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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Un concept encombrant ?La production sociale du crétinisme politiqueQuelques suggestions d’actionPour conclure : et si le crétinisme était fonctionnel ? Notes de bas de page Auteur

    La politique désenchantée ?

    Ce livre est recensé par

    • Maud Navarre, Lectures, mis en ligne le 27 juin 2019. URL : https://journals.openedition.org/lectures/35543 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.35543
    • Sonny Perseil, Questions de communication, mis en ligne le 9 décembre 2021. URL : https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/26240 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.26240
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    Table des matières

    5. Peut-on faire du « crétinisme » politique un objet de science ?

    Erik Neveu

    p. 87-102

    Texte intégral Un concept encombrant ?Les mots pour le dire« Ne pas rire ni se lamenter, mais comprendre »La production sociale du crétinisme politiqueLes trois rétrécissements du personnel politiqueLe biais présentisteUne nouvelle configuration d’interdépendancesQuelques suggestions d’actionPour conclure : et si le crétinisme était fonctionnel ? Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    « La politique consiste en un effort tenace et énergique pour tarauder des planches de bois dur. »
    Max Weber, Le métier et la vocation d’homme politique, 1918.

    1Faut-il redire le discrédit qui, dans un grand nombre des démocraties européennes, frappe le personnel politique et les résultats de son action ? Pour résumer les attendus d’une défiance croissante qu’illustre actuellement le mouvement des « Gilets jaunes », on y placera le sentiment qu’« ils/elles » se recrutent de plus en plus dans un microcosme coupé de l’expérience des citoyens ordinaires, que les questions qui polarisent leur attention ne sont pas toujours celles qui préoccupent les citoyens et que sur des enjeux qui affectent la vie de beaucoup et des plus démunis (chômage, santé publique) la capacité de réponse des élus apparaît comme faible. C’est encore la vertu civique d’une partie du personnel politique, la réalité de différences palpables entre champions de la « droite » et de la « gauche » qui suscitent le doute et produisent des formes plurielles de désenchantement politique.

    2Si ces questions sont perceptibles dans la littérature politiste, il n’est pas sûr qu’elles reçoivent des réponses satisfaisantes, tant en intensité des recherches qu’en adéquation des questionnements. Les hiérarchies et modes scientifiques ont produit un désinvestissement de la sociologie du personnel politique à laquelle avaient pu contribuer naguère tant des travaux du CEVIPOF (Cayrol, Parodi et Ysmal, 1973) qu’une série de textes, devenus classiques, de Daniel Gaxie (1980, 1986) ou Michel Offerlé (2017). C’est par ricochet la question de la recomposition permanente des savoirs, compétences et ressources cognitives pertinentes au sein du champ qui a souffert d’un défaut d’actualisation1. Simultanément la place obsessionnelle prise par le pseudo-concept de populisme fonctionne comme un chloroforme des entreprises critiques. Questionner l’efficacité, la probité du personnel politique, tout simplement la possible clôture des univers symboliques et cognitifs dans lesquels il agit serait l’indicateur d’une complaisance glauque pour les entreprises antidémocratiques. Peut-on rappeler qu’en des temps où l’hydre « populiste » ne donnait pas encore la justification d’un « vade retro » aux vérités déplaisantes de l’enquête sociologique, Daniel Gaxie fut publiquement dénoncé pour son manque d’amour de la démocratie (Baudoin, 1994 ; Gaxie, 1994) ? Il n’est d’ailleurs pas toujours besoin de formes offensives ou larvées d’intimidation pour que notre discipline répugne à poser certaines questions. Une vision durcie de la neutralité axiologique y contribue, comme les formes diverses de notre capture par l’objet. Comme le soulignait Bernard Lacroix (1985) nos intérêts sur l’objet politique produisent des impensables qui complètent les indicibles.

    3Le propos de cette contribution sera donc de considérer que le discrédit actuel du politique, les expressions multiples d’un désenchantement qu’exprime aussi une « antipolitique » (Mastropaolo, 2000), que les rapports profanes à la politique ne peuvent être exclusivement ramenés au tryptique incompétence, indifférence et allodoxia. Cette défiance inclut des formes raisonnables - qui ont de « bonnes raisons »- de rejet de ce que sont et font une large part des professionnels de la politique. Le fonctionnement actuel du champ politique manifeste une série de décalages de plus en plus criants avec des attentes du demos, une impuissance à répondre à des problèmes publics nettement constitués. Cette contribution tentera de l’éclairer en trois moments. Le premier justifiera le recours au périlleux concept de « crétinisme ». Un second développement suggérera les logiques sociales de production des pratiques et visions ainsi labellisées. Un dernier volet esquissera les quelques suggestions pratiques que peut inspirer cette approche.

    Un concept encombrant ?

    4Le dessein, en apparence banal, de questionner une possible part de bien fondé dans les animosités ordinaires contre la politique telle qu’elle fonctionne et emprisonne pour partie ses protagonistes, suscite une série de difficultés et de possibles objections.

    Les mots pour le dire

    5Une première difficulté tient à la quête d’une notion capable de condenser la question de recherche de ce texte. Dans une première version, orale, de cette contribution j’avais utilisé « médiocrité » comme un nom de code pour désigner des pathologies de l’exercice des fonctions politiques par les professionnels. Le mot est évidement difficile à séparer de sa charge normative, et l’impuissance d’Alain Deneault (2015) à produire plus que d’élégantes formules pamphlétaires dans un ouvrage qui voulait théoriser la « médiocratie » contemporaine suggère peut-être une impasse de ce vocable. Le repli sur la notion de crétinisme peut solliciter l’alibi d’un usage par Marx (1969 ; Marx et Engels, 1975), encore que ce dernier ne se soit guère encombré de définition. Son « crétinisme parlementaire » suggère l’affaissement de la réflexivité critique de la part d’élus (socialistes) devenus prisonniers des seules logiques de l’institution parlementaire. Ils voient dans le parlement le foyer du social et la force motrice de l’histoire, dans ses jeux et intrigues la voie unique du changement et de l’action. Ils en viennent à penser que le talent des « capacités » et les opinions des plus instruits sont plus importants que les mandats reçus de leurs électeurs populaires. Ils perdent finalement la conscience de la complexité du monde social, victimes d’un processus « qui relègue dans un monde imaginaire ceux qui en sont atteints et leur enlève toute intelligence, tout souvenir et toute compréhension pour le rude monde extérieur » (1969, p. 92). À défaut d’une définition précise, le propos suggère trois éléments dont l’utilité contemporaine n’est pas douteuse : un double effet déréalisant né d’une part de l’éloignement à l’égard des mandants et de l’autre d’un déficit de perception sensible de nombreuses réalités sociales, une capture par les jeux et logiques d’un dispositif institutionnel. Reste que crétinisme porte, comme médiocrité, une forte connotation normative. Elle est doublement encombrante si elle suggère une indigence intellectuelle par essence du personnel politique, parce qu’elle risque aussi d’être perçue en des temps de dénonciation, roublarde ou démagogique, du « système » et des « politiciens » comme caution savante à ce qui peut relever de la stigmatisation. Ces ambiguités doivent être relevées et écartées par une définition nette. Le lexique utilisé ici ne se veut pas jugement sur la valeur morale ou intellectuelle des élus. Il constitue une prise théorique pour questionner un processus conjoint d’atrophie des liens au monde ordinaire et d’asthénie partielle de capacités réflexives. Sous la forme d’une intuition sociologique, Marx pose une question qui est celle de ce texte, qu’on retrouve aussi sous une forme sociologiquement armée dans l’article de Daniel Gaxie sur « Les structures politiques des institutions » (1992) : comment des dispositifs institutionnels conditionnent-ils un espace d’initiatives possibles (ou non) et d’enjeux pensables, comment façonnent-ils et sélectionnent-ils des habitus et des qualités, en en disqualifiant d’autres ?

