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La consistance des crises

 | 
Brigitte Gaïti
, 
Johanna Siméant-Germanos

3e partie. Ouvrir les terrains d’enquête : à propos de la sectorisation du monde social

8. Jeux pervers et charme discret de la planification

Les transformations de la gestion de l’économie dans l’URSS de Khrouchtchev (1962-1964)1

Carole Sigman

Texte intégral

  • 1  Je voudrais remercier chaleureusement Alain Blum, Brigitte Gaïti, Amandine Regamey, Johanna Siméan (...)

1À la fin de l’année 1962, quarante et un ans après la création du Gosplan et trente-trois après le lancement du premier Plan quinquennal, on se demande dans les plus hautes sphères du pouvoir soviétique ce que planifier veut dire. Au Plénum du Comité central (CC) du PCUS de novembre, Khrouchtchev lui-même s’interroge sur le travail des instances de planification :

  • 2  RGANI, fonds 2, inventaire 1, dossier 603, p. 125 (document du 23/11/1962).

« Le premier plan que nous avons adopté au 20e Congrès [1956], un plan quinquennal, était un torchon, voire pire. Ce torchon, nous l’avons validé, en plus par le Congrès. Et nous avons mis un an à nous apercevoir que ce plan ne nous menait nulle part. Pour sortir de cette situation, nous avons préparé un plan septennal [1959-1965] […]. Nous commençons seulement à comprendre pleinement ce que signifie le plan, à entrer dans le vif de la planification. Mais voyez comme nous nous y prenons mal. Exemple de la chimie : nous avons eu assez de jugeote pour saisir à quel point il était important de développer cette branche, pour en discuter au Plénum et ébaucher un plan (visiblement pas le bon), mais pas assez pour mettre en œuvre ne serait-ce que ce plan2. »
Souligné par nous.

  • 3  Cette compétition, que Khrouchtchev met en avant, a pu constituer un argument pour des organisatio (...)

2Les hauts responsables du pays constatent l’opacité du système de planification pour eux-mêmes : ils ont du mal à connaître les chiffres qui indiquent les grandeurs économiques et soupçonnent qu’une partie de la production disparaît ; ils remarquent aussi leur difficulté à influencer la production économique réelle. Sait-on vraiment qui décide ? De surcroît, alors que les administrations qui gèrent l’économie sont dans le flou le plus complet, elles sont condamnées à présenter des chiffres crédibles, notamment vis-à-vis de l’étranger. La compétition que l’URSS de Khrouchtchev a décidé de mener avec les États-Unis est en effet un enjeu majeur de cette période aussi bien sur la scène internationale que dans les jeux politiques internes3.

  • 4  Khlevniuk Oleg, « Economy of illusions », in Smith Jeremy et Ilic Melanie (dir.), Khrushchev in th (...)

3La fin de l’année 1962 est un moment clé dans l’histoire de l’URSS et, en particulier, dans celle du « dégel ». Sur le plan international, la « crise des missiles de Cuba » (octobre), perçue comme un échec de Khrouchtchev, se termine par le retrait des missiles soviétiques. Sur la scène intérieure, vient d’avoir lieu l’« affaire de Riazan » : à la suite d’une campagne lancée pour « rattraper et dépasser » les États-Unis dans la production de viande, les responsables de la région de Riazan se sont livrés à une formidable manipulation des chiffres pour tenter de les ajuster au plan prévu, manipulation qui apparaîtra au grand jour4. L’affaire sera suivie d’une nouvelle grande compagne, celle-ci contre les « faux indicateurs » (pripiski), la « poudre aux yeux » (očkovtiratel’stvo) et autres « mensonges envers l’État » (obman gosudarstva).

  • 5  Wickham Sylvain, « La centralisation industrielle et l’expérience stalinienne », Revue économique, (...)
  • 6  Voir le schéma des administrations chargées de la gestion de l’économie et la chronologie des réfo (...)

4C’est dans ce contexte qu’est lancée, lors du Plénum de novembre 1962, une nouvelle vague de réformes de l’organisation économique et administrative en réaction à la décentralisation partielle de la gestion de l’économie qui avait eu lieu en 1957, quatre ans après l’arrivée de Khrouchtchev à la tête du Parti. Les ministères centraux de branche avaient en effet été supprimés et remplacés par des sovnarkhozes (conseils économiques régionaux). Sous Staline, la compétition entre ministères techniques avait été telle que certains avaient fini par se constituer en univers quasi autarciques pour éviter de dépendre des autres pour leurs approvisionnements5. C’est précisément pour lutter contre la formation de fiefs et la segmentation du système bureaucratique que la décentralisation de 1957 avait été entreprise. Les réformes de 1962-1964, dont l’objectif est de rompre avec des pratiques du passé – notamment la « toute-puissance » du Gosplan, l’impuissance de l’appareil du Parti à intervenir dans certaines sphères de l’économie et la bureaucratisation extrême du contrôle –, prennent la forme d’une refonte de trois institutions : celle du Gosplan, des organes de contrôle de l’État et du Parti et, un peu plus tard en 1964, de la direction centrale des Statistiques (Central’noe statističeskoe upravlenie, CSU6). Elles seront suivies, après la destitution de Khrouchtchev, d’une nouvelle vague de réformes, celles de Kossyguine, en partie inspirées par les débats de la période khrouchtchévienne, visant à accroître l’autonomie des entreprises.

  • 7  [http://hcl.harvard.edu/collections/hpsss/].

5Le système de planification a été abondamment étudié par les économistes à l’époque soviétique. Si plusieurs auteurs, dont certains dès les années 1950, se sont intéressés aux rapports de pouvoir et de compétition entre institutions, ils ont été bornés par les sources alors disponibles et eu tendance à se focaliser davantage sur les relations entre entreprises et administrations que sur les jeux internes à l’appareil bureaucratique (ainsi S. Wickham, J. Berliner, E. Zaleski et J. Sapir). Des matériaux remarquables sur le fonctionnement de l’économie soviétique sous Staline sont également fournis par le « Harvard Project on the Soviet Social System », masse d’entretiens menés par des chercheurs américains (dont J. Berliner) au début des années 1950 auprès d’émigrés soviétiques7. Parmi eux, très peu étaient issus des administrations de gestion de l’économie ; aussi les conflits et clivages qui ont travaillé le système bureaucratique sont-ils demeurés, là aussi, un point aveugle.

  • 8  Cf. par exemple Harrison Mark, « Forging success : Soviet managers and false accounting, 1943 to 1 (...)
  • 9  Ruses et tricheries qu’ils peuvent déployer du fait qu’ils détiennent plus d’informations sur leur (...)

6L’ouverture des archives soviétiques dans les années 1990 a permis aux chercheurs de pénétrer l’espace bureaucratique. Mais, alors même que cette mine de matériaux devenait accessible, l’étude du fonctionnement de la planification soviétique – plus guère d’actualité – n’a pas suscité de recherches abondantes. Certains historiens se sont néanmoins plongés dans les archives de l’économie. C’est le cas notamment d’une équipe de chercheurs de l’Université de Warwick8 dont les travaux, fondés sur la théorie du choix rationnel, placent au centre la relation entre le « principal » (parfois réduit au personnage de Staline) et l’« agent » (qui tend à obéir à des logiques d’action similaires, quelle que soit sa place dans l’espace économique ou bureaucratique). En dépit de ses raffinements, notamment sur le gaming auquel se livrent les acteurs à tous les échelons9, cette représentation de la société en relations principal-agent, tout comme les innombrables travaux issus de l’école du « totalitarisme », restent peu attentifs à la complexité bureaucratique et à la différenciation des espaces sociaux de fabrication de la planification et, plus globalement, de la gestion de l’économie.

7La visée de cet article est d’explorer la complexité du système de gestion de l’économie, les relations et les luttes de pouvoir entre les diverses instances qui entrent dans le jeu de la planification. Cette complexité de l’organisation bureaucratique nous permet notamment d’éclairer les jeux politiques constitutifs de l’étrange période de la déstalinisation inaugurée de manière ouverte par le 20e Congrès du PCUS (1956).

  • 10  Cf. Dobry Michel, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectoriell (...)
  • 11  Dobry Michel, « Valeurs, croyances et transactions collusives. Notes pour une réorientation de l’a (...)
  • 12  Par exemple Khlevniouk Oleg, Le Cercle du Kremlin. Staline et le Bureau politique dans les années  (...)

8C’est de ce point de vue que les conceptions que propose Michel Dobry de la différenciation structurelle qu’il prête aux systèmes « complexes », dont fait partie le système soviétique, révèlent leur portée heuristique10. Elles permettent d’appréhender la prégnance des logiques sociales sectorielles, le caractère non consensuel des champs ou secteurs différenciés plus ou moins autonomes, les formes que prennent la différenciation et les relations entre espaces sociaux, notamment les appuis mutuels que les élites sectorielles peuvent s’apporter les unes aux autres, et les effets éventuels de l’érosion de telles « transactions collusives11 ». Les travaux de certains auteurs de l’école « révisionniste », comme ceux, plus récents, de chercheurs qui ont eu accès aux archives12 et ont ainsi pu décortiquer la « cuisine » institutionnelle interne, les conflits et compétitions au sein des appareils bureaucratiques, recoupent entièrement cette perspective.

9Cet article va s’intéresser à la complexité du système de gestion de l’économie à travers le prisme des réformes de la période du dégel, et plus spécialement des années 1962-1964, de trois points de vue. Ceci nous permet en particulier de comprendre certains ressorts du flou des chiffres que nous analyserons à trois niveaux.

