3. Le sport dans les médias audiovisuels, une offre limitée par une double contrainte économique
p. 67-79
Texte intégral
1Les années 1980 marquent le renforcement et un changement d’échelle des relations économiques entre le sport et les médias. Plus particulièrement quelques sports populaires contribuent au développement des médias audiovisuels, tout en profitant de cette nouvelle visibilité. Cette deuxième partie s’intéresse donc à ces nouveaux liens et à la domination des médias commerciaux, en premier lieu de chaînes de télévision, pour mieux envisager la manière dont ils recomposent le métier de journaliste sportif, en lien avec le renouvellement du personnel. Plus largement, cette restructuration, et les nouveaux modèles d’excellence qui l’accompagnent, révèlent des transformations générales du champ journalistique. Pour autant, la forte concurrence et la diversification de l’offre ne sont pas une rupture radicale avec l’état antérieur. Malgré l’existence de traitements subversifs, la nouvelle division du travail journalistique, qui varie selon les positions dans cet espace, est fortement déterminée par les lois du marché et la dépendance au spectacle.
Le commentaire de télévision, un exemple du poids des logiques commerciales
2Le sport dans les médias audiovisuels se caractérise par une double contrainte économique : l’une lie contractuellement certaines chaînes de télévision aux institutions sportives, l’autre est imposée par les verdicts d’audiences. La structure de l’économie du sport télévisé, associée aux principes de consécration journalistique en vigueur au sein de ce média, ont des effets directs sur la médiatisation du sport (ou, faudrait-il écrire, du football professionnel).
L’emprise des « droits télés »
3« Pas de télé – pas de sponsor, pas de sponsor – pas d’argent, pas d’argent – pas de champions, pas de champions – pas de télé1 », écrit un ancien journaliste sportif, synthétisant la configuration contemporaine du sport professionnel et soulignant indirectement les contraintes inhérentes au travail à la télévision. Cette économie tripartite s’organise progressivement à partir du début des années 19702. Lors de la saison de football 1973-1974, l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), qui succède à la RTF, s’acquitte d’une somme de 500000 francs (75000 euros) pour obtenir les droits de retransmission des images du championnat de France de première division. La commercialisation s’intensifie avec le démantèlement de l’ORTF en 1974, le passage d’un monopole d’État à un régime concurrentiel (création d’Antenne 2 et de TF1, qui sera privatisée en 1987). Dans un premier temps, les deux nouvelles chaînes se partagent les principaux événements comme les étapes du Tour de France, les matchs de tennis du tournoi Roland-Garros à Paris. Elles vont jusqu’à tirer au sort le choix des retransmissions des rencontres de la Coupe d’Europe de football3. Les fortes audiences incitent rapidement les deux chaînes à rechercher l’exclusivité. En 1975, les dirigeants de la première chaîne s’accordent avec le président du club de football de Saint-Étienne pour retransmettre quatre matchs en direct contre la somme de 400000 francs (60000 euros). Par comparaison, fin 2016, le marché des droits sportifs en France représente 1,45 milliard d’euros (+25 % par rapport à 2011), dont 80 % sont captés par le football4. L’inflation des investissements trouve son origine dans le succès médiatique du sport5, avant tout du football6. Il a pour conséquence d’élargir ce sous-espace médiatique avec l’arrivée progressive de chaînes spécialisées et, surtout, de nouveaux acteurs dotés en capitaux économiques en lutte pour l’exclusivité des programmes sportifs, tout particulièrement Canal Plus en 1984, BeIn Sports en 2012 ou encore SFR Sport en 2016. Ce poids croissant des logiques économiques est très concrètement, et négativement, ressenti par certains professionnels. Par exemple, Alain Vernon, 56 ans, journaliste au service Sports de France Télévisions, délégué CGT et marginalisé au sein de sa rédaction après trente ans de carrière au même poste, évoque cette autocensure économique et ses effets directs.
« Une immense machine tentaculaire faite de milliards de tuyaux qui tous rapportent de l’argent à des gens. Donc merci la technologie, merci l’image, merci la mondialisation. C’est ce qui enrichit aujourd’hui les joueurs, les clubs, les dirigeants, les entraîneurs, les sponsors, les gens des télés, les journalistes, tous ceux qui rôdent autour du spectacle sportif. Ce n’est pas près de s’arrêter car l’argent tombe tous les ans. Maintenant on en est à 600 millions d’euros versés par Canal Plus pour avoir le foot. […] Aujourd’hui, tous ces mecs qui ont mis en place des tuyaux ont dit aux gens des télés : “on va se faire un fric monstrueux”. Évidemment, pour que tout cela fonctionne bien, vous allez mettre en place des équipes de journalistes qui font la parodie, la beauté du spectacle sportif. »
David Garcia, “Jeudi d’Acrimed” en vidéo [suivie d’un entretien] : « Journaliste de sport ou marchand de spectacle ? », Acrimed.org, publié le 26 novembre 2012, consulté le 25 janvier 2016.
4De moins en moins à l’écran, cet ancien sportif de bon niveau, formé au journalisme à l’IUT de Bordeaux, montre la mise à l’écart des registres critiques dans sa rédaction.
