1Balbutiantes jusqu’au début des années 1990, les analyses sociologiques à base statistique des inégalités scolaires dans le système éducatif français prenant en considération le statut et les origines migratoires des élèves ont beaucoup progressé depuis en raison d’un repérage plus systématique dans les enquêtes statistiques nationales du lieu et de la nationalité des parents et des élèves à la naissance. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons dans ce texte une synthèse des principaux résultats relatifs aux écarts scolaires associés aux origines migratoires que l’on peut tirer des multiples travaux qui s’appuient sur des données statistiques.

Introduction

2Depuis les années 1960, on sait l’école française inégalitaire socialement, mais on la croyait immunisée contre les inégalités d’origine ethnique or les résultats du Programme international pour le suivi des acquis des élèves de 2012 (PISA 2012) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montrent que le système français est aussi ethniquement inégal. Ce chapitre propose une revue synthétique des principales connaissances empiriques à base statistique des inégalités scolaires corrélées aux origines migratoires des élèves dans le système scolaire français, de la maternelle à la fin de l’enseignement secondaire. Sans nulle prétention à l’exhaustivité, il s’agit d’extraire les résultats les plus saillants des travaux les plus récents qui s’intéressent aux inégalités scolaires des enfants d’immigrés et qui s’appuient sur des données statistiques. On débutera par une présentation des évolutions des écarts de compétence entre enfants d’immigrés (deuxième génération) et enfants de natifs1 entre 2003 et 2012. Puis, on balaiera les grandes étapes de la scolarité : école maternelle, enseignement primaire, collège, lycée, accès aux diplômes et au baccalauréat. Pour finir, on abordera la question de la ségrégation ethnique à l’école, et plus directement celle des inégalités scolaires imputables à des traitements discriminatoires.

Des inégalités ethniques de compétence ?

3Le PISA 2012 révèle que, dans le système français, une part importante des élèves issus de l’immigration (première et deuxième générations confondues) dispose d’un niveau de compétence en mathématiques très faible en comparaison de leurs homologues des autres pays (OCDE 2014a, 2014b et 2014c). Dans les analyses statistiques, le contrôle du milieu socio-économique des élèves ne fait pas disparaître les écarts entre le score des élèves issus de l’immigration (première et deuxième générations confondues) et les autochtones. De plus, cette disparité en défaveur des premiers se révèle nettement plus élevée dans le système français que dans la moyenne des pays enquêtés : 37 points de différence dans l’échelle des performances en mathématiques en France (soit l’équivalent de plus d’une année d’études) contre 21 points en moyenne. L’inégalité de performance reste élevée lorsque l’on ne prend en considération que les élèves issus de l’immigration de deuxième génération (nés en France). En mathématiques, 39 % d’entre eux ont un score inférieur au niveau 2, c’est-à-dire faible, voire très faible, contre 34 % en moyenne pour l’OCDE ; et 34 % seulement atteignent le niveau 3 (niveaux moyen ou supérieur) contre 45 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Ces élèves de deuxième génération affichent en 2012 un score brut en mathématiques de 60 points inférieur à celui des élèves autochtones, alors que l’écart est de 30 points en moyenne dans l’OCDE. Corrigé en fonction du statut socioéconomique, l’écart entre autochtones et élèves de deuxième génération diminue, mais il reste significatif (24 points).

4Entre 2003 et 2012, le niveau de performance de ces élèves en mathématiques s’est même dégradé, avec une perte de 24 points en une décennie, alors que globalement il s’est maintenu dans les pays de l’OCDE. En comparaison des élèves autochtones et en contrôlant le statut socio-économique, l’analyse de l’évolution des performances en mathématiques entre 2003 et 2012 montre que l’écart se creuse significativement entre les deux groupes (22 points).

5Comment expliquer cette faiblesse des résultats des élèves de la seconde génération et leur dégradation dans le temps ? Pas uniquement par l’évolution de la composition sociale et culturelle des populations, montre une étude détaillée de Georges Felouzis, Barbara Fouquet-Chauprade et Samuel Charmillot (2015). En confrontant l’hypothèse (classique) d’une discontinuité culturelle entre la socialisation familiale et les normes scolaires, à celle d’une discrimination systémique, les auteurs notent tout d’abord que le creusement des écarts entre 2003 et 2012 ne peut pas être imputé à la dégradation de la situation socio-économique des élèves de deuxième génération, car les caractéristiques des familles (niveau d’étude, statut social) sont plutôt plus favorables en 2012 qu’en 2003. Le calcul de régression multiple révèle un renforcement dans le temps de l’action négative de facteurs tels que l’usage en famille d’une langue autre que celle de l’école, le retard scolaire, le statut socioéconomique, mais également l’appartenance à la seconde génération de l’immigration ou à la première et aussi l’interdépendance entre l’indice de statut socioéconomique et l’appartenance à la seconde génération. Ce dernier résultat fait dire aux auteurs que l’effet du statut socioéconomique n’est pas de même intensité selon le statut migratoire et que la baisse de performance en mathématiques dans la période est plus saillante pour les élèves de deuxième génération que pour les natifs, quel que soit le statut socioéconomique des familles.

