Conclusion. Des singularités de la célébrité en politique
p. 191-201
Texte intégral
1Le président des États-Unis serait-il devenu celebrity in chief comme le suggère le journaliste Kenneth Walsh ? Dans un livre au titre éponyme, il étudie le rôle de la culture de la célébrité dans la vie politique américaine, et notamment à la Maison Blanche (Walsh, 2015). Si Barack Obama s’inscrit dans une lignée assez classique de présidents largement célébrés par les Américains, à l’image de ses prestigieux prédécesseurs Roosevelt, Kennedy, Reagan ou Clinton, l’élection de Donald Trump soulève une autre facette de cette liaison entre politique et culture de la célébrité. Elle semble témoigner d’un radical renversement des valeurs. Pendant longtemps, l’accès à la compétition politique se traduisait par une indiscutable plus-value de notoriété. Sans avoir disparu, ce mécanisme s’est modifié : la notoriété est devenue une ressource indispensable dans la conquête du pouvoir comme paraît l’attester l’élection de Donald Trump.
2Largement dépourvu de ressources politiques et institutionnelles, rechignant par ailleurs à puiser dans sa fortune personnelle pour financer sa campagne électorale, Donald Trump va mobiliser cette ressource immatérielle qu’est sa célébrité pour s’imposer dans la confrontation politique. Cette célébrité est adossée à la « marque Trump » qui repose sur deux piliers majeurs : d’une part une – apparente – réussite immobilière qui s’affiche de façon ostentatoire et insolente sur la Trump Tower, réussite largement exhibée qui légitime à la fois son discours managérial et ses promesses économiques ; d’autre part une notoriété liée à sa participation pendant de nombreuses années comme acteur clé d’une émission de télé-réalité, The Apprentice.
3Cette célébrité acquise va servir à Donald Trump de rampe de lancement. Outre les plus-values en termes de visibilité, il importe dans le champ politique les méthodes de la téléréalité – agressivité, réactivité, sens de la formule et du spectacle. Insultes, moqueries et railleries (souvent sur le physique de ses rivaux) alimentent sa logorrhée et concourent à construire une forme d’ethos viril. Ses apparitions pendant la campagne des primaires puis présidentielle relèvent du show et de la performance scénique. S’il semble n’avoir jamais envisagé sérieusement sa victoire, sa participation à l’élection devait servir ses intérêts médiaticofinanciers. Selon Michael Wolff, Trump, encouragé par son ami Roger Ailes, qui soutenait que si on veut faire carrière à la télévision il faut d’abord devenir candidat à la présidence, commence à faire circuler des rumeurs concernant la création d’un futur réseau de chaînes de télévision Trump : « Il assure à Ailes qu’il va sortir de cette campagne avec une marque Trump encore plus puissante encore, et riche de nombreuses opportunités : “C’est encore plus fort que je ne l’imaginais” avoue Trump à une semaine du scrutin. “Je ne pense pas à la défaite parce que je ne vais rien perdre, j’ai déjà tout gagné.” Sa rhétorique est d’ailleurs déjà rôdée et son discours de défaite tient en peu de mots : “On m’a volé m’a victoire” » (Wolff, 2017 : 21). Dans cette lecture, « Trump sera l’homme le plus important du monde, un martyr d’Hillary la véreuse » (Wolff, 2017 : 29). Dès lors, l’accès de Trump à la présidentielle devient une formidable caisse d’amplification et dévoile la logique circulaire et démultiplicatrice de la célébritisation.
4Son improbable victoire ne saurait s’expliquer évidemment par la seule magie de cette célébrité qu’il a su instrumentaliser. Elle nécessite la mobilisation de multiples variables. Parmi celles-ci on peut citer le rôle prééminent joué par quelques États (les swings states), le mode de scrutin via les grands électeurs qui permet à Trump de l’emporter avec pourtant un déficit de près de 2 millions de voix sur sa rivale ou encore l’abstention massive des Afro-Américains qui s’étaient mobilisés pour Barack Obama sans le faire pour Hillary Clinton.
