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6. Égoportraits et médiatisation de la politique : une analyse de la pratique du selfie participant à produire le politicien célèbre

Le cas de Justin Trudeau

p. 129-145


Texte intégral

« Il ne fait pas que prendre des égoportraits.
Le Premier ministre Justin Trudeau a tenu des séances officielles de photographies tous les jours de la semaine depuis qu’il s’affaire à gouverner.
Considéré comme le leader canadien le plus visible depuis son père, Pierre Trudeau, a participé à au moins 168 événements publics depuis sa prestation de serment en novembre. Il est devenu une célébrité internationale, apparaissant même sur la couverture d’une bande dessinée1. »
(Traduction libre de Smith, 2016.)

Justin Trudeau : le politicien célèbre

1Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, est un politicien célèbre au pays et ailleurs dans le monde, alors qu’il bénéficie d’un accueil qui s’apparente à celui offert aux rock stars lorsqu’il voyage à l’étranger (Geddes, 2015). Suivant la typologie de Rojek (2003), la célébrité de Trudeau serait à la fois assignée et accomplie2. Elle est assignée en raison de sa généalogie. Justin Trudeau est sous les feux des projecteurs depuis sa naissance, le 25 décembre 1971, en tant que premier fils du couple célèbre qu’ont été Margaret Sinclair et Pierre Elliott Trudeau3, Premier ministre du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 19844. La popularité de ce dernier était telle qu’elle fut surnommée « trudeaumanie » par les journalistes et les « experts » et mena le Parti libéral du Canada (PLC) à la majorité lors de l’élection du 20 avril 1968 (Whitaker, 2014).

2Non seulement attribuée à sa lignée familiale, la célébrité de Justin Trudeau est également associée à ses accomplissements politiques à titre de député de Papineau5. Elle est en ce sens accomplie selon Rojek (2003). De chef du Parti libéral qui était le 2e parti d’opposition avant les élections de 2015, il fut élu Premier ministre du Canada le 19 octobre 2015, à la suite d’une élection caractérisée de spectaculaire alors qu’il réussissait à remporter 184 sièges sur 338 après les 78 jours de la campagne électorale la plus longue de l’histoire du pays. Du même coup, il a délogé Stephen Harper, chef du Parti conservateur, au pouvoir depuis 2006. Ce dernier était réputé pour son strict contrôle de l’appareil gouvernemental et des communications avec les journalistes et avec les citoyen-nes (Marland, 2016).

3À 43 ans, Justin Trudeau devenait le 2e plus jeune Premier ministre6 de l’histoire du pays, effectuant ainsi une arrivée remarquée au Parlement d’Ottawa. Plus encore, l’adoption d’un ton de campagne électorale positif a frappé les esprits par sa ressemblance avec la première campagne présidentielle de Barack Obama en 2008 qui avait alors été remarquée pour l’importante utilisation des réseaux sociaux par l’équipe électorale. Dans les deux cas, les médias sociaux ont joué un grand rôle et ont été abondamment utilisés par ces acteurs politiques et leurs stratèges. Ceux de la campagne électorale canadienne de 2015 ont mis l’accent sur la marque Justin Trudeau laquelle est basée sur la proximité avec les électeurs (Sabourin, 2016). Sur le site Internet du Parti libéral du Canada, on peut y lire sa présentation, écrite à la première personne du singulier :

« Ma vision est celle d’un pays où tous et toutes ont une chance de réussir, un pays confiant et faisant preuve d’initiative et d’audace en investissant dans les Canadiennes et les Canadiens. Cette vision a été façonnée par mes diverses expériences et influences : Trudeau et Sinclair, père et mère, français et anglais, est et ouest. Je serai toujours un fils, mais aujourd’hui, je suis aussi un mari, un père et un homme passionné par l’avenir de son pays. Et je veux partager avec vous le sens du devoir qui m’interpelle : servir notre pays en créant un terrain d’entente où chaque Canadienne et Canadien peut trouver sa place dans un pays fort et juste. » (Parti libéral du Canada, 2017)

4Comme il est possible de le voir dans cet extrait, Trudeau se présente comme un rassembleur dont l’identité personnelle peut rejoindre l’ensemble des Canadiens. Ces idéaux reflètent des enjeux liés aux questions linguistiques et géographiques, au cœur de bien des débats depuis la création du pays.

5Une idée de proximité avec les électeurs qui transparaît dans cette présentation traverse également ses pratiques relationnelles avec les citoyens. Par exemple, dès le matin suivant son élection comme Premier ministre du Canada, en octobre 2016, il est allé prendre un bain de foule post-électoral dans le métro de Montréal (station Jarry) qui fait partie de Papineau, la circonscription qu’il représente (ici.radio-canada.ca, 20 octobre 2015). Il a alors pris plusieurs clichés avec ses électeurs. Cet événement figure d’ailleurs parmi les moments clés7 de ses premiers mois au pouvoir selon le quotidien La Presse (Brousseau-Pouliot, 2016). La gestion constante de l’image et des photographies est au cœur des pratiques communicationnelles du Premier ministre. Soulignons qu’il est suivi à temps plein par un photographe, Adam Scotti, dont les clichés alimentent les sites Flickr, Instagram et Facebook du politicien (Andrew-Gee, 2016).