6Parmi les élèves de deuxième génération, l’augmentation des compétences en fonction de l’élévation du statut socioéconomique se révèle, en effet, plus lente que chez les natifs, avec comme conséquences une réduction des inégalités sociales de compétence entre 2003 et 2013 parmi les élèves issus de l’immigration, mais en contrepartie un accroissement de leur écart aux natifs, et ce notamment pour les élèves des statuts socioéconomiques les plus élevés. Par ailleurs, on note un net affaiblissement de l’impact du capital scolaire des parents parmi les élèves de deuxième génération, en particulier lorsque les parents ont un niveau d’étude supérieur, ce qui ne se vérifie pas pour les élèves natifs.

7Ces évolutions des inégalités vont plutôt à l’encontre d’une explication par la distance culturelle ou sociale à l’école des élèves de deuxième génération. Les auteurs avancent pour les expliquer l’hypothèse d’une discrimination systémique liée à la ségrégation à la fois sociale et ethnique du système éducatif, et corollairement liée à la dégradation des conditions de scolarisation dans les établissements ségrégués. Autrement dit, ils nous incitent à lire dans ces résultats du PISA 2012 l’effet sur les performances des élèves de l’inégale qualité du service d’éducation selon la localisation des établissements.

Les grandes étapes de la scolarité

À l’école maternelle : des inégalités de compétence très précoces

8En sociologie de l’éducation, relativement peu de travaux traitent des parcours et résultats des élèves dans les écoles maternelles. La principale source statistique française qui permet d’analyser les écarts de compétence entre élèves de maternelle selon les caractéristiques socio-démographiques des familles est le panel d’élèves du premier degré entrés en cours préparatoire (CP) en 19972. Les élèves retenus dans le panel ont été soumis à plusieurs épreuves lors de leur entrée au CP pour évaluer les compétences qu’ils avaient acquises à l’issue de l’enseignement préélémentaire, dans divers domaines (logique, numérique, verbal, en calcul, etc.).

9Toutes les analyses pratiquées sur ces données révèlent de fortes inégalités cognitives entre les élèves en lien avec leurs caractéristiques sociodémographiques, en particulier avec leur origine sociale et le niveau d’étude des parents : plus le niveau social ou scolaire des parents est élevé et plus les compétences au début du CP sont élevées. Sous le rapport des inégalités sociales d’éducation, l’école maternelle apparaît donc peu égalitaire. De même, on relève dès ce niveau une différence entre les résultats des filles et ceux des garçons, au bénéfice des filles ; une différence selon les territoires : les élèves scolarisés dans les établissements des zones d’éducation prioritaire réussissent moins bien que les autres ; et une différence selon le statut national ou migratoire : les élèves de nationalité étrangère ou les enfants d’immigrés réussissent moins bien que les nationaux et ceux sans ascendance migratoire.

10La conclusion paraît sans appel : l’école maternelle qui dispense les premiers apprentissages aux élèves échoue à égaliser les chances scolaires selon le sexe, la classe sociale, la zone de résidence et l’origine nationale ou migratoire.

11Notons toutefois que d’autres facteurs, tel que l’âge de la prime scolarisation, modulent cette inégalité. Plus la préscolarisation est précoce et longue, meilleurs sont les résultats. L’effet bénéfique est valable pour les élèves des deux sexes de tous les milieux, mais il est particulièrement marqué pour les élèves socialement défavorisés, pour ceux scolarisés en ZEP et aussi pour les étrangers ou les enfants d’immigrés. Pour autant, la prise en compte de la durée plus ou moins longue de l’enseignement préélémentaire n’élimine pas complètement les disparités cognitives entre les élèves de nationalité française et ceux de nationalité étrangère ou entre les élèves issus de l’immigration et ceux qui n’en sont pas issus.

12Un autre facteur susceptible d’influer sur le niveau de compétences à l’entrée du CP est le trimestre de naissance de l’enfant. Les données du panel 97 nous apprennent que les élèves nés au premier trimestre de l’année civile ont de bien meilleurs résultats que ceux nés au dernier trimestre. Lors de la petite enfance, des différences de quelques mois à la naissance représentent un temps de vie relativement long et comptent pour beaucoup dans le développement cognitif et les capacités d’acquisition des élèves. Les analyses statistiques prenant en compte simultanément une multiplicité de facteurs explicatifs (origine sociale, niveau d’étude des parents, ZEP, sexe, nationalité, durée de la préscolarisation, trimestre de naissance, origine migratoire) attestent qu’il y a bien une influence propre du trimestre de naissance sur les résultats aux épreuves au début du CP. Pour autant, les inégalités sociales dans les résultats ne disparaissent pas.

