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Les écoles du journalisme

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Ivan Chupin

1re partie. Le triomphe de la scolarisation du journalisme (fin du XIXe siècle-milieu des années 1970)

3. La redéfinition du lien à la profession : les écoles privées face à la concurrence universitaire dans les années 1960

Texte intégral

1À partir de la fin des années 1960, se développe au sein des écoles de journalisme une nouvelle concurrence universitaire qui met en jeu la monopolisation de la formation opérée par le CFJ depuis l’après-guerre. Sous l’effet de l’intensification de la concurrence, les écoles privées redéfinissent leur rapport à la profession et au marché du travail.

  • 1  Pour un exemple de ce tournant « professionnalisant » de l’Université dans le domaine de la gestio (...)
  • 2  Dans les faits, il s’agit d’une « interdiscipline » mais ici, nous utiliserons par souci de commod (...)

2Cette concurrence publique qui fait éclater le lien quasi-exclusif reliant jusqu’alors les écoles privées (CFJ et dans une moindre mesure ESJ) à la profession prend racine au cœur du tournant « professionnalisant » qui s’opère au sein de l’Université1 et se manifeste, par exemple, par la création des Instituts universitaires de technologie (IUT) à la fin des années 1960 (Prost, 1992, p. 126). Plusieurs acteurs au sein de l’Université se saisissent de ce contexte de recomposition des rapports entre le monde du travail et l’Université, accentuée par la crise de mai 68, pour lancer des enseignements au journalisme. La domination du CFJ se retrouve disputée sur plusieurs fronts : au niveau intellectuel par des formations délivrant des maîtrises à l’image du CUEJ de Strasbourg et du CELSA de Neuilly, mais aussi sur le plan plus technique par les IUT. Cette mise en péril du modèle de formation proposé par les écoles privées est accentuée par le développement d’une nouvelle discipline, les « sciences de l’information et de la communication2 » (SIC) qui concurrence le savoir-faire enseigné dans les écoles privées et qui rallie de nouveaux groupes sociaux autour d’elle. Le succès de cette entreprise scientifique permet enfin de doter l’ensemble de ces formations de moyens symboliques et matériels d’existence.

3Les dirigeants du CFJ s’efforcent de résister en renforçant les liens avec l’École de Lille ou en proposant de nouveaux enseignements. Mais ce sont surtout les liens avec la profession qui constituent leur spécificité et leur force : ils lancent donc un Centre de perfectionnement au journalisme (CPJ), dans le contexte de développement de la formation continue à la fin des années 1960.

Quand l’Université se met à former des journalistes

4La professionnalisation du journalisme à l’université présente un développement aux apparences chaotiques. Loin d’obéir à une logique d’ensemble, les premières institutions de formation au journalisme apparaissent comme des créations très hétérogènes.

5Pourtant, il est possible de retrouver certaines logiques d’ensemble. Toutes ces initiatives s’appuient sur des outils législatifs et réglementaires hérités de la recomposition de l’université provoquée par le mouvement de mai 1968. Ces outils, à l’image de la loi d’orientation d’Edgar Faure, constituent autant de moyens pour ces nouveaux entrepreneurs de mettre en place des formations sélectives dans une université massifiée et également de bénéficier d’une autonomie de gestion renforcée en s’émancipant de la tutelle des facultés de Lettres.

6Ces formations nouvelles fragilisent d’autant plus le monopole des écoles professionnelles qu’elles remettent en cause leur domination à deux niveaux : en revendiquant un magistère intellectuel mais aussi dans le cas des IUT une légitimité technicienne et militante. Les écoles privées de journalisme se voient donc concurrencées tous azimuts par l’université.

  • 3  Une section est alors créée au Comité consultatif des universités (CCU).

7Les créateurs de ces formations universitaires se rejoignent dans leur participation à l’édification d’une discipline nouvelle – les sciences de l’information et de la communication – (SIC) qui obtient sa reconnaissance du ministère de l’Éducation nationale en 19743. Au total, il s’agit de montrer que le mode professionnel, produit dans la conjoncture de l’après-guerre, et de l’alliance nouée avec des journalistes représentant la profession, perd de son monopole.

L’ouverture de concurrences universitaires à la formation au journalisme

  • 4  L’Éducation nationale autorise la délivrance d’un premier diplôme de communication à l’Université (...)

8L’ensemble de ces transformations de l’Université dans les années 1960 constitue un contexte propice à la mise en place de projets professionnalisants en matière de formation au journalisme. Ces formations participent et bénéficient du mouvement national de « professionnalisation » et de sa reconnaissance par le ministère de l’Éducation nationale4, elles ne s’enracinent pas moins profondément dans des logiques locales.

9À Strasbourg, la création d’une école découle de la réorientation d’un dispositif mis en place par l’Unesco pour former des formateurs venus de l’étranger. À Bordeaux et à Tours, dans le cadre de la création des IUT, certains entrepreneurs lancent leur propre formation de journalisme. L’histoire de ces dispositifs de formation ne se comprend que par le biais d’un recours aux monographies et à l’étude des configurations locales (Olivesi, 2007).

10La création d’une filière de journalisme à Strasbourg s’est faite en deux temps : d’abord par le biais du CIESJ (Centre international d’enseignement sur le journalisme) sous l’égide de l’Unesco (Drouet, 1997), d’où naîtra ensuite un certificat « de technologie de l’information » dans le cadre du CUEJ (Centre universitaire d’enseignement du journalisme). Les fondateurs du CUEJ tirent partie des financements et du capital symbolique offerts initialement par l’Unesco pour pérenniser et légitimer une nouvelle formation au journalisme de type universitaire. En quelque sorte, le cas de Strasbourg constitue un détournement d’un projet initial de solidarité internationale en un nouveau dispositif de formation à caractère purement national.

  • 5  L’Unesco avait un support dans les pays membres. Il existe une commission française divisée en sou (...)

11L’objectif poursuivi par la commission médias5 est d’« intellectualiser » et de « moraliser » la presse de différents pays membres de l’Unesco. Dans les années 1950, l’Unesco se donne comme objectif la formation des journalistes afin de contribuer à « l’éducation des populations et à la construction de la paix ». En avril 1956, se tient une conférence au siège de l’Unesco à Paris sur le thème de la formation des journalistes. Fernand Terrou, membre de la Commission médias et fondateur de l’Institut français de presse, est nommé responsable d’un comité intérimaire. Il invite Jacques Kayzer, directeur-adjoint de l’IFP à servir de secrétaire général de ce comité. Ensemble, ils vont œuvrer à la diffusion de leur projet de « science de la presse » via l’Unesco. En 1957, il est décidé de créer au sein de l’Unesco un certain nombre de centres répartis à travers le monde. Le but n’est pas de favoriser à proprement parler l’enseignement du journalisme mais vise à la formation de spécialistes de l’information. L’idée est de « former des formateurs » et notamment des professeurs de journalisme en pointe dans les domaines de la recherche de l’information. À la suite d’un accord entre le ministère de l’Éducation nationale et l’Unesco, quatre centres de formation sont alors crées. Dakar, Quito, Manille et Strasbourg où le Centre est lancé en partenariat avec l’Université. Les statuts de ce Centre de Strasbourg ont été approuvés par arrêté le 25 juillet 1957.

  • 6  Jacques Léauté était professeur de droit mais il avait été membre entre 1944-1945 du cabinet de Pi (...)

12Jacques Léauté, professeur de droit à la Faculté de Paris, ancien fonctionnaire au ministère de l’information6, familier des questions de droit pénal, membre de la Commission française de l’Unesco, est choisi par le ministère de l’Éducation nationale pour diriger ce centre international parce qu’il est l’un des rares professeurs de l’université française à avoir consacré une thèse à un problème lié à l’information, son doctorat portant sur le secret militaire et la presse. Jacques Léauté participera ensuite à l’Unesco en tant qu’expert de 1958 à sa mort en 1994.

  • 7  L’URSS était membre de l’Unesco.

13À partir de 1960, les journalistes des pays devenus nouvellement indépendants reçoivent une formation au travers de ce qui est alors appelé « les sessions afro asiatiques ». Les formations s’adressent à des personnes qui détiennent déjà un certain niveau universitaire et qui viennent pendant quatre mois à Strasbourg pour bénéficier d’une formation accélérée en journalisme. Plusieurs sessions se tiennent sur le principe de conférences internationales des enseignements du journalisme. Elles réunissent des « spécialistes » de la presse des pays de l’Est (URSS7, Pologne, Tchécoslovaquie…), des pays en voie de développement (Amérique du Sud, Afrique, Asie), des États-Unis, et de France (École de Lille, CFJ). Les cours sont donnés par des journalistes français ou étrangers. Le CIESJ organise donc jusqu’aux années 1970 des colloques de recherche sur les médias au rythme de un ou deux par an. De 1958 à 1974, une quarantaine de colloques se tiennent à Strasbourg. Les sessions ont lieu dans une villa de la Robertsau mise à disposition par l’Université. L’Unesco procure le financement et prend à sa charge les voyages des participants.

14Le public se transforme car assez rapidement le CIESJ mélange des étudiants et des formateurs. La relative indétermination du projet lui confère une plasticité qui favorisera la reconversion engagée à partir de 1962 vers un autre projet de formation conduit par Jacques Léauté : l’installation d’une école de journalisme au sein de l’Université. Bernard Voyenne, qui participait à ses réunions du premier projet Unesco, où il représentait le CFJ qui était parvenu à se faire associer à ces sessions internationales, commente ce changement de statut de la formation :

  • 8  Paul Collovald, un proche de Robert Schuman.
  • 9  Entretien avec Bernard Voyenne, ancien responsable de la formation du CFJ, le 26 novembre 2003.

« Ça faisait une Tour de Babel assez sympathique. […] Alors, ils se sont aperçus que c’était un grand projet sur le papier, mais qu’ils ne tiendraient pas la route pendant dix ans. […] C’est à partir de là, que Strasbourg pour continuer à occuper ses locaux et faire quelque chose dans le cadre du journalisme, a à la fois crée un doctorat d’études des médias et en même temps a lancé une licence, parce que les Dernières Nouvelles s’y intéressaient. Donc, il y avait un soutien du côté de la presse. Il y avait Paul Collovald8 qui a été après au conseil de l’Europe9. »

15Pour justifier de sa mise en place, les dirigeants du CIESJ ont joué sur le caractère bilingue de la presse régionale en invoquant des nécessités de recrutement spécifique. Cette réorientation du projet initial coïncide avec les débuts du mouvement plus général de la « professionnalisation » des enseignements au sein de l’Université à la fin des années 1960 et vient introduire une nouvelle concurrence avec le CFJ et dont ses représentants prennent alors conscience.

16À partir de 1965, Jacques Léauté obtient dans le cadre de la réforme Fouchet, ministre de l’Éducation nationale, la création d’un premier cycle à Strasbourg appelé le DUEL, pour diplôme universitaire d’études littéraires dans lequel

  • 10  Entretien de Robert Escarpit avec Anne-Marie Laulan et Jean Devèze, SFSIC, 1994.

« J’ai eu cette chance énorme, à l’époque, de pouvoir créer l’IUT, relate Robert Escarpit. […] Un jour, Christian Fouchet avait dit une bêtise, ce qui lui arrivait assez souvent. Dans Le Monde, j’avais fait un papier assez dur. […] Monsieur Fouchet, furieux, m’a convoqué pour m’engueuler. J’y suis allé et j’ai gueulé plus fort que lui. Il m’a demandé ce que nous faisions, ce que c’était que cette “communication”. Je lui ai expliqué et prouvé que ça pourrait lui servir, ce qui l’a intéressé, puisqu’il m’a invité à déjeuner ! Durant le repas, il m’a expliqué qu’il ne savait que faire des littéraires et des juristes dans les IUT (nous étions en 1967). Il voulait savoir si cette idée marcherait pour eux. J’ai répondu que ça marcherait très bien. Il m’a proposé de l’argent et du personnel pour créer un département expérimental. J’ai, bien sûr, été d’accord. Nous avons écrit les chiffres sur une serviette en papier. Je suis sorti avec 29 millions d’anciens francs et quatre postes ! J’ai créé, dès la rentrée suivante le département “Carrières de la Communication” à l’IUT de Bordeaux10. »

  • 11  Plus généralement, c’est en 1967 que sont créés les premiers cycles, en 1969 les deuxièmes cycles (...)

17l’ensemble « journalisme » devenait une des composantes de la licence11. En 1969, Alphonse Irjud prend la succession de Jacques Léauté à la direction des études du CUEJ. Le parcours de formation y est complet puisqu’il s’étend du niveau bac jusqu’au doctorat. Cette création par étapes d’une école à Strasbourg rappelle le caractère contingent de ces formations au sein de l’Université où c’est avant tout l’opportunité qui fait la formation. Elle montre aussi le rôle joué par la presse locale dans ces créations de nouvelles écoles de journalisme dans l’université. On retrouve aussi ce même poids de la presse dans les consensus locaux élaborés autour de la mise en place des IUT.

  • 12  Il a déjà à l’époque rédigé de multiples travaux dont un Que-sais-je ? sur la Sociologie de la lit (...)

18À Bordeaux, la création de l’IUT de journalisme en 1967 est impulsée à titre d’expérimentation par le ministre de l’Éducation nationale Christian Fouchet. Elle va se redéfinir à la lumière des ressources politiques de son fondateur, Robert Escarpit, professeur d’université de lettres comparées à l’université de Bordeaux III, spécialiste reconnu en critique littéraire12 et surtout billetiste au Monde ce qui lui facilite l’accès au monde politique.

  • 13  Robert Escarpit lui dédie d’ailleurs son livre Les IUT du temps gagné qui constitue une présentati (...)

19Créé en 1967, l’IUT B à Bordeaux regroupe un département « carrières de l’information » (documentation, journalisme, livre, publicité, relations publiques) et un département « carrières sociales » (animateurs socio-culturels). Christian Fouchet, ministre de l’Éducation nationale a proposé à Robert Escarpit de créer une formation professionnalisante accessible à des étudiants de filières littéraires et juridiques13.

20Ce problème de l’insertion des littéraires dans le marché du travail commence à se poser. Le Centre d’études scientifiques littéraires et scientifiques appliquées (CELSA) qui se développe aussi de manière expérimentale au sein des facultés de Lettres de la Sorbonne avait depuis la fin des années 1960 comme projet de conduire les littéraires vers le monde de l’entreprise.

  • 14  Quatre ou cinq journalistes étaient formés par an dans le cadre de cette licence.
  • 15  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de la formation à l’IUT de Bordeaux, le 17 nove (...)

21À la croisée entre les milieux universitaires et le monde de la presse, Robert Escarpit bénéficie d’une position privilégiée pour lancer une nouvelle expérimentation en matière de « professionalisation » journalistique. De plus, la création d’un IUT à Bordeaux s’appuie sur une expérience antérieure de formation à la communication au sein de l’université de Bordeaux où une petite licence de journalisme au sein de l’ISIC formait déjà quelques journalistes pour Sud-Ouest et pour l’ORTF14. Contrairement à cette licence, alors décriée par certains journalistes pour son « népotisme15 », la formation de l’IUT se pose comme une entreprise à caractère national non réductible à l’emprise d’un média local.

  • 16  Ce point n’est pas si étonnant car les IUT s’inscrivent dans une logique d’interdisciplinarité dès (...)

22La création de l’IUT de Tours obéit à des considérations beaucoup plus locales (Drouard, 1978, p. 120). S’il était prévu que les IUT soient crées dans des villes universitaires et là où le tissu industriel permettait d’assurer des débouchés professionnels, la réalité des prises de décision est plus anarchique. L’IUT de journalisme de Tours découle ainsi principalement de la poussée d’un journal régional. Le patron de la Nouvelle République du Centre-Ouest Pierre Archambault détient dans la région un quasi-monopole médiatique. Issu de la Résistance, il entretient des liens avec le médecin qui prend la direction de l’IUT le docteur Luthier. On comprend alors comment le journalisme a pu se fondre dans le développement d’un IUT offrant par ailleurs une formation en matière de « biologie appliquée », la « gestion des entreprises et des administrations » et ses « techniques de commercialisation16 ». Pierre Archambault entend ainsi disposer d’une formation à proximité immédiate. En presse écrite, la quasi-totalité des formateurs sont originaires de la Nouvelle République du Centre Ouest.

23Au principe de cette nouvelle concurrence universitaire, on retrouve ainsi à la fois des politiques nouvelles d’éducation (professionnalisation des formations) et diverses opportunités locales des universitaires ou des propriétaires de journaux intéressés à la mise en place de ce type de formation.

La sélection et l’autonomie comme ressources des formations universitaires

  • 17  Si le tournant « professionnalisant » de l’Université s’actualise dans le mouvement de mai 68, il (...)
  • 18  À la différence de ces nouvelles formations universitaires, les écoles privées se caractérisent pa (...)

24Loin de remettre en question les grandes orientations prises par l’enseignement supérieur, mai 1968 vient conforter au travers d’une loi d’orientation (« loi Faure ») le mouvement de « professionnalisation » de l’université17. Les équipes dirigeantes des formations au journalisme situées au sein des universités et des IUT profitent de la recomposition ouverte par la crise de mai 68 et la mise en place de cette nouvelle loi pour accroître la sélectivité au sein de leurs nouvelles filières de formation au journalisme dans une université qui se massifie. La reconnaissance officielle de leurs diplômes par un ministère de l’Éducation nationale qui valide, parfois a posteriori, la plupart de leurs pratiques élitistes de recrutement. C’est donc d’abord par l’octroi d’un diplôme sélectif reconnu par l’État que ces écoles introduisent une nouvelle concurrence au sein de l’espace de formation des journalistes18. Dans le même temps, les changements induits par mai 68 rendent davantage autonomes les formations de journalisme à l’égard des facultés de Lettres sur le plan des statuts, du budget, et de la prise de décision.

  • 19  Décret no 61-421 relatif au Comité consultatif des universités, Journal Officiel de la République (...)

25La loi Faure est une loi d’orientation mise en place le 12 novembre 1968 (Minot, 1991, p. 59-78) qui vient recomposer l’ensemble du système d’enseignement supérieur. Elle entraîne l’éclatement du modèle des facultés autour de nouvelles disciplines puisqu’on passe de cinq disciplines (droit et sciences économiques, lettres et sciences humaines, sciences, médecine, pharmacie) à 47 qui disposent de commissions universitaires autonomes19. La loi Faure repose sur trois principes : autonomie, participation et pluridisciplinarité. Les universités se voient dotés d’un statut particulier d’Établissement public à caractère scientifique et culturel (EPSC). L’ancien doyen de faculté est remplacé par un président élu pour une durée de cinq ans par un Conseil. Il appartient aux universités et aux Unités d’enseignement et de recherche (UER) de se doter de statuts et des structures internes. Elles sont à présent administrées par des conseils élus.

  • 20  Pour la liste complète des bénéficiaires d’un tel statut (Minot, 1991., p. 63-64).

26Dans cette réforme de l’enseignement supérieur, l’enjeu pour de nombreux universitaires est de conserver leur statut datant d’avant la loi afin de maintenir une forme de sélection à l’entrée. (Bourdieu, 1984, p. 171). Les présidents d’IUT se mobilisent par exemple pour conserver leur statut établi le 7 janvier 1966. La constitution en UER dérogatoire est un moyen fortement utilisé à l’époque pour préserver ses statuts d’avant la loi Faure. Au total sur les 623 UER reconnues au début de 1989, on compte 210 UER à statut dérogatoire20.

  • 21  Entretien avec Alphonse Irjud, ancien directeur du CUEJ, le 28 mai 2005.

