1. Aux fondements de l’économie médiatico-sportive
p. 31-49
Texte intégral
1Ce livre porte une attention constante à la temporalité en considérant que la connaissance du passé est une nécessité pour appréhender le présent et ce qui l’affecte. Par crainte de céder donc à l’illusion de la nouveauté et de commettre alors des « excès de vitesse1 » dans l’analyse, cette première partie met au jour l’invention du journalisme sportif en la resituant dans le double contexte dans laquelle elle se réalise. D’une part, l’émergence de la spécialité est pensée en relation avec la genèse d’un espace des pratiques sportives en France, c’est-à-dire un processus dans lequel les premiers journalistes sont particulièrement engagés. D’autre part, celle-ci est indissociable de la professionnalisation du journalisme dans son ensemble, ce mouvement étant enclenché par le Syndicat national des journalistes (SNJ) à partir des années 1930. Les associations de journalistes sportifs mènent en parallèle, selon des principes contingents, et les intérêts des représentants, un travail de structuration du sous-groupe professionnel passant par la délimitation et la défense de frontières propres, ainsi que la fabrication symbolique d’une culture commune fortement hétéronome par rapport aux espaces sportif et économique.
Le poids des journalistes dans la structuration du sport avant la Seconde guerre mondiale
2Sans volonté d’exhaustivité2, les pages à venir réécrivent une partie de l’histoire du sport français en se souciant de son organisation sociale et de la centralité, dès les origines, de son pôle commercial3. Bien que rapidement gagné par le libéralisme économique, l’espace sportif est traversé par des luttes sociales afin d’en obtenir le contrôle. Dès la fin du xixe siècle, un ensemble d’agents, parmi lesquels les premiers journalistes sportifs, tente d’imposer leur modèle du sport.
Au cœur d’une lutte politique de définitions
3En Angleterre, lieu de création du sport moderne au xviiie siècle, les classes supérieures se livrent aux loisirs sportifs en tant que symbole de raffinement et de la pacification des relations4. La diffusion plus tardive sur le territoire français, au milieu du xixe siècle, s’opère d’abord au sein de l’aristocratie5. Privilégiant la beauté du geste et le désintéressement, la morale sportive s’adapte par la suite aux exigences bourgeoises valorisant davantage le courage et la volonté6. L’importation des sports anglais (football, athlétisme, boxe, tennis, etc.) et de leur philosophie politique trouve un écho favorable dans la mesure où elle confère à ces groupes sociaux une opportunité nouvelle pour affirmer leur domination sociale. À en croire l’historiographie française, la diffusion du sport moderne, et du modèle social (inégalitaire) qui la charrie, est principalement l’œuvre d’une figure iconique, Pierre de Coubertin. Cette conception hagiographique de l’histoire insiste sur son rôle dans la tenue du congrès de Paris de 1894 aboutissant au lancement du Comité international olympique (CIO) et aux Jeux olympiques en 1896 à Athènes. Cette individualisation, siège de la mythification, laisse dans l’ombre un ensemble d’individus, membre d’une classe sociale7, tous rattachés à une même institution, l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) créée en 1889.
« Les nombreux ouvrages, qui ont été consacrés à ce dernier, ont considéré son cas comme un cas isolé sans chercher à le situer dans l’espace de la noblesse ni par rapport aux nobles qui l’ont précédé ou qui ont aussi participé directement ou indirectement à la mise en place des sports ; cette approche méconnaissait ainsi le rôle fondamental de la noblesse dans le processus de constitution et de développement des sports. »
Monique de Saint-Martin, « La noblesse et les “sports” nobles », Actes de la recherche en sciences sociales, no 80, 1989, p. 30.
4L’USFSA, lieu de pouvoir proche des élites politiques8, contribue à l’institutionnalisation du sport tout en le réduisant à l’amateurisme9, manière faussement désintéressée de pratiquer « le sport pour le sport », sur le modèle de « l’art pour l’art », une expression du style de vie de la fraction autonome du champ artistique10. En 1913, le secrétaire général de l’USFSA déclare lors du congrès annuel : « l’amateurisme n’est pas une simple question sportive, il est une question sociale11 ». Cette déclaration trahit l’ethos de classe de Frantz Reichel (1871-1932), « oublié » de l’historiographie, mais dont le nom est associé à un grand nombre d’institutions du sport et du journalisme sportif. Fils d’un homme de lettres qui fut le premier secrétaire général de l’USFSA, il effectue des études de droit tout en étant athlète polyvalent de haut niveau. Lors des premiers JO de 1896 en Grèce, sa participation est annoncée par le premier quotidien sportif généraliste (1892-1904), Le Vélo, dans un article signé de son envoyé spécial, Frantz Reichel12. Formé au sein de la presse vélocipédique, sa carrière est marquée par son passage au Figaro, journal en phase avec le mouvement qu’il incarne. Idéologiquement, il exclut, pendant un temps, la professionnalisation du sport du fait qu’elle favoriserait la promotion sociale d’individus dépourvus de capitaux culturels. Il regrette que le football puisse « fournir à quelques jeunes hommes exceptionnellement doués physiquement l’occasion peu noble de devoir à leurs muscles une situation que leur défendaient une intelligence insuffisante, une instruction négligée, une éducation primitive, ou un manque d’aptitude spéciale13 ». C’est en soutenant des thèses élitistes qu’il contribue à l’institutionnalisation du sport français, via l’USFSA, et, dans le même temps, à la construction du journalisme sportif. Membre de l’Association des journalistes parisiens14 puis du SNJ15, il crée successivement le Syndicat de la presse sportive et touristique (SPST) en 1921 et l’Association internationale de la presse sportive (AIPS) en 1924. Le fait de retrouver à la tête de ces groupements catégoriels un agent aussi engagé, porteur d’une définition située du sport, marque l’héritage transmis au groupe des journalistes sportifs.
5Pour autant, ce mode de politisation du sport, typique de la presse de droite, n’est pas hégémonique au sein de ce microcosme journalistique naissant. Il est confronté à celui des promoteurs de la gymnastique et des sports français. À la fin du xixe siècle, la gymnastique, et l’Union des sociétés de gymnastique de France (USGF) lancée en 1873, forment le pôle dominant du sport en France, particulièrement dans les milieux scolaires et ouvriers. Paschal Grousset (1844- 1909), ancien communard, socialiste, contributeur au sein de différents journaux, essentiellement au quotidien Le Temps (1861-1942) où il écrit sur le sport et l’éducation, lance une Ligue nationale pour l’éducation physique (LNEP) en 1888 en réponse au Comité pour la propagation des exercices physiques fondé par Pierre de Coubertin la même année. Paschal Grousset entend exporter le modèle éducatif par le sport aux enfants de toutes classes sociales, soutenu par des députés radicaux comme Georges Clémenceau16 là où Pierre de Coubertin s’entend avec le député conservateur Jules Simon. La lutte politique pour la définition des usages légitimes du corps s’accentue lorsque la Fédération sportive du travail (FST), proche du PCF, est fondée en 1919, suivie de peu par l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail (USSGT), lancée en 1920 sous le patronage de la SFIO. Ces groupements s’articulent autour de l’école, inspirés par le modèle éducatif soviétique mettant l’éducation physique au cœur de la formation des jeunes. Ils fusionnent en 1934, la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) devenant rapidement un groupe d’intérêts important dans l’espace sportif et bénéficiant d’un relais dans la presse. L’Humanité vante régulièrement la politique sportive soviétique et les mérites de l’encadrement étatique pour générer un sport « de masse ». Pour exemple, les JO de 1924 à Paris sont l’occasion pour la presse partisane de donner du sens à l’événement. À l’humeur nationaliste, exacerbée dans l’après-guerre mondiale, et la défense de l’amateurisme de la presse de droite (Le Figaro, L’Action française, Le Matin, etc.) s’oppose la critique, par la presse de gauche, du sport bourgeois, de l’élitisme et de la relégation des femmes. Tous trouvent cependant un consensus dans l’idée que le sport est porteur de valeurs éducatives à exploiter17, cette pensée universaliste, faussement apolitique18, constituant comme nous le verrons le socle de la construction symbolique des associations de journalistes sportifs.
