9. Du nucléaire aux centrales
Une comparaison des trajectoires de la mobilisation antinucléaire à Gravelines et à Fessenheim (1970-1980)
p. 219-237
Texte intégral
1Puisant ses racines dans la contestation transnationale de l’atome militaire d’après-guerre, la critique du nucléaire connaît en France un mouvement d’amplification considérable au tournant des années 1970. La décennie qui s’ouvre est en effet marquée par le passage au stade industriel du programme nucléaire civil français. Adopté par un cercle restreint d’experts, sans consultation préalable du Parlement ni des populations locales concernées1, ce dernier s’érige en véritable parangon du pouvoir technocratique et du conformisme consumériste. Dans le sillon des événements de Mai et juin 1968, une critique révolutionnaire et anticapitaliste de l’atome se diffuse progressivement au sein de l’extrême-gauche. Les différentes tendances anarchistes et marxistes investissent à leur tour le champ de la lutte antinucléaire, aux côtés des riverains des futures centrales, du mouvement écologiste naissant et des réseaux pionniers de la contestation pacifiste.
2Ce processus d’extension sociale du mouvement antinucléaire a fait l’objet d’une attention particulière en France, où dès les années 1970, Alain Touraine et son équipe s’interrogent sur la capacité de cette « nébuleuse » en formation à porter en elle la transition des sociétés vers l’ère post-industrielle2. Leurs travaux, qui concluent à l’idée d’un « mouvement encore en suspension dans la lutte »3, sorte de « pré-mouvement social », ont été suivis par de multiples enquêtes prolongeant la réflexion sur la trajectoire et la signification de cette lutte. Si plusieurs de ces enquêtes empruntent une perspective comparative afin de mettre l’accent sur les inégalités et les effets variés de ces contestations d’un pays à l’autre, toutes en restent cependant à une échelle d’analyse stato-centrée4 faisant l’impasse sur les variations infra-nationales qui s’y cachent. L’opposition au nucléaire n’a pourtant pas connu – et ne connaît toujours pas – la même forme, ni le même écho sur l’ensemble du territoire français, les luttes locales étant beaucoup plus ardentes en certains endroits qu’en d’autres.
3De ce point de vue, le peu d’intérêt accordé à la question de la distribution spatiale des conflits antinucléaires est à l’image du « space-blind5 » qui traverse plus largement la sociologie des mobilisations. Hormis une poignée de travaux pionniers6, la question des rapports qu’entretient la mobilisation avec l’espace local dans lequel elle se déploie a longtemps été reléguée à la position subsidiaire d’arrière-plan contextuel. Les perspectives empruntées à la géographie constructiviste7 ont néanmoins permis de donner une nouvelle place à l’espace dans l’étude de la mobilisation collective8. En connectant « ordre social » et « ordre spatial9 », plusieurs travaux sont parvenus à montrer l’influence que ce dernier peut exercer sur les conditions d’émergence et de développement des conflits sociaux10. C’est dans cette même optique que nous allons nous intéresser dans ce chapitre aux différentes formes d’enracinement du conflit nucléaire, en essayant de comprendre plus largement comment et pourquoi, face à un projet similaire, les mobilisations sont amenées à prendre des formes et des trajectoires distinctes d’un territoire à l’autre.
4Derrière l’expression réifiante de « mouvement antinucléaire », se cache en effet un kaléidoscope de configurations territoriales qu’il convient d’interroger. La comparaison des mouvements d’opposition à l’implantation des centrales de Gravelines dans le Nord et de Fessenheim dans le Haut-Rhin s’avère pour cela particulièrement intéressante. En premier lieu, ces deux centrales disposent du même système de rejet de leurs eaux usées ce qui – nous y reviendrons – peut avoir un impact direct sur l’esthétique du bâtiment et la perception du risque encouru11. En outre, la construction de ces deux sites a également pour point commun d’être mise à l’agenda avant l’entrée en vigueur du « plan Messmer12 » qui annonce l’amplification et la diffusion nationale des contestations antinucléaires dans la seconde moitié des années 1970. Dans le Haut-Rhin, le projet d’installer un centre de production nucléaire à Fessenheim fait son apparition dès 1967. La « guerre des filières » qui divise le Commissariat Énergie Atomique (CEA) et Électricité De France (EDF) retarde cependant la mise en chantier du site, qui n’est autorisée que trois ans plus tard13. En octobre 1970, tandis que la construction de la centrale se profile, le Comité de sauvegarde de Fessenheim et de la Plaine du Rhin (CSFR) organise sa première réunion d’information à Strasbourg où se rassemblent une vingtaine de personnes. Dans le Nord, l’arrivée d’une centrale sur la commune de Gravelines est pour sa part annoncée dans la presse locale en 1972. Des oppositions s’expriment tout au long de l’enquête d’utilité publique qui se tient du 1er décembre 1973 au 10 janvier 1974. Le 5 janvier 1974, un mois avant le début des travaux de construction, une marche protestataire rassemble pour la première fois 150 personnes sur le site à l’initiative du Comité Antipollution de Dunkerque (CAP).
5Les mobilisations contre l’implantation de ces deux centrales émergent ainsi dans un contexte où le « mouvement antinucléaire » n’est que faiblement structuré sur la scène nationale. Malgré cela, elles empruntent des trajectoires historiques et géographiques très différentes. En Alsace, la contestation ne cesse de s’étendre tout au long de la construction de la centrale, contraignant EDF à renoncer à l’implantation des deux réacteurs supplémentaires envisagée sur le site. Sept ans après sa première réunion d’information, le CSFR compte plus d’une quarantaine de responsables cantonaux. Aujourd’hui encore, le collectif demeure l’un des principaux animateurs du mouvement antinucléaire local, avec à sa tête, le même président depuis bientôt cinquante ans. Dans le Nord en revanche, la contestation semble déjà presque éteinte lorsque les premiers réacteurs sont mis en route au début des années 1980. En 1979, l’annonce de l’arrivée de deux unités supplémentaires sur le site ne suffit pas non plus à relancer le mouvement. Avec six réacteurs de 900 mégawatts en fonctionnement, Gravelines devient ainsi le plus puissant centre de production d’électricité nucléaire français.
6Comment rendre compte alors du contraste entre ces deux mobilisations qui naissent pourtant d’un enjeu similaire ? Le croisement des observations menées sur chacun des sites14 révèle qu’une partie de la réponse à cette question se situe dans les modalités particulières qui affectent le processus de « spatialisation du risque » autour de ces deux centrales. Ce dernier recouvre les différents procédés, à la fois matériels et idéels, par lesquels les collectifs mobilisés inscrivent leur revendication dans l’espace du proche pour faire de l’arrivée du nucléaire un enjeu de proximité et rallier le soutien des populations locales concernées. L’étude de la carrière du problème nucléaire invite dès lors à inverser la conception dominante des « sauts d’échelle » (scale shifts) et des formes d’amplification de la cause. Si la plupart du temps, les travaux ont cherché à rendre compte de la manière dont les conflits se déplacent de l’échelle locale ou nationale vers un niveau d’action transnational, l’opposition au nucléaire nous amène en effet à retracer, à l’inverse, les voies par lesquelles le « global arrive au local ». En effet, avant de devenir un problème de proximité pour les riverains des futures installations nucléaires, le problème atomique incarne d’abord un risque global qui transcende les frontières nationales15. Au processus de « mondialisation du risque16 » construit par les premiers réseaux scientifiques et pacifistes de la contestation de l’atome militaire17, se juxtapose ainsi progressivement un processus de « localisation des critiques ». Or, nous allons voir que si la technologie est similaire pour les deux centrales, l’inscription spatiale du risque diffère quant à elle d’un site à l’autre. Tandis qu’en Alsace, le processus d’« extraction du risque18 » opéré par les militants antinucléaires projette le Rhin à l’épicentre d’un périmètre de danger qui rayonne bien au-delà de l’« espace-support19 » d’implantation de la future centrale, la représentation du risque nucléaire lié à la centrale de Gravelines se définit pour sa part essentiellement comme un problème de pollution des eaux. Nous verrons qu’une fois établie, cette spatialisation multiscalaire du risque nucléaire n’est pas sans incidence sur l’évolution des conflits, leur périmètre de diffusion et la manière dont ils vont pouvoir ou non se résoudre.
