1Les recherches sociologiques portant sur les inégalités scolaires analysent en général celles-ci sous l’angle des inégalités sociales de réussite scolaire, réussite mesurée par « les acquis scolaires, les orientations, l’accès aux différentes filières, l’obtention de diplômes, etc. » (Felouzis, 2014). Ce texte propose d’aborder la question sous un angle différent, en s’intéressant aux parcours scolaires de façon globale, c’est-à-dire en tenant compte du diplôme visé et obtenu, mais également des conditions de vie et plus particulièrement des caractéristiques du territoire de vie des jeunes. On y discutera également des moyens à mettre en œuvre pour les soutenir dans leurs efforts vers la diplomation. C’est l’objet de la notion de persévérance scolaire, née au Québec et objet de recherches et de politiques publiques depuis le milieu des années 1990. Si la particularité de notre approche est d’analyser les inégalités scolaires non pas en fonction de l’origine sociale des jeunes, mais en fonction de leur territoire de vie, l’intention est d’enrichir la réflexion sur la prégnance et la complexité des inégalités scolaires. En effet, celles-ci ne peuvent être analysées et discutées qu’à condition de les remettre dans le contexte social, économique et politique où elles sont observables1.

2La première partie de cette contribution explicite la nécessité de considérer les inégalités scolaires selon une double perspective, transversale et longitudinale, afin d’en objectiver les tendances et d’en saisir les contextes. La deuxième partie explique comment au Québec depuis plus d’une décennie, le concept de persévérance scolaire s’est substitué à celui de lutte contre le décrochage scolaire, avec un croisement des regards de la recherche et de la société civile à l’origine d’un véritable mouvement social. La troisième partie permet d’illustrer comment la situation a pu évoluer favorablement au Québec à l’échelle nationale depuis 2008. Si la diplomation s’est considérablement améliorée à l’ordre secondaire, les inégalités demeurent toutefois prégnantes à l’échelle des régions et des territoires locaux. Enfin, l’idée du monitorage2 territorial, centrale en matière de suivi et d’évaluation pour supporter les politiques publiques, est discutée dans la dernière partie.

La nécessité d’objectiver les inégalités scolaires transversalement et longitudinalement, en incluant la petite enfance

3L’élaboration et la mise en œuvre de politiques nationales pour lutter contre les inégalités scolaires supposent la mise en place d’outils adéquats de monitorage et de mesure en termes de validité et de fiabilité. Les États ont la responsabilité de produire de telles banques de données permettant des analyses à la fois transversales et longitudinales. Trop peu de chercheurs universitaires ont accès à de telles banques de données, surtout en Europe et notamment en France. Pourtant, pour mieux comprendre les effets des contextes et des environnements éducatifs, qu’ils soient liés au territoire, à l’établissement ou à la classe, ou même à la famille, des mesures longitudinales sont souhaitables. Les effets de politique, de cohorte, les effets de programme sont plus facilement observables dans le temps moyen ou long.

4Les travaux en sociologie de l’éducation ou en sociogéographie de l’éducation au Québec, notamment ceux relevant de méthodologies quantitatives, sont devenus possibles parce que les chercheurs ont accès à de telles données longitudinales. Le site Web CartoJeunes, développé par la Chaire VISAJ au Québec en collaboration avec le CCTT « ÉCOBES-Recherche et transfert » permet l’analyse fine de diverses cohortes de 1998 à aujourd’hui, pour plusieurs découpages géographiques (provinces, régions, municipalités régionales de comté – MRC –3, municipalités ou arrondissements des grandes villes), et différents indicateurs des parcours scolaires, tant au premier qu’au second niveau du secondaire. Les études populationnelles longitudinales seront amenées à prendre une place croissante et notamment être de plus en plus sollicitées pour capter les « signaux faibles », ceux émanant des groupes minoritaires, des laissés pour compte, des marginalisés, des élèves en situation de handicap.