« Aujourd’hui, j’ai 56 balais. Je suis le seul à faire des enquêtes, à sortir des trucs sur les paris truqués, les rétro-commissions dans les transferts de foot, le dopage, etc. Quand je serai parti, il n’y a plus personne pour prendre la place. Dominique Le Glou, mon grand pote de l’époque, Chapatte [directeur des Sports de France Télévisions dans les années 1980], aussi. Une fois qu’on sera partis, il n’y aura personne pour prendre la place. En revanche, ils sont des milliers à vouloir faire le beau. Parce que quand vous allez à Roland-Garros, vous êtes invités tous les midis à bouffer par un sponsor, vous allez à la table des partenaires, dans les loges, vous buvez le champagne, on vous file des cadeaux, on vous met à l’antenne. Qu’est-ce que vous allez casser la machine ? Vous allez vous ramener le lundi en disant : “Monsieur, j’ai une histoire pourrie sur Roland-Garros, le tennis ?” On va te dire : “Range ton truc, tu ne vas pas casser le jouet ?” Et c’est comme ça ! Moi, j’ai fait une enquête sur le Tour de France en 1989 avec Dominique Le Glou, on a révélé tout ce qu’on pouvait dire sur le vélo. Ça a fait du bruit à l’époque. On a failli perdre le contrat Tour de France. Depuis, je n’ai jamais fait le Tour7. Aujourd’hui, j’en suis réduit à faire une minute tous les soirs à “Tout le Sport” [émission quotidienne d’informations sportives sur France 3] parce que je ne suis sur aucun événement. Je ne fais ni Roland-Garros, ni le Tour, ni les Jeux. Je ne fais plus rien. Ce n’est pas parce que je suis un nul. Au contraire, c’est parce qu’on craint ce que je peux faire, les questions que je peux poser sur la pelouse ou ce que je vais dire pendant les Jeux. » (Ibid.)
5Cette économie écarte certains journalistes autant qu’elle expose des professionnels de l’hyperbole et de l’apologie.
6« Quand je suis arrivé dans le bureau de Chapatte, je pensais être journaliste. Maintenant, on m’a demandé d’être ingénieur commercial. J’ai dit à Bilalian, c’est pas mon boulot. […] C’est surtout pas des mecs comme moi qu’on va mettre sur les directs, pour habiller les événements […] On va mettre des mecs comme Nelson Monfort, on va mettre des mecs qui savent passer la main dans le dos. » (Ibid.)
7Alain Vernon cite Nelson Monfort (né en 1953) comme il aurait pu parler de Gérard Holtz (1946) ou Patrick Montel (1953), tous proches de la retraite, et toujours présents lors des principales compétitions internationales retransmises par France Télévisions. Par exemple, ce commentaire de Patrick Montel, lors de l’épreuve de combiné nordique des JO d’hiver en 2010 remportée par le Français Jason Lamy-Chappuis, est typique de ce qu’est le journalisme sportif à la télévision lors de ces rituels :
« Impeccable Jason mais il faut revenir sur Spillane ! Peut-être là maintenant ! Spillane qui va négocier parfaitement le dernier virage descendant, qui va se lancer maintenant à corps perdu. Alors que Jason ! Jason a fait l’intérieur !!! Allez, il passe en deuxième position !!! Jason Lamy-Chappuis comme un grand, comme un futur champion qu’il va être !!! Allez !!! Allez !!! Il va le faire !!! Il va faire Marc Raquil aux championnats de Paris [ndla : d’athlétisme] !!! Il va revenir !!! Allez Jason !!! Allez, allez, allez, Jason, ça revient ! L’Américain Spillane est à bout, il n’en peut plus ! La dernière ligne droite, l’entrée du dernier virage ! Jason Lamy-Chappuis qui va donner tout ce qu’il a ! Allez Jason ! Allez ! Oui il l’a fait !!! Il est champion olympique !!! Énorme ! Énorme ! Il l’a fait ! Il l’a fait ! Il l’a fait ! »
France Télévisions, 14 février 2010.
8Patrick Montel, commentateur sur France Télévisions depuis plus de 25 ans après avoir enseigné l’économie (titulaire d’un DEA), donne un aperçu de la naturalisation de l’enthousiasme, du tutoiement et du chauvinisme dans le commentaire télévisé8. À la fin de l’année 2012, il est un protagoniste indirect d’une « affaire » médiatico-sportive. Celle-ci aboutit à la mise en examen de plusieurs joueurs du club de handball de Montpellier suspectés de paris en ligne sur la défaite de leur propre équipe (ils seront condamnés à de la prison avec sursis). Après la divulgation des premières informations, il publie un article à ce sujet sur son blog professionnel.
« Ce papier a été rédigé le 17 mai dernier. Si je ne le mets en ligne qu’aujourd’hui c’est parce que j’ai voulu croire jusqu’au bout qu’il ne s’agissait que d’une méchante rumeur et qu’il était important avant toute chose de protéger les athlètes et le sport incriminé. L’actualité de ce jour semble corroborer la tricherie. Voici donc la petite chronique d’une rencontre truquée ordinaire. »
Patrick Montel, « L’histoire des paris illégaux concernant le Montpellier Cesson de Handball ! », La Prolong’ de Patrick Montel hébergé in Blog. France2.fr, publié le 26 septembre 2012, consulté le 7 octobre 2016.
9Interrogé par un collègue sur les « dessous de son scoop », il justifie son comportement en indiquant ainsi ses priorités professionnelles.
« Cela fait presque cinq mois que ce match a eu lieu, pourquoi avez-vous attendu pour faire ces révélations ?
– Nous n’avions pas que cela à faire. Notre été était chargé et je suis parti six semaines à Londres pour couvrir les Jeux Olympiques. On nous a d’ailleurs reproché, une absurdité, d’avoir dissimulé les résultats de notre enquête pour protéger les JO. […]
– Patrick Montel, comment réagissez-vous au retentissement pris par cette affaire ?