6Ce panorama, et les idéaux-types qui en découlent, est à observer avec précaution c’est-à-dire sans avoir une vision trop figée de ces deux pôles et des projets de société les caractérisant19. Face au succès de la gymnastique, les institutions garantes de l’esprit amateur (CIO, USFSA) sont confrontées à une « conjoncture critique » révélant leur fragilité et les obligeant ainsi à se refonder20. Désireuse de rester dans le jeu, l’USFSA entame un processus de négociation et infléchit ses positions vis-à-vis de la gymnastique et de l’éducation « à la française ». Adeptes du bricolage permanent, ses dirigeants révisent leurs positions initiales. Ils isolent Pierre de Coubertin dont la gestion du mouvement olympique, basée sur la cooptation de représentants de la noblesse, entre en contradiction avec la nouvelle orientation de l’USFSA21.
7Pour résumer, force est de constater que, tout d’abord, la politisation du sport, sa conversion en modèle éducatif, est une entreprise collective et concurrentielle avec d’un côté la tentative d’imposition d’une culture bourgeoise et élitiste et de l’autre la gymnastique, plus populaire. C’est bien une lutte des classes qui se joue ici entre des visions antagonistes du social. Ensuite, ces affrontements politiques incluent des hommes de presse dont certains, comme Frantz Reichel, s’engageront dans la fabrique du journalisme sportif.
Lorsque le libéralisme actualise les idéaux sportifs
8L’espace sportif, et en premier lieu les sports anglais, se développe en subissant d’autres distorsions du fait de son enchâssement dans la sphère économique sous l’impulsion d’une presse qui y a intérêt. Autrement dit, le journalisme de marché, tout autant que l’exploitation commerciale du sport et sa mise en spectacle, ne sont pas nouveaux.
9Les enjeux symboliques et économiques autour du sport se lisent très bien à travers l’exemple du vélo. Objet de luxe au moment de sa découverte lors de l’Exposition universelle de 1867, il connaît une rapide diffusion dans les différentes couches sociales malgré une tentative vaine des élites bourgeoises d’injecter dans cette pratique les valeurs des sports anglais. Le succès populaire du cyclisme tient moins à ces caractéristiques intrinsèques, à la fois produit de consommation et outil de performance, qu’aux conditions de son émergence. Il est dû à l’implication d’agents dotés en capitaux économiques dans les affaires sportives, mais aussi médiatiques pour garantir que le cyclisme devienne un domaine d’intervention journalistique et bénéficie d’une large publicité.
« Parfois l’enchevêtrement des intérêts est tel que les mêmes hommes parviennent à avoir la haute main sur le secteur industriel, un organe de presse et l’institution sportive. Henri Pagis déjà cité, adepte du cyclisme dès 1869, coureur talentueux sur grand bicycle, rachète le Sport Vélocipédique. Rédacteur à La Vie sportive, à la Revue des Sports, il est l’un des fondateurs en 1881 de l’Union vélocipédique de France dont il assure la présidence de 1896 à 1901 […] À cette phalange appartient également Félix Lainé né en 1862 à Paris, directeur propriétaire du journal Cycles et automobiles industriels, président du Syndicat général des agents de cycles et d’automobiles dont il est fondateur, collaborateur à La Revue des Sports. »
Ronald Hubscher, op. cit., 1992, p. 86.
10L’histoire du premier quotidien sportif, Le Vélo en 1892, et de son concurrent L’Auto est un cas d’école pour approcher les stratégies d’expansion des industriels du cycle ainsi que leurs effets sur la presse sportive et le journalisme spécialisé. Considéré comme le premier quotidien populaire, le Petit Journal de Pierre Giffard (1853-1922), chef des informations, organise deux courses en 1891, Bordeaux-Paris et Paris-Brest sur le modèle d’une presse cycliste produisant sa propre matière. Face au succès de ces deux manifestations, et avec le soutien financier du riche baron de Dion et de l’industriel du cycle Gustave Clément valorisant leur nouveau produit, Pierre Giffard entrevoit une fenêtre d’opportunité et détecte une clientèle potentielle pour un quotidien sportif. Pour faire vivre son journal, Le Vélo, dont le nom ne reflète pas la vocation généraliste, il s’allie aux rares spécialistes de la question sportive, formés à l’école des périodiques dédiés à l’information vélocipédique, parmi lesquels deux pionniers du journalisme sportif, Frantz Reichel et Paul Rousseau22. Pierre Giffard, au cœur de l’organisation économique d’un système médiatico-sportif, partisan du professionnalisme23, se déclare soutien du colonel Dreyfus et provoque le courroux des annonceurs du journal, conservateurs et antidreyfusards, qui soutiennent à partir de là un concurrent naissant, L’Auto-Le Vélo. En 1900, le baron de Dion et Gustave Clément confient à Henri Desgrange (1863-1940), ancien clerc de notaire, coureur cycliste et organisateur de compétitions, journaliste dans la presse spécialisée, la tâche de nuire à Pierre Giffard24. En plus d’être des patrons de presse, Pierre Giffard et Henri Desgrange sont propriétaires d’installations sportives pour animer le calendrier des courses de vélo et faire vivre le spectacle sportif. Ce double positionnement, loin d’être exceptionnel25, atteste d’une part de la constitution d’un pôle commercial du sport et, d’autre part, de l’intrication entre l’univers de la production de l’information sportive et celui du spectacle. La rivalité entre Pierre Giffard et Henri Desgrange aboutit à un conflit juridique lorsque Le Vélo attaque L’Auto-Le Vélo en 1903 pour usurpation de titre. L’Auto-Le Vélo est forcé de modifier son patronyme en devenant L’Auto. Finalement, la compétition se dénoue, non pas sur le terrain de la production journalistique, mais sur celui de l’innovation industrielle et du contrôle des activités proprement sportives. L’Auto lance le Tour de France cycliste en 1903. Dès la première édition, le Tour génère le triplement des ventes (de 20000 à 60000 exemplaires), faisant chuter dans le même temps celles de son rival, Le Vélo26.
11Le modèle d’entreprise médiatique imaginé par Pierre Giffard et Henri Desgrange – solidaire d’un nouveau genre journalistique synonyme de divertissement et de spectacle de masse – est fondamentalement dépendant des recettes publicitaires (et de billetterie pour ce qui concerne les spectacles clos comme la boxe). Cette emprise économique, au fondement de la constitution d’une nouvelle spécialité journalistique, peut aussi se lire comme une forme d’émancipation vis-à-vis des normes politiques établies par les promoteurs du sport. Pierre Giffard et Henri Desgrange peuvent être considérés comme les initiateurs du mouvement d’autonomisation du champ sportif vis-à-vis des valeurs de la vie sociale qu’on tente de lui imposer (amateurisme, hygiénisme, éducation…). À travers eux, les médias commerciaux – soutenus par des partenaires économiques – concurrencent, voire dépassent, les instances fédérales sur le terrain de la gestion de certains espaces des pratiques de compétition les obligeant à nouer des alliances.
