1La mise en œuvre de politiques publiques s’ancre de plus en plus au sein de dynamiques territoriales et de projets de développement locaux (Ion, 1991). C’est notamment le cas de nombreux dispositifs de participation des usagers dans le travail social, mais aussi dans le système éducatif (Glasman, 2007). La politique d’éducation prioritaire participe par exemple de ce mouvement de territorialisation de l’action publique, en intervenant sur des aires géographiques au sein desquelles le cumul de handicaps socio-économiques des habitants est pensé comme entravant la réussite scolaire. Ainsi, la quasi-totalité des écoliers et des collégiens issus des zones sensibles urbaines profitent aujourd’hui d’un encadrement pédagogique et éducatif renforcé (Avenel, 2005). Ce développement social des quartiers, amorcé dans les années 1990, repose plus généralement sur un ensemble de « nouveaux dispositifs », à travers lesquels l’État expérimente des procédures originales d’intervention sur le social (Ion, 1991). Ces dispositifs (Programme personnalisé de réussite éducative [PPRE], Conseils de prévention de la délinquance…) agissent dans le champ de la prévention, auprès de populations particulièrement exposées à la vulnérabilité (Castel, 1994). Plaçant au centre un principe de participation des usagers, ces dispositifs engagent une recomposition des modes de gouvernance des politiques socio-éducatives (Bresson et Messu, 2014). En ce sens, l’ancrage territorial ou l’échelon local, est pensé comme nécessaire à l’empowerment des « ayants droit », « bénéficiaires », ou « habitants », bien que celui-ci s’accompagne fréquemment d’une pré-définition par l’institution des objectifs qu’est censé réaliser le dispositif : « Le “travail avec” les publics des institutions, au demeurant bien réel (existence de réunions, de débats, de discussions) s’articule avec une logique pédagogique, incarnation du “travail sur” (en ce qu’elle met face à face “celui qui sait” et “celui qui ne sait pas et qui apprend”), visant à faire adhérer les populations convoquées aux perspectives de l’institution » (Laforgue, 2009).

2Souhaitant répondre aux transformations des structures et des mœurs familiales, la politique de la « parentalité » et son avatar de l’empowerment des parents n’échappent pas à ce constat. Ce recentrage des dispositifs éducatifs sur la relation de « parentalité », relation durable de l’économie des relations familiales (Séraphin, 2013), correspond à une volonté de pallier les risques familiaux, mais se double d’une logique de régulation de l’ordre social par la « parentalité » (Neyrand, 2011 ; Martin, 2014 ; Pothet, 2014). L’injonction à la « mobilisation des parents », catégorie émique à un ensemble de dispositifs socio-éducatifs, vient d’une part traduire une inquiétude sur la capacité des parents à tenir leur rôle éducatif (Martin, 2003), et contribue d’autre part à problématiser la question sociale au travers de l’éducation donnée par les parents aux enfants. Cette logique « parentaliste » (Neyrand, 2015) justifie dès lors la multiplication de programmes de « soutien à la parentalité », lesquels tentent de réguler une variété de risques sociaux. Au premier rang de ces risques figurent ceux liés au maintien de l’ordre scolaire, ou de l’ordre public, que recouvre la problématique de l’absentéisme scolaire.

3Cette contribution se propose de réfléchir à la régulation de l’absentéisme scolaire par un dispositif territorialisé à destination des parents, comme il s’en met en place dans de nombreuses villes.

4Nous présenterons dans une première partie ce dispositif et le cadre réglementaire dans lequel il s’inscrit ; nous interrogerons leurs représentations du public visé et les relations avec l’institution scolaire et les institutions en général qui les sous-tendent. Dans la seconde partie, nous examinerons les effets de ce dispositif de « responsabilisation parentale » sur les parents qu’il vise, notamment concernant leur rapport à l’institution scolaire. Les stages proposés rapprochent-ils les parents de l’école ? Atteignent-ils l’empowerment parental souhaité ?