6Reconnu pour prendre le temps d’offrir à ses électeurs un cliché en sa compagnie, une grande part de sa célébrité semble s’actualiser à travers la prise d’égoportraits8. Une démonstration de cette reconnaissance attribuée par les médias et le public serait celle de son arrivée remarquée au sommet du G20, en 2015, qui fut ponctuée par la prise successive d’égoportraits avec des membres de l’assistance (Akin et Chief, s. d. ; Cullen, 19 novembre 2015 ; La Presse canadienne, s. d.). L’adoption de cette pratique fait dorénavant partie de son image de marque (Proudfoot, 2016) à un point tel qu’elle lui valut le titre de « roi des selfies » (Petrowski, 1er septembre 2016). Enfin, malgré les dangers potentiels qui lui sont associés (il aurait par exemple pris l’un de ces clichés avec un terroriste présumé), Trudeau affirme souhaiter rester près de ses électeurs en allant à leur rencontre de cette façon (Duchaine et Larouche, 2016).

7Le cas de Justin Trudeau semble idéal pour réfléchir à l’enchevêtrement entre la célébrité contemporaine et la politique. Dans cet article, nous aborderons la production de la célébrité de ce politicien sous l’angle des théories de la médiatisation. Ces dernières offrent un apport théorique afin de repenser cet entremêlement entre culture populaire et politique. Plus spécifiquement, nous discuterons la manière dont le selfie peut prendre place et trouver sens dans les sphères politiques et médiatiques et comment cette pratique participe à la production de la célébrité de Justin Trudeau. Nous l’utiliserons finalement comme espace pour réfléchir à la façon dont les processus de médiatisation et de célébritisation9 informent tant les pratiques que les représentations et reconfigurent les manières d’être célébrité et politicien.

La célébrité politique au prisme des théories de la médiatisation

8Pour Brad Lavigne, un important stratège du Nouveau parti démocratique (NPD), le selfie est dorénavant un incontournable des campagnes électorales modernes. Il ajoute même que « c’est l’équivalent d’une poignée de main pour la nouvelle génération » (Pedwell, 2015). Pour Farci et Orefice (2015), le selfie peut être entendu comme la nouvelle forme de photographie « auto-portraiturée » qui participe à la production d’une identité partageable en ligne. La prise de ces clichés concourt à produire une certaine narrativité que l’on souhaite mettre en lumière, à construire une représentation particulière de soi.

9Le selfie est donc présenté comme un moyen de communication. C’est d’ailleurs ce qui ressort des propos du politicien :

« Justin Trudeau se défend de faire la vedette en multipliant bains de foule et égoportraits, soutenant qu’il s’agit non pas d’une question “d’image, mais de contenu”. Le Premier ministre estime que c’est précisément ce que ses adversaires politiques n’ont pas compris. “Si vous voulez bien servir les Canadiens, avec ce qu’ils veulent pour leur avenir et celui de leur famille, vous devez les écouter et chercher à les connaître. Vous devez entreprendre de vraies conversations et parler de leurs espoirs et de leurs rêves pour le pays”, a-t-il justifié, hier, lors d’une séance de questions-réponses avec le magazine Macleans. » (La Haye, 2015)

10Moyen de s’adresser à son public certes, l’égoportrait s’inscrit au cœur de la culture médiatisée contemporaine caractérisée par l’arrangement complexe et hétérogène des diverses formes de communications médiatisées (Hepp, 2012). Pour saisir cette culture médiatisée, il faut non seulement tenir compte des changements plus larges, globaux, qui informent le champ social par et avec les médias10 que des micro-transformations qui modulent les communications. Par exemple, le partage et la modification de photos par les internautes à l’aide de programmes comme Picasa11, la distribution de documents en ligne par les organisations, la planification les campagnes électorales qui nécessitent l’utilisation de différentes plateformes médiatiques sont autant d’actions qui caractérisent une société traversée par cette omniprésence médiatique, résultat d’un long processus continu d’entremêlement des technologies aux diverses formes de communication (Sawchuk, 2013).

11Par ailleurs, Justin Trudeau et sa pratique du selfie ne peuvent être dissociés du contexte caractérisé par les processus de médiatisation et de célébritisation (Strömbäck et Van Aelst, 2013 ; Esser et Strömbäck, 2014). Certains qualifient cet enchevêtrement entre politique et culture populaire de spectacularisation, laquelle provoquerait l’appauvrissement de la scène politique (Blumler et Gurevitch, 1995 ; Gingras, 2009, pour ne citer que ceux-là). Le regard adopté dans cet article s’éloigne de cette vision. Dans la lignée des chercheurs issus des théories de la médiatisation (Hjarvard, 2008 ; Krotz, 2009 ; Lundby, 2014 ; pour n’en nommer que quelques-uns) ainsi que d’auteurs qui tentent de comprendre cet enchevêtrement (Corner et Pels, 2003 ; Langer, 2010 ; Stanyer, 2012, Street, 2011 ; van Zoonen, 2005 ; par exemple) en considérant plutôt le phénomène comme étant partie prenante de la production des politiciens tels que nous les connaissons aujourd’hui, nous proposons de réfléchir à cette pratique médiatique et politique qu’est le selfie en regard du contexte socioculturel dans et par lequel elle peut exister et être rendue significative.

