Chapitre I. L’artisan, un travailleur indépendant
p. 19-34
Texte intégral
Le travail indépendant, miroir du salariat
1L’évolution historique des rapports entre indépendance et salariat explique pourquoi le travail indépendant, qui apparaissait comme une forme d’emploi marginale dans la société des Trente Glorieuses, est perçu comme un révélateur des transformations du travail contemporain en ce début de xxie siècle. Ce survol historique est aussi l’occasion de distinguer deux moments clés qui ont eu une influence notable sur la différenciation des conditions de travail entre indépendants et salariés, à savoir la loi sur les accidents de travail de 1898 et l’instauration de la sécurité sociale en 1946.
Place des indépendants dans la société salariale
2Au fil des xixe et xxe siècles, le salariat est devenu la norme à partir de laquelle le travail a été encadré et pensé. Ainsi, l’instauration progressive de la société salariale a réduit l’indépendance à un statut marginal défini par le terme négatif de « non salarié ».
3Pendant l’époque préindustrielle, le travail non salarié est la forme majoritaire de travail, alors que le salariat représente une forme de travail précaire, socialement dévalorisée et considérée comme dégradante (Castel, 1995). Au cours du xixe siècle, la proportion entre salariat et non-salariat s’inverse lentement, notamment à cause du développement du salariat ouvrier dans l’industrie (Marchand, 1998). Dans l’entre-deux-guerres, la population active est déjà composée aux deux tiers de salariés. Après la Seconde Guerre mondiale, la baisse rapide du nombre d’exploitants agricoles et d’artisans réduit le nombre de non-salariés, alors que l’augmentation du nombre de salariés est portée par le développement des catégories d’employés, de cadres et de professions intermédiaires et, dans un deuxième temps, par l’accès des femmes au travail salarié. Néanmoins, la baisse continue de la part de non-salariés dans la population active résulte de tendances parfois contradictoires. Si le secteur agricole continue à perdre de la main-d’œuvre jusqu’à aujourd’hui, la proportion de non-salariés se stabilise aux alentours de 10 % dans la population active non agricole dès la fin des années 1970.
4L’examen des données chiffrées qui précèdent montre qu’au fil des xixe et xxe siècles, le salariat devient majoritaire alors que l’indépendance occupe une place de plus en plus marginale. Cette transformation s’accompagne d’une évolution dans la façon dont les pouvoirs publics encadrent le travail. Une étape importante consiste en la mise en place d’une législation visant à protéger les salariés des atteintes à la santé occasionnées par le travail, étant entendu qu’ils n’en sont pas tenus pour responsables dans la mesure où ils exécutent les directives d’un employeur auquel ils sont soumis par un lien de subordination. La loi de 1898 sur les accidents du travail est un jalon important qui se poursuit avec l’élaboration du Code du travail au début du xxe siècle.
5Le déséquilibre numérique et le décalage législatif se renforcent après la Seconde Guerre mondiale, période où le salariat se généralise et devient la norme à partir de laquelle la société organise et pense le travail. L’instauration de la Sécurité sociale est un moment décisif dans la naissance de la « société salariale ». Le clivage qui s’installe entre les salariés, qui adhèrent à ce régime social, et les non-salariés, qui le refusent, s’installe durablement. Ainsi, pendant la période de prospérité des Trente Glorieuses, le statut de salarié offre, outre la stabilité de l’emploi, des avantages garantis par l’État social dans une logique keynésienne, tels que la couverture contre les risques de maladies professionnelles, d’accidents de travail et de chômage. Le salariat est au centre du développement de la société dite des « Trente Glorieuses », dans laquelle existe « une puissante synergie entre la croissance économique avec son corollaire, le quasi-plein-emploi, et le développement des droits du travail et de la protection sociale » (Castel, 1995 : 619). Dans ce contexte, le salaire n’est pas seulement la contrepartie du travail fourni, il est aussi « le sésame qui ouvre l’accès à la protection sociale » (D’Amours, 2006 : 7).
6Le processus d’instauration de la société salariale établit en creux une « condition de l’indépendant » qui se caractérise par un double déficit, c’est-à-dire du point de vue de la protection sociale et des règlements qui encadrent les conditions de travail. Ces deux critères définissent une condition non salariale basée sur l’incertitude, une protection sociale obligatoire minimum1 et des conditions de travail peu réglementées. On comprend que durant les Trente Glorieuses, le travail non salarié apparaisse comme la survivance d’une époque révolue.
La société salariale fragilisée
7En 1973, le premier choc pétrolier fragilise l’économie française. De nouvelles formes de travail, comme l’intérim, la sous-traitance et l’externalisation des tâches, remettent en question le modèle dominant du contrat de travail salarié à durée indéterminée assorti de protections sociales. Après 1975, la part de CDI dans la population active commence à diminuer (Castel, 1995 : 646) et les formes d’emplois dites « atypiques » se développent (contrat à durée déterminée, interim, temps partiel ou encore « emplois aidés »). Dans un contexte de crise économique et de chômage structurel, la manière dont la société organise le travail est remise en cause.