10Tout en bas, des rapports de collusion se tissent entre différents espaces sociaux à l’échelle locale : entreprises et administrations trouvent de petits arrangements pour présenter une comptabilité « améliorée » aux autorités centrales, maquillage dont celles-ci sont conscientes. Au Centre, l’univers social en charge de la gestion de l’économie est traversé de multiples clivages et jeux de compétition que révèlent les mobilisations qui accompagnent les réformes. Cet univers est saisi à travers la position que le Gosplan occupe et tente de défendre. Enfin, face à ce flou et aux difficultés des instances centrales et locales à gérer l’économie, Khrouchtchev et son entourage vont imaginer, entre autres, deux types de solutions : l’une, économique, visant à octroyer aux entreprises une relative autonomie et à ne plus (faire semblant d’) administrer totalement cette sphère, l’autre, administrativo-politique, consistant en une réforme du système de contrôle.

  • 13  Fonds no 2 des Archives d’État d’histoire contemporaine de Russie (RGANI).
  • 14  Fonds no 5446 des Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF).
  • 15  Fonds nos 9477 et 9527 du GARF.

11Nous nous appuierons pour ce faire sur trois fonds d’archives : celui du Comité central du PCUS13, dont nous avons consulté les documents relatifs au Plénum de novembre 1962, celui du Conseil des ministres de l’URSS14 où sont consignés des dossiers sur les projets de réformes des institutions chargées de l’économie, des rapports de différentes administrations sur les questions de planification et de gestion, et enfin celui du Comité de contrôle du Parti et de l’État (Komitet partijno-gosudarstvennogo kontrolâ, KPGK15), créé en 1962 et chargé de contrôler toutes les entreprises, administrations et organisations, où sont décrites certaines pratiques des entreprises et leurs relations avec les administrations économiques locales. Ces matériaux nous montrent ce que les plus hautes autorités savaient du système de planification, des pratiques plus ou moins licites des agents économiques mais aussi des administrations concernées, et comment elles ont essayé de réagir à ces pratiques.

Petits arrangements sur le terrain

12Soumises aux contraintes de la planification, les entreprises aménagent leurs données comptables. Ces falsifications reposent sur l’existence de relations relativement stables de collusion avec d’autres acteurs locaux : sovnarkhozes, représentations locales d’organes centraux, comités exécutifs de soviets, comités du Parti, etc. Les autorités centrales en charge de la planification sont les grandes perdantes de ces ententes qui leur donnent une emprise très incertaine sur les espaces locaux de gestion de l’économie ; elles ne sont pas satisfaites de ce qui est produit et ont du mal à fournir des statistiques appropriées

  • 16  Sur toutes ces techniques, voir Berliner Joseph, « The informal organization of the Soviet firm », (...)
  • 17  Ibid.
  • 18  Entre janvier et mars 1964, la direction centrale des Statistiques (CSU) et le Comité de contrôle (...)
  • 19  Khlevniuk Oleg, « Economy of illusions », art. cité.

13Les enjeux des collusions ne sont pas les mêmes pour les différents protagonistes. Pour les entreprises, il s’agit d’obtenir davantage de matières premières (en utilisant des normes obsolètes), de surestimer leur production (en déclarant des résultats fictifs – pripiski – ou en incluant la production défectueuse dans la réalisation du plan) et de dissimuler leurs effectifs réels de personnel administratif (en embauchant, de façon plus ou moins licite, du personnel surnuméraire16). D’une extrême variété, ces « fraudes » reposent sur des savoir-faire hérités en grande partie de la période stalinienne, même si l’on observe quelques innovations. Elles s’expliquent par des anticipations de sanctions et de rétributions. Les entreprises qui ne réalisent pas leur plan sont sanctionnées financièrement, tandis que celles qui le dépassent, au besoin fictivement, reçoivent des primes. Elles permettent aussi aux entreprises de se constituer des « marges de sécurité » pour l’avenir, assurance essentielle dans une économie en proie aux pénuries17. Aussi les responsables des administrations centrales liées à la planification et au contrôle soupçonnent-ils, probablement avec raison, l’existence de « ressources cachées » dans la moindre entreprise18. Mais la « poudre aux yeux » n’a pas qu’un visage comptable. Dans ce qui deviendra l’« affaire de Riazan », les dirigeants de la région ont, par opportunisme, accepté de tripler la production de viande en 1959 pour se conformer aux objectifs décidés par Moscou (qui seront ultérieurement dénoncés comme « aventuristes »). À cette fin, ils ont dû « arranger » leurs chiffres, mais aussi acheter en secret du bétail à la population locale et aux régions voisines et abattre la majorité du cheptel, sapant ainsi sur le long terme les capacités de production de viande19.

  • 20  Les sovnarkhozes interviennent aussi au début du processus de définition des plans de production, (...)
  • 21  GARF, 9527/1/540/4 (25/7/1964).

14Les diverses falsifications statistiques sont d’ordinaire couvertes, ou tout au moins non dénoncées, par des organes de contrôle locaux censés vérifier la bonne marche des entreprises (sovnarkhozes, mais aussi subdivisions territoriales du Gosplan et de la Statistique). L’enjeu pour les sovnarkhozes tient à ce qu’ils sont jugés responsables des résultats des entreprises de leur circonscription devant les instances centrales. Aussi aident-ils les entreprises à camoufler certains chiffres et n’hésitent-ils pas à utiliser leur capacité de modifier à la marge leurs plans de production en cours d’année20. C’est ainsi qu’en 1964 une usine pharmaceutique a vu trois de ses plans être modifiés quatre ou six fois chacun en quatre mois21.

  • 22  Le VSNH a été recréé en 1963 (après avoir existé de 1917 à 1932) pour assurer une meilleure coordi (...)
  • 23  GARF, 9527/1/584/200-201 (2/4/1964).
  • 24  D’autres administrations locales bénéficient également de ce circuit illégal d’information continu (...)

15Ces relations de collusion se réalisent aux dépens des institutions centrales censées planifier. En effet, elles affectent lourdement les circuits de production des chiffres. Couvrir les fausses déclarations et modifier les plans des entreprises nécessitent que les autorités locales disposent d’informations comptables avant les autorités centrales, i. e. avant l’administration de tutelle et la Direction centrale des Statistiques (CSU), qui traite l’information brute puis transmet ses résultats au Gosplan et à d’autres instances (sovnarkhozes, Comité central du PCUS, Conseil des ministres de l’URSS, Conseil supérieur de l’économie ou VSNH22, Comité de contrôle du Parti et de l’État, ministère des Finances, etc.). Alors qu’on décentralise la gestion de l’économie en 1957 en la confiant aux sovnarkhozes, il est décidé de concentrer l’information statistique sur les entreprises aux mains de la CSU. Celle-ci fournit ainsi des données synthétiques sur certaines branches de l’économie et grandes entreprises tous les cinq ou dix jours23. Or un système d’information parallèle la court-circuite : les entreprises transmettent quotidiennement des informations aux sovnarkhozes et renseignent bien plus d’indicateurs que les demandes officielles24. Et malgré deux décrets du Conseil des ministres de 1957 et 1958 qualifiant tout circuit parallèle d’« illégal » (nezakonnaâ otčetnost’), les différentes autorités centrales sont désarmées devant la persistance de fuites. En déclarant cette comptabilité illégale, elles visent à réduire à néant l’échange d’informations entre ceux dont elles soupçonnent la collusion, créant ainsi de l’ignorance pour diminuer les possibilités d’ajustement. On voit ici que l’objectif du plan est en permanence négocié et balloté en fonction des besoins de la présentation statistique.

  • 25  La Procurature exerce les fonctions du ministère public ; elle est aussi chargée de veiller au res (...)

16La collusion des élites sectorielles locales est également à l’œuvre lorsqu’on examine les formes de répression des « distorsions comptables », quand répression il y a. Malgré les nombreux rapports d’inspection et de contrôle, les arrangements avec les normes et les instructions sont loin d’être systématiquement sanctionnés. Le KPGK ne cesse d’ailleurs de se plaindre que les pouvoirs locaux négligent ses conclusions et ne transmettent pas les dossiers à la Procurature (habilitée à poursuivre l’affaire en justice25), ou que les directeurs d’entreprise ne dénoncent pas leurs fournisseurs malhonnêtes. Pourquoi en effet une entreprise flouée ne dénonce-t-elle pas son fournisseur ? La direction du KPGK réprimande un directeur de magasin qui reçoit sans broncher de la crème fraîche dont le taux de matière grasse est inférieur à celui qui était commandé :

  • 26  Stenogramma no 1 soveŝaniâ torgovyh rabotnikov, provodimogo Šelepinym A. N. po voprosu likvidacii (...)

« – Camarade Kovanov [vice-président du KPGK] : Vous auriez dû vous rendre dans l’organisation du Parti de votre fournisseur et tout leur raconter […].
– Camarade Demčenko [directeur de magasin] : Je ne l’ai pas fait.
– Camarade Šelepin [président du KPGK] : Mais enfin, cher camarade, vous êtes un Soviétique, un communiste. Vous auriez dû y aller et tout leur dire. – Une voix dans la salle : Et après, on ne reçoit plus sa crème fraîche. C’est le
fournisseur qui décide. S’il accepte de discuter, tant mieux, s’il ne veut pas, il raccroche et c’est tout26. »

  • 27  Wickham Sylvain, art. cité.
  • 28  Sapir Jacques, op. cit., p. 12.
  • 29  Ibid., p. 30.
  • 30  Khlevniuk Oleg, « Economy of illusions », art. cité.