À travers les rayons X : une construction multiscalaire du risque radioactif à l’échelle locale
7En lançant l’alerte sur le risque de destruction planétaire engendré par l’utilisation de la bombe atomique qu’ils ont contribué à fabriquer, les Atomist Scientists américains définissent au milieu des années 1940 une nouvelle échelle de représentation du risque. Dessiné par Edward Teller, le compte-à-rebours de la « Doomsday clock20 » devient le symbole d’une société moderne où le danger ne connaît désormais plus de frontières. Cette nouvelle perception de la finitude humaine contribue au déploiement d’un périmètre transnational de contestation. En plus de la montée de l’« internationalisme scientifique » porté par les réseaux savants de la contestation atomique, le fédéralisme mondial refait également son apparition21. Qu’il s’agisse de rassembler physiquement les militants antinucléaires de plusieurs pays ou d’enjamber symboliquement les frontières étatiques, les marches internationales constituent dans ce contexte l’une des principales formes d’expression du mouvement antinucléaire des années 1950 et 196022.
8Au début des années 1970, la spécification du choix des sites retenus pour l’implantation des centrales nucléaires civiles déplace cependant le conflit à une autre échelle. Ce qui pose alors problème n’est plus seulement l’utilisation de la technologie nucléaire mais également la construction d’une centrale sur un espace particulier. À rebours du catastrophisme mondial qui anime les premières critiques de l’atome, un processus de territorialisation des critiques se dessine progressivement. À Gravelines comme à Fessenheim, celui-ci se retrouve dans la mise en place de mécanismes de « subjectivation territoriale » au risque nucléaire dont l’enjeu consiste, à chaque fois, à objectiver les problèmes locaux causés par la centrale pour donner au mouvement de contestation sa dimension à la fois « personnelle » et « territoriale ». S’agissant du nucléaire, cette opération s’avère d’autant plus compliquée que les entrepreneurs de cause font face à une menace à la fois inodore, et incolore, confinée « à l’ombre du sixième sens23 ». En fonction des sites observés, le processus d’extraction du risque nucléaire peut ainsi recouvrir des échelles et des formes différentes.
Du Rhin à la Plaine du Rhin : l’extension de la menace radioactive en Alsace
9En Alsace, la campagne de sensibilisation des populations locales au problème nucléaire s’inscrit dans un processus de transposition locale des premières contestations pacifistes de l’atome. Le CSFR, qui s’est formé au cours de l’été 1970, est en effet issu de la rencontre entre plusieurs militants non-violents installés dans la région. Parmi eux figure Esther Peter Davis, une traductrice scientifique née à Strasbourg en 193224. Alors qu’elle se rend au Congrès International de la Réconciliation qui doit se tenir à Mulhouse au début de l’été 1970, elle fait la rencontre de Jean-Jacques, un professeur d’Allemand du secondaire venu faire une intervention sur les dangers du nucléaire. Avec son épouse, institutrice d’origine allemande, ce dernier milite depuis plusieurs années au sein l’Association Contre le Danger Radiologique (ACDR)25. À la demande de Jean Pignero, son fondateur, le couple est chargé de traduire les correspondances internationales de l’association, ainsi que plusieurs articles scientifiques en provenance d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse. Esther Peter Davis, qui a mené de son côté une enquête internationale sur le développement des programmes électronucléaires avec deux collègues travaillant dans l’édition scientifique, propose à Jean-Jacques de diffuser les résultats de son travail par l’intermédiaire du collectif local qu’il est en train de créer avec sa femme et deux couples d’amis qui militent avec eux dans des associations alternatives en faveur de la liberté des vaccinations et du développement de l’agriculture biologique26.
10Pour figurer le risque qui découle de la construction d’une centrale nucléaire sur la commune de Fessenheim, les fondateurs du CSFR peuvent ainsi compter sur les connaissances scientifiques et techniques qu’ils ont acquises par l’intermédiaire de l’APRI et des premiers réseaux transnationaux de la contestation pacifiste dont ils sont proches. Réalisée par Esther Peter Davis et ses deux collègues scientifiques, la brochure Fessenheim Vie ou Mort de l’Alsace compile sur une soixantaine de pages une série d’expertises internationales sur les dangers biologiques des rayonnements ionisants avec des données plus précises sur les particularités du climat alsacien et les risques inhérents à l’exploitation d’une centrale nucléaire dans la région. La transcription locale du risque est synthétisée dans un « tableau de conversion » des données officielles du rapport « Brookhaven ». Publié en 1957 par la Commission de l’énergie atomique américaine (AEC), ce rapport – également appelé « Wash – 740 » – donne une estimation chiffrée des dégâts causés par un accident nucléaire majeur en fonction de différents paramètres (type d’accident, puissance de l’installation, densité de population aux alentours, etc.). Dans le tableau du CSFR, ces ordres de grandeurs sont donc rapportés aux caractéristiques des réacteurs alsaciens. Une carte, dessinée à la main, permet d’illustrer cette opération. Elle représente, pour la première fois, l’inscription spatiale de la menace radioactive liée à la centrale de Fessenheim.
11Comme on peut le voir sur le dessin, le risque nucléaire y est projeté bien au-delà de la commune de Fessenheim. Les taches d’encre, qui symbolisent les retombées radioactives, disséminent en effet la zone d’impact de la centrale sur un territoire transfrontalier situé à la jonction de l’Est alsacien, du Land voisin du Bade-Wurtemberg et du canton suisse de Bâle27. Ce périmètre du risque se retrouve d’ailleurs au cœur même de l’appellation du CSFR qui, comme son nom l’indique, inscrit sa revendication dans la sauvegarde d’un espace aux frontières élargies : la plaine du Rhin28. En plus des nombreuses cartes qu’ils mobilisent tout au long de leur campagne, les membres du CSFR inventent également une série de dispositifs de sensibilisation29 visant à objectiver le périmètre de danger qu’ils dénoncent. Lors des manifestations, des lâchers de ballons sont par exemple organisés pour simuler la direction que prendrait un nuage radioactif en cas d’accident. Une autre action consiste également à rebaptiser régulièrement du nom de « Fessenheim » les panneaux de localisation situés à l’entrée des communes d’Alsace. À chaque fois, l’objectif consiste à matérialiser l’étendue spatiale de la zone impactée par la centrale afin de rationaliser le périmètre du risque perçu. Pour le président du CSFR, « il était clair, avec ce qu’[ils] av[aient] accumulé comme informations, que les centrales nucléaires – avec les deux tiers des calories produites rejetés dans le fleuve, comme à Fessenheim, ou dans l’atmosphère, comme à Cattenom – n’étaient pas seulement un facteur de pollution thermique du milieu aquatique ou du microclimat, mais menaçaient la biosphère par la radioactivité30 ».