27Si les hommes politiques fondaient de grands espoirs dans le développement des IUT, ces institutions tendent à échapper au contrôle du ministère de l’Éducation nationale et à imposer une forte sélectivité. Le Ve Plan fixait un objectif de 160000 étudiants dans les IUT pour 1972. Le conseil des ministres du 24 avril 1968 prévoyait que 125000 étudiants seraient inscrits en 1972. Or, en 1976, on comptabilise 43526 étudiants dans les 66 IUT. « Conçus pour assurer des débouchés et une promotion aux élèves de l’enseignement technique, les IUT se sont transformés en mini-grandes écoles », estime Alain Drouard (Drouard, 1978, p. 119). Ainsi, le Centre de Strasbourg crée à la fin des années 1960, confronté à la massification de l’université, introduit une sélectivité qui ne dit pas son nom. Les premières années, près de 400 étudiants s’inscrivent en journalisme. Alphonse Irjud utilise la loi d’orientation Edgar Faure qui prévoit un « stage d’orientation », destiné à tester l’aptitude du candidat, pour sélectionner les étudiants et restreindre les promotions. « Parce que devant l’afflux des étudiants, on ne pouvait pas les loger, il fallait courir pour louer des salles21 », confie-t-il aujourd’hui. Le centre de journalisme de Strasbourg fait partie des premières écoles à mettre en œuvre ce stage d’orientation en 1970 et à l’utiliser comme un concours d’entrée. Or, les décrets d’application de la loi Faure ne paraissent pas immédiatement en Alsace ce qui fait qu’en 1969, la première année comporte en définitive 250 étudiants car la direction des études ne peut compter que sur le départ volontaire de certains étudiants ayant reçu un avis défavorable.

  • 22  Entretien avec Alphonse Irjud, ancien directeur du CUEJ, le 28 mai 2005.

« En 1970, on a refait le stage d’orientation, mais là, j’ai joué au dictateur, raconte l’ancien directeur. J’ai décidé que l’avis défavorable était la guillotine, le couperet. On donnait avis défavorable et on ne pouvait pas continuer. J’ai réussi à faire une première année de 120. Ça commençait à devenir gérable. Et je priais le ciel matin et soir pour que personne ne fasse de recours. Parce qu’il n’y avait pas de bases légales à cette éviction […]. Moi je disais, il y a un règlement, une loi que je respecte : c’est le règlement des pompiers. Le règlement dit qu’on ne peut pas être plus de tant de personnes pour des raisons de sécurité22. »

28La création des MST (maîtrise de sciences et techniques) par le ministère de l’Éducation nationale en 1972 régularisera a posteriori la sélection adoptée par le CUEJ de Strasbourg, pratique qui avait d’ailleurs été tolérée par la direction des enseignements supérieurs de l’époque.

29Mais la réforme ouverte par la loi Faure ne se limite pas à la seule possibilité de mettre en place une sélection. Elle confère également aux nouvelles formations des moyens de s’autonomiser à l’égard des universités de Lettres et de sciences humaines.

30Les formations au journalisme utilisent la loi d’orientation pour gagner leur autonomie à l’égard des universités soit en modifiant leur rattachement universitaire par le biais de négociations. Soit en obtenant un statut autonome d’UER dérogatoire permis par la loi Faure.

31La contestation de mai 68 révèle au grand jour des luttes internes à l’espace universitaire. L’éclatement de l’ancien modèle des facultés contribue à faire du rattachement aux nouvelles universités un enjeu stratégique pour les nouvelles composantes « professionnalisées ». L’école de journalisme de Strasbourg profite de la loi d’orientation pour se détacher de l’université des Lettres et sciences humaines et obtenir son rattachement à l’université de droit et des sciences économiques, rattachement qui lui permet de bénéficier d’une autonomie de gestion plus importante.

  • 23  La compétence sociale est déterminée en fonction du niveau de capital hérité et de capital économi (...)
  • 24  Cette compétence est proprement culturelle et dépend du capital d’autorité scientifique de notorié (...)

32Comprendre ces recompositions implique de replacer ces transformations dans le contexte du « conflit des facultés » qu’aborde Pierre Bourdieu en soulignant que le champ universitaire est organisé selon deux principes antagonistes : la compétence sociale23 et la compétence scientifique24. Cette opposition s’est inscrite dans les structures mêmes du champ universitaire qui est le lieu de l’affrontement entre deux principes de légitimation concurrents : le premier qui est proprement temporel et politique s’impose de plus en plus complètement à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie temporelle qui va des facultés de sciences aux facultés de droit ou de médecine ; l’autre, qui est fondé sur l’autonomie de l’ordre scientifique et intellectuel, s’impose de plus en plus nettement quand on va du droit ou de la médecine aux sciences (Bourdieu, 1984, p. 70-71).

33Le positionnement dans l’un des pôles découle d’une analyse des propriétés sociales des étudiants et des professeurs qui permet de souligner que les étudiants et les professeurs présents au sein des facultés de droit et de médecine se recrutent statistiquement dans les fractions les plus pourvues en capital et les plus orientées politiquement à droite. Certaines composantes universitaires profitent de la grande recomposition de l’université ouverte par la crise pour tenter d’augmenter leurs conditions d’autonomie en basculant d’un pôle vers l’autre. Ici, cet ajustement ne saurait seulement se comprendre par les positions sociales. Il tient aussi à des politiques d’établissement. Les formations au journalisme s’efforcent de prendre leur distance avec les universités de Lettres en se rapprochant des universités du pôle temporel comme le droit et d’économie ou en revendiquant l’obtention de statut dérogatoire.

  • 25  Jean-Baptiste Duroselle, l’historien, avait nourri le projet de faire de ce site un campus à l’amé (...)

34La crise de mai 1968 et l’éclatement en trois universités distinctes à Strasbourg rend ainsi possible la rupture entre la formation de journalisme et l’université de Lettres pour se rattacher à l’université de droit. Le rattachement apparaît d’abord comme un enjeu stratégique pour le CIESJ. Antoine Prost rappelle que les facultés de droit sont moins touchées par les effets de la réforme de la pédagogie en 1968 que d’autres filières comme les lettres, sciences sociales et sciences (Prost, 1992, p. 125). L’enjeu du rattachement est d’ailleurs une des préoccupations majeures des acteurs universitaires et notamment dans les formations, souvent nouvelles, au journalisme. Ainsi, par exemple, l’Institut français de presse se rattache à l’université de droit et d’économie également après avoir envisagé un temps un rapprochement avec la nouvelle université de Vincennes25. L’espace des facultés est donc aussi soumis à des stratégies politiques et universitaires et pas seulement à des déterminismes sociaux.

35Les enjeux sont aussi financiers :

  • 26  Entretien avec Alphonse Irjud, ancien directeur du CUEJ, le 28 mai 2005.

« c’était un peu la folie, estime aujourd’hui Alphonse Irjud, directeur du CUEJ. On aurait été englobé dans une licence de lettres avec mention journalisme ce qui était déjà le cas auparavant. Et pour la profession on n’aurait pas eu de véritable spécificité. J’ai vu l’exemple plus tard car ça s’est produit à Grenoble et lors d’une réunion avec mon collègue de Grenoble, il m’a dit : “vous avez bien fait de vous séparer de la fac des lettres car pour la taxe d’apprentissage, c’est la fac des lettres qui aurait tout englobé”. Or, chez nous, la taxe d’apprentissage allait dans notre budget. En droit chaque UER avait son propre budget. C’était une université qui n’était pas vraiment pour la recherche mais qui était davantage pour le marché du travail26 ».

  • 27  On retrouve d’ailleurs ce type de tensions autour de la taxe d’apprentissage au sein des IUT où le (...)

36Au sein de l’université de lettres, l’idée était de rattacher la formation journalisme à une UER de sociologie ce qui aurait eu pour effet de restreindre mécaniquement l’autonomie budgétaire de la formation journalisme27. Le rattachement du CUEJ à l’université de droit résulte d’un travail important de négociation entrepris par Alphonse Irjud. Jacques Léauté, professeur en droit à l’origine du projet de recherche sur le journalisme dans le cadre de l’Unesco, avait des relations tendues avec ses collègues juristes de Strasbourg et était peu présent sur place. De plus, le rôle des étudiants en journalisme et leur activité dans les événements de mai 1968 (occupation du Palais universitaire, mise à disposition de dépêches AFP auprès du comité de grève) ne facilitent pas leur admission auprès des professeurs de droit strasbourgeois plutôt hostiles au mouvement.

37Une autre possibilité de s’émanciper des facultés de lettres et de s’autonomiser sur le plan du budget est d’obtenir un statut dérogatoire comme dans le cas du CELSA rattaché au départ à la faculté des lettres de la Sorbonne.

  • 28  Initié entre 1958 et 1964 dans le cadre des conférences « Humanisme et entreprise », puis institut (...)
  • 29  Association des anciens élèves de lettres et de sciences humaines des universités de Paris, 1984, (...)
  • 30  Joseph Fontanet est ministre de l’Éducation nationale de Pierre Messmer du 5 juillet 1972 au 27 ma (...)

38Ce changement de statut doit à la trajectoire de son fondateur et aux relations qu’il parvient à cumuler auprès du pouvoir central. Tirant partie de la légitimité politique de celui qui devient son directeur, à partir de 1970, date à laquelle Charles-Pierre Guillebeau remplace le doyen Las Vergnas à la direction du CELSA, le CELSA28 modifie ses structures. En 1969, la préfecture de Paris l’autorise à percevoir la taxe d’apprentissage. Il obtient également une subvention de la Direction des Enseignements supérieurs et bénéficie d’un crédit pour l’acquisition de nouveaux locaux. « Il n’est pas interdit de penser que la nomination de Charles-Pierre Guillebeau comme directeur de l’ONISEP n’avait pas rendu plus difficile la solution de ces problèmes financiers29. » Charles-Pierre Guillebeau avait en effet été chargé par Olivier Guichard, ministre de l’Éducation nationale, de créer ce qui va devenir l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP). Le directeur du CELSA avait donc les appuis nécessaires pour revendiquer et faire passer sans encombre le nouveau statut. En 1971, le centre change de statut et quitte la Sorbonne pour s’installer à Neuilly. En application de la loi Edgar Faure, il se transforme en un « UER dérogatoire » et bénéficie d’une pleine autonomie, disposant de ses propres conseils d’administration, conseil scientifique, et commission pédagogique paritaire (enseignants et étudiants). Les crédits et les subventions font l’objet d’un compte distinct de l’Université. Il en va de même pour l’attribution des postes budgétaires de personnel. Enfin, l’UER est habilitée à passer convention avec toute autre université ou institut, après avis favorable de son Conseil. Les universitaires prennent en charge les enseignements académiques, et une place importante est faite aux syndicalistes et aux patrons pour le versant « professionnel ». Signe de son intégration au pouvoir central, en 1972, Charles-Pierre Guillebeau est nommé directeur général de l’Éducation nationale par Joseph Fontanet, le nouveau ministre de l’Éducation nationale30.

39Charles-Pierre Guillebeau ouvre en 1977 une formation de journalisme qui vient renforcer l’ensemble de son institution en accolant aux métiers de la communication une formation au métier journalistique. Cette création permet au CELSA de se distinguer des écoles de communication privée qui commencent à se développer à la fin des années 1970 (Viale, 1997, p. 131-149 ; Neveu et Rieffel, 1991, p. 22-25). Pour fonder sa formation, Charles-Pierre Guillebeau s’associe à un journaliste patron de presse René Finkelstein.

  • 31  Entretien avec René Finkelstein, membre du conseil d’administration de la section journalisme du C (...)
  • 32  Charles-Pierre Guillebeau lance cette revue en 1961 qui rassemble au début les conférences données (...)

40Alors qu’il était président de la Commission de la carte, René Finkelstein, avait rencontré Charles-Pierre Guillebeau, maître de conférences, à la Sorbonne. Ce dernier vient de créer le CELSA et souhaite obtenir « des tuyaux31 » sur le plan professionnel pour la revue Humanisme et Entreprises32 qu’il avait créée.

  • 33  Entretien avec René Finkelstein, membre du conseil d’administration de la section journalisme du C (...)

« Un beau jour, en 1975, je me trouve à nouveau aux côtés de Guillebeau chez le préfet de région qui était un ami que j’avais connu en khâgne, se souvient René Finkelstein. Je lui dis : “vous en êtes où avec votre CELSA ?” Il me dit : “Ah, mon pauvre ami, ça va très bien, on est installé à Neuilly. On fait de la formation pour la communication sociale, la communication institutionnelle.” Je lui dis : “vous n’avez pas les journalistes là-dedans ?” Il me dit qu’il aimerait bien, mais que c’est une chasse gardée. “Si je veux faire une formation de journaliste, je vais me heurter à tellement de problèmes que… Mais, c’est mon rêve.” Je lui dis : “et bien, vous ne voudriez qu’on essaye de le réaliser ensemble votre rêve”33. »

  • 34  René Finkelstein travaille dans le renseignement pour les Anglais, puis dans les FFL (Forces franç (...)
  • 35  René Finkelstein avait dû interrompre sa préparation à l’agrégation au moment de la guerre. Il réa (...)

41René Finkelstein se définit comme appartenant à une « génération de presse ». Son parrain qui joua un rôle central dans son éducation, a en effet travaillé pendant 53 ans au Temps jusqu’à ce que le journal se saborde. Résistant pendant la guerre34, le jeune René Finkelstein rentre à la Libération dans le cabinet de Georges Bidault, ministre des affaires étrangères MRP. Par le biais de Bidault, il collabore au service de politique étrangère de L’Aube, journal proche du MRP. Renonçant sur les conseils de son ministre (lui-même agrégé) à son projet d’agrégation35, René Finkelstein travaille dans le Centre national de la presse catholique et se lie d’amitiés avec des journalistes de Témoignage Chrétien. En 1961, il crée un journal catholique, Panorama, dans lequel il prend position contre la guerre d’Algérie, ce qui lui vaut d’être remercié. Par la suite, il se réoriente vers la presse économique, qu’il ne quittera plus, fondant la Revue Internationale, puis le titre Le Revenu. Durant sa carrière, il occupe des postes à la Fédération de la presse, au SPQR (Syndicat de la presse quotidienne régionale) dirigé d’abord par Emilien Amaury puis par Georges Montaron, qui était son « vieil ami » de Témoignage Chrétien. Il sera représentant patronal pendant plus de 35 ans à la Commission de la carte. Membre de la Commission supérieure chargée des appels, six fois président, et pendant, 20 ans membre du bureau. René Finkelstein jouit donc déjà à l’époque d’un crédit important auprès de la profession et des éditeurs de presse. Il va fournir à Guillebeau la légitimité et les réseaux qui lui font défaut dans le monde de la presse, ce dernier bénéficiant des appuis importants au sein de l’appareil politique.

42Cette prise d’autonomie des formations au journalisme se traduit concrètement par une prise de distance à l’égard des facultés de Lettres qui s’opère sous plusieurs modes. Si dans le cas de l’école de Strasbourg, on assiste à une rupture avec l’université de rattachement, les ressources politiques du fondateur du CELSA lui permettent de bénéficier d’une très importante autonomie tout en restant formellement rattaché à une université de Lettres. L’émancipation de ces nouvelles formations se concrétise dans l’affirmation de modèles de formation bien distincts qui viennent concurrencer les écoles privées. La concurrence aux écoles privées de journalisme se fait dans un espace universitaire très spécifique dans les filières les plus sélectives et les plus autonomes, les plus professionnalisantes. La question des modèles de formation adoptés prend ici tout son sens : la dimension professionnalisante, les liens construits avec la profession, journalistes comme patrons de presse, au sein des IUT, des UER juridiques ou des UER dérogatoires pouvant conduire à un modèle pédagogique assez semblable à celui négocié au sein des écoles privées de journalisme. Mais ce ne sera pas le cas.

L’introduction d’une double concurrence universitaire au sein de l’espace de formation au journalisme

43Forts de leur autonomie et de leur habilitation à sélectionner fraîchement acquises, les entrepreneurs de formation au sein de l’université vont concurrencer les écoles existantes à deux niveaux en leur disputant à la fois le magistère intellectuel et une légitimité militante et technique.

  • 36  Ici, nous n’évoquons pas le cas de l’Institut français de presse car son orientation reste dans un (...)

44Dans les années 1960 puis 1970, le CUEJ et le CELSA cherchent à imposer un modèle pédagogique nouveau au sein de l’espace de formation au journalisme. Elles tentent de redéfinir l’excellence du métier en insistant sur la maîtrise de connaissances relevant du large domaine des humanités. Ainsi, elles se positionnent clairement en opposition avec le modèle dominant technico-pratique du CFJ, contestant son quasi-monopole sur la formation des élites du journalisme36.

45Jacques Léauté n’hésite pas à mettre en scène un mépris pour les formations existantes. Les cadres du ministère de la Coopération avaient organisé un déjeuner avec les équipes dirigeantes de formation au journalisme pour mettre en place un concours commun de recrutement des étudiants étrangers.

  • 37  Entretien avec Robert Hennart, ancien directeur de l’ESJ de Lille, le 18 mars 2004.

« Ils nous avaient inscrit Viannay, Richet du CFJ, Léauté du CUEJ, et moi représentant l’ESJ de Lille à un déjeuner chez Drouant, raconte Robert Hennart, ancien directeur de l’école de journalisme de Lille. Ils ont invité instamment Léauté à se joindre à nous. “Jamais” répondit Léauté. Léauté lui, était l’Université… Alors il est resté à part […] S’il avait eu bon caractère et s’il n’avait pas été imbu de sa supériorité on aurait pu s’entendre mais il n’y avait rien à faire. Il a donc reçu des étudiants étrangers mais sans concours d’entrée. Devant Claude Bellanger et Robert Salmon, les deux grandes autorités de la presse parisienne, Léauté a dit : “l’Université reçoit toutes celles et tous ceux qui lui font confiance”. À quoi Salmon a ajouté : “et c’est pour ça qu’elle fabrique tant de chômeurs”. Léauté a exigé des excuses. On avait insulté l’Université. Vous vous rendez compte dans quel climat, il fallait travailler (rires)37. »

46Le surplomb de l’universitaire se joue ici dans un espace de formation où ce sont les écoles privées qui sont dominantes. Il devient ici la marque du prétendant.

  • 38  Il décrit la « juridiction » comme une tentative de contrôle légitime (Abbott, 2003, p. 30).

47Or, cette revendication « de juridiction » par l’université, pour reprendre les termes d’Andrew Abbott38, débouche sur des conflits entre formations puisqu’elle empêche les écoles de journalisme de revendiquer avec succès le statut symbolique de « grandes écoles » dont la construction historique repose sur la prétention à former leurs étudiants en leur transmettant une certaine « hauteur de vue » et des postures généralistes dont l’excellence les mettrait résolument à distance des connaissances sectorielles supposées être véhiculées par des écoles strictement techniques ou d’application (Eymeri, 2001, p. 128-129). La concurrence universitaire mais aussi les liens des écoles avec la profession, de même que la sectorisation de leur formation tendent à les enfermer dans un statut d’école pratique (ce qu’ils ont revendiqué à une époque).

48Charles-Pierre Guillebeau avance une explication à l’hostilité qu’il a pu rencontrer de la part des écoles professionnelles qui marque la prégnance de cette tension et de cette redéfinition du CFJ comme école pratique.

  • 39  Entretien avec Charles-Pierre Guillebeau, ancien directeur du CELSA, le 18 juin 2003.

« On voulait qu’ils rentrent dans le créneau de l’entreprise et qu’ils soient ajustés aux problèmes, tout en restant des généralistes, explique-t-il à propos du CELSA. Parce que quand on se spécialise trop, on ne voit plus rien. Il fallait qu’ils soient à la fois généralistes et suffisamment spécialistes. C’est pour ça que je disais que le CELSA forme des spécialistes du général. À part quelques-uns, comme Robert Salmon qui avait une grande culture générale, ceux qui n’avaient fait que le CFJ et qui étaient limités en quelque sorte à la fonction journaliste, ceux-là acceptaient mal notre idée. La crainte du CFJ était celle que l’on peut avoir de quelqu’un qui a une culture générale, alors qu’eux avaient une culture spécialisée. Forcément, c’est ça qu’ils ont craint39. »

49Ces enjeux opposant les spécialistes aux généralistes témoignent de la concurrence nouvelle que cherche à faire reconnaître les institutions universitaires.