5Loin d’être un simple épiphénomène, le cas Trump constitue un bon analyseur pour appréhender cette « nouvelle économie politique de la célébrité » qui s’est imposée dans les sociétés occidentales. Celle-ci impose de prendre en compte certaines évolutions – plus que révolutions : l’inflexion peopolitique qui s’est cristallisée depuis le tournant des années 2000, mais aussi les mutations des conditions d’accès au champ politique et le rôle que peut jouer la célébrité dans cette forme relativement nouvelle d’assomption politique. À cet égard, les acteurs politiques sont des « figures en tension » prises dans un écheveau de contraintes à la fois politiques et médiatiques.
Quelle peopolisation des politiques ?
6Retracer les vicissitudes de la mise en visibilité des politiques ne saurait donc faire l’impasse sur cette question de la peopolisation. La notion mérite toutefois d’être utilisée avec précaution, et cela au moins pour trois raisons.
7La première tient au fait que le terme recèle souvent une connotation normative visant à stigmatiser le personnel politique. Il fait écho aux dénonciations récurrentes de la « politique spectacle » ou de l’État-spectacle (Schwarzenberg, 1977, 2009) et de ses « excès », opposant un idéal du fonctionnement politique dépersonnalisé (qui, dans les faits, n’a jamais existé) à une modernité définie négativement : la noblesse de l’activité politique perdrait ainsi à se montrer sous des formes empruntant à la culture populaire, dévoilant l’intime et le privé (même si les pratiques de personnalisation sont bien antérieures à l’apparition d’une culture de masse).
8La seconde raison renvoie à un processus qui, souvent désigné sous le terme peopolisation, est en grande partie un produit de la démocratisation. La présence de plus en plus forte des politiques dans les médias sous des formes qui les rapprochent des people1 (personnalités célébrées par la culture populaire) est liée à un contexte où les acteurs politiques s’appuient sur des compétences de plus en plus techniques (connaissance des dossiers, capacité à les traiter, politiques publiques de grande envergure et dominées par des abstractions) qui renvoient aux transformations du recrutement d’élites politiques ajustées à la professionnalisation et la technicisation du métier politique. De ce fait, le crédit à acquérir ne peut s’appuyer sur la mise en valeurs de qualités personnelles aussi extraordinaires qu’auparavant : la stabilité psychologique ou conjugale alliée aux vertus domestiques peuvent apparaître dès lors comme des atouts pour un homme d’État. La candidature de François Hollande en 2012 est symptomatique : en se présentant comme un président normal, il entendait s’opposer à la fois à Nicolas Sarkozy et à son hyperprésidence mais il vantait également la normalité comme qualité adaptée à la figure du chef d’État responsable. Ces éléments de construction de la célébrité peuvent sans doute plus facilement servir aujourd’hui de ressources – parmi d’autres – et être mobilisées dans les combats électoraux comme dans la gestion quotidienne des affaires d’État.
9Enfin, troisième raison, la notion de peopolisation, apparue dans les années 2000, conduit à plusieurs confusions historiques. Médiacentrée, elle tend à imposer l’idée d’une rupture dans le mode de fonctionnement du champ politique (en lien notamment avec l’apparition de supports – une presse qualifiée souvent de « people » exploitants spécifiquement la célébrité des personnalités publiques – dont les politiques) alors que le phénomène relève de continuités historiques plurielles. En effet, la mise en scène de l’intimité des acteurs politiques était déjà présente dans l’entre-deux-guerres en France. Elle a aussi connu une forme d’exacerbation sous la présidence Pompidou. De multiples indices témoignent de ce tournant, le couple posant à plusieurs reprises en couverture de Paris Match (21 juin 1969 puis 14 février 1970) avant de rompre avec la pratique d’un pouvoir lointain et inaccessible, en acceptant de jouer la carte de la modernité et de la proximité. Ils autorisent alors les caméras de télévision à les filmer dans leur intimité. Diffusé le 21 avril 1970, le documentaire – « Adresse Élysée » – égrenait la topographie pompidolienne et certains instantanés de la vie privée du couple, à Carjac dans le Lot, où Pompidou travaillait ses discours et se consacrait à sa famille, au palais de l’Elysée ensuite, dans leurs appartements, à Orvilliers enfin, dans leur maison de campagne (Delporte, 2008 : 44).