12Cette renégociation des fondements moraux s’observe directement chez Frantz Reichel. En 1905, il crée avec Paul Rousseau, membre du Comité olympique français où l’amateurisme est une ligne conductrice, un club de boxe pour y organiser des matchs professionnels. Frantz Reichel se maintient dans le jeu malgré la dilution de l’USFSA dans un Comité national des sports (CNS) fondé en 1908 pour fédérer les différents courants et se rapprocher de l’État. Il est même la cheville ouvrière de la nouvelle structure. Loin de signifier une incohérence entre un habitus et une position occupée dans le champ, sa présence à la direction (officieuse) du CNS est cohérente au regard de ses intérêts, à savoir le maintien du contrôle fédéral, la défense de l’autonomie (relative) du sport et, ainsi, de son propre pouvoir. La stratégie des défenseurs de l’amateurisme comme Frantz Reichel n’est pas de résister au professionnalisme27 mais plutôt de l’administrer à travers des fédérations par sport pilotées par le pôle amateur28. La longévité de Frantz Reichel au sein du champ du pouvoir sportif (jusqu’à sa mort en 1933) atteste de son sens du placement29.
13Malgré le maintien d’une autorité fédérale, et de principes moraux (l’amateurisme bourgeois) négociés infusant dans l’espace sportif, la conversion du sport en spectacle professionnel se réalise d’autant plus que la presse y participe. Elle y trouve une matière qui fait vendre, au-delà de la presse spécialisée, et ce en raison de son adéquation avec les canons de la presse populaire généraliste.
La légitimation médiatique du spectacle sportif
14En pleine expansion à la fin du xixe siècle, la presse populaire généraliste contribue en effet à la diffusion du sport tout en développant à travers lui ses nouveaux modèles, à savoir l’information et le reportage.
Un facteur de développement du reportage dans la presse française
15En produisant des faits bruts (noms des participants, classements, comptes rendus des courses, etc.), le genre sportif s’accommode de la nouvelle forme du journalisme. Cette dernière est inspirée du modèle anglo-saxon, fondé sur l’objectivité et la primauté donnée à l’information comme en témoigne l’importance donnée à la fin du xixe aux faits-divers. La presse populaire voit donc très vite en ces événements sportifs populaires un moyen original de mise en visibilité. Favorisée par le processus de spécialisation et de rubricage au sein des rédactions, l’intrusion du sport est encouragée par la densité du calendrier sportif que les journaux généralistes alimentent grandement sur le modèle de l’autopromotion de la presse française. Le Journal et Le Petit Parisien tiennent même dans l’après-guerre des rubriques exclusivement dédiées à « Nos organisations sportives30 ». Le Petit Parisien (1876) et Le Matin (1885)31 accordent une part croissante de leur surface rédactionnelle à l’information sportive, notamment le lundi pour rendre compte des compétitions du week-end. Alors qu’ils réservent respectivement 10 et 27 reportages à ce thème en 1896, en se contentant lors de ces premières années d’un traitement factuel, ils passent à 236 et 250 en 191332. Cette augmentation de l’espace alloué s’accompagne d’une participation de plus en plus fréquente de journalistes reconnus du début du siècle à la couverture de l’information sportive. Restée dans l’historiographie du journalisme sportif, la contribution d’Albert Londres à la couverture du Tour de France en 1924, pour le compte du Petit Parisien, illustre le désenclavement et la légitimation progressive du sport. L’Auto, qui était en situation de monopole sur le marché des quotidiens sportifs à partir de 1904 et la disparition du Vélo, n’est désormais plus seul à produire de l’information sportive. La concurrence est telle que ses ventes ralentissent dans les années 1930 au moment où un quotidien généraliste, Paris Soir, se relance en incluant le sport dans sa stratégie éditoriale. Racheté en 1930 par le patron de presse Jean Prouvost, ce quotidien impose une nouvelle façon de parler de sport dans l’univers journalistique. Mené par Gaston Bénac, un ancien de L’Auto socialisé au reportage sportif, le service Sports compte jusqu’à 118 rédacteurs sportifs et 139 correspondants33. Ce vaste dispositif humain lui permet de respecter une ligne éditoriale caractéristique de l’orientation prise par une presse populaire qui fait de la recherche de nouvelles sensationnelles une priorité pour se distinguer de la concurrence des journaux de référence. L’injonction à l’information – émanant du « nouveau journalisme » d’influence anglo-saxonne – et à la dépolitisation produit déjà des effets. En témoignent ces consignes données par Gaston Bénac à ses reporters : « Ne vérifiez jamais une info, un démenti est aussi une info. Ne jamais exprimer son opinion ; faites parler les gens34. » Le sport est soumis, comme toute autre information, très tôt, à une course au scoop caractéristique du fonctionnement du champ journalistique. L’interview est également mise au centre du travail des reporters pour pénétrer dans l’intimité des sportifs dans une recherche perpétuelle d’émotions. Le sport devient petit à petit une information standardisée, comme l’illustre le faible intérêt des spécialistes de Paris Soir pour les analyses techniques que l’on retrouve davantage dans les colonnes de L’Auto. La réussite commerciale de Paris Soir ne fait qu’accentuer l’importance du sport, et par ailleurs, des faits-divers, dans un espace médiatique déjà « sous le règne du marché35 ». En 1920, le rubricage des journaux rend compte de l’influence du sport dans la presse française. Parmi les 26 rubriques existantes, seules les informations générales et le sport sont repérables dans les sept grands journaux parisiens36. Cette tendance se confirme lorsqu’on observe la progression du sport dans la hiérarchie des rubriques entre 1902 et 1947. En 1902, les grands quotidiens de Paris consacrent uniquement 3,2 % de l’espace informatif au sport. En 1947, cette surface passe à 14,7 % loin devant les informations générales (9,9 %) et la politique étrangère (8,9 %)37.
Dans la tradition de l’engagement littéraire
16En 1869, un jeune « lettré bordelais venu chercher fortune littéraire à Paris », Richard Lesclide, lance le premier hebdomadaire sportif, Le Vélocipède Illustré, et organise la même année la toute première course cycliste entre Paris et Rouen. Il devient ensuite le secrétaire de Victor Hugo de 1872 à 188538. Cet exemple illustre bien l’exception du journalisme « à la française », à savoir l’héritage de la littérature.
17Les compétitions sportives offrent des marges de liberté discursives pour des rédacteurs chargés de « faire vivre » l’événement. L’affrontement sportif, plus ou moins direct selon les disciplines, est une source d’inspiration littéraire. Dans son histoire de la presse, Raymond Mannevy évoque les rubriques sportives des quotidiens d’information et souligne les procédés utilisés par les journalistes pour animer leur rubrique.
« En 1920, les grands quotidiens franchirent une étape […] Ils s’efforcèrent d’amener le profane, qu’une terminologie spéciale rebutait, à la compréhension du sport. Non sans raison, on pensa qu’un beau match valait bien un beau crime, qu’il comportait même une part d’émotion d’une qualité supérieure. […] La rubrique sportive devient une rubrique vivante. Elle ne se contenta plus de comptes rendus secs où le classement des concurrents, les distances parcourues, les temps accomplis, tenaient tout le papier. Le rédacteur sportif dut créer l’atmosphère, noter les incidents de l’épreuve, mettre en valeur le côté humain qu’ils présentaient, décrire les réactions de la foule. Il y parvint souvent avec bonheur. Des puristes lui ont reproché son penchant pour les métaphores d’une hardiesse excessive. Ils ne sauraient nier qu’il a enrichi notre vocabulaire d’expressions pittoresques. Si, pour remplacer les coureurs du Tour de France, “les chevaliers de la pédale” sont discutables, pour désigner le rôle des Pyrénées, où s’opère l’élimination des tocquards, “les Juges de Paix” sont parfaits. »
Raymond Mannevy, Histoire de la presse, 1919-1935, Paris, Éditions Correa, 1945, p. 169 sq.