5Il est aussi essentiel d’étudier dès la petite enfance les processus de production des inégalités en matière de réussite éducative. Les études témoignent en effet de façon significative de l’importance des apprentissages dès la petite enfance pour la réussite future (Benett, 2010). Les effets d’une intervention précoce sont encore plus forts au sein des familles immigrantes ou défavorisées. Les programmes d’éducation portant sur la petite enfance contribuent également à une plus grande participation des parents au marché du travail, en particulier des femmes diplômées (Moschion, 2012). En France, la scolarisation dès l’âge de deux ans a ainsi un effet positif sur la réussite scolaire (Joigneaux, 2009), notamment pour les enfants de milieu défavorisé. Pourtant, on constate en France ces dernières décennies un recul de la proportion d’enfants de moins de trois ans à l’école maternelle (ministère de l’Éducation nationale, 2016), lié à l’absence de priorité politique au niveau national sur ce sujet : le taux de scolarisation à 2 ans était de 11,5 % en 2015 comparativement à 35 % au début des années 2000. Au Québec, pour répondre à l’enjeu de compréhension des processus de production des inégalités dès la petite enfance, le site Web CartoJeunes devrait être enrichi de données portant sur les jeunes de cinq ans fréquentant la maternelle4. Plus de 60000 jeunes de cet âge ont été évalués par leur éducatrice sur cinq dimensions de leur développement permettant d’anticiper leur transition de la maternelle à l’école primaire.

6Enfin, pour comprendre comment se construisent les inégalités éducatives, il est également nécessaire de s’intéresser davantage aux transitions entre les niveaux d’enseignement. En France, il a ainsi été montré que les inégalités scolaires s’affirment dès la maternelle et s’accentuent au CP (Joigneaux, 2013 ; Caille et Rosenwald, 2006). Elles se renforcent encore lors du passage de l’école primaire au collège (Laroque et Peretti, 2015), puis du collège au lycée (Jellab, 2005) et enfin à l’entrée dans le supérieur (Merle, 2012). Au Québec, c’est le même défi, avec quatre ordres d’enseignement qui se succèdent, voire se chevauchent de plus en plus, le primaire, le secondaire, le cégep et l’université. Les présents constats renforcent la nécessité des données longitudinales pour analyser les parcours scolaires dans leur ensemble, sans négliger ceux des élèves en difficulté, souvent les oubliés du système scolaire.

La notion de persévérance scolaire, prémisse d’un mouvement social au Québec

7L’objectif de la stratégie Europe 2020 concernant le décrochage scolaire est d’amener le taux de sorties précoces du système scolaire de 18,5 % en moyenne en 2000, année du sommet de Lisbonne définissant cette stratégie, à 10 % en 2020 pour l’ensemble des pays de l’Union européenne, sachant que des disparités très grandes sont observées d’un pays à l’autre et d’un territoire à l’autre au sein de chaque pays (Condat et Plumelle, 2003). Au Québec, il n’y a pas d’objectif politique se rapportant à l’abandon scolaire. Sur ce sujet, sont visées pour 2020 la diplomation et la qualification au secondaire de 80 % des jeunes avant l’âge de vingt ans. La perspective singulière au Québec trouve sa source dans l’émergence et la diffusion du concept de persévérance scolaire.

8En effet au Québec, la meilleure connaissance du rôle complémentaire des politiques publiques et des leaders de la société civile pour favoriser la réussite de tous et arbitrer les défis liés aux inégalités scolaires territoriales a permis ces dernières années une modification des pratiques vers une prise en charge collective de la problématique de l’abandon scolaire. Un nouveau mouvement social est ainsi en cours au Québec, autour de l’idée de la persévérance scolaire plutôt que de celle du décrochage scolaire. Il s’est amorcé au Saguenay-Lac-Saint-Jean en 1996 au moment de la mise en place d’un organisme régional voué à la prévention de l’abandon scolaire et à la promotion de la persévérance, soit le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire (CRÉPAS). Cet organisme, né de la volonté des leaders économiques et sociaux de la région de contribuer à l’implication de la société civile en matière de prévention de l’abandon scolaire, à tous les niveaux d’enseignement, a été le fer de lance d’un mouvement qui n’a cessé de s’amplifier depuis, et ce, partout au Québec (Perron et Veillette, 2012a, 2012b, 2012c). De 1996 à 2010, les dix-sept régions québécoises ont adopté la démarche et créé un organisme dont la mission est de favoriser la réussite scolaire ou la réussite éducative. L’idée de persévérance scolaire fait d’ailleurs son chemin au-delà des frontières, notamment en France, où trois projets de coopération France-Québec ont permis des échanges fructueux au cours des six dernières années.