Un dispositif d’ordre scolaire et social

Une action à destination des parents des quartiers de délinquance de rue1

5« En même temps que s’est instituée la norme de l’assiduité scolaire, s’est créée la déviance que constitue l’absentéisme » (Douat, 2007)2. Si l’absentéisme a longtemps manqué d’une définition précise, ce phénomène est aujourd’hui défini par l’institution scolaire comme un « comportement marqué par la répétition d’absences volontaires3 ». Il faut ainsi noter que la notion de volonté distingue les situations d’absence scolaire, du phénomène d’absentéisme scolaire (Abernot et Loosfelt, 2013). Les mesures statistiques de l’absentéisme utilisent le seuil de signalement de l’élève à l’inspection académique pour défaut d’assiduité, fixé par l’article L. 131-8 du code de l’éducation. Pour trancher la question sur ce qui fait la différence entre une conduite relevant de l’absentéisme et des absences occasionnelles, le code de l’éducation prévoit que tout élève absent de classe quatre demi-journées ou plus dans un même mois, sans justification, sera considéré comme absentéiste. L’absentéisme sera qualifié de lourd au-delà de dix demi-journées d’absences injustifiées par mois (Toulemonde, 1998). Parce qu’il en va de sa responsabilité juridique, l’institution scolaire s’est progressivement dotée, d’une part, d’instruments comptables de plus en plus précis pour contrôler l’absentéisme, d’autre part, d’un cadre légal strict permettant de déterminer dans quelle situation sa responsabilité légale et pénale est engagée. Elle devient par ailleurs le chef d’orchestre de différents dispositifs et mesures visant à lutter contre l’absentéisme.

6Néanmoins, des recherches récentes (Abernot et Loosfelt, 2013) relèvent que ces cadres légaux sont interprétés et appliqués différemment selon les établissements et selon les communes, engendrant des politiques éducatives inégalitaires, lesquelles répondent à des enjeux idéologiques, si l’on considère que l’absentéisme scolaire s’est progressivement vu construire comme un problème social à la croisée de problématiques éducatives, sociales et sécuritaires (Blaya, 2003 ; Douat, 2007). En premier lieu, le décompte des demi-journées d’absence ne s’effectue pas de la même façon selon les établissements. Par exemple, dans certains établissements, une demi-heure de retard au premier cours du matin ou de l’après-midi suffit pour que l’élève soit considéré comme absent une demi-journée. À cet égard, il faut souligner la marge importante d’appréciation dont disposent les surveillants et les CPE qui vont juger de la validité des motifs des absences et des suites à donner (Toulemonde, 1998 ; Douat, 2005). Ensuite, des travaux montrent que la gestion administrative de l’absentéisme obéit à des catégories d’interprétation et d’analyse, qui renvoient elles-mêmes à une typologie des jeunes absentéistes (Abernot et Loosfelt, 2013). Ainsi à l’arbitraire de la comptabilité s’ajoute celui de l’étiquetage (Becker, 1963) dont les jeunes absentéistes font l’objet de la part des personnels scolaires.

7Concernant le dispositif étudié, l’un de ses pilotes en charge de représenter la cellule justice-ville de Marseille, avec lequel nous nous sommes entretenus dans le cadre d’entretiens répétés, explique la logique de ciblage des populations :

« Parce que l’on n’a pas la capacité à répondre à l’ensemble des cas d’absentéisme chronique ils sont bien plus nombreux que ce que l’on peut essayer de traiter, dont on a pu discriminer un certain nombre de ces parents, au regard de deux critères principaux : le premier concerne les établissements qui rentrent dans le cadre géographique, territorial des GLTD mis en place à Marseille, c’est-à-dire des groupes locaux de traitement de la délinquance, de façon à avoir une action complémentaire à d’autres actions déjà mises en place… »

8Dès lors, les logiques de ciblage sur lesquelles repose ce dispositif de « responsabilisation parentale » enjoignent à questionner les soubassements de la définition d’exigences scolaires particulières pour les habitants des territoires concernés par le Groupement local de traitement de la délinquance marseillais. En d’autres termes, la convocation de parents en raison de l’absentéisme de leurs enfants au sein d’un tribunal de grande instance produit de nouvelles inégalités, dans la mesure où elle incarne l’idée qu’il est moins toléré, car pénalement réprimable d’avoir un enfant absentéiste lorsque l’on habite dans les secteurs les plus concernés par la délinquance de rue. À comportement absentéiste égal, un jeune et ses parents habitant les quartiers cossus du 8^e arrondissement de Marseille ne supporteront pas de réponses judiciaires, telles qu’elles s’adressent pourtant aux familles issues des quartiers concernés par le dispositif. De ce fait, le dispositif produit, et légitime, une politique locale discriminatoire face à l’école et ses exigences.