18La mobilisation des corps est propice aux exégèses littéraires. Les sports de combat, comme la boxe, offrent des duels entre participants et engendrent ce que Christian Pociello nomme un « effet Carpentier », du nom d’un célèbre boxeur français des années 1910-1920 à l’apparence fragile, et malgré tout très performant face à des adversaires imposants. Sur le modèle de « David contre Goliath », le match produit « un effet de théâtralisation sportive qui s’impose à tous dès lors que sont mis en lice deux adversaires dont les traits physiques et stylistiques sont en tout point dissemblables39 ». Ce procédé de dramatisation, d’autant plus puissant que les journalistes y ont intérêt40, est particulièrement structurant dans l’information sportive. Des écrivains comme Maurice Barrès, Guy de Maupassant, Émile Zola, Jean Cocteau ou Henri de Montherlant s’adonnent à ce nouveau jeu d’écriture. Leurs contributions ne font qu’instituer la métaphore et l’emphase en tant que registres légitimes de l’écriture journalistique sur le sport. Ces hommes de lettres se regroupent en 1919 au sein d’une Association des écrivains sportifs (AES), présidée par Tristan Bernard puis par Jean Giraudoux. La littérature, dont les principaux textes sont recensés dans un ouvrage, Le sport à la Une. 1870-191441, imprègne ce sous-espace informatif. Même si l’« américanisation » de la presse française, et la primauté accordée au fait plutôt qu’à l’expression d’une opinion, est un mouvement grandissant, une tradition française du journalisme perdure. Elle est entretenue par le traitement du sport, autant qu’elle favorise le développement de cette dernière42. Une exception nationale dont Thomas Ferenczi rappelle les fondements :
« Ainsi la figure du militant et celle de l’écrivain ont-elles exercé l’une et l’autre une forte influence sur le journalisme français. Lorsque, à la fin du xixe siècle, celui-ci commence à émerger comme une force autonome, il ne renie pas cette double origine. »
Ferenczi Thomas, op. cit., 1996, p. 13.
19Seuls des allers-retours incessants entre le contexte et les enjeux internes aux institutions rendent visibles les processus de construction de culture(s) sportive(s). Cette histoire est celle d’une lutte, incluant les premiers journalistes, pour l’imposition d’un modèle politique du sport. Un mouvement très fortement contraint par la formation d’une économie médiatico-sportive reposant sur une logique de spectacle. Les principaux journalistes sportifs, multipositionnés (tableau no 1 en annexe), s’investissent doublement dans ce processus de structuration du sport : d’une part, en prenant part aux conflits pour le pouvoir sportif et, d’autre part, en médiatisant les pratiques sportives, c’est-à-dire une matière particulièrement ajustée à la presse populaire. Ce cadrage historique permet ainsi de dénaturaliser la relation entre sport et journalisme, de montrer la pluralité des logiques sur lesquelles reposent les liens d’interdépendances historiques.
Une population journalistique divisée, le cas des associations catégorielles
20Durant le xxe siècle, plusieurs groupements se forment à partir d’un double objectif : faire exister les spécialistes de sport en tant que catégorie journalistique43 et, peut-être surtout, le contrôler pour pérenniser des positions dans le système médiatico-sportif. Les conflits au cours de l’histoire, tant au niveau macro (associations) que micro (militants), sont symptomatiques de conceptions plurielles du journalisme sportif44.
Une inclusion laborieuse au début du xxe siècle
21Dans le monde du journalisme, le regroupement associatif est repérable dans les deux dernières décennies du xixe siècle sous une forme bien particulière. Dépassé en raison des protections sociales mises en place par le statut légal de 1935, le mutualisme assurait une solidarité essentiellement financière entre pairs. Ce projet d’entraide est dans le même temps un acte fondateur de l’identité professionnelle45.
22Créée en 1905, l’Association des journalistes sportifs (AJS) ambitionne, comme son nom l’indique, d’inclure les différentes composantes du petit monde des spécialistes de sport. Avant elle, de nombreuses tentatives ont échoué. On peut par exemple citer le Syndicat de la presse sportive parisienne, fondé en 1894 par Albert de Saint Albin, journaliste au Figaro. Quant à l’Association de la presse cycliste de 1894, elle symbolise déjà la porosité des frontières entre les espaces journalistique et politique. En effet, elle est dirigée par un avocat à la cour d’appel et compte parmi ses membres d’honneur des soutiens comme Paul Doumer, futur président de la République. Si ces associations ne parviennent pas à fédérer sur le long terme, à l’instar du Syndicat des journalistes vélocipédiques et du Syndicat de la presse athlétique lancés en 1896, elles ont comme point commun de militer explicitement pour le développement du sport. L’AJS s’inscrit dans cette continuité. Même si sa mission sociale ne déroge pas aux obligations d’une société de secours mutuels – comme l’aide aux retraités et aux familles de défunts –, elle assume une proximité symbolique et économique avec les institutions sportives. L’association est domiciliée au siège du plus grand club sportif, le Racing club de France. L’AJS perçoit fréquemment des dons de la part des fédérations sportives, d’autant plus facilement que son trésorier, Paul Champ est vice-président de l’USFSA. En 1931, elle reçoit 600 francs de la fédération de rugby et la même somme des dirigeants du football46. Mais l’essentiel de son budget provient des industriels du cycle et surtout de l’automobile (Chambre syndicale des constructeurs automobiles, Peugeot ou General Motors). Ce soutien se poursuit tant que la direction de l’AJS reste proche des sports industriels (automobile, cyclisme, aéronautique).
23Les positions des deux premiers vice-présidents apportent des renseignements utiles à ce sujet. Victor Breyer, organisateur de matchs de boxe professionnelle, est également directeur du Tour de France (1905, 1906 et 1910). Marcel Violette, pilote automobile, est lui président du Touring club de France, prestigieuse association dont le but est de promouvoir le tourisme. Tous deux anciens membres de la rédaction du Vélo, ils sont fréquemment chargés par le comité directeur – tout comme Paul Champ, leur ancien collègue – de mobiliser leur capital social et de démarcher les mécènes des univers du cycle, de l’aéronautique et de l’automobile pour alimenter les caisses de l’AJS. Stratégiquement, ces instigateurs réservent la fonction de président à un homme politique. Pierre Baudin, avocat, ancien ministre des Travaux publics, garantit le soutien des pouvoirs publics et accroît la notoriété de l’association. Même s’il côtoie le monde du journalisme avec des activités ponctuelles au Figaro, il reste totalement étranger au monde de l’information sportive. Cette présidence très symbolique – étant donné le très faible taux de présence de Pierre Baudin aux différentes réunions du comité directeur – n’a pour but que le rayonnement de l’AJS. Après lui, Tristan Bernard, écrivain de renom, collaborateur ponctuel au journal L’Auto, prend la présidence en 1919 avant que Charles Faroux n’occupe le siège pour plus de 35 ans (1921-1957). Cette dernière présidence constitue la « Belle Époque » de l’AJS dans la mesure où l’industrie automobile « ne pouvait rien refuser47 » à Charles Faroux (L’Auto, La Vie Automobile), expert de ce secteur, ni à son secrétaire général, Géo Lefèvre (Le Vélo, L’Auto, La Vie Automobile), inventeur du Tour de France, qui assure la continuité de 1957 à 1960.