8Contrairement aux prévisions, le travail indépendant ne disparaît pas. Désormais classé parmi les formes de travail « atypique », il n’est plus synonyme d’un passé révolu. Au contraire, il est perçu par les pouvoirs publics comme un gisement d’emplois et une solution au chômage. À partir de 1977, des dispositifs de soutien à la création d’entreprise sont instaurés2. Les moyens sont principalement concentrés sur la remise au travail des chômeurs, à tel point que le statut de chômeur finit presque par devenir un passage obligé pour créer une entreprise.
9Dans les années 1980, la figure du travailleur indépendant, chef d’entreprise « risquophile » et entreprenant, est érigée en nouveau modèle alors que la stabilité du CDI et les acquis sociaux sont stigmatisés en tant qu’obstacles au libre jeu du marché et de la concurrence. On passe ainsi du travailleur indépendant comme symbole du conservatisme petit bourgeois poujadiste, à la figure du chef d’entreprise, conçu avant tout comme un employeur qui crée à partir de sa propre activité du travail salarié pour autrui. En effet, même si la création d’entreprise a souvent pour objectif de créer un seul emploi (celui du créateur d’entreprise), le discours dominant ne différencie pas auto-emploi et entrepreneuriat. Toute création d’entreprise, si modeste soit-elle, est assimilée au premier stade de développement d’une entreprise qui est amenée à grandir et à créer des emplois salariés.
L’indépendance comme « révélateur des mutations du travail »
10Durant les années 1990 et 2000, la flexibilisation du marché du travail progresse. Les travaux à faible valeur ajoutée, souvent associés à de mauvaises conditions de travail, sont rejetés à la périphérie du marché du travail (Durand, 2004). L’indépendance contribue à ce phénomène d’effritement de la cohésion sociale par le biais du travail en sous-traitance (Desmarez, 2001).
11Dans l’ensemble, la part de non-salariés est en augmentation constante depuis 2004 et représente 10,3 % de la population active en 2014, soit une augmentation de 1,3 % en 10 ans (Insee, estimations d’emploi).
12Des formes hybrides d’emploi se développent à la frontière entre salariat et indépendance, comme le portage salarial ou les coopératives d’activités et d’emploi (CAE). D’autre part, le fonctionnement du travail salarié par projets et l’individualisation de son évaluation poussent chacun à se comporter comme un travailleur indépendant, responsable de son attractivité sur le marché de l’emploi.
13En 2009, la mise en place du statut d’auto-entrepreneur consacre une nouvelle manière d’envisager le travail indépendant. Désormais, l’entrepreneuriat ne s’adresse plus aux seuls « chefs d’entreprise » futurs employeurs. L’entrepreneuriat se veut populaire et accessible à tous, qu’on soit étudiant, actif, retraité ou, bien sûr, chômeur. Chacun est désormais invité à devenir « entrepreneur de lui-même » (Levratto et Serverin, 2009).
14Dans ce climat d’instabilité de l’emploi, les critères qui fondent l’opposition entre travail salarié et indépendance perdent de leur pertinence. Mais, proclamer que l’indépendant est le travailleur du futur n’a pas plus de chance d’être vrai que lorsqu’on annonçait sa disparition prochaine dans les années 1950. Au rêve d’une société salariale universelle succède parfois la vision de la société salariale comme une parenthèse dans un contexte d’opulence, et qu’il faudrait aujourd’hui refermer. Mieux vaut éviter les prédictions hasardeuses et constater une coexistence des deux formes de travail dont les rapports varient historiquement avec, aujourd’hui, de fortes interpénétrations entre les deux univers.
15Néanmoins, le travail indépendant révèle bien certains changements qui sont en cours, comme le souligne Martine D’Amours à propos des indépendants québécois :
« Ce qui rend [les travailleurs indépendants] si intéressants à étudier, c’est que leurs caractéristiques – qu’il s’agisse de l’autonomie au travail, du partage du risque par le travailleur, de la perte d’efficacité des régulations collectives, ou de l’injonction faite à l’individu de gérer sa carrière, son “employabilité”, sa retraite – deviennent le fait d’une portion grandissante de la main-d’œuvre, ce qui nous incite à le considérer comme un observatoire des transformations du travail »
D’Amours, 2006 : 30.
16On peut donc espérer que certaines conclusions de la présente étude puissent s’étendre au travail en général, qu’il soit salarié ou indépendant. Par contre, on cherchera à éviter le piège qui consisterait à traiter l’indépendance comme une forme dégradée de travail et à discourir par ce biais sur les mérites supposés du salariat. En un mot, il s’agira de parler du travail indépendant pour lui-même en étudiant un des sous-groupes qui le constituent : l’artisanat.
L’artisanat, un groupe à la définition changeante
17Globalement, l’artisanat a suivi l’évolution générale du travail indépendant qui vient d’être décrite. Par ailleurs, il a une histoire singulière faite de fortes tensions entre ses diverses composantes. Les luttes internes au groupe des artisans ont concerné, entre autres choses, la question de sa définition. Si l’on veut pouvoir enquêter sur les artisans, il est indispensable de répondre à cette question.