13Le fait d’être étranger plutôt que de nationalité française est aussi un facteur défavorable lors des évaluations à l’entrée du CP, toutes choses égales d’ailleurs (Jeantheau, Murat, 1998). De même, le fait d’avoir des parents immigrés ou en couple mixte (Caille et Rosenwald, 2006). Une scolarisation précoce ne fait pas disparaître ces disparités. Or, le même panel 97 montre que les compétences acquises à l’école maternelle ont une incidence sur la vitesse du parcours dans le primaire, puis sur l’accès à la 6^e (Caille et Rosenwald, 2006).

14On observe également une différenciation des cursus de maternelle entre enfants d’immigrés en prenant en compte la diversité des origines migratoires. C’est ce que montre Mathieu Ichou (2013) en comparant les résultats d’élèves aux caractéristiques sociodémographiques semblables mais d’origines migratoires diverses. Les enfants de parents originaires de Turquie ou des pays d’Afrique sahélienne se trouvent particulièrement désavantagés, alors que les résultats des élèves des autres origines migratoires se différencient très peu de ceux des natifs, voire sont sensiblement supérieurs (enfants d’Asie du Sud-Est, des DOM-TOM, du Maroc). Les données du panel 97 révèlent ainsi la forte hétérogénéité scolaire interne à la catégorie des enfants d’immigrés. Il est nécessaire de prendre en compte dans les recherches futures la composition et l’histoire migratoire des groupes de population. Une limite : le panel ne permet pas d’analyser séparément les scolarités des filles et des garçons en détaillant les origines migratoires, ce qui empêche de mettre au jour d’éventuels effets sexués dans ces inégalités.

À l’école primaire : tendance au nivellement des écarts initiaux

15Pour l’enseignement primaire, les données du panel 97 renseignent sur les redoublements avant le CE2 et avant l’entrée en 6^e ainsi que sur les résultats aux évaluations en 6^e qui permettent de faire le bilan de la progression des connaissances ou compétences depuis le CP.

16Un enseignement majeur du panel est que le niveau des compétences mesuré à l’entrée en CP est déterminant pour le parcours des élèves. Un élève qui faisait partie du décile le plus faible à l’entrée du CP n’a qu’une chance sur deux d’arriver à l’heure en CE2 et seulement une chance sur trois en 6^e (Caille et Rosenwald, 2006).

17Malgré cela, l’enseignement primaire aurait plutôt tendance à réduire les inégalités cognitives qu’à les accroître, comme on peut le vérifier dans le parcours des enfants d’immigrés. Ces derniers, on l’a vu, sont plutôt moins compétents que les enfants de natifs en fin de maternelle. Or, ils ont une meilleure probabilité d’arriver à l’heure en 6^e lorsque les influences respectives du sexe, du rang dans la fratrie, de l’année ou du trimestre de naissance, de la catégorie sociale de la famille, du niveau de diplôme des parents, du type (recomposée, etc.) et de la taille de la famille, de l’activité de la mère, de l’âge d’entrée en maternelle sont prises en considération et contrôlées (Caille et Rosenwald, 2006).

18L’inclusion du niveau de compétence à l’entrée du CP dans les modèles d’analyse statistique accentue ce résultat en augmentant les chances d’un parcours sans redoublement pour les enfants d’immigrés, toutes choses étant égales par ailleurs. Il en va de même pour le niveau des compétences en français et en mathématiques acquises à la fin du cycle et mesurées en 6^e. Ainsi, toutes choses étant égales par ailleurs, les enfants ayant deux parents immigrés obtiennent de moins bons résultats aux tests de connaissance de 6^e que ceux dont les parents ne sont pas immigrés. En revanche, la prise en compte des connaissances initiales en CP, très inégales, aboutit au fait que les enfants avec deux parents immigrés obtiennent, toutes choses étant égales par ailleurs, une meilleure progression que les élèves sans origine immigrée.

19Autre résultat remarquable : les inégalités entre les élèves en fin de primaire sont réduites en comparaison des écarts en début du 1^er cycle. À l’évaluation de 6^e le niveau de connaissance se nivelle entre les élèves de milieu populaire issus de l’immigration et ceux de même milieu social mais sans origine immigrée. Cela signifie que, dans le primaire, les enfants d’immigrés des classes populaires ont progressé plus vite que leurs homologues non issus de l’immigration et qu’ils rattrapent une partie de leur retard initial – mais une partie seulement. Il en résulte que les chances des enfants d’immigrés d’entrer au collège à l’heure ou en avance sont les mêmes que celles des autres élèves, en cas d’environnement social et familial comparable – ce qui est rarement le cas (Caille et Rosenwald, 2006).

