Chapitre III. Noter
Quand le médiateur se fait prescripteur de jugement
p. 75-102
Texte intégral
1Dès sa création, le Collectif avait envisagé de transmettre aux consom’acteurs des informations sur la « qualité sociale » des produits. En atteste d’ailleurs le nom qu’il s’était choisi : « De l’Éthique sur l’étiquette ». Plus précisément, le projet initial du Collectif était celui d’un label de la qualité sociale qui aurait permis de transformer les conditions de production en qualité marchande, autrement dit de procéder à une « fétichisation renversée » suivant l’expression de F. Cochoy (2005). Plusieurs années plus tard, cet objectif n’était toujours pas atteint. Et plus encore, il avait délibérément été abandonné. Le Collectif s’est finalement tourné vers un autre mode d’évaluation de la performance sociale, le classement des entreprises, qui sera lui-même abandonné après quelques années. Ce chapitre propose de retracer l’histoire de ces dispositifs de « mesure » de la qualité sociale (Vatin, 2009), pour mieux comprendre les difficultés inhérentes au projet de produire des signaux de qualité à des fins militantes (Dubuisson-Quellier, 2018).
2Repartons du début : la qualité des conditions de production d’un bien est une caractéristique qui ne peut être renseignée ni lors d’un examen préalable à l’achat (comme le sont les qualités « de recherche » chez Nelson (1970), la coupe d’une robe par exemple) ni même à l’occasion de l’usage du produit (comme le sont les qualités « d’expérience » du même Nelson, le goût d’une boîte de thon par exemple). Comme le soulignait l’un des représentants du CCFD, « pour tous les habits que tu portes, garantis-moi qu’il y en a un seul qui respecte les droits sociaux des travailleurs du Sud. Tu peux pas le faire. Tu peux pas, je peux pas. Le consommateur n’est pas en position de choisir, parce qu’il n’y a pas…1 », parce qu’il n’y a pas d’information disponible pour différencier les produits sur cette caractéristique. La « qualité sociale » est une caractéristique « de confiance » (Darby et Karni, 1973), pour laquelle les consommateurs doivent donner mandat d’investigation à un tiers. C’est justement ce rôle que le Collectif se proposait d’endosser lorsqu’il envisageait de produire un label.
3Une précision s’impose : informer sur la qualité des conditions de production ne revient pas à simplement rapporter une donnée manquante. La « qualification sociale » des biens correspond à une « prescription de jugement » (Hatchuel, 1995) au sens où, en même temps qu’il les informe, le prescripteur forme les préférences des consommateurs. Autrement dit, les consommateurs ne délèguent pas seulement la mesure d’une caractéristique prédéfinie, ils en délèguent aussi la définition. La première exigence qui pesait sur le Collectif était donc de produire une « bonne définition », i. e. qui soit conforme à sa propre conception de la « qualité sociale » (pertinence) mais tout en relevant d’une procédure d’évaluation concrètement réalisable (faisabilité). Il fallait aussi que la définition fasse sens pour les consommateurs ; mais à vrai dire cette contrainte se réduisait à une exigence de « lisibilité », le Collectif envisageant largement les consommateurs comme les destinataires captifs de ses prescriptions de jugement.
4Ensuite, et c’est là une spécificité du projet du Collectif par rapport au travail de la plupart des « intermédiaires de marché » engagés dans la production de signaux de qualité, la mise en place d’un équipement cognitif à destination des consommateurs était envisagée comme une démarche instrumentale au service d’un objectif final : permettre l’amélioration des conditions de travail pour tous les travailleurs des pays du Sud. Aux contraintes de pertinence de la définition et de faisabilité de l’évaluation s’ajoutait ainsi une contrainte d’efficacité du dispositif au regard de l’objectif poursuivi : dans quelle mesure le label ou le classement permettraient-ils d’infléchir efficacement les pratiques des entreprises, et in fine d’engendrer effectivement une amélioration des conditions de travail dans les usines du Sud ?
5Nous verrons que le passage d’une qualification dichotomique et « substantive » (un « label » de la « qualité sociale » des produits) à une qualification relative et procédurale (un « classement » des « systèmes de management » de la qualité sociale des entreprises) devait permettre de résoudre un certain nombre des problèmes que le Collectif avait repérés lorsqu’il examinait les modalités de construction d’un label. Pour autant, les effets du classement sont loin d’avoir été ceux escomptés ; et ce qui devait être l’instrument d’une épreuve appliquée aux entreprises a finalement été le catalyseur d’une mise à l’épreuve de l’accord politique construit au sein du Collectif.
Du label au Carnet de notes : le Choix de la mesure
6Dans un premier temps, il convient de revenir sur la façon dont les contraintes de pertinence, de faisabilité et d’efficacité ont conduit les membres du Collectif à rejeter ce qui, de prime abord, leur paraissait comme le meilleur moyen d’équiper la lutte pour les meilleures conditions de travail, à savoir le label social, et de lui préférer un autre outil de prescription, le classement des enseignes.
Le projet de « label social »
7L’usage des labels à vocation militante n’est pas une invention contemporaine puisque l’on trouve déjà un magasin de produits « free produce » (à visée abolitionnistes) à Baltimore en 1826, et un « label blanc » (garant de bonnes conditions de travail) mis en place par la National Consumers League (NCL) dès 1898 (Sklar, 1998 ; Chessel, 2003 ; Glickman, 2004a, b). Mais il est vrai que, comme l’ont souligné Chessel et Cochoy (2004, p. 7), « nombre des formes de consommation engagée contemporaines privilégient […] les solutions industrielles “anonymes”, appuyées sur des procédures, des référentiels, des labels empruntés à l’appareillage scientifico-technique du capitalisme, et singulièrement aux outils de standardisation/normalisation ». Le Collectif de l’Éthique sur l’étiquette n’a pas échappé à cette tendance, en se lançant dans le projet de transmettre aux consommateurs, par le biais d’un logo, une information sur la qualité des conditions de travail dans lesquelles étaient fabriqués les produits vendus.
8Initialement, le projet était de donner des informations sur les conditions dans les usines. La démarche devait donc être celle d’un audit in situ. Compte tenu de la mondialisation de la production, cela supposait de pouvoir constituer des équipes d’enquêteurs qui puissent parcourir le monde et visiter les usines. Comme, par ailleurs, le projet initial était celui d’un « label produit », la parcellisation croissante des étapes de production a conduit le Collectif à s’interroger sur la traçabilité des produits et sur la faisabilité d’un contrôle de l’ensemble des participants à la fabrication.
« Le problème du label, c’est que pour labéliser une filière vas-y pour trouver les informations, il faut du temps. On se rend bien compte que c’est un truc un peu utopique aussi. Ça se fera sûrement pas comme ça, pas sur des filières aussi compliquées que celles qu’on traite nous. Ça se fait avec Yamana sur le tapis, ça se fait avec des produits alimentaires de base, le coton et tout (on rejoint les thématiques équitables), mais une filière où il y a vingt intermédiaires dont dix sociétés écrans, dont des sociétés en sous-traitance dans les villages avec des propriétaires qui ne veulent pas dire qui ils sont, avec des entreprises de sourcing qui ne veulent pas donner les usines qui les fournissent par peur de la concurrence, etc., on arrivera jamais à labelliser un jour une filière aussi complexe que celle du jouet et du vêtement. »
Salariée 2 du secrétariat, entretien du 5 octobre 2005.
9Le Collectif a réduit la difficulté en projetant de limiter le champ de contrôle à la seule étape de l’assemblage des produits. Restait le coût financier d’un projet nécessitant de très nombreux déplacements. Par ailleurs, le projet ne pouvait se faire sans l’aide des entreprises pour identifier, a minima, les usines de fabrication des produits. Une piste avait été ouverte avec Auchan à partir de 1997. L’idée était que l’enseigne adopte un code de conduite préparé par le Collectif et participe à l’expérimentation d’une procédure de vérification des conditions de travail dans les usines. Auchan pouvait ainsi espérer le soutien du Collectif dans ses démarches, et la reconnaissance de son engagement. De fait, Auchan adopta le code de conduite (en septembre 1997) ; le Collectif participa à des séances de formation des acheteurs du groupe Auchan (une centaine d’acheteurs y participèrent) ; le Collectif prépara une mission d’audit chez des fournisseurs d’Auchan à Madagascar. Mais, après plusieurs années de préparation, Auchan abandonna finalement la mission expérimentale prévue au printemps 2001, puis se dégagea complètement du projet : les exigences minimales que le Collectif adressait à l’entreprise étaient supérieures aux concessions maximales qu’elle était disposée à faire.
10Cela contribua à mettre un coup d’arrêt au projet de label. Mais au-delà d’un problème de ressources, les années de réflexions avaient par ailleurs conduit le Collectif à douter de la désirabilité même du projet.