18En tant que groupe social institutionnalisé, l’artisanat a vu sa définition varier constamment et on ne peut pas se contenter d’un usage naïf des catégories administratives qui le naturaliserait. Un détour par l’histoire des institutions de l’artisanat aidera à comprendre comment plusieurs définitions concurrentes se sont affrontées, et à questionner leur validité. La prise en compte de la stratification sociale interne du groupe apporte un éclairage pour comprendre quelle fraction du groupe détient aujourd’hui la légitimité de la représentation et de sa définition. Il n’est pas question ici d’approfondir les recherches qui ont été menées par ailleurs sur la construction et l’organisation de l’artisanat au xxe siècle3, mais plutôt de pointer quelques faits saillants pour construire le propos.
Stratification sociale interne
19Comme le remarque Bernard Zarca (1985), la définition de l’artisanat résulte d’un rapport de force entre ses différentes composantes.
« Les luttes pour la bonne définition sont très probablement une constante des mécanismes de formation des groupes sociaux, vu qu’à cette échelle se font jour des hétérogénéités négligeables à une échelle supérieure et que le positionnement de la frontière que chacun cherche à justifier par l’élaboration d’une sociologie performative est le résultat – en cela arbitraire – de rapports de forces recouvrant des intérêts divergents, que ces intérêts soient ceux de la base ou qu’ils soient ceux, spécifiques, mais jamais indépendants des précédents, des représentants. Ces derniers disent à la base qui elle est – et par là même travaillent pour elle – mais de manière à conforter leur propre position de représentant en quête de nouveaux mandants »
Zarca, 1985 : 12.
20Les travaux des sociologues indiquent que les représentants d’un groupe professionnel sont recrutés dans sa fraction dominante. De plus, Sylvain Maresca montre pour le cas des agriculteurs que leurs représentants ont une attitude ambiguë, à la fois dévouée et intéressée. Ils défendent un certain type d’agriculteur, qui est celui auquel ils correspondent eux-mêmes, « l’intérêt des dirigeants pour la paysannerie est dépendant de leur préoccupation d’imposer une définition du paysan conforme à celle qu’ils incarnent eux-mêmes » (1981 : 18).
21Le constat s’applique aussi à l’artisanat. Si on observe l’évolution de sa définition, on voit qu’elle reflète les changements qui surviennent dans les rapports de force entre ses composantes. À chaque époque, la définition de l’artisanat est tributaire des élites qui le représentent et des attentes des pouvoirs publics à son égard.
22Les premières lois relatives à l’artisanat qui ont été instaurées dans l’entre-deux-guerres ont donné à l’artisanat une définition d’inspiration proudhonienne. L’artisan est ainsi défini comme un travailleur exerçant un métier manuel et vivant de la vente de ce qu’il produit, ceci sans être subordonné à un employeur4. La loi de 1923 divise le groupe en trois – petits, moyens et gros artisans – selon le nombre de salariés que l’artisan emploie. Elle réserve une fiscalité plus favorable aux petits en créant pour eux le statut d’« artisan fiscal ». Est considéré comme artisan fiscal celui qui n’emploie, outre ses enfants ou parents, qu’un salarié et un apprenti de moins de 18 ans. Ce statut assimile les artisans à des salariés du point de vue fiscal5. La catégorie des artisans est scindée en trois pour réduire le poids de la fiscalité sur ceux qui ne détiennent pas de capital économique important ni ne tirent profit du travail d’autrui.
23Cette définition témoigne d’un rapport de force qui existe à l’époque entre les deux tendances antagonistes qui représentent l’artisanat, à savoir la Confédération générale de l’artisanat français (CGAF) qui domine le paysage, et la chambre de métiers d’Alsace, futur Comité d’entente et d’action artisanale (CEAA) qui se constituera en rassemblant autour de lui les groupements d’artisans dissidents de la CGAF.
24Plusieurs questions opposent les deux tendances6, mais celle qui cristallise le plus les tensions concerne la définition du nombre maximum de salariés qu’un artisan peut employer (Zarca, 1985 : 11). La CGAF cherche à limiter ce nombre de telle manière que l’employeur dirige une structure de petite taille dans laquelle il a concrètement partie prenante dans la production. Dans son approche syndicale et classiste, la CGAF conçoit l’artisan comme un membre de la classe sociale laborieuse, aux conditions de travail proches de celles des ouvriers puisque l’employeur évolue dans le même environnement de travail que ses salariés. Quant aux gros employeurs de l’artisanat, ils relèvent dans cette optique de la petite industrie.
25Issue du modèle allemand qui ne limite pas le nombre de salariés dans l’artisanat7, la chambre des métiers d’Alsace souhaite autoriser des employeurs de plusieurs dizaines d’ouvriers à demeurer dans l’artisanat. De son point de vue, la pratique commune d’un métier crée un lien entre les petits indépendants, les petits employeurs et les petits industriels. Dans cette optique corporatiste, il existe une continuité, une possibilité d’ascension sociale, qui justifie de les regrouper dans l’artisanat.
26L’enjeu politique recoupe des intérêts économiques puisque la CGAF regroupe plutôt des métiers pratiqués par de petits indépendants, comme le syndicat professionnel de la chaussure dont elle est issue, alors que certains élus de la chambre des métiers d’Alsace emploient plus de cent salariés.