17Les entreprises savent qu’elles ont tout à perdre en dénonçant parce qu’elles sont prises dans un jeu d’interdépendance : si elles les dénoncent, elles risquent effectivement d’être lâchées par leurs fournisseurs. De surcroît, si les autorités de surveillance ne sanctionnent pas les tricheries mises à jour, c’est parce que les instructions étant irréalisables, elles sont conscientes de devoir tolérer une marge de jeu dans leur application27. Se produit ce que J. Sapir, à la suite de T. Schelling, nomme un marchandage tacite28. D’un côté, les gestionnaires d’entreprises acquièrent des marges de liberté (ils contrôlent une partie des prix, les salaires, la nature de l’assortiment produit et l’investissement) en faisant peser en pointillé la menace de ne pas pouvoir produire minimalement pour satisfaire les besoins de l’économie si ces libertés ne leur sont pas accordées. De l’autre, le Centre développe « un arsenal répressif dont la fonction [est] en fait d’intimider les gestionnaires et de les dissuader d’user trop librement de leur autonomie29 », alors qu’il se refuse à sanctionner massivement ceux qui transgressent les instructions et qui occupent un rang élevé dans les entreprises. Les sanctions, notamment pénales, ne sont pas une solution routinière : les autorités centrales répugnent à sacrifier les responsables, surtout à grande échelle, même si, dans l’affaire de Riazan, certains hauts responsables locaux l’ont été30.

  • 31  GARF, 9477/1/1189/5 (6/12/1962).
  • 32  Khlevniuk Oleg, « Economy of illusions », art. cité. et Gorlizki Yoram, « Scandal in Riazan », art (...)

18Ainsi les relations de collusion peuvent-elles être également verticales, sans qu’on sache avec précision à quel niveau hiérarchique elles montent. L’organe de Contrôle les stigmatise essentiellement lorsqu’elles ont lieu au niveau local (région et république), mais laisse aussi entendre l’existence d’appuis au niveau central, lorsqu’il déplore par exemple que le Conseil supérieur de l’économie (VSNH) autorise l’altération de certains indicateurs et ne punit pas les responsables coupables de malversations31. On peut supposer ici, comme le suggèrent O. Khlevniuk et Y. Gorlizki32, que les plus hautes autorités du pays, y compris Khrouchtchev, ont pu « fermer les yeux » sur certaines manipulations de chiffres.

Les luttes entre bureaucraties centrales

  • 33  Cf. Allison Graham et Zelikow Philip, Essence of decision. Explaining the Cuban Missile Crisis, Ne (...)

19L’opacité des chiffres et le flou de la planification renvoient aussi à ce qui se passe dans un autre espace social, celui de la gestion centrale de l’économie, qui est fait de compétitions et d’interdépendances entre plusieurs organisations dotées de ressources de puissance inégale33 : Gosplan, Conseil économique d’État, Sovnarkhoze de l’URSS, Conseil supérieur de l’économie (VSNH), Direction centrale des Statistiques (CSU), etc. Le champ de ces administrations centrales jouit lui aussi d’une relative autonomie à l’égard du Parti, qui peut être illustrée à partir du cas des réformes ayant affecté le Gosplan au début des années 1960.

  • 34  Sylvain Wickham notait que les bureaucraties industrielles semblaient avoir plus ou moins tendu à (...)
  • 35  Sigman Carole, « Les origines de la contractualisation des rapports entre entreprises et enseignem (...)

20Les compétitions qui caractérisent l’univers de la gestion centrale de l’économie ne sont pas un phénomène nouveau apparu avec le « dégel » khrouchtchévien. On a vu que, sous Staline, les concurrences qui existaient entre ministères techniques les avait poussés à s’autonomiser les uns des autres pour maîtriser l’ensemble de leurs filières34. La décentralisation de la gestion économique impulsée à la fin des années 1950 n’a nullement réduit la complexité bureaucratique et les compétitions au Centre. De son côté, l’appareil du Parti, affaibli durant la période stalinienne, n’a pas vraiment de prise sur l’économie. C’est particulièrement vrai de secteurs sensibles telle l’industrie de l’armement35, comme le souligne Khrouchtchev devant les délégués du Plénum de novembre 1962 :

  • 36  RGANI, 2/1/603/105 (23/11/1962).

« Le secrétaire du Comité du Parti de la ville de Noginsk m’appelle [l’autre jour] pour m’expliquer qu’il y a eu un incident dans un atelier et que les tchékistes ne l’ont pas laissé entrer. […] Pourtant, nous nous dirigeons vers la société communiste, une société où les organes de gestion administrative, les organes de répression vont dépérir et où ne subsisteront que les organes d’autogestion. À quelle catégorie appartient donc un secrétaire de comité du Parti ? Aux organes de répression ou de gestion, ou aux organes d’organisation des masses ? Et avec tout ça, on ne le laisse pas entrer dans l’atelier, on lui dit : “mêle-toi de ce qui te regarde”36. »

  • 37  Lorsqu’en 1924-1925, par exemple, Staline cherche des appuis pour critiquer le fonctionnement de l (...)

21Le Gosplan détient, dans cet espace asymétrique, une place de premier plan qu’il doit à sa longue pratique de collusion avec le sommet du Parti37. Dans le contexte des réformes, il va devenir l’une des cibles de Khrouchtchev car il est, à ses yeux, l’un des cœurs du pouvoir qu’il veut réformer. Sous Staline, explique-t-il,

  • 38  RGANI, 2/1/603/124 (23/11/1962).

« le Gosplan était considéré comme le temple de la planification. Personne n’avait le droit d’y mettre son nez ni de poser de questions. Je me souviens […], c’était en 1952, je crois, lorsque le plan a été élaboré, Staline nous a dit : “Nous allons réunir le Conseil des ministres.” Il ne le présidait jamais, mais cette fois-ci, il est venu en personne, a pris la clochette, l’a faite sonner, s’est assis, a pris le plan, un énorme document, et l’a posé sur la table. Tout le monde s’assoit en silence. Il prend la parole : “Voilà le plan. Qui a des objections ?” Silence. “Adopté.” Oui, ça s’est passé littéralement comme ça : “Adopté.” Le plan a donc été adopté. La réunion s’est terminée et tout le monde est reparti38 ».

  • 39  GARF, 5446/99/15/32-33 (20/10/1965).
  • 40  Le président du Gosplan, Pëtr Lomako (novembre 1962-octobre 1965) conserve néanmoins le poste de v (...)

22Le Gosplan va perdre une partie de ses effectifs et de ses prérogatives. Entre 1959 et 1965, les effectifs des différents appareils centraux de planification oscillent entre 3000 et 4000 personnes, réparties entre le Gosplan, le Conseil économique d’État (Gosekonomsovet) (créé en 1959) et le Sovnarkhoze de l’URSS (créé en 1962). Les effectifs du Gosplan représentent les deux tiers du total en 1960, 70 % en 1962, puis tombent à 40-44 % en 1963-1965 (après le Plénum de novembre 196239). Cette baisse correspond au moment où il est subordonné au VSNH, chute de prestige sans précédent puisqu’il avait jusqu’alors toujours été un organe du gouvernement, responsable directement devant lui et le Parti40. Il est de surcroît confiné en 1960 à la préparation des plans à court terme, tandis que les plans à long terme sont confiés au Gosekonomsovet. À l’évidence, l’attaque de Khrouchtchev déstabilise et érode les relations traditionnelles de collusion entre le Gosplan et la direction du Parti.

  • 41  Ploss Sidney I., « Interest groups », in Kassof Allen (dir.), Prospects for soviet society, New Yo (...)
  • 42  Zaleski Eugène, Planning reforms in the Soviet Union, 1962-1966. An analysis of recent trends in e (...)
  • 43  GARF, 5446/99/15/32-33 (20/10/1965).

23Mais, fait remarquable, la position du Gosplan n’est pas aussi ébranlée qu’il y paraît. Tout d’abord, la décentralisation de 1957 renforce de fait son poids dans la gestion économique malgré le confinement dont il fait l’objet et sa propre réticence à la politique de décentralisation41. Car, avec la disparition des ministères de branche, il devient ipso facto la principale instance centrale de coordination et de contrôle des sovnarkhozes (même si, officiellement, ces derniers sont sous la responsabilité des Conseils des ministres de république). De 1958 à 1962, il contrôle les prix et détermine les clients et fournisseurs des entreprises42. Il parvient ensuite à éliminer les différents concurrents qui sont créés après la mort de Staline pour réduire ses compétences et dont il finit par récupérer une partie des effectifs : le Gossnab et le Gosprodsnab (chargés de l’approvisionnement de l’industrie) en 1953, la Commission économique d’État (Gosekonomkomissiâ), chargée de la planification courante, en 1957, et le Gosekonomsovet en 196243.

  • 44  Le résultat de cette lutte est que la CSU a été intégrée au Gosplan en 1929 en tant que subdivisio (...)
  • 45  GARF, 9527/1/584/172 (26/3/1964).
  • 46  Même dossier, p. 179.
  • 47  Même dossier, p. 177.
  • 48  Même dossier, p. 187.
  • 49  Même dossier, p. 95-96 (31/1/1964).