11D’abord, le Collectif a été traversé par de nombreux atermoiements : que voulait-il mesurer ? Le label de produit indique une caractéristique du produit auquel il est apposé. De même qu’une étiquette « sans OGM » garantit l’absence d’OGM dans le produit qui la porte, un label « sans travail des enfants » ou « bonne qualité sociale » aurait dû garantir que le produit étiqueté avait été fabriqué dans de telles conditions. La chose n’était pas aisée. Car les conditions de travail sont jugées bien plus mouvantes que la composition d’un produit. S’ils estiment (à tort ou à raison) que le contrôle technique d’un échantillon de produit est représentatif de la qualité de l’ensemble des biens de la ligne de production, les entreprises et les militants s’entendent sur un même constat : l’observation des conditions de travail un jour ne dit rien des conditions à l’œuvre le lendemain. Pour avoir la certitude du niveau de « qualité sociale » dans une usine, il fallait alors procéder à un contrôle en continu. Au regard des moyens du Collectif, c’était évidemment impossible. Et faute de pouvoir procéder de la sorte, le Collectif craignait de faire des déclarations qui pourraient s’avérer mensongères. Que se passerait-il si l’on trouvait un enfant dans une usine certifiée par ses soins ? Finalement, les membres du Collectif optèrent pour une certification de système, qui atteste que les procédures de l’entreprise, dans son régime normal de fonctionnement évalué à l’occasion d’un audit, assurent le respect d’un certain nombre d’exigences (et notamment de la liberté syndicale). Plus encore, parce que son objectif était finalement de valoriser les progrès davantage que les résultats (et aussi parce qu’il lui fallait trouver des entreprises aptes à obtenir le label), le Collectif envisagea de faire un label de « progrès social » pour récompenser les entreprises bien intentionnées. Au bout du compte, comme nous l’expliquait un salarié du Collectif, « si on avait poussé cette logique jusqu’au bout, ça aurait été un label de “progrès du management de la qualité sociale”. Ça finissait par être inaudible donc on a préféré laisser de côté ces projets de labels et de certifications » (Salarié 3 du secrétariat, entretien du 24 octobre 2005). Le refus de produire un label certes fiable mais totalement illisible contribua ainsi à l’abandon du projet.
12La dernière explication à l’arrêt du projet de label tient à la prise de conscience par le Collectif que le label n’était peut-être pas le bon instrument pour parvenir à son objectif ultime : l’amélioration des conditions de travail dans l’ensemble des filières de production. En effet, même si l’on pouvait espérer un effet d’entraînement, la labellisation sociale présentait le danger de produire une segmentation du marché. Si le Collectif pouvait accepter transitoirement que des produits de piètre « qualité sociale » se maintiennent aux côtés de produits fabriqués dans de bonnes conditions sociales, il ne pouvait en revanche accepter que cette bipartition se pérennise. Plus précisément, les représentants des consommateurs pouvaient peut-être se satisfaire d’une segmentation du marché puisque « [leur objectif] c’était la différenciation de ce qui était plutôt mieux en gestion de la qualité sociale de ce qui était moins bien ou pas du tout géré2 ». En revanche, les ONG et les syndicats ont clairement déchanté lorsqu’ils ont pris conscience que la labellisation pouvait avaliser l’existence de deux types de biens : les « socialement responsables » et les autres. Pour les représentants de ces organisations, qui assignaient au Collectif des objectifs universalistes, la logique du label de commerce équitable était prise comme repoussoir :
« Nous on dit qu’il faut que tous les produits soient, au minimum, éthiques. De toute façon, les autres sont des produits hors-la-loi quasiment parce que tous les pays ont signé… Donc c’est pas la question de dire “je vais acheter 20 % de produits hors-la-loi quand même”. »
Représentant d’Artisans du Monde au Copil, entretien du 14 juin 2005.
« Moi je trouve ça bien, Max Havelaar… Mais notre objectif… L’Éthique sur l’étiquette cherche à améliorer les droits sociaux pour tous les salariés du Tiers-Monde et pas simplement pour les quelques copains qu’on connaît par Max Havelaar. »
Personne suivant le dossier à la CFDT, entretien du 15 septembre 2005.
13Si les postures du CCFD et de la CFDT n’ont rien de surprenant, on pourra s’étonner de ce qu’Artisans du Monde, pourtant spécialisé dans la distribution de produits équitables, soit si sévère à l’égard d’une démarche de labellisation. On peut toutefois le comprendre si l’on a en tête que la représentante d’Artisans du Monde assimile ici la « qualité sociale » au « respect de la loi », tandis que le modèle de commerce équitable d’Artisans du Monde fonctionne sur le modèle de la filière intégrée en marge de la grande distribution (ce en quoi elle s’oppose à Max Havelaar). Dans cette perspective, on saisit pourquoi, aux yeux d’Artisans du Monde, la « qualité sociale » devait être un minimum obligatoire, le commerce équitable demeurant une démarche plus exigeante.
14Finalement, le Collectif a abandonné le projet du « label social », tout en reconnaissant qu’il avait constitué un bon outil de communication vis-à-vis des consommateurs et des entreprises. Une fois abandonné le projet du « label social », un problème se faisait jour. Certes la « qualité sociale » des produits était difficile à mesurer, certes un dispositif dichotomique n’était pas souhaitable, mais l’interpellation des entreprises par des cartes postales souffrait néanmoins d’une double limite : les consom’acteurs pétitionnaires n’étaient pas en mesure de différencier les entreprises suivant la qualité et la sincérité de leur engagement. L’entreprise qui, par sa réponse, donnait l’impression d’être vertueuse pouvait emporter l’adhésion des consom’acteurs sans que ces engagements ne soient ni consistants ni sincères. C’était incontestablement un problème pour le Collectif, dont l’objectif était de créer un effet d’entraînement parmi les enseignes. Il a donc décidé de mettre en place un système de différenciation des entreprises sur un autre modèle que celui du label : celui du carnet de notes.
Le projet de « carnet de notes »
15L’activité de pétition contre les enseignes, que nous avons décrite dans le chapitre précédent, reposait sur deux logiques de recrutement des cibles : des entités représentant l’ensemble du secteur visé par l’action du Collectif ; des entreprises sélectionnées sans considération de leur performance relative dans la lutte anti-sweatshop. Ce mode opératoire présentait deux limites au regard de l’objectif poursuivi. La première se pose en termes de légitimité et, de ce fait, d’acceptabilité de la critique par les entreprises. Que le Collectif cible des « grands » dans les mondes « marchand » et « de l’opinion » (Boltanski et Thévenot, 1991) correspondait à une certaine logique mais qui, d’une part, était loin d’être systématique et, d’autre part, pouvait être contestée comme inadaptée à la critique émise. Plus légitime semblait être une épreuve qui mesurerait la grandeur « civique3 » ou, plus encore, la performance « sociale » au sens que lui donnait le Collectif. Et il fallait alors presser les plus mauvais, pas les meilleurs ! C’est ainsi qu’un de nos interviewés, salarié de Carrefour, déplorait l’injustice des actions du Collectif : « Vivons heureux, vivons cachés : pour l’instant ça rapporte. On le voit avec le Collectif de l’Éthique sur l’étiquette : c’est toujours nous qui sommes sur le banc des accusés. Nous on joue la transparence. Par contre, les gens qui ne font rien ne sont pas inquiétés. »
16Et au-delà de la légitimité, c’était l’efficacité du mode opératoire qui était en question : l’incapacité à positionner les entreprises les unes par rapport aux autres ne permettait pas de créer une émulation. Bien sûr, la menace toujours latente d’une campagne pouvait, tout en étant jugée illégitime, conduire les entreprises à mettre en place des actions qui leur permettraient de se défendre le cas échéant. C’est ce qu’elles semblent avoir fait, au vu de leurs réponses, mais le Collectif voulait désormais intensifier la pression en y intégrant la prise en compte des premières initiatives des enseignes.
17La logique du classement fait clairement écho aux démarches des actions consuméristes. Car si les « tests comparatifs » ne sont pas l’apanage des prescripteurs du marché – le tableau comparatif des candidats à l’élection présidentielle de 2002 dans un magazine Qui choisir ? parodiant le célèbre Que choisir ? est à cet égard aussi amusant qu’éclairant (Cochoy, 2004, p. 83-88) –, ils en sont en tout cas un outil caractéristique. Comme les classements publiés par Which ? (Aldridge, 1994), le Guide Rouge Michelin (Karpik, 2000), 60 Millions de consommateurs et Que choisir (Mallard, 2000), ou L’Auto-Journal (Cochoy, 2002), le carnet de notes du Collectif est un outil de « prescription » (Hatchuel, 1995). Précisons-le ici, et nous y reviendrons plus loin : la prescription opérée par le Collectif était une prescription de jugement censée équiper les consom’acteurs dans leurs activités de vigilance et de pétition, nullement dans leurs achats auprès des entreprises. Le carnet de notes devait être un support à la prise de parole uniquement.
18Le carnet de notes avait une autre spécificité importante par rapport aux autres classements : il visait à modifier le comportement des entreprises de telle sorte à ce qu’elles parviennent toutes à un niveau considéré comme le minimum acceptable, la « norme ». Certes, tous les classements peut-être ont pour effet de modifier le comportement des entités évaluées. C’est un effet que Espeland et Sauder (2007) évoquent sous le terme de « réactivité » (« reactivity ») : « Bien que les définitions de la réactivité varient suivant les approches, l’idée fondamentale est la même : les individus modifient leur comportement en réaction au fait d’être évalués, observés, mesurés (evaluated, observed, or measured) » (Espeland et Sauder, 2007, p. 6, traduction personnelle). En effet, les avantages accordés aux mieux classés conduisent généralement à un bouclage réflexif par lequel certains acteurs s’efforcent de maximiser leur score sur les indicateurs retenus pour relever leur niveau d’ordre dans le classement. Mais certaines activités de benchmarking sont caractérisées par le fait que l’acte de décrire des comportements est indissociable du projet « explicite et revendiqué » de les modifier :
« Les palmarès, construits sur la base d’indicateurs statistiques codifiés, visant à traduire toutes les différences qualitatives en différences quantitatives pouvant à ce titre donner lieu à des comparaisons, constituent des formes de description dont l’objectif explicite et revendiqué est d’inciter les acteurs à changer leur comportement de façon à accroître leur rang hiérarchique dans les palmarès, selon une logique qui est celle de la maximisation de l’indicateur »
Boltanski, 2009, p. 207-208, souligné par nos soins.