    6Neutraliser la connotation polémique de « crétinisme » suppose - c’est une seconde difficulté - qu’on essaie de se donner quelques repères pour l’associer à des indicateurs objectivables. On en esquissera ici trois. Ils visent à mesurer le degré de capture par l’univers institutionnel et cognitif du seul champ politique.

    7Un premier item pourrait renvoyer à l’idée d’une hiérarchie des investissements et compétences. Que connaît ou ignore superbement tel élu ou candidat de dossiers sur lesquels il aura juridiction ? Quel est le budget temps dédié à la gestion des enjeux ésotériques propres au champ, au travail - nécessaire et légitime - vers les médias et à la gestion d’une popularité, et celui relatif au traitement des problèmes publics, à la constitution en problèmes publics d’enjeux encore diffus mais qui sensibilisent une partie de la population ? Une autre manière de bâtir cet indicateur serait de recenser ce que sont les savoir-faire et ressources dont dispose un élu si on compare ceux - pas forcément identiques - qui permettent la conquête et la préservation du pouvoir, de l’autre son exercice sous forme de politiques publiques, de réponse à des enjeux sociaux. Si elles peuvent receler une part de cynisme, les formules du Président Queuille (« Il n’est pas de problème, si compliqué soit-il, que le temps et l’absence de solution ne finissent par résoudre. »« La politique n’est pas l’art de régler les problèmes mais de faire taire ceux qui les posent ») illustrent cette première dimension.

    8Un second indicateur qu’on pourrait associer à la notion de leadership renverrait à la capacité à progresser vers des réponses à des problèmes publics qui ont été institués avec une certaine continuité et priorité comme essentiels. Les enjeux sont alors aussi d’inventivité, de compétences à identifier des solutions, à construire des coalitions pour les porter… toutes choses qu’analyse la littérature sur les policy entrepreneurs (Giuliani, 1998). Les problèmes publics ne sont certes pas des données naturelles et on peut faire valoir qu’en constituer certains (xénophobie, islamophobie) est un talent discutable. Ce n’est cependant pas sacrifier à un réalisme naïf que de suggérer que les générations futures pourront demander ce qui est advenu depuis quelques décennies de dossiers comme le réchauffement climatique, la financiarisation de l’économie, la lutte contre le chômage de masse ou la croissance des inégalités sociales.

    9On pourrait enfin objectiver la capture anesthésiante par le jeu politique de comportements prébendiers de maximisation des profits personnels dans l’exercice de ses fonctions ou de leur rentabilisation… dont l’actualité montre (affaires Bygmalion, Thevenoud ou Cahuzac, « Penelopegate », reconversions de Barroso et d’autres commissaires européens, de Blair et Schroeder) qu’il n’est pas possible de les contenir à la pieuse fiction de rares « brebis galeuses ».

    « Ne pas rire ni se lamenter, mais comprendre »

    10La mention de ces indicateurs suggère une troisième équivoque. Le propos de ce texte n’est ni de dénoncer, ni de condamner. S’ils prennent des formes spécifiques dans le champ politique, les problèmes soulevés ici s’observent dans d’autres espaces sociaux. Le monde économique, présumé rationnel et efficient parce que soumis aux verdicts du marché est aussi le lieu de décisions absurdes (Morel, 2014) qui pourraient inspirer une théorie du crétinisme managérial. Quant au monde universitaire qui se veut la vitrine des intelligences, n’y a-t-on pas vu triompher l’idée qu’accoupler des institutions malades pour former des entités de taille Gosplanesque (les COMUE), était la garantie d’un triomphe annoncé dans le classement de Shanghai ? Et que dire de l’illusion sympathique selon laquelle des procédures de recrutement dérogatoires dans quelques grandes écoles allaient remettre en marche l’ascenseur social et enrayer les ségrégations ethniques, sans trop se demander si le rendement d’un diplôme est indépendant des dispositions et propriétés sociales de son titulaire. On pourrait aussi gloser sur un crétinisme académique.

    11Mais le seul argument du « ce n’est pas toujours mieux ailleurs » serait désobligeant. Les professionnels de la politique, spécialement à des niveaux significatifs de responsabilité, ont en général un fort capital culturel, détiennent des diplômes d’institutions scolaires prestigieuses. La lutte politique requiert et développe des arts de l’écoute et de la parole, un sens de la représentation - dans la polysémie du terme - et des formes multiples d’intelligence des rapports de force que condensait joliment un sénateur RPR pour qui « le bon politique est celui qui entend l’herbe pousser ». Et c’est encore sur le terrain - facilement contesté - des vertus morales ou civiques qu’une ethnographie du personnel politique manifeste maints exemples de dévouement, de conviction en actes. Le suicide de Pierre Beregovoy (Neveu, 1998) peut rappeler que jusque chez un élu parfois dépeint comme une illustration de dérives, voire de reniements, la puissance des croyances peut amener à des gestes radicaux2. L’hypothèse d’une faiblesse ontologique du personnel politique est donc inutile et insultante. La question sociologique est de comprendre comment et pourquoi des femmes et des hommes souvent consacrés scolairement, non dépourvus initialement de convictions liées à une idée de bien commun, confortant dans l’exercice du métier une panoplie souvent déjà étoffée de savoir-faire et de compétences en viennent tout aussi souvent à devenir prisonniers des routines et enjeux du champ, peu capables de déployer une imagination créatrice des problèmes et de leurs solutions.

    12Les analyses de Weber sur la vocation d’homme politique ne sont pas un mauvais guide pour mettre en œuvre le parti pris spinoziste exprimé ici. « Celui qui veut faire de la politique doit prendre conscience de ces paradoxes éthiques […] il se compromet avec des puissances diaboliques… » (1986, p. 80). Il faut pour réussir en politique un minimum de libido dominandi et de narcissisme, il faut des savoir-faire qui sont de l’ordre de la séduction et de la ruse, d’un peu de démagogie. Le débat n’est pas de demander aux professionnels de la politique vertu chevaleresque, talent entrepreneurial et prodiges d’empathie, toutes choses que les professeurs de science politique cumulent rarement. Mais la question Weberienne, « Que fais-tu de ton pouvoir ? » ne saurait être négligée. « L’honneur du chef politique, celui de l’homme d’état dirigeant consiste justement dans la responsabilité personnelle exclusive de tout ce qu’il fait, responsabilité qu’il ne peut ni ne doit répudier ou rejeter sur un autre » (1986, p. 129). Cherchant à saisir les qualités requises par la fonction, Weber les structurait autour d’une trilogie. Y figuraient la « passion » au sens « d’objet à réaliser, de dévouement passionné à une cause », le « sentiment de responsabilité » correspondant et le « coup d’œil » exercé avec le détachement requis pour aboutir. Weber énonçait encore : « Il n’existe tout compte fait que deux sortes de péchés mortels en politique : ne défendre aucune cause et n’avoir pas le sentiment de sa responsabilité… deux choses qui sont souvent, quoi que pas toujours, identiques ». [Les écueils du démagogue illustrent ces péchés] : « D’un côté le refus de se mettre au service d’une cause le conduit à rechercher l’apparence et l’éclat du pouvoir au lieu du pouvoir réel : de l’autre côté l’absence de sens de la responsabilité le conduit à ne jouir que du pouvoir pour lui-même, sans aucun but positif » (1986, p. 162-164).