20Les conclusions sont plus nuancées lorsqu’on prend en compte le détail des origines migratoires. Encore une fois, ce sont les enfants d’immigrés turcs et des pays de l’Afrique sahélienne qui rencontrent le plus de difficultés à l’entrée du CP, y compris lorsque l’on prend en compte les caractéristiques sociales et démographiques. En 6^e, ces deux groupes affichent encore des résultats moindres que les natifs alors que les enfants d’immigrés d’Asie du Sud-Est seraient plutôt en situation de « sur-réussite », avec des performances meilleures que celles auxquelles on s’attendrait au regard de leurs caractéristiques sociales et familiales. Pour autant, ceteris paribus, les inégalités cognitives de départ entre tous les groupes d’origine immigrée et les natifs se sont effectivement réduites au point de disparaître à l’exception des descendants d’immigrés turcs et d’Afrique sahélienne. Ce rattrapage serait dû pour l’essentiel aux progrès notables des enfants d’immigrés en français, plus rapides que les natifs (Ichou, 2013).

Un collège qui divise

21Toujours en se fiant aux analyses du panel 97, la scolarisation dans le premier cycle du secondaire est plutôt marquée par le maintien voire l’accentuation des disparités scolaires. Le collège français divise les élèves et il les divise en fonction des origines sociales ainsi que des origines migratoires

22Pour ce niveau, le panel des élèves entrés en classe de 6^e en 1995 fut le premier à mentionner l’information sur le lieu de naissance et la nationalité des parents, permettant de repérer les origines migratoires des élèves de manière relativement détaillée3. Sur ce panel, Yaël Brinbaum et Annick Kieffer (2009) ont examiné les inégalités de résultats aux épreuves de contrôle continu de français et de mathématiques du Brevet des collèges4. Leurs conclusions sont les suivantes : les Français d’origine obtiennent en moyenne des notes supérieures à celles des élèves d’origine immigrée dans les deux matières. Mais la prise en compte de la position sociale et du niveau d’éducation des parents nivelle les écarts en français comme en mathématiques entre les enfants de natifs et les enfants d’immigrés maghrébins ou portugais, – non pour les élèves qui sont d’une autre origine migratoire. Les écarts liés aux origines migratoires dans les deux matières disparaissent également lorsque l’âge d’entrée comme le niveau de compétence en 6^e sont contrôlés dans les schémas d’analyse, ces deux propriétés scolaires se révélant particulièrement prédictives du niveau atteint en 3^e. La scolarisation au collège ne parvient pas à neutraliser les écarts initiaux de connaissance entre élèves. Elle aurait plutôt tendance à les accentuer.

23Ce constat est précisé par Mathieu Ichou (Ichou, 2013 et 2018) dans son étude des résultats scolaires du CP à la 3^e, qui se fonde sur le panel des élèves entrés en 1997 à l’école primaire (Panel 97). À partir de cette autre source de données, il note qu’à la fin du collège, les différences brutes entre les résultats scolaires des élèves selon les différentes origines migratoires sont très saillantes. De plus, même en tenant compte de toute une gamme de caractéristiques sociales et familiales susceptibles d’influer sur les évaluations, des écarts associés aux origines migratoires persistent. Cela pourrait signifier qu’au collège les inégalités scolaires selon les origines migratoires ne redoublent pas complètement les inégalités sociales. Ainsi, en comparaison des enfants de natifs, les enfants d’immigrés turcs et sahéliens sont désavantagés scolairement, toutes choses étant égales par ailleurs, mais aussi dans une moindre mesure ceux d’Europe du Sud ou d’originaires de l’Outremer (mais pas ceux originaires des pays du Maghreb), alors que les enfants de migrants indochinois ou chinois de leur côté réussissent mieux que tous les autres. Ainsi, au terme du collège, des inégalités de connaissance divisent les élèves y compris selon leurs origines migratoires, et les écarts de performance associés aux origines ne sont pas tous solubles dans les différences de milieu social ou de niveau d’éducation des parents5.

24Pour expliquer cette persistance des différences scolaires liées aux origines migratoires, Ichou (2013) a testé l’hypothèse de l’influence de la ségrégation ethno-scolaire. Les enfants d’immigrés fréquentent plus souvent des classes à forte concentration d’enfants d’immigrés. Or, la scolarisation dans les classes ségréguées a un effet négatif sur les performances des élèves : le contrôle de ce type d’environnement scolaire a pour effet de réduire très sensiblement les écarts de performances comparativement aux enfants de natifs. L’influence du contexte de scolarisation est particulièrement visible chez les enfants d’immigrés turcs, d‘Afrique sahélienne, d’Afrique centrale ou du Golfe de Guinée, de Tunisie et d’Algérie. Autrement dit, les écarts scolaires entre les origines migratoires autres que ceux liés aux différences de milieu social ou familial semblent résulter au moins en partie de la ségrégation interne du système scolaire, qui se concrétise par l’existence de classes où les enfants d’immigrés sont en surnombre et dans lesquelles ils sont scolarisés plus fréquemment que les enfants de natifs6.