Illustration 1. Projection des retombées au sol des faisceaux de fumées en provenance de la centrale de Fessenheim.

Source : « Fessenheim, Vie ou Mort de l’Alsace », deuxième édition, 1971, p. 45.
12L’extension du périmètre du risque nucléaire qui s’observe en Alsace contraste dès lors fortement avec la focalisation sur l’enjeu de la pollution littorale qui cristallise le conflit gravelinois. En effet, à l’inverse de ce qui peut être observé à Fessenheim, la projection spatiale du risque radioactif dans le Nord se resserre pour sa part sur la zone littorale d’implantation de la future centrale. Cette représentation particulière du risque nucléaire peut s’expliquer par la présence, à la tête du conflit gravelinois, d’un important réseau professionnel d’architectes et d’urbanistes pour qui le « problème nucléaire » se pose d’abord comme un conflit d’aménagement de l’espace31.
La mise en patrimoine du littoral gravelinois
13Dans le Nord, l’émergence du mouvement d’opposition à la centrale de Gravelines est fortement marquée par les reconfigurations du système politique et industriel à l’œuvre sur le littoral depuis le milieu des années 1950. Avec l’arrivée de la sidérurgie sur l’eau, l’essentiel de l’activité industrielle et portuaire se retrouve désormais déplacée vers l’Ouest de l’agglomération, entraînant dans le même temps un processus exponentiel de périurbanisation difficilement contrôlable. Dans ce contexte, la qualité du cadre de vie devient une préoccupation grandissante sur le territoire. Face aux désagréments occasionnés par l’expression territoriale de ce que Manuel Castells et Francis Godard définissent comme un « capitalisme monopolistique d’État32 », de nombreux élus locaux réclament la mise en œuvre d’une gestion décentralisée de la politique urbaine et industrielle du littoral. Ces tensions se renforcent en 1967 avec la publication de la Loi d’orientation foncière (LOF) qui prévoit la réalisation de Schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) définissant les grandes orientations stratégiques de l’usage des sols à l’échelle supracommunale. Pour peser dans le jeu des négociations avec l’État, le député socialiste du Nord et ancien maire de Gravelines33, Albert Denvers, institue la première Communauté urbaine volontaire de France (CUD). Dans le même temps, un Groupe d’études et de programmation installé à Dunkerque sur ordre de la Direction départementale de l’équipement (DDE) publie un premier document d’urbanisme prévisionnel. Il projette l’extension des activités portuaires au profit de la création d’un port unique s’étalant sur l’ensemble de la zone littorale située entre Calais et Dunkerque. À la tête de la CUD, Albert Denvers conteste ces plans qui, dans l’état, font disparaître la commune de Saint-Georges sur l’Aa et la dune du Clipon34. Il propose dès lors la mise en place d’une Commission locale d’aménagement urbain (CLAU) associant les services de l’État aux côtés des élus et des acteurs économiques locaux. Rattachée dans un premier temps à la DDE, la CLAU s’autonomise progressivement pour donner naissance, en 1972, à l’Agence d’urbanisme de Dunkerque (AGUR), association placée sous la présidence d’Albert Denvers.
Illustration 2. Gravelines, « Poumon vert » de l’agglomération dunkerquoise

Source : Agence d’urbanisme de Dunkerque, Dunkerque 2000 : Livre blanc, 1970.
14Composée d’une équipe pluridisciplinaire d’architectes, d’urbanistes et d’ingénieurs en travaux publics, à laquelle se joint également un spécialiste de l’écosystème littoral, l’AGUR est chargée de développer une réflexion sur l’esthétique paysagère et la qualité de vie des habitants35. L’annonce de la construction d’une centrale nucléaire à Gravelines devient dans ce contexte l’objet d’un conflit d’aménagement de l’espace entre les professionnels de l’AGUR et les responsables nationaux du programme nucléaire. Pour les « Aguriens », le territoire gravelinois a vocation à demeurer une « coupure verte » protégée des projets d’aménagement industriel et urbain qui l’enserrent, comme en témoigne ce plan de 1970.
15Situé à équidistance entre Calais et Dunkerque, cet espace demeure en effet l’une des rares portions du littoral qui ne soit pas encore industrialisée au début des années 1970. Afin de préserver ce qui doit être selon eux le « poumon vert » de l’agglomération, plusieurs membres de l’AGUR décident de porter la revendication en dehors de l’arène institutionnelle. Ils créent pour cela un Comité Antipollution (CAP) et tentent d’alerter les populations locales sur la disparition des formes traditionnelles d’occupation et d’aménagement de l’espace littoral.
16En plus de leurs compétences professionnelles, les « Aguriens » prennent appui sur l’expertise scientifique que leur apportent les membres de la fédération Nord Nature36. En décembre 1973, le co-fondateur de cette association de défense de l’environnement, Professeur de biologie à l’université des sciences et technologies de Lille, profite de l’enquête d’utilité publique pour lancer l’alerte. Au-delà du problème de la pollution radioactive, il s’inquiète du risque que le réchauffement des eaux ne provoque la disparition des espèces locales de poissons vivant en eaux froides :
« Vu les quantités considérables d’eau de refroidissement nécessaire au fonctionnement d’une telle centrale à groupes nucléaires, la pollution thermique qui va résulter du rejet de ces eaux dans le milieu marin va considérablement aggraver les effets nocifs qui ont été signalés dans notre précédente intervention. Les pertes économiques dans le domaine des pêches maritimes seront donc considérablement accrues37. »
17Cet argumentaire fait directement écho à celui qui est mobilisé par les responsables d’EDF et du gouvernement pour justifier l’implantation d’une centrale à Gravelines. Pour les promoteurs du nucléaire, l’« installation d’une prise d’eau importante dans l’avant-port ouest » ainsi que la présence d’« importants courants de marée et de houle » garantit en effet des conditions d’exploitation optimales38. L’utilisation industrielle des ressources hydrauliques locales doit en ce sens être regardée selon eux comme une mise en valeur des ressources naturelles apportées par la mer. Cet argument est donc contesté par les opposants à la centrale, pour qui, contrairement aux garanties apportées par EDF, la « logique technico-économique » s’opposera bien aux « logiques territoriales existantes39 ». Leur campagne de mobilisation s’ancre dans cette optique sur la défense des traditions locales et du patrimoine économique et culturel littoral. Dans les manifestations, les slogans des banderoles affichent « Allons à Gravelines sauver la sardine ! », « Avec la centrale plus de harengs ! », « La mer aux poissons, des centrales pas question », « EDF machine la ruine, Gravelines jamais s’incline ». La comptine « À la pêche aux moules » est également réadaptée pour l’occasion : plus question désormais d’aller pêcher les moules irradiées de Gravelines ! Par ce discours, les porteurs de la mobilisation cherchent ainsi à lancer l’alerte auprès des riverains de la centrale et, plus particulièrement, des pêcheurs locaux qu’ils ciblent comme « communauté de référence40 ».