    La production sociale du crétinisme politique

    Les trois rétrécissements du personnel politique

    13Une première série des raisons qui peuvent contribuer à un déficit d’imagination politique, de créativité, d’efficacité tient à des changements lents mais profonds dans le personnel politique.

    14Le premier se lit dans le rétrécissement social du personnel politique et du périmètre militant des partis. On peut dire sans faire formule que les classes populaires3, et une large part des classes moyennes (employés, cadres moyens, fonctionnaires B) ont été éliminés de facto de l’accès aux fonctions politiques centrales. Des travaux en cours, de Patrick Lehingue et de Daniel Gaxie l’illustrent sur les parlementaires actuels. Valentin Behr et Sébastien Michon (2015), sur le recrutement des gouvernements montrent combien, si la sociologie du personnel politique bouge, c’est au sein d’un univers élitiste, les « collaborateurs politiques » faisant désormais ombre aux « technocrates ». Un pourcentage croissant des professionnels de premier plan sont pratiquement entrés dans le monde de la politique professionnelle à la fin de leurs études, via des fonctions de collaborateur d’élu, de contractuel dans une collectivité territoriale, de permanent d’associations proches d’un parti. Certains éditorialistes ont cru voir là le signe d’une baisse de niveau, le métier politique étant abandonné par « les meilleurs » - préférant un privé plus lucratif - au profit de petits apparatchiks : « Hier la France était dirigée par des énarques, aujourd’hui par ceux qui sont collés à l’ENA » (Le Boucher, 2014, p 20). Faute d’objectivation, l’observation est plus polémique que rigoureuse. Mais l’évolution du recrutement suggère un autre problème. Chez ces prématurés de la politique professionnelle, la connaissance sensible d’autres mondes sociaux que celui de la politique se rétracte sur les seules expériences de la jeunesse. L’immersion dans l’altérité sociale ne peut venir que de l’éventuelle « année internationale » qu’ils ont pu pratiquer pendant leurs études, d’accidents biographiques et de quelques années de travail dans des institutions satellites du monde partisan.

    15Le système de capillarité par lequel de grandes forces politiques (communiste, socialiste via les réseaux « laïcs », centristes ou gaullistes via les associations catholiques) s’articulaient à des réseaux associatifs, à ce que les chercheurs du CRESAL désignaient comme fédérations associatives (Ion, 1997) s’est aussi considérablement érodé. La littérature sur le parti-cartel (Mair et Katz, 2004 ; Aucante et Déze, 2008) fournit sur ce plan des matériaux porteurs d’une argumentation probante sur le moindre rôle des militants, la déconnexion à l’égard de la « société civile ». Même quand ils restent au sein des partis, les représentants des classes populaires y sont souvent marginalisés, peu considérés, peu audibles (Lefebvre & Sawicki, 2006). Il n’est ni besoin d’inventer un âge d’or, ni de postuler que la représentation doit décalquer la morphologie sociale pour en tirer deux conclusions. L’une tient à la perte de diversité sociale du personnel politique au centre du champ4, l’autre à l’affaiblissement des liens directs avec des groupes organisés qui pouvaient être des lieux d’invention politique, des systèmes de détection précoce d’enjeux émergents. Pour beaucoup d’élus que leur trajectoire ou leur niveau de responsabilité met en quelque sorte « hors sol » par rapport au terrain des entités comme le « migrant », « le chômeur en fin de droits », « le prof de ZEP » risquent d’être peu concrets et leur expérience des « misères du monde » se limiter aux rencontres lors d’une permanence d’élu. Quelles que puissent alors être les qualités socialement et scolairement acquises en matière de capacité de travail, d’assimilation rapide de dossiers, d’intelligence des logiques institutionnelles, beaucoup de5 professionnels de la politique sont alors en situation d’agir sur un monde social dont ils n’ont guère de connaissance sensible, et qu’ils pensent avec des repères cognitifs plus proches des logiques comptables et d’un sens commun néo-libéral que d’une capacité d’empathie issue du vécu. De là la question d’une « déréalisation6 » qui fut débattue, jusqu’au sein du personnel politique, aux lendemains de « l’affaire Thevenoud », l’ancienne ministre Michèle Delaunay rédigeant sur son blog un billet très critique « Comment faire carrière sans mettre pied dans la vraie vie ».

    16Ce rétrécissement social est lié à un rétrécissement idéologique. L’observation ne vise pas à suggérer une absence de différences ou de contrastes. Elle souligne que, spécialement entre ce qu’il est convenu de nommer les partis de gouvernement, l’ampleur des oppositions (si on compare, par exemple, aux temps du « Programme Commun de la Gauche ») s’est contractée, qu’une adhésion à une vision des lois d’airain d’une économie de marché mondialisée s’est diffusée. L’observation ne postule pas une similitude des croyances, elle reflète le fait que venant de milieux peu éloignés, formés dans les mêmes écoles élitistes, ayant suivi des cursus proches, l’espace du pensable se recoupe largement entre les grandes entreprises politiques7. C’est l’idée même que des changements sociaux importants et rapides sont possibles et souhaitables qui s’est démonétisée, prise entre le soupçon d’un verbalisme creux et celui d’une dynamique liberticide. Ce changement ne peut être imputé aux seuls professionnels de la politique. Ils contribuent cependant de multiples façons, comme l’ont montré des ouvrages récents de Colin Crouch (2013) et de Colin Hay (2007), à l’érosion voire à l’éradication de toute croyance au pouvoir de la politique représentative de changer le monde. Weber parlait de la passion, qualité politique, comme visée d’un « objet à réaliser ». On peut questionner la taille décroissante des « objets » et ambitions d’action que portent les politiques, les doutes croissants, voire le désenchantement qui peut les gagner, eux aussi, quant à leur issue.