27Les soutiens parlementaires dont dispose la CGAF lui permettent d’imposer son point de vue. Le nombre maximum de salariés est fixé à dix en 1934, puis réduit à cinq en 1938. Ainsi, la taille de l’entreprise artisanale est définie de telle manière que l’employeur participe à la production, ce qui définit une population relativement homogène du point de vue des conditions de travail. À cette époque, tous ceux qui sont définis comme artisans sont des travailleurs manuels indépendants non capitalistes et propriétaires de leurs moyens de production. Le nombre de salariés qu’ils sont autorisés à employer n’est pas suffisant pour les soustraire entièrement au travail de production, ils restent avant tout des hommes de métier. Ils sont partie intégrante du collectif de travail sur le chantier ou dans l’atelier.
28La Seconde Guerre mondiale et les compromissions qu’engendre l’Occupation affaiblissent les organisations de l’artisanat. Dans l’après-guerre, elles perdent leurs soutiens politiques. Considéré comme une forme de travail archaïque appelée à disparaître, l’artisanat est laissé en marge des programmes de relance de l’économie, tels que ceux mis en place par le commissariat général au Plan. Mal équipé, l’artisanat ne bénéficie pas de la reprise économique (Perrin, 2007). L’artisanat est en pleine débâcle, les effectifs sont en baisse. À partir de 1953, un mouvement politique aux accents antidémocratiques mené par Pierre Poujade, l’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA), rassemble les laissés-pour-compte du progrès dans une révolte souvent violente contre la fiscalité. Son succès aux élections de 1956 reste sans lendemain car le mouvement ne parvient pas à devenir une organisation politique structurée et efficace (Collovald, 1989). Cet épisode discrédite pour longtemps toute revendication des artisans auprès des pouvoirs publics.
29Dans un souci de modernisation de l’économie, une commission de l’artisanat est intégrée au commissariat général au Plan en 1956. Du point de vue économique, l’artisanat apparaît désormais comme un complément nécessaire au développement de l’agriculture et de l’industrie. Il s’agit dès lors d’adapter et de faire participer l’artisanat au progrès économique (Perrin, 2007).
30La nouvelle commission engage des discussions avec l’Assemblée des présidents des chambres de métiers (APCM), laquelle adhère plutôt aux thèses du CEAA et se montre favorable à l’assouplissement de la définition légale du seuil des cinq salariés. Cette limite est perçue comme un frein à l’évolution et à la croissance des entreprises en même temps qu’une distorsion de concurrence qui privilégie les artisans les moins méritants et les plus archaïques.
Élargissement des frontières du groupe par le haut
31Une refonte du régime artisanal est menée en 1962 avec la création du « secteur des métiers » dont l’idée générale consiste à définir l’artisanat en considérant les entreprises et non plus les individus (Zdatny, 1999 : 328). Au nom de la liberté d’entreprendre, le décret facilite l’accès à l’artisanat puisque chacun peut désormais diriger une entreprise artisanale sans détenir de qualification professionnelle, laquelle est dès lors dissociée de la fonction de chef d’entreprise. Désormais, une activité requiert d’être immatriculée à la chambre de métiers si elle figure dans une liste établie par décret et qui comprend quatre secteurs : le bâtiment, les services, l’alimentation et la fabrication.
32En ce qui concerne la taille maximale de l’entreprise, le seuil des cinq salariés est confirmé malgré les demandes de l’APCM (Perrin, 2007 : 320). On peut s’interroger avec Perrin sur la représentativité de ce point de vue et la motivation de ceux qui le défendent.
« [Les dirigeants de syndicats d’artisans et les présidents des chambres de métiers] se distinguent de la majorité des artisans qu’ils représentent. Un artisan qui n’a pas ou peu de salariés doit effectivement participer au travail et ne dispose pas du temps nécessaire pour assumer des responsabilités extérieures, telle celle de président d’une chambre des métiers. En réalité, ces présidents sont des entrepreneurs qui ont suffisamment de personnel pour que leur entreprise puisse fonctionner en leur absence. Ils s’éloignent donc de la définition de l’artisan, qui suppose une participation effective et habituelle au travail, et sont en réalité de petits capitalistes. Ils sont donc plus sensibles que les autres aux arguments “capitalistes”. En outre, ayant plus de salariés, leurs entreprises sont souvent à la limite du seuil légal. Ils ont donc personnellement intérêt au relèvement de ce seuil pour ne pas sortir de l’artisanat et perdre de facto leur fauteuil de dirigeants »
Perrin, 2007 : 320.
33Le seuil des cinq salariés est malgré tout assoupli en autorisant les entreprises qui le dépassent légèrement à rester immatriculées au répertoire pendant trois années. D’autre part, les présidents des chambres de métiers peuvent accorder des dérogations à certains chefs d’entreprise. Le seuil passe à 10 salariés pour toutes les activités artisanales en 19768. Quant au statut de l’artisan fiscal, il est supprimé dès 1962. À la suite de Perrin, on peut voir dans cette évolution l’indice que, dans l’esprit des planificateurs, l’artisanat en tant que mode de production est incompatible avec la modernité et que pour le sauver, il faut le transformer en petite entreprise capitaliste.