– Nous n’avons fait que notre travail et nous ne sommes pas responsables du caractère spectaculaire que cette affaire a pris. J’ai l’impression de me retrouver mis en accusation alors que je suis plus heureux de commenter un match. »
Emmanuel Schwartzenberg, « Handball : Patrick Montel raconte les dessous de son scoop », LeFigaro.fr, publié le 3 octobre 2012, consulté le 7 octobre 2016.
10Adaptée aux attentes institutionnelles, cette conception du professionnalisme portée par des journalistes occupant des positions dominantes9 sert parfaitement les intérêts commerciaux en jeu au moment de ces grandes compétitions médiatisées10.
La consécration par l’audience
11Ces journalistes sportifs sont consacrés par leur propre milieu, notamment lors des cérémonies des « 7 d’or » qui donnent des indices sur les critères d’évaluation du journalisme de télévision et le poids du public dans la légitimation de ces professionnels11. Gérard Holtz, depuis 25 ans à France Télévisions, a ainsi remporté le prix du « meilleur journaliste sportif » à cinq reprises. Diplômé d’une prestigieuse école de journalisme parisienne, le Centre de formation des journalistes (CFJ) avant de faire ses débuts à l’ORTF, il possède du fait de sa notoriété sa marionnette aux « Guignols de l’info ». Présentateur du JT de 13 heures au début des années 2000, il est caricaturé pour sa passion affichée ostensiblement et ses prises de paroles acritiques12. Interviewer sur les compétitions, ou présentateur d’émissions sportives, il ponctue souvent le programme par la même phrase, qui lui est désormais associée : « Vive le sport sur France Télévisions ! »
12De même, Thierry Roland, commentateur des matches de football sur la première chaîne durant plusieurs décennies, a reçu le « 7 d’or » du « meilleur journaliste sportif » en 1997. Issu d’un milieu relativement bourgeois, il débute à 18 ans à la radio avant de rejoindre la télévision successivement à l’ORTF, Antenne 2 puis à TF1 où il effectue l’essentiel de sa carrière. Pendant plus de 50 ans, ses commentaires durant le match ont une double visée. La première est de délivrer l’information de base et de décrire factuellement l’action en cours. Ce premier niveau d’information est complété par un registre émotionnel qui fonde la critique de ce genre. Pour faire « vivre » le match, la parole est libérée et inclut des prises de positions partisanes, insultantes et parfois même racistes.
« Mr Foote [l’arbitre du match], vous êtes un salaud ! »
Bulgarie-France, 9 octobre 1976.
« Honnêtement Jean-Michel [Larqué, son collègue commentateur], ne croyez-vous pas qu’il y a autre chose qu’un arbitre tunisien pour arbitrer un match de cette importance ? »
Angleterre-Argentine, 22 juin 1986.
« Il n’y a rien qui ressemble plus à un Coréen qu’un autre Coréen, surtout habillés en footballeurs, d’autant qu’ils mesurent tous 1,70 m, qu’ils sont tous bruns, à part le gardien. »
Corée du Sud-France, 26 mai 2002.
13Les « Guignols de l’info » créent également une marionnette pour Thierry Roland, faisant de ce personnage un « beauf populiste13 ». Cette vedette de la télévision – dont le décès en 2012 a été largement médiatisé – possède une légitimité « populaire » en dépit de son éloignement des idéaux journalistiques. D’ailleurs, s’il reçoit le « 7 d’or » une seule fois au cours de sa longue carrière, il le doit uniquement à une modification des règles de l’élection qui donne tout le pouvoir de vote au public. Les nouveaux principes de consécration institués par les « 7 d’or », révélateurs de l’emprise du public sur la télévision, confortent des personnages comme Gérard Holtz ou Thierry Roland malgré leurs pratiques déviantes repérées par la veille médiatique effectuée par leurs propres collègues ou sur les réseaux sociaux (le 1er aout 2012, Charlie Hebdo titre en « Une » : « JO : Débarrassez-nous des journalistes sportifs ! »). Loin d’être des « dérapages », terme occultant les fondements profonds de ces conduites, le recours à des clichés, racistes14 ou sexistes15, ne fait que révéler leur intériorisation. Ces propos sont avant tout l’expression de représentations sociales ancrées au sein de médias16, de fractions de l’espace des sports et au-delà.
14Cette face visible du journalisme sportif télévisé est révélatrice du fonctionnement du journalisme de télévision. Preuve de l’ajustement des spécialistes de sport à l’environnement télévisuel, il n’est pas surprenant que ces professionnels circulent au sein de l’espace. Gérard Holtz, tout comme Patrick Chêne, ancien directeur des Sports à France Télévisions, ont assuré la présentation du JT. Thierry Roland et Nelson Monfort sont présents sur les plateaux d’émissions de divertissement, respectivement aux « Grosses Têtes » sur RTL et « Intervilles » sur TF1. Michel Drucker, avant de devenir l’animateur d’émissions populaires, était commentateur de football. Etre journaliste sportif n’est ainsi en rien discriminant au sein de l’espace télévisuel. Les pratiques des commentateurs de sport sont le produit d’une rencontre entre deux sous-espaces journalistiques, la télévision et le sport, orientés vers la captation d’un large public. Cette affinité structurale n’empêche pas le renouvellement (relatif) du sport télévisé depuis une vingtaine d’années.
Un renouvellement relatif
15La diversification des modes de présentation du sport doit beaucoup à l’arrivée de Canal Plus dans l’audiovisuel. La chaîne privée innove par rapport aux habitudes des chaînes publiques que ce soit dans les choix éditoriaux, les dispositifs techniques de mise en scène ou les pratiques journalistiques.