Le lycée ou l’institution des divisions

25Le passage du collège au lycée constitue une étape charnière dans la construction des inégalités scolaires horizontales. La plupart des travaux qui s’intéressent aux parcours et aux trajectoires scolaires en fonction de l’origine migratoire analysent de près ce moment clé et observent que les descendants d’immigrés de certaines origines migratoires sont orientés plus souvent dans l’enseignement professionnel. Le panel 95 montre de fait que, pour les enfants d’immigrés nord-africains, portugais ou d’une autre origine, les chances brutes d‘accéder à une seconde indifférenciée ont été nettement plus faibles que pour les enfants des natifs, et plus élevées pour l’enseignement professionnel. Les enquêtes Génération du Céreq7 révèlent également que, parmi les enfants d’ouvriers immigrés nord-africains, l’orientation vers l’enseignement secondaire professionnel est nettement majoritaire chez les garçons et même chez les filles (Frickey, 2010).

26Cependant, d’après les analyses du panel 95, les disparités d’origine s’effacent et même s’inversent dès lors que les analyses prennent en considération les différences de milieu social ou éducatif des familles et les performances scolaires antérieures. Des analyses plus récentes de l’orientation vers l’enseignement professionnel basées sur un panel d’élèves entrés en 6^e en 2007 aboutissent aux mêmes conclusions pour les enfants d’immigrés portugais et maghrébins, même en distinguant les filles et les garçons (Brinbaum, Farges et Tenret, 2016). Les concentrations observées ne seraient pas discriminatoires, conclusion qui va partiellement à l’encontre de la représentation qu’en ont les descendants d’immigrés lorsque la question leur est posée.

L’accès aux diplômes du secondaire et au baccalauréat

27Les enfants d’immigrés ont une tendance plus forte à quitter le système éducatif avant la fin du second cycle du secondaire, avec 18,5 % de non-diplômés chez les enfants de Maghrébins et 15,5 % parmi les enfants de Portugais non-diplômés, contre 7,5 % seulement chez les enfants de natifs (Panel 95). Les garçons sont les plus concernés par ces ruptures précoces de scolarité, en particulier les fils d’immigrés maghrébins, dont 28 % quittent l’école sans aucun diplôme et 35 % avec au mieux le brevet des collèges (Brinbaum et Kieffer, 2009). Les résultats plus détaillés tirés des données de l’enquête Trajectoires et Origines (TeO) pour la classe d’âge des 18-35 ans en 2008 aboutissent à des conclusions identiques (Brinbaum, Moguérou et Primon, 2015). Le sur-échec des garçons descendants d’immigrés algériens, turcs, marocains ou tunisiens ou bien des pays du Golfe de Guinée et d’Afrique centrale ne peut pas s’expliquer seulement par des caractéristiques sociodémographiques ou un passé scolaire différents. L’hypothèse d’un traitement scolaire négatif des garçons de certaines origines migratoires ne peut donc nullement être négligée.

28En revanche, l’accès au baccalauréat est beaucoup moins discriminant au regard des origines migratoires, mais très inégal selon le genre. L’étude du panel des élèves entrés en 6^e en 1995 (Brinbaum et Kieffer, 2009) montre que 64 % des fils et 74 % des filles de natifs avaient obtenu un baccalauréat (toutes séries confondues). En comparaison, le taux de bacheliers s’élevait à 43 % pour les fils et à 69 % pour les filles d’immigrés sud-européens ; et à 43 % pour les fils et 74 % pour les filles d’immigrés nord-africains. Certes, les écarts entre garçons et filles s’observent dans tous les groupes, mais la différence de sexe est nettement plus marquée dans les populations issues de l’immigration, et en particulier chez les enfants d’immigrés maghrébins. Dans la population masculine, l’inégalité d’accès au baccalauréat selon les origines migratoires se révèle aussi plus saillante que dans la population féminine : l’écart est de 20 points entre fils de natifs et fils d’immigrés portugais ou nord-africains. À l’analyse, les inégalités d’accès au baccalauréat (les deux sexes confondus) apparaissent principalement imputables aux différences de caractéristiques sociales et familiales entre les enfants d’immigrés et les enfants de natifs.

29Une analyse plus détaillée des origines migratoires à partir des mêmes données (Ichou, 2015) laisse voir que, si les différences brutes sont fortes entre origines migratoires, les différences nettes sont très réduites une fois contrôlées les propriétés sociales et éducatives différentielles des familles, et seuls les enfants d’immigrés sahéliens ont des chances moindres d’obtenir un baccalauréat. Ces résultats sont en partie retrouvés dans les données de l’enquête TeO. On note par exemple que, lorsque l’analyse prend en considération l’environnement social et familial, les chances d’obtenir un baccalauréat deviennent significativement supérieures aux filles de natifs pour les femmes des immigrations marocaines et tunisiennes, sahéliennes, portugaises, mais aussi du sud-est asiatique, des pays d’Afrique centrale et guinéenne. Seules les descendantes d’immigrés turcs obtiennent moins souvent le baccalauréat que les filles de natifs à situations sociales et familiales comparables, y compris en prenant en considération le passé scolaire. Autrement dit, dans la plupart des cas, les descendantes d’immigrés affichent des chances d’obtenir le baccalauréat supérieures aux filles de la population majoritaire sous l’hypothèse d’environnements sociaux et familiaux similaires (ce qu’ils ne sont pas dans la réalité).