24Enfin, la direction du Gosplan de l’URSS se fait plus agressive pour défendre sa production statistique. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la bataille de chiffres engagée entre le Gosplan et la Direction centrale des Statistiques (CSU). Les deux administrations sont en concurrence sur la production des chiffres dans les années 1920 et depuis 194844, mais leur lutte comporte ici un nouvel enjeu pour le Gosplan : justifier le champ même de ses compétences, remis en cause par Khrouchtchev. L’une des techniques d’attaque du Gosplan va consister à dévaluer la production de la CSU et à mettre le projecteur sur le flou des chiffres, alors même qu’il s’agit d’un sous-produit de leur compétition. Lorsque Khrouchtchev sera conduit à lancer la réforme de la CSU début 1964, le Gosplan va s’engouffrer dans une critique des méthodes de travail de sa concurrente et lui reprocher en substance son manque de professionnalisme. Il déplore à la fois l’excès d’informations produites par les Statistiques et la rareté des informations pertinentes45. Ainsi, explique-t-il, les données de la CSU sur l’utilisation du revenu national ne sont fournies qu’en roubles courants, ce qui empêche toute analyse dynamique46. Ses méthodes de calcul de la production brute, donnée de base s’il en est, diffèrent d’un secteur à l’autre : tantôt le coût de la matière première y est inclus, tantôt il ne l’est pas ; le volume de la production industrielle n’est donc qu’un « conglomérat d’indicateurs disparates47 ». Mais la critique qui risque de porter le plus aux yeux des dirigeants est que les chiffres de la CSU ne sont, selon le Gosplan, absolument pas crédibles pour être comparés avec ceux de la production américaine. On sait, argumente le Gosplan, que le pétrole produit en URSS contient beaucoup de soufre et nécessite des dépenses supplémentaires pour le nettoyer, or la CSU n’applique aucun coefficient correctif pour pouvoir comparer la production des deux pays. Il en va de même de l’acier, des tissus, de la confection et des chaussures48. Le Gosplan déplore en outre l’impossibilité de comparer terme à terme ce qui a été planifié (données du Gosplan) avec ce qui a été produit (données de la CSU) car les deux administrations n’utilisent pas les mêmes modes de calcul : certaines grandeurs économiques fondamentales ne peuvent donc pas être connues avec précision. Le Gosplan cite quatre exemples49. La CSU inclut tout d’abord dans ses calculs de la production brute un ensemble plus important d’entreprises que le Gosplan : aussi la production brute en 1960- 1962 calculée selon la méthode du Gosplan ne représente-t-elle que 94-94,5 % de celle obtenue par la CSU. Les deux administrations n’utilisent pas non plus exactement les mêmes catégories de classement de certains secteurs industriels (groupes A et B), notamment pour le laminage d’aluminium, le gaz naturel et la pêche. Ensuite, les modes de calcul de la croissance du revenu national diffèrent, si bien que la CSU calcule une croissance de 36,6 % entre 1959 et 1963, tandis que le Gosplan ne trouve que 32,9 %. Quant au revenu national lui-même, la CSU y inclut l’impôt sur la production produite dans telle ou telle république, le Gosplan, l’impôt sur la production qui y est vendue.

  • 50  GARF, 9527/1/584/30 (27/4/1964).
  • 51  GARF, 9527/1/370/135 (14/12/1964).
  • 52  GARF, 9527/1/584/249 (2/4/1964).
  • 53  L’hémorragie diminue toutefois par la suite puisque les départs volontaires ne représentent plus q (...)
  • 54  GARF, 5446/96/348/47 (7/3/1962). On peut imaginer qu’elle n’est pas la seule dans ce cas : les Gos (...)

25La CSU essuie également les critiques d’autres instances : le Comité de contrôle lui reproche de ne prendre aucune mesure pour lutter contre la comptabilité illégale, qui représente un préjudice énorme pour l’État50, et l’Institut d’économie de l’Académie des sciences de sous-estimer les chiffres des jeunes sans emploi sortis du système scolaire (autrement dit au chômage51). Certaines de ces critiques portent des coups d’autant plus violents qu’elles proviennent d’autres univers sociaux que la bureaucratie (espace académique, en l’occurrence). Face à l’adversité, la CSU fait le dos rond et se présente comme une administration faible. Elle argue le bas niveau de salaires proposé aux statisticiens, leur lourde charge de travail et leurs mauvaises conditions de logement52 pour expliquer le turnover important qui la caractérise (départ volontaire de 35 % de ses effectifs en 196253). Elle reconnaît aussi ne pas contrôler pleinement ses subdivisions territoriales dont elle déplore l’attitude parfois laxiste face aux déclarations fictives des entreprises54.

  • 55  Ses anciennes fonctions de contrôle de la réalisation des plans sont transférées au Sovnarkhoze de (...)
  • 56  GARF, 5446/99/15/1 (sept. 1965).
  • 57  Même dossier, p. 48 (décret du Conseil des ministres de l’URSS du 30/10/1965 no 854).

26La stratégie de résistance du Gosplan va porter ses fruits, et les réformes de 1962 sont en partie des concessions qui lui sont faites puisqu’il recouvre ses compétences sur l’élaboration des plans à long terme (récupérant ainsi les fonctions du Gosekonomsovet), en plus de celle des plans annuels55. Après la destitution de Khrouchtchev en octobre 1964, le Gosplan reprend du poil de la bête et se sent suffisamment fort pour soumettre, en septembre 1965, un projet de décret du gouvernement où il prévoit d’être l’unique organe de planification économique du pays chargé de concevoir les plans et d’en contrôler la réalisation56, doté d’un appareil central de 3000 employés57, effectif le plus élevé de toute la période étudiée.

  • 58  Rappelons que celui-ci a rencontré de fortes résistances dès 1957 et qu’il a alors déjoué un compl (...)

27Il est probable que le Gosplan ait trouvé des alliés peu enclins à soutenir coûte que coûte les initiatives de Khrouchtchev58. Dans les jeux politiques de cette période incertaine, chacun des protagonistes est en effet à la recherche de soutiens car une partie des routines de collusion s’est effondrée. Des impulsions données par Khrouchtchev se dégage une impression d’incohérence et de confusion ressentie par les acteurs ; le flou dépasse manifestement la production du chiffre. Et de fait, on peut relever une certaine modération dans les attaques entre institutions : chacune attend la réforme de ses concurrents pour régler ses comptes mais sait aussi qu’elle peut être la suivante sur la liste, aussi les administrations ont-elles tout intérêt à faire preuve de retenue dans leurs critiques mutuelles. Lors de sa réforme, la CSU est certes sous le feu de la critique du Gosplan, mais celui-ci ne revendique plus, du moins ouvertement, son emprise sur elle, alors qu’il n’avait cessé de le faire dans les années 1920. Il se peut que cette relative modération soit une caractéristique de la déstalinisation, une règle liée à la sortie d’un système.

Le vertige du contrôle

28Dans ce contexte de compétitions et d’effritement de certaines relations de collusion, d’autres volets des réformes tentées au cours de cette période pour pallier les problèmes de planification et de gestion de l’économie ne feront pour l’essentiel qu’accroître davantage les difficultés et l’incertitude. Émergent en effet les esquisses d’une réforme des mécanismes de fonctionnement des entreprises visant à leur octroyer davantage d’autonomie vis-à-vis de leurs tutelles administratives. Les sommets du Parti et de l’État (Conseil des ministres de l’URSS) tentent également d’organiser un autre circuit d’information, qui passe par le renforcement de l’appareil du Parti et de l’organe de Contrôle. Certaines de ces réformes ont été assez bien explorées à ce jour, aussi privilégierons-nous ici celle du Contrôle.

  • 59  Voir l’article de Liberman (Liberman Evsej, « Plan, pribyl’, premiâ » [Le plan, le bénéfice et les (...)
  • 60  GARF, 5446/99/1/62 (12/1/1965).
  • 61  Apparues en 1961, les « unions de production » ou « firmes » réunissent des entreprises d’un même (...)
  • 62  Zaleski Eugène, « Les Unions de production et le problème de la concentration des entreprises en U (...)

29Ne plus administrer totalement l’univers économique signifie tout d’abord trouver des mécanismes incitant les entreprises à ne pas sous-estimer leur plan de production et à ne plus déformer la comptabilité pour percevoir des primes. Économistes et dirigeants réfléchissent à de nouveaux indicateurs pour les obliger à penser en termes de bénéfice et non plus exclusivement en volume, et envisagent de leur laisser une plus grande part de ce bénéfice, à charge pour elles de financer davantage leurs investissements et les primes aux salariés59. L’« autonomie comptable » (hozrasčët) a donc pour objectif d’accroître la responsabilité des entreprises tout en diminuant celle de l’État à leur égard. Le principe de l’autonomie comptable est également envisagé pour les administrations chargées de l’approvisionnement ou des ventes d’un secteur industriel : l’État n’ayant plus l’intention de les financer entièrement, elles devront trouver des moyens de subsistance dans les recettes tirées de leurs activités commerciales ou les bénéfices des entreprises qu’elles desservent60. Une réflexion s’engage aussi sur les niveaux de pouvoir pertinents – entreprises, comités d’État sectoriels, sovnarkhozes – auxquels doivent être prises les décisions économiques. Après le Plénum de novembre 1962, les concentrations d’entreprises, sous la forme d’« unions de production61 », sont fortement encouragées et prennent un formidable essor entre 1962 et 1965, où leur nombre passe de 2 à 59262. Ce succès s’explique parce qu’elles facilitent une gestion plus centralisée par branches, rendue malaisée par la suppression des ministères sectoriels centraux.

  • 63  GARF, 5446/99/11/73, 24/11/1964. Lettre d’un économiste au Conseil des ministres de l’URSS.