  • 40  On retrouve cette même tension à l’école de journalisme de Lille contre les « académiques » portée (...)

50Les IUT viennent disputer aux écoles privées leur monopole sur le registre du militantisme et de l’engagement à gauche. Ces nouvelles formations au journalisme se caractérisent par le discours militant que véhiculent de nombreux formateurs, héritiers du mouvement de mai 196840. Certains IUT et notamment celui de Bordeaux, mais également celui de Tours dans une moindre mesure, tentent d’insuffler un courant plus critique dans la formation au journalisme, critique qui peut s’appuyer sur l’explosion de journaux plus militants et alternatifs. Dans le même temps, ils prônent une professionnalisation plus sectorisée que celles mises en place par les premières écoles de journalisme.

  • 41  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de formation presse écrite à l’IUT de Bordeaux, (...)

51On assiste à l’émergence de nouvelles générations de journalistes politisés et critiques à la tête des nouvelles formations. Pierre Christin, intervenant professionnel à l’IUT de Bordeaux et ancien journaliste à Pilote, est assez emblématique de ce type de nouveaux positionnements politiques : « On était un peu les prolos de la bande, un peu gaucho, liés à mai 68. On était les plus jeunes. Moi, j’avais trente ans en mai 68. J’étais très heureux, car ça faisait longtemps que j’attendais ça. Je me suis trouvé en phase avec de plus jeunes étudiants41. » Face à un CFJ qui se présente encore dans les années 1960 comme l’école de la Résistance, les IUT se posent en héritiers du mouvement de mai 1968.

  • 42  Entretien avec Édith Rémond, ancienne directrice de l’IUT de Bordeaux, le 20 janvier 2005.

52Si le fondateur Robert Escarpit est un « compagnon de route » du Parti communiste, ce sont davantage les jeunes qu’il recrute qui appartiennent aux mouvances d’extrême gauche portée par les idées de mai 1968. Pierre Christin commence en effet par être sensible sur un plan intellectuel aux idées de Claude Lefort, Cornélius Castoriadis (Socialisme et barbarie), puis aux théories de Gramsci et d’Althusser. Par la suite, il se rapprochera du PSU et de la CFDT. Celle qui devient ensuite sa collègue puis la directrice de l’IUT, Édith Rémond, fait partie d’une des premières promotions de l’IUT, et est également représentative de ce type de trajectoire militante. Elle se décrit en entretien comme « très politisée » à gauche. Édith Rémond qui sera ensuite directrice de l’IUT de Bordeaux de 1986 à 2004, débute sa carrière en exerçant la fonction de correspondante pour Combat et Le Quotidien de Paris dans la région Aquitaine. Elle décrit sa conception du métier comme étant celle d’un journalisme engagé. « J’avais une vision du journalisme qui était vraiment : chercher les infos, dénicher les malversations, dénoncer les turpitudes du monde. J’avais une vision du journalisme très intéressée par la vie militante. Puisque je n’ai jamais véritablement adhéré à un mouvement42. » Elle monte à Bordeaux le bureau de l’agence de presse Libération (APL). Sa conception du journalisme recoupe pleinement l’aspiration des fondateurs de Libération qui conçoivent quelques années plus tard en 1973 le journalisme comme une activité politique et rejette le professionnalisme journalistique, les principes légitimes de hiérarchie de l’information et l’« hypocrisie de l’objectivité » que pointe le manifeste du journal (Rimbert, 2005, p. 24). Ce type de trajectoire militante favorise par la suite un recrutement au sein de l’IUT de cadres répondant à la même aspiration dans un journalisme engagé.

  • 43  Entretien téléphonique avec Mario Corrado, professeur à l’IUT de Tours, le 19 septembre 2007. Mari (...)
  • 44  Jusqu’en 2000, s’enchaînent les directions de Paul Wagret, Pierre Leroux, André Berkovicius qui ob (...)

53Au sein de l’IUT de Tours, les premiers arrivants étaient caractérisés par une forte sensibilité de gauche à l’exception d’un seul des membres de l’équipe de 1970 à 1972. Leur sensibilité de gauche ne s’exprime pas forcément dans un militantisme au Parti communiste même s’ils peuvent être proches de ce type de courant43. Leurs pratiques en matière de direction font preuve d’une collégialité dans la prise de décision car ils font tourner régulièrement entre eux la direction de la filière journalisme44.

  • 45  Qui a travaillé dans le journal communiste La Marseillaise et qui sera ensuite l’auteur de polars.

54En revanche, dans la génération suivante d’intervenants, on retrouve chez certains formateurs des trajectoires proches de celles décrites dans le cas de Pierre Christin et d’Edith Rémond. Le cas de Claudine Ducol est représentatif de ce type d’orientations politiques puisqu’elle commence à l’université à militer à l’Union des étudiants communistes (UEC), avant de devenir journaliste à L’Humanité dans des rubriques comme les « infos générales » ou « le social » qu’elle qualifie « d’un peu périphériques », ce qui recoupe les logiques de division sexuée du travail journalistique (Neveu, 2000, Damian-Gaillard et al., 2010). Elle vit ensuite au sein du journal Libération la disparition des mines, du textile, l’expérience de LIP. Elle quitte le journal pour travailler dans les années 1980 avec Jack Ralite, ministre communiste de la Santé. Elle se reconvertit alors vers un journalisme plus tourné vers la santé puisqu’elle travaille à Viva, avec Jean Claude Izzo45, journal financé par les mutuelles dont elle cherche à faire un magazine de prévention santé. Elle arrive en 1994 au sein de l’IUT, après avoir été recrutée pour créer une « année spéciale » orientée vers la presse spécialisée et magazine.

  • 46  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de formation presse écrite à l’IUT de Bordeaux, (...)

55Cette trajectoire politique des formateurs se traduit par la mise en avant commune d’un rôle de « démocratisation » de l’enseignement du journalisme. « On a fait un gros effort sur l’ouverture du recrutement social, précise Pierre Christin. Comme c’est un IUT, et que c’est en province. On a beaucoup travaillé là-dessus : tous les chiffres le prouvent, que cela a permis à des gens qui n’auraient jamais pu aller au CFJ, parce que c’était à Paris, parce que c’était payant, parce que ça durait deux ans, de devenir journaliste en rentrant dans notre petit IUT. Il y a eu une variété dans le recrutement social. Fils de petits agriculteurs, fils d’ouvriers, d’immigrés. Chez nous, il y en a plein. C’est plutôt le fils de bourgeois qui a été pendant longtemps minoritaire46 ».

Mettre en scène la diversité sociale de son recrutement : « ils sont devenus journalistes »
En 1987, l’IUT de journalisme fête ses vingt ans. À cette occasion, sont réunis de très nombreux anciens et des interlocuteurs universitaires et professionnels. Est publié un livre commémoratif « Ils sont devenus journalistes » dans lequel les anciens de l’école sont interrogés dans des entretiens assez courts de 2 ou 3 pages sur leurs souvenirs d’école, sur leurs carrières et sur leur travail quotidien. L’objectif de cette parution semble avoir été d’insister sur la diversité des trajectoires des anciens étudiants et de leurs possibles professionnels. Pierre Christin qui préface l’ouvrage rappelle d’emblée que : « c’est la possibilité même d’accepter des non-bacheliers, de jeunes lycéens, des garçons et des filles pour lesquels il n’y a pas de limite d’âge, aussi bien que de brillants étudiants, c’est cette possibilité qui fonde une spécificité à laquelle nous demeurons farouchement attachés » (Brieu et al., 1987, p. 8). Il ajoute : « elle est à l’origine d’une extraordinaire diversité dans les origines sociales, les trajectoires professionnelles, les goûts et choix personnels », (Brieu et al., 1987, p. 8).
S’y enchaînent des entretiens avec des journalistes très diversifiés : d’un localier à Sud Ouest, un journaliste à Libération, le chef de l’agence parisienne du Midi Libre, une chef de l’agence Libération de Lyon, journaliste à l’Obs, journaliste à L’Étudiant, journaliste indépendant, secrétaire de rédaction à Lisa, directeur régional de l’AFP toulouse, journaliste responsable du service de presse du conseil général du Pas de Calais, responsable du service de presse d’Air France, journaliste à Radio France Bordeaux Gironde, rédacteur à Radio France Internationale, journaliste sportif à Antenne 2, rédacteur à France 3 Aquitaine, reporter au service économique d’Antenne 2. Ce choix de présentation traduit la volonté des dirigeants de l’IUT de montrer que l’école insère partout ses diplômés. On note cependant une importance plus grande du service public audiovisuel, une volonté de valoriser tous les métiers de la presse écrite, y compris celui de secrétaire de rédaction*, traditionnellement plus dévalorisé et enfin un souci de s’ancrer dans un cadre des médias locaux. L’IUT de Bordeaux profite en effet de la décentralisation des radios et de leur multiplication dans les années 1980 pour placer ses étudiants. L’école joue « la carte de la modestie » en investissant dans les métiers du journalisme de proximité comme les radios-locales et les télévisions locales. Enfin, l’école n’hésite pas à montrer des journalistes travaillant dans la communication hors du métier. Ce type de présentation de soi est aussi subie car c’est l’espace des débouchés qui contraint sa manière de valoriser son réseau d’anciens.
* En 1988, les SR et secrétaires d’édition représentaient 7,44 % des anciens (Rémond, 1988, p. 40)

  • 47  Archives de la CPNEJ, Compte-rendu du 22 mai 1980.

56Ce discours sur la démocratisation constitue également un moyen pour les IUT de se légitimer auprès de la profession. Lors des réunions autour de la reconnaissance par la profession, ces arguments de la démocratisation sont d’ailleurs largement repris à la fois par le représentant de la SNJ-CGT Michel Diard qui estime que les IUT offrent « un bon moyen de démocratisation de l’enseignement et de l’accès à la profession de journaliste », mais aussi par des représentants du patronat comme René Finkelstein qui y voit un signe de « pluralisme » et une manière d’éviter « tout élitisme en faveur du seul enseignement long pratiqué dans les écoles de journalisme47 ».

57L’IUT de Bordeaux met après sa reconnaissance en 1975 en place une série d’enquêtes sur ses étudiants à partir de 1983. L’objectif de ces études est de continuer à témoigner du « professionalisme » de l’IUT en étudiant principalement l’insertion de ses diplômés. Ce suivi permet de confirmer auprès des acteurs de la profession un discours de réussite de l’institution.

Confirmer sa reconnaissance par des enquêtes d’insertion : la stratégie de l’IUT de Bordeaux
Les responsables justifient cette préoccupation du suivi des diplômés par le changement de la loi sur les CDD (ordonnance du 5 février 1982) qui renforce l’usage de ce type de contrats dans la presse et accroît la mobilité professionnelle des étudiants. De plus, « la restauration de la Commission de coordination des études de journalisme, la modification des interlocuteurs institutionnels liées à la décentralisation, les nouveaux impératifs de “professionalisation” universitaire, la consolidation de nos relations avec les entreprises notamment par le biais des stages […] provoquaient de multiples demandes de données chiffrées et argumentées » (Rémond, 1984, p. 10). En 1988, Édith Rémond dresse le bilan de ces 3 enquêtes. « La première étude achevée en 1984 avait permis l’élaboration et la mise en ordre d’un fichier des diplômés. Elle avait démontré que le taux de placement des diplômés, leur dispersion géographique et dans les entreprises étaient bons, la répartition entre presse écrite et audiovisuel stable et équilibrée » (rapport 1988, p. 9). Commentant la seconde enquête, elle rappelle que « l’analyse de 1986 a essentiellement mis en valeur une tendance nouvelle à rechercher un placement dans la presse nationale, qui s’il était encore largement minoritaire s’affirmait très spectaculairement entre 84 et 86 », (Rémond, 1988, p. 9.). Enfin, dans la dernière étude de 1988, il est précisé que l’école a pu informatiser le fichier des anciens et qu’en 20 années de formation l’IUT a délivré 761 diplômes de journalistes.
Ces études permettent de reconstituer pas à pas les effets même de ce que la reconnaissance a pu signifier en matière de recrutement pour l’IUT. Ainsi, si les premières promotions sont principalement originaires d’un bassin régional* (Édith Rémond, 1988, p. 23). on assiste progressivement à une nationalisation de l’IUT qui accueille de plus en plus de personnes d’Île-de-France après la reconnaissance de 1979**. Cette nationalisation renforce aussi la sélectivité des concours puisqu’on assiste à l’arrivée de plus en plus d’étudiants de plus en plus diplômés avec l’apparition d’étudiants ayant le Deug en 1979.
Concernant l’insertion, on y apprend par exemple que « 81,32 % des journalistes salariés d’une entreprise ont un CDI. C’est une proportion inférieure à celle constatée en 84 (92,23 %) et qui témoigne d’une relative dégradation des emplois », p. 53.
Le rapport précise que « 236 entreprises différentes emploient des journalistes formés à l’IUT de Bordeaux. Le rayonnement de l’école a singulièrement augmenté : en en 84, l’IUT n’était représenté que dans 143 entreprises ».
Ces enquêtes constituent aussi des discours d’auto-célébration de l’IUT. Pourtant, malgré une rhétorique favorable à la démocratisation sociale, elles ne publicisent pas les propriétés sociales des étudiants. En effet, si on sait tout de leur âge, sexe, et lieu géographique de provenance, les études restent muettes sur les professions des parents comme si ces variables ne jouaient pas sur la sélection.
* Deux personnes viennent en 1971 d’Île-de-France, puis deux en 1972. Ce nombre s’élève pour passer à cinq en 1983 et cinq en 1985. (Rémond, 1988, p. 21).
** 36,57 % des étudiants de l’IUT sont Aquitains. Ces cent trente-neuf Aquitains sont majoritairement girondins. Pour le reste les étudiants viennent des régions voisines du Midi-Pyrénées (25) et de Poitou-Charentes (22) mais aussi d’Île-de-France (29), de Bretagne (24) et de Provence-Alpes-Côte d’Azur (24).

58Or, les formations universitaires de la deuxième vague (si on considère le CFJ et l’ESJ de Lille comme une première vague) rencontrent certaines difficultés de placement notamment en ce qui concerne les postes les plus prestigieux captés par les étudiants issus du CFJ et de l’ESJ de Lille.

  • 48  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de la formation presse écrite à l’IUT de Bordea (...)

« Il y avait des querelles de susceptibilité entre écoles sur les chasses gardées. Par exemple, pendant très longtemps, l’IUT ne pouvait pas espérer placer des gens à l’AFP, au Monde, au Figaro. C’était Paris et Lille. Et, ce pour une raison très simple d’ailleurs, c’est qu’ils avaient des rédacteurs en chef ou des chefs de service qui étaient passés par leurs formations. Alors que chez moi, le mec le plus âgé, il avait 29 ans. Il y avait des querelles, ne venez pas sur nos plates-bandes. Vous les petits IUT, et ben, placez donc, dans les FR3, placez donc dans la presse de province. Nous, on se garde les grands organes de presse48. »

59Les IUT font donc de nécessité vertu.

60L’enjeu pour ces nouvelles formations tient donc dans l’établissement d’un rapport durable, même s’il est plus dominé, au marché du travail et d’un ancrage à la profession. La nécessité de se faire une place aux côtés des formations établies les amène à revendiquer une approche plus scientifique de la communication, en rapport avec leurs pratiques journalistiques plus critiques et plus intellectuelles.

« Sciences de l’information et de la communication » et formations : usages croisés

« Nous voulions arriver à être reconnus comme une discipline et à avoir notre place au soleil. Nous y sommes arrivés. Maintenant, plus personne ne conteste la validité de la démarche. »
Entretien avec Robert Escarpit de Jean Devèze et Anne-Marie Laulan, SFSIC, 1994.

  • 49  En 1994, la SFSIC publie deux entretiens avec Robert Escarpit et également Jean Meyriat deux « fon (...)
  • 50  Le cas de ce dernier est moins abordé dans les récits de la fondation de l’information-communicati (...)

61L’émergence de ces nouvelles formations professionnelles au sein de l’Université coïncide avec la structuration d’une nouvelle discipline scientifique (ou « interdiscipline ») : les sciences de l’information et de la communication (SIC) qui obtiennent une reconnaissance officielle en 1974-1975. Parmi ceux qui sont traditionnellement célébrés comme « les pères fondateurs » de ces SIC, on retrouve certains entrepreneurs de formation au journalisme à l’image de Robert Escarpit de Bordeaux49, Charles-Pierre Guillebeau du CELSA50.

  • 51  Voir aussi les contributions de Jacques Walter et Béatrice Fleury, Roger Bautier, Pierre Delcambre(...)
  • 52  On peut penser (sans souci d’exhaustivité) aux divers travaux de Victor Karady, de Laurent Muchiel (...)

62Quelques travaux retracent la fondation de cette interdiscipline (Winkin, 2003 ; Boure 200651). Cette élaboration d’une histoire de la genèse des sciences de l’information-communication vient prolonger un mouvement amorcé depuis le début des années 1960 qualifié par Terence Mac Donald de « tournant historique des sciences humaines » et qui touche plus tardivement la France avec la création en 1986 de la Société française pour l’histoire des sciences de l’homme (Mac Donald, 1995 ; Blondiaux, 2002, p. 45-63). Ce n’est en effet que récemment que l’histoire de certaines disciplines comme la sociologie a été prise comme objet de recherche52 afin d’éclairer les opérations de reconstruction symboliques de « la discipline après-coup » (Fabiani, 2006, p. 29). Or une des spécificités de la fondation des SIC tient à ces concurrences d’écoles professionnelles.

63Si les SIC offrent des moyens de fonctionnement à ces nouvelles formations en leur procurant des postes et des crédits à un moment où elles ne sont pas encore enracinées au sein de l’Université, en retour c’est l’essor des formations professionnelles qui permet d’obtenir leur reconnaissance scientifique par le travail de mobilisation et de lobbying entrepris par certains de ses entrepreneurs auprès du ministère de l’Éducation nationale.

64Les acteurs en charge de projets professionnalisants au sein de l’Université mobilisent dans leur projet pédagogique les sciences de l’information-communication. La reconnaissance des SIC permet à ces formations de trouver une légitimité renforcée au sein de leurs établissements.

  • 53  Entretien de Jean Meyriat avec Jean Devèze, SFSIC, 1994.

65L’introduction de la « professionnalisation » se heurte à d’importantes oppositions au sein même de l’Université et notamment de la filière à dominante littéraire. Le caractère technique des nouvelles formations, leur indexation à une profession, « les rendaient suspectes aux représentants patentés de la Science. […] – mais l’Université française, foncièrement conservatrice, ne se reconnaissait de responsabilité dans la préparation à des professions que dans les secteurs de l’enseignement (et de la recherche), du médical et du juridique – tout récemment aussi de la gestion des entreprises », explique Jean Meyriat, ancien responsable de la documentation à la Fondation nationale des sciences politiques, également impliqué dans la mise en place des sciences de l’information et de la communication53. Cette distance de certains secteurs de l’Université avec les formations « professionnalisantes » permet de comprendre pourquoi, dans de multiples univers de métiers, les seules formations techniques existantes relèvent du secteur privé jusqu’à la fin des années 1960. Cette représentation d’une « Université conservatrice » semble partagée par de nombreux « pionniers » de l’information-communication pour qui la professionnalisation à l’Université devient une cause à défendre.

