Introduction

1La grammaire associative du care dévoilée dans la partie précédente apparaît tant comme le produit de structures sociales inégalitaires que comme un moteur d’agency pour les aidantes et les usagères. En effet, la prise en soin sensible développée au sein des associations, et notamment le processus de reconnaissance intersubjective (Honneth, 2000) qui soutient l’existence des collectifs, dote les femmes des ressources matérielles et symboliques nécessaires au (re)déploiement de leurs capacités d’agir.

2Investissant la « situation minoritaire » (Simon, 1996) à laquelle elles sont assignées en France, les femmes déploient une forme d’agir minoritaire depuis l’espace associatif du VIH. Nous entendons par agir minoritaire l’ensemble des « tactiques » (Certeau, 1990) imaginées par les personnes appartenant aux groupes minoritaires – autrement qualifiées « d’acteurs faibles » (Payet, Giuliani et Laforgue, 2008) – afin de négocier les assignations dont elles sont l’objet et de s’ériger comme sujets de leur existence. Cet agir minoritaire intervient lorsque des individus se trouvent aux prises de relations asymétriques avec des institutions et sont dans l’impossibilité d’émettre une voix audible qui puisse transformer en profondeur la dimension inégalitaire des rapports sociaux. L’agir minoritaire fait en ce sens écho à ce que M. Foucault (1999a) nomme le paradoxe de la subjectivation, dans la mesure où les conditions qui assignent les femmes immigrantes à un statut minoritaire sont aussi le moyen par lequel elles s’érigent comme sujet agissant (Butler, 2009). L’agency des femmes immigrantes dans le contexte associatif du VIH émerge non pas simplement comme une forme de résistance aux rapports de domination mais bien comme « un produit de rapports de subjectivation spécifiques » (Mahmood, 2009, p. 37). En ce sens, l’agir minoritaire comme « art du faible » (Certeau, 1990) passe d’abord, au même titre que l’« agir faible », par une action symbolique sur la définition de la situation, la construction d’une réflexivité au cœur de la production de ressources (Soulet, 2003). Néanmoins, l’agir minoritaire, à la différence de l’« agir faible », suppose l’inscription de l’individu au sein d’un collectif qui le reconnaît comme appartenant à un monde commun, activant par-là la conscience des ressources personnelles dont il dispose pour agir sur ces assignations minoritaires.

3 Afin de rendre compte de l’écho de ces voix minoritaires, les trois chapitres qui suivent décrivent le déploiement de cet agir minoritaire dans différentes sphères de la vie des femmes. Ces chapitres examinent non seulement la manière dont les normes sont resignifiées et subverties, mais également les multiples façons dont elles sont mises en acte, habitées et vécues (Mahmood, 2009, p. 43-44) par les femmes qui fréquentent les associations communautaires de lutte contre le VIH. Le chapitre v souligne comment ces femmes se saisissent de l’espace associatif pour négocier les modalités de leur insertion sociale et professionnelle en France. Dans cette continuité, le chapitre vi présente la manière dont elles investissent les espaces de représentation ouverts par la cause du VIH afin d’agir sur les assignations minoritaires dont elles sont l’objet et de défendre collectivement leurs intérêts. Le chapitre vii analyse pour terminer les effets genrés du positionnement des femmes au sein des associations communautaires.