9L’implication de la société civile s’est accentuée au Québec à partir de 2008 avec le lancement d’un vaste chantier sur la persévérance et la réussite scolaires, avec l’appui et la contribution de personnalités connues et impliquées sur des questions éducatives ou de politiques Jeunesse. Un rapport fut lancé devant la presse nationale en mars 2009 sous l’égide du Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec, sous la gouverne de L. Jacques Ménard, président de la Banque de Montréal. Le document Savoir pour pouvoir : entreprendre un chantier national pour la persévérance scolaire (2009) a trouvé un fort écho auprès du Gouvernement du Québec qui annonçait en septembre de la même année une stratégie gouvernementale : L’École j’y tiens (Gouvernement du Québec, 2009). En plus de fixer la même cible, soit atteindre un taux de diplomation de 80 % en 2020 pour les jeunes Québécois avant l’âge de vingt ans, les deux documents ont fait de la persévérance scolaire un enjeu de société et de la prévention de l’abandon scolaire une stratégie basée sur la mobilisation de toutes les forces vives de la collectivité. La question des mesures à prendre pour s’attaquer aux inégalités éducatives y est prégnante. Le programme de financement Réunir Réussir, annoncé dans le cadre d’un partenariat public-privé de 50 millions de dollars en 2009, est venu consolider l’une des orientations de cette stratégie, soit la nécessité de l’action régionale et locale. Trois grandes rencontres interrégionales et nationales ont rythmé cette mobilisation, en 2008 (400 participants), en 2011 (850 participants) et en 2013 (1450 participants) (Collectif d’auteurs, 2013).

10Souhaitant un Québec prospère qui place les jeunes et leurs parcours vers la qualification au cœur des priorités nationales, le Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec canalise depuis 2008 les efforts de la société civile québécoise autour de la persévérance scolaire. Sa mission se concrétise actuellement par l’alliance, sur une base volontaire, de quarante-deux leaders issus de divers secteurs d’activités préoccupés par la réussite de tous les jeunes. Les trois grandes rencontres ont rythmé la mobilisation et permis le partage de connaissances issues de la recherche et de la pratique afin de soutenir les actions et d’orienter les efforts dans les communautés. Le Groupe d’action a également proposé un regard très documenté sur les politiques publiques et les bonnes pratiques qui font la différence ailleurs dans le monde. Trois constats peuvent être dégagés pour analyser le mouvement social en faveur de la persévérance scolaire.

11Premièrement, les connaissances acquises sur les facteurs associés à l’abandon scolaire et sur le rôle des politiques publiques dans le domaine de la persévérance scolaire posent une exigence fondamentale. On ne peut prétendre comprendre les réalités complexes de la persévérance scolaire et orchestrer des plans d’action efficaces sans recourir au rapprochement, d’un côté des connaissances propres au domaine de l’éducation (incluant la didactique, la psychoéducation, la psychopédagogie, l’orthopédagogie, etc.), et d’un autre côté celles émanant des sciences sociales (sociologie, géographie, politique, etc.). À ce titre, une double exigence s’impose : d’une part, éviter la psychologisation du problème social qu’est l’abandon scolaire et, d’autre part, bien définir les concepts de « territoire » et de « communauté » autour des enjeux de l’intervention sociale territoriale (Caillouette, Roos et Aubin, 2013). Au cours des dernières années, des efforts de recherche et d’intervention considérables ont été consentis pour dépasser le seul prisme des réalités individuelles de l’abandon scolaire. Plusieurs travaux, tant en France (Caro et Rouault, 2010) qu’au Québec (Perron, 2009, 2013), montrent clairement que la distribution spatiale de l’abandon scolaire s’avère très contrastée dans l’espace. Dans le cas du Québec, les inégalités s’observent à l’échelle des régions, des municipalités régionales de comté, des municipalités, voire des quartiers. Au-delà des corrélations statistiques, il est nécessaire de chercher à mieux comprendre les effets des contextes socioculturels et les processus qui produisent de telles disparités.

12Deuxièmement, affirmer que les modèles d’analyse et les modèles d’action doivent être systémiques constitue maintenant un a priori largement partagé dans les milieux scientifiques. Mais dans le domaine de l’éducation, les modèles ne sont pas aussi consolidés et diffusés que dans le domaine de la santé. Alors que l’épidémiologie sociale est une discipline enseignée à l’université, que la santé publique intègre les approches territoriales au cœur de son action, on assiste à peine à l’émergence de la sociogéographie de l’éducation.

13Troisièmement, dans le contexte du mouvement social pour la persévérance scolaire en cours au Québec, les enjeux de cohésion et de cohérence sont grands. L’articulation des efforts de partenariat entre les commissions scolaires et les instances régionales de concertation (IRC) en persévérance scolaire, pour ne prendre que cet exemple, est à vitesse variable. Certaines régions se sont cependant démarquées. Le projet de faire du Saguenay-Lac-Saint-Jean la première région éducative du Québec découle du chemin parcouru depuis 20 ans en matière de persévérance scolaire, autour du modèle mis en place par le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire [www.crepas.ca]5. Les avancées sur ce territoire s’appuient à la fois sur la contribution réciproque des politiques publiques et de la société civile, tout en bénéficiant justement du rapprochement des sciences de l’éducation et des sciences sociales (Perron et Veillette, 2012c).