34Il est difficile de savoir si cette politique accompagne un changement ou si elle le provoque, mais l’accroissement de la taille des entreprises est bien réel. Entre 1967 et 1970, la proportion de salariés dans la main-d’œuvre artisanale passe de 36,8 % à 40,4 %, alors que les autres catégories d’actifs (auxiliaires familiaux et apprentis) diminuent.
Unification autour de l’UPA
35Les succès électoraux des mouvements poujadiste (UDCA) puis nicoudiste (CIDUNATI) entraînent une recomposition du paysage syndical artisanal (Milet, 2008). De 1975 à 1983, les syndicats traditionnels cherchent à freiner le départ de leurs adhérents en unissant leurs forces. Ils constituent l’Union professionnelle artisanale (UPA) qui, au terme du processus, fédère les syndicats du bâtiment (CAPEB), de l’alimentation (CGAD) et des services (CNAMS). Cet organisme présente un nouveau visage de l’artisanat en rupture avec celui d’une petite-bourgeoisie archaïque et réactionnaire. Le dialogue avec l’État est renoué et aboutit à la reconnaissance de l’UPA comme partenaire social à part entière qui siège aux côtés des deux autres confédérations patronales face à celles des salariés. Ce positionnement de la représentation artisanale aux côtés du patronat déséquilibre le rapport de force entre petits indépendants et employeurs à l’avantage de ces derniers.
« Si la représentation artisanale englobe l’indépendant sans salarié et le petit employeur, les contraintes normatives d’interaction et d’action collective privilégient immanquablement l’identité d’employeur : en termes de représentation, la voix artisanale passe par la voie patronale »
Milet, 2008 : 506.
36Alors que dans les années 1960 et 1970, les syndicats d’artisans se présentaient en tant que défenseurs du « secteur des métiers », englobant ainsi petits indépendants et employeurs, le discours change dès 1983 et glisse vers la défense des « chefs d’entreprise artisanale ». À cette époque, les pouvoirs publics ont déjà bien perçu l’enjeu que représente l’artisanat dans la lutte contre le chômage. L’artisanat est traité avant tout comme une question économique et les enjeux politiques qu’il représente ne sont plus débattus. Or, cet effacement de la question politique signe de fait la disparition de la représentation des intérêts des petits indépendants. En considérant toutes les entreprises artisanales comme des agents soumis aux mêmes contraintes économiques, les pouvoirs publics définissent le modèle entrepreneurial comme la seule référence.
37La règle du nombre de salariés maximum s’assouplit encore avec l’apparition du « droit de suite » en 19969, lequel autorise une entreprise qui dépasse les dix salariés à rester immatriculée au répertoire des métiers sans limitation de durée. La mise en application du droit de suite a comme conséquence que des entreprises comptant plusieurs dizaines de salariés sont désormais comptées dans l’artisanat. Leur taille imposante donne aux grosses entreprises artisanales un poids économique qui est sans rapport avec leur importance numérique. Ainsi, pour l’année 2013, les entreprises de plus de onze salariés ne représentent que 4 % du secteur de l’artisanat mais réalisent 42,2 % de son chiffre d’affaires. Au niveau des exportations, domaine encouragé et soutenu par le réseau des chambres de métier, ces mêmes entreprises réalisent 74 % des exportations de l’artisanat (données DGCIS, chiffres-clés de l’artisanat 2013).
38Pour comprendre comment les frontières du groupe se sont déplacées, j’ai examiné l’évolution de la définition de l’artisanat en tant que groupe institutionnalisé, et notamment le seuil de salariés au-delà duquel une entreprise quitte l’artisanat pour entrer dans la petite industrie. À partir d’une situation où l’artisan est défini comme un petit producteur qui ne se différencie de ses ouvriers que par la possession de ses moyens de production, on arrive progressivement à une situation où la définition du groupe s’étend à des gestionnaires d’entreprise qui rémunèrent un capital et ne participent pas à la production.
39Cette redéfinition du groupe favorise l’élite économique du groupe en même temps qu’elle en fait un modèle auquel l’artisan contemporain doit se conformer. La présence de « grandes » entreprises renforce le poids économique de l’artisanat et son importance en termes d’emplois créés. C’est donc par une redéfinition des contours de sa population que l’artisanat est devenu, selon la formule bien connue, « la première entreprise de France ». La fraction dominante du groupe, constituée par les gros employeurs et qui avait déjà le monopole de la représentation légitime du groupe, voit sa position renforcée par son poids économique. Cet élargissement du groupe par le haut provoque mécaniquement une stratification sociale accrue au sein de l’artisanat et une divergence croissante entre les intérêts des représentants et ceux du groupe social, plus particulièrement les petits indépendants sans salariés.
40L’artisanat, en tant qu’institution représentée par une élite qui définit un modèle d’artisan conforme à sa propre image, privilégie « l’entrepreneuriat artisanal », oxymore qu’il faut comprendre comme un processus d’accroissement de la taille des entreprises impliquant la dissociation des fonctions de gestion et de production. Les plupart des artisans se sentent peu concernés par leurs propres institutions. Leur faible participation aux élections des chambres de métiers en témoigne. Elle stagne autour de 25 % dans les années 199010, puis descend à 20 % en 2010. Cette indifférence à l’égard des organisations qui les représentent explique sans doute l’absence de réaction à leur évolution.