Du périmètre du risque à l’espace de mobilisation : une construction socio-spatiale des identités collectives
18Forgée par Denis Segrestin au début des années 1980, la notion de « communauté de référence41 » permet en effet de penser la diversité des processus d’identification qui participent à l’intégration collective des acteurs du conflit42. En traçant les contours spatiaux du public en danger, le balisage du risque associé à la centrale participe de ce point de vue à la définition du public appelé à se mobiliser. Reste qu’en fonction des lieux de conflits et du public qu’elles ciblent, la convocation de ces « communautés de référence » peut s’avérer plus ou moins « pertinente ». Tandis qu’à l’Est, les ressorts historique et géographique du régionalisme alsacien favorisent l’activation d’une communauté transnationale de mobilisation pour la défense de la Plaine du Rhin, dans le Nord en revanche, la focalisation sur la mobilisation professionnelle des riverains du site et des pêcheurs locaux contribue à mettre en relief le clivage socio-spatial qui sépare les porteurs de la mobilisation des populations locales auxquelles ils s’adressent.
La mobilisation d’une communauté transnationale de mobilisation en Alsace
19En montrant que le risque lié à la construction d’une centrale nucléaire à Fessenheim ne se cantonne pas à un risque de pollution des eaux du Rhin, le CSFR parvient à élargir l’espace concerné par le projet d’aménagement. Il diffuse pour cela sa campagne d’information sur un large périmètre, l’objectif étant de quadriller toute la plaine rhénane. Imprimée à 500000 exemplaires, la brochure Fessenheim Vie ou Mort de l’Alsace est envoyée à chacun des 950 maires alsaciens. 175000 tracts sont également distribués la même année dans le Haut-Rhin. En 1977, une opération « 500000 foyers » est lancée pour distribuer un numéro spécial de la revue militante de l’association dans toutes les boîtes aux lettres de la plaine du Rhin. Le CSFR parvient ainsi à rassembler une quarantaine de responsables cantonaux. Ce maillage territorial lui permet d’instaurer des « roulements par village » lors des occupations de site. Tout au long de la construction de la centrale, les manifestations antinucléaires sont organisées à Fessenheim mais aussi dans les grands centres urbains à proximité comme Mulhouse, Colmar ou Fribourg43.
20La différenciation entre « espace-support » de l’infrastructure et « espace mobilisé44 » qui s’observe en Alsace s’appuie sur l’appel à une communauté transnationale de mobilisation. Ce type de solidarité fait écho à la « communauté-société » que Denis Segrestin oppose à la « communauté professionnelle » traditionnelle des conflits du travail en France. Selon lui, la « communauté-société » se distingue par sa capacité rhétorique à dépasser les « communautés concrètes » au profit d’entités de références hétérogènes :
« L’originalité de la communauté d’action ainsi mise à jour est double : d’abord cette communauté repose sur une structure différenciée et non-plus sur une structure homogène. Elle accepte et suppose l’existence de clivages, d’oppositions internes de toutes sortes, y compris les oppositions d’intérêts. Dans la mesure où ces clivages renvoient effectivement à l’intégration collective, ils ne constituent pas des handicaps à la mobilisation, au contraire45[…] »
21En Alsace, la représentation de cette communauté territoriale fondée sur l’appartenance à une même zone géographique46 est mise en scène dans les multiples répétitions du nom de l’espace et du groupe concernés : la « Plaine du Rhin », ses « habitants », le « peuple d’Alsace », du « pays de Bade » ou des « Trois frontières ». Elle s’observe également dans l’utilisation qui est faite du récit autobiographique comme mode de personnification du territoire. Lors de ses interventions publiques, le président du CSFR fait de fréquentes allusions à l’histoire de sa trajectoire familiale, trajectoire dans laquelle se transpose l’histoire géopolitique de l’Alsace. Par-delà la parole experte que lui confère son statut d’enseignant et sa proximité avec les milieux scientifiques, son leadership se fonde ainsi progressivement sur le « pouvoir d’incarnation » du territoire qu’il représente personnellement47.
22S’il n’est pas l’enjeu même de la mobilisation, le Rhin sert malgré tout de support à la mise en scène des solidarités transfrontalières qui s’expriment dans le conflit. Plus qu’une ressource naturelle à protéger, le fleuve incarne une barrière matérielle et symbolique à enjamber et constitue à cet égard un « lieu synecdotique » de la plaine rhénane48. L’appropriation symbolique des ponts du Rhin permet de contester l’artificialité des frontières politiques qui opposent les peuples alsaciens, badois et suisses au regard de l’immuabilité des frontières naturelles qui les relient. Comme on peut le lire dans cet extrait tiré de la revue militante du CSFR, la contestation ne cible pas uniquement EDF mais s’adresse plus largement à la classe dirigeante qui, au gré de ses arbitrages historiques successifs, n’aurait cessé de remettre en cause la fraternité « naturelle » qui unirait les habitants de la plaine du Rhin :
« À l’époque qui nous a vus grandir, on parlait beaucoup de l’entente franco-allemande. Des villes françaises et allemandes ont été jumelées ; nos gouvernements ont engagé des discussions et conclu des accords. Mais cette entente se résumait à des poignées de mains entre les maires, les conseillers municipaux, les ministres et les préfets qui s’invitaient mutuellement à de grands banquets et à des visites guidées. Cette entente se faisait au même niveau que jadis les déclarations de guerre, les armistices, les traités de paix et les nouvelles déclarations de guerre. Depuis six mois, les populations d’Alsace et de Bade montrent qu’elles n’ont nul besoin de se faire représenter par des délégations pour se comprendre mutuellement. Nous habitons un même espace géographique et n’avions jamais intérêt à nous entretuer, ni à dévaster nos pays dans des guerres insensées, nous coopérons spontanément dans la lutte pour la sauvegarde de notre plaine rhénane49. »
23Cette dénonciation de la classe politique n’empêche pas pour autant la mobilisation des élus locaux que le CSFR ne cesse d’interpeller tout au long du conflit. En plus de la brochure Fessenheim Vie ou Mort de l’Alsace qui est adressée à tous les maires de la région, des lettres ouvertes sont envoyées par l’association à chacun des députés du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. L’interpellation de l’ensemble des responsables politiques d’Alsace permet de rechercher des soutiens au-delà du périmètre de rayonnement économique de la centrale50. Le CSFR parvient ainsi à obtenir le soutien de plusieurs élus locaux51. Le 14 septembre 1975, une soixantaine de maires de communes alsaciennes et badoises signent le « Serment de solidarité du Sundhouse52 » par lequel ils s’engagent à refuser l’installation d’une centrale sur leur commune.
24La Plaine du Rhin, ses habitants et ses élus, s’imposent ainsi comme l’espace-cible du conflit qui oppose les autorités nucléaires aux militants du CSFR. Trois mois après la parution de la brochure Fessenheim Vie ou Mort de l’Alsace, EDF diffuse à son tour un document intitulé Fessenheim Source de prospérité pour l’Alsace53. On peut y lire que tout « comme la vigne a apporté la richesse dans le passé, la centrale de Fessenheim contribuera [à son tour] à la prospérité de l’Alsace54 ». Des photos de la « Plaine d’Alsace » et du « Ballon d’Alsace » illustrent des données chiffrées sur la radioactivité naturelle présente dans l’environnement de la centrale, au « sommet des Vosges » et dans la « plaine du Rhin55 ». La campagne de communication d’EDF se calque ainsi sur le périmètre du risque construit par ses opposants et auquel l’entreprise juxtapose désormais celui du rayonnement économique de l’installation. Contrairement à ce qui pourra être observé à Gravelines, le débat se joue néanmoins essentiellement par voie de presse, EDF refusant de participer au débat contradictoire réclamé par les responsables du CSFR à l’approche du démarrage des réacteurs56.