30Mais de nombreuses voix s’élèvent contre certaines de ces réformes, perçues comme un redoutable engrenage vers le capitalisme : pour augmenter leur bénéfice, les entreprises devraient baisser les salaires, or c’est un mécanisme jugé incompatible avec un État socialiste63. Les débats engagés et les mobilisations auxquelles ils participent ne font donc qu’augmenter la confusion et semer le trouble sur ce qu’est et doit être l’économie soviétique.

31Les multiples réflexions menées sous Khrouchtchev ne déboucheront, à l’exception des concentrations d’entreprises, que sur quelques expérimentations, mais elles alimenteront les réformes de Kossyguine engagées après la destitution de Khrouchtchev. Quant aux unions de production, leur développement connaîtra un coup d’arrêt avec le rétablissement des ministères centraux de branche en 1965.

  • 64  cf. sa note au CC du 19/2/1962 « Ob ulučšenii kontrolâ za vypolneniem direktiv partii i pravitel’s (...)

32C’est à un autre type de solution d’ordre administratif et politique qu’on s’attachera ici parce qu’il éclaire sous un jour nouveau les spécificités des compétitions et des enjeux politiques de la période du dégel et de ses ambivalences. La volonté de Khrouchtchev de redonner sa place au Parti dans le fonctionnement de l’économie, et plus généralement de la société soviétique, va s’incarner dans la création d’un Contrôle du Parti et de l’État. Elle vise à faire de cet organe un appareil capable d’être l’œil du Comité central et du Conseil des ministres (CM) dans la moindre organisation, du bas jusqu’en haut de la hiérarchie, car Khrouchtchev semble soupçonner une « corruption » généralisée64.

  • 65  Sur le Contrôle dans les années 1920-1930, cf. Nérard François-Xavier, « Les organes du contrôle d (...)

33L’existence d’un organe de contrôle universel n’est pas un phénomène nouveau en URSS : dès 1920, l’Inspection ouvrière et paysanne (RKI) avait, elle aussi, été dotée de larges compétences65. L’originalité de la solution de 1962 consiste à fusionner le Contrôle de l’État et celui du Parti, qui étaient séparés depuis 1934, avec l’espoir d’en faire une machine puissante. Ce regroupement ne signifie pas pour autant que disparaissent les autres organes de contrôle : subsistent en effet la Procurature et une kyrielle d’instances internes aux entreprises, sovnarkhozes, secteurs économiques, ministères ou comités d’État dont les compétences peuvent se chevaucher, mais, aucune ne faisant le poids face au Comité de contrôle du Parti et de l’État (KPGK), elles collaborent avec lui, s’efforçant de préserver au mieux leur domaine.

  • 66  En 1964, la CSU compte 27000 inspecteurs bénévoles (obŝestvennye inspektory) (GARF, 9527/1/584/210 (...)
  • 67  GARF, 5446/102/1320/3 (11/3/1966). Sur le phénomène des « contrôleurs populaires », cf. Adams Jan (...)
  • 68  GARF, 9527/1/314/8 (6/4/1963).
  • 69  GARF, 5446/100/1205/5 (6/7/1966).
  • 70  Ce qui n’ira pas sans poser de problèmes à ces employés dans leurs relations avec leur hiérarchie, (...)

34La réforme ne se limite pas à cette fusion. Les promoteurs du KPGK vont tenter de constituer une « armée de contrôleurs populaires » bénévoles : les membres du Parti et les travailleurs sont en effet appelés à s’investir dans des « groupes de soutien » (gruppy sodejstviâ) au KPGK sur leur lieu de travail (entreprises, administrations et autres organismes) dans un grand mouvement de mobilisation impulsé par le Centre. Ce qui pourrait s’apparenter, dans la terminologie actuelle de l’Europe de l’Ouest, à de la « participation citoyenne » se développe alors aussi dans d’autres institutions (CSU et Parti66, par exemple), mais son succès est particulièrement frappant au sein du Contrôle : les groupes de soutien, noyautés par les cellules locales du Parti, du komsomol et du syndicat, comptent six millions de personnes début 196667. Dans la seule république de Russie, les effectifs passent de 1,1 million en 196368 à 2,8 millions en 196669. Le Comité s’introduit donc dans un nombre impressionnant d’organismes par l’intermédiaire de leurs propres salariés70.

  • 71  RGANI, 2/1/588/15-16 (23/11/1962).
  • 72  Il est chargé d’y contrôler l’état et l’utilisation de la technique et de la propriété, ainsi que (...)
  • 73  Voir les statuts du 30/6/1964 des groupes de soutien des comités du KPGK (Adams Jan S., « “People’ (...)
  • 74  GARF, 9477/1/1189/4 (6/12/1962). Ainsi sur 25 dossiers transmis à la Procurature entre 1958 et 196 (...)

35Puissant, le KPGK l’est aussi grâce au poids politique de celui qui est nommé à sa tête fin 1962 et aux compétences extrêmement étendues qui lui sont octroyées. Chef du KGB de 1958 à 1961, secrétaire du CC du PCUS depuis le 22e Congrès (1961), Aleksandr Šelepin doit une partie de sa carrière à Khrouchtchev. Et celui-ci ne ménage pas ses efforts pour le doter d’une position forte : il insiste devant les délégués du Plénum pour que Šelepin accède au rang de vice-président du Conseil des ministres de l’URSS et entre à la direction du Gosplan en sa qualité de président du Contrôle71. La sphère de compétences du Contrôle est extrêmement étendue, elle englobe même l’armée et le KGB72, mais toutefois pas les comités du Parti lui-même73. Le KPGK peut, en outre, prendre des sanctions, le plus souvent sans recours possible, à l’encontre d’agents de tous secteurs. Et son éventail est large : il peut adresser un blâme, infliger des amendes (denežnye načety), rétrograder, révoquer et déclencher des poursuites en responsabilité administrative. Pour les dossiers les plus graves, toutefois, il se borne à saisir la Procurature qui, seule, peut entamer des poursuites pénales (pouvant aller jusqu’à la peine de mort)74. Il est donc en partie dépendant d’autres instances et d’autres logiques sociales.

  • 75  En 1934, Staline avait supprimé les groupes de soutien des organes de contrôle, si bien qu’en 1948 (...)
  • 76  Dans le même esprit, sont réanimés les « tribunaux de camarades » dans les entreprises et organisa (...)

36Le Contrôle, tel que le conçoivent Khrouchtchev et son entourage, est l’un des vecteurs de la déstalinisation : il s’agit de rompre avec l’appareil de contrôle bureaucratique pur, voire, selon les termes de Khrouchtchev, « policier », de l’époque stalinienne75. Désormais, on passe au-dessus des appareils en mettant en place un contrôle supposé contourner la complexité bureaucratique dans un rêve de transparence, puisque les salariés renseignent directement le Contrôle76. Mais paradoxalement, même s’il n’est plus pensé comme « policier », le mécanisme de surveillance n’en est pas moins hiérarchisé et n’en reproduit pas moins des routines « staliniennes » tels la dénonciation et le contrôle administratif et politique.

  • 77  Sur les marques d’autonomie d’un secteur, cf. Dobry Michel, Sociologie des crises politiques…, op. (...)
  • 78  Pihoâ Rudolf, art. cité.
  • 79  Swearer Howard, art. cité et Zaleski Eugène, Planning reforms in the Soviet Union…, op. cit., p. 1 (...)

37La mise en œuvre de cette réforme, l’activité et les mobilisations qu’elle impulse, vont fragiliser les frontières entre divers secteurs stratégiques et affecter autant leurs logiques sociales que leur autonomie respective77. Tout d’abord, le Contrôle empiète sur les territoires du Parti et des soviets, dont une partie des responsables locaux est tenue d’exercer des fonctions au sein du Contrôle78 : on s’attend donc à ce qu’ils contrôlent leur propre administration, tout en étant surveillés par le Comité de contrôle. Le pouvoir de contrôle de l’appareil du PCUS, notamment des organisations locales, sur la gestion de l’économie croît lui aussi sous Khrouchtchev79. Ces empiètements protéiformes désorientent fortement les acteurs, qui se mettent à dénoncer l’intrusion du Parti dans les activités des entreprises, car le renforcement du Contrôle est perçu par ceux qui le subissent comme la restauration de l’autorité du Parti. Peu après la destitution de Khrouchtchev en octobre 1964, un ancien ministre d’une branche industrielle souligne ainsi qu’à trop se substituer aux administrations de l’État, l’appareil du Parti a perdu la distance nécessaire pour conserver son autorité :

  • 80  GARF, 5446/99/1/3 (14/12/1964). Swearer fait une constatation similaire (Swearer Howard, art. cité (...)

« L’imperfection de la structure de gestion de l’industrie a contraint les organes du Parti, à tous les échelons, à régler eux-mêmes les questions économiques et techniques, à s’occuper des moindres détails. S’en est suivie, dans de nombreux cas, une confusion entre les fonctions du Parti et les fonctions économiques, ce qui a abouti dans les faits à un affaissement du rôle du Parti. Ses organes ont en fait perdu le droit [moral] de contrôler l’activité économique80. »

38Si de telles critiques sont la marque du succès de la réforme du Contrôle, l’incertitude et la désorientation qu’elles expriment provoquent une mise en cause, pratiquement immédiate après la chute de Khrouchtchev, de ce qu’a représenté cette réforme.

  • 81  Loin de subir le même sort que son « protecteur », Šelepin a, au contraire, joué un rôle actif dan (...)
  • 82  GARF, 5446/102/1321/41 (2/8/1966).
  • 83  Même dossier, p. 132 (9/7/1968).
  • 84  Même dossier, p. 133. Le CM de la RSFSR demande par ailleurs que soit prévu un recours auprès des (...)