24Malgré le capital social des différents présidents et dirigeants de l’AJS, ce groupement hyper spécialisé n’est pas parvenu à constituer un monopole. De 1905 à 1914, un Syndicat des journalistes sportifs de la presse politique concurrence timidement l’AJS en tentant d’entrer en contact avec les instances sportives. Cette menace, ainsi que celle d’un éphémère Syndicat des journalistes sportifs en 1909, est évoquée brièvement lors de comités directeurs. L’AJS ne parvient pas à forger une identité collective suffisamment cohérente et englobante pour s’imposer à l’ensemble de ce nouveau sous-espace journalistique au début du siècle. Plus que le journalisme sportif, l’AJS incarne le journalisme des sports industriels. Cette segmentation, utile stratégiquement pour assurer la pérennité financière de la mutuelle, n’est pas efficace pour s’imposer comme instance légitime de représentation. L’AJS laisse une fenêtre d’opportunité à d’éventuels concurrents. L’avènement du Syndicat de la presse sportive et touristique48 (SPST) relègue l’AJS à sa mission mutualiste et de lieu de sociabilité en parallèle des instances représentatives49. Elle n’est dissoute qu’en 2008. À l’origine du SPST, on retrouve deux hommes particulièrement influents au sein du monde sportif : Frantz Reichel et son camarade Claude Drigny, membre lui aussi de l’USFSA et du CIO. Ces commanditaires, non adhérents de l’AJS, représentent un journalisme plus proche des sports athlétiques et des valeurs qui leur sont rattachées. Le syndicat se place dans le prolongement de l’AJS dans le sens où il perpétue la proximité avec l’espace sportif. En 1939, il reçoit des indemnités de la part de la Fédération française de tennis après avoir diffusé ses communiqués de presse à l’ensemble des rubriques50. Le SPST représente les journalistes sportifs jusqu’à la fin des années 1950 au cours desquelles émerge une contestation.
Le coup de force des porte-parole de l’USJSF
25Le SPST ne parvient pas à se maintenir au-delà de la première moitié du xxe siècle. Sa disparition est autant due à un renouvellement générationnel qu’à une volonté de s’emparer du contrôle du groupe de la part de quelques journalistes occupant des positions hautes dans l’espace médiatique. Une Union nationale des journalistes sportifs (UNJS) naît d’une Assemblée générale constitutive le 27 avril 1957. Le but officiel de cette nouvelle organisation est « la défense des droits et intérêts de la profession (et) l’encouragement à la pratique du sport51 ». Plus que le prosélytisme en faveur du sport, c’est la vocation corporatiste de ce nouvel entrant, identique à celle du SPST, qui interpelle52. Le premier président, Félix Lévitan, responsable de la rubrique sportive au Parisien Libéré, explicite le projet lors de ce moment fondateur. Le procès-verbal de la première Assemblée générale stipule que la volonté est de s’unir avec le syndicat existant. Souvent membres du SPST sans être proches de la direction53, les dissidents se structurent pour mieux dicter leurs propres règles du jeu par la suite54. L’UNJS délégitime progressivement le SPST en menant des actions sur le terrain au profit de potentiels adhérents. En cinq mois, les dirigeants se vantent de l’amélioration des conditions de travail des reporters (installation de téléphones sur de nombreux stades en France, obtention de visas pour l’Espagne pour des journalistes de L’Humanité ayant essuyé un refus préalable55, etc.). En plus de ces prestations, les dirigeants de l’Union font de la maîtrise de l’accès au lieu d’exercice du métier un objectif central pour surpasser le SPST. C’est ainsi que l’UNJS a pris en charge l’organisation de presse de différentes manifestations comme les championnats de France cycliste sur route ou le concours hippique international de Paris. Les deux groupements ne peuvent coexister tant les modes de représentation fonctionnent sur le même registre. C’est bien ce réalisme qui fait dire au trésorier général adjoint nouvellement élu que l’UNJS doit « accélérer le mouvement et placer le président du SPST devant le fait accompli » (compte-rendu de réunion). À l’issue de cette lutte, une nouvelle association, qui sera dirigée par les vainqueurs, voit le jour.
« L’ordre du jour appelle la recherche d’un titre pour la nouvelle association. Félix Lévitan [UNJS] expose que le mot “syndicat” devrait être réservé aux organismes véritablement représentatifs de la profession tout entière : SNJ, CGT, FO, CFTC. Marcel Reichel [SPST] objecte que le mot “syndicat” confère la personnalité civile à l’Association et lui permet de se constituer partie civile dans les instances judiciaires. Félix Lévitan propose “Union Syndicale des Journalistes Sportifs Français”. »
Archives privées de l’USJSF, « Procès-verbal de la séance de conciliation entre les délégations des comités directeurs du SNJST et de l’UNJS », le 13 novembre 1957, p. 3.
26Le comité directeur de l’USJSF est élu lors de son Assemblée générale constitutive du 18 janvier 1958. Le vote reflète l’état du rapport de forces : sur les vingt-quatre élus, vingt-deux étaient membres de l’UNJS. En revanche, sur les vingt-cinq candidats perdants du scrutin, on dénombre quatorze anciens membres du SPST, qui n’avaient pas rejoint les rangs de l’UNJS.
27Cette victoire des anciens de l’UNJS n’est pas celle d’un groupe mais plutôt celle d’une élite qui parle au nom de celui-ci. La direction de l’USJSF a les allures d’un « comité de tôliers56 », qui s’est accaparé la position de « porte-parole », de celui « qui, en parlant d’un groupe, en parlant à la place d’un groupe, pose, subrepticement, l’existence du groupe en question, institue ce groupe, par l’opération de magie qui est inhérente à tout acte de nomination57 ». Bien que la composition du comité directeur reflète (artificiellement) l’état du sous-champ58, les dirigeants, sensiblement les mêmes que ceux de l’UNJS, ne sont en rien statutairement représentatifs des journalistes « d’en bas ». Ils constituent en effet l’élite de la presse écrite. Au sommet de l’organigramme de l’UNJS, on retrouve des noms prestigieux, du moins dans l’espace du journalisme sportif de la fin des années 1950. Le président, Félix Lévitan, est responsable des Sports au Parisien Libéré alors que le premier vice-président, Gaston Meyer, est le directeur de la rédaction du seul quotidien spécialisé, L’Équipe. On peut encore citer Jean Eskenazi, vice-président, co-directeur du service des Sports à France Soir qui compte à cette époque vingt-quatre rédacteurs. Les représentants des médias régionaux sont eux pour la plupart responsables de leur service respectif59. Même si l’absence de données concernant la base des militants nous empêche d’être plus affirmatif, il semblerait que la distance avec les représentés soit également sociale. Là encore les renseignements sont lacunaires, mais il est tout de même possible de repérer quelques ressources dont disposent les membres du comité directeur. Certains se distinguent par une origine sociale et un capital culturel élevés : Georges Duthen (Le Parisien libéré) est un ancien enseignant ; Jacques Marchand, fils de dentiste, a entamé des études dans ce domaine ; Jacques Ferran est fils de magistrat et diplômé d’études supérieures ; Michel Clare a un père écrivain et philosophe ; André Chassaignon est écrivain. D’autres profitent d’un fort crédit du fait de leur passé de résistant (Félix Lévitan, Jean Laffitte, Maurice Vidal), ou de leur légitimité sportive, soit par leurs performances sur les pistes (André Ducos est un ancien international d’athlétisme), soit par leur forte proximité avec le milieu (Georges Busnel, élu à la fédération de basket est le frère d’un ancien joueur et entraîneur de l’équipe de France de basket). Même si elle est expliquée par l’inefficacité de l’action du SPST, la création de l’UNJS doit également se lire comme une tentative (masculine) élitiste de prise de pouvoir60.