19Dans ce cadre, ceux qui jugent assument pleinement l’existence de boucles de rétroaction entre le sujet et l’objet de la connaissance, et ils les mettent en œuvre de manière stratégique pour modifier le comportement des entités évaluées – même si, en parallèle, leur objectif est aussi d’identifier le positionnement relatif des unes et des autres.
20La frontière n’est pas toujours claire entre des classements produits pour identifier les différences, et ceux qui visent à « normaliser » les comportements dans le sens prescrit par la définition de l’excellence. Les notes Parker et les étoiles du Michelin contribuent de façon indéniable à redéfinir l’offre de produits : la notion même de vins « parkerisés » suffit à illustrer le mouvement par lequel les vignobles s’adaptent aux goûts de Parker (Chauvin, 2010) ; quant au Guide Michelin, Lucien Karpik (2000) a montré combien il a eu pour effet de transformer l’offre sur le marché du tourisme, en poussant notamment le secteur de l’hôtellerie-restauration à enrichir et à diversifier ses prestations. Pour autant, on est tenté de penser que la course à la meilleure note est un effet collatéral de dispositifs initialement mis en œuvre dans le seul but de différencier les vins pour le premier, et les restaurants pour le second. De même, Alexandre Mallard conclut ainsi son étude sur les tests comparatifs réalisés par les magazines 60 Millions de consommateurs et Que Choisir : « L’enquête permet de supposer qu’en matière de téléphonie mobile, les opérateurs de télécommunication, anticipant un effet potentiel sur les acheteurs, se montrent attentifs aux résultats des essais consuméristes lorsqu’ils doivent sélectionner les modèles à partir desquels ils construisent les offres packagées. » (Mallard, 2000, p. 408). Ce faisant, il laisse entendre que ces effets de prescription « indirects » ne relèvent nullement de l’objectif premier des associations consuméristes (qui se réduit alors à l’information des consommateurs). C’est certainement vrai de la plupart des tests comparatifs (à visée strictement informative), et probablement inexact pour certains tests, dont il est manifeste que les associations de consommateurs se servent pour endosser leur deuxième costume, celui de défenseurs des consommateurs. Quant aux classements des établissements d’enseignement supérieur, il est très difficile de savoir si la course à la meilleure note, observée notamment dans les écoles de droit américaines (Espeland et Sauder, 2007, 2009), est un objectif manifeste ou un effet secondaire (y compris anticipé) de l’activité des évaluateurs.
21Dans le cas qui nous intéresse, la réponse ne fait aucun doute : le classement est conçu comme un dispositif de normalisation des comportements. Pour s’en convaincre, il suffit d’avoir en tête que l’objectif des évaluateurs est de faire en sorte que toutes les entreprises adoptent le comportement prescrit par le dispositif. Le succès de leur action ne se traduirait pas nécessairement pas l’abandon de l’évaluation, un référentiel plus exigeant pouvant alors être élaboré ; mais la pleine réussite des évaluateurs, à un moment donné, pour un référentiel donné, serait incontestablement l’obtention d’une seule classe d’entités : celles des meilleurs. Et l’on voit mieux la différence avec Parker et Michelin, dont on doute que le souhait le plus cher soit d’amener tous les vins vers la note de 100 et les restaurants vers les trois étoiles. Bien sûr, il y a là une raison stratégique : l’existence de ces prescripteurs de jugement nécessite l’existence d’un classement. Mais encore une fois, il leur suffirait, pour maintenir leur activité, de réévaluer l’exigence de leurs critères. Le véritable motif est moins autocentré : l’excellence n’étant accessible ni à tous les producteurs (vignobles ou restaurateurs) ni, surtout, à tous les consommateurs (car l’excellence se paie, au moins dans un premier temps), elle n’apparaît pas comme une « norme » idéale. Certains consommateurs cherchent des produits plutôt moins chers qu’excellents, certains producteurs trouvent donc leur intérêt à ne pas courir vers l’excellence, et les prescripteurs n’en demandent pas davantage. Pour le Collectif, en revanche, l’excellence sociale devait être la norme demandée par les consommateurs et réalisée par les producteurs. Comment s’y est-il pris ? Et avec quel succès ?
Le Carnet de notes en pratiques
22C’est en 2000, à l’occasion de sa campagne « Pour l’école : consommons éthique », que le Collectif a publié son premier carnet de notes. Trois autres allaient suivre, en octobre 2001 et novembre 2002 à l’occasion de la campagne « Exploiter n’est pas jouer ! », en 2004 à l’occasion de « Jouez le jeu ». Il s’agissait d’un classement d’enseignes, systématiquement assorti d’un message invitant les consommateurs à écrire aux plus mal classés pour leur demander de faire des progrès. Avant d’en venir à l’effet que cet outil a eu sur la mobilisation des consom’acteurs et sur les entreprises, il convient de s’interroger sur la façon dont le Collectif l’a construit.
L’évaluation des entreprises
23Lorsqu’on se lance dans la production de ce type d’outil, la construction de l’échantillon correspond au cadrage que l’on se donne pour conduire la comparaison. Dans le cas d’un test comparatif de prix de produits, l’échantillon réduira la diversité des produits en s’appuyant sur certaines segmentations du marché (en sélectionnant les produits utilisés par le « grand public », par exemple) et sur certaines segmentations des usages (réfrigérateurs de même capacité, par exemple). Pour son premier carnet de notes, le Collectif avait sélectionné les « leaders » des deux principaux secteurs ciblés par les campagnes précédentes (hypermarchés et distributeurs d’articles de sport), ce qui réduisait l’ensemble à quatorze enseignes4. Dans le carnet suivant, il nota treize enseignes5 (essentiellement les mêmes qu’en 2000, certains distributeurs d’articles de sport étant regroupés car appartenant à une fédération commune, plus trois distributeurs de jouets), dix-neuf enseignes6 en 2002 (les mêmes qu’en 2001, en redifférenciant les enseignes de sport, plus trois entreprises de la vente par correspondance) et dix-neuf également7 en 2004 (les mêmes qu’en 2002, exception faite des distributeurs de jouets qui disparaissent du classement, et avec l’introduction de trois marques d’articles de sport).
24Comme dans un test comparatif « classique », le Collectif a dû sélectionner des critères d’évaluation. En revanche, une différence majeure doit être notée qui, présente à toutes les étapes, est ici particulièrement patente. Tandis que les critères des tests comparatifs « classiques » sont tous orientés vers l’utilité supposée pour les consommateurs – Mallard (2000) rappelle la remarque de Lancaster (1966) qui, dans son interrogation sur les caractéristiques pertinentes, se demandait combien de personnes choisiraient leur voiture en fonction de la couleur du moteur –, ce souci était nettement moins présent dans la procédure conduite par le Collectif. Le monopole du Collectif dans l’évaluation de la « qualité sociale » lui permettait d’introduire des critères qui, synthétisés ensuite sous la forme d’une évaluation globale, seraient peu questionnés par les consommateurs. Ce qui a prévalu était donc moins une exigence de pertinence pour le consommateur qu’une exigence de pertinence et de faisabilité pour le Collectif. D’où le choix de critères procéduraux sur les politiques d’approvisionnement des enseignes, et d’une évaluation uniquement sur une base déclarative – déclaration des entreprises et documents publics. Le souci de ne pas « tromper » les militants sur la nature des critères et des épreuves se traduisait d’ailleurs par une remarque systématiquement répétée : « Nous ne notons pas la qualité sociale des produits vendus par chacune des enseignes. En effet, il n’existe pas encore de label social [sous-entendu caractérisant substantiellement les pratiques]. Mais ça progresse8… »
25L’évaluation des enseignes sur la base de ce barème se déroulait en deux temps. Tout d’abord, une équipe d’enquêteurs bénévoles devait recueillir les informations permettant de procéder au codage des différentes questions. Dans le cas du dernier carnet de notes (2004), ce sont par exemple cinq étudiants d’un master de « RSE et audit social » qui avaient ainsi été recrutés comme stagiaires pour constituer le tableau de bord des informations sur les entreprises. Ils s’appuyaient pour cela sur deux types de sources : les informations transmises par les entreprises dans le cadre du questionnaire qui leur avait été préalablement adressé et les informations trouvées dans n’importe quel cadre et sur n’importe quel support. Comme le suggère l’un des cinq enquêteurs de 2004, le modèle de référence, au moins tacite, était celui de la « notation déclarative » à laquelle procèdent certaines agences de notation extra-financière comme Vigeo :
« [On récupérait les informations] sur le site internet, toutes les informations publiques, ou bien des informations divulguées dans des organismes du type Orse, ou si ils participaient au Global Compact, ou dans certains forums RSE… Toute déclaration qui pouvait permettre d’apporter des informations dans un sens ou dans un autre. Ça se rapprochait beaucoup de ce que fait une agence de notation sur ce critère bien précis de la qualité sociale dans la filière d’approvisionnement »
« Enquêteur » pour le carnet de notes du Collectif, entretien du 7 mai 2008.