La difficile histoire des SIC : entre intellectualisme et présentisme
L’écriture de l’histoire des SIC est en permanence guettée par deux écueils : la tentation de l’intellectualisme (Boure, 2006, p. 23)* et la production d’un récit venant légitimer a posteriori la discipline comme nécessaire**. Sous couvert de travailler l’institutionnalisation des SIC, la tentation est grande d’en produire un récit officiel surtout quand ceux qui écrivent l’histoire se confondent avec ceux qui la font. Le risque est d’autant plus important que les historiens des disciplines se recrutent encore largement parmi les membres de ces dernières fautes de réelle institutionnalisation d’une sous-discipline que serait « l’histoire des disciplines ». Il peut être alors à craindre des effets de cécité liés aux positions occupées par certains dans le domaine dont ils font l’histoire. Dire cela ne consiste pas à invalider la posture d’une histoire tenue par les acteurs pour peu qu’ils mobilisent à l’image de Pierre Bourdieu faisant l’analyse de son propre champ dans Homo academicus « tout l’acquis scientifique disponible pour tenter d’objectiver le monde social […] notamment lorsque son travail s’applique à ceux qui entendent objectiver sans être objectivés » (Bourdieu, 1984, p. 16).
Comme on peut le voir, un retour critique vers la genèse des SIC ne va pas en effet sans poser problème du fait que la plupart des entrepreneurs des SIC se caractérisent, selon Robert Bourre, par une « souffrance » à l’égard de leur propre scientificité liée entre autres au caractère récent de ces sciences et à leur importante balkanisation. On retrouve une logique similaire dans les sciences de gestion reconnues par le Comité consultatif des Universités (CCU) en 1969 et qui, depuis le milieu des années 1990, cherchent un renforcement de leur discipline par l’affirmation d’un pôle intellectuel, longtemps marginal et qui s’autorise désormais à parler au nom de la discipline en en faisant non une discipline d’application des autres sciences sociales mais un sous-bassement (Pavis, 2008).
Dans la plupart des travaux sur l’histoire des SIC qu’il s’agisse de ceux d’Yves Winkin, de Jean Meyriat, de Bernard Miège ou de Jean-François Têtu, le souci pratique d’obtenir des postes est mentionné mais fréquemment minimisé comme si une telle version des événements s’opposait forcément à l’existence par ailleurs d’un projet intellectuel propre à l’analyse des systèmes d’information et de communication. Robert Escarpit explique pourtant que les SIC ne découlent pas d’une nécessité intellectuelle qui se serait manifestée à un moment donné mais bien de la préoccupation d’assurer un avenir à des assistants et maîtres-assistants bloqués dans leur carrière au sein des IUT. Yves Winkin déplore cette analyse car le fait de soutenir que le ministère aurait créé une section du CCU pour permettre à des maîtres assistants de devenir un jour professeur, « permet de dire à d’aucuns, aujourd’hui encore, que les SIC ne devraient pas exister : elles n’ont pas de bases intellectuelles propres ; elles ne sont que le produit d’une stratégie corporatiste. Des analyses empiriques fines comme celles de Têtu permettent de tordre le cou à ce canard : les enseignants d’IUT du début des années 1970 n’ont jamais constitué un groupe de pression capable d’influencer une décision ministérielle ; tout au plus ont-ils permis de glisser dans l’argumentaire de la cause “une rationalisation susceptible d’entraîner l’adhésion du MEN à la demande de création d’une nouvelle discipline” » (Winkin, 2003, p. 44).
Or, l’argumentation de Têtu ne concerne pas l’acte de reconnaissance proprement dit, des SIC par le ministère de l’Éducation nationale, mais la participation au premier colloque de 1978 dans lequel il constate la faible présence de professeurs issus d’IUT. Autrement dit, sa version ne contredit pas l’idée que le projet des SIC a d’abord découlé de considérations pratiques liées au bon fonctionnement des filières professionnalisées. Dire cela n’exclut pas d’ailleurs de considérer qu’une logique générationnelle (un « air du temps » pour reprendre le terme d’Yves Winkin) et une multitude d’autres facteurs ayant trait aux changements de la politique d’enseignement supérieur aient pu également contribuer au développement des SIC.
* Cela dit, dans l’ouvrage qu’il dirige, on n’échappe que partiellement à ce risque puisque dans l’article de Jean-François Têtu, les liens entre les « pères fondateurs » ne sont appréhendés que sous l’angle d’affinités intellectuelles (ce qui constitue déjà un apport) et non pas de réseaux sociaux. Dans l’ensemble de l’ouvrage de Robert Boure, par exemple, la proximité politique de Robert Escarpit au Parti communiste, sa carrière d’homme politique local, les réseaux auxquels il appartenait de ce fait ainsi que ceux qu’il a pu développer en tant que billetiste du journal Le Monde ne sont pas mentionnés. Celui-ci se retrouve significativement limité à la seule figure de l’universitaire en littérature comparée.
** Ce qui rejoint la notion déjà ancienne en histoire des sciences de « présentisme » souvent opposée de manière réductrice à « l’historicisme ». Stefan Collini définit le « présentisme » comme le fait « d’écrire l’histoire à l’envers. Le consensus théorique présent de la discipline ou une version polémique de ce consensus, est pensé comme définitif et le passé est en conséquence reconstitué à la manière d’une téléologie menant au présent et se manifestant clairement à lui ». Stefan Collini, cité dans Blanckaert et al., 1999, p. 111.

  • 54  Yves Gingras rappelle d’ailleurs l’importance d’un contrôle des postes pour l’institutionnalisatio (...)
  • 55  Entretien de Robert Escarpit avec Anne-Marie Laulan et Jean Devèze, SFSIC, 1994.

66Le contrôle du recrutement du personnel enseignant a sans doute constitué une raison d’agir assez fondamentale des fondateurs des nouvelles filières54. Les formations professionnalisantes (et notamment les formations au journalisme et à la communication) ont recours à des enseignants présentant un nouveau profil pour des raisons très contraintes. Robert Escarpit ne parvient pas, par exemple, à trouver au sein de l’Université suffisamment de collègues favorables à « la professionnalisation » et désireux de s’impliquer dans ses projets55. Il est donc amené à recruter une première équipe largement extérieure au monde universitaire. Il s’appuie sur Henri Marquier, un collaborateur de recherche qui est devenu ensuite administrateur de l’OPB (l’orchestre de Bordeaux), sur Pierre Christin, un jeune journaliste qui est devenu un scénariste de bande dessinée, sur Robert Estivals, un chercheur du CNRS, et sur sa femme qui était professeur d’anglais, puisqu’un enseignement dans cette langue était requis.

L’importation des compétences professionnelles au sein de l’université : la trajectoire de Pierre Christin
Le cas de Pierre Christin illustre bien la montée de nouveaux profils munis de compétences techniques qu’introduit au sein de l’Université le développement des IUT et autres formations professionnalisantes. Elle souligne à quel point la « professionnalisation » des universités se joue aussi dans l’appel plus ou moins obligé à des personnalités et des compétences extra-académique (ou débordant l’univers académique). Tout juste rentré des États-Unis, Pierre Christin est inscrit en thèse à la FNSP : sa recherche porte sur le cinéma et la politique. Il se retrouve engagé dans le projet quand il lit en 1967 un petit article dans Le Monde où il apprend que Robert Escarpit, professeur à l’université de Bordeaux va monter un IUT. Pierre Christin peut mobiliser un ensemble de compétences professionnelles : il est passionné par les problèmes d’imprimerie et a déjà travaillé dans ce secteur. Aux États-Unis, il tourne un film avec son ami Jean-Claude Mezières qui deviendra par la suite son dessinateur attitré*. Le fait d’avoir fait de la vidéo constitue à l’époque une ressource rare qui intéresse Robert Escarpit. En 1967, Pierre Christin travaille à Pilote en tant que journaliste. « J’envoie une lettre à Escarpit que j’admirais en tant que billettiste du Monde, mais dont j’ignorais d’ailleurs qu’il était professeur d’Université et encore plus qu’il l’était à Bordeaux. Je lui dis : “votre projet d’IUT, avec un enseignement concret, moi ça me séduit. Voilà, où j’en suis. Je vous signale mon existence”. Il me renvoie une lettre disant : “l’établissement n’est pas créé, le poste n’est pas créé, mais je prends acte de ce que vous me proposez. Et, à vrai dire, c’est très bien que vous fassiez une thèse, mais, ce n’est pas tant vos diplômes qui m’intéressent que vos connaissances pratiques, dans le domaine de l’helio, du dessin, du jazz. Tout ça compte, parce qu’on va faire de l’animation. Je vous ferais signe”. Et, puis, je reçois un télégramme à Paris : “Établissement crée, poste crée, pouvez-vous venir à Bordeaux demain matin ?”** »
* Ce documentaire porte sur la discrimination envers les noirs à Salt Lake city et s’intitule Ghetto.
** Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de la formation presse écrite à l’IUT de Bordeaux, le 17 novembre 2003.

67Le cas de l’IUT de Tours est assez proche : l’équipe enseignante fait la part belle à des jeunes agrégés du secondaire. L’équipe compte également plusieurs sociologues (Annie Guedez, Pierre Leroux) et un géographe (Paul Bachelard). Ces recrutements externes vont d’ailleurs assez vite poser le problème du déroulement des carrières et conduire à la mobilisation pour l’institutionnalisation des sciences de l’information-communication.

68Les nouveaux enseignants se heurtent à des résistances dès lors qu’il est question de recrutement pérenne. En effet, les membres des commissions de recrutement appliquent aux dossiers qui leur sont soumis les critères habituels de leur discipline. Comme le rappelle Jean Meyriat,

  • 56  Entretien avec Jean Meyriat, avec Jean Devèze, SFSIC, 1994.

« ils n’ont guère de considération pour les postulants qui se sont engagés sur des sentiers trop excentrés, ou trop récents pour conduire rapidement à des résultats valorisants. Ils n’ont guère d’estime pour des travaux dont la composante “fondamentale” leur paraît trop faible. Et ils préfèrent généralement des candidats plus “classiques” à ceux qu’ils considèrent soit comme des aventuriers, soit comme des laissés pour compte des spécialités reconnues. En somme, de nouvelles matières d’enseignement ont été admises, mais sans que ceux qui les enseignent aient acquis droit de cité56 ».

  • 57  La 52e section qui devient ensuite la 71e section.
  • 58  Bernard Miège rappelle que pendant longtemps, les efforts de Guillebeau « se sont limités à peser (...)

69Le contrôle du recrutement et la reconnaissance d’une nouvelle section du CCU57 fait donc figure de nécessité pour les enseignants et les équipes dirigeant les nouvelles formations. Les responsables des écoles de journalisme publiques s’investissent alors au sein du comité des universités et y occupent des positions dominantes. On retrouve pour le CUEJ de Strasbourg, le directeur Alphonse Irjud, Charles-Pierre Guillebeau pour le CELSA qui lancera dès 1977 sa section journalisme et Robert Escarpit pour l’IUT de Bordeaux. Fernand Terrou est également présent pour l’IFP, accréditant l’idée que le fait d’occuper des positions de pouvoir au sein du CCU permet d’espérer des capacités de recrutement élargies pour les institutions professionnalisantes. Il s’ajoute également des logiques politiques dans les nominations entre la droite et la gauche à la direction de la section du CCU58 (Miège, 2007, p. 198).

70Alphonse Irjud explique l’enjeu stratégique qu’il y avait à siéger au sein du CCU.

  • 59  Entretien avec Alphonse Irjud, ancien directeur du CUEJ.

« On allait négocier à Paris avec le président de l’Université. Ou alors j’y allais seul parce que je faisais partie de la commission nationale des sciences de l’information. C’est là que j’ai rencontré les membres du ministère de l’Éducation nationale. Je faisais aussi partie du conseil supérieur des universités pour le choix des enseignants. Le maître-assistant qui devait passer maître de conférences. On se réunissait par moment au ministère à Paris pendant 4 ou 5 jours. Ça permettait d’avoir des contacts avec les chefs de section du ministère. Ça m’a beaucoup servi dans certains cas pour le reclassement des professeurs. Pour un maître-assistant, on poussait pour qu’il devienne maître de conférences. Vous savez, moi, venant du privé, j’étais éberlué de voir à quel point cette machinerie… il y avait chaque année trois postes pour les sciences de l’information qui étaient prévus pour l’ensemble de la France entre maître-assistant et maîtres de conférences. Il y avait 100 candidats. Dans les commissions nationales, il y avait Escarpit qui était président, puis Guillebeau par la suite. C’est là où on voyait les difficultés. C’était un véritable marchandage59. »

  • 60  Pour une présentation enthousiaste faisant d’Abraham Moles, un précurseur d’un des Prix nobel d’éc (...)

71Les universitaires échangent des places dans les commissions de spécialistes qui ont pour charge de recruter les candidats afin de pouvoir peser sur les recrutements de manière locale. Ainsi Charles-Pierre Guillebeau a recours à Alphonse Irjud pour la commission du CELSA et inversement Alphonse Irjud utilise Charles-Pierre Guillebeau pour sa commission à Strasbourg. L’obtention d’une capacité à délivrer des doctorats joue également un rôle important dans la quête de filières autonomes de recrutement (Gingras, 1991, p. 41-54). En effet, le CUEJ offre un cas intéressant puisque les premiers maîtres-assistants recrutés sont des produits de l’institution à l’image d’Yves Lavoine, Alain Chanel, Michel Mathien, Philippe Breton. Ils ont tous réalisé des études au Centre et un doctorat dans le cadre de « l’École Strasbourg de psychologie sociale des communications » sous le patronage d’Abraham Moles, l’un des seuls psychologues parmi les « fondateurs » des SIC60.

72Robert Escarpit et Jean Meyriat sont parvenus à rallier suffisamment de soutiens pour imposer la reconnaissance d’une nouvelle discipline et son institutionnalisation en tant que section au sein du Comité consultatif des universités (CCU). On retrouve la plupart des entrepreneurs de formation « professionnalisante » dans cette lutte pour faire reconnaître auprès du ministère de l’Éducation nationale une nouvelle « inter-discipline » en prise avec les problématiques d’information et de communication. Lorsqu’il compare l’état des sciences de la communication en France et aux États-Unis, Yves Winkin rappelle d’ailleurs le rôle clef de cette lutte car « en France, l’instance souveraine c’est le ministère [de l’Éducation nationale]. […] Si le Comité consultatif desuniversités (CCU) n’avait pas créé une 52e section en 1975, les SIC n’auraient pas pu exister comme telles ; elles n’auraient pu s’introduire qu’en contrebande dans les universités françaises » (Winkin, 2004, p. 108). Or, c’est bien d’abord l’introduction en contrebande de formations professionnalisantes au sein de l’université qui semble avoir permis ensuite la reconnaissance de ces sciences. Autrement dit, dans le cas des SIC, c’est la revendication portée par certains entrepreneurs de « professionnalisation » de divers cursus qui débouche sur la fondation d’une nouvelle science comme moyen de consolider la réalisation de leurs projets.

73Le 25 février 1972, quelques dizaines d’universitaires se réunissent à la Maison des sciences de l’homme de Paris. Parmi les quarante-quatre participants, quelques personnalités comme Roland Barthes, Algirdas Greimas et Oswald Ducrot.

« Mais ce ne sont pas ceux-ci qui vont faire bouger les choses : les animateurs du “Comité français pour les sciences de l’information et de la communication” qui se crée ce jour-là sont Jean Meyriat, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste des systèmes d’information et, Robert Escarpit, professeur de littérature comparée à l’université de Bordeaux. Ce sont eux qui vont agir en coulisse pour obtenir la reconnaissance des SIC par le ministère de l’Éducation nationale » analyse Yves Winkin. (Winkin, 2003, p. 42.)

74Le 20 janvier 1974, un arrêté ministériel modifie la composition du Comité consultatif des universités (CCU) et crée une 52e section, celles des « sciences de l’information et de la communication ».

  • 61  Son savoir-faire politique et ses activités dans le cadre de l’Université débouche sur une carrièr (...)

75Si l’initiative a pu réussir, cela tient en grande partie au travail de lobbying entrepris par deux acteurs du comité bénéficiant d’une reconnaissance académique mais également de savoir-faire militants. Robert Escarpit qui fédère les initiatives éclatées de « professionalisation » en les rassemblant sous la même bannière des SIC, a été militant socialiste à l’époque du Front Populaire et a fait partie après-guerre des « compagnons de route » du Parti communiste61 (Escarpit, 1968, p. 45). Dans les années 1950 déjà, il était parvenu à obtenir la reconnaissance de la littérature comparée en fondant un Comité de littérature comparée (qui devient société française), puis en adhérant à l’association

  • 62  Ibid.,

« j’ai donc cherché des complices […]. J’en ai trouvé à Bordeaux un certain nombre : Anne-Marie Laulan, André-Jean Tudesq, professeur d’histoire, qui s’occupait d’histoire de la presse. J’avais moi-même fais mon premier reportage lors de la guerre d’Espagne, à l’âge de 16 ans. Je faisais donc du journalisme depuis longtemps et j’écrivais dans Le Monde à cette époque. Je connaissais bien ce milieu, c’est pourquoi j’ai un peu rameuté les gens qui faisaient de l’information. J’ai contacté Henri Lagrave, qui s’occupait de théâtre, et un ancien camarade de normale Sup, Jean Meyriat, qui dirigeait le service de documentation de la Fondation nationale des sciences politiques. Il avait un peu les mêmes préoccupations que moi. Nous nous sommes mis d’accord pour chercher à faire quelque chose. […] J’ai rameuté [Bernard] Quemada, le linguiste, Elie Roubine bien sûr et nous avons crée le comité62 ».

  • 63  Entretien de Robert Escarpit avec Jean Devèze et Anne-Marie Laulan, SFSIC, 1994.

76internationale ce qui contribue à lui donner une visibilité plus importante63. Cette expérience de militantisme disciplinaire, le reconduit avec les SIC dans les années 1970 en mobilisant dans différents secteurs sociaux :

  • 64  Entretien de Jean Meyriat avec Jean Devèze, SFSIC, 1994.

77Robert Escarpit obtient aussi la participation pour le moins fugitive de Roland Barthes au lancement des SIC après une brève rencontre réalisée avec ce dernier dans le métro et un échange entre eux sur leurs dernières parutions respectives. Cette présence présente donc un caractère symbolique car de l’aveu de Jean Meyriat, directeur d’études à la section pratique des l’école des hautes études ayant également joué un rôle important dans la mobilisation en faveur des SIC, « Barthes à vrai dire se sent peu concerné par l’aspect institutionnel de l’opération mais se montre intéressé à promouvoir des recherches dont il reconnaît la parenté avec les siennes64 ». Cela dit son enrôlement même ponctuel a pu renforcer la puissance sociale de l’entreprise de constitution des SIC du fait de l’importance de Barthes dans le milieu intellectuel de l’époque depuis ses séminaires du début des années 1960 (Rieffel, 1993, (tome 3), p. 32-32).

  • 65  Sur le Cecmas, Edgar Morin, « La communication, hier et aujourd’hui », entretien avec Dominique Wo (...)

78Les SIC ne se sont pas créés du simple fait du capital de relations mobilisées par l’individu, mais à partir de nombreuses formations professionnelles déjà existantes. L’Institut français de presse forme depuis 1951 à la recherche sur le journalisme, le CELSA est créé depuis 1965 pour former des « communicants », des chargés de relations publiques, des spécialistes du marketing et de la publicité, des journalistes d’entreprise. Après 1965, l’augmentation constante du nombre des étudiants favorise les initiatives de « professionnalisation » : le ministère de l’Éducation nationale cherche à imposer progressivement au sein de l’Université l’idée qu’il importe de se préoccuper des débouchés professionnels, et que les diplômes délivrés par les facultés de lettres et sciences humaines devraient ouvrir à d’autres carrières qu’à celles de professeurs du secondaire. Sur le plan de la recherche, au sein de la VIe section de l’école pratique des hautes études a été mis en place au début des années 1960 le Cecmas (Centre d’études des communications de masse) créé par Georges Friedman, animé notamment par Edgar Morin, Olivier Burgelin, Christian Metz et qui publie la revue Communications65. Au niveau du deuxième cycle, des programmes en SIC (ou assimilés) existent depuis 1967 dans neuf IUT qui proposent des formations en journalisme, en publicité, en communication d’entreprises, en documentation, en éditions/librairies au sein des départements Carrières de l’information. À partir de 1972, les « maîtrises des sciences et techniques » sont créées.

  • 66  Ancien normalien, agrégé de lettres classique, il enseigne depuis 1946 à l’IEP et était depuis 196 (...)
  • 67  Il ne faut pas pour autant penser que ce caractère « fourre-tout » soit forcément signe de critiqu (...)