12En quelques mots, les théories de la médiatisation aident à comprendre la pratique et son rôle clé dans la production de la célébrité de Justin Trudeau. En mettant au cœur de leurs analyses l’interrelation entre culture, médias et société, elles permettent d’appréhender comment les médias informent la célébrité de Trudeau, mais en considérant le contexte socio-culturel qui participe au déploiement de pratiques et de représentations singulières. La médiatisation est entendue comme un méta-processus similaire à la globalisation et la mondialisation en tant qu’elle modifie les relations humaines ainsi la société et la culture (Krotz, 2009). Ainsi, les théories de la médiatisation, en questionnant comment l’omniprésence des médias transforme tant les pratiques de la vie quotidienne, les relations sociales, que la société tout entière dans ses structures politiques, culturelles et légales, offrent une manière de penser le politique et la manière d’« être » politicien allant au-delà de l’opposition trop souvent réifiée entre « politique » et « médias ». Il s’agit ainsi d’élargir la réflexion et de questionner non pas qui, des médias ou de la politique, « domine » l’autre, mais plutôt de comprendre comment l’un et l’autre s’entre-informent. Tel que le résument Hepp, Hjarvard et Lundby :

« la médiatisation n’est pas un jeu à somme nulle dans lequel les médias ou, par exemple, la politique en vient à dominer l’autre. Les médias et la politique peuvent travailler ensemble, permettant de façon simultanée la médiatisation de la politique et la politisation du média. La relation symbolique entre les commentateurs politique médiatiques et les experts en relations publiques des partis politiques est un signe de ces développements entremêlés12. » (2015, [traduction libre] : 5)

13Il s’agit donc de se détourner d’une analyse des médias à travers laquelle ces derniers seraient perçus comme étant de simples outils technologiques ou organisations qui peuvent être manipulés ou utilisés par un individu ou un groupe d’individus pour plutôt tenter de comprendre comment est développé le champ social alors qu’on ne peut envisager son développement sans eux (Hjarvard, 2008).

14C’est dans ce contexte qu’il est possible de réfléchir à la manière dont les citoyens tout autant que les politiciens se voient contraints d’adhérer aux principes de la culture médiatisée et enjoints à adopter des pratiques relatives à la célébritisation de la société13. À partir du cas de Justin Trudeau et de sa pratique du selfie, il est possible de retracer certains des « effets » de ces processus de médiatisation et de célébritisation du politique. On relève ainsi des traces qui rendent compte de transformations dans la manière 1) de se mettre en scène et de rendre visible ses actions dans les médias, 2) d’être produit comme politicien célèbre, et 3) de déployer des stratégies et techniques liées au marketing politique. C’est également dans ce contexte qu’il serait possible de relever une série de tensions participant à produire les représentations du parlementaire célèbre et à informer les pratiques qui le font être à la fois politicien et célébrité.

Mise en scène du politicien célèbre dans et par les médias

15Tel que nous l’avons mentionné plus tôt, Justin Trudeau est accompagné en tout temps d’un photographe qui documente ses différentes actions et les rend visibles sur les différentes plateformes socionumériques du PLC. On peut y voir un politicien dévoué à la tâche, près de ses députés et citoyens, et qui semble inconscient du regard que la caméra porte sur lui. Ces clichés, qui présentent une esthétique soignée, participent à créer une certaine vision d’un politicien actif et près de son électorat. Cette impression se décline également dans le dévoilement de sa vie privée. Sa conjointe Sophie Grégoire, connue de la scène médiatique, discute publiquement des hauts et bas de leur couple ainsi que des défis posés par la vie politique (voir par exemple Proulx, 2016). Les enfants du couple les accompagnent souvent dans les voyages protocolaires comme Trudeau l’avait fait avec son père à l’époque. Il y a donc ici l’idée d’une histoire qui se répète (ou se continue). Le couple a accepté de poser pour des magazines populaires comme le Vogue US (cf. fig. 4) pour des photos présentées comme « glamour » et accompagné d’un long portrait (Canoe.ca, 12 décembre 2015). Il a aussi fait la une du Paris Match14 français (cf. fig. 5), accompagné de sa conjointe et de ses trois enfants (Royant, 2015).

16Ce dévoilement de la vie privée est en droite ligne des pratiques et représentations de la célébrité contemporaine (Dyer, 2004). Pour Marshall, [la célébrité à l’ère digitale amène une « nouvelle forme d’intimité publique » (1997] 2014 : xi-xii). Cette intimité, Trudeau la pratique au quotidien en montrant par exemple, sur son compte Instagram, son fils qui fait ses devoirs avec lui dans son bureau au Parlement ou des photos de la famille en randonnée pédestre. Selon Driessens (2013), la pénétration toujours croissante des médias dans le champ social peut à la fois être considérée comme un catalyseur et l’un des pré-requis au phénomène contemporain de la célébritisation, un méta-processus qui change la nature même de la célébrité.