    17La symétrie voudrait que le troisième déficit soit désigné comme rétrécissement culturel ou cognitif… mais la formule cadrerait mal avec la hausse tendancielle de la scolarisation du personnel occupant les positions centrales du champ. Il y a pourtant, et il est avoué par beaucoup, un désarmement cognitif - ce que Weber nommait « perte d’âme » ou « prolétarisation spirituelle » (1986 p. 159) - du personnel politique. On peut être ministre de la Culture et n’avoir même pas lu la fiche faite par son cabinet sur un roman du prix Nobel Modiano, avouer même n’avoir « rien lu depuis deux ans ». Au-delà d’anecdotes - peut-être pas anecdotiques - beaucoup de responsables politiques de premier plan ont une pratique très asymétrique de la lecture. Ils sont accablés de montagnes de « notes », de dossiers techniques, de projets de décisions ou de normes dont la lecture ou l’assimilation demandent temps et travail et simultanément ils lisent fort peu ce qui pourrait donner profondeur analytique, une imagination ou une chair à ces problèmes. Peu de politiques lisent des sciences sociales8, des témoignages d’acteurs ou même des essais. Le sénateur socialiste Weber déclarait ainsi en 2008 : « Le parti ne parvient pas à réfléchir. Ses cadres sont des élus dont l’emploi du temps est consacré à être en représentation. Il arrive qu’on fasse remonter une bonne idée de la base, mais ne rêvons pas. Il faut être en lien avec ceux dont c’est le métier. » La fonction de réflexion se trouve de plus en plus externalisée vers des Think-tanks. On pourrait soutenir qu’il y a là une forme inédite et pertinente de division sociale du travail politique. Mais la sociologie du recrutement des think tanks étant superposable à celle, peu variée, des groupes dirigeants français, on tourne en rond (Stone, 2007) sans dépasser ce que Marx nommait « les limites de son propre cerveau ».

    18Ce sous-investissement intellectuel et cognitif n’est en rien redevable d’une quelconque indignité culturelle du personnel politique. Il doit avant tout à une contrainte pratique : l’extrême rareté du temps dont disposent les décideurs pour prendre du recul.

    Le biais présentiste

    19Bourdieu évoque sous la notion de biais scholastique à la fois le rendement d’une forme de temps libre et de distance (la Skholé) pour porter sur le monde un regard critique et analytique, et simultanément les biais et l’ethnocentrisme académique qui en découlent quand le monde est pensé comme objet d’intellection et non d’action. Une pathologie inverse menace les professionnels de la politique. Elles/ils vivent dans le présent, dans un univers d’urgence, marqué par l’impératif d’agir (ou d’en donner les signes), ne serait-ce que pour faire face à l’ordinaire du travail étatique, où la prise de distance est très difficile. L’amplitude des journées, les horaires hebdomadaires de travail sont considérables. Le stress et la fatigue sont souvent présents, sans exclure la griserie, le sentiment d’« en être », d’être aux commandes. Le temps est une denrée rare, dévorée par les réunions, les transports, les sollicitations et rituels. Le progrès récents de travaux sur les agendas l’objective (Godmer et Marrel ; Lefebvre in Demazière et Le Lidec, 2014). Même en faisant la part de l’auto grandissement, la lecture des biographies et témoignages est aussi éclairante, comme celle de « Jours de Pouvoir » où Bruno Le Maire (2012) rend compte des journées épuisantes d’un ministre de l’agriculture.

    20Les ethnographies du travail politique aux plus hauts niveaux sont malheureusement rares9, mais une autre propriété de la vie politique tient à ce qu’on pourrait nommer son « hystérisation ». Elle est un univers hautement conflictuel et tendu, y compris entre alliés. Des incidents ou des enjeux que des observateurs extérieurs tiendraient pour banaux engendrent tensions, micro-crises, demandes de réponse instantanée, perturbation d’emplois du temps déjà surchargés. L’urgence, la dramatisation sont des expériences quotidiennes. Le travail politique quotidien c’est aussi pour les titulaires de fonction centrale une vigilance permanente face aux risques de gaffes ou de propos relâchés, un travail constant de gestion de son image, mais aussi dans des périodes de crise la nécessité de porter toutes ses énergies sur ce que Jérémie Nollet analyse comme le « travail politique orienté vers les médias » (Réseaux, 2014). La simple existence de plusieurs chaînes d’information continue qui doivent nourrir chaque jour l’antenne et dramatiser l’ordinaire contribue à faire de ces micro-crises, ou de l’hystérisation d’événements de routines, un régime de croisière de l’information, avec l’impératif d’y réagir. Visionner BFM ou C News fait découvrir au feuilleton des faits transfigurés en enjeux nationaux un check-up de la prostate présidentielle, le zèle d’un proviseur excluant une élève porteuse d’une jupe trop longue et donc prometteuse de prosélytisme islamique, un projet de contraventionnalisation du défaut de permis de conduire.

    21Ces observations peuvent se compléter du rappel des effets des sondages et cotes de popularité qui, obligeant à un travail constant pour tenter de les maintenir à un niveau adéquat, provoquent ce que Lacroix (1988) décrivait comme un mélange chiasmatique entre activisme médiatique et grande réticence à des gestes et initiatives jugés susceptibles d’incommoder des fractions de l’opinion tenues pour importantes. Geer (1996) propose d’inventer une catégorie du followership par opposition au leadership pour désigner ces modes de rapports à l’opinion publique, consistant à se caler sur ce que serait la position majoritaire ou médiane de l’opinion sondée, répugnant aux initiatives périlleuses parce que hardies ou initialement impopulaires. Il rappelle aussi une formule - qui peut éclairer le désenchantement démocratique - de Martin Luther King pour qui « être un leader ce n’est pas suivre l’opinion, c’est la créer »

    22Les dirigeants politiques sont ainsi plongés dans un rapport au temps où celui-ci est une denrée d’une extrême rareté, métastasé par réunions, déplacements et cérémonies. Les impératifs des médias, la tension de crise que le tempo de la vie politique tend à ériger en régime de croisière accentuent encore cette pression. Quels que soient les mérites et desseins des responsables, il leur est dès lors très difficile de se donner des moments de recul, de skholé, de se libérer du présentisme pour tenter de replacer les enjeux dans une profondeur causale et historique. Il leur est aussi difficile de déployer une imagination politique, soit l’identification de pistes d’action inventives, appuyées sur une approche cognitivement diversifiée des dossiers et simultanément opérationnelles dans la logique de fonctionnement de l’appareil politico-administratif10.