10Contre l’idée d’une rupture radicale, il est plutôt possible d’identifier trois transformations majeures. La première porte sur l’évolution – lente – des frontières privé-public et la naissance d’un impératif de transparence des personnes et des personnalités, toutes choses déjà bien identifiées par Richard Senett dans Les tyrannies de l’intimité dès la fin des années 1970 (Sennett, 1979).
11La seconde affecte les règles de la vie sociale qui conditionnent les conduites publiques à l’origine de nouvelles mises en tension de l’autocontrôle et de la monstration des affects (Elias, 1973, 1974 ; Wouters, 2007). Alors que le processus de « civilisation des mœurs » est en marche et fonctionne comme une autocontrainte, la retenue qui tend à peser sur les comportements publics (civilité, politesse) s’articule à « l’informalisation » (Wouter, 2007) qui autorise des formes d’expression codifiées des émotions et des sentiments, On pourrait dire ainsi qu’on assiste au fil du temps, et alors que les contraintes de la « civilisation » sont intégrées, à une transformation des manières légitimes « d’être soi » en public et « d’idéal du moi » dont le narcissisme moderne, tel qu’il se déploie désormais dans les médias, pourrait constituer une nouvelle étape.
12La troisième caractérise la relation des médias avec l’activité politique2 et les façons de traiter la politique3. Ces transformations touchent à la fois les cadres, les formats et les mises en récit de la politique, elles ne sauraient se résumer dans la description de ce qu’on entend d’ordinaire sous le terme de « peopolisation ». Les « pages politiques » des publications sur papier, déjà largement transformées depuis la fin de la seconde guerre mondiale (Kaciaf, 2013), s’inscrivent à partir de la fin du xxe siècle dans un continuum informationnel constitué par les autres médias, et qui ne les distingue parfois peu (ou en tout cas de moins en moins nettement) d’autres rubriques, sujets et traitements. Les personnalités politiques, sans pour autant devenir toutes et de façon uniforme « des peoples comme les autres », prennent place dans le grand théâtre médiatique avec leurs particularités, leurs logiques propres de concurrence et d’individualisation (Le Bart, 2013) que les analyses présentées dans cet ouvrage s’attachent à préciser.
13L’intérêt pour une rupture dans les formes (l’apparition de la mise en scène de la vie domestique dans la presse et la mise en visibilité grandissante à travers la presse dite people, plus récemment) passe donc sous silence les évolutions sociales lentes et continues du rapport à la civilisation (au sens que donne Elias à ce mot), auquel renvoie l’intérêt de plus en plus fort pour les personnes – en tant que telles – qui incarnent la vie politique.
14Toutefois, si le concept de peopolisation reste ainsi discutable, les réalités visibles auxquelles il renvoie ne sauraient pour autant être négligées. L’exposition de la vie privée et la mise en scène de l’intimité sont devenues des données structurelles du champ politique plus qu’un choix de personnalités comme le montrent les cas – antinomiques – de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, l’un jouant avec plus ou moins de succès la carte de la peopolisation promotionnelle, l’autre subissant les revers d’une peopolisation intrusive et offensive.
15Mais surtout, parce qu’elle reste trop souvent exclusivement associée au domaine des supports de la célébrité (la presse échotière souvent nommée presse people), la notion de peopolisation risque de minorer l’importance des modifications advenues, à la fois dans le champ politique (et qui renvoient aux mutations de l’activité politique elle-même, aux modifications des ressources mobilisables comme aux stratégies de présentation de soi) comme dans le champ médiatique où le traitement people de la vie politique est bien devenue une catégorie « transmédiatique ».