Une réponse locale judiciaire

9Le cadre légal du dispositif étudié se réfère principalement à l’article 227-17 du code pénal lequel prévoit que : « Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende. » L’infraction prévue par le présent article est assimilée à un abandon de famille pour l’application du 3^e alinéa de l’article 373 du code civil. La loi n^o 2010-769 du 9 juillet 2010 inscrit la « peine » de stage de responsabilité parentale dans la liste des mesures alternatives aux poursuites, dont le contenu fixé par le décret n^o 2007-1388 du 26 septembre 2007 et son article R131-3561, prévoit de « rappeler au condamné les obligations juridiques, économiques, sociales et morales qu’implique l’éducation d’un enfant ».

10Dans la ville étudiée, le rappel de ces obligations aux parents se construit par la mutualisation des approches et des discours d’un ensemble de professionnels représentant diverses institutions en charge du dispositif : le parquet du Procureur de la République (section de la famille et de la jeunesse), la Protection judiciaire de la jeunesse, l’Éducation nationale, le Service éducatif auprès du tribunal, les services du Conseil général, la cellule justice-ville de Marseille et deux associations mandatées pour intervenir dans ce cadre. En amont, le dispositif mobilise les services de police des territoires concernés, point qui suscite de fortes oppositions entre les professionnels que nous avons rencontrés. L’impulsion de la mesure appartient aux établissements scolaires qui adressent aux services de l’inspection académique une liste d’enfants repérés pour être des « cas d’absentéistes lourds ». Suite à ce repérage, est dressée une liste de familles considérées comme « défaillantes » au titre de l’absentéisme de leur enfant. Ces parents, pour l’essentiel des mères, sont ainsi convoqués dans les enceintes du tribunal de grande instance de Marseille sur une demi-journée pour un stage de responsabilisation parentale, dispositif coercitif de soutien à la fonction parentale. Ainsi mobilisés, les parents doivent alors répondre de l’absentéisme chronique de leur enfant au moyen d’une publicisation de leur vie familiale pour justifier de leur trajectoire intime, suite à laquelle prennent forme conseils, recommandations, injonctions, voire sanctions. Les « stages parentaux » qu’institue le dispositif judiciarise l’absentéisme et son traitement.

Une approche sécuritaire persistante

11Pourtant, au lendemain des élections présidentielles de 2012, la gauche prend ses distances à l’égard de la législation précédente en matière d’absentéisme, notamment avec la loi du 28 septembre 2010, connue comme étant la « loi Éric Ciotti » alors député et président du Conseil général des Alpes-Maritimes. Ce dispositif prévoyait notamment que l’inspection académique puisse demander la suspension partielle des allocations à la Caisse nationale d’allocations familiales, après convocation des parents et avertissement – ce qui fut le cas, entre janvier 2011 et janvier 2013 (date de l’abrogation de la loi Ciotti) pour 950 familles environ4.

12On s’étonne dès lors que le dispositif des stages parentaux, s’étoffe, même sous une forme certes expérimentale, à la fin de l’année 2012, puisque ces logiques de responsabilisation des parents semblaient moins en vogue, en tous cas moins acceptables pour le nouveau pouvoir en place. Néanmoins, la lecture de la circulaire publiée au Bulletin officiel le 1^er janvier 2015, nous apprend qu’il revient « à l’institution scolaire de mettre en œuvre tous les moyens pédagogiques, éducatifs et de soutien des parents à sa disposition pour favoriser le retour de l’assiduité de l’élève ». C’est notamment la souplesse de ces injonctions qui va permettre au dispositif de sanctionner l’exercice de ce que les institutions appréhendent comme une « mauvaise parentalité ». En ce sens, cette souplesse législative et réglementaire admet par exemple en février 2015 que la lutte contre l’absentéisme scolaire puisse aboutir à la condamnation d’une mère de famille à quatre mois de prison avec sursis, au motif de l’absentéisme de son fils, soit de son manquement à ses « obligations parentales légales ». Dans La déscolarisation, Dominique Glasman, montre d’ailleurs comment les discours et orientations politiques sur l’absentéisme scolaire se rapprochent progressivement et de façon intensive à partir de 2002, du paradigme sécuritaire. La lutte contre l’absentéisme tend de ce fait à mobiliser des acteurs institutionnels autres que ceux traditionnellement en charge des questions scolaires (2011, p. 16) de sorte que cette question, initialement éducative, s’externalise vers d’autres sphères institutionnelles. À cela s’ajoute aussi que l’absence d’un enfant à l’école introduit une opacité sur l’organisation même de la vie familiale, interroge les stratégies éducatives des parents permet presque « facilement » ou encore « trop rapidement » d’associer aux déclarations sur l’insécurité celles portant sur les difficultés, voire la démission des parents.