Canal Plus, le développement du spectacle sportif télévisé
16Avec le cinéma, le sport est à la base de son succès commercial. Cinq jours après son lancement en 1984, la première chaîne payante diffuse un match du championnat de France de football, contre la somme de 250000 francs (soit environ 40000 euros), dans le cadre d’un contrat passé avec la Ligue de football professionnel (LFP). Dès lors, la chaîne cryptée devient un partenaire économique pour le football français17, s’acquittant de « droits télés » à hauteur de 600 millions d’euros pour la période 2012-2016. Alors que TF1 se concentre sur la protection de son magazine « Téléfoot » et la diffusion de l’équipe de France de football pour toucher le « grand public », Canal Plus s’accapare le championnat de France et la Coupe d’Europe de football pour attirer les initiés. Dans le même esprit, la chaîne propose des sports plus confidentiels (boxe, basket américain) pour coopter le public imaginé (jeune et urbain18). De même, la réalisation des programmes est elle-aussi novatrice. Si on assiste à une homogénéisation des modes de production depuis le milieu des années 200019, il faut toutefois préciser le rôle de Canal Plus dans la diffusion de dispositifs aujourd’hui banalisés. Dès les débuts de la chaîne, des réalisateurs, en premier lieu Jean-Paul Jaud, concourent à la spectacularisation des programmes.
« Dès que j’ai rencontré les gens de Canal Plus, j’ai su que ça collerait entre nous. Nous avons la même passion pour le sport et les mêmes aspirations. Nous en avions ras-le-bol du fonctionnement des chaînes publiques, de toutes ces incompétences, de tout ce conformisme. Le jour de mon premier direct sur Antenne 2, pour un match de volley-ball, j’ai été démoli par Robert Chapatte [responsable des Sports de la chaîne], qui m’a dit “Vous, vous ne placez pas vos caméras comme les autres”. »
Jean-Paul Jaud, cité par Maitrot Éric, op. cit., 1995, p. 82.
17Formé à l’école cinématographique Louis Lumière, il importe dans le sport des méthodes alors subversives.
« Pourquoi ma vision a-t-elle marché ? Pour moi, il y a un langage audiovisuel. Je l’ai donc appliqué à l’écriture cinématographique. J’ai refusé le style habituel. Au lieu de réaliser un film après son montage ou autre, eh bien, je le réalisais en direct ! C’était pour moi la loi obligatoire du raccord, celle de l’écriture des plans larges et des plans rapprochés. J’ai absolument respecté ce langage cinématographique […] Chaque fois que je me déplaçais dans un stade on me disait : “Les autres ne mettent pas les caméras là où vous les placez, il faut changer, vous ne pouvez pas les mettre là… Si, si, je les mettrai là”. »
Jean-Paul Jaud, cité par Gabaston Pierre, « Distraire et surprendre ou la mise en scène du sport à la télévision selon Jean-Paul Jaud », in Pierre Gabaston et Bernard Lecomte [dir.], op. cit., 2000, p. 117-130.
18La mise en scène, et les innovations technologiques qui la soutiennent (ralenti, caméra-loupe, etc.), visent, d’un côté, l’esthétisation des images, pour « magnifier le geste et faire aimer le sport comme je l’aime » (ibid.), et, de l’autre, à établir une proximité entre le téléspectateur et la scène sportive. Jean-Paul Jaud est le premier à filmer les couloirs du stade et les vestiaires.
« Un autre concept auquel j’ai tenu, c’est que j’estimais qu’un événement sportif ne commençait pas au coup d’envoi et ne finissait pas au coup de sifflet final. C’est comme au théâtre, c’est pour cela qu’on peut considérer le sport comme un spectacle, vous n’arrivez pas au moment des trois coups. Vous arrivez avant, vous vous installez, vous demandez le programme, qui va jouer ? » (Ibid.)
19Cette approche fait école et s’applique à d’autres domaines. Jean-Jacques Amsellem et Jérôme Revon, réalisateurs formés à « l’école Canal Plus » à la fin des années 1980, collaborent ponctuellement avec d’autres médias pour mettre en scène la politique (par exemple les soirées électorales sur France 2, l’émission d’informations « 7/7 » sur TF1), ou encore les programmes de téléréalité (« Star Academy » sur TF1). Cette circulation confirme que la télévision est un outil de production de biens symboliques standardisés, reposant sur l’esthétisation et la personnalisation.
20La capacité de Canal Plus à réinventer le sport, et la télévision, s’exerce également sur le commentaire. Deux noms, révélateurs de transformations profondes, sont associés à ce renouveau. Charles Biétry, responsable du service Sports à son lancement, et Thierry Gilardi, arrivé en 1987, commentent les principaux matchs de football en binôme pendant les années 1990. Au premier abord, leur conception du métier n’est pas une rupture radicale avec celles de leurs concurrents. Cela se ressent dans les critères retenus par Charles Biétry au moment de constituer son équipe de journalistes : « Je cherchais des fous furieux de sport qui sachent faire passer leur propre passion à l’antenne […] Je voulais que la télévision n’atténue plus l’émotion du sport. Que le téléspectateur vive les matchs à cent pour cent comme s’il était au stade20. »
21Né en 1943, Charles Biétry a été salarié de l’AFP de 1966 à 1984, période durant laquelle il reçoit le prix USJSF du meilleur article de l’année 1975. Diplômé du CFJ en 1966, il est l’un des premiers spécialistes de sport à recevoir une formation initiale spécifique. Il quitte le service Sports en 1998 pour devenir président du PSG à la place de son successeur, Michel Denisot21. Thierry Gilardi, lui, est recruté à 29 ans, après des débuts à France Inter. Issu d’une famille des classes supérieures, il représente une nouvelle génération dotée d’un capital plus « journalistique », notamment du fait de sa trajectoire scolaire. Diplômé de l’IEP Paris, il apporte une dimension technique et didactique au commentaire. Début 2005, un article de Libération revient sur son arrivée à TF1 quelques semaines plus tôt, à la place de Thierry Roland.