39Ce succès et l’incertitude qui l’a accompagné ont d’ailleurs été l’une des sources des mobilisations contre l’« aventurisme » de Khrouchtchev qui aboutiront à son éviction. Après octobre 1964 et le départ de Šelepin de la direction du KPGK en décembre 196581, de multiples acteurs cherchent à confiner l’activité et la puissance du KPGK. Le Contrôle du Parti est de nouveau séparé de celui de l’État. Les représentants de divers secteurs étatiques (ministère des Finances de l’URSS, CM de l’URSS, CM d’Ukraine et autres administrations) cherchent à protéger leurs territoires et frontières. Lors d’une réunion du Politburo du CC du PCUS en 1966, il est en effet demandé que « les fonctions des comités du contrôle populaire [nouveau nom du Contrôle de l’État à partir de décembre 1965] soient définies de telle sorte qu’on n’ait pas la sensation que les organes du contrôle populaire se situent au-dessus des ministères et des autres administrations, mènent leur travail indépendamment d’eux et s’ingèrent dans leur activité administrative82 ». Le Conseil des ministres de l’URSS lui-même va défendre son territoire en suggérant que le Contrôle ne puisse donner directement de directives aux responsables des ministères et administrations, mais s’en réfère à lui qui, seul, pourra prendre une décision à l’encontre d’un ministre ou d’un directeur d’administration83. Sa Commission juridique se mobilise enfin pour que les sanctions du Contrôle puissent faire l’objet de recours, y compris contentieux, la situation actuelle étant « contraire aux principes généraux de la législation84 ».

  • 85  « Tout en envisageant d’accorder de larges compétences au Comité de contrôle du Parti, je tiens à (...)
  • 86  Pihoâ Rudolf, art. cité. Ceci, à condition d’admettre que cet appareil tentaculaire avec ses centa (...)

40En créant une telle machine, Khrouchtchev a-t-il joué à l’« apprenti sorcier », comme le lui ont reproché ses détracteurs ? Il semblait pourtant avoir anticipé le risque d’une extension et d’une autonomisation incontrôlées du Contrôle et cherché à soumettre ce dernier au CC du PCUS85. Mais, explique R. Pihoâ, « le pouvoir de Šelepin s’est révélé plus réel, mieux organisé et par conséquent plus dangereux pour tout fonctionnaire que celui du Premier secrétaire et président du Conseil des ministres de l’URSS en personne, à savoir Khrouchtchev86 ». L’ampleur prise par le Contrôle, poursuit Pihoâ, est sans doute un facteur d’irritation et de mobilisation contre Khrouchtchev ayant contribué à son éviction. Certains ont pu y voir un possible retour au passé, l’ombre d’un système dont une large partie des responsables soviétiques espérait sortir.

41La réforme du Contrôle n’est pas la seule à être remise en cause ; l’essentiel des réformes réalisées par Khrouchtchev le seront dans les années qui suivent sa chute : le Gosplan sera renforcé, les sovnarkhozes supprimés et les ministères centraux rétablis. Finalement, ce qui subsistera et sera mis en œuvre dans la seconde moitié des années 1960 (réformes Kossyguine concernant les entreprises) n’aura été que discuté à la période khrouchtchévienne.

42La période du dégel montre que les formes de différenciation sociale sont loin d’être soumises à une réversibilité permanente, contrairement à la vision traditionnelle qu’on a de la société soviétique et à la vision des dirigeants soviétiques eux-mêmes de leur capacité à manipuler les institutions par oukaze. Le Centre cherche à gagner du contrôle sur des espaces plus ou moins autonomes mais n’y parvient pas : par un retour de bâton, il revient à des formes de différenciation antérieures (rétablissement des ministères sectoriels…).

43Cette période est aussi riche en leçons sur la manière dont la société soviétique a tenu, et le concept de transactions collusives développé par Michel Dobry se révèle particulièrement éclairant pour en comprendre certains mécanismes centraux. En effet, les réformes khrouchtchéviennes ont à l’évidence fragilisé une série de collusions entre les secteurs. Les effets de cette déstabilisation ont été rapidement stigmatisés par les adversaires de Khrouchtchev sous le label discréditant d’« aventurisme » et ont alimenté leurs mobilisations, qui ont abouti à la destitution du « fauteur de troubles ». Vingt-cinq ans plus tard, au moment de la perestroïka, c’est en grande partie l’affaissement des appuis mutuels entre secteurs stratégiques du Parti et de l’État qui conduira à la délégitimation brusque et à l’effondrement du système soviétique.

44Penser les relations en termes de collusions permet également de mettre à distance une vision répandue de la planification selon laquelle elle aurait échoué par manque de coordination des plans (d’approvisionnement, de production, de distribution…) pour des raisons techniques. Or, si elle a échoué, c’est peut-être au contraire à cause d’une trop bonne entente entre certains acteurs situés dans différents lieux de l’espace social pour arranger les chiffres.

  • 87  Dobry Michel, « Valeurs, croyances et transactions collusives », art. cité.
  • 88  Sur un tout autre terrain, B. Samuel montre que la falsification des comptes de l’État mauritanien (...)
  • 89  Dobry Michel, « Valeurs, croyances et transactions collusives », art. cité.
  • 90  Configuration qui correspond à la conception des « consensus » politiques (énoncés dont les acteur (...)

45Mais l’existence de ces « flux stables de transactions collusives87 » explique aussi la place ou le charme discret de la planification dans le système soviétique. Ce dernier repose sur une gestion par les chiffres, mais, alors que ses agents ne croient pas dans les chiffres produits, on reste en haut lieu attaché à l’économie planifiée : personne ne la remet vraiment en cause (même si certains économistes proposent des réformes perçues par d’autres comme le début de la fin du système soviétique). Sans doute parce qu’elle est la raison d’être d’administrations qui occupent une position centrale dans l’univers du pouvoir économique et bureaucratique. Elle est faite d’échanges, de marchandages, de jeux plus ou moins stabilisés et routinisés entre univers sociaux (économique, bureaucratique, politique…) et renferme des enjeux multiples, en particulier de pouvoir, qui débordent très largement l’enjeu officiel de la planification elle-même ; elle constitue un repère pour les calculs et anticipations d’acteurs, même si elle est quelque chose de flou88. Les acteurs « se trouve[nt] ou se croi[ent] pris, situationnellement, dans la “nécessité” de jouer le jeu89 », de ne pas le remettre en cause publiquement et de s’en accommoder, quitte à passer de multiples arrangements. Ce n’est donc peut-être pas dans la planification qu’il faut rechercher l’énigme de sa persistance, mais dans sa force centripète, dans les rapports qui se tissent autour d’elle et dont un ensemble hétérogène d’acteurs, souvent en lutte entre eux, perçoivent coûteux de s’écarter au nom de l’« efficacité économique », au risque d’entrer dans l’inconnu, l’encore moins maîtrisable, aussi bien pour la sphère économique que pour l’univers de la bureaucratie90.

Chronologie

1953

Nomination de Khrouchtchev au poste de Premier secrétaire du CC du PCUS.

1957

Suppression des ministères fédéraux de branche et création des sovnarkhozes dans les régions (l’URSS est divisée en 105 régions économiques).

1958

Khrouchtchev est désigné président du Conseil des ministres de l’URSS.

1959

Plan septennal (1959-1965).

1960

Création des sovnarkhozes de république en Russie, Ukraine et Kazakhstan.

1961

Division de l’USSR en 17 grandes régions dont 10 en Russie, 3 en Ukraine, 1 au Kazakhstan.

1962

Fusion des sovnarkhozes (47 au lieu de 105), création du Sovnarkhoze de l’URSS et de 16 comités d’État sectoriels pour l’industrie (hors industrie de l’armement), disparition du Gosekonomsovet.
Novembre : création du Comité du contrôle du Parti et de l’État (KPGK).

1963

Création du Conseil supérieur de l’économie (VSNH).

1964

Octobre : limogeage de Khrouchtchev.

1965

Transformation des comités d’État sectoriels en ministères de branche, suppression du Sovnarkhoze de l’URSS et des sovnarkhozes de région, création de grands comités d’État transversaux (aux prix, à l’approvisionnement, à la technique).

Notes

1  Je voudrais remercier chaleureusement Alain Blum, Brigitte Gaïti, Amandine Regamey, Johanna Siméant-Germanos et Annie Vinokur pour leurs précieux conseils.

2  RGANI, fonds 2, inventaire 1, dossier 603, p. 125 (document du 23/11/1962).

3  Cette compétition, que Khrouchtchev met en avant, a pu constituer un argument pour des organisations concernées par d’autres enjeux (par exemple par un enjeu de position dans la gestion de l’économie).

4  Khlevniuk Oleg, « Economy of illusions », in Smith Jeremy et Ilic Melanie (dir.), Khrushchev in the Kremlin. Policy and government in the Soviet Union, 1953-1964, London, New York, Routledge, coll. « Basees/Routledge Series on Russian and East European Studies », 2011, p. 171-189 ; Gorlizki Yoram, « Scandal in Riazan. Networks of trust and the social dynamics of deception », Kritika : Explorations in Russian and Eurasian History, no 14, 2013, p. 243-278.

5  Wickham Sylvain, « La centralisation industrielle et l’expérience stalinienne », Revue économique, no 8, 1957, p. 91-113.

6  Voir le schéma des administrations chargées de la gestion de l’économie et la chronologie des réformes en annexe.

7  [http://hcl.harvard.edu/collections/hpsss/].