17Pour Driessens (2013), la logique capitaliste contemporaine informe ce changement dans la nature même de la célébrité, l’individu célèbre se retrouvant à être à la fois le travail et le produit de la célébrité. C’est dans et par ce contexte caractérisé par la célébriTISation15 (notre emphase) que s’intensifie et est valorisée la célébriFICation (notre emphase), processus par lequel une personne « ordinaire » ou une figure publique peut être produite comme célébrité. Pour le chercheur, l’omniprésence des médias a contribué à transformer la manière de devenir célèbre, rendant inutile la possession d’un talent particulier ou l’achèvement d’un accomplissement : le seul fait d’être rendu visible par et à travers les médias serait suffisant. Cette démocratisation de la célébrité rend celle-ci accessible à tous et à toutes. L’égoportrait, compris en ces termes, est une manifestation de cette démocratisation de la célébrité qui pousse les individus « ordinaires » à expérimenter une forme de reconnaissance et de visibilité dorénavant plus aisément accessible. Driessens (2013) explique qu’il est maintenant possible, à l’aide des médias sociaux (ex. Facebook) et des plateformes interactives comme YouTube, de créer sa propre célébrité, sous la forme d’un « do-it-yourself (DIY) celebrity » (2013 : 646). Justin Trudeau n’est pas ce que l’on pourrait caractériser de personne « ordinaire » en ce sens qu’il est déjà connu de la sphère publique et est déjà produit comme célébrité en raison de son rôle professionnel et de sa généalogie. Toutefois, les personnes avec qui il prend ces égoportraits pourraient être qualifiées d’« ordinaires » alors qu’elles ne bénéficient pas, a priori, de cette visibilité dans la sphère publique, mais se voient offrir une possibilité d’accroître celle-ci par la prise du cliché et sa circulation.

18Penser la célébritisation en ces termes amène à réfléchir à l’idée d’une recherche de profits, laquelle pousserait certains individus à tenter de devenir célèbres. Soulignons que dans le cas du politicien, c’est davantage d’une quête de valeur symbolique ou sociale dont il est question. Celle-ci n’est pas limitée au politicien seul : le parti politique qu’il représente peut également en tirer profit. C’est d’ailleurs l’idée qui ressort de l’article « Justin Trudeau : la célébrité, un moyen d’intéresser plus de gens à la politique » (Marquis, 2015). On peut y lire que pour Trudeau, « prendre des bains de foule et se faire photographier en compagnie de son épouse Sophie Grégoire-Trudeau dans le Vogue US ne sont que des moyens parmi tant d’autres pour capter l’attention d’une frange de la population qui n’est pas naturellement intéressée par la politique » (Marquis, 2015). Ainsi, en participant à la culture médiatisée et en adoptant des pratiques qui participent à produire sa célébrité, Trudeau et l’équipe de stratèges du Parti libéral visent à élargir le bassin de partisans potentiels.

19Ce changement dans la nature de la célébrité se manifeste également dans la réaffirmation de celle de Trudeau alors que le politicien est produit comme personnalité publique avec qui il fait bon s’exhiber :

« Si l’élection fédérale du 19 octobre devait se gagner sur le nombre d’égoportraits réalisés, le chef libéral Justin Trudeau serait certainement couronné grand gagnant avec une large avance sur ses rivaux. Mais rien n’indique que cette mesure de popularité se traduira en votes le jour du scrutin ou que d’accepter de prendre un égoportrait avec un électeur est un atout plus qu’un obstacle pour gagner son vote. Bien des Canadiens ne souhaitent en effet qu’afficher des photos sur les médias sociaux avec des personnalités publiques sans pour autant épouser leurs causes.

Une analyse sur Twitter – qui n’a évidemment rien de scientifique – a permis de dénombrer 128 égoportraits publiés par des Canadiens à la mi-campagne en compagnie de M. Trudeau. Le chef conservateur Stephen Harper et son vis-à-vis néo-démocrate Thomas Mulcair n’avaient que 16 clichés chacun. Quant à Elizabeth May du Parti vert et Gilles Duceppe du Bloc québécois, ils n’avaient qu’une photo chacun. » (Pedwell, 2015)

20Cet extrait illustre non seulement la relation entre cette pratique de l’égoportrait16 et l’établissement d’une « marque » Trudeau, mais également l’association de celle-ci à de possibles résultats électoraux. Ainsi, non seulement la prise et le partage du cliché par l’individu « ordinaire » s’inscrivent-ils au cœur de ce processus de célébrification, mais ils concourent également à la constitution de ce qu’on pourrait appeler la « marque » Trudeau qui sert, dans une perspective plus large, à promouvoir le Parti libéral. Cette image de marque particulière est d’ailleurs discutée dans une variété d’articles qui en font l’apanage dans leurs titres. Par exemple, le magazine Macleans titrait : « Selling a PM : The marketing of Justin Trudeau » (Proudfoot, 2016) et tandis que le Huffington Post invitait le lecteur à consulter leur reportage vidéo en annonçant : « Voyez les dessous d’une conférence de presse à la “sauce Trudeau” » (canoe.ca, 2016).

Le politicien célèbre : produit dans et par les médias

21Tel que le suggère Hepp (2012), qui s’est attardé à théoriser ce méta-processus de médiatisation, nous devons analyser les pratiques médiatiques et les représentations qui en découlent en relation avec les pratiques communicationnelles qui s’inscrivent dans un contexte culturel donné. Ainsi, les pratiques empruntées tant par les institutions médiatiques que par les stratèges du Parti libéral ou par Justin Trudeau lui-même participent à co-constituer le politicien et les représentations dont il fait l’objet, la médiatisation informant non seulement les pratiques qui concourent à produire le politicien contemporain, mais également la manière dont il sera représenté et se mettra lui-même en scène (Farci et Orefice, 2015).

22Plus encore, le public ne connait le politicien que par le biais des médias, à partir des représentations qui sont produites et circulent à travers une multitude de plateformes différentes et qui participent ainsi à construire une connaissance « médiatisée » de l’homme politique. Nous proposons ainsi que le média participe activement à la production de Justin Trudeau, qui « devient » ce en quoi on le reconnaît. Par exemple, le politicien est très actif sur Instagram dont il se sert afin de construire sa légitimité (Lalancette et Raynauld 2019).