« Bazardant la stagnation bonne copine qui le voyait vieillir sur pied à Canal Plus, Thierry Gilardi passe à l’ennemi et rejoint TF1. Il faut dire que la proposition est de celles qu’il est difficile de snober quand on fait carrière dans le sport-télé. Gilardi devient le commentateur des matchs des Bleus, ces catapulteurs d’audience. Il empoigne le porte-voix de la France du foot. Il sera le héraut en clair et sans décodeur, de ceux qui vont devoir succéder aux héros du Mondial 98. À charge pour eux de soigner l’exécution. À charge pour lui d’en déringardiser la célébration. Avant Thierry, il y avait déjà Thierry. Mais entre Gilardi et Roland, il y a un monde.
[…] Roland est d’une génération pour laquelle le foot reste un jeu pas bien grave, un truc de copains, qui ne nécessite pas un investissement exagéré. Après trente ans de carrière et 1700 matchs, il se rend au stade au dernier moment, se dispense des entraînements et des visites au vestiaire, s’informe en lisant France-Football, ne s’angoisse pas de quelques approximations, et salive déjà en pensant aux repas entre mecs, avec cigare et gaudriole, qui font ses troisièmes mi-temps. Gilardi, lui, sait que le foot est devenu adulte. Qu’il faut passer du temps, s’immerger, enquêter, pour dévoiler la tactique retenue mais aussi les secrets et les conflits des hommes. À Canal, on se souvient de ses “fiches annotées en rouge, rangées dans une chemise jaune” et du “déjeuner-conducteur” à quelques heures du coup d’envoi, “où Gilardi savait déjà tout du match qui n’était pas encore joué”. À TF1, on lui dit : “Ne changez rien, faites du Canal.” Mais, au-delà de sa “compétence”, on souligne aussi l’“enthousiasme” et le “toucher populaire” de cet amateur de thrillers, qui admire Al Pacino et Annette Bening, qui aime boire du Ducru-Beaucaillou et passe ses vacances sur la côte d’Azur, en bateau à moteur. Car il ne s’agit plus seulement d’abreuver l’abonné de statistiques, mais de faire vibrer à la fois le pays profond et la France contemporaine. »
Luc le Vaillant, « Pas tout à fait Thierry », Libération.fr, publié le 6 janvier 2005, consulté le 7 octobre 2016.
Légitimation des consultants et personnalisation des débats médiatiques
22Ce renouvellement relatif de l’offre sportive se traduit également par le renforcement du poids des consultants sportifs. Certes, elle n’est pas nouvelle puisque, dès les années 1930, la presse sportive, et surtout L’Auto, confie des chroniques à des « champions ». La radio fait de même, notamment Europe 1, qui engage un consultant en 1968, Pierre Albaladéjo. L’USJSF interdit à cet ancien joueur de l’équipe de France de rugby de pénétrer en tribune de presse et donc de s’asseoir à côté de son collègue-journaliste. L’anecdote raconte qu’ils s’échangeaient le micro à travers la clôture de séparation pour commenter le match22. Il est ensuite le premier consultant à évoluer à la télévision en 1974. Antenne 2 l’associe à un journaliste, jusque-là seul pour animer le spectacle. En 1980, sur la même chaîne, Jean-Michel Larqué, ancien joueur de l’équipe de France de football et de l’AS Saint-Étienne, rejoint Thierry Roland pour commenter les matchs de football. Les deux sont recrutés par TF1 en 1984. Au même moment, l’arrivée de Canal Plus sur le marché du sport télévisé marque la systématisation progressive de cette relation entre le consultant et le journaliste.
23Au sein de la chaîne cryptée, le recrutement des consultants s’opère selon deux principes de légitimité. Le premier, technique, repose sur la recherche de compétences spécifiques. C’est ce qui justifie le recours à Georges Eddy, ancien joueur de basket professionnel, qui commente les sports américains (basket, football américain) sur la quatrième chaîne de 1984 à 2012. Il s’agit d’effectuer de la pédagogie pour familiariser à des sports confidentiels. Le second principe est plus médiatique et recourt au public comme instance légitimante. Charles Biétry recrute d’anciens sportifs à fort capital symbolique23 : le footballeur Michel Platini, le joueur de tennis Yannick Noah, le skieur Jean-Claude Killy ou encore le cycliste Bernard Hinault. Ces deux formes d’expertise crédibilisent leur participation à la médiatisation du sport selon des modalités bien distinctes de l’activité journalistique24. La division du travail cantonne le journaliste à la description, étayée par les statistiques25, et à l’émotion. Il s’efface devant la parole d’explication du consultant, fondée sur la familiarité avec le terrain26. Son sens pratique, développé par l’incorporation de savoir-faire techniques, l’érige en juge, reléguant le journaliste. C’est d’autant plus vrai dans un contexte où se multiplient, à la télévision et à la radio, les émissions sur le modèle des talk-shows. Sur RMC, où le sport représente plus de 70 heures d’antenne par semaine, la grille des programmes propose pléthore de talk-shows sportifs mettant en scène des consultants. Certaines émissions, comme « Larqué foot » ou « Moscato show » reprennent même le nom d’anciens sportifs devenus animateurs, rôle classiquement dévolu aux journalistes. Les consultants les plus exposés sont ceux qui sont compétents pour parler des sports populaires, avant tout de football. Selon une enquête Médiamétrie, plus de 11 millions d’auditeurs suivent les émissions de sport sur RMC, RTL, Europe 1 et France Bleu27.