    Une nouvelle configuration d’interdépendances

    23Le crétinisme politique peut aussi prendre la forme d’un hiatus, inégalement questionné, entre la revendication d’exercer le pouvoir et une remarquable discrétion de ses effets pratiques Les modernes Gulliver entravés doivent à une nouvelle configuration des pouvoirs à l’échelon international. Il s’agit du rôle pris par des institutions supranationales (Union européenne, OMC…) dont le fonctionnement, pour reposer sur la délibération de représentants politiques, présente à la fois des caractères d’éloignement et d’opacité, et rend peu probable qu’un acteur unique parvienne à y imposer sa volonté. L’internationalisation des configurations de pouvoir c’est encore la capacité de plus en plus visible d’entreprises économiques géantes d’ignorer ou de contourner les règles et demandes des gouvernants (fiscalité, droits d’auteur, droit social). La détention de positions de pouvoir politique doublée du sentiment et ou de l’expérience de disposer de peu de prise sur les enjeux dont on a la charge peut aussi venir d’un différentiel durable de maîtrise des dossiers, des circuits décisionnels entre le ministre et « son » administration. À la date du 26 décembre 1984 « Verbatim » (Attali, 1993) fait référence à une note du ministre des finances - récemment nommé - Bérégovoy au président Mitterrand. Le ministre y semble devenu le relais des positions déjà très néo-libérales des hauts fonctionnaires de la Direction Générale du Trésor. Elle recevra une annotation manuscrite du président « Je refuse de croire que Pierre Bérégovoy a rédigé lui-même cette lettre qu’il a signé. » La situation du ministre de l’agriculture durant la crise agricole de l’été 2015 illustre pareillement les questions soulevées ici. Quelles sont ses marges d’action quand une part des scénarios possibles de réponse demanderait une redéfinition, aussi fondamentale que celle réalisée dans les années soixante par le ministère Pisani, des cadres de la politique agricole ? Pareil virage est à la fois récusé par une majorité des acteurs du monde paysan qui co-gèrent de facto la politique agricole, étranger à l’espace du pensable des élus et de leurs collaborateurs ? Quel « choix » peut-il faire quand certains paramètres clés du problème en débat (l’écart conséquent de coûts de production dans les fermes-usines ou les abattoirs de pays voisins du fait de l’absence de salaire minimal ou de l’usage extensif de travailleurs « détachés ») ne relèvent même pas des domaines de compétence sur lesquelles peut décider une réunion du Conseil Européen ? Quelle que soit la compétence, le dévouement ou la combativité des élus, pareilles situations menacent de cantonner leur action à un activisme cosmétique ou à des gestes compassionnels fortement médiatisés, de susciter aussi cynisme ou désillusion tant l’atteinte de résultats est problématique.

    24Il y a bien une actualité du crétinisme politique, comme illusion ou mise en scène d’une prise sur le monde par un personnel politique dont les moyens se sont triplement érodés. Ils se sont défaits par réduction organisée des leviers d’influence du politique (multiplication des institutions indépendantes comme la BCE). Ils se sont défaits par une déliquescence de l’imagination politique comme capacité d’identification, de compréhension (au double sens d’intelligence des causalités et d’attention au vécu des citoyens) des enjeux et d’élaboration de réponses novatrices. Ils se sont enfin défaits de par le désenchantement de la croyance dans le pouvoir du politique d’améliorer le monde, la des-illusio politique dans des pans très divers de l’opinion, ce qui prive aussi l’action publique du soutien d’une opinion mobilisée.

    Quelques suggestions d’action

    25Si un trait fédérateur des contributions de ce volume est aussi de montrer quelle est, selon la formule rituelle de Durkheim, « l’utilité pratique » des sciences sociales, quelques propositions s’imposent. On les associera à un scepticisme quant à la capacité des institutions et acteurs à se reformer hors de contextes de pression d’une opinion mobilisée, de crises qui rendent insupportables la pratique de la procrastination ou de réformes réduites au minimalisme.

    26Si se prononcer contre la politique professionnelle est a priori sociologiquement utopique dans un avenir immédiat, il est possible et souhaitable de lutter contre tout ce qui en fait une carrière à vie et un microcosme dont la perméabilité au corps social se fixe sur les seules stratégies électorales inspirées par les sondages. Le rêve léniniste d’un État où les cuisinières pourraient exercer la direction des affaires publiques attendra un peu. Mais des qualités de leadership, d’animation d’équipe, d’intelligence des rapports de force ou de résolution de problèmes peuvent s’exprimer et se construire dans une foule d’univers sociaux et se transposer en politique, sans qu’il soit nul besoin d’entamer ces carrières dans sa prime jeunesse. Il faut aussi disqualifier l’illusion héroïque de la complexité et de la difficulté prodigieuse de l’exercice de la plupart des fonctions politiques. Faire face à une menace de guerre, un krach boursier ou un accident nucléaire n’est pas l’ordinaire du travail politique. Il est peu de fonctions de responsabilités qui ne puissent, pour des agents nantis du socle de formation et de dispositions adéquates, se maîtriser honorablement en quelques mois, ce qui constitue aussi un argument contre le caractère indispensable d’une professionnalisation précoce et permanente.

    27Les suggestions pratiques renvoient alors à une interdiction des cumuls de mandats, à une limitation dans le temps des mandats publics exercés. Un statut juridique de l’élu clairement défini - éventuellement constitutionnalisé - devrait conjurer les dérives prébendières et accroître certaines garanties. Conjurer les dérives c’est plafonner les rémunérations (quels qu’en soient la nature, le nom ou le cache-sexe) à un niveau qui peut être celui de la rémunération moyenne, primes incluses, d’un haut-fonctionnaire, rémunération assujettie au droit commun de la fiscalité et des cotisations sociales. Un statut de l’élu doit aussi prendre la forme de garanties positives, aptes à dissiper une partie de la dimension anxiogène d’un des rares métiers où un vote peut, tous les cinq ou six ans, priver d’emploi, ce qui n’est pas sans lien avec l’attrait des cumuls, le placement sécurisant de proches dans des emplois qu’on contrôle. Il peut s’agir d’une combinaison de crédit formation et de rémunération prolongée, si besoin, plusieurs semestres au-delà du mandat pour rendre possible, quel que soit le métier initial, une réinsertion indolore dans la vie « civile ». Un statut pourrait aussi inclure un système de « sabbatique » dont l’usage serait obligatoire au-delà d’un certain nombre d’années de mandat, faisant revenir sur le « terrain », dans une fonction non exécutive, dans une ONG, une entreprise, un service public. Un livre récent de Paulin Ismard (2015) a remis en lumière le rôle des esclaves publics - dont le statut matériel pouvait être confortable - préposés à des tâches comme la gestion des monnaies, des archives, aux écritures publiques, à des missions de police dans la Grèce ancienne. Il analyse cette institution comme ayant eu pour effet objectif de prévenir l’autonomisation de l’état, de conjurer la transformation en pouvoir des savoirs spécialisés et parfois importants (discerner la fausse monnaie de la vraie). En donnant des fonctions de gestion à des personnes que leur statut servile exclut de toute capacité d’intervention et de décision au sein d’une communauté civique dont ils n’étaient pas membres, on réduit le risque qu’un corps de professionnels du travail d’État ne fasse écran au Demos. Que tirer de ce passé ? Pas le dessein de rétablir l’esclavage, mais peut être la définition de règles de « viduité », de prévention d’une installation précoce et prolongée dans des fonctions politico-administratives, en fixant par exemple qu’être salarié dans des fonctions de collaborateur d’un élu engendre des restrictions au droit de solliciter le suffrage. Il pourrait s’agir d’interdire la candidature pendant un nombre d’années égal à celui d’occupation d’un emploi « politique », ou d’interdire ces candidatures dans un espace géographique proche du lieu de l’exercice de missions de collaborateur d’élu. La panoplie de prévention des carrières politiques à vie serait ainsi consolidée. Une norme aboutissant à des effets comparables pourrait consister à fixer que nul ne peut postuler à un mandat parlementaire ou une fonction élective exécutive qui n’a exercé pendant au moins cinq ou dix ans un métier autre que celui d’apprenti professionnel de la politique ou salarié d’une institution représentative. La possibilité de répéter dans le temps la candidature à de tels mandats pourrait être assujettie à des normes de retour sur le terrain, occasions aussi de reprendre de la distance, de réinvestir des formes de shkolé que le métier d’élu peut rendre malaisées. On objectera que les entreprises politiques les plus puissantes ou proches du monde des entreprises pourraient parrainer de faux-vrais emplois pour tourner cette règle. Ce scénario ne fait guère de doute, mais il n’est pas sûr - la famille Fillon en fit l’amère expérience - que les emplois au statut flou échappent toujours à la vigilance des médias et citoyens, il n’est pas interdit à une législation de s’adapter à l’inventivité de ceux qui entendent la tourner.