23La production du politicien par le média participe plutôt au partage d’une certaine compréhension de la « réalité », de qui « est » Justin Trudeau. Il est alors possible de supposer qu’il n’y aurait pas qu’« un », mais « des » Justin Trudeau, produits de représentations médiatiques singulières, qui offrent des perceptions et des connaissances de l’individu complètement différentes. Puisque la plupart d’entre nous ne « connaissons » Trudeau que par l’entremise du média, ne pourrait-on pas remettre en question l’existence même d’un Justin Trudeau « original » et tel qu’il existerait sans le travail du média17 ?

24Par ailleurs, en étudiant les discours médiatiques à propos de Trudeau, il est possible de constater que sa pratique du selfie est constamment discutée dans les articles, éditoriaux et chroniques journalistiques. Elle est également abondamment commentée dans les réseaux sociaux et les tribunes médiatiques ainsi qu’utilisée par ses adversaires pour le critiquer selon une dualité opposant style et substance ou image et contenu. Il n’est ainsi pas rare de voir des titres tels que : « Au-delà des égoportraits » (Elkouri, 2016), dans un article où il est question des relations publiques qui ont été faites lors de l’accueil des réfugiés18, ou encore : « Six mois des libéraux : des “selfies” mais peu de promesses tenues » (Goupil, 2016) pour discuter du bilan du Parti libéral. Dans une optique apparentée, pour critiquer la politique étrangère de Trudeau, ses adversaires diront : « Plutôt que de s’amuser à prendre des égoportraits au G20, Justin Trudeau devrait se comporter en digne chef d’état et maintenir les frappes aériennes contre l’état islamique, implore Gérard Deltell. » (Gagnon, 2015) Un autre article relate : « Le chef libéral Justin Trudeau semble se prêter à l’exercice de l’égoportrait avec beaucoup d’enthousiasme, lui valant parfois l’étiquette de “narcissique” » (Pedwell, 2015). Dans tous les cas, il s’agit de remettre en question la pratique du selfie et de l’opposer à une conception spécifique de la gouvernance, ce que relevait d’ailleurs Evan Salomon, journaliste au magazine Macleans mobilisant les propos d’un ancien ambassadeur canadien aux États-Unis afin de mettre en évidence la dualité image et substance : « La gouvernance concerne davantage que seulement le style. À un certain point, il est nécessaire de livrer [la marchandise]19 » (traduction libre de Salomon, 2016).

25Il ressort de ces différents propos qu’il ne soit pas possible de faire l’un et l’autre : avoir une image populaire et être un bon gouvernant. Comment se fait-il donc qu’au cœur des pratiques marketing déployées par Trudeau et par le Parti libéral figure toujours la pratique du selfie ? Le processus de médiatisation qui enjoint le politicien à participer à la culture médiatisée dans un contexte caractérisé par la célébritisation et la personnalisation pourraient offrir des pistes de réflexion intéressantes.

Selfies et pratiques de marketing politique

26La logique marchande caractéristique de la société capitaliste contemporaine, et qui informe le processus de célébritisation, permet de jeter un regard sur la valeur qui est attribuée à Justin Trudeau et à la pratique de l’égoportrait qui en découle. Par cette pratique, Trudeau revêt le caractère de « marchandise » qui permet de lui accorder une visibilité particulière, sous le mode de la célébrité, et d’ainsi promouvoir son parti politique. Par exemple, à l’automne 2016, le Parti libéral mettait en vente dans sa boutique des chandails exhibant le visage de Trudeau accompagné du slogan « Politique positive ». Il est également possible d’y acheter des emporte-pièce permettant de faire des biscuits qui ont la forme du visage de Trudeau. Des fonds d’écrans présentant un visuel similaire sont également téléchargeables gratuitement. La forme d’attachement qui est créée entre la personne de Justin Trudeau et le public s’inscrit dans une logique commerciale. Le Parti auquel il est associé participe ainsi à le constituer comme « produit » politique revêtant la marque Trudeau.

27L’adoption de ces pratiques se situe en droite ligne des développements du marketing politique au Canada tels qu’envisagés par Marland, Giasson et Lees-Marshment (2012). Alors que les outils de mesure de l’opinion publique et de communication deviennent de plus en plus sophistiqués, les pratiques marketing déployées par les partis politiques sont modulées et développées par l’intégration et la présence même des médias qui participent non seulement aux efforts de communication, mais également à la prise des décisions politiques. Ces chercheurs rappellent que les stratégies marketing ne peuvent être établies sans considération pour le public qu’elles tentent de rejoindre, dans un processus relationnel co-constitutif qui doit tenir compte des besoins et volontés de l’électorat. Ainsi, des stratégies sont mises sur pied pour « vendre » Justin Trudeau : on peut penser par exemple aux activités des experts en relations publiques ou des spécialistes des communications et du marketing qui tentent d’influencer la manière dont les institutions médiatiques traditionnelles produiront Trudeau20. L’intérêt ici n’est pas de critiquer ces stratégies ni de tenter d’en comprendre les effets, mais plutôt de poser un regard sur la pratique de l’égoportrait qui, pensée en termes de stratégies pour accroître la visibilité du politicien (que ce fut le cas ou non), stratégies qui s’inscrivent dans ce contexte caractérisé par l’omniprésence des médias. Justin Trudeau, en tant que « marque à promouvoir » doit être réfléchi pour être « reproduit » et « reproductible ».