26Ensuite, le comité de pilotage se constituait en « conseil de classe », ou en « comité de notation » pour procéder à l’attribution des notes. La distinction des deux étapes n’était pas seulement la résultante de contraintes pratiques (les membres du comité de pilotage n’ayant pas nécessairement le temps de contacter les entreprises, de consulter les sites internet, et de consigner toutes les informations recueillies) ; elle devait permettre un découplage entre l’activité systématique de récolte des informations sans considération de leur poids final, et l’activité de jugement. Ceci étant, pour attribuer les notes, le « comité de notation » devait confronter les informations recueillies à la grille de notation et, pour cela, redéfinir en permanence les modalités du codage. Pour les premiers carnets de notes, la dimension appréciative de la notation était manifeste compte tenu de la grande plasticité des modalités de codage retenues. En 2000, par exemple, le comité de pilotage devait qualifier les engagements pris par les entreprises dans leurs codes de conduite suivant trois modalités : « absence d’engagement ou engagement très incomplet » (1 point), « engagement partiel » (2 points) ou « engagement complet » (3 points). Et les indications de codage associées étaient relativement lâches : « les engagements sont flous et/ ou plusieurs principes essentiels comme le respect de la liberté syndicale sont omis » (1 point), « les engagements sont assez précis mais il peut manquer des principes essentiels » (2 points), « les engagements reprennent en totalité les principes exposés dans le code ESE [Éthique sur étiquette] » (3 points).
27Pour le baromètre de 2004, le Collectif avait très nettement clarifié ses modalités de codage : la complétude des engagements du code de conduite était par exemple traduite en nombre de droits mentionnés dans le code de conduite (référence aux conventions de l’OIT ? référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme ? présence de huit ou sept ou six ou moins de six des droits listés par ses soins ?). Pour autant, le codage n’avait rien de mécanique, sans quoi la délibération en « comité de notation » n’aurait pas eu lieu d’être. Même dans le cas de cette dernière session de notation, de loin la plus cadrée, la note demeurait le résultat d’une démarche de jugement et non, uniquement, d’un calcul de points attribués mécaniquement.
« Il y avait deux groupes de travail, un groupe de travail “récupération des informations, présentation de ces informations au comité de notation”, et un “comité de notation” qui avait quand même des critères très précis (ils pouvaient pas tellement sortir de la production d’une note), mais à partir de là il y avait aussi une pondération, on va dire, “politique”. »
« Enquêteur » pour le carnet de notes du Collectif, entretien du 7 mai 2008.
28Faute d’accès aux traces textuelles laissées par chacune des étapes de la construction de la note finale, et faute de souvenirs suffisamment précis dans l’esprit de nos interlocuteurs, nous n’avons pas pu recueillir d’exemple caractéristique des effets de ce travail d’harmonisation. Ce que nous avons pu recueillir lors de notre enquête en revanche, ce sont certains aveux de « conflits d’intérêts » entre la démarche de notation du Collectif et la défense des activités de certains de ses membres (et des partenaires de ses membres). Ainsi, Max Havelaar quitta le Collectif après que celui-ci eut noté durement l’enseigne Leclerc, par ailleurs engagée dans une campagne active de commercialisation de produits issus du commerce équitable dans un partenariat avec Max Havelaar. Ce départ n’eut rien d’un coup de force destiné à infléchir l’action du Collectif, mais l’organisation de commerce équitable considéra qu’il était plus cohérent pour elle de ne pas tendre la main à une enseigne qu’elle contribuait à frapper par un autre canal. Un deuxième exemple qu’il nous a été donné de connaître était celui de la Camif. Considérant qu’il était légitime de juger cette enseigne au même titre que ses concurrents de la vente par correspondance (La Redoute et les 3 Suisses), le comité de notation l’inclut dans son carnet et lui attribua une note peu élogieuse. Cela engendra un conflit non pas au sein du comité de notation, mais avec certaines organisations membres du Collectif (les Pupilles de l’Enseignement Public par exemple) qui étaient liées à ce qui, à l’origine, était la coopérative des adhérents à la mutuelle des instituteurs de France.
29Encore une fois, aucun de ces deux exemples n’illustre une modulation politique des notes ; au contraire, on constate que c’est plutôt l’absence de modulation qui a créé des tensions. Mais ils attestent du fait que le Collectif n’était pas à l’abri des conflits d’intérêts. Sans avoir forcément connaissance des cas précis, les enseignes ne manquaient pas de le soupçonner, et l’on verra que cela a alimenté leur critique à l’égard d’une épreuve dont elles estimaient qu’elle était parasitée par bien d’autres considérations que la seule évaluation des politiques de responsabilité sociale.
La publication des résultats
30Le compte rendu des résultats d’un test comparatif « classique » peut prendre plusieurs formes : celui d’un classement sur une échelle unique (où l’ordre de préférence est supposé valable en toute généralité), celui d’un classement pour chaque critère (laissant à l’usager le choix de la pondération des critères), celui de profils de produits associés à des profils d’utilisateurs (pour un forfait téléphonique comme pour des chaussures de tennis, on pourra par exemple distinguer l’usage fréquent de l’usage occasionnel). Dans le cas du Collectif, l’évaluation de l’engagement social des entreprises suivait une logique de différenciation verticale. Le résultat était communiqué sous la forme d’un classement sur une échelle unique, le Collectif ayant lui-même en amont pondéré ses critères. Et si les carnets de 2000, 2001 et 2004 indiquaient le résultat de chaque enseigne pour trois grandes catégories (engagements, mise en œuvre, transparence), ce n’était certainement pas pour permettre au consommateur de changer la pondération des catégories en fonction de ses préférences, sur le mode « je choisis de privilégier la transparence sur les engagements » par exemple, mais plutôt de l’aider à spécifier sa prise de parole auprès des enseignes.
31En appelant son outil « carnet de notes », le Collectif revendiquait un format d’évaluation de type scolaire. Le premier carnet de notes avait été publié à l’occasion de la campagne « Pour l’école : consommons éthique », ce qui a peut-être joué dans le choix de cette inscription dans la thématique scolaire. Pour autant, l’intitulé de l’outil a été maintenu pour les deux publications suivantes. En réalité, le format des deux premiers carnets de notes ressemblait davantage à un système de « bons points » ou à une représentation sur le modèle des guides gastronomiques puisque les enseignes étaient notées en étiquettes (sur 5) pour le premier (2000) et en étoiles (sur 5 également) pour le second (2001). Mais ils étaient accompagnés de commentaires qui filaient la métaphore scolaire. En 2000 et en 2001, on pouvait lire des appréciations construites sur le strict modèle des carnets scolaires : « Bon élève, travailleur », « bons efforts au départ mais se laisse vivre », « bavard, mais ne fournit aucun effort », « se dit intéressé, doit faire ses preuves », ou encore « malgré son redoublement toujours au fond de la classe ».
32Le troisième carnet de notes fut marqué par l’abandon de la formulation scolaire des commentaires ; en revanche, il reposait sur un mode de notation directement emprunté au système scolaire français, avec des notes sur 20. Nous verrons plus loin que le changement de barème fut loin d’être anodin. Quant au dernier classement, revenant à un format en étiquettes (trois notes sur 6 étiquettes), il fut pour sa part rebaptisé « baromètre ». Là encore, cette modification minime renvoie à des enjeux pleinement réfléchis par le Collectif. Constatant que la notion de « carnet de notes » était jugée infantilisante par les entreprises, ils lui préférèrent un intitulé plus neutre avec celui de « baromètre ». Évoquant le format « carnet de notes », la représentante d’une ONG membre du Collectif soulignait : « Ça fait trop scolaire, ça fait pas très sérieux, c’est un super bon outil pour faire des animations auprès des gamins par exemple mais est-ce qu’on peut pas en trouver un peu mieux pour les adultes, c’est aussi la crédibilité de l’outil et l’image qu’on renvoie9. » Le terme « baromètre » devait faire « plus sérieux ». Il nous semble que, bien que ce ne soit pas explicite dans les propos de nos interviewés, il permettait aussi de faire « plus objectif ». En effet, dans le « carnet de notes », l’intervention de l’évaluateur n’est pas masquée, et la plupart des élèves ont conscience du fait que la note dépend en partie de l’enseignant. En publiant un « baromètre », le Collectif pouvait prétendre ne pas faire la pluie et le beau temps en jugeant les entreprises, mais enregistrer mécaniquement leur performance. La référence à un instrument de mesure permettait ainsi d’évacuer la dimension subjective de l’évaluation.
Figure 6. – Exemple de carnet de notes (publication du Collectif).

L’utilisation par les consom’acteurs
33Quel usage les consom’acteurs ont-ils fait de cet outil ? Un document intitulé « le premier millier de messages internet envoyés aux enseignes par le carnet de notes en ligne » (17 janvier 2003), recense quelques données statistiques sur la mobilisation des consommateurs quelques mois après la parution du troisième carnet de notes. Au total, 949 mails avaient été adressés aux 18 enseignes, dont 745 mails-types et 204 mails personnalisés. Il est difficile d’évaluer l’ampleur de cette mobilisation qui a donné lieu, en deux mois, à l’envoi de 35 à 79 mails aux différentes enseignes. Cela semble relativement peu si l’on ramène ce chiffre aux 53 organisations membres et à la centaine de collectifs locaux que comptait à l’époque le Collectif, ou aux dizaines de milliers de cartes postales envoyées lors des campagnes organisées contre des cibles présélectionnées. Mais d’autres constats peuvent être tirés de ces statistiques et des extraits de verbatim inclus dans le rapport du Collectif.