Ni « Stars », ni « Olympiens »
16Toute occupation d’un poste politique est génératrice d’une visibilité qui peut être exploitée par son titulaire. Cette visibilité est évidemment corrélée soit à l’importance du domaine confié à son détenteur (par exemple celle des différentes attributions dont un ministre à la charge et bien sûr la nature de son poste – les ministères régaliens occupant une place à part), soit à l’importance de son rôle au sein de l’univers politique (responsable de parti). Tous ces éléments doivent par ailleurs être croisés avec des facteurs conjoncturels : l’importance prise par un domaine, sa « mise à l’agenda », la permanence d’une question dans l’actualité sans négliger tout un ensemble de variables liées à la conduite et aux dispositions du titulaire d’un poste qui l’amèneront à occuper une place plus ou moins grande en multipliant les interventions et en apparaissant, parfois involontairement, dans les médias.
17La mise en avant de certaines personnalités peut aussi répondre à une logique comparable à celle du casting d’une production artistique. Il s’agit alors de faire le choix d’individus susceptibles d’incarner à travers leur image publique, des groupes sociaux, des communautés, ou des valeurs, et de mettre en avant ces caractéristiques comme autant de signes livrés à l’interprétation des journalistes4. On peut ainsi s’interroger sur l’émergence récente de femmes censées être l’incarnation à la fois d’une féminisation visible voire ostentatoire conçue comme une réponse à des pressions médiatiques et sociétales (par exemple en France avec les « jupettes » qui, de mai à novembre 1995, incarnèrent la féminisation du recrutement politique) et où certaines promues concentraient en une même personne plusieurs marqueurs distinctifs et symboliques (femmes, féminité, minorité visible, réussite conforme à « l’élitisme républicain », etc.).
18Cette personnalisation du jeu politique joue évidemment un rôle crucial au moment où s’impose une doxocratie (Julliard, 2007) ou une « démocratie du public » qui modifie les règles de fonctionnement du jeu politique et le rapport à la célébrité comme le souligne Bernard Manin pour qui « élire consiste à choisir des individus connus. Pour être élu, un candidat doit nécessairement attirer l’attention des électeurs. Il doit être remarquable (ou éminent) et présenter un certain relief par rapport à l’ensemble des autres citoyens » (Manin, 1996 : 182). Cette injonction contraint les acteurs politiques à jouer le jeu de la médiatisation afin d’exister directement auprès de l’opinion en puisant en eux-mêmes les ressorts et les éléments d’une possible célébrité, adossée moins à l’exemplarité qu’à la singularité, et cultivant l’écart distinctif plus que la conformité (au rôle). Courtcircuitant les modes traditionnels de légitimation – via les partis politiques, les institutions et l’adoubement par les pairs –, les professionnels politiques doivent opérer un grand roque politico-médatique qui privilégie la consécration par le succès (ou la sanction) du public via des stratégies de présentation et d’exposition de soi dans les médias.
19Ces logiques ne sauraient toutefois faire oublier sa nécessaire articulation avec des éléments moins visibles et pourtant structurants de l’activité politique. En effet, dans leur très grande majorité, l’explication des conduites individuelles des politiques relève, pour ce qui est de la célébrité, d’une approche utilitariste et instrumentale (au risque de n’être autrement qu’une célébrité inutile5) à l’intérieur d’une sphère d’activité aux règles particulières.
20Si on rapproche l’univers politique de celui de la culture populaire de grande diffusion, la mise en visibilité du personnel politique emprunterait à la fois aux Olympiens (placé dans une position et un rôle générateurs de célébrité, par le biais de la médiatisation de la politique) selon l’analyse de Violette Morin (1963) et aux « stars » (travaillant leur mise en visibilité dans un espace concurrentiel (Morin, 1957). Mais elles s’en distingueraient aussi très nettement du fait des spécificités du métier politique. Les évolutions analysées depuis Weber tendent en effet à souligner la fermeture de l’espace politique du fait d’une activité de plus en plus spécialisée, liée à une forte bureaucratisation ainsi qu’à un recrutement formellement ouvert mais nettement élitiste, avec un niveau élevé de professionnalisation de l’activité autour de savoir-faire spécifiques.