28Le marketing politique relationnel dont rendent compte Marland, Giasson et Lees-Marshment (2012) a pour fondement l’importance d’établir une relation de confiance avec le public visé, lequel peut interagir et accorder ensuite sa confiance au parti. Avec la pratique du selfie, le public se retrouve directement impliqué dans la production de la « marque Trudeau » qui, en retour, est consolidée par la pratique et son partage. C’est en ce sens que celle-ci pourrait être comprise comme s’inscrivant au cœur d’un ensemble de stratégies inspirées des théories du branding (Marland, 2016) visant à accroître son capital symbolique. Une multitude de stratégies communicationnelles sont ainsi déployées pour établir cette relation de confiance entre le politicien et ses supporteurs qui perdurera au-delà des crises politiques et offrira une marque différenciée de la compétition.

29Le processus de médiatisation rend donc possible l’idée de la « campagne permanente » (Marland, Giasson et Esselment, 2017) alors qu’il participe à l’établissement d’une relation à long terme, se déployant au quotidien, entre le politicien produit comme célébrité et le public. Les stratégies de marketing politique s’étendent dorénavant à l’année et sont modulées par l’omniprésence des médias, telle qu’elle informe les communications qui seront mises de l’avant par le Parti ou le politicien lui-même. Les contenus seront réfléchis afin d’être adaptés aux diverses plateformes qui en permettront la diffusion, assurant une facilité accrue de production et de circulation des communications (Breindl et Francq, 2008) selon une logique d’interactivité et de partage appelée logique de « propagation » (« spreadability ») par Jenkins, Ford et Green (2013). Cette dernière repose à la fois tant sur les ressources matérielles, et donc techniques, que le contenu qui en motive le partage. Elle se manifeste par exemple dans la manière dont les contenus sont repris et adaptés d’une plateforme médiatique à une autre, tel que le remarque Small (2012). Néanmoins, la logique de « propagation » n’opère pas qu’en raison des capacités techniques qui permettent la circulation des contenus puisqu’aucune garantie n’est assurée quant à leur partage : le public doit concevoir un intérêt au repartage de la publication à travers leurs propres réseaux de contacts. Ces contenus doivent donc être réfléchis pour répondre aux intérêts et besoins du public qu’ils visent à rejoindre. Reestorff (2014) nous rappelle comment ce second aspect, lié davantage au contenu qui doit s’inscrire en cohérence avec le contexte dans lequel il est produit, est central pour comprendre comment opère le processus de médiatisation. Même si le selfie contribue de par un travail culturel collectif à (re)produire le caractère célèbre de l’individu qu’il implique, il s’agit bien davantage de la célébration de l’individu seul impliqué dans l’acte. Sa notoriété est réaffirmée par la pratique : la valeur du cliché repose sur sa valeur présupposée. Le politicien se prête alors au jeu, est « marchandisé », pour le plaisir de son auditoire (Iqani, 2016). Le selfie se retrouve ainsi au cœur d’une économie basée tant sur sa production même que son partage, qui participe également au processus de célébrification (Busetta et Coladonato, 2015). En effet, celui-ci informe également cet aspect du partage du selfie : en rendant possible une forme de « transfert » de la célébrité de Justin Trudeau à l’individu non connu de la sphère publique, le selfie acquiert une valeur symbolique qui rehausse la valeur et donc l’intérêt de sa circulation, facilitée par l’infrastructure numérique.

30L’analyse réalisée précédemment, éclairée des théories de la médiatisation, de la pratique du selfie par Justin Trudeau, politicien produit comme célébrité, donne à voir le contexte dans lequel elle prend place et fait sens. Nous avons ainsi pu questionner comment l’omniprésence des médias informe le contexte socio-culturel dans lequel elle est pratiquée et poser un regard sur ses articulations culturelle, sociale, technologique et politique. Plus encore, comme la médiatisation participe à la célébritisation de la société, elle contribue également à la production d’un nouvel ethos du politicien célèbre. Ce dernier doit être visible et, pour ce faire, adopte un mode de présentation personnalisé et intimiste, cohérent avec l’individualisation caractéristique du contexte actuel. C’est en observant le selfie comme pratique à la fois médiatique et politique qu’il est possible de comprendre la logique marchande qui la sous-tend et qui est articulée à la production du politicien célèbre.

31La pratique du selfie et le sentiment de proximité qu’elle engendre est cohérente avec cette idée de personnalisation des pratiques politiques (Lalancette, 2014 ; Lalancette et Tourigny-Koné, 2017), laquelle est conséquente avec l’ère néolibérale et l’idéologie occidentale qui favorisent l’individualité (Driessens, 2013). L’individualisme se matérialise sous deux formes différentes au cœur de la pratique. La première réfère à cette idée du narcissisme classique où la célébrité démontre sa notoriété et beauté, sa désirabilité ; la seconde fait référence à cette liberté d’expression que permet le selfie alors que la célébrité revêt à la fois les rôles de communiquant et de communiqué (Iqani, 2016). Non seulement la personnalisation s’inscrit-elle dans l’actuel contexte socio-culturel, mais elle est également favorisée par la médiatisation et contribue à engendrer, ce faisant, une personnalisation de la politique. Il est intéressant de relever comment le selfie s’inscrit en cohérence avec l’hyper-personnalisation des stratégies marketing déployées par le Parti libéral et qui participent à produire Justin Trudeau comme politicien célèbre. Pourtant, les représentations qui se dégagent de cette pratique ne sont pas toutes positives et relancent une opposition image/contenu, tel qu’énoncé précédemment.