28Ces représentants sont confrontés à la difficulté inhérente aux représentants : établir le lien avec les autres membres pour lesquels l’identification au groupe n’est pas une évidence. Certains d’entre eux se sont d’ailleurs engagés plus par tradition que conviction. Dans les années 1960-1970, l’Union est une étape quasi obligatoire de la socialisation professionnelle, notamment dans des journaux comme L’Équipe. Cet ancien président de l’Union, entré dans le métier à L’Équipe en 1972, l’atteste.
« À l’époque, quand on entrait dans le journal, la première chose quand on te donnait ton paquetage : hop, carte de l’USJSF. C’était automatique, et on n’avait pas à demander pourquoi ou pour qui. C’était pas une carte syndicale, c’était la carte de l’USJSF. »
Entretien, 2010.
29Jusqu’à la fin des années 1980, les effectifs ne cessent d’augmenter grâce à la mainmise de journalistes influents sur l’Union, qui réussissent à exercer un contrôle social sur le groupe. Ils sont plus de 1800 à adhérer à la fin des années 1980 (graphique 1).
Graphique no 1. Évolution des effectifs de l’USJSF (1958-2012)61

30Pour se rapprocher et faire exister la « base62 », la hiérarchie établit une relation de proximité par l’intermédiaire du bulletin de liaison et d’information. La publicisation des démêlés de collègues pris dans des « affaires » face aux patrons de presse ou aux dirigeants du monde sportif, la publication systématique de la liste des nouveaux adhérents, les moments d’intégration sociale comme les congrès annuels ont vocation à légitimer les représentants parlant au nom du groupe. Malgré la construction d’une unité, des conflits internes existent entre les porte-parole eux-mêmes, donnant à voir des conceptions divergentes du métier.
Des failles dans l’Union
31Au sortir de la guerre, le sous-espace du journalisme sportif est divisé en plusieurs pôles. Les médias généralistes de droite (Le Figaro) et de gauche (Libération, Ce Soir ou L’Humanité) politisent l’information sportive, d’autant plus dans le contexte particulier de décolonisation et de guerre froide. Le groupe Amaury fait lui figure de pôle dominant dans la médiatisation quotidienne du spectacle sportif avec Le Parisien Libéré et surtout L’Équipe, racheté en 1965. À la Libération, l’organisation du Tour de France cycliste par ces deux médias leur confère un fort capital symbolique et des retombées commerciales conséquentes. Sur le marché de la presse hebdomadaire, le magazine But et Club-Le Miroir des Sports, propriété du même groupe, est lancé en 1951. Avec à sa tête Félix Lévitan, déjà chef des Sports du Parisien Libéré, il ambitionne de rivaliser avec Miroir Sprint63, fleuron de la presse sportive communiste dirigé par Maurice Vidal, et auquel participent des rédacteurs de Libération, et d’autres passés par L’Humanité.
32Au sein de l’Union, « l’affaire du Haut-commissariat », baptisée ainsi dans les archives de 1962, est la conséquence de cette concurrence entre les deux médias. Au nom de l’indépendance de la presse, Maurice Vidal dénonce une circulaire du Haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports recommandant à ses employés la lecture de But et Club-Le Miroir des Sports. Cette crise révèle avant tout un antagonisme entre deux modes de légitimité journalistique, entre politisation et dépolitisation64. Maurice Vidal – issu d’un milieu très populaire (orphelin dès l’âge de huit ans) dont il sortira avec un certificat d’études et une réussite au concours de l’École normale – s’engage dans le journalisme après la guerre et son engagement dans la Résistance. Présent dès l’Assemblée générale constitutive de l’USJSF, cet ancien footballeur de bon niveau devient vice-président en 1963 avant d’accéder à la présidence (1965 à 1969 puis 1971 à 1981). Entre les deux mandats, il occupe, en tant qu’élu CGT, la direction de l’Union nationale des syndicats de journalistes, groupement des principaux syndicats (SNJ, SNJ-CGT, SJF-CGT et SGJ-FO). Il conduit d’ailleurs, lors des évènements de 1968, la seule grève des journalistes d’après-guerre. Dans les pages de Miroir Sprint, il promeut le sport comme « moyen d’éducation », de « loisir populaire » et affiche explicitement son soutien à la FSGT. Militant au PCF, il rompt avec l’apolitisme revendiqué par le pôle commercial du journalisme sportif : « Depuis vingt-cinq ans, Miroir nie la neutralité du sport, théorie chère aux dirigeants de L’Équipe, sinon à tous ses rédacteurs65. » Dans ses éditoriaux, il élabore une critique du libéralisme en appelant à davantage d’encadrement étatique (en prenant les exemples de l’URSS ou de la Chine) face à l’initiative privée66. Félix Lévitan, lui, ne rédige pas d’éditoriaux dans But et Club-Le Miroir des Sports, ni n’exprime d’affinités avec une instance partisane. Si Maurice Vidal considère l’engagement politique et le pluralisme comme des normes professionnelles, Félix Lévitan, autodidacte, fils d’un cordonnier, présente un profil plus proche du pôle commercial. En 1962, après avoir été emprisonné durant la guerre en tant que juif, il est nommé par Émilien Amaury, patron du Parisien Libéré, à la tête de l’organisation du Tour de France en 1962 aux côtés de Jacques Goddet, directeur de L’Équipe. Formé à L’Auto, il est, tout comme Pierre Giffard, Henri Desgranges ou Jacques Goddet, un dirigeant de presse participant à l’imbrication économique des enjeux sportif et médiatique.
33Par conséquent, il est difficile de parler d’une histoire commune et continue du journalisme sportif tant elle est émaillée de rivalités (AJS/SPST, SPST/UNJS), même si tous s’accordent pour promouvoir le sport. Nous allons voir que le caractère laborieux et conflictuel de la construction professionnelle n’empêche pas une minorité, ayant confisqué le pouvoir, de dire, à leur avantage, ce qu’est le journalisme sportif.
Notes de bas de page
1 Passeron Jean-Claude, « Attention aux excès de vitesse. Le “nouveau” comme concept sociologique », Esprit, no 125, 1987, p. 129-134.
2 Pour aller plus loin, voir Souanef Karim, « Le journalisme sportif pris au jeu. Sociologie des principes de légitimité professionnelle », thèse de science politique sous la direction de Brigitte Le Grignou et Choukri Hmed, université Paris-Dauphine, 2013.
3 Nous avons emprunté la démarche de Sylvain Ville qui, au lieu de se focaliser sur les fédérations sportives comme le font souvent les approches classiques en histoire du sport, propose une histoire sociale du spectacle sportif « au croisement de logiques privées marchandes et des investissements fédéraux ». Ville Sylvain, « Donner la boxe en spectacle. Une histoire sociale de la boxe professionnelle à Paris, à la Belle Époque », Actes de la recherche en sciences sociales, no 209, 2015, p. 10-27.
4 Elias Norbert et Dunning Eric, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 2009.
5 Pour aller plus loin sur la manière dont le sport, en tant qu’activité sociale, est l’objet de codages différenciés au cours du temps, voir Faure Jean-Michel et Suaud Charles, La raison des sports. Sociologie d’une pratique singulière et universelle, Paris, Raisons d’agir, 2015.
6 Bourdieu Pierre, « Comment peut-on être sportif ? », in Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1984, p. 178.
7 La personnification constitue l’un des pièges de l’approche biographique lorsqu’elle oublie de repérer le « longitudinal » et d’envisager les propriétés générales, les invariants qui autoriseraient à considérer les individus comme interchangeables. Passeron Jean-Claude, « Biographies, flux, itinéraires, trajectoires », Revue française de sociologie, no 31, 1990, p. 3-22.