Entre limitation de l’espace-cible et absence de solidarités de proximité : la (non-) mobilisation des riverains comme entrave au développement du conflit gravelinois
25Dans le Nord en revanche, la focalisation sur la sauvegarde du patrimoine marin enserre la critique dans une controverse scientifique qui à la fois fixe l’enjeu du conflit sur le lieu d’implantation de la centrale et offre des opportunités concrètes de canalisation institutionnelle des critiques. Contrairement à ce qui a été observé à Fessenheim, la plupart des réunions d’informations recensées ont été organisées à Gravelines, ou sur le littoral proche. De la même manière, les manifestations se tiennent principalement sur la commune d’implantation de la future centrale.
26En 1975, tandis que le gouvernement annonce le lancement d’une consultation des élus locaux et régionaux, un mouvement de régionalisation de la contestation antinucléaire se dessine malgré tout. Aux côtés des membres du CAP et de la Fédération Nord Nature, plusieurs centaines de militants des Amis de la Terre, du PSU, de la CFDT et des différentes tendances d’extrême gauche traversent le centre de Gravelines pour rejoindre le chantier de construction où ils installent une maquette d’éolienne. La manifestation, qui a lieu en avril dans le cadre d’une semaine antinucléaire nationale, rassemble au total plus de 2000 manifestants sur le site57. Profitant de cet élan, un « Collectif régional anti-nucléaire » se constitue dans la foulée et décide d’organiser un nouveau défilé au mois de novembre. Annoncée dans la presse locale, la manifestation est intitulée « Gravelines ville morte ». Pour ses organisateurs, elle a « pour but essentiel de renforcer le contact avec la population de cette commune et, d’autre part, de symboliser la menace qui pèse sur le gravelinois58 ».
27Conformément au périmètre du risque qu’ils ont construit, l’enrôlement des riverains représente pour eux une condition indispensable au succès de la mobilisation contre la centrale. Ils demandent pour cela aux manifestants de faire du porte-à-porte afin d’inciter les gravelinois à se joindre à eux :
« Suivant le tempérament des gravelinois, ils ne descendront pas dans la rue s’ils sont seuls. […] Les marches doivent être très LENTES pour laisser le temps aux sonneurs de porte d’inviter les gens (maison par maison). Le service d’ordre portera des brassards avec le petit autocollant Gravelines, rouge59. »
28Dans leur compte-rendu de l’événement, les responsables du CAP se félicitent du millier de manifestants qu’ils sont parvenus à rassembler « malgré le temps froid et pluvieux » mais déplorent le « peu de gens du cru » que cette manifestation, pourtant « réservée à la population locale », a réussi à mobiliser60. Interpellés dans les slogans et sur les banderoles, les représentants des pêcheurs locaux sont absents du cortège. La profession, déjà lourdement impactée par les mutations économiques du secteur halieutique et la concurrence d’une activité industrielle en pleine expansion sur le littoral dunkerquois61, apparaît davantage réceptive aux arguments des aménageurs d’EDF qui promettent, lors des réunions locales d’information, que les rejets d’eaux chaudes de la centrale développeront l’arrivée d’espèces à forte valeur ajoutée, comme la crevette ou le homard.
29En effet, à l’inverse de ce qui se passe à Fessenheim, un processus de négociation territoriale s’entame rapidement entre EDF et ses interlocuteurs locaux. La présence d’Albert Denvers, qui cumule les mandats de député, de président du Conseil Général du Nord et de président-fondateur de la communauté urbaine de Dunkerque, joue un rôle considérable dans l’ouverture des discussions. En février 1974, un mois après le début des travaux de construction, il invite les membres du CAP à un débat contradictoire en présence du directeur adjoint de la région Nord et de deux attachés de direction d’EDF. En refusant de se prononcer pour ou contre la centrale, Albert Denvers adopte une position intermédiaire d’« associé-rival » et se sert des revendications portées par le CAP pour instaurer un jeu de « troc compensatoire62 » et négocier la participation des autorités publiques et d’EDF aux projets locaux d’aménagement de l’environnement. Lorsqu’en septembre 1975, le ministre de la Qualité de la vie se rend à Gravelines pour une visite de chantier, il invite en ce sens les élus de Dunkerque et de Calais63, ainsi que plusieurs membres de l’AGUR, dont le Président du CAP de Dunkerque, à venir exposer les différentes compensations environnementales attendues sur le littoral : « Vallée de l’Aa » à Calais, « cimetière paysager » à Gravelines, « Bois des Forts » le long du canal de Bergues ou encore « base littorale de loisirs et de nature » à l’Est de Dunkerque.
30Par son intermédiaire, les débats autour de la contribution économique d’EDF au développement local se précisent progressivement dans des projets de protection de l’environnement et d’aménagement du littoral bien définis. La défense du patrimoine marin sur laquelle se focalise en grande partie l’argumentaire antinucléaire dans le Nord fait l’objet dans ce contexte d’un processus de régulation institutionnelle avec EDF. Face aux critiques émises par ses opposants locaux, l’entreprise commande une série d’études pour évaluer l’écosystème littoral et mesurer les impacts potentiels des rejets thermiques de la centrale. En septembre 1974, plusieurs contrats sont signés avec le Centre national pour l’exploitation des océans (CNEXO) et l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM). L’objectif de cette commande est double : il s’agit d’une part d’établir un point 0 servant de démarrage à des études d’impacts ultérieures et, d’autre part, de dresser un inventaire faunistique du milieu marin64.
Illustration 3. La protection du patrimoine maritime gravelinois par EDF65

Source : Archives institutionnelles de l’IFREMER, « Surveillance écologique. Site de Gravelines, juillet 1979-octobre 1980 », 1982. Document consulté en ligne le 6 juin 2016.
31Ainsi, EDF devient un acteur à part entière du processus de patrimonialisation du capital maritime gravelinois. En 1979, l’entreprise est à l’initiative d’un colloque intitulé « Énergie nucléaire, eau et environnement ». Parmi les intervenants, on retrouve le président de la fédération Nord Nature qui avait lancé l’alerte pendant l’enquête d’utilité publique de 1973. Une partie de l’opposition locale à la centrale se retrouve de cette façon canalisée dans des structures institutionnelles de participation. Lorsqu’en 1978, l’ISTPM et le CNEXO rendent un avis défavorable à l’implantation d’une centrale nucléaire sur ce site, la construction des premiers réacteurs est achevée et on envisage déjà leur chargement. La « conquête » de Gravelines fait l’objet d’une ultime marche de quatre jours organisée au départ de Lille en 1980. L’avant-dernière étape, qui a lieu à Dunkerque, est le théâtre d’un conflit ouvert entre les marcheurs antinucléaires et leurs hôtes66, qu’ils jugent « passés à l’ennemi, collaborateurs notoires et vendus à Denvers67 ». Les pêcheurs locaux s’apprêtent quant à eux à signer un partenariat avec EDF pour la création d‘une société coopérative d’aquaculture utilisant les rejets d’eaux chaudes de la centrale pour l’élevage de bars et de daurades royales68.