32L’analyse de l’égoportrait, pratique emblématique de la « marque » Trudeau, fait ressortir plusieurs éléments. Premièrement, cette pratique concourt à produire des représentations particulières du politicien et, plus spécifiquement, celles d’un acteur politique proche de son l’électorat. Deuxièmement, Trudeau, par cette pratique, participe à produire de façon stratégique sa « marque de commerce », informant ainsi la connaissance que le public peut avoir de sa personne publique. Troisièmement, les formes de communication médiées produites et circulant par l’entremise de différentes plateformes médiatiques participent à constituer différentes expériences du politicien. Par exemple, un média traditionnel offre une prise de contact différente du politicien, moins « proche », que sa page Facebook. Prendre connaissance de Justin Trudeau par le biais des égoportraits qui circulent sur les réseaux sociaux provoque des impressions de proximité (Lee et Jang, 2013) d’ordres différents : proximité de l’homme avec la personne photographiée (connue ou inconnue), proximité de l’homme politique avec ses électeurs. Plus encore, le selfie crée une proximité par l’esthétique même du cliché. Ce dernier nécessitant un cadrage rapproché de l’appareil, les individus impliqués doivent être près l’un près de l’autre et regarder la caméra. Cela crée ainsi un contact visuel intime entre la célébrité et la personne qui observe le cliché21 (Iqani, 2016).

33Non seulement les médias participent-ils à produire Trudeau comme politicien célèbre et à produire différentes manières de prendre connaissance du politicien, mais ils contribuent également à rendre significative la pratique même du selfie. Il est intéressant de relever que les représentations qui sont produites et qui circulent à travers les institutions médiatiques traditionnelles mettent en scène le politicien en train d’exécuter le geste et non pas le résultat de la pratique selfie (cf. fig. 6 et 7). Ainsi, nous estimons que les médias d’information semblent encore aujourd’hui être le lieu par lequel il y a confirmation, « officialisation » du statut de célébrité, la pratique de l’égoportrait participant à la production dudit statut.

34Ainsi, bien que le selfie permette une forme de communication renouvelée, qui offre une expérience différenciée du politicien (par rapport à ce que permettent les médias d’information, par exemple) et qui engendre des transformations dans les communications politiques et les pratiques marketing des partis, on assiste à une réification de formes d’actions communicatives et d’institutions médiatiques particulières qui semblent réaffirmer le rôle des médias dits traditionnels dans la production du politicien célèbre. Les conclusions qui émergent de ces réflexions préliminaires permettent donc de douter de potentiels changements quant à la manière contemporaine d’être produit politicien célèbre, tels que le suggèrent certains auteurs (Karadimitriou et Veneti, 2016). Bien que la médiatisation informe les pratiques médiatiques et politiques qui constituent le politicien célèbre d’aujourd’hui, il n’en demeure pas moins que celles-ci s’inscrivent en cohérence avec le contexte socio-culturel qui les rend significatives et permet leur émergence. Cette réification de pratiques communicationnelles est également observable dans les représentations produites, qui concourent à constituer le sens inhérent à la pratique. Celles-ci offrent encore un modèle très masculin, très hétéronormé du politicien. Certes Justin Trudeau est un politicien « jeune », « contemporain », mais dont les représentations ne s’écartent pas significativement de celles de ses prédécesseurs. On y retrouve encore celles du bon père de famille et du leader masculin, en position de contrôle. Il y a donc lieu de se demander si cette pratique médiatique contemporaine qu’est le selfie n’est finalement pas qu’une certaine réification d’un carcan politique normatif. Qu’en est-il de la place des femmes par exemple, dans ce contexte politico-médiatique particulier qui semble réifier, par de nouvelles pratiques techniques, des enjeux communicationnels normés ? La comparaison avec la rhétorique visuelle d’autres pays, époques, politiciens permettrait de réfléchir à cette question.

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Notes de bas de page

1  Traduction de l’anglais : « He is not just taking selfies. Prime Minister Justin Trudeau has had about one official photo-op for every weekday he has been in the business of governing. Considered the most visible Canadian leader since his father, Pierre, Trudeau has participated in at least 168 public events since swearing in his cabinet last November. He has become an international celebrity, even appearing on a comic book cover » (Smith, 2016).

2  Cette typologie comprend également une troisième forme, la célébrité attribuée. Cette dernière, pour Rojek (2003), est conférée par la sphère médiatique pour des raisons autres que le talent ou les réalisations accomplies. C’est le cas de certaines vedettes de télé-réalité ou de personnes qui connaissent une notoriété à la suite de la publication d’une vidéo qui devient virale par exemple.

3  Justin Trudeau est lui-même marié à une personnalité connue de la scène publique, Sophie Grégoire (Parti libéral, 2017). Le couple Trudeau-Grégoire bénéficie d’une visibilité médiatique importante et présente des similarités avec la célébrité antérieure du couple Sinclair-Trudeau.

4  Pierre Elliott Trudeau occupa plusieurs postes importants avant de diriger le pays dont celui de ministre de la Justice. Il est notamment reconnu pour avoir déposé un projet de loi qui légalisait l’avortement, le divorce et l’homosexualité en décembre 1967.