34Les enseignes à qui les soutiens ont adressé la plus grande quantité de courriers ne sont pas nécessairement les plus mal classées. Il faut, à cet égard, distinguer les mails-types – identiques pour toutes les enseignes – des mails personnalisés dont les statistiques ignorent le contenu. Certains mails pouvaient ainsi porter un message d’encouragement plutôt que de dénonciation. Carrefour, l’enseigne en tête de classe pour sa qualité sociale, a reçu relativement beaucoup de mails personnalisés, mais parmi lesquels certains étaient très positifs :
« Selon le collectif “de l’Éthique sur l’étiquette”, vous êtes les mieux notés. 10,4/20… Peut mieux faire… Mais enfin c’est un début. Allez, un peu plus de courage. »
« Eh bien, sachez que je suis agréablement surpris par l’évaluation qui est faite de vos efforts. Bien sûr, cela est un début seulement… »
35Le nombre de mails standardisés envoyés à Carrefour place néanmoins l’enseigne en tête des firmes les plus dénoncées. Il y a là une logique : les enseignes ayant reçu le plus grand nombre de cartes sont les plus grandes et plutôt des généralistes – celles qui ont le plus de clients. Camif fait néanmoins figure d’exception, destinataire de très nombreux courriers en dépit de sa faible clientèle – c’est elle qui a reçu le plus grand nombre de courriers, devant Décathlon qui n’a pas obtenu une meilleure note –. Les mails personnalisés éclairent la situation : on y voit que les « clients » de la Camif avaient déjà intégré l’éthique comme un paramètre de leurs achats et choisi la Camif pour ses engagements affichés dans ce domaine ; la déferlante de mails fut à la mesure de la déception occasionnée par la piètre note de ce distributeur supposé « militant » :
« Nous sommes enseignants depuis 35 ans maintenant et utilisateurs Camif pour tous les produits importants. Ce choix a été toujours guidé par une démarche militante de consommateurs avertis pensant (à tort) que nos valeurs étaient partagées par cette coopérative. En plus, vous vous permettez d’en rajouter en faisant de la première page du catalogue un support fédérateur avec les mentions de “Citoyen de la terre”, etc. Ces mots ont pour nous du sens, pour vous seulement un moyen de nous tromper… »
« Vous produisez une communication abondante sur votre engagement social et la Maif nous gratifie d’affiches et de spots vantant son engagement militant. Or, il semble que votre communication soit disproportionnée par rapport aux faibles engagements et réalisations de l’enseigne en la matière. […] Il est affligeant de constater que la Camif pointe loin derrière les enseignes de la grande distribution. »
36Le deuxième constat qui résulte de l’étude des mails personnalisés est que certains consommateurs ont utilisé le carnet de notes pour justifier leur intention de modifier leur comportement d’achats – qu’elle soit finalement traduite en actes ou pas. On retrouve ainsi très fréquemment des promesses de « buycott » (orientation des achats vers les mieux notés), des menaces de « boycott » (arrêt des achats auprès des plus mal notés), mention étant fréquemment faite du jeu concurrentiel (report des plus mauvaises vers les meilleures enseignes).
37Les enseignes moins bien notées recevaient des messages de consommateurs, se présentant (implicitement) comme des clients réguliers, qui se déclaraient déterminés à cesser leurs achats. Go Sport, une enseigne parmi les quatre du peloton de queue (gratifié d’un 0,4/20) avait par exemple reçu ce mail : « je viens de prendre connaissance du carnet de notes de l’association “de l’Éthique sur l’étiquette”. L’exploitation des enfants, vous n’en avez peut-être rien à faire. Moi si. J’éviterai de me rendre chez vous dorénavant ». Le même internaute n’hésitait pas à tenir le même discours à Auchan, pourtant nettement mieux noté (5,6/20) : « c’est nul de ne rien faire pour les enfants qui travaillent. Je ne viendrai plus chez vous ». Certains mails envoyés aux entreprises mal notées se caractérisent par un style excessivement véhément, voire injurieux, à l’image de celui-ci, envoyé à la Grande Récré (2,8/20) : « Cette année je ne ferai pas mes courses de Noël chez vous, fumiers, et il en sera ainsi dorénavant jusqu’à ce que vous gagniez assez d’humanité pour éviter à vos esclaves de vivre dans la misère puante que vous, et toutes les autres multinationales pourries jusqu’à l’os, encouragez10… »
38À Carrefour, bien noté par le Collectif, certains soutiens du Collectif envoyèrent des mails annonçant des intentions de report d’achats. Il s’agissait bien de montrer à l’enseigne qu’ils étaient disposés à changer leurs habitudes d’achats, à chercher un magasin à proximité, à inciter l’entourage : « Bon, promis, pour ce Noël, je cherche un magasin “Carouf” près de chez moi […]. Mais si vous ne faites pas mieux très vite, seuls les magasins Artisans du Monde me verront pour le prochain Noël. » On le voit, ce n’est pas parce qu’ils choisissent de « récompenser » les meilleurs que les consommateurs baissent la garde et la pression. Un mail comme celui-ci porte à la fois la promesse d’une récompense mais aussi la menace d’une sanction si l’entreprise décline ou même, si elle ne progresse pas : même vis-à-vis de l’entreprise la mieux notée, l’exigence de progrès reste présente, assortie de la menace, non pas de se tourner vers un autre concurrent direct mais vers des canaux de distribution alternatifs, comme Artisans du Monde.
39Surtout, qu’ils s’adressent aux mieux notés ou au moins bons, beaucoup de consommateurs se sont appuyés sur le carnet de notes en tirant pleinement parti de son format « ordinal ». La stratégie discursive consiste alors à évoquer les concurrents pour bien souligner que sanction des mauvais et rétribution des bons sont bien des deux faces d’une même réaction. Auchan, par exemple, reçut un certain nombre de courriers de consommateurs annonçant leur report vers Carrefour : « Vous venez de perdre un client au profit de Carrefour », écrivait un premier internaute, tandis qu’un autre s’exclamait : « Déception !!! Pas de vraie alternative à ce mot. Notez, tant mieux pour Carrefour, hein ! 5,6… c’est pathétique ! Je n’irai plus à Vélizy 2 avant que vos résultats soient améliorés. » Le meilleur exemple de ce jeu sur la relation concurrentielle entre les enseignes apparaît dans ces deux mails, adressés par un même internaute à deux distributeurs d’articles de sport (Go Sport, noté 0,4/20 ; et Décathlon, noté 2/20) :
[À Go Sport : ] « Étant dans le XIVe arrondissement de Paris, j’ai le choix entre deux de vos magasins… Montparnasse et porte de Montrouge. Cependant je constate avec amertume que vous êtes extrêmement mal classé par le Collectif de l’Éthique sur l’étiquette. En ces périodes de Noël, comme tous les cyclistes parisiens, et plus particulièrement ceux dont la compagne est cycliste, je vais offrir des articles de sport. À ce jour, il me semble que Décathlon, quoique plus éloigné de chez moi, réponde bien mieux à mes aspirations : je ne veux pas suer dans un maillot qui sent déjà trop la sueur, si je puis me permettre ce trait d’un goût douteux… »
[Et le même Internaute à Décathlon : ] « Je viens d’écrire à votre homologue de chez Go Sport pour lui dire que je viendrai probablement chez vous faire mes courses de Noël. En effet, vos résultats, tels qu’évalués par le Collectif de l’Éthique sur l’étiquette, sont sensiblement meilleurs que les leurs. […] Mais le retard est faible, il suffirait d’un homme (d’une femme ?) de bonne volonté pour vous renverser. Je vous invite donc à miser sur ces critères plutôt que sur d’autres effets de mode pour me maintenir parmi votre clientèle. »
40On le voit, pour certains soutiens du Collectif, une différence de note même mineure pouvait suffire à justifier un changement de magasin, même coûteux (ici, il est fait mention de la proximité géographique respective des boutiques).
Les effets du Carnet de notes
41L’usage conjoint d’une activité de « dénonciation » et d’une activité d’« évaluation » n’est pas une pratique exceptionnelle. Au contraire, comme le souligne Pierre Rosanvallon (2006, p. 69), tandis que le militantisme des années 1970 était porté par des « collectifs de lutte », des « comités de défense », des « groupes de mobilisation », le militantisme le plus contemporain a vu l’essor de « watch groups » et autres « observatoires ». Ce type d’organisation lie de façon fonctionnelle une capacité d’expertise et des activités d’interpellation. Et l’activité d’expertise, si elle peut prendre la forme de la vigilance et du lancement d’alertes, se traduit très souvent par la mise en place de démarches de notation, comme dans le cas des « ratings » des pays en termes de corruption, que Transparency International publie régulièrement. Rosanvallon avance : « Ces organisations produisent certes de la sorte des “effets d’autorité”, pour employer une expression de Pierre Bourdieu, mais elles exercent plus encore un véritable pouvoir, c’est-à-dire une capacité d’infléchir et de contraindre la conduite de ceux qu’ils ont pris pour cible » (Rosanvallon, 2006, p. 70). Si le raisonnement paraît exact, il nous semble nécessaire d’y apporter deux réserves : pour que l’effet d’autorité fonctionne sur les cibles, il faut que celles-ci voient les informations produites par l’organisation comme le travail de l’expert, nullement comme celui du militant ; quant à la capacité d’infléchir la conduite des cibles, elle dépend des moyens dont celles-ci disposent pour contrer la notation si elles l’estiment défavorable. En l’occurence, comme nous allons le voir, l’histoire du classement produit par le Collectif a été marquée à la fois par un défaut d’autorité de la notation, et par une situation de forte résistance de la part des entreprises notées.