24Les bonnes audiences réalisées par ce type de programmes sont génératrices de conformisme. Elles incitent certaines chaînes de radio ou de télévision, pourtant longtemps en marge de l’espace du sport télévisé, à lancer leurs propres talk-shows sportifs pour réaliser de l’audience. De 2005 à 2011, M6 propose à ses téléspectateurs une émission au titre explicite : « 100 % foot ». Présentée par un journaliste, elle repose sur le même principe : des thèmes annoncés par l’animateur et développés par des consultants. Parmi eux, figure Pierre Ménès, figure dominante de la médiatisation du football, dont la trajectoire et les pratiques révèlent une forme d’excellence dans cet espace professionnel.
25Né en 1963, Pierre Ménès suit des études d’histoire avant de rejoindre le « Club Med » en tant qu’animateur où il donne des cours de tennis. Fils d’un père assureur et d’une mère professeure d’anglais, il devient pigiste à 21 ans au sein de la presse sportive dominante du groupe Amaury, à l’hebdomadaire France Football puis au quotidien L’Équipe. Il y gravit les échelons jusqu’à couvrir l’équipe de France de football. Sa légitimité repose en partie sur son carnet d’adresses, en tant que ressource stratégique, comme le dit un collègue-concurrent du Parisien : « En 2002, il est le seul journaliste français à avoir les 22 numéros de téléphone des joueurs retenus pour la Coupe du monde28. » En 2005, il quitte le journalisme pour devenir directeur du développement du club de football de Reims pour une courte durée. Il réintègre en effet rapidement le monde des médias et plus particulièrement M6 où il participe au talk-show hebdomadaire « 100 % foot ». Il endosse définitivement le rôle de consultant et abandonne sa carte presse (et les contraintes salariales qui l’accompagnent). En 2009, il est recruté par Canal Plus pour l’émission « Canal football club », diffusée en clair en amont du match de football diffusé en prime-time. Animateur d’un blog « Pierrot le foot » dans lequel il décrypte l’actualité footballistique, il est dans le même temps sous contrat publicitaire avec Unibet, société de paris en ligne. Sa notoriété se mesure également à ses apparitions au cinéma dans des diffusions grand public, et à sa marionnette aux « Guignols de l’info », où il est caricaturé en « beauf ». Malgré des proximités assumées avec de nombreux footballeurs avec lesquels ils partagent des virées nocturnes29, son ton polémique n’épargne pas les joueurs et entraîneurs. Sa légitimité, attestée par ses multiples positions (consultant, commentateur, blogueur) et ses rémunérations (250000 euros en 2010), reflète cette tendance lourde à l’individualisation des débats médiatiques. Les émissions proposant du « bavardage sportif30 », et recrutant des profils comme celui de Pierre Ménès, sont porteuses d’une conception misérabiliste du public. Comme l’écrit Vincent Goulet au sujet du succès de l’émission généraliste de RMC « Les Grandes Gueules » auprès des classes populaires, la force de ces programmes est « dans le style d’énonciation, sur une façon directe et polémique » au détriment des contenus « qui sont au sens propre et figuré, discutables31 ». En 2012, RMC lance « Les Grandes Gueules du sport » sur ce même modèle32. S’il est très fort, le « potentiel dépolitisant33 » de ces émissions est malgré tout à nuancer. Parmi les acteurs particulièrement exposés, le journaliste Daniel Riolo déploie fréquemment une critique des institutions du football lors de l’« After foot » sur RMC, programme réalisant les meilleures audiences en soirée toutes radios confondues. Né en 1970, diplômé, après des études de droit, d’une école de journalisme parisienne, l’Institut français de presse (IFP), il fait preuve d’une certaine appétence pour les sciences sociales. Elle se traduit par des débats, certes épisodiques, avec des sociologues (Stéphane Beaud, Nicolas Hourcade, Ludovic Lestrelin, Frédéric Rasera), des économistes (Bastien Drut) ou des médecins (Jean-Pierre de Mondenard), tous passés par le plateau de l’« After Foot » pour y évoquer les conditions de travail des footballeurs, le supporterisme, la corruption ou le dopage. Détenteur de son propre blog sur le site de la chaîne, il n’est pas pour autant en décalage avec la tonalité des talk-shows sportifs. Sa présence à l’antenne est sans doute davantage due à la radicalité de ses prises de positions, à sa propension à « faire le spectacle ». Par exemple, il s’emporte ainsi au sujet de l’équipe de France de football, éliminée depuis quelques minutes de l’Euro 2012.
« Stop quoi. Stop. Arrêtons. Ca fait trop longtemps que ça dure. Qu’on dise enfin la vérité bon sang ! Qui est le sauveur ? Donnez-moi le nom du sauveur qui va prendre en main le football français et qui va permettre à ce talent de s’exprimer ! Ça fait depuis 2006 que j’entends vos conneries ! Stop à la fin !!! »
« After Foot », RMC, 24 juin 2012.