    28Ces démarches n’auront guère de sens sans une action volontariste pour diversifier le recrutement social des titulaires de fonctions politiques (Cagé, 2018). Pareil processus a peu de chances d’aboutir par décret. La toute relative diversité sociale de la représentation dans des états antérieurs du champ devait aussi, comme le montrait le « Cens Caché » (Gaxie, 1978), à l’existence d’espaces de socialisation et d’accréditation extra-scolaires via le syndicalisme, les espaces de formation autour du PCF et du monde des organisations « laïques », les réseaux de formation du monde catholique. La formule de Schumpeter, soulignant que « la compétence des professionnels de la politique suppose l’incompétence des non-professionnels » (1967, p 30), doit rendre saillante l’importance de la formation en ce domaine. Est-il impensable de la ré-institutionaliser en combinant crédit formation, espaces de formation à la connaissance des mécanismes institutionnels et aux sciences sociales, à la communication. Une version réinventée des Instituts des sciences sociales du travail, nés hier de la coopération de l’université avec le syndicalisme pourrait être ouverte à des candidats sélectionnés par toutes les formes d’organisations et de mouvements qui portent une voice. « Toutes » cela veut dire les mouvements vers lesquels s’orientent spontanément l’attention, parfois la complaisance des chercheurs, mais aussi les ugly movements moins chers aux savants, cela veut dire ouvrir ces possibilités de formation aux acteurs de mouvements sociaux stricto sensu, mais aussi à d’autres formes de représentation professionnelle11 ou syndicale. En réitérant la clause « avec le bénéfice d’une formation », préalable, payée sur fonds publics et ouvrant droit à un congé ad hoc, le tirage au sort pourrait aussi être un outil de diversification, dans des élections locales au premier chef.

    29Les sciences sociales peuvent et doivent contribuer à ces démarches de changement. Bourdieu en situait l’ambivalence dans une conférence (Bourdieu, 2000, p. 79) où il énonçait à la fois :

    « Il est vrai que la sociologie, si elle était en position d’être entendue, obligerait en beaucoup de cas les politiques à prendre une position subordonnée. Il faudrait qu’ils écoutent et qu’ils fassent ce qu’on leur dit. C’est sans doute très arrogant de dire cela. D’ailleurs on est bien incapable de dire ce qu’il faut faire, mais on peut dire assez bien ce qu’il ne faut pas faire, ou que ce qu’on fait ne servira à rien. » [Mais il écrivait aussi] : « Je suis aussi très sensible à l’idée que les savoirs sont partiels et le sont de plus en plus, et je ne voudrai pas voir les biologistes au pouvoir… Et encore moins les sociologues. »

    30Les suggestions pratiques pourraient ici être doubles. La première proposition consisterait à mailler la formation scolaire d’une initiation graduelle aux sciences sociales12 dont le but ne saurait être d’alimenter les départements de sociologie des universités, mais d’ouvrir à la compréhension des faits sociaux, de dé-fataliser leur perception, d’initier aux mécanismes politiques dont ceux du cens caché. La seconde suggestion serait de valoriser le « devoir d’intervention » des chercheurs sur les sujets où ils produisent des connaissances - et sur ceux-là seulement es qualité. Les producteurs de connaissances doivent intervenir dans l’espace public. Et celui-ci ne se réduit pas aux plateaux des chaines généralistes. « Mosaïque », il inclut aussi les presses spécialisées et locales, les forums et invitations d’associations, de clubs de débats, la circulation de revues et livres de bonne vulgarisation. Mais le travail des chercheurs peut aussi être de contribuer à la formation dans les espaces où peut se jouer un armement cognitif de prétendants à la parole politique aux profils atypique.

    Pour conclure : et si le crétinisme était fonctionnel ?

    31Il faut aussi se demander si le crétinisme tel qu’on a tenté de le cerner ici ne pourrait être fonctionnel ? Il peut l’être dans un processus d’évidement du politique. Il se peut que le pouvoir des institutions politiques se soit réduit de façon profonde - soit que la nouvelle configuration des pouvoirs ait fait glisser la « gouvernance » vers des acteurs privés (entreprises) ou des organisations internationales dont les gestionnaires ont plus de pérennité et de poids que les élus (Laurens, 2015), soit qu’une intervention minimale de l’État dans un monde régi par le marché et des institutions régulatrices non élues soit pensé comme l’optimum d’organisation de la Cité. Si le pouvoir du politique est celui d’un théâtre d’ombres, il n’est alors pas absurde qu’importent plus les compétences pour conquérir le pouvoir que celles pour l’exercer, que soit centrale une habileté « communicationnelle » à persuader de sa bonne foi, à gérer les passions et émotions, à mettre en scène le compassionnel.

    32Il pourrait l’être en second lieu parce qu’il n’est pas forcément besoin de dirigeants hors du commun pour conduire une polity. Elias (1985) souligne que Louis XIV n’avait pas nécessairement les traits qui font parler d’un « génie » mais que son autorité symbolique et ses dispositions opéraient efficacement dans la configuration où il était placé. On peut ne pas du tout maîtriser ses dossiers et disposer d’excellents collaborateurs non élus. Le crétinisme politique pourrait même se justifier sociologiquement. C’est le sens d’un texte de Schumpeter que Gaxie commente dans « Les professionnels de la politique » (1973).

    « La raison d’être ou la fonction sociale de l’activité parlementaire consiste sans aucun doute, à moudre des lois et, pour une partie, des mesures administratives. Si, cependant, nous voulons comprendre comment la politique démocratique sert cette fin sociale, il nous faut partir de la lutte concurrentielle pour le pouvoir et les emplois et réaliser que la fonction sociale est remplie, pour ainsi dire, subsidiairement - dans le même sens où nous disons que la production est l’accessoire de la réalisation des profits… »
    1967, p. 387

    33Si ces explications et liens de causalité peuvent s’énoncer, ils doivent plus encore être discutés. La première parce qu’elle légitimerait la disqualification de la démocratie comme choix des gouvernants par le peuple, comme capacité de définition collective des activités que peut réguler ou non une autorité issue du suffrage. Si la seconde a le mérite de dégonfler la prétention à l’exceptionnalité arborée par le plus improbable des candidats à l’investiture présidentielle, elle ne doit pas faire oublier que - sans appeler au génie - l’état de nos sociétés requiert une puissante floraison d’imagination politique collective. Quant à l’analyse Schumpetérienne, son actualité confirme la nécessité de redéfinir les règles juridiques et sociales d’une « politique démocratique » dont le support concurrentiel doit aussi aboutir à la sélection d’une représentation socialement plurielle, intellectuellement ouverte, ayant d’autres « passions » et « causes » que celle de collectionner prébendes et mandats.

