discours des adolescents mettent donc en évidence des différences d’expérience scolaire au sein d’établissements contrastés, différences qui sont principalement à voir du côté des pratiques enseignantes et de la composition sociale du public accueilli. Les internes sont ravis d’avoir accès à ce nouveau cadre qui, théoriquement, ne peut être que bénéfique à leur carrière scolaire. En effet, ces derniers attendent de ce changement de contexte des effets positifs sur leurs résultats scolaires et à plus long terme sur leur orientation. Ainsi, leurs représentations rejoignent en partie les résultats des recherches sociologiques qui révèlent que le schoolmix a des effets positifs sur les performances scolaires et sur les aspirations d’orientation des élèves issus de milieux populaires scolarisés dans des établissements secondaire de bon niveau (Broccolichi, 2009 ; Duru-Bellat et al., 2004 ; Duru-Bellat, 2003 ; Duru-Bellat et Mingat, 1997 ; Grisay, 1997). Le lien entre la réussite scolaire et le lieu de scolarisation s’est imposé comme un lieu commun chez les acteurs alors que la littérature montre que celui-ci n’est pas automatique et repose sur une combinaison complexe de facteurs (Ben Ayed, 2009). Ce changement de contexte a-t-il eu les effets attendus par les élèves ?

Les internats d’excellence : un dispositif réduisant les inégalités scolaires ?

27Pour finir, nous interrogerons les effets perçus et réels de ce changement de contexte de vie et de scolarisation. En d’autres termes, la question suivante guidera notre réflexion : les internats d’excellence permettent-ils de réduire les inégalités ? Nous mettrons au jour quelques constats, même s’il reste difficile de trancher sur la question des effets quantitatifs, comme le soulignent plusieurs chercheurs concernant les internats ordinaires (Glasman, 2012) ou encore l’accompagnement scolaire (Glasman, 2001 ; Piquée et Suchaut, 2002).

Des effets modérés en termes de résultats scolaires

28En fin d’année scolaire, les internes ont le sentiment que la scolarisation en internat d’excellence a des effets modérés sur leurs performances scolaires. L’analyse de leurs bulletins scolaires confirme leur point de vue : il serait en effet erroné d’affirmer que la scolarisation en internat d’excellence permet d’augmenter ses résultats scolaires. Même si les notes des élèves peuvent, de prime abord, sembler évoluer de façon assez disparate, il est possible de relever certaines constantes. Tout d’abord, la majorité des internes subissent une baisse de leurs résultats scolaires à l’arrivée dans leur nouvel établissement : en comparant la moyenne générale du trimestre précédent l’entrée à l’internat avec celle du 1^er trimestre à l’internat d’excellence, on constate que 52 % des internes ont vu leur moyenne générale baisser d’au moins deux points et 24 % ont vu leur moyenne baisser entre zéro et un point, alors que seuls 19 % ont augmenté leur moyenne générale (Rayou et Glasman, 2012). Plus que le passage dans une classe supérieure, les internes pointent le décalage des attentes par rapport à leur ancien établissement scolaire :

Camélia (4^e) : « Bah oui mes notes, elles ont baissé quand même. Ça reste correct donc je m’en plains pas trop.
Enquêteur : Tes notes elles ont baissé, tu penses que c’est dû à quoi ?
Camélia : La différence de niveau.
Enquêteur : Entre quoi et quoi ?
Camélia : Entre mon ancien collège et ici. »

29Puis, le semestre suivant, la majorité des internes voient leurs résultats stagner : entre le premier et le deuxième trimestre, 58 % des moyennes des internes ne subissent pas de variations importantes : elles oscillent entre zéro et un point. Par ailleurs, 24 % des internes augmentent leur moyenne générale d’au moins un point et 17 % baissent d’au moins deux points (Rayou et Glasman, 2012). Malgré ce constat qui ne montre pas une évolution positive des notes chez la majorité des internes, l’internat d’excellence remplit l’objectif de faire réussir les élèves aux épreuves nationales. En juin 2011, 30 sur 31 internes de 3^e obtiennent le brevet des collèges. En 2012, 14 terminales sur 15 obtiennent le baccalauréat (dont 4 avec une mention) et 20 internes de 3^e sur 21 obtiennent le brevet des collèges (dont 10 avec une mention).

30Les attentes initiales des internes – qui les avaient amenés à « contourner la carte scolaire » (van Zanten, 2001) – sont donc confrontées à la réalité : ces derniers prennent alors conscience des effets quantitatifs modérés et complexes du schoolmix. En effet, les recherches sociologiques pointent davantage des effets qualitatifs en termes de rapport à l’école (Beaud, 2002 ; Duru-Bellat et al., 2004 ; Duru-Bellat, 2003). Nous avons donc également étudié les effets qualitatifs de la scolarisation en internat d’excellence.