26Polémiste, il est à rapprocher d’un Pierre Ménès, avec lequel il co-écrit en 2013 un ouvrage au titre évocateur : « L’explication, clash football club ». Ils y affirment cependant leur désaccord sur la manière de se positionner par rapport aux sources. Si le consultant de Canal Plus naturalise la proximité, le journaliste-éditorialiste de RMC la rejette. La reconnaissance professionnelle au sein des médias commerciaux de grande audience présente donc des formes diversifiées ayant en commun la recherche du sensationnel et la personnalisation des débats médiatiques transformant la médiatisation elle-même en un spectacle.
27Au-delà des éléments de synthèse34 sur les liens entre sport et télévision (et secondairement la radio), il s’agissait dans ce chapitre de montrer la façon dont cette intrication économique peut produire un spectacle validé par les audiences. Cependant, la concurrence médiatique est également propice à des stratégies de distinction. Les nouveaux arrivants, à l’image des journalistes de Canal Plus, apportent ainsi une conception plus « technique », souvent certifiée scolairement, et ce d’autant plus que leur rôle est restreint et retraduit par le magistère des consultants. Ce renouvellement ne doit pas s’entendre comme l’émergence d’une critique sociale du sport. Les programmes développés, comme les talk-shows et autres émissions de décryptages, ne contestent pas les pratiques dominantes et confortent au contraire la médiatisation du spectacle footballistique. De ce point de vue, le sport à la télévision est avant tout de la télévision, au sens où il en respecte les codes et s’aligne sur les verdicts du marché, selon des modalités variables. En effet, le journalisme de télévision ne constitue pas un groupe homogène ; il est traversé par plusieurs « catégories de professionnalisme », à l’image de ce qui se passe dans la presse écrite35.
Notes de bas de page
1 Maitrot Éric, Sport et télé. Les liaisons secrètes, Paris, Flammarion, 1995, p. 305.
2 L’alliance objective n’avait rien d’implacable. Au milieu des années 1950, le football disparaît des écrans car la RTF n’accède pas aux requêtes financières de la fédération s’estimant propriétaire de l’information. Cette relation conflictuelle est traversée par des accords ponctuels comme l’engagement de la RTF à ne pas annoncer à l’avance la diffusion des matchs pour ne pas dissuader les spectateurs de se déplacer au stade. Brochand Christian, « Le sport à la télévision : un vieux couple à histoire », Communication et langages, vol. 92, 1992, p. 25-40.
3 Maitrot Éric, op. cit., 1995, p. 30.
4 Conseil supérieur de l’audiovisuel, Sports et télévision. Contributions croisées, juin 2017, p. 4.
5 La visibilité du sport se mesure à la hiérarchie des journaux télévisés. En 2000, 2004 et 2006, années de compétitions internationales (JO, Coupe du monde de football) il se place en troisième position derrière l’information internationale et les faits de société. Sur toute la dernière décennie (2000-2010), il représente 7,7 % de l’offre globale et devance les informations économique, politique ou culturelle. Ina stat, « Place au sport », Le baromètre des journaux télévisés, no 17, juin 2010, p. 1.
6 Parmi les dix meilleures audiences de l’histoire de la télévision française, toutes réalisées par des matchs sportifs, neuf concernent le football (et une le rugby).
7 Le lundi 10 avril 1989, il rompt avec le discours général des journalistes en proposant sur Antenne 2 un reportage, « Danger dopage », dénonçant les pratiques de dopage dans le cyclisme.
8 Son collègue à France Télévisions, Nelson Monfort, diplômé de Sciences Po Paris, formé sur le tas au métier, est élu « journaliste le plus chauvin » par le Wall Street Journal durant les JO de Londres en 2012. Charles Forelle, David Enrich, « The Loudest Olympics Fans ? The Hardbitten Folks in the Press Box », Wsj.com, publié le 7 août 2012, consulté le 25 janvier 2016.
9 Parue en 2016, l’autobiographie de Patrick Montel est présentée sous un titre parlant, Concentré d’émotions.
10 Nelson Monfort et Patrick Montel ont tous les deux été inquiétés ces dernières années par leur direction pour avoir collaboré avec des sponsors pour animer des manifestations promotionnelles.
11 Leroux Pierre, « Les deux publics des “7 d’or”. Principes de célébration et de consécration du journalisme télévisuel », Politix, no 37, 1997, p. 57-80.
12 Cette émission ne se résume pas uniquement à une parodie du journal télévisé. Elle contribue à souligner avec réalisme le fonctionnement en circuit fermé de la télévision, mais aussi les ressources des journalistes les plus visibles. Collovald Annie et Neveu Erik, « Les “Guignols” ou la caricature en abime », Mots. Les langages du politique, no 48, 1996, p. 87-112.
13 Le Guern Philippe, « Le “beauf” ou la vedette ? Thierry Roland et la construction d’une identité professionnelle », in Pierre Gabaston et Bernard Leconte (dir.), Sport et télévision. Regards croisés, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 183-198.
14 Lors d’un match de la Coupe du monde 2010 de football, Christian Jeanpierre, entré à TF1 en 1988 où il se forme sur le tas après un BTS en études agricoles, justifie l’endurance d’un joueur en considérant que « ses origines africaines lui donnent le surplus d’énergie pour tenir ». Raphael Girard, « “Le surplus d’énergie africain”, affreux cliché du Mondial” », Rue89.com, publié le 15 juin 2010, consulté le 25 janvier 2016.
15 Le recours aux stéréotypes de genre révèlent leur banalisation, particulièrement forte dans le sport. Lors d’une interview d’une judokate au moment des JO, Gérard Holtz tente un compliment : « On peut être une grande championne et rester jolie comme vous. » Ce sexisme ordinaire est à mettre en perspective avec la composition très masculine du groupe. En 2012, le service des Sports de France Télévisions compte ainsi 50 journalistes et seulement deux femmes.