79La position du ministère est ambiguë : d’un côté, il est disposé à jouer la carte de la professionnalisation universitaire et à ce titre à reconnaître une discipline qui fédère déjà des formations professionalisantes. De l’autre, les réticences sont politiques car les porte-paroles des SIC sont orientés à gauche. L’ensemble de ces formations professionalisantes a pu créer un effet de masse critique mobilisable par Jean Meyriat et Robert Escarpit dans leurs discussions avec le ministère. Robert Escarpit et Jean Meyriat66 s’efforcent de fédérer l’ensemble des entrepreneurs de l’époque qui souhaitent développer des formations professionnalisantes. L’information-communication tire de cette origine institutionnelle un modèle de sciences « fourre-tout67 » (Neveu-Rieffel, 1991, p. 11-39). La reconnaissance des SIC couronne des formations et des débouchés très différenciés : documentalistes, spécialistes de l’audiovisuel, journalistes, animateurs socio-culturels. Le terme de SIC a été

  • 68  Entretien avec Jean Meyriat par Jean Devèze, SFSIC, 1994.

« finalement conservé, explique Jean Meyriat, pour des raisons d’efficacité : le sentiment prévaut que le mot plus concret d’“information” précise un peu la notion vague de “communication” ; ce couplage permet en même temps de servir les intérêts de plusieurs groupes distincts de spécialistes, sans prendre une position définitive sur l’épistémologie du domaine68 ».

  • 69  Hommage à Robert Escarpit, Communications et organisations, Actes de la journée d’hommage du 23 oc (...)

80Jean Devèze explique s’être rendu au ministère avec son président d’université en 1969 pour tenter de convaincre les autorités d’État de reconnaître les SIC. Ils rencontrent Jean-Claude Casanova, directeur de cabinet de Joseph Fontanet, le ministre de l’Éducation nationale du gouvernement Pompidou. Ils obtiennent une audience où ils s’efforcent de plaider pour la reconnaissance des SIC. « Alors Monsieur Casanova nous écoute exposer notre propos et il nous lâche sèchement : “les SIC c’est une invention de Monsieur Escarpit pour caser ses copains du PC”69. »

  • 70  Entretien avec Jean Meyriat par Jean Devèze, SFSIC, 1994.
  • 71  La première mode remonte aux années 1920-1930 (Heilbron, Gingras, 2015, p. 4-9).
  • 72  L’interdisciplinarité : problèmes d’enseignement et de recherche dans les universités, Paris, OCDE (...)
  • 73  Cette reconnaissance qui se marque par l’arrêté du 11 février 1967 doit à la revendication de psyc (...)

81Finalement, les réticences ministérielles vont céder au milieu de l’année 1974. Comme l’explique Jean Meyriat, « les autorités ministérielles se laissent alors séduire par l’idée de moderniser l’Université, et l’introduction d’une nouvelle matière d’enseignement, correspondant à ce qui commence à être un effet de mode dans le public, est vue désormais sous un jour favorable70 ». La reconnaissance des SIC en 1975, s’inscrit dans un mouvement plus vaste de reconnaissance de sciences relevant non pas de disciplines mais le plus souvent de la notion d’interdiscipline (Hauchecorne, 2016, (tome 2), p. 565-590). En effet, l’interdiscipline (re)devient une mode dans les années 197071 au moment des grandes réformes de l’enseignement supérieur et elle constitue une critique de l’organisation en discipline. À Nice en 1972, un colloque de l’OCDE se tient d’ailleurs sur ce thème dans lequel Jean Piaget publiera les résultats du séminaire sur l’interdisciplinarité tenu en 1970 à Nice72. Le ministère a d’ailleurs déjà reconnu certaines nouvelles disciplines carrefours comme les sciences de l’éducation depuis 196773, les sciences de gestion en 1969 et l’urbanisme et aménagement puis les sciences et techniques des activités physiques et sportives en 1982 (Mierzejewski, 2005 ; Collinet, 2003, p. 251-274).

  • 74  Voir Pascal Froissart et Hélène Cardy, « Les enseignants-chercheurs en sciences de l’information e (...)

82Le développement des médias au milieu des années 1970 ainsi que de l’informatique a renforcé encore la demande de reconnaissance des sciences de l’information-communication. Une fois reconnue, cette nouvelle discipline connaît un développement institutionnel important (à l’image d’ailleurs de nouvelles disciplines reconnues comme les sciences de gestion) puisque 23 équipes sont recensés en 1980, la plupart étant apparues entre 1978 et 1980. En 2000, la discipline comptait, selon l’Éducation nationale, 123 professeurs et 360 maîtres de conférences contre 27 professeurs à l’origine et 257 maîtres de conférences en 1992 : certains chercheurs estiment à 10 % l’accroissement par an du nombre d’enseignants dans cette discipline sur les 25 dernières années74.

83Si on a souligné ici la mise en place d’une professionnalisation au sein de l’Université en matière de formation au journalisme à partir de 1960, la question qui reste à résoudre est de voir comment s’opère effectivement la jonction avec la profession journalistique. Rémy Rieffel et Erik Neveu invitaient le chercheur à appréhender les nouveaux rapports de force qui s’instaurent entre le pôle académique et le pôle professionnel « en termes de logique de concurrence, voire de médiation active » (Neveu, Rieffel, 1991, p. 11-39). Ce questionnement nous semble adapté tant l’introduction d’une concurrence au sein de l’Université ne manque pas de provoquer des effets sur l’espace des écoles professionnelles et sur l’ensemble d’une profession. S’intéressant au cas de l’invention des sciences de gestion et de la mise en place de l’université Paris Dauphine à titre expérimental par Pierre Tabatoni à la suite de mai 68, Fabienne Pavis souligne que cette nouvelle concurrence a provoqué des effets sur les écoles de commerce (Pavis, 2003, p. 58-116). Elle montre par exemple comment HEC réagit à l’institutionnalisation des sciences de gestion jusque-là détentrices d’un monopole de formation en développant un Institut supérieur des Affaires (ISA) en 1969 et également comment l’ESCP s’autonomise en créant ses propres concours. Du côté des écoles d’ingénieurs, un Centre de recherche en gestion (CRG) est créé à Polytechnique. Dans le cas du journalisme, on retrouve des mouvements de réaction un peu différents au niveau des écoles privées qui s’efforcent de faire face à la concurrence des IUT et de l’Université en resserrant leurs liens, d’une part, avec l’IEP de Paris pour renforcer un positionnement intellectuel et, d’autre part, à la profession et en développant des actions de formation permanente. Elles consolident donc leur modèle de formation antérieur. Cette tendance à la spécialisation et au renforcement de la professionnalisation constituera une faiblesse à venir.

Quand les écoles privées recréent de la distinction : le resserrement des liens avec le monde universitaire et la profession

« Il y a une fois un journaliste qui m’a dit, “je n’ai plus qu’à me suicider”. “Pourquoi ?”“Parce que notre journal va passer à l’informatique. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Si j’ai plus de boulot, je me flingue.” Je lui ai dis avant de vous flinguer, venez suivre une de nos sessions au Centre de perfectionnement des journalistes. »
Louis Guery, entretien du 11 février 2004.

84L’introduction de la nouvelle concurrence universitaire a restructuré complètement la formation au journalisme à partir de la fin des années 1960. Le CFJ se rapproche de l’ESJ construisant un duopole visant à la domination du nouvel espace. Ce rapprochement se lit dans la tentative de coordination des enseignements pédagogiques et dans le développement d’outils communs de prospective destinés à appréhender les évolutions du marché du travail. Les écoles privées, en pacifiant la concurrence qui les opposait jusque-là, renforcent le modèle pédagogique mis en place à la Libération par le CFJ. Dans le même temps une autre stratégie de résistance à la concurrence universitaire passe par l’appel fait à certains historiens et par des liens resserrés avec Sciences Po et diverses universités.

85Cette coordination pédagogique se traduit aussi par un resserrement des liens des écoles privées et de la profession au travers de la création du Centre de perfectionnement de journalistes dans le cadre du mouvement favorable à la formation permanente institutionnalisé par la loi Delors en 1971. On voit comment les deux écoles privées cherchent à recréer de la distinction pour empêcher l’imposition au sein de l’espace des formations d’autres modèles concurrents proposés par l’Université et inspirés notamment de la science de la presse héritée des années 1930.

L’instauration d’une concurrence pacifiée entre les écoles privées

86Les dirigeants du CFJ s’opposent à l’émergence de filières universitaires. Ils s’efforcent de bloquer le développement de certaines formations qui constituent à la fois une concurrence au niveau de la délivrance des diplômes et de certains « marchés » (coopération à l’étranger et marché du travail). Ce blocage s’exprime par une alliance de la direction du CFJ et des syndicats de journalistes pour faire échouer la mise en place des nouvelles formations au sein de l’université. Un autre axe de réaction des écoles privées, et notamment du CFJ, réside dans une tentative de faire partager sa conception de la pédagogie aux nouvelles composantes universitaires à l’image des IUT ou de l’école de Strasbourg. La mise en place d’une structure de coordination permet également de produire des effets de légitimation/illégitimation des écoles qui y participent et/ou s’en voient exclues. Enfin, pour contrer le développement de formation au journalisme universitaire, le CFJ met en œuvre une politique de conventions et un rapprochement avec des historiens renommés.

  • 75  Son diplôme n’est officiellement reconnu par l’État que plus tardivement en 1985.

87Si le CFJ et les autres écoles privées redoutent le développement de formations au sein de l’Université c’est parce qu’elles viennent délivrer un diplôme d’État de grade supérieur au titre des écoles privées. Le CFJ est reconnu depuis 1965 comme établissement technique d’enseignement supérieur75. La délivrance de diplômes universitaires de licence ou de maîtrise introduit donc une concurrence du titre qui lui fait perdre une partie du monopole de l’espace. Les réactions émanant des dirigeants du Centre de formation de journalisme témoignent bien de cette concurrence :

  • 76  Entretien avec Bernard Voyenne, ancien professeur du CFJ, le 26 novembre 2003.

« nous étions très contre l’idée d’une licence de journalisme, explique Bernard Voyenne, représentant du CFJ à Strasbourg. Qu’est-ce que ça veut dire une licence de journalisme ? On ne fait pas une licence de journalisme. Une licence, c’est un diplôme universitaire. […] On a beaucoup combattu ça. Alors, on va faire une licence d’avocat, et puis une licence de quoi… On n’en sortira plus après… Pourquoi une licence de journalisme ? Pourquoi pas une licence de réparateur de chaussure ? À nos yeux, c’était une drôle d’idée76 ».

88L’initiative de Jacques Léauté à Strasbourg pose également problème aux écoles privées car elle vient empiéter sur certaines de leurs activités comme l’accueil d’étudiants étrangers. Le positionnement international du Centre de Strasbourg du fait de son passé international permet à l’école de journalisme de recevoir des étudiants africains. Jacques Léauté cherchait à s’arroger le monopole de cet accueil en déniant le droit aux autres écoles de recevoir des étudiants.

  • 77  Entretien avec Robert Hennart, ancien directeur de l’ESJ de Lille, le 18 mars 2004.

« J’entends encore Léauté me dire, “Monsieur Hennart, vous n’avez pas le droit de recevoir les étudiants étrangers”. Ah bon, et quelle loi divine, ou humaine me l’interdirait. “Vous n’êtes pas l’Université de France.” On était une petite école dépendant de l’université catholique pour lui77. »

89Les tensions qui pouvaient exister entre Jacques Léauté et les directeurs des écoles privées sont ainsi avivés.

  • 78  Entretien avec Charles-Pierre Guillebeau, ancien directeur du CELSA, le 18 juin 2003.

90Lors de la création du CELSA en 1977, son fondateur, Charles-Pierre Guillebeau, rencontre également d’importantes réticences émanant du CFJ qu’il décrit comme jouissant d’une « main-mise sur l’ensemble de la profession78 ». La création d’une filière journalisme au CELSA à Neuilly provoque un travail d’obstruction de la part de Philippe Viannay sans doute réticent d’abord en raison de la proximité géographique des deux centres.

Le jeu sur les contacts inter-personnels : l’obstruction de Philippe Viannay à la fondation du CELSA
Philippe Viannay cherche à jouer de son contact direct avec René Finkelstein pour le dissuader de participer à la fondation du CELSA. René Finkelstein bénéficie en effet des ressources professionnelles importantes puisqu’il a longtemps été le président de la Commission de la Carte.
Il mentionne une anecdote significative des blocages rencontrés auprès du Centre de formation des journalistes qui souligne la lutte que se livrent à l’époque les deux entreprises de formation. « Je suis allé trouver Viannay. Je lui ai dit : “écoute, tu es un copain. Tu es le premier auquel je viens en parler. J’ai l’intention de participer à la création et d’être l’un des fondateurs d’un département de journalisme au CELSA”. C’est une conversation que je n’oublierais jamais car elle a duré plus de quatre heures. […] Il a essayé de dire tout ce qu’il pouvait pour me décourager, en me disant le plus grand mal de Guillebeau, et en me disant surtout qu’il avait un rêve. Et, que ce rêve consistait à faire une grande Université de journalisme, qui aurait monopolisé toute la formation pour toute la France, aurait eu un statut d’établissement de type Sciences Po. Et qu’en faisant, un département de journalisme à la Sorbonne, je détruisais son rêve d’hégémonie. Alors, j’ai essayé de lui montrer que ce n’était pas une solution tenable, qu’il fallait un pluralisme, qu’en Amérique il n’y avait pas d’école qui ne soit une école professionnelle, que toutes les écoles étaient des écoles d’Université, que pouvaient cohabiter une filière purement privée et professionnelle et une autre publique. Rien n’y a fait. Et, alors, à 22 heures, j’étais sur les genoux, il m’a sorti. Il a complètement, je ne dirais pas déjanté, mais pris par son lyrisme et par la volonté de me faire céder, il m’a dit : “mais enfin écoute, n’oublie surtout pas quand même qu’en faisant ça, tu me portes un coup au cœur. Et en le faisant, tu le fais à tous les gens qui ont résisté pendant la guerre. N’oublie pas le rôle que j’ai joué pendant la Résistance”. J’ai dit : “écoute Philippe, on va s’arrêter là, parce que je vais te dire, le décret qui porte élévation à la rosette, c’est-à-dire officier de la Résistance, la médaille de la résistance*. Ce même décret comporte nos deux noms : le tien et le mien. Alors, s’il y a surtout une chose que je ne voudrais pas mettre en avant, c’est ce que tu as fait, et ce que j’ai fait. Hein, là-dessus, on est à égalité”. Alors, là, je dois dire qu’il s’est écrasé (rires)**. » Cette conversation décrit la manière dont cette concurrence universitaire vient remettre en question le modèle d’école spécifique institué à la Libération par Viannay en promouvant un modèle substitutif inspiré d’une « science de la presse ». La légitimation par la Résistance constitue pour Philippe Viannay un ultime rempart qu’il n’hésite pas à mobiliser, y compris jusque dans les années 1970 où pourtant les enjeux présents à la Libération se sont estompés. Ce que Viannay craint c’est que la ressource du CFJ qui vient des liens tissés avec la profession ne soit partagée avec d’autres.
* En plus de la médaille de la Résistance, René Finkelstein a obtenu la croix de guerre.
** Entretien avec René Finkelstein, membre du conseil d’administration de la section journalisme du CELSA, le 21 octobre 2003.

  • 79  René Finkelstein dit des syndicats en général et du SNJ en particulier qu’ils avaient « colonisé l (...)
  • 80  Entretien avec Charles-Pierre Guillebeau, ancien directeur du CELSA, le 18 juin 2003.

91L’opposition au CELSA provient également de la profession, aussi bien des syndicats de journalistes79 que des représentants du patronat. Si les syndicats de patrons de presse ne s’opposent pas frontalement au CELSA, ils le soutiennent assez peu du fait du faible intérêt qu’ils affichent encore pour la formation. Mais, le fait que Charles-Pierre Guillebeau bénéficie de nombreux appuis au sein des franges modernisatrices du patronat (Marcel Demonque, François Dalle, Marcel Bleustein-Blanchet…) a pu favoriser l’accord tacite des syndicats patronaux sur ce nouveau projet de formation. Enfin, la présence de René Finkelstein, également membre du patronat de presse, offre une caution ou une garantie acceptable pour ces derniers. Selon Charles-Pierre Guillebeau, ancien directeur du CELSA, Philippe Viannay prend en revanche appui sur le SNJ pour lui « mettre des bâtons dans les roues80 ». L’alliance nouée dans le conflit initial avec les patrons de 1947-1949 est en quelque sorte ravivée à cette occasion. Par ailleurs, l’hostilité du SNJ s’explique aussi par le fait que la mise en place de nouvelles formations à l’Université conduit de fait à une perte de maîtrise de la corporation sur son propre espace de formation. Toutefois, cette opposition du syndicat des journalistes et du Centre à la mise en place des formations universitaires ne parvient pas à endiguer le mouvement de « professionnalisation » de l’Université ce qui amène le CFJ à envisager de nouvelles formes de contrôle de l’espace de formation.

92L’ESJ et le CFJ structurent un pôle entre les diverses formations au journalisme et la mise en place d’une coordination ou d’une concurrence pacifiée avec les nouvelles formations publiques. C’est surtout en contrôlant et en imposant le type de pédagogie (c’est-à-dire les compétences professionnelles et ici au niveau de l’excellence) qu’ils s’assurent un afflux de candidats et un afflux de (bons) débouchés. Ce rapprochement doit d’abord à des changements dans les structures de formation : la prise d’autonomie de l’école de Lille à l’égard de l’Institut catholique favorise la reprise en main par des professionnels de l’association des anciens.

93En effet, les relations entre les facultés catholiques et l’ESJ sont distendues dans les années 1960. Certaines actions ont été perçues comme des provocations notamment l’invitation faite par Hervé Bourges à Pierre Mendès France. La faculté catholique entend couper les liens : l’école de Lille se doit d’assumer une responsabilité financière et donc une autonomie de fonctionnement. Au cours de cette crise, les anciens se mobilisent, revendiquant un poids dans la gestion de l’école. Une « association de l’École supérieure de journalisme » tient son assemblée générale constitutive le 12 décembre 1959 dans les locaux de la Vie Catholique de Paris. Elle remplace sans la supprimer l’ancienne association des anciens en se posant comme association gestionnaire. Elle confie à un conseil d’administration une triple mission : mettre au point les termes d’une convention avec les facultés catholiques (elle sera signée le 12 novembre 1960), introduire auprès des autorités académiques une déclaration d’ouverture puis solliciter des responsables de l’enseignement technique l’habilitation à percevoir la taxe d’apprentissage (dont vit le Centre de formation des journalistes depuis 1947) (Delforge, 1994, p. 88). Joseph Fontaine assure la présidence du nouveau conseil d’administration ouvert à des représentants de la presse et des membres de « la Catho ». Jules Clauwaert, en prend la vice-présidence. Les anciens y sont statutairement majoritaires (et le demeurent encore aujourd’hui même si le conseil s’est à présent élargi à des représentants du paritarisme, aux collectivités locales et à des personnalités qualifiées).

  • 81  Lieu du studio de l’OCORA.

94La possibilité de percevoir la taxe d’apprentissage par l’ESJ de Lille la rapproche du CFJ, ce qui conduit les deux directions à jeter les bases d’un Comité de coordination auquel participera d’ailleurs aussi le studio de l’Office de coopération radiophonique (OCORA) dont le directeur Pierre Schaeffer est un ami de Philippe Viannay. Si au départ, ce rapprochement permet principalement de se démarquer des écoles privées non reconnues, telle que l’École supérieure de journalisme de Paris, il permet aussi aux écoles privées de faire front contre les établissements publics fondés par l’université à Bordeaux (IUT B) et à Strasbourg (CUEJ). Dans les années 1960, les réunions se tiennent tantôt rue du Louvre, tantôt à Lille, tantôt à Maisons-Lafitte81. Autrement dit, le CFJ et l’ESJ de Lille sont contraintes à l’entente et à la coordination.