Le rejet de la prescription
42La publication de classements produit parfois des réactions émotionnelles particulièrement vives si l’on en croit la description qu’en font Espeland et Sauder pour le cas du classement USN (U. S. News and World Report) des écoles de droit et Chauvin pour celui du guide Parker. L’un des doyens interviewés par Espeland et Sauder (2009) raconte : « La dernière fois qu’USN est sorti, j’ai juste fermé les yeux et regardé le quatrième niveau pour être sûr qu’on n’y était pas, parce que je vivais dans une peur épouvantable que nous ne tombions dans le quatrième niveau. C’est ridicule ! Nous sommes une école de droit formidable. » (Espeland et Sauder, 2009, p. 69, traduction personnelle). Quant à ce conseiller œnologique rencontré par Pierre-Marie Chauvin (2010, p. 152) au moment de la publication des notes Parker, il illustre bien l’extraordinaire fébrilité du milieu viticole à l’occasion de la sortie du guide : « Qu’est-ce que j’aurai comme note ? On verra […] Mais pourquoi elles ne sortent pas ces notes Parker, ils veulent ma mort ? » Ce n’est assurément pas le cas de la publication du carnet de notes du Collectif, qui n’a jamais représenté un événement majeur pour les entreprises de la grande distribution. Celles-ci ne percevaient pas sa publication comme un moment qui pourrait modifier radicalement la structure de la demande. En somme, le Carnet de notes n’avait pas acquis, dans son champ, la force institutionnelle qui caractérise l’USN et Parker dans les leurs. Pour autant, en dépit d’un effet anxiogène relativement contenu, le Carnet de notes ne laissait pas les distributeurs indifférents.
43L’extrait ci-dessous, tiré du blog de Michel-Édouard Leclerc, permet de mesurer l’agacement profond de certains responsables d’enseignes vis-à-vis du Collectif. Ce passage clôt un texte de deux pages où le directeur des magasins Leclerc, reprenant une question que lui avait adressée une journaliste de l’agence France-Presse (AFP), s’attache à démontrer qu’il n’y a pas lieu d’évoquer une « contradiction entre les valeurs de la grande distribution et la vente de produits équitables » :
« Un collectif qui a pour nom “l’Éthique sur l’étiquette” conteste notre légitimité dans le commerce équitable : “le groupe figure parmi les enseignes les plus mal notées pour ses engagements relatifs aux droits fondamentaux”.
Non mais ! Qui ose encore parler ainsi ? On se croirait revenus aux temps où les cellules du PC tenaient Tribunal, ou ces AG dans lesquelles on se faisait interpeller : “mais d’où parles-tu, camarade, quelle est ta légitimité ?…”
Même si nous ne sommes pas au “top”, nous ne méritons certainement pas cette entreprise de dénigrement. Qu’ils aillent se faire voir…
Ce collectif n’est pas une entreprise de notation sociale. Notre Groupe est déjà accompagné dans ses démarches par de multiples experts et consultants. Mais, j’en profite pour glisser ce message. S’il s’agit d’un chantage, nous ne céderons pas. Dans une enquête récente de 60 millions de consommateurs, l’association WWF primait le comportement d’une enseigne de distribution qu’elle oppose au peloton des autres distributeurs. Un hasard : cette enseigne est partenaire financier de WWF !!!
Nous n’avons pas besoin des conseils de “l’Éthique sur l’étiquette”. Reconnaissez qu’ils s’y prennent en tout cas assez mal ! Mais si cela nous vaut une mauvaise “notation”, tant pis. Après tout, pour servir la cause, seuls comptent les actes. » (Extrait de l’article « Commerce équitable en grande distribution : qui conteste » sur le blog de Michel-Édouard Leclerc : « De quoi je me MEL », 11 mai 2006. Gras et italiques dans le texte initial11.)
44Pour Michel-Édouard Leclerc, l’activité du Collectif a tout des tribunaux d’exception, dans lesquels l’activité de jugement est indexée sur la volonté idéologique de condamner. La compétence, la légitimité institutionnelle, et les motivations civiques des membres du Collectif sont toutes contestées pour « dénoncer les dénonciateurs ». Ensuite, il justifie pourquoi, à ses yeux, les critères d’évaluation ne rendent pas compte de tous les engagements de son enseigne : réserve sur la vente d’OGM, engagement dans la vente de bois certifié, engagement dans la vente de produits issus du commerce équitable, suppression des sacs de caisse, pratique d’audits sociaux – et l’on voit ainsi que, stratégiquement ou non, le patron de l’enseigne mêle la « qualité sociale » à toute une série d’autres causes sanitaires ou environnementales.
45Michel-Édouard Leclerc considérait que son enseigne ne méritait pas de figurer parmi les enseignes les plus mal notées. Mais les entreprises les mieux notées n’étaient pas plus satisfaites. En effet, la stratégie du Collectif a toujours été de différencier les entreprises, mais au sein d’une échelle de notes qui plaçait toutes les entreprises en situation d’être dénoncées si l’on considère, comme le Collectif, que la note maximale est le niveau requis. Cette tendance s’est accentuée lors du 3e carnet de notes (2002) et du baromètre de 2004, où la médiane était extraordinairement basse (2,4/20 et 4/18) et la distribution des notes particulièrement resserrée. Les enseignes étaient positionnées dans un mouchoir de poche12 et, au bout du compte, le message du Collectif qui accompagnait les carnets de notes était sans équivoque : pour être moins mauvais que les autres, les mieux notés n’en restaient pas moins condamnables.
46C’est d’ailleurs ainsi que les entreprises ont interprété le carnet de notes, faisant peu de cas des quelques messages d’encouragement qu’elles avaient pu recevoir de certains consom’acteurs. La personne en charge du dossier « qualité sociale » chez une des enseignes notées en tête de classe disait ainsi des membres du Collectif qu’ils étaient « tellement chiants que les gens de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) ne voulaient plus les voir », et n’hésitait pas à les comparer à des « pitbulls13 ». Un de nos interviewés chez Auchan faisait valoir que le carnet de notes était un outil de vengeance pour le Collectif dans lequel, plus qu’à une évaluation rigoureuse, il procédait à un règlement de comptes (« il faut pas se leurrer, Auchan a payé cette séparation, parce qu’on est passé de la 3e place à je sais plus combien et avec une critique assez dure »).
Graphiques 1 à 4. – Distribution des notes pour chacun des quatre carnets.

Lecture : en abscisse l’éventail des notes, en ordonnée le nombre d’entreprises pour chaque modalité.
47La faible différenciation des enseignes a alors entravé l’action du Collectif. Percevant mal la possibilité d’être un jour reconnues « responsables », et peu enclines à croire qu’être seulement le meilleur des mauvais serait un vecteur de bonne réputation, les enseignes ont majoritairement refusé de jouer le jeu de la concurrence. C’est ce qui a conduit les entreprises de la grande distribution à se regrouper pour faire bloc contre le Collectif – les concurrents devenaient alliés contre le Collectif conçu comme ennemi commun –. Comme le dit très bien le responsable « qualité sociale » d’une enseigne : « le but est de se mettre tous ensemble pour se recroqueviller et éviter les coûts les plus brutaux14 ». En somme, les enseignes ont adopté la formation défensive dite « de la tortue » qui avait fait la célébrité de l’armée romaine. Ce procédé consistait à organiser un regroupement de soldats sous un toit protecteur formé de leurs boucliers respectifs, et à avancer en étant ainsi protégés des flèches adverses. L’exemple de l’Initiative clause sociale (ICS) de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) est l’illustration la plus manifeste de cette technique de protection collective.
La formation de la tortue
48Pour expliquer la création, en 1998, de l’Initiative clause sociale, le Président de la Fédération du commerce et de la distribution indiquait : « nous nous sommes aperçus que les conditions de travail dans les pays en développement étaient un sujet sensible. Cela ne devait plus être un sujet de compétition entre les enseignes mais une question de mobilisation commune15 ». Cette formule devint le leitmotiv de la plupart des responsables impliqués dans cette initiative : « Aujourd’hui, c’est vrai qu’il y a une volonté affichée de ne pas en faire un instrument de compétition16 » ; « On s’entend tous très bien au sein de l’ICS, il y a pas de concurrence17 » ; « Il y a pas de concurrence sur ces problématiques-là, honnêtement. […] Ce serait assez malsain de développer de la concurrence sur ce genre de problématiques18. »
49Formellement, l’ICS est une démarche mise en œuvre pour permettre aux enseignes de la distribution de travailler conjointement à l’amélioration de la « qualité sociale » des produits qu’elles commercialisent. L’activité essentielle de ce groupe de travail est la planification d’audits dans les usines de leurs fournisseurs et sous-traitants, réalisés par des cabinets indépendants et dont les résultats sont mis en commun entre les enseignes. Initialement, l’objectif de l’ICS était de répondre aux interpellations du Collectif, et l’idée d’un partenariat entre la FCD et le Collectif apparaissait comme une option envisageable. C’est la publication du carnet de notes de 2002 qui a mis en péril les relations initialement courtoises entre le Collectif et la FCD. Ce carnet avait été particulièrement sévère et, certainement, même les enseignes les moins mal notées préférèrent ne pas se désolidariser du groupe. La FCD s’exprima au nom de tous les distributeurs pour dénoncer l’opacité de l’évaluation :
« Nous avons tenu, depuis l’origine, à associer largement votre organisation à l’Initiative clause sociale. Vous avez pu ainsi participer à un grand nombre de réunions, avoir accès aux documents généraux, échanger avec les enseignes sur les réalités de terrain. Ce souci de transparence, nous souhaiterions qu’il puisse être manifesté en retour, en particulier pour l’établissement de votre classement (carnet de notes) : liste pondérée des critères, composition du jury indépendant, établissement d’un dialogue contradictoire avant toute publication. »
Lettre ouverte de la FCD au Collectif, 21 novembre 2002, gras dans le texte.