8 Pour aller plus loin sur l’USFSA, Grosset Yoann, « Aux origines du mouvement sportif français. L’histoire d’une institutionnalisation du sport et de l’olympisme (1887-1930) », thèse en sciences et techniques des activités physiques et sportives sous la direction de Michel Raspaud et Michael Attali, université Joseph Fourier-Grenoble 1, 2010.
9 Le recours à l’opposition entre amateurisme et professionnalisme est stérile pour quiconque interroge les conditions concrètes du travail sportif. Ces catégories, particulièrement instables, sont malgré tout d’un certain secours pour ce qu’elles nous disent de l’espace des prises de positions qu’elles dessinent, pour ce qu’elles nous apprennent des conflits et des réappropriations stratégiques qu’opèrent les agents sociaux de ces qualifications incertaines. Fleuriel Sébastien et Schotté Manuel, « Dépasser l’alternative amateurs/professionnels. Programme pour une histoire sociale des sportifs au travail », Le Mouvement social, no 254, 2016, p. 3-12.
10 Bourdieu Pierre, « L’invention de la vie d’artiste », Actes de la recherche en sciences sociales, no 2, 1975, p. 67-93.
11 Cité par Hubscher Ronald, « Distinction sociale », in Jean Durry, Ronald Hubscher et Bernard Jeu (dir.), L’histoire en mouvements. Le sport dans la société française (xixe-xxe siècle), Paris, Armand Colin, 1992, p. 89.
12 Frantz Reichel, « Le Vélo en Grèce », Le Vélo, dimanche 4 avril 1896, p. 1.
13 Cité par Wahl Alfred, « Un professionnalisme de résignation en France », Sociétés et Représentations, no 7, 1986, p. 71.
14 L’association n’acceptant que ceux dont « le journalisme constitue l’occupation habituelle ». Martin Marc, « La grande famille : l’association des journalistes parisiens 1885-1939 », Revue historique, no 557, 1986, p. 132.
15 « La mort de Frantz Reichel », Bulletin du SNJ, avril 1932, p. 6.
16 Lebecq Pierre-Alban, Paschal Grousset et la Ligue Nationale de l’Éducation Physique, Paris, L’Harmattan, 1997.
17 Bretin-Maffiuletti Karen et Caritey Benoit, « L’Humanité et les manifestations sportives internationales dans les années 1920 », in Michael Attali et Evelyne Combeau-Mari (dir.), Le sport dans la presse communiste, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 53-72 ; Attali Michael et Froissart Tony, « Entre rejet et fascination : le traitement contrasté de la VIIIe olympiade dans la presse française de gauche », in Thierry Terret (dir), Les Paris des Jeux Olympiques de 1924, Paris, Atlantica, 2008, p. 925-950.
18 Defrance Jacques, « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, no 50, 2000, p. 13-27.
19 Pour s’empêcher d’avoir une conception trop rigide du modèle sportif communiste et de sa diffusion, voir Sabatier Fabien, « Mobilité affinitaire et mouvement sportif ouvrier : l’itinéraire de Rosette Guérard (1924-1950) », Le Mouvement Social, no 215, 2006, p. 67-80.
20 Lacroix Bernard et Lagroye Jacques, « Introduction », in Bernard Lacroix et Jacques Lagroye (dir.), Le Président de la République : usages et genèses d’une institution, Paris, Presses de la FNSP, 1992, p. 11.
21 Grosset Yoan, op. cit., 2010.
22 Même si l’histoire attribue à Pierre Giffard le lancement du premier quotidien, c’est bien le nom de Paul Rousseau qui figure en manchette du premier numéro le 1er décembre 1892. Il y est présenté en tant directeur-gérant et co-directeur du Véloce-Sport hebdomadaire. Nous nous attarderons plus tard sur sa trajectoire.
23 Dauncey Hugh, « Entre presse et spectacle sportif, l’itinéraire pionnier de Pierre Giffard », Le Temps des médias, no 9, 2007, p. 35.
24 Voir Seray Jacques et Lablaine Jacques, Henri Desgrange, l’homme qui créa le Tour de France, Saint-Malo, Éditions Cristel, 2006.
25 Victor Breyer, journaliste, passé du Vélo à L’Auto, premier vice-président de l’Association des journalistes sportifs (AJS) à partir de 1905, est l’un des plus principaux organisateurs de matchs de boxe professionnelle au début du siècle. Ville Sylvain, op. cit., 2015.
26 Vigarello Georges, Du jeu ancien au show sportif. La naissance d’un mythe, Paris, Seuil, 2002, p. 116.
27 Il ne faudrait cependant pas se représenter la professionnalisation comme un processus implacable. Pour aller plus loin Dunning Eric et Sheard Kenneth, « La séparation des deux rugbys », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 79, 1989, p. 102.
28 Grosset Yoan, op. cit., 2010, p. 599.
29 Anne-Marie Waser analyse cette complexité du mouvement de solidification du sport français et international. En mettant l’accent sur l’ambiguïté des prises de positions (de Pierre de Coubertin), elle insiste sur les effets des reconfigurations institutionnelles (création de fédérations sportives et d’institutions concurrentes) et l’influence des situations (montée du professionnalisme). Waser Anne-Marie, « L’internationalisation du sport. Transformation d’une entreprise universelle en un organisme au service des intérêts particuliers : le Comité International Olympique (1894-1925) », Regards sociologiques, no 20, 2000, p. 17-37.
30 Lenoble Benoit, « L’autopromotion de la presse en France (fin du xixe-début du xxe siècle) », Le Temps des médias, no 2, 2004, p. 29-40.
31 Deux des « quatre grands » journaux populaires de la fin du xixe siècle parmi lesquels on compte aussi Le Petit Journal (1863) et Le Journal (1892). Voir à ce sujet Ferenczi Thomas, L’invention du journalisme moderne. Naissance de la presse moderne à la fin du xixe siècle, Paris, Plon, 1996.
32 Attali Michael « Introduction », in Michael Attali (dir.), Sports et médias. Du xixe siècle à nos jours, Biarritz, Atlantica, 2010, p. 16.
33 Mannevy Raymond, La Presse de la IIIe République, Paris, J. Foret, 1955, p. 173 cité par Perraki Vivi, « Entrée du sport dans la presse », Mots. Les langages du politique, no 29, 1991, p. 93-98.
34 Cité par Meyer Gaston, Les tribulations d’un journaliste sportif, Paris, Éditions Simoens, 1978, p. 76.
35 Chupin Ivan, Hubé Nicolas et Kaciaf Nicolas, Histoire politique et économique des médias en France, Paris, La Découverte, 2009, p. 42.
36 Lévêque Sandrine, op. cit., 2000, p. 60-61. L’auteure effectue ce comptage à partir des quotidiens suivants : Le Figaro, Le Temps, L’Humanité, L’Intransigeant, Le Petit Parisien, Le Matin, Le Populaire.
37 Ces chiffres sont extraits des ouvrages suivants : Tétart Philippe, « Tableau de la presse sportive en province (1845-1914) », in Philippe Tétart et Sylvain Villaret (dir.), Les Voix du sport. La presse sportive régionale à la Belle Époque, Biarritz, Atlantica, 2010, p. 69 ; Édouard Seidler, Le Sport et la presse, Paris, Armand Colin, 1964, p. 119.
38 Marchand Jacques, La presse sportive, Paris, Éditions du CFPJ, 1989, p. 10.
39 Pociello Christian, Les cultures sportives. Pratiques, représentations et mythes sportifs, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 114.
40 Voir Ville Sylvain, « Georges Carpentier, naissance d’une célébrité sportive (1894-1926) », Genèses, no 103, 2016, p. 49-71.