8  Cf. par exemple Harrison Mark, « Forging success : Soviet managers and false accounting, 1943 to 1962 », PERSA Working Paper, no 56, 2009, [http://www2.warwick.ac.uk/fac/soc/economics/staff/academic/harrison/archive/persa/056.pdf] et Markevich Andrei, « How much control is enough ? Monitoring and enforcement under Stalin », PERSA Working Paper, no 53, 2007 [http://www2.warwick.ac.uk/fac/soc/economics/staff/academic/harrison/archive/persa/053.pdf]. Voir par exemple Sanchez-Sibony Oscar, « Soviet industry in the world spotlight : The domestic dilemmas of Soviet foreign economic relations, 1955-1965 », Europe-Asia studies, 62, 2010/9, p. 1555-1578, Pyzhikov Aleksandr, « Soviet postwar society and the antecedents of the Khrushchev reforms », Russian Studies in Hystory, 50, 2011-2012/3, p. 28-43 et Kibita Natalya, Soviet economic management under Khrushchev : The sovnarkhoz reform, London, Routledge, 2013.

9  Ruses et tricheries qu’ils peuvent déployer du fait qu’ils détiennent plus d’informations sur leur travail que ceux qui les contrôlent.

10  Cf. Dobry Michel, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de Sciences Po, 1986 [2009, 3e éd.]. Notons que l’auteur, s’appuyant sur certains travaux de l’école « révisionniste », avait dès 1983 explicitement souligné cette caractéristique des systèmes de type soviétique (Dobry Michel, « Mobilisations multisectorielles et dynamique des crises politiques : un point de vue heuristique », Revue française de sociologie, no 24, 1983, p. 395-419). Pour une critique plus spécifique de l’école du totalitarisme, cf. Sapir Jacques, Les Fluctuations économiques en URSS, 1941-1985, Paris, Éditions de l’EHESS, 1989, p. 6-7, et Blum Alain et Mespoulet Martine, L’Anarchie bureaucratique. Statistique et pouvoir sous Staline, Paris, La Découverte, coll. « L’espace de l’histoire », 2003, p. 5-6). Comme le soulignent ces deux derniers auteurs, l’approche totalitaire ne s’intéresse pas à « la boîte noire administrative [et] laisse de côté l’éventualité de tensions entre les différents milieux, lieux de décision ou lieux d’application des décisions » (ibid., p. 10).

11  Dobry Michel, « Valeurs, croyances et transactions collusives. Notes pour une réorientation de l’analyse de la légitimation des systèmes démocratiques », in Santiso Javier (dir.), À la recherche de la démocratie. Mélanges offerts à Guy Hermet, Paris, Karthala, coll. « Recherches internationales », 2002, p. 103-120.

12  Par exemple Khlevniouk Oleg, Le Cercle du Kremlin. Staline et le Bureau politique dans les années 30 : les jeux du pouvoir, Paris, Seuil, coll. « Archives du communisme », 1996 ; Gorlizki Yoram, « Rules, incentives and Soviet campaign justice after World War II », Europe-Asia Studies, no 51, 1999, p. 1245-1265 ; Blum Alain et Mespoulet Martine, op. cit.

13  Fonds no 2 des Archives d’État d’histoire contemporaine de Russie (RGANI).

14  Fonds no 5446 des Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF).

15  Fonds nos 9477 et 9527 du GARF.

16  Sur toutes ces techniques, voir Berliner Joseph, « The informal organization of the Soviet firm », The Quarterly Journal of Economics, no LXVI, August 1952, p. 342-365.

17  Ibid.

18  Entre janvier et mars 1964, la direction centrale des Statistiques (CSU) et le Comité de contrôle du Parti et de l’État (KPGK) découvrent ainsi 40000 tonnes de métaux ferreux dissimulées par des entreprises et chantiers (GARF, 9527/1/584/212, document du 2/4/1964).

19  Khlevniuk Oleg, « Economy of illusions », art. cité.

20  Les sovnarkhozes interviennent aussi au début du processus de définition des plans de production, qu’ils établissent avec les entreprises et envoient aux Gosplans de république ; leur synthèse est ensuite transmise au Conseil des ministres de république puis au Gosplan de l’URSS. Ils ont donc un certain poids dans l’allocation des ressources aux entreprises (GARF, 9527/1/299/29, 8/10/1963).

21  GARF, 9527/1/540/4 (25/7/1964).

22  Le VSNH a été recréé en 1963 (après avoir existé de 1917 à 1932) pour assurer une meilleure coordination et un contrôle des organes de planification et de gestion de l’industrie.

23  GARF, 9527/1/584/200-201 (2/4/1964).

24  D’autres administrations locales bénéficient également de ce circuit illégal d’information continue : les Gosplans de république, les représentations de la Banque d’État (Gosbank), de la Banque pour la construction (Strojbank), les comités exécutifs de soviets régionaux et même des instituts de recherche sectoriels du Gosplan de l’URSS (même dossier, p. 25-26, 27/4/1964).

25  La Procurature exerce les fonctions du ministère public ; elle est aussi chargée de veiller au respect des lois dans toutes les organisations (entreprises, administrations, etc.).

26  Stenogramma no 1 soveŝaniâ torgovyh rabotnikov, provodimogo Šelepinym A. N. po voprosu likvidacii nedostatok i zloupotreblenij v torgovoj seti, 1/3/1963 (prodovol’stvennye tovary) [Sténogramme no 1 de la réunion des travailleurs du commerce conduite par Šelepin A. N. pour mettre fin aux insuffisances et abus dans le réseau commercial, 1/3/1963 (produits alimentaires)], GARF, 9527/1/1/9.

27  Wickham Sylvain, art. cité.

28  Sapir Jacques, op. cit., p. 12.

29  Ibid., p. 30.

30  Khlevniuk Oleg, « Economy of illusions », art. cité.

31  GARF, 9477/1/1189/5 (6/12/1962).

32  Khlevniuk Oleg, « Economy of illusions », art. cité. et Gorlizki Yoram, « Scandal in Riazan », art. cité.

33  Cf. Allison Graham et Zelikow Philip, Essence of decision. Explaining the Cuban Missile Crisis, New York, Longman, 1999 pour des observations proches sur un tout autre terrain.

34  Sylvain Wickham notait que les bureaucraties industrielles semblaient avoir plus ou moins tendu à s’affranchir des comités politiques territoriaux censés les piloter, « menaçant de conduire ainsi à la suppression des différenciations locales », et à autonomiser leurs corps professionnels (par une moindre interpénétration des uns par rapport aux autres). « De simple ramification administrative dans un appareil indifférencié, poursuit-il, chaque commissariat [ministère technique] est bientôt apparu comme un ensemble économique distinct plus ou moins parfaitement intégré. » (Wickham Sylvain, art. cité.)

35  Sigman Carole, « Les origines de la contractualisation des rapports entre entreprises et enseignement supérieur dans le système soviétique », in Gingras Yves et Roy Lyse (dir.), Les Universités nouvelles. Enjeux et perspectives, Presses de l’université du Québec, coll. « Enseignement supérieur », Québec, 2012, p. 91-110.

36  RGANI, 2/1/603/105 (23/11/1962).

37  Lorsqu’en 1924-1925, par exemple, Staline cherche des appuis pour critiquer le fonctionnement de la statistique d’État, il en trouve auprès du Gosplan, prêt à lui fournir des arguments chiffrés (Blum Alain et Mespoulet Martine, op. cit., p. 50 et 75). A. Blum et M. Mespoulet y décèlent un « conflit […] profond qui oppose une forme d’administration, associée à une conception de la planification essentiellement politique, et une administration statistique centrée sur une conception scientifique et critique de la production statistique » (ibid., p. 84).

38  RGANI, 2/1/603/124 (23/11/1962).

39  GARF, 5446/99/15/32-33 (20/10/1965).

40  Le président du Gosplan, Pëtr Lomako (novembre 1962-octobre 1965) conserve néanmoins le poste de vice-président du Conseil des ministres de l’URSS, comme la plupart de ses prédécesseurs.

41  Ploss Sidney I., « Interest groups », in Kassof Allen (dir.), Prospects for soviet society, New York, Praeger, 1968, p. 76-103 (p. 87, 89), cité par Ryavec Karl W., « Soviet industrial managers, their superiors and the economic reform : A study of an attempt at planned behavioural change », Soviet Studies, no 21, 1969, p. 208-229.

42  Zaleski Eugène, Planning reforms in the Soviet Union, 1962-1966. An analysis of recent trends in economic organization and management, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1967, p. 28.

43  GARF, 5446/99/15/32-33 (20/10/1965).

44  Le résultat de cette lutte est que la CSU a été intégrée au Gosplan en 1929 en tant que subdivision (Blum Alain et Mespoulet Martine, op. cit., p. 110). Elle est redevenue indépendante en 1948, la direction du Parti et de l’État estimant que les planificateurs ne pouvaient contrôler leur propre travail (Zaleski Eugène, Planning reforms in the Soviet Union…, op. cit., p. 24).

45  GARF, 9527/1/584/172 (26/3/1964).

46  Même dossier, p. 179.

47  Même dossier, p. 177.

48  Même dossier, p. 187.

49  Même dossier, p. 95-96 (31/1/1964).

50  GARF, 9527/1/584/30 (27/4/1964).

51  GARF, 9527/1/370/135 (14/12/1964).

52  GARF, 9527/1/584/249 (2/4/1964).

53  L’hémorragie diminue toutefois par la suite puisque les départs volontaires ne représentent plus que 18 % des effectifs en 1963. Même dossier, p. 61-62 (mai 1964).