L’état des lieux au Québec : la situation s’améliore mais les inégalités persistent

14Au Québec, le taux de diplomation et de qualification au secondaire avant l’âge de 20 ans est passé de 68,6 % en 2006-2007 à 75,8 % en 2011-20126, un progrès de plus de 7 points de pourcentage7. Pour dresser un portrait d’ensemble plus détaillé, il est possible de se référer à la plateforme CartoJeunes [www. cartojeunes.ca] qui permet le traitement, à différentes échelles géographiques, d’indicateurs scolaires, socioéconomiques et culturels. Elle facilite l’analyse de l’évolution de la situation et la comparaison entre différents territoires, à partir des données des 104 municipalités régionales de comté et des 17 régions administratives, sans négliger les quelque 1200 municipalités que compte le Québec.

15Les statistiques officielles du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur présentées dans CartoJeunes montrent que de 2005 (cohorte 1998) à 2014 (cohorte de 2007), le nombre de municipalités régionales de comté présentant un taux de diplomation et de qualification inférieur à 65 % après sept ans au secondaire a chuté, passant de 26 à 16. Le nombre de celles présentant un taux supérieur à 80 % a quant à lui augmenté considérablement, passant de 4 à 20. Cette situation se traduit par des gains notables pour certains territoires, comme par exemple les régions des Laurentides, de l’Outaouais et de Lanaudière qui étaient loin derrière au départ (voir la figure 1).

Figure 1. – Gain entre les cohortes de 1998 et de 2007, taux de diplomation et de qualification après 7 ans au secondaire, régions du Québec, tous réseaux confondus, selon le genre.

16On observe aussi que la situation est actuellement plus favorable dans les régions de Chaudière-Appalaches, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, du Bas-Saint-Laurent et de la Capitale-Nationale (voir la figure 2). Le bilan demeure toutefois préoccupant pour plusieurs territoires situés en périphérie, avec une concentration importante de municipalités régionales de comté en difficulté dans les régions suivantes : Nord-du-Québec, Côte-Nord, Abitibi-Témiscamingue et Outaouais. À Montréal, les disparités demeurent très prégnantes à l’échelle des municipalités et des arrondissements (fig. 3).

17Comment expliquer les inégalités observées ? Des facteurs communs sont-ils observables ? Si les écrits sont nombreux sur les approches théoriques et méthodologiques concernant les effets du lieu (résidence de l’élève ou adresse de l’école) et de l’origine sociale sur les parcours scolaires (Ben Ayed et Poupeau, 2009), les travaux empiriques s’intéressent le plus souvent aux quartiers urbains dits « sensibles » ou « défavorisés ». Pour expliquer les différences observées quant aux probabilités des jeunes d’obtenir un diplôme (ou de décrocher), certains mécanismes concernant les caractéristiques des quartiers ont été mis au jour : la disponibilité de ressources institutionnelles, la qualité des relations sociales et les normes de conduite à l’œuvre (Leventhal et Brooks-Gunn, 2000). Par ailleurs, au Canada, certaines recherches ou enquêtes récentes ont démontré l’effet défavorable de l’origine rurale sur les chances d’accéder à un diplôme d’études secondaires et à l’enseignement supérieur (Litalien, 2008 ; Marcoux-Moisan et al., 2010).

Figure 2. – Taux de diplomation et de qualification après 7 ans au secondaire, régions du Québec, cohorte de 2007, tous réseaux confondus, sexes réunis.

18Au Québec, comme en France (Broccolichi et al., 2007), l’interprétation des différenciations territoriales observées est contrariée par la multiplicité des facteurs combinés, soit géographiques, sociologiques, historiques, économiques, démographiques et politiques. Les analyses quantitatives se poursuivent, notamment à l’échelle des municipalités régionales de comté, pour modéliser la part des facteurs territoriaux associés à la diplomation. De nombreuses dimensions sont prises en compte pour bien caractériser les effets du lieu de résidence dès le début des études secondaires à l’âge de 12 ou 13 ans (Perron, Veillette et Morin, 2013).

Figure 3. – Taux de diplomation et de qualification après 7 ans au secondaire, région de Montréal, cohorte de 2007, tous réseaux confondus, sexes réunis.