13On relève ainsi que d’une question relevant du champ scolaire, l’absentéisme tend à faire l’objet d’une problématisation associée, voire intégrée, au traitement des questions sécuritaires, et cela bien au-delà du dispositif investi dans le cadre de l’enquête.

14La mise en œuvre de « stages parentaux », révèle d’une part que l’absentéisme scolaire interroge bien au-delà des murs de l’école, d’autre part que sa prise en charge, voire son traitement supposé, dépassent la question de la présence ou de l’absence d’un enfant à l’école. En sanctionnant l’absence d’une assiduité scolaire, les politiques publiques sanctionnent les comportements éducatifs, voire les styles éducatifs, d’une partie de la population et construisent l’absentéisme comme résultant de parentalités problématiques. Toutefois, si la question de l’absentéisme renvoie à une inquiétude s’agissant de la capacité des parents à assumer leur rôle, cette inquiétude ne semble concerner qu’une population déjà ciblée par un maillage de dispositifs territoriaux, à l’instar du Groupement local de traitement de la délinquance (GLTD)5 de Marseille. Adosser la politique locale de lutte contre l’absentéisme scolaire au dispositif du Groupement local de prévention de la délinquance peut faire douter sur les intentions d’éducation familiale d’un dispositif qui initialement entend rappeler l’importance de l’assiduité scolaire, et susciter l’adhésion des familles aux enjeux de la scolarisation et aux attentes de l’institution scolaire. Alors même que les apports de la recherche à propos de la cristallisation de différends entre l’école et les familles populaires (Périer, 2005) irriguent les champs de l’intervention éducative et sociale, nos interrogations portent sur les rapports à l’école que participe à construire cette judiciarisation de la parentalité. De façon à entrevoir ces aspects, la monographie du dispositif s’est prolongé par une phase d’enquête et d’entretien auprès des familles directement touchées et concernées par ces stages notamment pour comprendre quelles lectures ces parents déjà marqués par une inégalité d’accès au sens de l’école, développent de l’expérience scolaire de leurs enfants.

Ce que les stages parentaux font aux familles convoquées6

15Les parents que nous avons rencontrés lors de nos observations au tribunal ou à leurs domiciles, rendent compte d’un rapport certes ambivalent, mais communément critique à l’institution scolaire. Si l’école et la scolarisation des enfants sont encore perçues comme le lieu d’intérêt et d’investissement, lorsque la condition parentale le permet, le dispositif encourt le risque d’une rupture concernant la confiance et la légitimité éducative que les parents de quartiers populaires accordent à l’institution scolaire.

Une déstabilisation des parents

16Lors des stages, nous observons les familles s’interroger les unes les autres sur les raisons motivant leur présence dans ce lieu de justice. Leur simple présence au sein d’un tribunal comporte un caractère punitif qui s’ajoute au traumatisme de leur convocation par les services de police :

« La police a apporté les convocations à domicile. Pour des familles qui ne posent pas problème si je peux dire, au sens de la délinquance, voir les flics arriver chez eux, sonner, entrer, avec les voisins qui voient ça, c’est un peu ce qu’ils appellent la honte. Et les familles étaient très meurtries par cette présence et cette venue policières »
conseillère d’orientation psychologue d’un des collèges concernés.

17Seulement permise par la concentration de l’action répressive et judiciaire, sur les territoires du Groupement local de traitement de la délinquance, et aux marges du droit commun, l’intervention des services de police suscite un fort sentiment d’injustice du côté des parents rencontrés. Les enquêtés dénoncent comme inacceptable la corrélation absentéisme – délinquance, tant elle se fonde sur des représentations dépréciées de leur espace habité ou encore de leurs conditions de vie, loin de l’appréciation de l’éducation cadrante qu’ils estiment tenir auprès de leurs enfants. Ainsi le territoire est clairement perçu par ces parents comme un facteur opérant dans la qualification de leur défaillance éducative.

« Je suis sévère aussi. J’ai un métier depuis 13 ans. Je donne la même éducation que mon père. Je lui fais la morale. Je ne veux pas qu’il soit juge mais qu’il soit quelque chose […] Mon fils, il aurait tué, braqué, vendu de la drogue, ce serait grave, ça c’est important. Mon fils, je lui fais la morale. S’il est un jour dans la délinquance, je le tue. S’il sort, c’est avec nous, je fais des tours de vélo avec lui. Alors quand vous êtes tranquille, que vous ne lâchez pas votre fils, et qu’on vous dit ça sur vos enfants, on est mal […] On a montré les certificats médicaux et le juge a rien regardé ! On avait un certificat du docteur, et du docteur du petit ! J’aimerais une procédure ; y’a une injustice en France ! »
parent convoqué.