95Le processus de structuration prend une forme plus durable à travers la mise en place d’une commission de coordination de l’enseignement du journalisme en France dans les années 1970 qui réunit alors CFJ, ESJ de Lille, mais aussi Bordeaux et Strasbourg, sous l’impulsion du CFJ et notamment de Bernard Voyenne qui décrit ainsi l’opération :

  • 82  Entretien avec Bernard Voyenne, ancien professeur du CFJ, le 26 novembre 2003.

« nous étions plutôt à se regarder en chien de faïence avec ceux qui existaient. […] Or, chacun travaillait dans son coin et je ne dirais pas qu’il se méfiait, mais avait un peu tendance à penser que “les autres, ils font ce qu’ils veulent, nous on fait ce qu’on veut”. Moi, j’ai un peu une vocation de rassembleur. J’ai dis, c’est un peu bête, il faudrait qu’on se connaisse, qu’on fasse quelque chose ensemble, une certaine harmonisation de nos enseignements, une certaine spécialisation. Il y a peut-être des choses qui se feront mieux à Strasbourg, d’autres qui se feront mieux à Paris. Donc, j’ai crée cette commission, dont j’ai été le secrétaire depuis le début82 ».

96Les réunions se tiennent tous les trois mois alternativement chez les uns et les autres. Cela dit, de telles réunions semblent avoir – paradoxalement – développé un sentiment coopératif au sein des écoles et renforcer la légitimité de la formation au journalisme envers la profession. Les écoles de Paris, de Lille, de Bordeaux, de Strasbourg mettent en place des critères de recrutement des enseignants. Ces réunions entre écoles débouchent sur des enquêtes nationales sur les perspectives de recrutement dans la période des années 1974-1975. La commission se livre donc à une enquête prospective dans lequel chaque école prend en charge la réalisation de l’enquête dans son secteur géographique. Il est demandé auprès des journaux l’âge des journalistes afin d’évaluer les départs à la retraite pour d’éventuels recrutements à venir. Les écoles échangent entre elles des informations sur la pédagogie, sur le recrutement. Elles mettent en commun et débattent de leurs procédures de sélection et d’examens (nombre de candidats, nombre de personnes finalement retenues). Cet outil constitue une manière pour le CFJ de s’imposer et d’imposer notamment son modèle pédagogique qui mixte apprentissages pratiques en lien avec la profession et savoirs plus théoriques. La profession dans son ensemble est sensibilisée aux écoles : la commission est ainsi utilisée pour l’organisation de manifestations à destination par exemple des rédacteurs en chef de la presse de province qui étaient dans l’ensemble plutôt hostiles aux écoles. Mais cette commission est surtout un espace où se jouent les luttes de légitimité entre écoles. L’acte d’institution de cette commission établit d’abord des frontières entre les écoles qui y sont et celles qui ne sont pas dignes d’y figurer. L’IUT de Tours, le CELSA, et l’école de Marseille ne seront pas inclus au sein de ce « club ». Il faut attendre que Jacques Léauté cède sa place à un journaliste, Alphonse Irjud, pour que l’école de Strasbourg se voit insérée au sein de la structure de coordination des écoles organisés par le CFJ et l’ESJ. Au total, les réunions permettent de rejouer et de produire des écarts symboliques et contribuent à stabiliser un espace des hiérarchies légitimes entre écoles.

97Cette coordination a produit également des effets de spécialisation des écoles vis-à-vis du marché du travail. Pendant très longtemps, les IUT ne pouvaient pas espérer placer des étudiants à l’AFP, au Monde, au Figaro car Paris et Lille bénéficiaient d’une main mise sur les recrutements du fait que les rédacteurs en chef ou des chefs de service étaient des anciens de ces écoles. Les jeux de légitimité jouent comme autant d’assignations de rôles et d’espaces de débouchés légitimes entre les formations. Cette volonté de régenter l’ensemble du dispositif de Philippe Viannay et de Claire Richet aboutit au progressif grippage de cette coordination entre les écoles et provoquera à terme sa disparition.

  • 83  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de la formation presse écrite à l’IUT de Bordea (...)

98Cette coordination des enseignements tend enfin à pacifier la concurrence entre les écoles, en faisant reconnaître les hiérarchies. Le duopole CFJ/ESJ de Lille peut s’imposer comme un acteur central de cette nouvelle régulation pédagogique. Sous couvert de mettre en place une harmonisation et une « espèce d’esprit commun sur la façon de faire de l’enseignement du journalisme83 », cette commission favorise également la consolidation du modèle mis en place à la Libération par le CFJ.

99La concurrence avec les formations universitaires provoque une transformation des enseignements au sein de la formation initiale. Le CFJ cherche à affirmer un magistère intellectuel, en prenant appui sur Sciences Po Paris et un certain nombre d’universités. Ce rapprochement avec le pôle universitaire marque une volonté des dirigeants du CFJ de se distinguer des autres formations émergentes en mettant en place un partenariat avec des institutions à fort capital symbolique.

  • 84  Mais aussi dans d’autres organisations comme la CFDT ou Vie nouvelle.

100Dès le début des années 1960, le Centre s’attache le concours de plusieurs historiens comme Denis Richet, François Furet, Jacques Ozouf, Jacques Julliard. Si nous ne connaissons pas avec précision les circonstances qui ont amené ces historiens à participer au CFJ, on peut cependant rappeler que François Furet et Jacques Julliard appartiennent aux mêmes cercles de sociabilité que Philippe Viannay proche de la mouvance de la « deuxième gauche », qui peuvent se retrouver dans le Parti socialiste unifié84 (PSU). François Furet participe à la création du PSU et écrit dans France Observateur tout comme Philippe Viannay. Denis Richet est le beau-frère de François Furet. Jacques Julliard fréquente également les réseaux proches de L’Observateur connaissant Gilles Martinet et Claude Bourdet, tout comme ceux de la revue Esprit. Il participe avec Jacques Ozouf à la revue Le Mouvement social. Ce groupe d’historiens du contemporain se légitime par les marges du champ universitaire en prenant appui comme François Furet sur les médias comme Le nouvel Observateur (Christofferson, 2009). Mais ils s’appuient aussi sur des postes obtenus via la VIe section de l’EHESS ou à l’université de Vincennes qui constituent des « institutions périphériques » (Rieffel, 1993 (tome 3), p. 29-46) mais néanmoins très efficaces dans la consécration comme l’ont montré certains travaux à partir du cas de la science politique à Vincennes (Dormoy-Rajramanan et Jeanpierre, 2017).

101Philippe Viannay théorise cette importance de l’histoire comme discipline fondamentale non seulement en raison des connaissances qu’elle apporte mais également pour la méthode qu’elle exige (Viannay, 1988, p. 297). On retrouve ici une conception proche de celle développée dans les discours d’Émile Boutmy légitimant l’enseignement historique au sein de Sciences Po en vue d’une refonte morale des élites à la suite de la défaite de l’armée française en 1870 (Delmas, 1996). L’enseignement de l’histoire est utilisé au sein du CFJ comme gage du sérieux des nouveaux apprentissages universitaires. Le CFJ fait également appel pour l’enseignement plus orienté vers l’économie à Jean Bouvier, historien spécialisé sur l’histoire économique du xixe et xxe siècle puis son disciple Jacques Marseille, ce qui expliquera par la suite son rapprochement avec l’université de Vincennes où Jean Bouvier avait enseigné mais aussi où Jacques Julliard et Jacques Ozouf avaient créé un département histoire en septembre 1968 (Soulié, 2012). Le centre historique de Vincennes présentait l’intérêt pour Philippe Viannay d’être orienté vers l’histoire contemporaine, plus aisément mobilisable dans le cadre d’un apprentissage à destination des journalistes.

  • 85  Jusqu’à la création par l’IEP de Paris de sa propre école en 2004.

102En 1969, le CFJ établit avec Jacques Chapsal, directeur de l’Institut d’études politiques, une passerelle entre la section politique, économique et sociale de troisième année et la première année du Centre pour permettre aux étudiants admis au CFJ de réaliser une double scolarité. Jacques Chapsal est admis à siéger au sein du conseil d’administration où il remplace François Bloch-Lainé dans le collège des « fondateurs ». Par la suite, un siège sera régulièrement réservé au directeur de Sciences Po85.

103Dans le même temps, le CFJ se rapproche de plusieurs universités parisiennes.

  • 86  Philippe Viannay fait ici référence à la concurrence que se livraient l’école de Lille et le CFJ d (...)

« Plusieurs raisons nous y poussaient, explique Philippe Viannay. Nos déboires africains nous avaient montré la nécessité, au moins pour l’étranger, d’une reconnaissance par l’Université et d’une équivalence de diplôme86. J’avais toujours cru que nous devions tenir la ligne de crête entre deux dangers, celui du corporatisme et celui de l’académisme. Une présence universitaire plus forte pourrait équilibrer l’influence accrue de la profession qu’apporte la création du centre de perfectionnement. La qualité de nos partenaires universitaires, notamment ceux qui professaient au centre, nous garantissait contre les rigidités creuses de l’Alma mater. » (Viannay, 1988, p. 308.)

104L’introduction d’une concurrence universitaire à Strasbourg, puis dans les IUT conduit le centre de perfectionnement des journalistes à réinvestir l’espace universitaire pour réaffirmer son rôle et sa place dans le dispositif d’enseignement supérieur. Entre 1969 et 1978, le centre de formation et perfectionnement de journalistes passe des accords avec l’IEP de Paris, Paris 1, Paris 3, Paris 8 Vincennes, Paris 10 Nanterre. Des coordinations d’enseignements sont établies avec l’ensemble de ces établissements : un DESS commun pour les langues, des détachements de professeurs, une présence dans le conseil de plusieurs universitaires. Le fait de travailler avec plusieurs universités permet au CFPJ de conserver une relative autonomie tout en capitalisant sur une plus large surface de légitimité.

105Ce rapprochement avec l’université ne s’effectue pas au détriment des orientations professionnelles du Centre. La mise en place de la formation permanente fournit une opportunité pour le duopole CFJ-ESJ de se distinguer de ses nouveaux concurrents universitaires et de se réinscrire dans une relation particulière à la profession.

Le resserrement des liens entre les écoles privées et la profession : le lancement du Centre de perfectionnement au journalisme (CPJ)

  • 87  Il est secrétaire général auprès du Premier ministre pour la formation professionnelle et la promo (...)

106Face au développement des nouvelles formations universitaires, le CFJ consolide ses liens avec la profession en créant en 1969 un centre de perfectionnement de journalisme en partenariat avec l’école supérieure de journalisme de Lille. Un tel centre permet de dépasser la seule vocation de la formation initiale et constitue un moyen de se distinguer, en capitalisant sur des liens anciens tissés entre ces deux écoles et la profession. On peut également y voir un moyen de trouver de nouvelles ressources financières. Cette création anticipe donc de quelques années la relance de la formation professionnelle développée par le gouvernement Chaban Delmas dans le cadre de son projet de « nouvelle société » puis par Jacques Delors87, dans les années 1970. Reste que ce duopole constitué au sein de ce centre de perfectionnement est fragile car il repose sur l’intérêt partagé à une concurrence pacifiée.

107Le lancement du Centre de perfectionnement au journalisme (CPJ) repose sur une accumulation d’expériences dispersées en matière de formation permanente au sein des écoles de journalisme. Le CPJ apparaît comme une tentative de fédérer des initiatives éparses du secteur journalistique. Si la presse périodique et magazine, technique, agricole, médicale contribuait au développement des écoles en versant la taxe d’apprentissage, la plupart des journalistes formés au sein du duopole partaient plutôt dans « la grande presse » et en radio. La problématique de ces entreprises de presse est donc spécifique : elles recrutent souvent des professionnels munis d’une compétence dans un domaine particulier (ingénieur agronome, docteur en médecine par exemple) mais qui ignorent tout du métier journalistique. La formation permanente représente donc une opportunité nouvelle de leur transmettre des pratiques propres au monde journalistique dans le cadre d’un perfectionnement.

  • 88  Louis Guery, « A l’écoute des besoins de la profession », in Association des anciens du CFJ, 1996, (...)

108Le CFJ avait lancé depuis 1962 des cours pour la presse périodique. Ces cours visaient des journalistes déjà dans la profession éprouvant l’envie ou le besoin de se perfectionner dans un domaine particulier. Ils bénéficient du soutien de Jean Darroux, président de la presse périodique, technique et spécialisée. En 1962, une enquête est menée auprès des directeurs, des rédacteurs en chef et de journalistes de publications appartenant à ce type de presse88. Trois cours du soir sont identifiés comme stratégiques : rédaction, secrétariat-mise en page et législation-administration. En fin d’année, un travail pratique réunit les journalistes des trois cours pour la réalisation d’un périodique-école. Cette initiative marque le début de la « formation permanente » même si à l’époque, on n’utilise pas encore cette dénomination mais le qualificatif de « cours pour la presse périodique ».

  • 89  Cité par Louis Guery, ibid., p. 119.
  • 90  Entretien avec Louis Guery, ancien directeur du CFPJ, le 11 février 2004.

109La presse quotidienne régionale prend appui également sur le CFJ pour réaliser des actions de perfectionnement. Leur mode de recrutement privilégie la formation sur le tas : des étudiants venus faire un remplacement de vacances pouvaient être recrutés alors qu’ils n’avaient pas reçu de formation journalistique. Ils devenaient alors des localiers. Or, en cas de mutation vers des fonctions plus techniques par exemple dans un secrétariat de rédaction, un nouvel apprentissage était nécessaire. À la suite de demandes exprimées par divers journaux, le CFJ lance « la formation sur place ». Un moniteur est proposé conjointement par la direction et les syndicats de journalistes. Il revient ensuite au CFJ de rémunérer le moniteur qui respecte un programme de formation pré-défini. Les stagiaires suivent, dans leurs journaux, les enseignements à raison de durées variables : une matinée par semaine, une journée tous les quinze jours, ou deux ou trois jours chaque mois. Une fois par an, les stagiaires se rendaient au Centre à Paris pour réaliser un journal-école. Cette idée de former les journalistes sur place tient à un phénomène de gestion du personnel révélé dans une enquête confiée à Jean-Paul Deron, rédacteur en chef de Paris Normandie : « il est impossible de retirer le jeune stagiaire de la production pour lui faire suivre de longues périodes de formation89 ». En octobre 1965, cinq journaux travaillent avec le CFJ et pour un total de 44 stagiaires : Le Havre-Libre et Paris Normandie, L’Est Républicain, Le Progrès de Lyon et Le Provençal à Marseille90.

110À la fin de l’année 1968, lors d’une réunion pour réaliser le bilan de l’année et envisager les projets pour l’année suivante, Louis Guery se retrouve en compagnie des autres membres de la direction du CFJ, Philippe Viannay, Claire Richet, Bernard Voyenne.

  • 91  Entretien avec Louis Guery, ancien directeur du CFPJ, le 11 février 2004.

« Je dis que je sens qu’il y a de plus en plus de demandes de stages de perfectionnement, se souvient Louis Guery. Philippe Viannay […] me dit, “Louis tu as raison, tu sens parfaitement le problème mais ce n’est pas du tout quelques stages qu’il faut faire, il faut créer le centre de perfectionnement des journalistes. Et c’est toi qui va le diriger”. Je dis : “oui on peut essayer on verra bien”. Pour donner une idée de ce qu’était Viannay, il me dit le lendemain : “viens je t’emmène dans les nouveaux locaux du CPJ”. On est descendu trois étages plus bas. C’était à l’époque France Dimanche qui les occupait et ils s’en allaient. On a pris la succession. Voilà comment on a créé le CPJ91. »

  • 92  Guy Brucy rappelle que pour composer son « équipe », Jacques Chaban Delmas s’appuie sur deux fonct (...)

111Ce projet d’un centre de perfectionnement prend appui sur les réseaux de Philippe Viannay dans le monde de la haute fonction publique et plus précisément dans les cabinets ministériels. Philippe Viannay avait discuté avec Jean-Michel Belorgey et Jacques Delors, tous deux membres du cabinet de Chaban-Delmas92 des dispositions de la loi sur la formation permanente et avait obtenu des informations en primeur. Toutefois, la loi de 1971 apparaît aussi comme l’achèvement d’un processus de long terme, scandé de nombreux textes (lois en 1963, 1966, 1968). Comme le rappelle Claude Dubar, comprendre la formation professionnelle continue ne peut se faire sans relier sa genèse à

« tout un climat politique qui, de Michel Debré en 1959 à Jacques Chaban-Delmas en 1971, fait de la formation concertée entre tous les partenaires sociaux une des pierres angulaires de la “nouvelle société” fondée sur la participation et le consensus au-delà des luttes sociales et des conflits idéologiques. Oublier cet enjeu serait ne rien comprendre à la place accordée aux questions de formation dans les discours politiques et sociaux de l’époque » (Dubar, 2000, p. 82).

Chacun cherche sa formation continue : la pluralité des raisons de ralliement des syndicats
Le ralliement des syndicats à la cause de la formation permanente tient à des raisons différentes selon les syndicats. La CGT y voit un moyen d’augmenter la qualification de la force de travail et de « conscientiser » le prolétariat. Elle y voit aussi une protection des travailleurs dans un contexte de mutations rapides du procès de travail (sous l’effet des progrès techniques et de la modernisation de l’entreprise). Avec la crise et l’ampleur des reconversions industrielles, la formation continue doit constituer une garantie d’emploi pour les travailleurs « contraints de changer d’activité ». La CFDT se rattache à la formation car elle y décèle une manière de favoriser la promotion des ouvriers et l’autonomie de chaque individu au travail. La formation s’insère dans le cadre d’une conception politique et culturelle plus large de la formation. « Elle entend substituer au couple formation-emploi voulu par le patronat un couple éducation permanente-réalisation de soi dont la finalité est la transition vers une société socialiste, démocratique et autogérée* ». FO souhaite favoriser les procédures de codécision en matière de formation au sein des structures paritaires et défend la liberté de choix des formations par les salariés. La CGC prône la formation comme moyen de consensus et comme solution aux conflits sociaux. La totalité d’entre eux entend tirer le meilleur parti des droits existants en agissant au sein des structures paritaires.
Source : Dubar, 2000 (1984).
* Prise de position de la CFDT citée dans Dubar, 2000, p. 82.

112La formation permanente dans le journalisme répond également à une revendication des syndicats. Dans la mouvance des grandes grèves de mai-juin 1968 a été signé en juillet 1970 un accord interprofessionnel qui reconnaît officiellement l’exercice du droit à la formation sous des conditions précises d’accessibilité et sous réserve des modalités de financement relevant de la loi.

  • 93  Christian de Montlibert ne leur accorde qu’une page de son ouvrage (de Montlibert, 1991, p. 175).
  • 94  Louis Guery, « A l’écoute des besoins de la profession », in Association des anciens du CFJ, 1996, (...)
  • 95  Jacques Marchand et Pierre Canquelain, Rapport de la commission de formation professionnelle et pe (...)

113Le rôle des syndicats a parfois été relativement délaissé par certains travaux traitant de la formation permanente à l’image de celui de Christian de Montlibert qui tend à privilégier dans l’analyse le poids du patronat modernisateur et des experts originaires de sciences sociales93. Pour lui, si les positions patronales se sont imposées dans l’univers de la formation permanente, ce n’est pas seulement parce qu’elles étaient énoncées par des individus dirigeant l’économie, mais parce qu’« elles ont emporté aussi la conviction parce qu’elles étaient élaborées par des intellectuels et reprises par de hauts fonctionnaires qui formaient un réseau qui sut consolider ces “vérités” en leur donnant valeur “d’expertise” » (de Montlibert, 1991, p. 18). Ce désintérêt pour l’action concrète des syndicats ne poserait pas en soi problème s’il ne faisait pas écran à l’analyse du rôle de passeur entre divers univers de productions que peuvent jouer les syndicats, comme tendent à le souligner des travaux plus récents qui revisitent leur contribution à la genèse des politiques de formation permanente (Brucy, 1999, Ethuin et Yon, 2014). Dans le cas du journalisme, il semble qu’ils aient pourtant fortement pesé dans le développement des nouveaux dispositifs de formation. Les années 1965 à 1970 sont marquées, dans la profession, par un appel de plus en plus pressant au perfectionnement. « Il n’est pas de congrès d’un des cinq syndicats qui n’ait le sujet à son ordre du jour et qui ne se termine par le vote d’une résolution exigeant que soit recherché et mis en place des moyens de perfectionnement », rappelle Louis Guery94. Le Syndicat national des journalistes y consacre un rapport entier mis en place par la Commission de formation professionnelle et permanente qui est longuement abordé dans le cadre du 48e Congrès du SNJ95. Dans ce rapport, les deux auteurs réalisent un état des lieux de la formation permanente dans toutes les entreprises de presse régionale en mentionnant dans chaque cas si un accord a pu être trouvé avec la direction ou si la promotion de la formation permanente continue de rencontrer une opposition patronale.