Conclusion
32La comparaison des mouvements d’opposition à la construction des centrales de Gravelines et de Fessenheim témoigne de la pluralité des formes d’inscription de la contestation antinucléaire dans l’espace local. Sur chacun des sites observés, les conflits nucléaires trouvent leur expression à travers des cadrages et des répertoires d’actions spatialisés qui ressortent des diverses transactions à l’œuvre entre les entrepreneurs de cause présents dans la mobilisation et les ressources, matérielles ou idéelles, qu’offrent l’histoire et la géographie des lieux. En révélant la diversité des profils d’acteurs en présence, des mobiles de leur engagement et des stratégies d’accréditation qu’ils mettent en place pour faire valoir leur cause et tenter de rallier des soutiens, la comparaison des opérations de spatialisation du risque nucléaire offre dans le même temps des pistes intéressantes pour penser les trajectoires spatiales et temporelles de lutte à l’échelle locale. À Gravelines comme à Fessenheim, une correspondance directe a pu être observée entre le périmètre du risque construit et celui des identités collectives mises en jeu dans le conflit. L’observation des modes d’appropriation physiques et symboliques de l’espace du proche constitue de ce point de vue un élément de compréhension des modalités du « recrutement géographique69 » des participants à la mobilisation mais aussi des conditions dans lesquelles des formes de négociations institutionnalisées ont pu, ou non, se mettre en place en fonction des acteurs et des régimes de mobilisation concernés.
Notes de bas de page
1 La liste des sites retenus pour l’implantation des centrales est directement établie par Électricité de France (EDF), en collaboration avec le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et les constructeurs intéressés. La consultation des populations locales qui est menée dans le cadre dans des enquêtes d’utilité publique n’a pour sa part aucune valeur contraignante. À partir de 1973, EDF peut obtenir le décret d’autorisation de construction sans attendre la déclaration préalable d‘utilité publique. Voir Colson Jean-Philippe, Le nucléaire sans les Français. Qui décide ? Qui profite ?, Paris, Maspero, 1977.
2 Touraine Alain, Hegedus Zsuzsa, Dubet François et Wierviorka Michel, La prophétie anti-nucléaire, Paris, Seuil, 1980.
3 Ibid., p. 306.
4 Voir notamment Nelkin Dorothy et Pollak Michael, The Atom Besieged : Extraparliamentary Dissent in France and Germany, Cambridge, MIT Press, 1981 ; Kitschelt Herbert, « Political Opportunity Structures and Political Protest : Anti-Nuclear Movements in Four Democracies », British Journal of Political Science, no 1, vol. 16, 1986, p. 57-85 ; Rucht Dieter, « Campaigns, Skirmishes and Battles : Antinuclear Movements in the USA, France and Germany », Industrial Crisis Quartrly, no4, 1990, p. 193-222.
5 Combes Hélène, Hmed Choukri, Mathieu Lilian, Siméant Johanna et Sommier Isabelle, « Observer les mobilisations. Retour sur les ficelles du métier de sociologue des mouvements sociaux », Politix, no 93, 2011, p. 21.
6 On peut mentionner les travaux de Charles Tilly sur la Vendée contre-révolutionnaire (Charles Tilly, La Vendée : révolution et contre-révolution, Paris, Fayard, 1970) et ceux de Nicole Mercier et Denis Segrestin sur la grève ouvrière d’Alsthom-Belfort (Mercier Nicole et Segrestin Denis, « L’“effet territoire” dans la mobilisation ouvrière. Essai d’analyse de situation complexe », Revue française de sociologie, no 24-1, 1983, p. 61-79).
7 Citons en particulier l’enquête réalisée par Byron Miller sur le mouvement antinucléaire à Boston (Miller Byron A., Geography and Social Movements. Comparing Antinuclear Activism in the Boston Area, Minneapolis-London, Minnesota University Press, 2000).
8 Voir Sewell William H. , « Space in Contentious Politics », in Aminzade Ronald R. et al. (éd.), Silence and Voice in the Study of Contentious Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 51-88 et Hmed Choukri, « Espace géographique et mouvements sociaux » in Filleule Olivier, Mathieu Lilian et Pechu Cécile (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 220-227.
9 Ibid., p. 224.
10 Voir notamment Cattedra Raffaele et Idrissi-Janati Mohamed, « Espace du religieux, espace de citadinité, espace de mouvement : les territoires des mosquées au Maroc », in Bennani-chraïbi Mounia et Filleule Olivier (dir.), Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 127-175 ; Hmed Choukri, « Des mouvements sociaux “sur une tête d’épingle” ? Le rôle de l’espace physique dans le processus contestataire à partir de l’exemple des mobilisations dans les foyers de travailleurs migrants », Politix, no 84, 2008, p. 145-165 ; Combes Hélène, Garibay David et Goirand Camille (dir.), Les lieux de la colère. Occuper l’espace pour contester de Madrid à Sanaa, Paris, Karthala, 2015.
11 Contrairement aux réacteurs de première génération (dont le refroidissement se faisait par du gaz carbonique), les réacteurs à eau pressurisée (REP) assurent leur réfrigération par le pompage d’eaux froides. Le type de circuit de refroidissement diffère alors en fonction du débit de la source hydraulique utilisée. Si celui-ci est trop faible, il est nécessaire de construire des tours réfrigérantes qui permettent de rejeter l’eau dans l’air sous forme de vapeur. Dans le cas contraire, l’eau utilisée peut être directement rejetée à la source en fin de cycle. On parle alors de « circuit ouvert » comme c’est le cas à Gravelines et à Fessenheim.
12 Arrêté en Conseil des ministres le 6 mars 1974, ce plan prévoit la construction de soixante réacteurs sur les dix années qui suivent et marque l’entrée de la France dans la politique du « tout-nucléaire ».
13 Pour un point de vue approfondi sur l’élaboration du programme électronucléaire français, voir notamment Hecht Gabrielle, Le rayonnement de la France, énergie nucléaire et identité nationale après la seconde guerre mondiale, Paris, La Découverte, 2004 et Topçu Sezin, La France nucléaire. L’art de gouverner une technologie contestée, Paris, Seuil, 2013.
14 Ce chapitre s’inscrit dans le prolongement d’un travail de thèse de science politique portant sur les trajectoires socio-spatiales de la contestation antinucléaire des années 1930 jusqu’à aujourd’hui. Les sites de Gravelines et de Fessenheim ont dans ce cadre fait l’objet d’une enquête de terrain approfondie visant à comparer la diversité des formes d’enracinement local du problème nucléaire amorcé au tournant des années 1970. De par la période historique qui nous intéresse ici (1970-1980), les sources écrites (archives associatives, institutionnelles et presse locale) représentent la majorité des matériaux mobilisés. La plupart ont été directement récoltées à l’occasion d’entretiens effectués avec les leaders de la contestation de l’époque ou par l’intermédiaire de correspondances écrites.
15 Pour plus d’éléments sur l’intégration du concept d’« échelle » à l’analyse de la transnationalisation de l’action collective, voir notamment Tarrow Sidney et Mac Adam Doug, « Scale Shift in Transnational Contention », in Della Porta Donatella et Tarrow Sidney (dir.), Transnational Protest and Global Activism, Lanham (Md) : Rowman and Littlefield, p. 121-147 et Masson Dominique, « Politique(s) des échelles et transnationalisation : perspectives géographiques », Politique et Sociétés, no 1, vol. 28, 2009, p. 113-133.
16 Boudia Soraya et Henry Emmanuel (dir.), La mondialisation des risques. Une histoire politique et transnationale des risques sanitaires et environnementaux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 9.
17 Découpé en trois volumes, l’ouvrage de Lawrence Wittner offre l’un des points de vue les plus complets et approfondis sur la diversité des acteurs et des régimes de mobilisation qui traversent le mouvement de contestation du nucléaire militaire depuis le milieu des années 1940 jusqu’au début des années 2000. (Wittner Lawrence S., The Struggle Against the Bomb. Volume One. One World or None : a History of the World Nuclear Disarmement Movement Throught 1953, Stanford, Stanford University Press, 1993 ; Wittner Lawrence S., The Struggle Against the Bomb. Volume two. Resisting the Bomb : A History of the World Nuclear Disarmement Movement, 1954-1970., Stanford, Stanford University Press, 1997 et Wittner Lawrence S., Toward Nuclear Abolition : A History of the World Nuclear Disarmement Movement, 1971 to the Present, Stanford, Stanford University Press, 2003).