50Une rencontre entre le Collectif et la FCD, le 27 mai 2003, annonçait un redoux : le Collectif acceptait de ne pas publier de carnet de notes en 2003 afin de rendre possible la mise en place d’actions communes avec l’ICS. Mais voyant que le projet n’aboutissait pas, il envoya durant l’automne suivant un questionnaire aux enseignes afin de réaliser un classement pour 2004. C’est là que l’ICS a décidé de renseigner de la même façon le questionnaire pour l’ensemble de ses membres. La rupture était consommée. Dépendant des informations des entreprises pour construire son évaluation – pour une bonne partie « déclarative », c’est-à-dire appuyée sur des données fournies par les entités évaluées –, le Collectif se trouva dans une situation très inconfortable.
« [Les distributeurs] ont pas joué le jeu, peut-être parce qu’ils n’ont pas trouvé ça suffisamment gagnant-gagnant pour eux, je ne sais pas ce qui s’est noué au sein de l’ICS, je ne sais pas ce dont ils ont discuté mais ils ont préféré se retrouver entre eux. Je pense qu’ils ont préféré se retrouver entre acteurs qui ont l’habitude…, qui sont à la fois concurrents mais en même temps sur le même terrain, c’est plus simple pour eux d’avoir monté l’ICS, d’avoir complètement bouclé tout de l’extérieur de façon à ce qu’on n’y rentre pas, d’avoir une communication très agressive en notre direction et en direction des médias, ils ont tout bloqué. Voilà. Et moi j’aurais été à leur place, j’aurais pas fait autrement ; stratégiquement ils ont trouvé la parade et nous on s’est trouvé complètement désemparé face à ça et on est resté bloqué pendant quatre ans, genre “ah, l’ICS !”, mais sans être capable d’avancer. »
Représentant de Peuples Solidaires au Copil, entretien du 20 octobre 2005.
51La rétention d’information est une pratique défensive courante chez des entités qui veulent résister à une démarche de classement comme celle du Collectif. Ainsi, Espeland et Sauder (2009) racontent que, lorsque furent introduits les premiers classements des écoles de droit par l’USN, certains doyens tentèrent de les boycotter en ne transmettant pas les informations requises. Mais cela échoua parce que la plupart des écoles avaient répondu au questionnaire, tandis que les quelques-unes qui ne l’avaient pas fait furent notées sur la base d’estimations plutôt défavorables, voire directement sanctionnées. Dans le cas du Collectif, la rétention d’information se traduisait aussi par une note sanction. Pour le classement de 2002, un « coefficient transparence » (coefficient multiplicateur de 0 pour « aucune transparence », 0,5 pour une « transparence partielle », et 1 pour une démarche « transparente ») était déjà appliqué à chacune des notes (engagements, mise en œuvre, évolution depuis 2001). Pour le baromètre de 2004, le procédé était différent : outre la note de « transparence », toute information manquante était sanctionnée par un 0 à la question correspondante. Cela n’a pourtant pas suffi à contrer la défense des entreprises. Et cela pour deux raisons : tout d’abord, la plupart des enseignes notées appartenaient à l’ICS, ce qui permit de neutraliser la tentation de certains de « jouer le jeu » du carnet de notes (la rétention d’information était pratiquée à l’identique par tous) ; ensuite, les enseignes de l’ICS n’ont pas systématiquement refusé de donner les informations, elles ont donné des informations communes, que le Collectif ne pouvait ignorer mais qui ne lui permettait pas de les différencier. Ainsi, pour toutes les questions qu’il ne pouvait renseigner, et pour toutes celles dont il jugeait l’information « insatisfaisante », le Collectif indiquait « n. a. » (non accessible, après demande explicite à l’entreprise) ou « n. r. » (non renseigné).
52La situation était très problématique. Non pas du fait des entreprises qui ne répondaient à aucune question ou presque : lorsqu’elles apparaissent dans le baromètre final, ces entreprises sont tout simplement en bas de classement (cf. 3 Suisses, Cora, Système U) Le problème majeur que rencontrait le Collectif venait plutôt du fait que certaines informations n’étaient renseignées pour quasiment aucune entreprise. Si l’on considère uniquement les dix-neuf entreprises présentes dans le classement final, on constate que pour un tiers des questions (29/83), il y a moins d’un tiers d’informations renseignées (moins de 6 enseignes). Et moins d’un tiers des questions seulement (26/83) est renseigné pour plus de deux tiers des enseignes (plus de 13 enseignes).
53Les membres du Copil avaient toute conscience du problème. Ainsi une représentante d’une ONG membre du Collectif s’interrogeait : « si on fait reposer uniquement notre carnet de notes sur les informations qu’on trouve sur les sites internet des boîtes, si elles ne répondent plus à nos questionnaires on a l’air de quoi ? ». Bien que manquant de beaucoup d’informations, le Collectif publia néanmoins un ultime baromètre en 2004. Pour certains, le fait que le classement propose une appréciation « grossière » des entreprises et non plus une note précise (comme celui de 2002) permettait de réduire le ridicule qu’il y avait à faire des distinctions fines sur la base d’informations très lacunaires. Mais le problème n’était nullement résolu. Le baromètre de 2004 marqua donc le baroud d’honneur de l’activité d’évaluation du Collectif : acculés à l’échec et divisés sur la solution à adopter, les membres du comité de pilotage s’accordèrent ensuite pour abandonner l’outil.
Le Collectif à l’épreuve de son dispositif de jugement
54Déjà lors des premières éditions du carnet de notes, le Collectif a eu un rapport ambivalent à son propre outil. Par exemple, on aurait pu s’attendre à ce que les membres du comité de pilotage du Collectif se réjouissent de la façon dont les consom’acteurs se saisissaient de l’outil pour faire jouer la concurrence entre les entreprises. En réalité, ils ont vu cette façon de procéder comme un effet pervers du carnet de notes :
« En fait, on a joué au début sur la concurrence, justement à travers le carnet de notes qui était quand même… Mais on s’est un peu fait prendre à ce jeu-là. […] Grosso modo on a lu dans plein d’articles “ah, c’est Carrefour (ou je ne sais plus qui) qui est no 1, allez-y”, c’est un peu schématique et c’est… Ça nous a quand même posé des questions. »
Représentant de Peuples Solidaires au Copil, entretien du 20 octobre 2005.
55Ils avaient créé un classement des entreprises mais refusaient qu’il joue comme outil de différenciation positive. En fait, la mise en lumière de ce hiatus entre la conception de l’outil par le Copil et sa réception par les consom’acteurs masque un conflit plus profond, qui s’est déployé au sein même du Copil, entre deux logiques concurrentes. L’ancien coordinateur du Collectif résume ainsi le clivage :
« Le dernier carnet de notes [le troisième, celui de 2002] a été la cristallisation des contradictions qui pouvaient exister dans le Collectif, entre le verre à moitié plein ou à moitié vide, comment est-ce qu’on regarde les efforts des entreprises. Globalement, on était tous très critiques, seulement comment est-ce qu’on voulait le communiquer ? Est-ce qu’on voulait vraiment mettre 0 à tout le monde ? Ou montrer qu’il y avait quand même des distinctions et que certains étaient… Ne serait-ce que mettre entre 5 et 10 à des entreprises ou les mettre toutes entre 0 et 3, ça change beaucoup la communication. Donc il y a eu un débat là-dessus. »
Ancien coordinateur du Collectif, entretien du 21 septembre 2005.
56« Globalement, on était tous très critiques […] Est-ce qu’on voulait vraiment mettre 0 à tout le monde ? » Là se trouve le point de départ de la controverse : le sentiment communément partagé de la médiocrité des engagements pris par les entreprises, mais un questionnement quant à la pertinence du regroupement de toutes les enseignes dans une même catégorie. Deux logiques s’opposent. Dans la première logique, le jugement d’une entité est opéré par rapport à un référentiel, indépendamment du résultat des autres ; et pour ceux qui voulaient « mettre zéro à tout le monde », seule comptait la sanction d’une médiocrité considérée comme communément partagée parmi les entreprises. Dans la seconde logique, l’objectif du jugement est la différenciation. C’est la logique du « dispositif disciplinaire » chez Foucault (1975, p. 213-216), qui consiste à ordonner des classes d’individus pour engendrer, par le double levier de la gratification-sanction, une normalisation des comportements. Le Collectif était tiraillé entre ces deux grandes orientations, le souci de condamner toutes les entreprises et celui de faire fonctionner un système de gratification-sanction qui permette une dynamique de progrès.
57Certaines associations souhaitaient avant tout rendre compte de la médiocrité des entreprises. Au sein du comité de pilotage, c’est Artisans du Monde qui défendait la position de la note sanction. Défavorable à la mise en œuvre de quelque gratification que ce soit vis-à-vis d’entreprises qu’elle estimait toutes irresponsables, l’organisation de commerce équitable avait accepté le principe du carnet de notes, mais à condition que le positionnement des entreprises sur l’échelle de notes permette de dénoncer y compris les mieux notées. Les deux premiers carnets de notes étaient à cet égard jugés « trop gentils » (plusieurs entreprises obtenaient un 3/5) :
« On avait trouvé un peu un entre-deux entre ceux qui disaient […] “il faut mettre en valeur ceux qui font des choses” […] et nous qui avions aussi envie de dénoncer et de dire ce qu’ils faisaient pas… C’était une façon de mettre en valeur tout ça. Mais en même temps, depuis le début on a été trop gentils sur la notation, on pouvait penser que c’était pas trop dramatique alors qu’il y a vraiment des situations dramatiques dans le Sud. En tous cas, nous on a toujours pensé qu’on était pas assez méchants. »
Représentante d’Artisans du Monde au Copil, entretien du 12 octobre 2005.