    34Ré-enchanter la politique pour beaucoup de citoyens, et d’abord les moins dotés en capitaux divers, ce serait y réinjecter la force des « utopies rationnelles » qu’appelait Bourdieu : projets de changement social à la fois radicaux en ce qu’ils trouvent des solutions à des problèmes vécus par le grand nombre et attentifs au verbalisme creux, anticipant sur la densité des contraintes sociales. C’est là d’abord une tâche politique - et non sociologique - en ce qu’elle suppose de définir un bien commun, de hiérarchiser les intérêts et collectifs qu’on veut construire et servir, d’élaborer des tactiques de lutte. La recherche en sciences sociales peut cependant y aider. D’une part en redéfinissant le monde comme objet de changements volontaristes et non comme glaciation dans une fatalité condensée par le Washington Consensus ; d’autre part en identifiant dans des logiques d’institutions et d’interdépendances ce qui peut rendre stupides ou impuissants jusqu’aux plus talentueux, ce qui peut au contraire canaliser vers les lieux de décision des énergies créatives, des visions dont l’horizon excède le mois qui suit, ce que peuvent aussi être des mécanismes de conjuration des inerties institutionnelles les plus prévisibles.

    Notes de bas de page

    1  Une référence serait ici (Gaïti, 1990) quand elle rend compte de la manière dont la compétence économique, initialement peu valorisée dans le champ politique, va être consacrée dans les débuts de la Ve République.

    2  Sur un mode moins tragique, un portrait du ministre Bernard Cazeneuve rapportait que celui-ci avait rendu vingt visites à l’Hôpital Bichat à un jeune policier dans le coma après une agression. (Bacqué et Baumard, « Bernard Cazeneuve, vu de l’intérieur », Le Monde 26-28 décembre p. 9).

    3  Les exceptions existent mais leur extrême rareté confirme la règle. L’éditeur du livre du député Michel Pouzol (2013) ne s’y trompe pas, enveloppant le volume d’un énorme bandeau « Du RMI à l’Assemblée ».

    4  Une attention aux sociabilités privées donnerait aussi des éléments d’objectivation de l’espace social dans lequel sont établis certains dirigeants. Un article vachard d’Ariane Chemin (« La gauche à la noce », Le Monde, 2 octobre 2007) esquissait une sociographie sauvage des 800 convives de la fête de mariage du sénateur Weber. Voir aussi de Chemin et Bacqué dans Le Monde (9 octobre 2014), « Les Jouyet, un couple au pouvoir » qui illustre l’intensité et la clôture des liens entre acteurs centraux des mondes économiques, politique, administratif, la porosité des frontières droite-gauche

    5  La clause « Beaucoup de » importe car une telle proposition n’est pas généralisable. Sans parler des élus des petites communes dont l’existence est souvent dévorée par des sollicitations envahissantes (être réveillé quand une rixe oppose des voisins, institué en arbitre pour une tension dans le bureau du comité des fêtes), il existe aussi des parlementaires et élus locaux dont les conditions concrètes d’existence contribuent à les maintenir au contact d’une grande diversité de leurs concitoyens, ou qui font l’expérience - parfois violente psychologiquement - de recueillir dans leurs permanences l’expression de multiples souffrances sociales. On peut suggérer quelques pistes de recherche sur ces expériences de proximités aux profanes et leurs possibles effets. Ces élus plus proches du « terrain » accèdent-ils à des positions centrales de pouvoir ? Quelle est, en second lieu, la durabilité des effets de ces expériences : l’accumulation de la confrontation aux doléances ne peut-elle aussi engendrer cynisme ou immunisation ? La disposition à des formes diversement intenses d’écoute du social ne peut-elle être pensée dans une logique interactionniste de carrière, comme une expérience de « jeunesse », la progression dans le cursus entraînant un risque accru de clôture sur un entre soi élitiste ? Il faudrait enfin explorer la possibilité d’une compartimentation entre des domaines disjoints de l’expérience suscitant la mise en route de dispositions ou de régimes émotionnels mutuellement déconnectés. Un dirigeant politique peut, avec une vraie émotion et une satisfaction palpable, dialoguer avec des paysans au comice agricole, héler un électeur connu depuis vingt ans ou blaguer avec le buraliste, mais cantonner aussi ces moments (souvent filmables, ce qui questionne aussi) dans une extériorité à son activité première de décideur. Le « présentisme » peut aussi être capacité à s’engager dans toutes les formes du travail politique, en les hiérarchisant et déconnectant.

    6  Dans un florilège régulièrement alimenté de ces indicateurs de décrochage aux expériences ordinaires on citera le pain au chocolat « à dix quinze centimes » de François Copé en octobre 2016, les restaurants parisiens à 200 euros pour deux « sans prendre de vin » de Gérard Darmanin (22 novembre 2018) ou la député LREM Élise Fajgoles devant avouer devant deux « gilets jaunes » sur le plateau de C News (3 décembre 2018) qu’elle n’a aucune idée du montant du SMIC.

    7  Qui n’épuisent pas l’offre qui comporte aussi le Front National, une gauche au-delà du Parti socialiste, mais encore non participantes aux exécutifs nationaux ou locaux, traités médiatiquement comme hors ou anti-système.

    8  Les responsables de l’INSHS du CNRS ont été invités après la tuerie de “Charlie hebdo” en janvier 2015 à lancer des programmes de recherche sur des terra incognita comme l’islam de France, les processus de radicalisation, les djihadistes. Ils n’eurent aucune peine à montrer que des travaux, divers et abondants, souvent financés sur fonds publics, existaient. Ils étaient ignorés des décideurs politiques, jusque dans le ministère chargé de la recherche.

    9  Il faut parfois des fictions pour en donner une idée parlante, tel est le cas du film « Le service de l’État » de P. Schoeller (2011), ou de la série télévisée « West Wing ».

    10  Il faudrait développer un programme de recherche qui explore la manière dont des entourages ou des membres de cabinets (Eymeri-Douzans, Bioy et Mouton, 2015) peuvent jouer le rôle de boites à idées, examiner aussi les stratégies disponibles pour sauver du temps pour la lecture, le contact avec d’autres agents que les pairs, la vie privée. Si elles ne sont pas toujours théorisées sociologiquement, les analyses développées par (Tilo Schabert, 1989, 2005 a et b) - qui a travaillé sur la mairie de Boston et séjourné à l’Élysée sous Mitterrand puis à la Maison Blanche sous Clinton - sont ici stimulantes

    11  Ce qui pourrait par exemple aboutir à ce que les porte-parole du MEDEF cessent d’apparaître comme les seules voix des « entrepreneurs ».

    12  Dont la place à au contraire été réduite par des réformes de 2011 dans l’unique section (ES) du lycée où elles avaient un modeste espace, des thèmes inconvenants comme les « inégalités » ou les « classes sociales » ayant été marginalisés.

    Auteur

    • Erik Neveu
      Professeur de Science politique à l’Institut d’études politiques de Rennes - (CRAP/ARENES).
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    1  Une référence serait ici (Gaïti, 1990) quand elle rend compte de la manière dont la compétence économique, initialement peu valorisée dans le champ politique, va être consacrée dans les débuts de la Ve République.