30Précisons que ces analyses ne distinguent pas les filières et les séries du baccalauréat. Or les statistiques descriptives montrent que les enfants d’immigrés obtiennent plus souvent un baccalauréat des séries professionnelles ou technologiques qu’un baccalauréat général, en particulier lorsqu’il s’agit des enfants d’immigrés maghrébins (Brinbaum et Kieffer, 2009).

Ségrégation et discrimination

Les effets négatifs de la ségrégation ethnique à l’école

31Pour expliquer les écarts scolaires entre élèves de différentes origines migratoires et les natifs, la littérature évoque souvent les différences de contextes et de conditions de scolarisation des populations, différences de contextes imputables à la ségrégation socio-ethnique du système éducatif français, reflet de celle de l’espace urbain. Il existe aujourd’hui plusieurs études à base statistique sur la ségrégation sociale de l’école française aux échelons local, intermédiaire ou national. Ces travaux constatent avec régularité la segmentation sociale des établissements scolaires, phénomène renforcé par les pratiques ségrégatives des familles (en particulier les plus favorisées), qui mettent en concurrence les écoles du secteur public et du secteur privé ou qui cherchent à contourner la carte scolaire. Ces comportements profitent aux catégories sociales les mieux dotées scolairement ou matériellement. Au sein même des établissements s’opère également une ségrégation sociale des publics par l’intermédiaire de la diversification des voies de scolarisation (dispositifs pour publics spécifiques, spécialités, séries, options d’enseignement, etc.) qui organise un système de différenciation sociale interne à l’espace scolaire. À cela s’ajoutent les disparités dans la composition sociale des classes à l’intérieur des établissements. Lorsque les données le permettent, les analyses attestent de l’influence négative de la ségrégation sociale sur les résultats scolaires des élèves (Broccolichi et Trancart, 2010) ; mais les observations plus monographiques insistent également sur le différentiel de socialisation et d’expérience scolaires des élèves (Dubet et Martucelli, 1996 ; Fouquet-Chauprade, 2011). Les résultats scolaires des établissements ségrégués sont en moyenne moins bons en raison des origines socialement défavorisées des élèves, mais il existe également un effet intrinsèque de la ségrégation : à l’école primaire, par exemple, les progressions des élèves de milieu défavorisé sont meilleures dans les classes où dominent les élèves d’une origine favorisée plutôt que dans les classes où dominent les origines sociales défavorisées (Duru-Bellat et al., 2004 ; Davezies, 2005).

32Malheureusement, il n’existe pas à ce jour d’enquêtes statistiques sur la ségrégation ethnique dans l’école française, alors que les monographies d’établissements et enquêtes locales enregistrent depuis longtemps (Payet, 1992 et 1995, Barthon, 1997) des différences marquées dans la composition des publics des établissements au regard des origines migratoires, ou encore une composition différentielle des filières et des classes à l’intérieur des établissements, avec de fortes concentrations d’élèves d’origine immigrée dans certaines spécialités ou certaines classes.

33Sur ces questions, l’enquête à base statistique qui a été menée il y a plus de dix ans dans l’académie de Bordeaux par Georges Felouzis, Françoise Liot et Joëlle Perroton (2005) sur les modalités de la ségrégation scolaire à caractère ethnique et ses effets sur les résultats des collégiens constitue une étude de référence. Elle confirme, par exemple, la surreprésentation d’enfants d’immigrés dans certains établissements avec dans plusieurs cas près de la moitié des élèves ayant une ascendance étrangère8 contre 10 % en moyenne sur l’académie. Les collèges les plus ségrégués ethniquement sont ceux où se concentrent les élèves d’origine nord-africaine, sahélienne ou turque. Ces mêmes établissements scolarisent également deux fois plus d’élèves socialement défavorisés que la moyenne. La ségrégation ethnique redouble la ségrégation sociale des établissements.

34Des études régionales montrent en outre que la ségrégation ethnique est plus accentuée dans le champ scolaire que dans l’espace urbain, en raison notamment des stratégies d’évitement et de placement scolaire adoptées par les familles. Ces pratiques ségrégatives, qui visent à contourner la carte scolaire, pénalisent plus particulièrement certains établissements qui finissent par se ghettoïser. Ainsi, pour la banlieue parisienne, en s’appuyant sur les données administratives de scolarité, donc en se limitant à la seule prise en compte de la part des enfants de nationalité étrangère dans les établissements (une catégorie qui ne recouvre pas, loin s’en faut, l’ensemble des enfants d’immigrés), on a pu montrer que la ségrégation ethnique est bien plus forte dans les collèges que dans l’espace résidentiel, en particulier lorsque l’analyse se centre sur les répartitions spatiales et scolaires des catégories populaires (Oberti, Préteceille et Rivière, 2012).