  • 96  Le Journaliste, no 126, 25e année, juin-juillet 1970, p. 5.
  • 97  Ralph Messac cité dans Le Journaliste, ibid., p. 5.

114Si les membres du SNJ souhaitent favoriser le développement de la formation permanente c’est d’abord parce que l’ensemble des syndicats de journalistes a justifié leur revendication de la semaine de cinq jours par la nécessité d’avoir du temps pour se perfectionner. De plus, le début des années 1970 se traduit par un contexte social assez tendu au sein des journaux puisqu’une douzaine de grèves éclatent en 1969-1970 pour des causes diverses (refus de publier un communiqué au Parisien libéré et à L’Équipe, refus d’une fusion sous la houlette de Robert Hersant au Havre-Libre et au Havre Presse, à l’AFP contre le refus du patron d’honorer un accord…). Dans ce cadre conflictuel, et dans ce secteur marqué par la puissance d’un syndicat corporatiste comme le SNJ, l’analyse de Lucie Tanguy considérant la formation permanente comme une manière de traduire un problème social en problème de formation s’avère très pertinente. Pour favoriser l’essor de la formation continue, Ralph Messac, président du SNJ mobilise l’ensemble des arguments développés dans d’autres secteurs96 : celui du « recyclage », par exemple, qui est un des points développés par le Centre universitaire de coopération économique de Nancy par Bertrand Schwartz ou encore l’école des Mines. Lorsqu’il déclare par exemple : « nous devons exiger que les Centres de formation prévoient pour leurs élèves, obligatoirement, des périodes de recyclage comme il y a des périodes pour les officiers de réserves… Nous devons le demander aux écoles, nous devons le demander aux patrons97… » L’idée de la nécessité d’une formation permanente se diffuse de secteur en secteur, chacun prenant appui sur les expériences voisines.

  • 98  Rapport moral de Ralph Messac, Le Journaliste, ibid., p. 5.

115Enfin, le développement de la formation permanente s’appuie sur l’invocation des transformations techniques. L’article premier de la loi de 1971 énonce que la formation professionnelle « doit permettre l’adaptation des travailleurs aux changements des techniques et des conditions de travail ». Dans le journalisme, le début des années 1970 constitue la période où se modifient en profondeur les techniques d’impression, où la photocomposition remplace le plomb et où la technologie de l’offset succède à la typographie. Le développement de l’électronique et de l’informatique au sein des rédactions est utilisé par les promoteurs de la formation à l’image du SNJ. Cette introduction de nouvelles technologies est appréhendée comme un moment de recomposition complète des horaires du travail et des qualifications. « Dès lors qu’un journal pourra être composé, imprimé, fabriqué, distribué en moins d’une heure, croyez-vous, chers confrères que vous pourrez, pour certains, continuer à aller, bourgeoisement regarder la télé en famille à partir de 9 heures du soir98 ? », interroge le président du SNJ. Ce souci de réorganisation est partagé par les patrons de l’époque inquiets de l’adaptation de leur personnel. Pour certains, la formation professionnelle continue doit être un vecteur de qualifications élargies.

116Le poids syndical pris dans la cogestion des nouveaux dispositifs explique le choix de retenir Louis Guery pour diriger le Centre de perfectionnement. Issu d’un milieu populaire, son père est artisan et sa mère couturière dans la Sarthe, Louis Guery a pour seul diplôme un certificat d’études, il avait été contraint d’écourter ses études par manque de moyens financiers. Il exerce les fonctions de peintre en bâtiment jusqu’à l’âge de 30 ans, et se voit façonné par le militantisme au sein du Mouvement populaire des familles branche de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) qui fusionnera dans les courants de la nouvelle gauche. À partir de 1951, il prend en charge la publication militante de son mouvement Monde Ouvrier qui tire à 70000 exemplaires dont il devient en cinq mois rédacteur en chef, puis de la Tribune du peuple qui est l’organe de l’Union des gauches socialistes. Il est ensuite recruté par Claude Bourdet et Gilles Martinet ou du journal France Observateur en 1959 dont il devient secrétaire général de rédaction. C’est au sein de ce journal qu’il rencontre Philippe Viannay qui le fait intervenir au sein du CFJ. Les origines ouvrières, les dispositions militantes et les compétences techniques de Louis Guery en font une incarnation possible de la promotion par la formation. Sa nomination va renforcer les origines paritaires du CPJ.

  • 99  Entretien avec Louis Guery, ancien directeur du CFPJ, le 11 février 2004.
  • 100  Jules Clauwaert originaire du bassin minier avait participé à diverses actions de résistance dans (...)
  • 101  Entretien avec Robert Hennart, ancien directeur de l’ESJ de Lille, le 18 mars 2004.

117Dès 1969 et le lancement du nouveau centre de perfectionnement des journalistes et des cadres de presse, Louis Guéry insiste pour que l’école de Lille soit également associée à l’entreprise99. Philippe Viannay parvient à convaincre Jules Clauwaert qui était à l’époque président de l’ESJ. Selon Robert Hennart, qui s’est montré à de multiples reprises très méfiant à l’égard de Philippe Viannay, ce dernier a utilisé la carte de la Résistance pour associer Lille et convaincre Jules Clauwaert100. « Clauwaert a été un peu abusé par Richet et par Viannay. Clauwaert s’est fait avoir par la Résistance, Viannay, la communauté de combat. Il a joué à fond ça101. » Pour Viannay, l’intérêt de s’attacher la personne de Jules Clauwaert tient sans doute aux réseaux dont il dispose dans la presse régionale. Jules Clauwaert était le président du syndicat des rédacteurs en chef de la presse de province. On a souligné plus haut le rôle de prescripteur en matière de formation continue de ce type de presse. Louis Guery souhaite pouvoir s’appuyer sur une antenne dans la région Nord-Pas de Calais. Le fait d’associer l’école de Lille permet égalementd’afficher un visage et une offre unifiés à destination de la profession en réunissant les deux seules écoles reconnues à l’époque par la convention collective. La collaboration entre les deux formations de Paris et Lille se déroule dans un premier temps sans trop de conflits.

118Pour l’antenne lilloise, le perfectionnement est confié à Denis Huguenin qui exerce la fonction de responsable pour l’école de Lille. Il a été directeur de la communication des Charbonnages de France et vice-président de l’association des anciens de Lille. De nombreux stages se déroulent à Lille pour les journalistes de la région, travaillant à La Voix du Nord, ou au Courrier Picard. L’école organise des sessions régionales à Nord Éclair, Nord Matin, Liberté, et à la Croix du Nord. Des sessions sont ouvertes autour de la presse professionnelle et de la presse d’entreprise. Le CFJ assure depuis Paris le cycle de sécrétariat de rédaction (17 à 20 sessions dans l’année).

  • 102  Entretien avec Denis Huguenin, ancien responsable du CPJ pour l’antenne de Lille, le 31 octobre 20 (...)

« À Lille, on a cherché à se distinguer, relate Denis Huguenin. On a fait des trucs originaux. Une initiation au bilan et au compte d’exploitation en trois jours avec l’audiovisuel. L’idée était d’expliquer aux journalistes comment marchait une entreprise. Il y avait des morceaux entiers de profession qui n’étaient pas touchés par la formation. On a fait des trucs bêtes. On a formé les personnes d’accueil, les standardistes dans les locales car c’était le principal vecteur d’image du journal devant les lecteurs. Le CPJ Paris ne faisait rien sur ce secteur. J’étais intervenant dans leur zone. On faisait tant d’heures et le CPJ payait les prestations qu’on faisait. Le CPJ organisait et encaissait mais ça nous permettait d’agrandir l’image de marque de la formation première102. »

119Une division du travail de formation s’opère donc entre les deux écoles, Lille prenant en charge des formations plus ciblées. La mise en œuvre de la formation permanente permet d’espérer resserrer les liens avec des fractions demeurés plus à l’écart du modèle de formation des écoles. On y voit également une concurrence sourde entre Lille et Paris qui s’exprime de manière nette.

120Ce centre de perfectionnement va échouer pour plusieurs raisons. D’abord, les enjeux financiers liés à la formation permanente deviennent de plus en plus importants et conduisent à des divergences entre partenaires sur la gestion à adopter. Ensuite, l’arrivée d’Hervé Bourges à la direction de l’ESJ de Lille aggrave les tensions avec la direction du CFPJ car ce nouveau directeur conteste la division du travail mise en place au sein du Centre de perfectionnement. Au terme de la crise entre les deux écoles, l’école de la rue du Louvre parvient à monopoliser l’ensemble des tâches de formation continue dans le cadre du CFPJ jusqu’au développement à partir de la fin des années 1980 de l’ESJ entreprises, une filiale de l’ESJ spécialisée dans la formation continue.

121Un enjeu de plus en plus prégnant du Centre touche à la captation de fonds. L’accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970 sur « la formation et le perfectionnement professionnel » et la loi sur la formation permanente de 1971 créent une participation des entreprises au financement (fondée sur une obligation légale) de la formation professionnelle continue et un droit individuel à la formation continue. L’employeur est tenu de financer un système d’ensemble sur la base d’un pourcentage minimum de la masse salariale brute : 1 % en 1974. Le Centre ouvre ses nouveaux locaux trouvés par Viannay au mois de septembre-octobre 1969 et l’accord sur la formation permanente est voté début 1970. Les entreprises sont obligées de verser des sommes pour la formation permanente. Si elles n’utilisent pas la formation, elles doivent s’acquitter d’un montant équivalent en impôt. Les accords et la législation sur la formation permanente règlent un problème abordé précédemment qui était le manque de moyens (temps et argent) puisque la création d’un droit à la formation permet de rembourser l’entreprise pour le temps utilisé par son personnel pour se former.

122Ce système favorise la mise en place de multiples fonds de formation qui constituent une manne importante pour les écoles. Un réseau d’organismes collecteurs s’est progressivement mis en place avec des dénominations différentes selon leur vocation : les fonds d’assurance formation (FAF) créés à partir d’une nouvelle la loi de 1974 étaient plutôt axés sur les plans de formation, les organismes paritaires agréés du congé individuel de formation (Opacif) gérant le congé de formation et les organismes mutualisateurs agréés (OMA) gérant les fonds de l’alternance. La mise en place des FAF correspond à un paritarisme de gestion. L’objectif de ces FAF était de constituer des fonds de branches régionaux. Pour pouvoir lancer une opération, il fallait une autorisation des fonds d’entreprise. Dans le journalisme, le FAF du Monde était l’un des premiers fonds, tout comme le FAFJOUP, (fonds d’assurance formation des journalistes parisiens). De son côté, le CFPJ mettra en place son propre OMA.

  • 103  Entretien avec Denis Huguenin, ancien responsable du CPJ pour l’antenne de Lille, le 31 octobre 20 (...)
  • 104  Cette liste réunit avec Ouest-France, tous les journaux de presse quotidienne régionale qui déclar (...)

123Sur demande de l’entreprise, ces fonds de formation passaient par les écoles ou les prestataires de formation continue pour dispenser des formations spécifiques. « Les entreprises s’adressaient directement à nous, se souvient Denis Huguenin de l’ESJ. La presse ne mettait pas tout l’argent dans le FAF. À Ouest-France, la moitié des journalistes étaient originaires de l’école. Ils ont réalisé des pressions pour que leur journal puisse travailler avec les écoles103. » De manière similaire, des journaux comme l’Est Républicain, la Nouvelle République, l’Alsace, mais aussi Paris Normandie, Le Courrier Picard et les Dernières nouvelles d’Alsace104 ont fortement recours à des diplômés d’écoles dans leur personnel ce qui a pu orienter une partie des fonds de ces journaux vers des prestations de formation dispensées par le CPJ.

124Les sommes assez vite dégagées par le biais des activités de formation permanente vont provoquer des tensions entre les deux écoles partenaires. Tout d’abord, le développement du CPJ se traduit par une politique de croissance des embauches à Paris qui a pour effet d’augmenter les frais généraux et de réduire les marges réalisées sur la vente de formation. Le Centre compte dès ses premières années une vingtaine de permanents alors que toutes formations comprises, l’école de journalisme de Lille ne compte que quatre permanents.

125Par ailleurs, certains dirigeants de l’école de Lille jugent inégalitaire la division du travail mise en place au sein du centre de perfectionnement.

« Le CPJ, on l’a fondé en commun ESJ et CFJ en 1969. Ça a été fait à 50-50. […] Très vite Philippe Viannay, directeur du CFJ finit par considérer que c’est à 50-50 mais que grosso modo c’est quand même lui qui dirige tout seul. Parce qu’il est à Paris, parce que les sessions ont lieu à Paris. Il y a eu beaucoup de réunions avec Robert Hennart et Jules Clauwaert où on essayait de se répartir les choses etc. À la fin des fins Viannay a proposé un deal assez “intéressant”. C’était : “vous, vous faites le CPJ dans le Nord-Pas de Calais et nous on le fait dans le reste de la France”. On a trouvé que c’était légèrement déséquilibré »

  • 105  Entretien avec Loic Hervouët, directeur de l’ESJ de Lille et ancien intervenant au CFPJ, le 23 déc (...)

126explique Loic Hervouët, un ancien directeur de l’école de Lille, à l’époque impliqué dans l’association des anciens de l’école de Lille105. Hervé Bourges qui remplace Robert Hennart à la tête de l’école de Lille va faire éclater l’entente relative qui s’était instaurée au sein du CPJ, du fait de sa mésentente avec Philippe Viannay. Le CFJ réussit alors un coup de force en rapatriant au sein du seul CFPJ les activités du CPJ.

  • 106  Archives de la CPNEJ, compte rendu de la réunion du 19 février 1980.

127Le CFPJ se caractérise par un développement économique important et une progression constante de son activité et du nombre de stagiaires de 1969 à 1984, année de départ de Louis Guery son directeur. La première année de son existence, 850 journalistes et cadres de presse suivent des cours. Les sessions durent en général trois jours ou une semaine et parfois jusqu’à deux semaines. Les domaines d’intervention se multiplient puisqu’après la presse périodique, le Centre dispense des cours de reportage, de techniques de photojournalisme puis de radio et télévision. Deux stages servent de « locomotives » selon Louis Guery permettant au CPJ d’asseoir sa réputation : celui sur « les nouvelles techniques graphiques » et « le secrétariat de rédaction- maquettes ». Louis Guéry renforce également les liens avec la « profession » qui se constitue à partir de 1976 dans une commission paritaire nationale de l’emploi des journalistes. La prétention à organiser et réguler la politique des stages dispensés en formation continue conduit Louis Guéry à venir présenter sa formation. La CPNEJ se dit prête à agréer les stages du CPJ en échange des programmes des stages et de leurs dates106.

128Le CFPJ n’en renforce pas moins la mise en normes d’une pédagogie du journalisme débutée par d’autres depuis la fin du xixe siècle et qui prend forme au travers de divers manuels rédigés sur la transmission des techniques du journalisme. Ce développement est soutenu par le développement d’une collection de manuels et d’ouvrages édités par le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, ce qui lui permet de revendiquer un magistère sur cette codification des savoirs pratiques.

  • 107  Philippe Fritsch parle de l’éducation des adultes comme d’une « illusoire nouveauté ». « Sans dout (...)

129Les formateurs du nouveau CFPJ constituent un compagnonnage au travers de la « formation des formateurs ». La transmission se fait par co-formation. Pour devenir formateur, il faut d’abord animer un stage avec un autre avant de se lancer seul, puis de former à son tour d’autres formateurs. Ces derniers développent une pédagogie dont ils s’estiment dépositaires et qu’ils vont s’efforcer de codifier au travers de manuels. Loïc Hervouët, qui assure l’encadrement de multiples stages sur l’écriture est l’inventeur de la session « écrire pour être lu ». Il travaille principalement sur les questions d’écriture de presse et sur celles de contenu (de type : comment mettre à jour ses connaissances sur les évolutions de la loi ? Sur les évolutions de la justice ou de l’économie ?). Il rédige ainsi un manuel intitulé Écrire pour son lecteur qui met en normes quelques principes d’écriture journalistique qu’il publie au sein de l’ESJ en 1979 mais qui est largement le fruit de son expérience de formateur en techniques rédactionnelles lors de son passage au sein du CFPJ. Yves Agnès estime avoir, pour sa part, contribué à « inventer une pédagogie » en formation permanente en créant plusieurs stages au CPJ, notamment sur « l’enquête », en renouvelant le stage sur « la locale », en créant le stage sur « le compte-rendu ». Ce dernier voit le CFPJ comme « pionnier », et comme vecteur de transmission de la culture professionnelle. Lorsqu’il est directeur du CFPJ de 1993 à 1996, Yves Agnès demande aux responsables des éditions de réaliser un manuel de journalisme107.

130L’ensemble des formateurs permanents interrogés se rejoignent sur la croyance dans un autre mythe de la formation permanente qui est celui de la compensation des inégalités sociales. Leur trajectoire est sans doute érigée par eux en modèle à suivre. Yves Agnès avant de redevenir formateur avait par exemple opéré un « retour à la terre ». Certains de ces formateurs sont originaires des classes populaires à l’image de Louis Guéry ou de Loïc Hervouët. Christian de Montlibert a depuis souligné toutes les limites de cette « démocratisation » par la formation professionnelle en montrant comment la sélection sociale des promus cadres se faisait tout au long d’un processus qui conduisait à l’élimination progressive des plus handicapés culturellement et professionnellement (de Montlibert, 1991, p. 62 sq.). Mais, à l’époque, et même encore aujourd’hui, ce mythe d’une « école de la seconde chance » (Delors, 1974, p. 547) est largement partagé dans les discours de ces formateurs.

131À partir de 1983, Louis Guery met en place un débouché éditorial pour la pédagogie dispensée au sein du CFPJ en créant « Presse et formation : les éditions du CFPJ ». Les éditions existaient au sein du Centre depuis 1956 mais Louis Guery contribue à les relancer.

  • 108  Entretien avec Louis Guery, ancien directeur du CFPJ, le 11 février 2004.

« Ca fait longtemps que je proposais à la direction, Viannay et Richet, de créer des éditions et il y avait un refus. “Non, non, non, c’est pas la peine, tout le monde après va nous copier.” Je répondais que les autres n’ont pas attendu pour nous copier. Bourges avec ses écoles africaines il avait purement et simplement sans changer de virgule repris le manuel de Bernard Voyenne. L’édition, ça permettait aussi de se faire connaître et la qualité de ce qu’on proposait. Les éditions ont bien marché108. »

132L’intérêt d’une édition est aussi économique car les ouvrages sont ensuite vendus aux stagiaires se rendant en formation permanente. Une centaine de titres sont ainsi publiés se répartissant entre quatre collections, « connaissance des médias », « manuel » (qui constitue une collection plus haut de gamme), « les guides du CFPJ » (qui comptait 52 titres en 1996 et qui constitue la collection la plus demandée avec notamment le Guide de la rédaction de Michel Voirol vendu à plus de 30000 exemplaires). Enfin en 1995, une quatrième collection est créée qui met en face-à-face sur un problème à l’ordre du jour, un spécialiste dudit problème et un journaliste appelé à en traiter habituellement.