Persistance de l’auto-emploi
41La redéfinition juridique de l’artisanat ne doit pas occulter l’existence des petits employeurs et des indépendants sans salariés qui en représentent l’écrasante majorité. En effet, même si leur importance en termes de nombre d’emplois a diminué, les entreprises qui comptent trois salariés ou moins représentent encore plus de 80 % des entreprises artisanales (DGCIS, 2013).
42Tous les artisans ne se conforment pas au modèle entrepreneurial et les indépendants qui cherchent à assurer uniquement leur propre emploi en créant une entreprise sont majoritaires (Gomel, 2011). Il faut donc distinguer l’entrepreneuriat de l’auto-emploi qui consiste à travailler pour soi-même sans envisager une expansion économique débouchant sur l’embauche de salariés.
43Il est difficile de cerner précisément comment l’auto-emploi a évolué ces dernières années car la question est inséparable de celle de l’auto-entreprise. En 2009, l’apparition de ce statut a entraîné une forte augmentation du nombre de ressortissants du RSI en auto-emploi mais environ un tiers d’entre eux n’a pas déclaré de chiffre d’affaires (RSI, 2012). Depuis 2012, cette situation a motivé la décision de radiation automatique de ceux qui ne déclarent pas de chiffre d’affaires pendant deux années consécutives, ce qui a entraîné une inflexion dans la progression des auto-entrepreneurs. En décembre 2012, sur 2,8 millions de cotisants au RSI, il y avait 890000 auto-entrepreneurs. Parmi ceux-ci, 150000 sont des retraités et 15 % des cotisants non-retraités ont leur activité principale dans un autre régime social. Les travaux indiquent que les auto-entrepreneurs à titre principal sont une population marquée par la précarité (Abdelnour, 2012).
44Lorsqu’on observe la manière dont l’artisanat est défini par la loi, il apparaît que la fluctuation des frontières du groupe est le résultat d’un rapport de force qui évolue sans cesse entre les tenants de définitions concurrentes, et que chacune d’entre elles, en cernant différemment les contours du groupe, favorise des catégories sociales aux intérêts divergents. L’institutionnalisation de l’artisanat marque le passage d’une définition en termes de métier à une définition en termes de groupe social (Zarca, 1986), puis celle-ci évolue vers une définition en termes d’entreprise (Mazaud, 2009).
45La définition initiale (celle de 1923) délimitait les contours d’une population homogène du point de vue des conditions de travail puisque l’artisan, qu’il travaille seul ou avec un petit nombre de salariés, était impliqué directement dans la production. Le groupe ainsi défini était faiblement stratifié et ses membres partageaient la même condition sociale. Il ne s’agissait pas de rémunérer un capital mais de vivre de son travail tout en étant propriétaire des moyens de production.
46Depuis 1962, la population de l’artisanat, entendue au sens des entreprises inscrites au répertoire des métiers, s’est notablement élargie par un déplacement de la frontière du groupe. Celui-ci comprend désormais des entreprises qui s’écartent du mode de production artisanal. Les conditions de travail de ces artisans gestionnaires d’entreprise les distinguent nettement de celles des autres membres du groupe. En orientant leur action vers le développement de l’emploi et en favorisant ces grosses structures, les institutions de l’artisanat sont arrivées à augmenter le nombre d’emplois créés par le secteur des métiers, renforçant ainsi son importance dans le paysage économique. La figure de l’artisan entrepreneur est aussi un modèle à diffusion interne auquel les artisans sont incités à se conformer. Aussi, tout artisan est tenu d’être un entrepreneur et le petit artisan « bricoleur » est devenu un repoussoir incarné depuis 2009 par la figure de l’auto-entrepreneur. Aucune politique spécifique n’est menée à destination des artisans en auto-emploi qui s’écartent du modèle de référence. Il semble qu’une fois résolu le problème qu’ils représentent en tant que chômeurs, ils n’appartiennent plus à aucune catégorie prise en compte dans les politiques publiques de santé au travail. Mais cette absence de politique de santé à leur égard ne les fait pas disparaître pour autant puisqu’ils représentent plus de la moitié des artisans inscrits au registre des métiers.
47Dès lors, la question se pose de savoir quelle définition utiliser pour enquêter sur les conditions de travail des artisans. Une première définition, dite juridique, consiste à définir l’artisanat comme l’ensemble des entreprises inscrites au répertoire des métiers. Selon la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat,
« doivent être immatriculées au répertoire des métiers les personnes physiques et les personnes morales qui n’emploient pas plus de dix salariés et qui exercent à titre principal ou secondaire une activité professionnelle indépendante de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services relevant de l’artisanat et figurant sur une liste établie par décret en Conseil d’État ».
48Dans sa définition juridique, le groupe s’est étendu suite à la redéfinition de ses frontières « par le haut », c’est-à-dire en englobant des individus anciennement considérés comme des petits industriels. D’autre part, le groupe s’est étendu « par le bas » du fait de l’augmentation de la population en auto-emploi, phénomène lié entre autres à l’apparition de l’auto-entreprise.
49Pour qu’une définition soit opératoire du point de vue des conditions de travail, il faut que les individus concernés soient partie prenante dans le travail de production. Le fait d’employer quelques salariés n’est pas un obstacle tant que le travail de l’employeur ne se limite pas à la gestion de l’entreprise. Comme nous allons le voir, c’est en définissant l’artisanat comme un mode de production qu’on peut constituer une population relativement homogène.