35Nous avons vu ci-avant qu’à partir des données du panel 95, Mathieu Ichou (2013) parvenait à la conclusion qu’une partie des écarts de résultats scolaires entre les origines migratoires était due à la ségrégation scolaire et plus précisément à la concentration des élèves de certaines origines migratoires dans les classes ségréguées des collèges.

La présomption de discrimination se renforce

36Ces résultats donnent forme au soupçon de discrimination scolaire à l’encontre des descendants^.es d’immigrés de certaines origines. Cela fait plusieurs années que les recherches de terrain et les enquêtes qualitatives attestent de l’existence d’une ethnicisation (et d’une racisation) de la vie scolaire (Lorcerie, 2003). Ce phénomène ne concernerait pas que les relations entre élèves mais aussi les relations aux personnels éducatifs, les formes de catégorisation et de jugement de l’institution ou encore des pratiques institutionnelles à caractère discriminatoire le plus souvent non conscientes ou voilées, comme par exemple la fabrication des classes (Payet, 1995) ou la mise en stage (Dhume, 2014).

37Pour autant, dans les années 1990, les analyses statistiques à l’échelle nationale des performances et des parcours scolaires (Vallet et Caille, 1996) ne concluaient pas à un traitement différentiel ou inégal par l’école des groupes d’origine immigrée les plus désavantagés dans les orientations après la 3^e ou dans l’accès aux diplômes, tout en soulignant les disparités de résultats selon les origines migratoires aux différents tests ou épreuves scolaires. En effet, les écarts scolaires apparaissaient généralement surdéterminés par l’appartenance aux catégories sociales défavorisées et faiblement dotées en capital scolaire. En ce sens, on pouvait conclure que le système éducatif français contribuait activement à la reproduction des inégalités entre les classes sociales, mais ne discriminait pas selon le statut migratoire des élèves.

38Le repérage plus systématique des origines migratoires dans les enquêtes statistiques et le développement des analyses sur ces questions aboutissent à présent à nuancer le propos. Ainsi, la ségrégation socio-ethnique interne aux établissements – dont nous venons de rappeler les effets sur les progressions des élèves – constitue en elle-même une forme de discrimination (De Rudder, 1995). A leur tour, les approches sexuées ou genrées des scolarités, qui se justifient d’autant plus que les carrières masculines et féminines à l’école sont très différenciées (toutes origines migratoires confondues), apportent également un nouvel éclairage sur les trajectoires scolaires en lien avec les origines migratoires et révèlent des résultats souvent très contrastés pour une origine migratoire donnée, au point que l’hypothèse relative à l’existence d’un biais ethno-genré dans le traitement des publics scolaires a été formulée (Lorcerie, 2011). De plus, comme nous l’avons rappelé, plusieurs études montrent qu’à certaines étapes du parcours scolaire, les écarts entre les enfants de natifs et ceux de certains groupes d’origine ne s’effacent pas, malgré le contrôle dans les analyses du niveau social ou éducatif des familles ou d’autres propriétés : niveau de connaissance en fin de maternelle (Panel 97) ; compétences à l’âge de 15 ans (PISA, 2012), performances au collège (Panel 95) ; sorties sans diplôme du second cycle du secondaire (TeO).

39Toutefois, les inégalités ne sont pas toujours au désavantage de toutes les catégories d’enfants ou de descendants d’immigrés. Ainsi, dans les analyses, les descendants des immigrés asiatiques du sud-est sont-ils souvent en situation de « sur-réussite » toutes choses étant égales par ailleurs (Ichou, 2013), et il en est de même pour la population féminine de plusieurs origines migratoires (Brinbaum, Moguérou et Primon, 2011, 2015). Enfin, le creusement des écarts de compétences selon le statut migratoire des élèves âgés de 15 ans au cours de la première décennie du xxi^e siècle n’est, visiblement, pas toujours réductible non plus aux seules différences d’origines sociales ou encore aux différences culturelles dans le rapport à l’école. (Felouzis, Fouquet-Chauprade et Charmillot, 2015). Ces résultats ajoutés aux multiples observations de terrain ou aux études localisées renforcent la présomption de discriminations à l’encontre des descendants d’immigrés nord-africains, africains subsahariens ou encore turcs à certaines étapes du parcours scolaire. La plupart des travaux y voient la conséquence indirecte et souvent diffuse et non consciente de pratiques aux effets inégalitaires.

Sentiment de discrimination et expériences de discriminations s’expriment

40Cette présomption, qui prend forme dans les recherches spécialisées mais commence aussi à s’exprimer dans le monde éducatif, s’accorde avec l’expérience scolaire des descendants d’immigrés – les garçons en premier lieu – dont une part non négligeable estime avoir été lésée par l’école en raison de leurs origines, nationalité ou couleur. Là encore les monographies, les enquêtes par entretiens, le recueil de récits d’expérience ont souvent devancé les grandes enquêtes statistiques en révélant le sentiment d’injustice et de discrimination qu’exprimaient certains élèves d’origine immigrée (Dubet et Martucelli, 1996 ; Zirotti, 1997a, 1997b et 2003).