5  Ce comté politique situé à Montréal (Québec) n’est pas un acquis au Parti libéral du Canada dont Trudeau est le chef. Il est ainsi reconnu pour avoir dû « travailler fort » afin de gagner la confiance des électeurs.

6  C’est Joe Clark alors chef du Nouveau parti démocratique qui fut le plus jeune Premier ministre. Élu à 39 ans à la tête d’un gouvernement minoritaire, il dirigea le pays de 1979 à 1980.

7  Parmi les autres moments cités, on retrouve son titre de politicien le plus populaire lors du Forum de la Coopération économique de la zone Asie-Pacifique (APEC) aux Philippines, son apparition dans le Vogue avec sa conjointe Sophie Grégoire ainsi que la fête d’Halloween passée en famille dans les rues d’Ottawa.

8  Nous utiliserons les termes selfies et égoportraits comme des synonymes tout au long de ce texte.

9  Nous reviendrons ultérieurement sur le concept de célébritisation. En quelques mots, il réfère au méta-processus suivant lequel un changement opérerait dans la manière d’être produit comme célébrité, entre autres engendré par la facilité d’accès à la scène médiatique caractéristique de l’omniprésence des médias dans le champ social (Driessens, 2013).

10  « Médias » ne réfère pas ici seulement aux médias d’informations traditionnels comme producteurs et diffuseurs d’information. Le terme est ici employé ici en référence aux technologies permettant la communication à distance, toujours liées à des pratiques communicationnelles et opérant « as a societal institution, as an organizational machine and a way of setting content in a scene, and as a space of experience of a recipient. » (Krotz, 2009 : 23). Cette définition comprend ainsi tant les médias institutionnels que les réseaux sociaux ou les applications mobiles, par exemple. Des précisions seront apportées dans le texte lorsque le terme référera à une forme médiatique particulière. Ainsi, il sera parfois question des institutions médiatiques traditionnelles (telles que Radio-Canada, TVA, etc.), auxquelles nous référerons également comme étant des « médias d’information ».

11  Picassa est le logiciel photo de Google.

12  Traduction de l’anglais : « mediatization is not a zero-sum game in which either the media or, for example, politics come to dominate the other. Media and politics may in some respects work in tandem, enabling a simultaneous mediatization of politics and a politicization of media. The symbiotic relationship between the media’s political commentators and the political parties’ spin doctors is a sign of such intertwined developments. » (Hepp, Hjarvard et Lundby, 2015 : 5)

13  Cette double dynamique se manifeste alors que les individus se voient contraints d’adopter des pratiques qui s’inscrivent au cœur de cette culture médiatisée, tel qu’on peut le constater par exemple en politique, alors que les politiciens n’ont d’autre choix que de se rendre visibles par et à travers les médias. Cette dynamique n’est toutefois pas uniquement de l’ordre de la contrainte : il y a également des avantages à y adhérer (notamment, la participation à la constitution de représentations de soi particulières) et c’est en ce sens qu’ils ne se voient pas uniquement contraints, mais également incités à s’y inscrire.

14  Dans ce cas, il est à noter que les photos étaient reprises d’un reportage dans une revue féminine canadienne d’importance : le Châtelaine anglophone. Ce dernier est un magazine féminin qui est publié depuis 1928. Cette publication est reconnue pour aborder les enjeux féminins et féministes au Canada.

15  Alors que la célébriTISation réfère au méta-processus décrit ici-haut, qui rend compte non seulement d’un changement dans la manière d’être produit comme célébrité, mais également dans la pénétration plus importante encore dans le champ culturel de ce mode de représentation (Driessens, 2013), la célébriFICation quant à elle réfère à la transformation d’individus « ordinaires » en célébrités. La médiatisation serait, pour le chercheur, l’un des catalyseurs de ces processus.

16  Notons qu’en 2018, un ouvrage intitulé : Un selfie avec Justin Trudeau. Regard critique sur la diplomatie du Premier ministre par le politologue Jocelyn Coulon (Montréal, Québec-Amérique) se servait de cette accroche afin de critiquer sa politique étrangère.

17  Ces propos ouvrent à des réflexions sur les critiques qui sont régulièrement portées à l’endroit des institutions médiatiques traditionnelles qui participeraient à produire de « mauvaises » représentations des politicien-nes et alors qu’on tente de démystifier ce qui se cache « derrière » le politicien (voir par exemple Legault, 2015). Penser Justin Trudeau en ces termes revient à en parler en ce qu’il est « reproduit » : une re-production d’un lui-même non médiatisé, le « vrai ». Nous proposons donc de nous détourner de ces doutes soulevés quant à son authenticité, pour plutôt s’intéresser à la « connaissance » limitée que nous en avons alors qu’il est produit et ne nous est accessible que par l’entremise des médias.

18  Trudeau avait accueilli personnellement le premier groupe et fait des selfies avec eux. La journaliste explique qu’il est important de faire plus pour ceux-ci afin qu’ils puissent s’intégrer adéquatement à la société (trouver du travail, une maison, etc.).

19  Traduction de l’anglais : « Governance is about more than style. At some point you have to deliver » (Salomon, 2016).

20  Tel qu’on peut le lire, par exemple, dans les analyses qui ont commenté la séance de photographies prise par Justin Trudeau et son épouse pour le magazine Vogue (canoe.ca, 12 décembre 2015).

21  Nous n’irons pas plus loin en ce sens, mais nous aurions pu inclure des réflexions sur les caractéristiques du medium qui en informent également l’expérience.

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