Qu’est-ce qu’un artisan ?
50Utiliser une définition existante qui corresponde à la population que je souhaite étudier offrirait l’avantage de pouvoir disposer de données chiffrées. En effet, les chambres de métiers produisent un grand nombre de données sur l’artisanat qui sont construites à partir de la définition juridique. L’Insee, de son côté, fait de même à partir d’une définition plus restrictive reposant sur des critères économiques11. Mais, puisque ces définitions ne permettent pas de cerner la population-cible, il faut s’en écarter. Néanmoins, lorsqu’elles présentent un intérêt, les données quantitatives disponibles sont mobilisées dans cet ouvrage. Leur champ est alors précisé pour indiquer quelles sont leurs limites. En ce qui concerne le volet qualitatif de l’étude, on peut retenir trois critères qui sont le travail indépendant, l’exercice d’un métier manuel à titre principal et la propriété des moyens de production.
Critère du travail indépendant
51Le critère d’indépendance est entendu au sens juridique. Il est caractérisé par l’existence d’une personnalité juridique, sous la forme d’une entreprise individuelle ou d’une société, qui permet à l’artisan de passer des contrats d’entreprise. Le corollaire de cette situation de non-salarié est que l’artisan n’est pas soumis au Code du travail. Cette situation entraîne l’absence de nombreux dispositifs tels que la médecine du travail, l’inspection du travail et la reconnaissance des maladies professionnelles. Même si, sous l’impulsion d’une directive européenne, quelques articles du Code du travail s’appliquent aux indépendants en situation de travail dans des chantiers où ils côtoient d’autres travailleurs, ceux-ci visent à protéger les salariés qui travaillent à proximité des indépendants plutôt que ces derniers puisqu’ils ne s’appliquent pas lorsque l’indépendant est seul12.
52Le critère d’indépendance juridique appelle deux remarques. Premièrement, le fait qu’un donneur d’ordre exerce de fait une autorité sur l’artisan n’est pas incompatible avec l’indépendance au sens juridique. Et, on peut inclure les artisans qui travaillent en sous-traitance. Deuxièmement, la question de la forme juridique que prend l’indépendance reste ouverte et ne constitue pas une condition d’appartenance à l’artisanat. Autrement dit, on ne se limite pas aux artisans inscrits à la chambre des métiers. En effet, à l’inverse des gros employeurs de l’artisanat qui cherchent à demeurer inscrits au répertoire des métiers, les petits indépendants, lorsqu’ils en ont la possibilité, recherchent plutôt un statut qui les soustrait aux obligations fiscales liées à cette appartenance. Ainsi, j’inclus dans ma population d’enquête des indépendants qui exercent sous le statut d’artiste-auteur lorsque leur activité requiert la possession d’un savoir-faire de métier qui est décliné tantôt sous la forme artistique, tantôt artisanale selon le contexte dans lequel il est déployé (Becker, 1988 ; Perrenoud, 2013). Cette posture sera discutée ultérieurement, mais on peut comprendre sa pertinence en évoquant l’exemple des fabricants de vitraux dont certains sont inscrits au registre des métiers et d’autres travaillent sous le statut d’artiste-auteur.
Critère de l’exercice d’un métier manuel à titre principal
53Le second critère est la pratique d’un métier manuel à titre principal. Ce critère se rapporte au fait que l’activité ne constitue pas un loisir ou une activité complémentaire. Un métier peut consister en la production, la transformation de produits ou la prestation de service impliquant une activité manuelle technique exercée à but lucratif.
Critère de la propriété des moyens de production
54L’artisan est propriétaire des moyens de production qu’il utilise pour travailler. Si l’on excepte les fonds de commerce, les moyens de production mis en œuvre dans l’artisanat sont en général assez modestes. Néanmoins, au cours de leur carrière, les artisans cherchent à constituer un patrimoine qui couvrira leurs besoins à l’âge de la retraite. Il se produit donc une petite accumulation de capital, mais l’artisan tire avant tout son revenu de son travail et pas en rémunérant un capital. Les artisans travaillent avant tout « par eux-mêmes et pour eux-mêmes » (Gresle, 1993).
55La croissance de leur entreprise peut conduire certains artisans à devenir des petits industriels. Ce modèle de développement a la faveur des chambres de métiers et consiste à passer d’une logique artisanale à une logique entrepreneuriale en augmentant les investissements et la main-d’œuvre jusqu’à devenir un gestionnaire d’entreprise. Cela peut se produire au cours d’une carrière ou lorsque l’entreprise est transmise au sein d’une famille à la génération suivante.