21En même temps, le système démocratique soumet dans son principe non seulement à l’approbation formelle de la reproduction du système (élites sélectionnées et promues par les partis politiques), mais aussi départage les candidats à l’accession aux postes de pouvoir par des logiques dans lesquelles interviennent et sont mises en avant l’évaluation (par les médias et les citoyens), de la capacité à incarner le pouvoir et représenter (aux multiples sens du mot) les électeurs (Monod, 2012). Dès lors, la dimension publique du métier politique n’est pas forcément la plus essentielle puisqu’elle ne peut le plus souvent qu’intervenir qu’une fois conquise une position médiatisée.
Relâchement et contraintes de rôle : être semblable et manifester des capacités supérieures
22Le concept de rôle6 vient souligner que le métier politique s’exerce dans un univers de fortes contraintes dont les marges de manœuvre individuelles sont limitées et où les écarts et transgressions peuvent être sanctionnés. À l’inverse, le travail de mise en valeur individuel rendu nécessaire par la concurrence croissante entre les personnes et les figures publiques des personnalités (Le Bart, 2013) incite fortement les politiques à sortir du cadre du seul rôle ou à le réinterpréter en se risquant à des hiatus.
23Dans un contexte caractérisé par une désaffection de citoyens à l’égard du vote comme de l’engagement militant ainsi que par une multiplication des critiques émanant du personnel politique (et co-produites par les électeurs comme par les analystes médiatiques de la politique) la réduction de la distance (par l’instrumentalisation de la proximité, de la transparence ou de dispositifs mettant en scène l’écoute et la compréhension des citoyens) peut apparaitre comme une réponse à ces problèmes tout en allant bien souvent à l’encontre du cadrage définissant le rôle.
24On retrouve ainsi, mais sous une forme exacerbée, les paradoxes de la démocratie représentative : la nécessité de représenter (être à l’image des citoyens électeurs) et de prétendre à un poste en s’appuyant sur une légitimité particulière (être le mieux à même de prendre en charge et de résoudre les problèmes des citoyens) tout en affichant une conformité au rôle.
25Sous leurs aspects erratiques, les stratégies de construction publique et de mise en valeur des personnalités politiques reflètent bien la complexité des injonctions multiples dont les acteurs politiques font l’objet de la part des communicants qui leur sont attachés et des difficultés à y faire face. Les évolutions des positionnements publics des personnalités politiques peuvent témoigner que derrière la rationalité et la maîtrise affichée des stratégies de communication politique se donnent souvent à voir des actions contradictoires7.
26Ainsi appréhendée, la culture de la célébrité dans l’univers politique n’est pas seulement une question relevant d’une transformation progressive de l’exercice du métier politique. Elle renvoie à une configuration dans laquelle la question fondamentale du rapport représentants/représentés se trouve désormais posée publiquement. Elle porte sur les enjeux de communication et de valorisation d’un rapport renouvelé aux citoyens, devenus spectateurs et public, cible des techniques de séduction.
Perceptions des publics face à ces nouvelles formes de célébrité politique
27Notons que la célébrité est enfin au cœur des campagnes de promotion, mais aussi d’attaque. Dans ce contexte, les citoyens et leurs perceptions de la célébrité sont directement visés par ces approches. Les citoyens étaient d’ailleurs au cœur des débats à propos du cadrage de la célébrité de Justin Trudeau lors de la campagne électorale de 2015. En effet, le Parti conservateur et son chef, Stephen Harper, avaient alors structuré leur campagne d’attaques8 envers le chef du Parti libéral en mettant l’accent sur le fait que l’élection n’était pas un « concours de popularité » et qu’ainsi la popularité de Trudeau auprès des jeunes et de la population en général faisait de lui quelqu’un qui n’était pas apte à gouverner (Lalancette et Cormack, 2018). Sachant que la célébrité traverse autant la politique que plusieurs autres lieux tels que la diplomatie et l’activisme (Street, 2012 ; Cooper, 2009 ; Goodman et Barnes, 2011 ; Wheeler, 2011, 2013) et que les célébrités issues de la culture populaire donnent leur appui symbolique et financier aux politiques (Pease et Brewer, 2008 ; Garthwaite et Moore, 2013 ; Marland et Lalancette, 2014), il semblerait important que nous portions notre attention sur la manière dont les citoyens et citoyennes perçoivent ces nouvelles formes et normes d’activité politique.