Des effets scolaires qualitatifs à interroger

31Notre travail de terrain permet de mettre au jour des effets qualitatifs de l’internat d’excellence avec, tout d’abord, des inflexions concernant la mise au travail des internes. En effet, les trois quarts des internes déclarent travailler davantage depuis qu’ils ont intégré l’internat d’excellence. Le cadre-travail proposé par la structure permet aux élèves de passer plus de temps sur leur travail scolaire qu’auparavant.

Enquêteur : « Est-ce que l’internat ça a eu des effets sur toi, sur ta scolarité ? Léonie (2^nde) : Sur ma scolarité, parce que j’ai appris à travailler, plus ! »

32Cette hausse d’investissement se prolonge le week-end. Lorsque les enquêtés ont des devoirs à faire en rentrant à leur domicile – et qu’ils ne se sont pas avancés durant la semaine – plus des trois quarts d’entre eux (16 sur 20 enquêtés) déclarent les réaliser et poursuivre ainsi les habitudes de travail prises la semaine.

33Mais travailler davantage ne signifie pas, pour tous, travailler de façon intensive. En effet, pour les élèves qui ne réalisaient pas leurs devoirs avant d’intégrer la structure, le fait d’être obligé d’aller en étude et de réaliser quelques devoirs de manière irrégulière est une évolution positive en termes d’investissement. En croisant nos observations de l’étude aux discours des élèves7, il est possible de répartir les internes de notre échantillon en trois catégories :

• Catégorie 1 : ceux qui ne travaillent pas ou quasiment pas.

• Catégorie 2 : ceux qui travaillent de manière irrégulière (leur investissement dépendant des jours, des disciplines, de l’enjeu des devoirs…)

• Catégorie 3 : ceux qui travaillent régulièrement et qui déclarent réaliser la totalité de leurs devoirs.

Tableau 1. – Évolution de l’investissement dans les devoirs entre l’année précédant l’entrée à l’internat et la première année dans la structure (valeur numérique).

34Ce tableau met en lumière plusieurs résultats importants. Tout d’abord, on remarque que les internes qui ne réalisent pas du tout leurs devoirs sont minoritaires à l’internat et que leur nombre est divisé par deux (passant de 12 à 6) suite à une année passée dans la structure. La mise en place d’un cadre-travail (avec notamment l’obligation d’assister à l’étude) est bénéfique aux internes qui étaient les plus éloignés de leur métier d’élève. De plus, ce tableau révèle une tendance à une reproduction des comportements – lisible par les chiffres de la diagonale mis en gras – pour les élèves de la catégorie 2 (investissement moyen et irrégulier) et encore plus pour ceux de la catégorie 3 (investissement régulier). En effet, les deux tiers des élèves (8 sur 13) qui réalisent leurs devoirs régulièrement sont ceux qui avaient l’habitude de le faire auparavant : avant même leur entrée dans l’internat d’excellence, ces derniers avaient intériorisé des dispositions au travail, comme c’est le cas de Naoline.

35Naoline est l’exemple de l’interne qui avait intériorisé des dispositions de travail, avant d’entrer à l’internat d’excellence, de par sa socialisation familiale. Cette adolescente raconte que ses parents très sévères l’ont « formatée » à travailler :

« Mes parents m’ont toujours appris à faire ça en fait ; parce que mes parents sont super sévères. Ils blaguent même pas avec le travail. C’est parce que t’as pas encore parlé à ma mère. Si tu lui parles, non mais ils blaguent même pas. (Prend un accent) “Naoline elle doit travailler, le matin elle arrive elle travaille, le soir elle arrive elle travaille !” […] Donc, c’est mon père qui m’a appris à faire mes programmes. Il m’a dit “alors je t’explique comment on fait un programme, on fait comme ça, comme ça, comme ça”. […] Donc ce qui fait, qu’ils m’ont, je sais pas, ils m’ont formatée, éduquée pour travailler, pour être autonome. »

36Mais, l’année précédant son entrée à l’internat d’excellence, Naoline se trouve dans une situation instable. Ses parents ont dû quitter la France, avec ses sœurs, pour la Côte d’Ivoire ; Naoline vit alors chez une tante. Cette élève ne dispose pas d’une chambre individuelle, ni d’un endroit calme pour travailler. Malgré ces contraintes, elle s’investit de manière intensive dans son métier d’élève, et plus spécifiquement dans ses devoirs. L’inscription en internat d’excellence est vue comme la possibilité de trouver un environnement plus favorable pour la réalisation de ses devoirs. En effet, avec l’internat d’excellence, Naoline, en 1^re S, peut entièrement se consacrer à son métier d’élève, et plus spécifiquement appliquer à la lettre le programme de travail qu’elle s’est fixé.