18Cette expérience avec en premier lieu la convocation par les services de police, et ensuite la confrontation à l’espace judiciaire, introduit les conditions d’une déstabilisation parentale, parce que cette réponse institutionnelle ne répond pas au principe de proportionnalité régissant le rapport entre peine et infraction, tel que le conçoivent les parents que nous rencontrons.

« C’est très bien de dire qu’on ne veut pas la délinquance mais d’envoyer carrément une convocation du collège aux flics. Il faut dire ce qui est pour nous, c’est la première fois. Ça fait 27 ans que j’élève des enfants et c’est la première fois que je suis envoyée devant les flics… C’est la première fois que je me trouve dans un truc comme le stage parental, c’est la première fois que je suis rentrée là-dedans j’étais affolée d’être là-dedans […] Cette convocation m’a mis les nerfs, ça m’a perturbée d’aller vers les services de police. C’est gênant quand on va dans un commissariat pour discuter des enfants et de l’école »
parent convoqué.

19S’ajoute à ces critiques, que la convocation des parents dans ce dispositif, qui s’opère selon un régime culpabilisant et punitif, conduit à opposer des systèmes de valeurs, plus qu’elle n’aboutit à leur interpénétration, ou même à leur meilleure compréhension. Au contraire, cette convocation dans un lieu de justice, appréhendée comme départie de l’expérience scolaire tant elle pénalise durement la parentalité des parents ciblés, dévalorise leur appartenance de classe enchevêtrée au territoire habité, leur identité socio-spatiale : « Moi mes enfants ils vivent dans la cité mais ils disent bonjour, bonsoir à tout le monde. Mes enfants ils ne sont pas nés dans la vulgarité. On vit ici mais on n’est pas des sauvages ! » (parent convoqué).

Une socialisation anti-scolaire

20Les parents que nous rencontrons, suite à leur convocation au tribunal de grande instance, dressent la critique d’une école délabrée ; l’institution ne parvenant plus, sur un plan symbolique, à jouer son rôle d’ascenseur social, et les établissements ne protégeant physiquement plus leurs enfants de ce qu’ils décrivent comme des comportements délinquants. En outre, les personnes enquêtées dénoncent le déclassement social que rencontrent les jeunes de leurs quartiers, parfois leurs propres enfants aînés. Elles évoquent que l’insertion professionnelle de leurs enfants ne se joue finalement plus dans l’obtention d’un diplôme. Nombreux sont les parents à dénoncer que leurs enfants n’ont pas les mêmes chances de réussite que les autres et qu’elles ne peuvent guère plus « raconter » que l’école leur permettra d’accéder à un avenir meilleur. À un autre niveau, celui des établissements, ces parents dépeignent une école qui ne serait plus « contenante » pour leurs enfants. Ils renvoient la responsabilité de l’absentéisme scolaire directement aux collèges et leurs personnels, lesquels ne parviennent pas à maintenir physiquement leurs enfants en leur sein, alors qu’une majorité d’entre eux prend le soin de les y déposer le matin. Ceux d’entre eux qui ont été scolarisés expliquent regretter que l’école ne représente plus une autorité pour leurs enfants. Soumis par le dispositif à une parole institutionnelle qui remet en question l’éducation qu’ils ont donnée à leurs enfants, certains parents se défendent en critiquant le laxisme des personnels scolaires : « À l’école, ils font pas de morale, ils critiquent les parents » (parent convoqué).

21On observe ainsi que la crainte de contagion de l’école par la rue (Moignard, 2008) s’inscrit dans un mouvement de réciprocité. D’un côté les parents redoutent une contagion due à la permissivité des établissements accueillant leurs enfants. Ces insatisfactions des familles concernant la violence et la discipline se retrouvent plus globalement au niveau national7, toutefois elles émergent lors des stages, et de manière plus virulente à leur issue, et participent de discours qui tendent à remettre en cause la légitimité éducative de l’institution. « Ça s’est très très bien passé jusqu’en 5^e. Et il a eu un accident en 4^e : il retirait ses chaussures et a reçu, quand il était dans le collège, un pétard de type mammouth. Il a eu peur, il s’est fait sectionner le tendon d’Achille en passant par la vitre. Du coup, il a fait un an d’hospitalisation, 4 mois de fauteuil roulant et rééducation sur rééducation et ça c’est au collège et pas en bas ! Et depuis il a plus rien fait. Il a été traumatisé par cet accident. Donc là il se retrouve avec rien, il a rien » (parent convoqué).