58En 2002, pour le troisième carnet de notes, Artisans du Monde a eu gain de cause en obtenant que soit modifiée l’échelle de notation (initialement sur 5, elle était désormais sur 20). En principe, il n’y a pas de relation nécessaire entre le format d’une note (sur 20 plutôt que sur 5) et la répartition des entités sur l’échelle de notes. Mais il apparaît clairement que, dans le cas du Collectif, l’affinement de la notation (passée de 6 modalités à 101 modalités, puisque les notes sur 20 incluaient une décimale) a conduit à un abaissement considérable des notes (la forme des histogrammes des notes en atteste, cf. graphiques, p. 95). Un salarié du Collectif le souligne, la baisse des notes des enseignes est un artefact découplé de la performance réelle des enseignes :
« À partir du moment où on a fait le constat que la mise en place d’un label social serait difficile, Artisans du Monde s’est quand même un peu démobilisé par rapport à cette activité de construction pour recommander qu’on fasse plus d’efforts sur la dénonciation. C’est pour ça qu’ils se sont battus pour durcir le carnet de notes, etc., faire un carnet de notes de plus en plus sévère, alors que la collecte montrait qu’un certain nombre de ces entreprises creusaient plus profond pour mettre en place ces choses. Il y avait une volonté explicite de dire “le système de notation doit être plus sévère chaque année, il faut être de plus en plus dur”, une volonté de monter en dénonciation qui n’était pas la logique du consensus de départ. »
Salarié 3 du secrétariat, entretien du 24 octobre 2005.
59À l’aune de la réaction des entreprises après le troisième carnet de notes, les associations favorables à une notation qui permette une logique de gratification-sanction, et en particulier la CFDT, ont clairement exprimé leur désapprobation vis-à-vis de la stratégie qui avait été adoptée. L’un d’eux nous confiait :
« On est dans un schéma de stigmatisation. Le terme est fort, mais c’est plus que de la dénonciation : on montre du doigt les bons et les mauvais élèves. Et comme des bons il y en a pas (dans le baromètre, tout le monde, sur 20, était autour de 5 ou 6, les meilleurs étaient à 7), quand les entreprises ont vu ça, elles ont dit “nous on ferme les écoutilles”. On a jeté aussi les entreprises dans les bras des autres, par des attitudes comme ça. »
Représentant 2 de la CFDT au Copil, entretien du 15 septembre 2005.
60Le conflit s’envenima entre, d’un côté, ceux qui mettaient en avant la note comme « artefact » et l’erreur stratégique et, de l’autre, ceux qui faisaient valoir la « vérité » de la note et considéraient que toute posture favorable à un échelonnement des notes relevait de la compromission (« Il n’y a pas à lever le pied ou à être sévère, il faut dire ce qui est. Le problème c’est ceux qui voulaient ménager la susceptibilité des entreprises. ») Et si les premiers avaient pu imaginer le recours à un nouveau carnet de notes, mieux fait (le pôle « réformiste » développait à cet égard une critique « réformiste » de l’outil), les seconds se satisfaisaient pleinement de la disparition d’un instrument qui, de toute évidence, leur paraissait inadapté pour conduire leur action (les « radicaux » l’étaient aussi dans leur critique de l’outil). Ces derniers proposaient au contraire le retour à une action en force contre des entreprises sans considération de leur performance sociale relative. Outre ce dissensus interne, le Collectif se trouva alors en butte à des tracasseries financières, car il n’obtint pas les subventions publiques sur lesquelles il comptait pour poursuivre ses actions. Fin 2005, le Collectif licencia donc l’ensemble de l’équipe salariée et se mit en sommeil19.
Conclusion
61L’histoire du Collectif comme « prescripteur de jugement » éclaire deux approches différentes de la responsabilisation sociale des entreprises par la mise au jour de deux conceptions de la sanction. Au cœur de la controverse, le bien-fondé d’un recours à des sanctions positives.
62Tous les membres du Collectif se sont accordés sur un point : la mise en place d’un label paraissait contre-productive. Outre les différentes difficultés présentées en début de chapitre, cette mise en place risquait de faire paraître comme facultatif aux yeux des entreprises ce qui, pour le Collectif, était une obligation. Le classement redéfinissait un peu les termes du débat. Mais on a vu s’opposer deux camps : les radicaux refusant de récompenser certaines enseignes pour leur « moindre médiocrité » ; les réformistes proposant de jouer sur la différenciation (et sur l’usage conjoint d’une gratification relative des moins mauvais et d’une condamnation accrue des plus mauvais) pour créer un effet d’entraînement. Ce dissensus et, plus encore, l’impossibilité pratique de produire de nouveaux classements, ont eu raison de la carrière du Collectif comme prescripteur de jugement.
63Pour autant, l’abandon d’une action militante en raison d’un différend stratégique, et même d’un constat d’échec, ne signifie pas que celle-ci n’a pas eu d’effet. Et si la démarche du Collectif n’a pas eu les résultats escomptés par ses membres, il n’en demeure pas moins qu’elle a contribué à ce que les entreprises commencent à se préoccuper de la qualité sociale de leurs filières d’approvisionnement, et à mettre en œuvre des actions pour répondre aux demandes qui leur étaient adressées par le biais des cartes postales et des carnets de notes. En attestent les courriers étudiés au chapitre ii et la création de l’ICS observée dans le chapitre iii. Le Collectif a fait montre d’un grand scepticisme vis-à-vis de ces actions, derrière lesquelles il ne pouvait s’empêcher de percevoir le risque d’un vaste « sweatwashing ». C’est à ce stade que nous quittons le versant militant pour justement aller voir de plus près les actions des entreprises.
Notes de bas de page
1 Représentant 1 du CCFD au Copil, entretien du 19 septembre 2005.
2 Salarié 3 du secrétariat, entretien du 24 octobre 2005.
3 La grandeur civique est caractérisée par la capacité d’un être à laisser de côté ses soucis et les intérêts qui sont les siens, pour se tourner vers le bien commun (Boltanski et Thévenot, 1991, p 141)
4 Auchan, Carrefour, Casino, Cora, Intermarché, E. Leclerc, Promodès (Continent…), Courir, Décathlon, Go Sport, Intersport, Sport 2000, Système U, Technicien du sport.
5 Carrefour, Auchan, Monoprix, Casino, Cora, E. Leclerc, Intermarché, Système U, Intersport, Enseignes de la FPS (Fédération professionnelle des entreprises du sport et des loisirs : Décathlon, Go Sport, Sport 2000, technicien du sport), Joué Club, La Grande Récré, Toys’R’Us ; Courir et Promodès ne sont plus dans le classement.
6 Carrefour, Auchan, Casino, Cora, Monoprix, Système U, E. Leclerc, Intermarché, JouéClub, Toys’R’Us, La Grande Récré, Décathlon, Go Sport, Intersport, Twinner (ex-Technicien du sport), Sport 2000, La Redoute, 3 Suisses, Camif.
7 Carrefour, Casino, Intermarché/Les Mousquetaires, Auchan, Monoprix, Système U, Cora, E. Leclerc, Décathlon, Go Sport, Twinner, Intersport, Sport 2000, La Camif, La Redoute, 3 Suisses, Nike, Adidas, Reebok.
8 Communiqué de presse du Collectif, 15 mai 2000, p. 8.
9 Représentant 2 du CCFD au Copil, entretien du 25 octobre 2005.
10 Nous avons retiré les fautes d’orthographe de ces mails. Certes elles renseignent un peu sur le profil des militants, mais comme nous disposons de peu d’informations pour traiter sérieusement cet aspect, nous l’avons laissé de côté et avons privilégié l’intelligibilité des propos tenus.
11 Remarque : L’article de Michel-Édouard Leclerc, publié en 2006, évoque le baromètre que le Collectif avait sorti en 2004. On le voit, l’énervement des responsables d’enseignes ne se manifeste pas seulement au moment de la publication du classement mais peut être ranimé bien longtemps après.
12 Et si trois enseignes sortaient du lot dans le dernier baromètre (en obtenant chacune la note maximale de 18/18), c’était bien le résultat d’une stratégie du Collectif : en allant chercher ces trois enseignes américaines (les seules parmi l’ensemble des enseignes à être des fabricants et non des simples distributeurs), et en montrant qu’elles répondaient parfaitement à ses exigences, il pensait pouvoir montrer que les mauvaises notes des enseignes françaises n’étaient pas une fatalité.
13 Responsable « développement durable » d’une enseigne, entretien du 17 février 2006.
14 Responsable « qualité sociale » pour une enseigne de la grande distribution, entretien du 9 juin 2005.
15 Article publié sur le site de Novethic le 24 septembre 2001.
16 Responsable « qualité sociale » d’une enseigne, entretien du 9 juin 2005.
17 Responsable « achats » d’une seconde enseigne, entretien du 20 septembre 2005.
18 Responsable « communication » d’une troisième enseigne, entretien du 17 juin 2005.
19 Il se relancera ensuite en 2007, en se consistuant en association (loi 1901) autour d’une nouvelle coordinatrice et avec de nouveaux modes d’action.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'école et ses stratèges
Les pratiques éducatives des nouvelles classes supérieures
Philippe Gombert
2012
Le passage à l'écriture
Mutation culturelle et devenir des savoirs dans une société de l'oralité
Geoffroy A. Dominique Botoyiyê
2010
Actualité de Basil Bernstein
Savoir, pédagogie et société
Daniel Frandji et Philippe Vitale (dir.)
2008
Les étudiants en France
Histoire et sociologie d'une nouvelle jeunesse
Louis Gruel, Olivier Galland et Guillaume Houzel (dir.)
2009
Les classes populaires à l'école
La rencontre ambivalente entre deux cultures à légitimité inégale
Christophe Delay
2011