133Le lancement de cette édition traduit une volonté de la part des formateurs du CFPJ de construire un ensemble de théorisations du métier et de les regrouper autour d’une marque spécifique. Cette codification des savoir-faire pratiques participe d’une entreprise de légitimation du Centre auprès de la profession et de tous les stagiaires. Elle réaffirme un monopole sur l’élaboration et la diffusion d’une pédagogie du métier. On retrouve dans ce projet à la fois une scolarisation du journalisme et le renforcement d’une « professionnalisation » de la pédagogie.

*

134À ce stade, nous avons démontré que le CFJ parvient à imposer à la Libération un modèle spécifique de « professionnalisation » du journalisme, basé sur la scolarisation du journalisme et le placement des diplômés sur le marché du travail, qui se construit contre ou à côté d’un modèle de la « formation sur le tas ». Le CFJ, puis le CPJ, en tant qu’institutions, contribuent à une autonomisation de l’espace de formation puisque ces formateurs codifient un savoir-faire spécifique du métier et régulent l’espace de formation.

135L’introduction d’une concurrence universitaire ne remet pas en cause la conception d’une nécessaire scolarisation du journalisme au contraire ce qui a pour effet d’ancrer davantage cette idée dans l’espace de formation et notamment auprès des écoles privées (CFJ et ESJ de Lille). Cet enracinement s’effectue au prix d’une hybridation des modèles de formation. Par hybdridation, nous entendons le fait que d’un côté, les formations universitaires au journalisme acceptent de techniciser une partie de leurs enseignements pour gagner du crédit auprès de la profession. De l’autre côté, les écoles privées ont davantage recours à l’aide d’universitaires pour résister à la nouvelle concurrence.

  • 109  La prise du pouvoir au sein de journaux comme Paris Normandie par Robert Hersant correspond à la f (...)

136Or, si elle renforce l’idée qu’une scolarisation au journalisme est possible mais aussi souhaitable, l’irruption des universités et des IUT dans le monde de la formation dans les années 1960 vient souligner la fragilité d’un modèle principalement construit dans les années 1950-1960 à partir des ressources de ses fondateurs. Le milieu des années 1970 constitue en effet un moment où s’opère un relais au sein de la presse avec la fin d’une génération de patrons résistants et leur remplacement par les héritiers ou de nouveaux entrepreneurs issus d’autres réseaux109. La force du Centre qui tenait à la fusion opérée entre cette institution et un état spécifique de la profession et du marché du travail va donc devenir sa fragilité. La transformation qui commence à s’amorcer dans le milieu des années 1970 va avoir pour effet de provoquer l’entrée en crise du modèle de formation.

Notes

1  Pour un exemple de ce tournant « professionnalisant » de l’Université dans le domaine de la gestion dans les années 1960 et 1970 (Chessel et Pavis, 2001).

2  Dans les faits, il s’agit d’une « interdiscipline » mais ici, nous utiliserons par souci de commodité le terme de « discipline » pour la désigner.

3  Une section est alors créée au Comité consultatif des universités (CCU).

4  L’Éducation nationale autorise la délivrance d’un premier diplôme de communication à l’Université à partir du début des années 1960. Les universités de Strasbourg et de Bordeaux sont alors choisies pour héberger les formations qui délivrent un certificat de technologie de l’information englobé au sein d’une licence libre. Les étudiants peuvent alors choisir de s’inscrire en lettres ou en langues car ce parcours journalistique s’effectue au sein d’un cursus universitaire rattaché aux Lettres.

5  L’Unesco avait un support dans les pays membres. Il existe une commission française divisée en sous-commissions avec une section archéologie, une section publication et une commission médias.

6  Jacques Léauté était professeur de droit mais il avait été membre entre 1944-1945 du cabinet de Pierre Henri Teitgen lorsque Pierre Henri Teitgen était ministre de l’Information. Il est ensuite membre du conseil d’administration de l’agence Havas (1952-1956) et membre du conseil supérieur des entreprises de presse (1944-1953).

7  L’URSS était membre de l’Unesco.

8  Paul Collovald, un proche de Robert Schuman.

9  Entretien avec Bernard Voyenne, ancien responsable de la formation du CFJ, le 26 novembre 2003.

10  Entretien de Robert Escarpit avec Anne-Marie Laulan et Jean Devèze, SFSIC, 1994.

11  Plus généralement, c’est en 1967 que sont créés les premiers cycles, en 1969 les deuxièmes cycles et en 1975 les troisièmes cycles. La reconnaissance des formations précède ici la reconnaissance d’une discipline au Comité consultatif des Universités (CCU).

12  Il a déjà à l’époque rédigé de multiples travaux dont un Que-sais-je ? sur la Sociologie de la littérature publié en 1956.

13  Robert Escarpit lui dédie d’ailleurs son livre Les IUT du temps gagné qui constitue une présentation générale à caractère promotionnel de l’offre de formation des IUT (Escarpit, 1974).

14  Quatre ou cinq journalistes étaient formés par an dans le cadre de cette licence.

15  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de la formation à l’IUT de Bordeaux, le 17 novembre 2003.

16  Ce point n’est pas si étonnant car les IUT s’inscrivent dans une logique d’interdisciplinarité dès leur origine en 1967 (Boure, 2007, p. 263).

17  Si le tournant « professionnalisant » de l’Université s’actualise dans le mouvement de mai 68, il résulte de la mise sur agenda progressive de la réforme de l’enseignement supérieur. Depuis les années 1950, de nombreux acteurs œuvrent en faveur d’un rapprochement entre les industries et les universités : on y retrouve des scientifiques soucieux de renforcer leurs positions dans l’enseignement supérieur, des patrons inquiets par une possible pénurie de cadres et des hommes politiques souvent proches des milieux modernisateurs (Drouard, 1978, p. 89-131).

18  À la différence de ces nouvelles formations universitaires, les écoles privées se caractérisent par une certaine distance à l’État. Elles s’inscrivent d’abord dans les années 1960 comme des établissements de l’enseignement technique. L’ESJ de Lille ne voit son diplôme reconnu par l’État qu’en 1983 et le CFJ doit attendre 1985.

19  Décret no 61-421 relatif au Comité consultatif des universités, Journal Officiel de la République française, 11 mai 1969.

20  Pour la liste complète des bénéficiaires d’un tel statut (Minot, 1991., p. 63-64).

21  Entretien avec Alphonse Irjud, ancien directeur du CUEJ, le 28 mai 2005.

22  Entretien avec Alphonse Irjud, ancien directeur du CUEJ, le 28 mai 2005.

23  La compétence sociale est déterminée en fonction du niveau de capital hérité et de capital économique et politique actuellement détenu.

24  Cette compétence est proprement culturelle et dépend du capital d’autorité scientifique de notoriété intellectuelle.

25  Jean-Baptiste Duroselle, l’historien, avait nourri le projet de faire de ce site un campus à l’américaine avant de renoncer face aux oppositions.

26  Entretien avec Alphonse Irjud, ancien directeur du CUEJ, le 28 mai 2005.

27  On retrouve d’ailleurs ce type de tensions autour de la taxe d’apprentissage au sein des IUT où les divers départements ne parviennent pas forcément à conserver en propre les montants qu’ils récoltent auprès des entreprises.

28  Initié entre 1958 et 1964 dans le cadre des conférences « Humanisme et entreprise », puis institutionnalisé en 1964, le CELSA est une création qui réunit patrons et syndicalistes pour l’enseignement des relations sociales, les relations publiques, le marketing-publicité. Deux conférences d’une heure trente se tiennent par semaine entre 1960 et 1966 avant que la structure n’obtienne progressivement une reconnaissance. Sur la genèse du CELSA (Boltanski, 1982, p. 190-191). Pour un récit des acteurs (Association des anciens élèves de lettres et sciences humaines des universités de Paris, 1984 ; Bleustein Blanchet, 1970, p. 354-372).

29  Association des anciens élèves de lettres et de sciences humaines des universités de Paris, 1984, p. 282.

30  Joseph Fontanet est ministre de l’Éducation nationale de Pierre Messmer du 5 juillet 1972 au 27 mai 1974.

31  Entretien avec René Finkelstein, membre du conseil d’administration de la section journalisme du CELSA, le 21 octobre 2003.

32  Charles-Pierre Guillebeau lance cette revue en 1961 qui rassemble au début les conférences données à la Sorbonne.

33  Entretien avec René Finkelstein, membre du conseil d’administration de la section journalisme du CELSA et ancien président de la Commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels, le 21 octobre 2003.

34  René Finkelstein travaille dans le renseignement pour les Anglais, puis dans les FFL (Forces françaises libres). Il est blessé par les Allemands de deux balles dans le Massif central.

35  René Finkelstein avait dû interrompre sa préparation à l’agrégation au moment de la guerre. Il réalise cependant une thèse de philosophie avec Gaston Bachelard sur la notion de finalité chez Malebranche.

36  Ici, nous n’évoquons pas le cas de l’Institut français de presse car son orientation reste dans un premier temps davantage spécialisée sur la recherche en journalisme. Il faut attendre 1970 pour que l’IFP développe une licence et une maîtrise, puis un DEA en 1974, et 1976 pour la création d’un DESS de journalisme. En revanche, cette dernière création s’inscrit tout à fait dans le processus décrit plus haut d’une revendication d’une formation supérieure.

37  Entretien avec Robert Hennart, ancien directeur de l’ESJ de Lille, le 18 mars 2004.

38  Il décrit la « juridiction » comme une tentative de contrôle légitime (Abbott, 2003, p. 30).

39  Entretien avec Charles-Pierre Guillebeau, ancien directeur du CELSA, le 18 juin 2003.

40  On retrouve cette même tension à l’école de journalisme de Lille contre les « académiques » portée par des tenants de gauche de « la professionnalisation avant la professionnalisation » (Agulhon et al., 2013, p. 37 sq).

41  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de formation presse écrite à l’IUT de Bordeaux, le 17 novembre 2003.

42  Entretien avec Édith Rémond, ancienne directrice de l’IUT de Bordeaux, le 20 janvier 2005.

43  Entretien téléphonique avec Mario Corrado, professeur à l’IUT de Tours, le 19 septembre 2007. Mario Corrado enseigne la sémiologie au sein de l’IUT depuis le milieu des années 1980

44  Jusqu’en 2000, s’enchaînent les directions de Paul Wagret, Pierre Leroux, André Berkovicius qui obtient la reconnaissance par la profession en 1981, puis de Paul Bachelard.

45  Qui a travaillé dans le journal communiste La Marseillaise et qui sera ensuite l’auteur de polars.

46  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de formation presse écrite à l’IUT de Bordeaux, le 17 novembre 2003.

47  Archives de la CPNEJ, Compte-rendu du 22 mai 1980.

48  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de la formation presse écrite à l’IUT de Bordeaux, le 17 novembre 2003.

49  En 1994, la SFSIC publie deux entretiens avec Robert Escarpit et également Jean Meyriat deux « fondateurs » des SIC. Voir également, Anne-Marie Laulan, 2007, p. 95-100.

50  Le cas de ce dernier est moins abordé dans les récits de la fondation de l’information-communication. Stéphane Olivesi avance l’hypothèse que ses orientations « conservatrices » ont pu jouer contre son inscription dans les pères fondateurs (Olivesi, 2007).

51  Voir aussi les contributions de Jacques Walter et Béatrice Fleury, Roger Bautier, Pierre Delcambre, Bernard Miège et Stéphane Olivesi dans Questions de communication, no 12, 2007, p. 133-227. La revue Hermès opère également un retour sur certaines opérations de fondation de la discipline dans son no 48 de 2007 coordonnée par Anne-Marie Laulan et Jacques Perriault.

52  On peut penser (sans souci d’exhaustivité) aux divers travaux de Victor Karady, de Laurent Muchielli, Jean-Michel Berthelot, Philippe Steiner.

53  Entretien de Jean Meyriat avec Jean Devèze, SFSIC, 1994.

54  Yves Gingras rappelle d’ailleurs l’importance d’un contrôle des postes pour l’institutionnalisation d’une discipline (Gingras, 1991, p. 41-54).

55  Entretien de Robert Escarpit avec Anne-Marie Laulan et Jean Devèze, SFSIC, 1994.

56  Entretien avec Jean Meyriat, avec Jean Devèze, SFSIC, 1994.

57  La 52e section qui devient ensuite la 71e section.

58  Bernard Miège rappelle que pendant longtemps, les efforts de Guillebeau « se sont limités à peser (fortement) dans les nominations et les promotions. Minoritaires dans la section, ses membres se retrouvaient à sa direction à chaque retour d’un gouvernement de droite (par le jeu des nominations) ».

59  Entretien avec Alphonse Irjud, ancien directeur du CUEJ.

60  Pour une présentation enthousiaste faisant d’Abraham Moles, un précurseur d’un des Prix nobel d’économie, (Devèze, 2004).

61  Son savoir-faire politique et ses activités dans le cadre de l’Université débouche sur une carrière politique puisque Robert Escarpit finira par se faire élire conseiller régional d’Aquitaine de 1986 à 1992 et conseiller municipal.

62  Ibid.,

63  Entretien de Robert Escarpit avec Jean Devèze et Anne-Marie Laulan, SFSIC, 1994.

64  Entretien de Jean Meyriat avec Jean Devèze, SFSIC, 1994.

65  Sur le Cecmas, Edgar Morin, « La communication, hier et aujourd’hui », entretien avec Dominique Wolton, février 2004, Hermès, no 38, 2004, p. 77-83.

66  Ancien normalien, agrégé de lettres classique, il enseigne depuis 1946 à l’IEP et était depuis 1962 directeur d’études à la section pratique de l’École des hautes études de Fernand Braudel et également impliqué au sein de Sciences Po Paris en tant que directeur du centre de documentation (de 1948 à 1990) et est également co directeur puis directeur du Centre de recherche et d’études internationales (CERI), premier laboratoire de la fondation (1952-1956) (Couzinet, 2001).

67  Il ne faut pas pour autant penser que ce caractère « fourre-tout » soit forcément signe de critique car comme le rappelle Erik Neveu et Rémy Rieffel dans leur article, « les innovations conceptuelles et les avancées théoriques, sont souvent le fruit d’individus situés aux franges de plusieurs disciplines […]. La marginalité créatrice semble être une composante fondamentale des percées de la recherche en sciences sociales ».

68  Entretien avec Jean Meyriat par Jean Devèze, SFSIC, 1994.

69  Hommage à Robert Escarpit, Communications et organisations, Actes de la journée d’hommage du 23 octobre 1998, ISIC, Bordeaux 3, p. 28.

70  Entretien avec Jean Meyriat par Jean Devèze, SFSIC, 1994.

71  La première mode remonte aux années 1920-1930 (Heilbron, Gingras, 2015, p. 4-9).

72  L’interdisciplinarité : problèmes d’enseignement et de recherche dans les universités, Paris, OCDE, 1972.

73  Cette reconnaissance qui se marque par l’arrêté du 11 février 1967 doit à la revendication de psychologues Les fondateurs s’élargissent ensuite aux philosophes de l’éducation (Marmoz, 1988 ; Poupeau, 2003).

74  Voir Pascal Froissart et Hélène Cardy, « Les enseignants-chercheurs en sciences de l’information et de la communication. Portrait statistique », [http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/06/22/73/PDF/sic_00000361.pdf].

75  Son diplôme n’est officiellement reconnu par l’État que plus tardivement en 1985.

76  Entretien avec Bernard Voyenne, ancien professeur du CFJ, le 26 novembre 2003.

77  Entretien avec Robert Hennart, ancien directeur de l’ESJ de Lille, le 18 mars 2004.

78  Entretien avec Charles-Pierre Guillebeau, ancien directeur du CELSA, le 18 juin 2003.

79  René Finkelstein dit des syndicats en général et du SNJ en particulier qu’ils avaient « colonisé la rue du Louvre ». Entretien avec René Finkelstein, membre du conseil d’administration de la section journalisme du CELSA, le 21 octobre 2003.

80  Entretien avec Charles-Pierre Guillebeau, ancien directeur du CELSA, le 18 juin 2003.

81  Lieu du studio de l’OCORA.

82  Entretien avec Bernard Voyenne, ancien professeur du CFJ, le 26 novembre 2003.

83  Entretien avec Pierre Christin, ancien responsable de la formation presse écrite à l’IUT de Bordeaux, le 17 novembre 2003.

84  Mais aussi dans d’autres organisations comme la CFDT ou Vie nouvelle.

85  Jusqu’à la création par l’IEP de Paris de sa propre école en 2004.

86  Philippe Viannay fait ici référence à la concurrence que se livraient l’école de Lille et le CFJ dans l’accueil des étudiants africains dans les années 1960. Le CFJ délivrait un brevet justifiant de deux ans d’études alors que l’ESJ de Lille était parvenue à obtenir une licence officielle valant pour trois ans d’études.

87  Il est secrétaire général auprès du Premier ministre pour la formation professionnelle et la promotion sociale.

88  Louis Guery, « A l’écoute des besoins de la profession », in Association des anciens du CFJ, 1996, p. 116.

89  Cité par Louis Guery, ibid., p. 119.

90  Entretien avec Louis Guery, ancien directeur du CFPJ, le 11 février 2004.

91  Entretien avec Louis Guery, ancien directeur du CFPJ, le 11 février 2004.

92  Guy Brucy rappelle que pour composer son « équipe », Jacques Chaban Delmas s’appuie sur deux fonctionnaires Paul Delouvrier et François Bloch-Lainé, tous deux amis de Philippe Viannay. Voir Brucy, 2004.

93  Christian de Montlibert ne leur accorde qu’une page de son ouvrage (de Montlibert, 1991, p. 175).

94  Louis Guery, « A l’écoute des besoins de la profession », in Association des anciens du CFJ, 1996, p. 121.

95  Jacques Marchand et Pierre Canquelain, Rapport de la commission de formation professionnelle et permanente, non daté. Voir également Le Journaliste, no 126, 25e année, juin-juillet 1970, p. 3-13.

96  Le Journaliste, no 126, 25e année, juin-juillet 1970, p. 5.

97  Ralph Messac cité dans Le Journaliste, ibid., p. 5.

98  Rapport moral de Ralph Messac, Le Journaliste, ibid., p. 5.

99  Entretien avec Louis Guery, ancien directeur du CFPJ, le 11 février 2004.

100  Jules Clauwaert originaire du bassin minier avait participé à diverses actions de résistance dans le Nord.

101  Entretien avec Robert Hennart, ancien directeur de l’ESJ de Lille, le 18 mars 2004.

102  Entretien avec Denis Huguenin, ancien responsable du CPJ pour l’antenne de Lille, le 31 octobre 2006.

103  Entretien avec Denis Huguenin, ancien responsable du CPJ pour l’antenne de Lille, le 31 octobre 2006.

104  Cette liste réunit avec Ouest-France, tous les journaux de presse quotidienne régionale qui déclarent avoir recruté plus de 20 % de leur personnel dans les écoles pouvant aller jusqu’à 80 % de leur personnel dans le cas des Dernières nouvelles d’Alsace où le recrutement s’opère en grande partie à l’école de Strasbourg. Données tirées de Jacques Marchand et Pierre Canquelain, Rapport de la commission de formation professionnelle et permanente, doc. cité, p. 6.

105  Entretien avec Loic Hervouët, directeur de l’ESJ de Lille et ancien intervenant au CFPJ, le 23 décembre 2004.

106  Archives de la CPNEJ, compte rendu de la réunion du 19 février 1980.

107  Philippe Fritsch parle de l’éducation des adultes comme d’une « illusoire nouveauté ». « Sans doute les formateurs d’adulte aimant à se présenter comme des “pionniers” ou des “défricheurs” favorisent-ils la construction de cette image d’eux-mêmes en disant de la formation qu’elle existe depuis peu » (Fristch, 1971, p. 25).

108  Entretien avec Louis Guery, ancien directeur du CFPJ, le 11 février 2004.

109  La prise du pouvoir au sein de journaux comme Paris Normandie par Robert Hersant correspond à la fin d’une période historique entamée à la Libération.

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