    2  Sur un mode moins tragique, un portrait du ministre Bernard Cazeneuve rapportait que celui-ci avait rendu vingt visites à l’Hôpital Bichat à un jeune policier dans le coma après une agression. (Bacqué et Baumard, « Bernard Cazeneuve, vu de l’intérieur », Le Monde 26-28 décembre p. 9).

    3  Les exceptions existent mais leur extrême rareté confirme la règle. L’éditeur du livre du député Michel Pouzol (2013) ne s’y trompe pas, enveloppant le volume d’un énorme bandeau « Du RMI à l’Assemblée ».

    4  Une attention aux sociabilités privées donnerait aussi des éléments d’objectivation de l’espace social dans lequel sont établis certains dirigeants. Un article vachard d’Ariane Chemin (« La gauche à la noce », Le Monde, 2 octobre 2007) esquissait une sociographie sauvage des 800 convives de la fête de mariage du sénateur Weber. Voir aussi de Chemin et Bacqué dans Le Monde (9 octobre 2014), « Les Jouyet, un couple au pouvoir » qui illustre l’intensité et la clôture des liens entre acteurs centraux des mondes économiques, politique, administratif, la porosité des frontières droite-gauche

    5  La clause « Beaucoup de » importe car une telle proposition n’est pas généralisable. Sans parler des élus des petites communes dont l’existence est souvent dévorée par des sollicitations envahissantes (être réveillé quand une rixe oppose des voisins, institué en arbitre pour une tension dans le bureau du comité des fêtes), il existe aussi des parlementaires et élus locaux dont les conditions concrètes d’existence contribuent à les maintenir au contact d’une grande diversité de leurs concitoyens, ou qui font l’expérience - parfois violente psychologiquement - de recueillir dans leurs permanences l’expression de multiples souffrances sociales. On peut suggérer quelques pistes de recherche sur ces expériences de proximités aux profanes et leurs possibles effets. Ces élus plus proches du « terrain » accèdent-ils à des positions centrales de pouvoir ? Quelle est, en second lieu, la durabilité des effets de ces expériences : l’accumulation de la confrontation aux doléances ne peut-elle aussi engendrer cynisme ou immunisation ? La disposition à des formes diversement intenses d’écoute du social ne peut-elle être pensée dans une logique interactionniste de carrière, comme une expérience de « jeunesse », la progression dans le cursus entraînant un risque accru de clôture sur un entre soi élitiste ? Il faudrait enfin explorer la possibilité d’une compartimentation entre des domaines disjoints de l’expérience suscitant la mise en route de dispositions ou de régimes émotionnels mutuellement déconnectés. Un dirigeant politique peut, avec une vraie émotion et une satisfaction palpable, dialoguer avec des paysans au comice agricole, héler un électeur connu depuis vingt ans ou blaguer avec le buraliste, mais cantonner aussi ces moments (souvent filmables, ce qui questionne aussi) dans une extériorité à son activité première de décideur. Le « présentisme » peut aussi être capacité à s’engager dans toutes les formes du travail politique, en les hiérarchisant et déconnectant.

    6  Dans un florilège régulièrement alimenté de ces indicateurs de décrochage aux expériences ordinaires on citera le pain au chocolat « à dix quinze centimes » de François Copé en octobre 2016, les restaurants parisiens à 200 euros pour deux « sans prendre de vin » de Gérard Darmanin (22 novembre 2018) ou la député LREM Élise Fajgoles devant avouer devant deux « gilets jaunes » sur le plateau de C News (3 décembre 2018) qu’elle n’a aucune idée du montant du SMIC.

    7  Qui n’épuisent pas l’offre qui comporte aussi le Front National, une gauche au-delà du Parti socialiste, mais encore non participantes aux exécutifs nationaux ou locaux, traités médiatiquement comme hors ou anti-système.

    8  Les responsables de l’INSHS du CNRS ont été invités après la tuerie de “Charlie hebdo” en janvier 2015 à lancer des programmes de recherche sur des terra incognita comme l’islam de France, les processus de radicalisation, les djihadistes. Ils n’eurent aucune peine à montrer que des travaux, divers et abondants, souvent financés sur fonds publics, existaient. Ils étaient ignorés des décideurs politiques, jusque dans le ministère chargé de la recherche.

    9  Il faut parfois des fictions pour en donner une idée parlante, tel est le cas du film « Le service de l’État » de P. Schoeller (2011), ou de la série télévisée « West Wing ».

    10  Il faudrait développer un programme de recherche qui explore la manière dont des entourages ou des membres de cabinets (Eymeri-Douzans, Bioy et Mouton, 2015) peuvent jouer le rôle de boites à idées, examiner aussi les stratégies disponibles pour sauver du temps pour la lecture, le contact avec d’autres agents que les pairs, la vie privée. Si elles ne sont pas toujours théorisées sociologiquement, les analyses développées par (Tilo Schabert, 1989, 2005 a et b) - qui a travaillé sur la mairie de Boston et séjourné à l’Élysée sous Mitterrand puis à la Maison Blanche sous Clinton - sont ici stimulantes

    11  Ce qui pourrait par exemple aboutir à ce que les porte-parole du MEDEF cessent d’apparaître comme les seules voix des « entrepreneurs ».

    12  Dont la place à au contraire été réduite par des réformes de 2011 dans l’unique section (ES) du lycée où elles avaient un modeste espace, des thèmes inconvenants comme les « inégalités » ou les « classes sociales » ayant été marginalisés.

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    Ce livre est cité par

    • Frau, Caroline. Taiclet, Anne-France. (2022) Dans les marges de l’action publique. Gouvernement et action publique, VOL. 10. DOI: 10.3917/gap.214.0009

    Ce chapitre est cité par

    • Bué, Nicolas. Cos, Rafaël. (2021) The uses of party manifestos in France. French Politics, 19. DOI: 10.1057/s41253-021-00160-y

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    Neveu, E. (2019). 5. Peut-on faire du « crétinisme » politique un objet de science ?. In L. Barrault-Stella, B. Gaïti, & P. Lehingue (éds.), La politique désenchantée ? (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.147047
    Neveu, Erik. « 5. Peut-on faire du “crétinisme” politique un objet de science ? ». In La politique désenchantée ?, édité par Lorenzo Barrault-Stella, Brigitte Gaïti, et Patrick Lehingue. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2019. https://doi.org/10.4000/books.pur.147047.
    Neveu, Erik. « 5. Peut-on faire du “crétinisme” politique un objet de science ? ». La politique désenchantée ?, édité par Lorenzo Barrault-Stella et al., Presses universitaires de Rennes, 2019, https://doi.org/10.4000/books.pur.147047.

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    Barrault-Stella, L., Gaïti, B., & Lehingue, P. (éds.). (2019). La politique désenchantée ? (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.146977
    Barrault-Stella, Lorenzo, Brigitte Gaïti, et Patrick Lehingue, éd. La politique désenchantée ?. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2019. https://doi.org/10.4000/books.pur.146977.
    Barrault-Stella, Lorenzo, et al., éditeurs. La politique désenchantée ?. Presses universitaires de Rennes, 2019, https://doi.org/10.4000/books.pur.146977.
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