18 Borraz Olivier, Les politiques du risque, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 61.
19 Lecourt Arnaud, Les conflits d’aménagement : analyse théorique et pratique à partir du cas breton, thèse de doctorat en géographie préparée sous la direction de Guy Baudelle, soutenue à l’université Rennes 2 le 4 décembre 2003, p. 37.
20 L’« horloge de la fin du monde » illustre à partir de 1947 le Bulletin of the Atomic Scientists. Les aiguilles de la pendule avancent ou reculent en fonction de l’état de la menace qui plane sur la sécurité internationale.
21 En France, ce mouvement est représenté par le collectif des « Citoyens du Monde » qui forme, aux côtés du « Mouvement de la Paix » et de son homologue anti-communiste « Paix et Liberté », l’une des principales déclinaisons hexagonales de la revendication pacifiste.
22 Pour Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky, le recours à ce mode d’action traditionnel du répertoire de l’action religieuse et non-violente permet de « mettre les territoires en mouvements » pour « échapper, symboliquement, au tracé des frontières officielles » (Pigenet Michel et Tartakowsky Danielle, « Les territoires de mouvements sociaux. Les marches aux xixe et xxe siècles », Le Mouvement social, no 202, 2003, p. 3-13).
23 Chateauraynaud Francis et Torny Didier, Les sombres précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999, p. 201.
24 Après avoir travaillé comme secrétaire multilingue pour l’Assemblée mondiale des peuples, Esther Peter Davis s’est engagée contre l’occupation française en Algérie où elle a séjourné plusieurs mois au début des années 1950. En 1959, tandis qu’elle poursuit une carrière de fonctionnaire à la direction de l’Environnement du Conseil de l’Europe, elle prend part à la marche internationale qui est organisée en direction de Reggane par le Comité d’action non-violente (CNVA). Elle devient par la suite secrétaire du Mouvement des Citoyens du monde fondé par Garry Davis, qu’elle épouse quelques années plus tard.
25 Cette association a été fondée par Jean Pignero pour alerter la communauté enseignante sur les dangers de l’exposition aux rayonnements ionisants. Créée en 1962, l’ACDR est rebaptisée en 1966 Association pour la protection contre les rayonnements ionisants (APRI).
26 Esther Peter Davis présente également à Jean-Jacques un ancien technicien du centre d’enrichissement d’uranium de Pierrelatte (Drôme) qui devient, avec son épouse, le quatrième couple fondateur du CSFR.
27 En bas à gauche, la légende précise que le microclimat local favorisera la dispersion de la pollution atmosphérique recrachée par les faisceaux de fumée des tours réfrigérantes. Nous avons vu que le débit des eaux du Rhin permet en réalité d’éviter la construction de telles tours. Cette confusion peut s’expliquer par le manque d’informations précises sur les plans de la centrale Haut-Rhinoise dont disposent les auteures de la brochure au moment de sa rédaction. Il faut noter cependant que le CSFR n’a pas ajouté d’explications supplémentaires depuis, et a maintenu le schéma et sa légende dans l’état lors des rééditions suivantes de la brochure.
28 Délimitée par les frontières naturelles du massif des Vosges à l’Ouest, de la Forêt-Noire à l’Est et du Jura au Sud, la « Plaine du Rhin » concentre d’importants centres urbains (Strasbourg, Colmar, Mulhouse, Fribourg, Bâle) mais aussi des terres viticoles et céréalières qui s’étendent de part et d’autre du couloir rhénan.
29 Traïni Christophe (dir.), Émotions… Mobilisation !, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
30 Correspondance écrite avec Jean-Jacques, président du CSFR, lettre du 19 août 2016. À nouveau, on constate ici une confusion dans l’explication apportée pour justifier l’extension de la zone d’impact. En se référant aux rejets atmosphériques de la centrale de Cattenom, le président du CSFR commet en effet un anachronisme puisque la décision d’implanter une centrale nucléaire sur le département voisin de la Moselle date de 1978. On peut souligner par ailleurs que la défense des eaux du Rhin n’offre en réalité que peu de ressources argumentatives pour les opposants à la centrale de Fessenheim. Déjà fortement touché par l’industrialisation qui jalonne son histoire depuis le début du xixe siècle, son écosystème est ravagé. On le surnomme le « cloaque de l’Europe » ou le « fleuve mort ».
31 Notons sur ce point qu’à Fessenheim, EDF est déjà propriétaire des terrains prévus pour l’installation de la future centrale, acquis par l’entreprise au moment de la construction de sa centrale hydroélectrique.
32 Cf. Castells Manuel et Godard Francis, Monopolville. Analyse des rapports entre l’entreprise, l’État et l’urbain à partir d’une enquête menée sur la croissance industrielle et urbaine de la région de Dunkerque, Paris, Mouton, 1974.
33 Élu maire de Gravelines en 1947, Albert Denvers est remplacé dans ses fonctions par son épouse entre 1965 entre 1977. Il revient ensuite à la tête de la municipalité qu’il quitte, à quatre-vingt-dix ans, en 1995. Nous détaillerons un peu plus bas l’influence que cette figure centrale de la scène politique et associative locale exerce dans la résolution du conflit gravelinois.
34 Situé entre Dunkerque et Gravelines sur la commune de Loon-Plage, le site accueille plusieurs espèces d’oiseaux migrateurs.
35 Comme le montre Isabelle Estienne dans son travail sur la création des agences d’urbanisme de Lille et de Dunkerque, la prise en compte de ces questions environnementales au début des années 1970 s’intègre principalement dans une réflexion en termes de compensations quantitatives et qualitatives à l’aménagement des zones industrielles et urbaines. En découle une représentation essentiellement technique et fonctionnelle du territoire qui se retrouve dans l’utilisation d’un vocabulaire relevant davantage du « zoning » (« espace vert », « ceinture verte », « poumon vert ») que de la valorisation d’un patrimoine local particulier (Estienne Isabelle, « Questions paysagères et paysagistes dans les agences d’urbanisme : les exemples de Lille et Dunkerque », Territoire en mouvement. Revue de géographie et aménagement [en ligne], no 2, 2007, article consulté le 6 juin 2016, p. 89).
36 Créée à Lille en 1970, cette association regroupe des scientifiques de l’université des sciences et technologies, ainsi que plusieurs naturalistes « de terrain » qui lancent l’alerte sur les problématiques environnementales de la région.
37 Archives de la Fédération Nord Nature, consultées en octobre 2014.
38 Pinte Jean, La géante. Une histoire de la centrale nucléaire de Gravelines, EDF Centre nucléaire de production d’électricité de Gravelines, 2005, p. 14.
39 Jobert Arthur, « L’aménagement en politique. Ou ce que le syndrome Nimby nous dit de l’intérêt général », Politix, no 42, vol. 11, 1998, p. 67-92.
40 En avril 1975, une réunion d’information sur l’empoisonnement de la mer est également organisée à Dunkerque par les responsables du CAP et de la Fédération Nord Nature. Ils invitent à cette occasion des représentants des pêcheurs du Havre et un chercheur de l’Institut océanographique de Monaco. Nous développerons un peu plus bas les stratégies d’intéressement mises en place par EDF pour renverser le stigmate des rejets d’eaux chaudes de la centrale et obtenir leur soutien.