22De l’autre côté, l’institution scolaire se dote d’instruments du type de ceux des stages parentaux pour prendre part au processus de prévention de la délinquance, qu’elle associe aux carences éducatives de la population scolaire. À travers ce type d’instrument, l’institution entend réguler l’ordre scolaire, et participer à structurer les dispositions scolaires d’élèves dont le milieu social d’origine est perçu comme porteur de risques de relais et de contagion des difficultés du « quartier ».

23À travers des instruments et des pratiques qualifiant ces parents de « défaillants », le dispositif ne fait aucune tentative d’interprétation commune entre les professionnels et les familles qu’il mobilise. On observe au contraire que se construit une mise en accusation réciproque, plaçant l’institution scolaire dans une relation de rupture avec des familles de milieux populaires. En effet, si les phénomènes d’absentéisme, de décrochage et de délinquance sont souvent réduits à un problème de contagion de l’école par la rue, les parents des quartiers concernés par le Groupement local de traitement de la délinquance, dénoncent en regard la consécration de leur défaillance, le manque d’ordre et de sérieux des établissements fréquentés par leurs enfants. Si l’écart entre les normes sociales du quartier et celles portées par l’institution scolaire se creusent (Moignard, 2008), les attitudes que développent les acteurs institutionnels du dispositif alimentent la défiance des parents vis-à-vis du fonctionnement des établissements scolaires et de leur rôle éducatif. On peut d’ailleurs s’étonner du fait que l’institution scolaire participe d’une entreprise qui consiste uniquement à souligner et disqualifier l’altérité éducative de groupes sociaux éloignés de la culture scolaire, favorisant par là le rejet de ceux-ci. Le dispositif produit des logiques qui ne favorisent guère l’adhésion des parents aux attentes des établissements, eux-mêmes conscients du fait que l’entreprise de culpabilisation et de pénalisation n’empêche à aucun égard que se creusent les inégalités de scolarisation qui affectent leurs enfants.

Conclusion

24Par une approche ethnographique d’un dispositif de « responsabilisation des parents », cette contribution a montré que l’absentéisme scolaire, et son traitement politique, constituent un levier de contrôle des familles de milieux populaires de territoires déshérités, familles a priori suspectées de défaillance éducative. Alors que les politiques d’éducation prioritaires agissent au principe d’une action éducative ciblée, on relève que les « stages parentaux » concernent exclusivement l’absentéisme des adolescents habitant au sein de territoires urbains choisis par le critère non scolaire du taux de délinquance. À une logique visant « à donner plus à ceux qui en ont le plus besoin » et à un souci moral d’agir en faveur des populations les plus défavorisées (Glasman, 2000), s’arriment des dispositifs territorialisés et dirigés vers des populations vulnérables, lesquels reposent sur une explication exclusivement éducative et familiale des troubles de la scolarisation. D’ailleurs, la circulaire du 23 mars 2004, circulaire à partir de laquelle est impulsé le dispositif des stages parentaux définit effectivement l’absentéisme en ces termes : « L’absentéisme est un phénomène complexe qui prend ses racines dans un ensemble de difficultés d’ordre scolaire, mais aussi d’ordre social et familial […] Il s’agit avant tout d’informer, de soutenir, mais aussi de responsabiliser les parents. »

25Le territoire, tel que les politiques éducatives s’en saisissent, constitue une catégorie d’appréhension des populations en proie à la fabrique de discriminations, dès lors que l’on considère que l’absentéisme scolaire ne fait pas l’objet d’une même caractérisation judiciaire selon les territoires et les populations, soit selon les contextes sociaux, qu’il affecte. Ce dispositif est hybride dans la mesure où il coïncide avec les contours encore incertains d’un « soutien à la parentalité » souhaitant conjuguer une approche agie par un désir de maintien de l’égalité des chances promise par l’obligation et l’assiduité scolaire et une approche plus coercitive visant, elle, à réprimer « l’irresponsabilité parentale ». En imputant l’absentéisme scolaire aux carences de l’autorité parentale des plus démunis, les stages parentaux participent d’une dépolitisation de la question de l’absentéisme scolaire, en occultant ses mécanismes sociaux au profit de sa reconstruction à partir de coordonnées individuelles, embrassant un régime de responsabilisation des personnes.