28Du côté des chercheurs, nous l’avons vu dans les différents articles de cet ouvrage, certains envisagent cette rencontre entre célébrité et politique comme affaiblissant la dimension rationnelle de la politique, pensons notamment à Kellner (2009), Postman (1985) ou à West et Orman (2003) (pour ne nommer que ceux-là). D’autres estiment au contraire que ce renouvellement des pratiques politiques et l’emprunt des codes liés à la célébrité et des lieux pour en faire la promotion (talk-shows, médias socionumériques, par exemple) a le potentiel de ré-engager les populations dé-affranchies ou désillusionnées de la politique (Corner et Pels, 2003 ; Stanyer, 2012 ; Street, 2004, 2011, 2012 ; Van Zoonen, 2005 ; Lalancette et Raynauld, 2017).
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29Il semble donc important de s’attarder sur ces questions dans un contexte où le principe de la « campagne permanente » gagne du terrain partout dans les pays occidentaux, et ce peu importe les systèmes politiques en place (Esselment, 2014 ; Flanagan, 2014 ; Marland, 2016). Cela semble pertinent, d’autant plus lorsque l’on constate que des stars comme Oprah ou Bono se servent de leur célébrité comme levier et semblent possèder désormais, au moins symboliquement, une influence politique puissante (Lofton et Weber, 2012 ; Peck, 2012 ; Rojek, 2013) tandis que les politiciens, acteurs politiques et institutions médiatiques voient s’éroder leur capital et leur influence depuis un moment déjà (Capella et Jamieson, 1997). De plus, les codes changent rapidement. Au Canada, des chercheurs ont notamment remarqué que la célébrité, la culture médiatique et la nation-building étaient fortement imbriquées (Cormack et Cosgrave, 2013, 2014, 2016). Dans cette optique, ces nouvelles pratiques politiques soulèvent plusieurs questions en lien avec l’authenticité et les perceptions de manipulations des médias et de l’électorat (Enli, 2015, 2016 ; Marland, 2012 ; Marshall, 2010). Il y aurait lieu de développer des programmes de recherche visant à étudier la réception de cette célébrité populaire et politique dans les différents pays. Ces travaux permettraient de mieux comprendre les représentations et attentes des citoyens face à leurs représentants politiques et d’en identifier les composantes culturelles. Par ailleurs, les nouvelles formes de communication politique par le biais des médias socionumériques ouvrent toute une série de questions sur les manières d’appréhender les images politiques, leur grande quantité et leur potentiel viral.
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Notes de bas de page
1 Dans les limites, où, sauf écart fort avec la norme, leur vie privée paraît beaucoup plus épargnée et protégée du dévoilement que celle des personnalités de la culture populaire.
2 Tendance initiée par les journalistes politiques eux-mêmes dans leurs questionnements au personnel politique, et poursuivie aujourd’hui dans les médias à destination du public cultivé (sous la forme notamment du portrait de personnalités politiques expliquant le politique par l’intime et l’intime par le politique).
3 Voir sur le cas français le travail de Nicolas Kaciaf (2013).
4 L’étude de Behr et Michon (2014), met par exemple l’accent sur les facteurs sociaux des carrières politiques des femmes ministres.
5 Nous avons étudié le cas particulier d’un député français qui n’a pu, malgré une célébrité exceptionnelle, en faire un usage politique par la suite (Leroux et Riutort, 2013 : 207), voir aussi Lafon, 2013. Lire également l’analyse de la carrière politique d’Arnold Schwarzenegger (Chandler et Kousser, 2007).
6 « Le rôle tels que j’essaie de le concevoir c’est l’ensemble des comportements qui sont liés à la position qu’on occupe et qui permettent de faire exister cette position, de la consolider et surtout de la rendre sensible aux autres » (Lagroye, 1997 : 8).
7 La campagne de Donald Trump en fournit un exemple récent.
8 Les campagnes d’attaques ou « negative campaign » sont courantes en Amérique du Nord alors que cette stratégie n’est pas réglementée et a fait ses preuves afin de convaincre l’électorat (à ce propos voir notamment Flanagan, 2014).
Auteurs
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