16 Mennesson Christine et Sorignet Pierre-Emmanuel, « Les figures des immigrés dans les articles sportifs de la presse régionale », Sciences de la société, no 72, 2007, p. 93-109 ; Montanola Sandy, « La complexe médiatisation des sportives de haut niveau : le cas des championnats du monde d’athlétisme », Sciences de la société, no 83, 2012, p. 82-103.
17 En 1991, la chaîne rachète le club du Paris Saint-Germain (PSG) dont le président devient Michel Denisot, alors commentateur des matchs de football sur la même chaîne. Ce rapprochement est symptomatique d’une des formes d’interpénétration entre les deux espaces, à savoir la circulation, comme en politique, des journalistes les plus réputés vers l’espace médiatisé. Nous y reviendrons.
18 Pastiaux Cécile, « Les recettes de Canal Plus », Mediaspouvoirs, no 14, 1989, p. 109-118.
19 Lochard Guy, « Les régimes de visualisation des compétitions sportives », Sciences de la Société, no 72, 2007, p. 9-26.
20 Cité par Maitrot Éric, op. cit., 1995, p. 81.
21 Autodidacte, sa légitimité journalistique ne se limite pas au sport : pigiste dès l’âge de 15 ans dans la presse locale, il présente le journal télévisé de 13 heures sur TF1 dans les années 1970 et anime de nombreuses émissions de divertissement à succès sur Canal Plus à partir de 1984.
22 Clastres Patrick et Méadel Cécile, « Pierre Albaladéjo. Propos recueillis par Patrick Clastres et Cécile Méadel », Le Temps des médias, no 9, 2007, p. 201-208.
23 Ce critère est déterminant pour fixer leurs rémunérations. Le responsable des Sports à Europe 1 le dit clairement : « Il s’agit d’abord de notoriété, de prestige et donc de communication. Cela facilite l’accès à certains annonceurs publicitaires. » En 2013, Bixente Lizarazu et Christophe Dugarry, champions du monde de football avec l’équipe de France en 1998, sont les mieux lotis. Respectivement à TF1 et Canal Plus, ils perçoivent 350000 euros par an. Bertrand-Régis Louvet, « Le business des consultants devient un véritable marché », Le Parisien, vendredi 5 février 2010, p. 20 ; Bertrand-Régis Louvet, « Lizarazu et Dugarry les mieux payés », Le Parisien, vendredi 5 février 2010, p. 20.
24 Entre 1990 et 2002, seuls huit anciens sportifs de haut-niveau sont titulaires de la carte de presse sur plusieurs dizaines de consultants, principalement car ces personnalités ne tirent pas l’essentiel de leurs revenus de leur activité dans les médias. Duccini Hélène, « La reconversion des sportifs à la télévision », Mediamorphoses, no 11, 2004, p. 97.
25 À partir du début des années 2000, Philippe Doucet, diplômé d’école de commerce, est le statisticien du football sur Canal Plus. Ce jourrnalisme de précision rationalise le commentaire (nombre de passes, pourcentage de possession de la balle pour chaque équipe, nombre de kilomètres parcourus par joueur, etc.). Depuis plusieurs années, les principaux médias sportifs (Canal Plus, TF1, L’Équipe) sont tous clients de la même agence de production de données sportives, Opta.
26 Lors de l’émission « Canal football club », qui précède le match du dimanche soir sur Canal Plus, les consultants travaillent sans notes, sans fiches alors que les journalistes préparent minutieusement leurs interventions. Jandrain Marc-Hippolyte, « Les consultants sportifs de télévision », mémoire de sociologie sous la direction de Sandrine Lévêque, université Paris-Dauphine, 2009.
27 Médiamétrie, « Grandes lucarnes, petites lucarnes : le Sport met dans le mille ! », Communiqué de presse, 15 novembre 2012.
28 Cité par Sylvain Mouillard, « Portrait Pierre Ménès. Rires et ballons », Libération, 15 novembre 2013, p. 36.
29 Gérard Davet, « Pierre Ménès, l’animateur qui pique la vedette aux footballeurs », LeMonde.fr, publié le 30 juin 2010, consulté le 7 octobre 2016.
30 Eco Umberto, La Guerre du faux, Paris, Grasset, 1985.
31 Goulet Vincent, Médias et classes populaires. Les usages ordinaires des informations, Paris, Ina, 2010, p. 314.
32 Les rares tentatives de sortir de ces conversations d’initiés ont vite avorté à l’image du dispositif « Tant de paroles », développé par la chaîne spécialisée Eurosport en 2001. Plutôt que d’accorder la primauté à l’aspect technique du sport, le journaliste-présentateur interroge la trajectoire de l’invité, un acteur du monde sportif, et l’oriente vers des thèmes divers comme la politique ou la culture. Diana Jean-François, « Expertise d’un dispositif télévisuel de paroles de sport. Tant de paroles (Eurosport France) », Mots. Les langages du politique, no 84, 2007, p. 23-34.
33 Neveu Érik, « De l’art (et du coût) d’éviter la politique. La démocratie du talk-show version français », Réseaux, no 118, 2003, p. 95-134.
34 Ce cadrage ne se substitue pas à une nécessaire ethnographie des rédactions de chaînes télévisées. Voir Siracusa Jacques, Le JT, machine à décrire. Sociologie du travail des reporters à la télévision, Bruxelles, De Boeck Université, 2001.
35 Bourdon Jérôme, « Une identité professionnelle à éclipses », Politix, no 19, 1992, p. 56-66.
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