56Dès lors, la question se pose de savoir quelle est la taille maximale d’une entreprise au-delà de laquelle on considère qu’on a quitté la petite production marchande pour entrer dans la petite industrie. Étant donné la variété des situations particulières, la réponse ne peut être qu’arbitraire. J’ai choisi de fixer le seuil maximum de salariés à dix pour plusieurs raisons. Ce seuil de dix salariés constitue la limite au-delà de laquelle on observe que le temps de travail de l’employeur est entièrement absorbé par la gestion de l’entreprise et qu’il est séparé de la fonction de production. Dans mes données d’enquête, je constate que la limite est quelquefois en dessous des dix salariés mais jamais au-dessus. Cette décision est aussi guidée par le fait que le seuil des dix salariés correspond à la catégorie des micro-entreprises dans la nomenclature actuelle13. D’autre part, elle est fréquemment utilisée dans la production de données statistiques, par exemple dans l’enquête Santé et itinéraire professionnel (SIP 2006, Drees-Dares) qui est mobilisée au cours de la présente recherche. Cette limite de dix salariés est une norme partagée par d’autres chercheurs qui se penchent sur les conditions de travail des indépendants (Rappelli, 2011).
L’artisanat défini comme un mode de production
57Dans cette optique, la définition de l’artisanat correspond au concept marxien de « petite production marchande » qui, tout en étant une catégorie dominée dans le mode de production capitaliste, coexiste avec la production marchande industrielle. Elle s’en distingue par l’unité des producteurs et de leurs produits, c’est-à-dire le fait que les petits producteurs marchands vendent leur propre production, possèdent leurs moyens de production et sont rémunérés sur base de la valeur créée par leur travail14.
58D’autre part, la question de la taille de l’entreprise est un indicateur qui n’est pas uniquement économique et qui recoupe la stratification sociale du groupe. Les artisans qui participent à la production ont un mode de vie plus proche de celui de leurs salariés que les gestionnaires d’entreprise. Le critère de la taille de l’entreprise sépare deux populations qui diffèrent par les origines sociales, le mode de vie et bien sûr le rapport à l’économie (Pacitto et Richomme-Huet, 2004).
59En somme, si l’on reprend toutes les caractéristiques retenues pour définir l’artisanat, on arrive à une définition très proche de celles qui étaient en vigueur officiellement entre 1920 et 1962, lorsque les artisans étaient définis comme
« les travailleurs autonomes de l’un et l’autre sexe, exerçant personnellement et à leur compte, sans se trouver sous la direction d’un patron, un métier manuel, travaillant chez eux ou au dehors, employant ou non la force motrice, ayant ou non enseigne et boutique, se livrant principalement à la vente du produit de leur propre travail, justifiant de leurs capacités professionnelles par un apprentissage préalable ou un exercice prolongé de ce métier, accomplissant leur travail seul ou avec le concours de leur conjoint, des membres de leur famille, de compagnons ou d’apprentis »
article 1er du Code de l’artisanat, JO du 20 juillet 1952.
60On désignera donc par le terme d’artisan un travailleur indépendant exerçant seul ou employant au plus dix salariés, propriétaire de ses moyens de production, participant directement à la production dans le cadre d’un travail manuel qualifié dont il maîtrise tout le processus. Cette définition se base sur les conditions de travail, indifféremment du statut de l’entreprise ou de son régime social.
Notes de bas de page
1 Comme l’ont exigé les travailleurs indépendants lors de la mise en place de leurs régimes sociaux.
2 1977 : aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d’entreprises (ACCRE) ; 1979 : création de l’Agence nationale pour la création d’entreprise (ANCE, devenue APCE en 1996) ; 1982 : instauration d’une prime régionale à la création d’entreprise (PRCE).
3 Deux ouvrages de référence traitent de l’artisanat en France au xxe siècle du point de vue historique (Zdatny, 1999) et économique (Perrin, 2007). D’autres écrits, dont on trouve les références au fil de ce chapitre, l’analysent du point de vue sociologique.
4 Loi du 27 décembre 1923 portant organisation du crédit aux sociétés coopératives et unions de sociétés coopératives d’artisans ainsi qu’aux petits artisans, dite loi Courtier. Loi du 26 juillet 1925 sur la création des chambres de métiers.
5 Plus précisément, il exonère les artisans de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et les soumet à l’impôt sur les salaires. Voir Auvolat et Trogan, 2002.
6 Parmi celles-ci : la liste des métiers inclus dans l’artisanat, la qualification nécessaire pour s’établir, l’organisation de l’apprentissage, le crédit.
7 Modèle d’organisation de l’artisanat instauré en Alsace lorsque celle-ci était sous régime allemand, puis importé en 1919 avec la restitution de l’Alsace-Lorraine à la France.
8 Décret 76-879 du 21 septembre 1976.
9 Loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat.
10 D’après le JO Sénat du 14 mars 1996 : 601.
11 Pour une présentation détaillée des définitions juridique et économique, voir Mazaud, 2010.
12 Appliqué depuis le 1er mai 2008 : article L4535-1 du Code du travail : les travailleurs indépendants, ainsi que les employeurs lorsqu’ils exercent directement une activité sur un chantier de bâtiment et de génie civil, mettent en œuvre, vis-à-vis des autres personnes intervenant sur le chantier comme d’eux-mêmes, les principes généraux de prévention fixés aux 1o, 2o, 3o, 5o et 6o de l’article L.4121-2 ainsi que les dispositions des articles L.4111-6, L.4311-1, L.4321-1, L.4321-2, L.4411-1 et L.4411-6.
13 Décret no 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique.
14 Voir à ce propos la discussion de Jaeger, 1982 : 297-314.
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