37L’exemple de Naoline montre que l’internat d’excellence peut constituer un contexte pour réactualiser des dispositions (Lahire, 2001) précédemment acquises grâce à une socialisation familiale particulière. Pour autant, à partir de ce même tableau, on ne peut pas parler d’une totale reproduction des comportements des internes car l’investissement dans les devoirs de plus d’un tiers des interviewés (15 sur 36) a changé. L’évolution est positive pour douze d’entre eux et négative pour trois d’entre eux. Le changement de catégorie se fait toujours entre catégories proches : aucun élève ne passe de la catégorie 1 à 3 (ou inversement). De fait, on peut conclure que la fréquentation de l’internat d’excellence n’a pas d’effets considérables en termes d’investissement dans les devoirs, même si pour certains élèves, on peut parler de conséquences non négligeables et principalement positives.

38Des effets positifs en termes de comportement face au règlement sont également rapportés par plus d’un tiers de nos interviewés (14 sur 38). Par exemple, les six élèves qui avaient des problèmes d’absentéisme avant d’entrer à l’internat d’excellence racontent être désormais plus assidus ou encore un quart des enquêtés (10 sur 38) disent être « plus sages » en classe : ils bavardent moins et respectent plus les enseignants. Il est difficile de mesurer objectivement l’amélioration du comportement de ces internes, mais elle est en tout cas ressentie par les enquêtés. Il est également possible que cette amélioration ne soit pas globale mais porte sur des objets spécifiques, comme c’est le cas avec Océane (élève de 2^nde) qui dort en cours, arrive souvent en retard mais ne se bagarre plus avec ses pairs depuis son entrée à l’internat d’excellence.

39Ces résultats, qui pointent des effets scolaires mitigés – mais ressentis plutôt positivement par les internes – de la fréquentation d’un internat d’excellence, sont circonscrits au contexte spatio-temporel étudié : une structure pendant deux années. Il est fort probable que les conséquences du vécu en internat d’excellence et de la scolarisation dans des établissements de « centre-ville » soient à analyser sur du plus long terme. Néanmoins, les dispositifs sont rarement pérennes et ne permettent pas cette analyse. C’est notamment le cas pour les internats d’excellence, supprimés officiellement en 20128, après trois années de fonctionnement.

Conclusion

40Les adolescents inscrits en internat d’excellence sont prêts à des sacrifices personnels et acceptent notamment de prendre de la distance avec leurs proches, dans le but de trouver un contexte favorable à leur scolarité, un cadre-travail qui leur permettra de réussir scolairement. Mais, plus que les dispositifs pédagogiques mis en place dans l’enceinte de l’internat d’excellence, ce sont les établissements d’affectation qui répondent le mieux à leurs attentes. Pourtant, l’arrivée dans ces établissements de « centre-ville » s’est accompagnée d’une baisse de leurs résultats scolaires. Notre étude pointe ainsi un paradoxe : les internats d’excellence ou plus largement le changement de contexte de scolarisation visent une meilleure réussite qui est difficilement mesurable au vue des différentes de notation entre établissements. Les effets sont alors davantage à appréhender dans l’expérience des acteurs : les internes semblent satisfaits de ce changement de contexte et indiquent ainsi avoir de « meilleurs cours » avec de « bons » professeurs et des camarades « sérieux ». Ils sont convaincus des effets positifs à court terme (sur leur motivation et leur mise au travail) et à plus long terme (sur leur dossier et leur orientation).

41Les « effets établissements » – et notamment les conséquences de la composition sociale du public d’une école sur la scolarité des élèves – mis en avant par les sociologues depuis les années 1980, n’échappent donc pas à cette population adolescente. En effet, au-delà d’une analyse des effets de contexte (surtout qualitatifs), notre travail sociologique montre que les adolescents ne sont pas dupes et sont en mesure de pointer différents facteurs expliquant la construction des inégalités éducatives : les ressources financières et la disponibilité des parents, l’influence des pairs, le niveau d’exigences des enseignants… Et, face à cette situation complexe, ces derniers, en tant qu’acteurs à part entière de leur trajectoire scolaire, se saisissent des dispositifs qu’on leur propose (ici les internats d’excellence). Ainsi, la sociologie qui s’est principalement centrée jusqu’ici sur les stratégies parentales, gagnerait à s’intéresser davantage aux perceptions et stratégies adolescentes.