41 Segrestin Denis, « Les communautés pertinentes de l’action collective. Canevas pour l’étude des fondements sociaux des conflits du travail en France », Revue française de sociologie, 1980, no 2, vol. 21, p. 171-202.
42 Pour le dire autrement, « les communautés [de référence] ne définissent pas essentiellement des groupes d’intérêts, mais plutôt le mode plus ou moins obligé de participation à la conscience collective » (ibid., p. 179). Cette notion, telle qu’elle est mobilisée ici, ne prétend donc pas refléter les conditions objectives de structuration sociale des conflits - dont nous avons rappelé en introduction l’hétérogénéité croissante – mais la manière dont la désignation de ces mêmes communautés se retrouve convoquée dans le conflit, à la fois comme support rhétorique d’identification et d’intégration du groupe mobilisé. Denis Segrestin distingue de ce point de vue la notion de « communautés de références » de celle de « communautés concrètes » de mobilisation.
43 Sur cette période, le nombre de manifestants augmente considérablement, allant jusqu’à rassembler 10000 personnes à l’occasion d’un rassemblement international organisé à Fessenheim en mai 1975 par un collectif regroupant des associations françaises, allemandes et suisses.
44 Lecourt Arnaud, op. cit., p. 37.
45 Segrestin Denis, art. cité, p. 198.
46 Le tracé naturel des frontières qui encerclent la plaine du Rhin ferait donc écran à l’éclatement morphologique et social qui existe en son sein. Le rôle conféré ici à l’espace dans la construction des solidarités militantes rappelle également la définition que donne Denis Retaillé du territoire comme construit capable de « réduire les distances à l’intérieur et [d’]établir une distance infinie avec l’extérieur » (Retaille Denis, Le monde du géographe, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 116).
47 Le Bart Christian, « Le leadership territorial au-delà du pouvoir décisionnel », in Smith Andy et Sorbets Claude (dir.), Le leadership politique et le territoire. Les cadres d’analyse en débat, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 159.
48 Debarbieux Bernard, « Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique », Espace géographique, tome 24, no 2, 1995, p. 97-112.
49 Ionix, revue militante du CSFR, no 11, deuxième trimestre 1975.
50 De son côté, le conseil municipal de Fessenheim, qui fait déjà l’expérience des retombées économiques de la centrale hydraulique implantée sur la commune, se prononce favorablement à l’accueil du nouveau projet d’EDF.
51 Certains prennent position contre l’implantation d’une centrale sur leur commune, d’autres exigent la mise en place de mesures de sécurité complémentaires.
52 On retrouve ici la référence au Serment de Strasbourg, symbole de l’amitié franco-allemande.
53 Le service des relations publiques d’EDF est créé en 1971.
54 EDF, « Fessenheim. Source de Prospérité pour l’Alsace », Paris, 1971, p. 2. Malgré son titre, ce document d’une cinquantaine de pages ne consacre qu’une demi-page à la présentation des différentes retombées économiques de la centrale. Celles-ci concernent principalement le nombre d’emplois potentiels, la péréquation et le montant des taxes n’étant pour leur part pas précisés. Le reste du texte expose des précisions techniques sur le fonctionnement des centrales et les mesures de protection mises en place par l’entreprise.
55 « Au sommet des Vosges, [elle] est de 300 millirems par an et dans la plaine du Rhin de 125 millirems seulement. Dans ce milieu naturel, la centrale de Fessenheim apporte moins d’un millirem par an. » (Ibid., p. 10.)
56 . La demande de dialogue avec les responsables d’EDF et les autorités publiques en charge de l’aménagement de la centrale cristallise au fur et à mesure les revendications des responsables du CSFR, qui sont contraints de s’asseoir dans le public lors des conférences données par EDF. En 1975, ils envoient une lettre au ministre de l’Industrie, au maire de Fessenheim et au directeur général d’EDF pour réclamer l’organisation de ce débat dans la salle des fêtes de Fessenheim. Leur demande, qui est relayée par les nombreuses associations rassemblées à Fessenheim le 25 mai, obtient un nouveau refus de la part d’EDF, l’entreprise jugeant que les « sujets ont déjà été traités » et ne peuvent être débattus « que dans un climat de sérénité » (Les Dernières Nouvelles d’Alsace, article du 18 juin 1975).
57 La précédente manifestation, organisée par le CAP en janvier 1974, était parvenue à rassembler sur la place de Gravelines un peu moins de 150 personnes.
58 « Le collectif régional antinucléaire prépare 2 grandes manifestations », La Voix du Nord, article du 19 octobre 1975.
59 « Réunion du collectif régional du mouvement antinucléaire – 27 octobre », Archives de l’ADELFA (documents consultés en novembre 2013).
60 CAP, « Rapport Moral 1976 – 1977 », Archives de l’ADELFA (documents consultés en novembre 2013).
61 À Gravelines, la flotte réservée à la pêche côtière comportait soixante-dix bateaux au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il en reste moins d’une cinquantaine à la fin des années 1970 (et plus que cinq au début des années 1990). Outre les difficultés structurelles du secteur, de nombreuses récoltes ont été contaminées par le rejet en mer de bioxyde de titane par l’usine Tioxide de Calais, implantée à une vingtaine de kilomètres de Gravelines. Un procès est en cours entre les marins-pêcheurs gravelinois et l’entreprise calaisienne au début des années 1970.
62 Jobert Arthur, art. cité, p. 80.
63 Quelques mois après l’annonce de l’arrivée d’une centrale nucléaire à Gravelines, il propose également la création d’un Syndicat Mixte d’étude pour l’aménagement du littoral Calais-Dunkerque (SECADU) permettant d’associer les communes de l’Ouest aux projets de développement du territoire. La Communauté urbaine de Dunkerque associe les communes situées à l’est de Gravelines.
64 Ces études seront rendues par la suite obligatoires sur tous les sites nucléaires fonctionnant en circuit ouvert. Entre 1974 et 1978, le budget qui leur est alloué passe de 24 à 58 millions d’euros. Elles donnent naissance au programme IGA (Impact des Grands Aménagements) créé en 1978. Aujourd’hui encore, le CNPE de Gravelines emploie soixante personnes à temps-plein pour surveiller l’environnement. C’est beaucoup plus que sur les autres sites.
65 Quintin Jean-Yves et Bordet F., « Surveillance écologique et halieutique des sites de centrales nucléaires littorales : évaluation et perspectives », Hydroécologie Appliquée, vol. 8, 1996, p. 87.
66 Le CAP rejoint le Réseau des Amis de la Terre en 1980.
67 « Aux groupes écologistes et non-violents de la région Nord-Pas-de-Calais », lettre rédigée par un membre des Amis de la Terre Dunkerque, Archives de l’ADELFA.
68 Créée en 1982, il s’agit aujourd’hui de la plus grande ferme aquacole d’Europe.
69 Hmed Choukri, « Espace géographique et mouvements sociaux », art. cité, p. 225.
Auteur
-
Justine Lenoire
Justine Lenoire
Doctorante en science politique au CERAPS (université de Lille 2). Son travail de thèse porte sur une comparaison des formes de « mobilisation » et « non-mobilisation » autour des centrales nucléaires françaises. Une attention particulière est prêtée pour cela à la question des modalités de construction et d’encadrement du risque nucléaire à l’échelle locale.
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