41L’enquête Trajectoires et Origines (TeO) a introduit dans le formulaire d’enquête des questions sur des discriminations situationnelles dans différents domaines de la vie sociale. Elle a révélé à son tour l’ampleur des expériences scolaires négatives parmi les descendants des immigrations nord-africaines, subsahariennes ou encore turques, et une mise en cause indirecte par les jeunes hommes du caractère arbitraire et discriminatoire des mécanismes de l’orientation scolaire entre le collège et le lycée notamment (Brinbaum et Primon, 2013, 2016). Dans ces groupes, près d’un quart (et parfois plus) des hommes âgés de 18-35 ans considèrent avoir fait l’objet d’une inégalité de traitement dans l’orientation. À l’occasion de l’exploitation de questions du panel 95 se rapportant aux injustices scolaires lors de l’orientation après les classes de 3^e et de seconde, ce sentiment d’arbitraire avait déjà été remarqué chez les élèves d’origine maghrébine (Caille, 2005). À partir des données de TeO, les calculs de régression logistique qui permettent de sélectionner les facteurs sociologiques susceptibles d’influer sur la déclaration d’une expérience négative en matière d’orientation scolaire ne révèlent qu’une faible influence du capital scolaire des parents et aucune influence significative de l’origine sociale. En revanche, comme on pouvait s’y attendre, les éléments du passé scolaire tels que les redoublements, l’absence de diplôme ou la scolarisation dans les formations technico-professionnelles ont un impact significatif et intensifient le ressenti d’un traitement défavorable. Les conditions et contextes de scolarisation aussi augmentent ce sentiment, en particulier l’inscription dans des établissements scolaires perçus comme étant ségrégués ou encore le passage par l’enseignement privé (vraisemblablement dans le cas présent pour permettre la reprise ou la poursuite d’une scolarité perturbée).

42Mais le résultat majeur de ces analyses réside dans la force persistante du lien entre la déclaration d’un traitement défavorable au moment de l’orientation (ou dans d’autres domaines de la vie scolaire) et les origines migratoires nord-africaines, subsahariennes ou turques, en particulier dans la population masculine. Cette association révèle que le sentiment d’injustice ou d’arbitraire ne s’explique pas uniquement en raison du passé scolaire ou du contexte de scolarisation des élèves, mais aussi et peut-être d’abord en raison de la spécificité des origines migratoires. Outre la partialité de certaines pratiques de l’institution ou des acteurs éducatifs, ces déclarations mettent en avant le sentiment d’avoir été l’objet d’inégalités de traitement au nom précisément d’une appartenance ou d’une ascendance spécifique.

43Deux éléments confortent cette interprétation : d’une part, dans les analyses de régression, en plus de l’origine migratoire, un trait symbolisant une marque d’altérité ou d’extranéité, à savoir l’usage d’une langue étrangère en famille, est également fortement lié au sentiment d’arbitraire dans les décisions d’orientation (ou dans l’application des règles disciplinaires, dans la notation, etc.) ; d’autre part, lorsque la question des causes des traitements défavorables leur est posée, les personnes des groupes mentionnent en priorité leur origine, leur nationalité ou leur couleur de peau. En d’autres termes, les traitements mis en question sont vécus comme discriminatoires et prennent un caractère ethniste ou raciste aux yeux des intéressés. Cette lecture de l’expérience scolaire, tout en restant minoritaire, est répandue parmi les descendants des immigrations nord-africaines, africaines subsahariennes et turques, même une fois devenus adultes et actifs. Ces résultats rejoignent les analyses de nombreuses recherches plus qualitatives dont on peut trouver une présentation détaillée dans l’ouvrage de Dhume, Dukic, Chauvel et Perrot (2011).

44Il reste que l’interprétation sociologique diverge sur le sens à donner à l’expression de ces expériences discriminatoires. Faut-il y voir le report d’une expérience effective ou l’application par les élèves ou anciens élèves d’une grille de lecture à caractère ethniste ou racialiste aux situations d’inégalités scolaires qu’ils vivent ? De fait, les groupes qui soulignent l’arbitraire des traitements scolaires sont ceux qui rencontrent le plus de difficultés scolaires et qui, par ailleurs, appartiennent aux groupes de population les plus confrontés aux discriminations et au racisme hors de l’école. De plus, la scolarisation dans les établissements et classes ségrégués est propre à renforcer cette vision. Il s’ensuit que l’expérience et la conscience, tant individuelle que collective, de la stigmatisation, de la ségrégation et du racisme sont susceptibles de conditionner l’interprétation des situations scolaires et de favoriser une lecture des situations scolaires difficiles, des échecs, des orientations contrariées au prisme de l’ethnicité. Les travaux à base statistique tendent cependant à montrer que l’expérience subjective des discriminations scolaires ne se résume peut-être pas seulement à un fait de représentation et que le système français opère par lui-même une différenciation contrastée des origines migratoires.

Annexes