54  GARF, 5446/96/348/47 (7/3/1962). On peut imaginer qu’elle n’est pas la seule dans ce cas : les Gosplans locaux sont eux aussi soupçonnés de couvrir certains agissements répréhensibles des entreprises.

55  Ses anciennes fonctions de contrôle de la réalisation des plans sont transférées au Sovnarkhoze de l’URSS, fondé en 1962 pour tenter de coordonner l’activité des sovnarkhozes régionaux (RGANI, 2/1/590/89-90 [16/11/1962]).

56  GARF, 5446/99/15/1 (sept. 1965).

57  Même dossier, p. 48 (décret du Conseil des ministres de l’URSS du 30/10/1965 no 854).

58  Rappelons que celui-ci a rencontré de fortes résistances dès 1957 et qu’il a alors déjoué un complot de membres du Présidium du CC du PCUS visant à le destituer (le « groupe antiparti »).

59  Voir l’article de Liberman (Liberman Evsej, « Plan, pribyl’, premiâ » [Le plan, le bénéfice et les primes], Pravda, 9/9/1962) et les débats autour du projet de loi sur l’entreprise, que le Plénum de novembre 1962 avait demandé de préparer au Conseil des ministres de l’URSS et qui verra finalement le jour sous la forme d’un acte réglementaire en octobre 1965. La nouvelle répartition du bénéfice se concrétisera le même jour par un décret du CC du PCUS et du Conseil des ministres de l’URSS (GARF, 5446/99/11/272b).

60  GARF, 5446/99/1/62 (12/1/1965).

61  Apparues en 1961, les « unions de production » ou « firmes » réunissent des entreprises d’un même secteur et d’une même région autour d’une entreprise plus grosse ou techniquement plus avancée, qui devient responsable de la planification, des achats, de la vente, de la gestion du personnel, des services techniques et des bureaux d’études (Zaleski E., Planning reforms in the Soviet Union, op. cit., p. 157).

62  Zaleski Eugène, « Les Unions de production et le problème de la concentration des entreprises en URSS », Revue de l’Est, no 1, 1970, p. 87-127.

63  GARF, 5446/99/11/73, 24/11/1964. Lettre d’un économiste au Conseil des ministres de l’URSS.

64  cf. sa note au CC du 19/2/1962 « Ob ulučšenii kontrolâ za vypolneniem direktiv partii i pravitel’stva » [Sur l’amélioration du contrôle de l’exécution des directives du parti et du gouvernement], citée par Pihoâ Rudolf, « Počemu Hruŝev poterâl vlast’ : Komitet partijno-gosudarstvennogo kontrolâ CK KPSS i Soveta Ministrov SSSR » [Pourquoi Khrouchtchev a perdu le pouvoir : Le Comité de contrôle du Parti et de l’État du CC du PCUS et du Conseil des ministres de l’URSS], Analitičeskie issledovaniâ v istoričeskoj nauke, 2000/8 [http://ricolor.org/history/rsv/aft/hr/5/].

65  Sur le Contrôle dans les années 1920-1930, cf. Nérard François-Xavier, « Les organes du contrôle d’État et les journaux dans l’URSS de Stalin : des auxiliaires de la police politique ? », Cahiers du Monde russe, no 42, 2001/2-3-4, p. 263-278 et Nérard François-Xavier, « Les bureaux des plaintes dans l’URSS de Staline (1928-1941). La gestion du mécontentement dans un État socialiste », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 49, 2002/2, p. 263-278.

66  En 1964, la CSU compte 27000 inspecteurs bénévoles (obŝestvennye inspektory) (GARF, 9527/1/584/210, 2/4/1964). Pour le Parti, cf. Swearer Howard R., « Changing roles of the CPSU under First secretary Khrushchev », World Politics, no 15, 1962/1, p. 20-43.

67  GARF, 5446/102/1320/3 (11/3/1966). Sur le phénomène des « contrôleurs populaires », cf. Adams Jan S., Citizen inspectors in the Soviet Union : The People’s Control Committee, New York, London, Praeger Publishers, coll. « Praeger special studies in international politics and government », 1977.

68  GARF, 9527/1/314/8 (6/4/1963).

69  GARF, 5446/100/1205/5 (6/7/1966).

70  Ce qui n’ira pas sans poser de problèmes à ces employés dans leurs relations avec leur hiérarchie, surtout si celle-ci relève de la nomenklatura du CC du PCUS, par exemple (GARF, 9527/1/2/49, 15/3/1963).

71  RGANI, 2/1/588/15-16 (23/11/1962).

72  Il est chargé d’y contrôler l’état et l’utilisation de la technique et de la propriété, ainsi que le respect de la discipline budgétaire (GARF, 9477/1/1189/274, 24/7/1962). En 1963, ses attributions sont étendues au KGB et au ministère de l’Intérieur (Pihoâ Rudolf, art. cité).

73  Voir les statuts du 30/6/1964 des groupes de soutien des comités du KPGK (Adams Jan S., « “People’s Control” in the Soviet Union », The Western Political Quarterly, n 20, 1967/4, p. 919-929) et le projet de discours de Brejnev au Plénum du Comité central du PCUS de décembre 1965 (RGANI, 2/1/807/14, 6/12/1965).

74  GARF, 9477/1/1189/4 (6/12/1962). Ainsi sur 25 dossiers transmis à la Procurature entre 1958 et 1962, un a débouché sur une exécution capitale (même dossier, p. 327, 27/10/1962).

75  En 1934, Staline avait supprimé les groupes de soutien des organes de contrôle, si bien qu’en 1948, explique Khrouchtchev, l’appareil du Contrôle était de fait « isolé des autres organismes soviétiques » (RGANI, 2/1/590/124, 16/11/1962).

76  Dans le même esprit, sont réanimés les « tribunaux de camarades » dans les entreprises et organisations, constitués de salariés élus par leurs pairs pour juger les contentieux du travail (cf. par exemple Pyžikov Aleksandr, Hruŝevskaâ « ottepel’ ». 1953-1964 gg., Moscou, Olma-Press, coll. « Arhiv », 2002, p. 247).

77  Sur les marques d’autonomie d’un secteur, cf. Dobry Michel, Sociologie des crises politiques…, op. cit., 2009, p. 111 et suiv.

78  Pihoâ Rudolf, art. cité.

79  Swearer Howard, art. cité et Zaleski Eugène, Planning reforms in the Soviet Union…, op. cit., p. 13. L’une des raisons en est que ses appuis politiques, du moins à son arrivée au pouvoir, sont situés dans cet appareil.

80  GARF, 5446/99/1/3 (14/12/1964). Swearer fait une constatation similaire (Swearer Howard, art. cité).

81  Loin de subir le même sort que son « protecteur », Šelepin a, au contraire, joué un rôle actif dans sa destitution.

82  GARF, 5446/102/1321/41 (2/8/1966).

83  Même dossier, p. 132 (9/7/1968).

84  Même dossier, p. 133. Le CM de la RSFSR demande par ailleurs que soit prévu un recours auprès des comités exécutifs de soviet des travailleurs (même dossier, p. 49, 13/4/1966). Les résistances au Contrôle dépassent aussi l’espace bureaucratique : un rapport du Contrôle de 1966 mentionne en effet que plusieurs « contrôleurs populaires » ont été victimes de représailles et dans certains cas d’assassinats (GARF, 5446/102/1320/3, 11/3/1966).

85  « Tout en envisageant d’accorder de larges compétences au Comité de contrôle du Parti, je tiens à souligner combien il est nécessaire d’écarter toute possibilité d’opposition avec le CC. […] L’ensemble du travail du Comité doit être effectué sous la direction du CC du PCUS et de son Présidium, le Comité doit constamment rendre compte de ses activités devant le Présidium du CC du PCUS, soumettre au CC ses plans de travail, et la nomination de tous les responsables de l’appareil du Comité devra être entérinée par le CC du PCUS. » (Cité par Pihoâ Rudolf, art. cité.)

86  Pihoâ Rudolf, art. cité. Ceci, à condition d’admettre que cet appareil tentaculaire avec ses centaines de milliers de groupes de soutien a fonctionné comme une machine bien huilée, ce qui resterait à prouver.

87  Dobry Michel, « Valeurs, croyances et transactions collusives », art. cité.

88  Sur un tout autre terrain, B. Samuel montre que la falsification des comptes de l’État mauritanien, en facilitant l’appropriation des ressources, a été une condition centrale des échanges et jeux complexes entre secteurs différenciés de la bureaucratie au début des années 2000, consolidant ainsi un mode de domination (Samuel Boris, « Trajectoire technocratique et instabilité politique en Mauritanie, 2003-2011 », Les Études du CERI, no 178, 2011, 37 p.).

89  Dobry Michel, « Valeurs, croyances et transactions collusives », art. cité.

90  Configuration qui correspond à la conception des « consensus » politiques (énoncés dont les acteurs anticipent qu’il est coûteux de s’écarter) suggérée par Dobry Michel, « Le jeu du consensus », Pouvoirs, no 38, 1986, p. 47-66.

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Auteur

Est chargée de recherche au CNRS, à l’Institut des sciences sociales du politique (CNRS/université Paris Nanterre/ENS Paris-Saclay). Ses travaux s’inscrivent dans le domaine de la sociologie politique des systèmes autoritaires et de leurs transformations. Elle s’est intéressée aux mobilisations politiques en Russie au moment de la perestroïka et travaille sur la sociologie de l’État en Russie à travers la planification soviétique et les réformes actuelles de l’enseignement supérieur.

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