41 Priollaud Nicole, Le sport à la Une. 1870-1914, Paris, Liana Levi-Sylvie Messinger, 1984.
42 La littérature s’invite encore aujourd’hui dans le sport médiatisé. Lors des JO 2016, le romancier Éric-Emmanuel Schmitt est consultant à France Télévisions sur les épreuves d’athlétisme.
43 Les associations de journalistes sportifs sont très peu évoquées dans les travaux des historiens de la presse et du journalisme. Pour un exemple de silence sur le sujet, Bernard Claire et Mouriaux René, « Presse et syndicalisme », Mots. Les langages du politiques, no 14, 1987, p. 7-19.
44 Il ne s’agit pas de surestimer le pouvoir des associations professionnelles et de les considérer comme représentatives de la spécialité. Cependant, elles en disent beaucoup sur ce qu’est le champ et ses lignes de force, sur ce que sont les stratégies de ceux ayant le pouvoir du discours, de diffuser la croyance en l’existence objective de la catégorie et de mettre en scène les intérêts pertinents : « La raison et la raison d’être d’une institution (ou d’une mesure administrative) et de ses effets sociaux n’est pas dans la “volonté” d’un individu ou d’un groupe mais dans le champ de forces antagonistes ou complémentaires où, en fonction des intérêts associés aux différentes positions et des habitus de leurs occupants, s’engendrent les “volontés” et où se définissent et se redéfinissent sans cesse, dans et par la lutte, la réalité des institutions et de leurs effets sociaux, prévus et imprévus. » Bourdieu Pierre, « Le mort saisit le vif. Les relations entre l’histoire réifiée et l’histoire incorporée », Actes de la recherche en sciences sociales, no 32-33, 1980, p. 5.
45 Delporte Christian, Histoire du journalisme et des journalistes en France du xviiie siècle à nos jours, Presses universitaires de France, 1995, p. 37.
46 Archives du monde du travail (AMT), fonds AJS-2011 010 021, « Correspondances : 1911-2000 ».
47 Marchand Jacques, Journalistes de sport. Militants-Institutions-Réalisations. Rapports avec le mouvement sportif, Biarritz, Atlantica, 2004, p. 86.
48 L’acronyme renseigne sur la division du travail journalistique au début du siècle. Le sport et le tourisme sont placés sur une même ligne. La création d’une Association française des chroniqueurs du tourisme en 1936 marque la prise de distance progressive des deux spécialités.
49 À l’image de ce qui se joue au sein de l’association syndicale professionnelle de la critique littéraire, le début du siècle constitue une période de sociabilité entre pairs plus que la naissance d’un métier. On peut parler, là aussi, d’une « organisation professionnelle différée ». Carbonnel Marie, « Profession : critique ? Les défis de l’Association syndicale professionnelle de la critique littéraire de la Belle Époque à la fin des années trente », Le mouvement social, no 214, 2006, p. 110.
50 AMT, fonds AJS-2011 010 021, « Correspondances : 1911-2000 ».
51 Déclaration du 2 mai 1957 au Journal officiel.
52 Le SPST est rebaptisé le 13 mai 1953 le Syndicat national des journalistes sportifs et du tourisme (SNJST). Pour des raisons de confort de lecture, nous continuerons à nommer le syndicat SPST. AMT, fonds AJS- 2011 010 043, « Associations, fédérations et syndicats », Annuaire du Syndicat nationale des journalistes sportifs et du tourisme 1955.
53 Sur les trente-cinq militants présents lors de l’Assemblée générale constitutive, vingt sont membres du SPST en 1955. Parmi ceux qui occupent une double position, on retrouve les quatre plus hauts responsables : le président, le premier vice-président et les deux vice-présidents. Il est d’ailleurs fort probable que ce nombre soit plus élevé dans la mesure où nous bénéficions des effectifs du SPST pour l’année 1955 mais malheureusement pas pour l’année 1957.
54 Le procès-verbal de l’Assemblée générale constitutive de l’UNJS, en 1957, annonce 135 adhérents, alors que l’association n’est pas encore officiellement déclarée au Journal officiel. À la même date, le SPST en compte 255, soit à peine plus du double. AMT, fonds AJS-2011 010 043, « Associations, fédérations et syndicats », Annuaire du Syndicat nationale des journalistes sportifs et du tourisme 1955.
55 Archives privées de l’USJSF, « Note sur l’activité de l’UNJS depuis sa création », 30 septembre 1957.
56 Roland Mesmeur, journaliste au Figaro, cité par Marchand Jacques, op. cit., 2004, p. 115.
57 Bourdieu Pierre, « Espace social et genèse des “classes” », Actes de la recherche en sciences sociales, no 52, 1984, p. 12.
58 Le tableau no 2 (en annexe) met en évidence la présence au sein du premier comité directeur de l’UNJS de membres issus des différents pôles qui structurent le métier (presse spécialisée/presse généraliste, presse nationale/presse régionale, presse écrite/médias audiovisuels).
59 Georges Busnel est le chef du service Sports au Midi-Libre, Augustin Charlet et Jean Le Traon occupent la même fonction à La Voix du Nord et à Ouest-France.
60 Ce renouvellement n’est pas synonyme de féminisation. L’absence de femmes dans le comité directeur de l’UNJS reflète leur quasi-absence dans le journalisme sportif durant la période 1940-1970, à quelques exceptions près. À L’Équipe, seule une femme est présente dans une rédaction composée d’une quarantaine de personnes. Il faut attendre le début des années 1960 pour qu’elle soit rejointe par une collègue. Yvonne Jeanne et Judith Elian doivent d’ailleurs leur présence à des ressources bien spécifiques. La première est détentrice d’un record du monde en natation, alors que la seconde, d’origine roumaine, est polyglotte. À la Libération, un semblant de féminisation s’observe grâce à l’essor d’une presse sportive communiste. Trois femmes sont engagées au quotidien Sports lancé en 1946 et proche du PCF. Cet élan n’initie pas de mouvement général. En 1957, seules cinq femmes sur 255 sont membres du SPST et deux (sur 135) accordent leur soutien à l’UNJS. Autant dire qu’à la Libération, le journalisme sportif est masculin. Fontaine Marion, « Maitresses femmes, championnes, passantes ou militantes. Les femmes journalistes sportives (années 1940-1970) : quel est le sens de l’exception ? », Communication lors de la journée d’étude « Le journalisme de sport révélé par ses grandes figures (xixe-xxe siècle) », université Paris-Dauphine, IRISSO, 2012.
61 Pour la période 1958-2004, les données figurent dans les différents bulletins de communication. Les chiffres depuis 2004 nous ont été transmis par le personnel de l’Union.
62 Suaud Charles, « Le mythe de la base », Actes de la recherche en sciences sociales, no 52-53, 1984, p. 56-79.
63 Le tirage de Miroir Sprint dépasse 400000 exemplaires au moment du lancement de son rival qui, lui, atteint rapidement 200000 exemplaires. Seidler Edouard, op. cit., 1964, p. 105.
64 Ce qui n’est pas sans rappeler la structure du monde de la critique littéraire divisée entre le camp communiste et le camp libéral dans l’après-guerre. Rieffel Rémy, « L’évolution du positionnement intellectuel de la critique littéraire », Quaderni, no 60, 2006, p. 55-64.
65 Maurice Vidal, « Quand L’Équipe devient politique », Miroir Sprint, no 1276, 15 décembre 1970, p. 2.
66 Pour aller plus loin Souanef Karim, « Entre engagement politique et contraintes professionnelles : l’itinéraire de Maurice Vidal (1919-2011) », in Michael Attali et Évelyne Combeau-Mari (dir.), Le Sport dans la presse communiste. XIXe-XXe siècle, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 217-230.
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