19Dans le cas québécois, on peut formuler l’hypothèse que les initiatives conjuguées des acteurs locaux, régionaux et nationaux, notamment les efforts des milieux scolaires et communautaires, ont permis de réaliser des gains importants dans bon nombre de milieux. Mais on peut également avancer l’hypothèse que les gains des dernières années ont été enregistrés principalement parmi des groupes de jeunes plus faciles à soutenir et que les gains à venir nécessiteront davantage d’efforts et l’adoption d’autres types d’interventions8.

Le monitorage des territoires

20Les méthodologies statistiques employées pour étudier la différenciation des parcours scolaires, à partir le plus souvent de bases de données individuelles et d’analyses bi- et multivariées, aboutissent à un monitorage des parcours scolaires qui reste une affaire de cheminements individuels des élèves et non une question d’évolutions des territoires. Le site Web québécois CartoJeunes et la version avancée CartoJeunes-Pro nous amènent encore plus loin dans les outils de monitorage. Au-delà du constat statistique indiquant une distribution de l’abandon scolaire contrastée dans l’espace (Perron, 2013), il est primordial de chercher à mieux comprendre les effets des contextes socioculturels et socioéconomiques, de même que les processus qui produisent de telles disparités.

21Cela va supposer des analyses de différents types, comme par exemple l’analyse multi-niveau, car l’intérêt véritable sera de tenter de départager la part explicative des facteurs déjà connus et acceptés (essentiellement les facteurs personnels, scolaires, familiaux, et socioéconomiques) et des facteurs socioter-ritoriaux ou sociogéographiques. Différentes questions théoriques ou méthodologiques sont en jeu. Comment prendre en compte les réalités territoriales sans les assujettir à des facteurs sociaux comme les autres, déjà connus ou documentés ? À quel type de méthodologie recourir pour décrypter les effets propres du territoire ? Quel est l’effet réel du territoire, si effet spécifique il y a ? Comment s’explique-t-il ? Comment se superpose-t-il aux autres effets connus ? Comment peut-il être éventuellement pris en compte dans les programmes, les dispositifs, les initiatives ? La question du territoire est déjà présente dans les politiques publiques, dans l’articulation des programmes visant à réduire les inégalités (pensons par exemple au Réseau d’éducation prioritaire ou au Programme de réussite éducative, ou encore à la Politique de la ville en France ; pensons au programme « Agir autrement » au Québec en milieu défavorisé). Mais il reste à faire la pleine démonstration scientifique des effets de ces programmes et surtout à construire des modèles explicatifs des évaluations obtenues jusqu’à maintenant. Peut-être la discipline naissante qu’est la sociogéographie de l’éducation pourra-t-elle contribuer à proposer de nouveaux paradigmes en ce sens ?

22Le monitorage territorial de la persévérance scolaire met en évidence la nécessité du rapprochement des connaissances propres au domaine de l’éducation de celles émanant des sciences sociales, notamment la sociologie, la géographie et la démographie. Si des travaux majeurs ont été conduits en psychoéducation et en psychologie sur l’abandon scolaire, le « dropping out », devenu un objet de recherche disciplinaire depuis plus de trente ans, il y a maintenant un impératif de convergence entre ces mêmes disciplines et les sciences sociales. Cet impératif n’est pas avant tout académique. Il est lié à la volonté des États et des collectivités d’agir plus efficacement en matière de persévérance scolaire.

Conclusion

23Les recherches axées sur les effets du territoire en matière de persévérance scolaire mettent en évidence l’importance d’appréhender les parcours des jeunes dans leur globalité, au-delà de la réussite scolaire individuelle. Le contexte notamment doit être pris en compte. La valorisation de la scolarisation différera par exemple selon que le jeune habite un centre-ville urbain, un quartier défavorisé d’une grande ville, une capitale régionale en perte de vitesse, un village éloigné des grands centres, un village forestier, etc. Tout en partageant la plupart du temps une même culture jeunesse, les jeunes vivent des réalités différentes selon leur milieu de résidence et leurs conditions de vie, selon le contexte culturel, socioéconomique ou démographique.

24Devant la complexité des facteurs associés à la persévérance scolaire et compte tenu de la diversité des conditions de vie des élèves, la recherche doit se poursuivre pour mieux comprendre les réalités vécues par les jeunes. Les enquêtes sociologiques montrent qu’ils sont d’ailleurs à la fois « ici » par leur lieu de résidence et « ailleurs » par leurs liens virtuels. C’est dans ce contexte qu’une approche pluridisciplinaire large sur la question de la persévérance scolaire et de ses déterminants est nécessaire. Sur le terrain, les alliances éducatives nouées dans le cadre de la persévérance scolaire permettent également de conjuguer les approches visant à réduire les inégalités.

Annexe