1Dans l’ensemble des travaux abordant l’ouverture des organisations internationales (OI) aux organisations non gouvernementales (ONG), rares sont ceux qui s’intéressent aux organisations impliquées dans la régulation des migrations internationales (Charnovitz, 1997 ; Jönsson et Tallberg, 2010 ; Willetts, 2011). Ce terrain a été jusqu’à présent délaissé, alors que les mouvements migratoires sont devenus des enjeux cruciaux pour les États et la stabilité régionale au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe. Les quelques travaux abordant les dynamiques d’échange entre les OI et leur environnement dans le champ des migrations laissent penser que la tendance est à la limitation, plutôt qu’à l’expansion, de l’entrée des ONG dans les processus décisionnels des OI (Kalm, 2010). Cette hypothèse reste néanmoins encore à démontrer, d’autant que la participation des ONG peut être une ressource politique et financière non négligeable pour les OI.

2L’étude présentée ici s’intéresse aux relations nouées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avec le monde des ONG. L’hypothèse centrale est que le développement des partenariats entre l’organisation genevoise et les ONG est un moyen, pour une institution manquant de ressources et d’autonomie financière, de renouveler ses modes d’intervention et de développer de nouveaux outils d’influence politique. Ces partenariats concernent aussi bien le mandat politique et normatif du HCR - avec des ONG spécialisées dans le plaidoyer - que son mandat opérationnel, notamment la coordination de l’assistance aux réfugiés - avec des ONG centrant leurs programmes sur l’assistance matérielle aux réfugiés et aux personnes déplacées.

3La première partie de cette contribution revient sur les facteurs qui ont poussé le HCR, ces dernières années, à renforcer les dispositifs de participation des ONG. La deuxième partie est consacrée à une analyse des différentes formes que prend cette ouverture. Enfin, la troisième partie s’intéresse aux stratégies engagées par les ONG pour investir le HCR, à partir d’une comparaison de leur représentation dans deux enceintes de l’organisation internationale : les consultations annuelles et le comité exécutif.

Le HCR et l’évolution du régime des réfugiés

Un régime complexe

4Les rapports entre ONG et OI ont fait l’objet de peu de recherches dans le domaine des migrations internationales. Aussi, il semble délicat de définir une tendance générale à l’ouverture - ou à la fermeture - des OI spécialisées telles que le HCR ou l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) au monde des ONG. Pourtant, des travaux récents éclairent non seulement le développement de la coopération intergouvernementale dans ce domaine, mais également l’ouverture aux ONG, à un moment où les expériences de coopération internationale pour les migrations tendent à se complexifier. Il existe en effet plusieurs « régimes internationaux » des migrations, la littérature distinguant généralement le régime1 international des migrations de celui des réfugiés et de l’asile (Karatani, 2005). Dans ce contexte, les approches en termes de « complexes de régimes » (Raustiala et Victor, 2004 ; Alter et Meunier, 2009) sont intéressantes, en mettant l’accent sur le développement des réseaux d’acteurs et d’institutions, mais également de la place et du rôle des ONG dans de tels régimes.

5Deux études lient la thématique de la gestion des migrations à celle des régimes internationaux : celle de Colleen Thouez (2003) et celle de Sarah Kalm (2010). La première souligne que les ONG restent, au début des années 2000, peu organisées au niveau international. Cette faiblesse ne serait qu’une conséquence logique du fait que les États eux-mêmes ne se sont inscrits dans des processus de coopération qu’à partir des années 1950, et surtout depuis les années 1990. Selon Colleen Thouez, la coopération interétatique serait ainsi un préalable au développement de la participation non gouvernementale. Selon Sarah Kalm, l’action des ONG auprès des acteurs étatiques reste limitée du fait de la volonté des États de restreindre l’entrée des ONG dans les nouveaux processus de coopération notamment au niveau régional. Ceci reste sans doute vrai en ce qui concerne les processus consultatifs informels régionaux, mais ce constat reste à nuancer pour ce qui est des organisations intergouvernementales.

Le HCR sous contrainte

6Le HCR est confronté depuis quelques années à une raréfaction de ses moyens et à l’intensification de la compétition avec des organisations œuvrant dans le même domaine, telle que l’OIM. Dès lors, la recherche de partenariats avec des réseaux d’ONG peut être une ressource importante pour accroître la légitimité et l’autorité de l’organisation. Elle peut permettre également au HCR de mobiliser de nouvelles ressources pour financer et mettre en œuvre ses programmes. Le régime de l’asile et des réfugiés est souvent considéré comme plus concentré que celui des migrations internationales, le HCR apparaissant comme l’institution centrale dans le domaine de l’asile. Pourtant, ces dernières années, ce régime a lui-même connu une tendance à la fragmentation, principalement du fait du traitement distinct des déplacements forcés internationaux (les réfugiés) et des déplacements forcés internes (les déplacés). Depuis 2006, le HCR est en charge de la coordination des actions en faveur des déplacés. Cet élargissement de son mandat le conduit à évoluer dans un système de coopération plus ouvert et plus complexe, marqué par la fragmentation institutionnelle et des échanges de plus en plus marqués avec les organisations en charge des migrations internationales (Hansen, Koehler et Money, 2012 ; Kunz, Lavenex et Panizzon, 2011).

7Un autre facteur de complexification concerne les interdépendances entre différentes échelles, de l’international au local (Thouez et Channac, 2006). La multiplication de nouvelles institutions au niveau régional n’est pas le fruit d’un hasard. Elle correspond à des stratégies de « forum shopping2 » des États occidentaux depuis le début des années 1980 et la crise de l’asile en Europe. Elle débute en 1984 par la création de l’Inter-Governmental Consultations (IGC) au sein du HCR. Cette régionalisation de la coopération interétatique a des conséquences directes pour le HCR, les consultations régionales tendant à croiser les approches thématiques sur les migrations et sur l’asile, brouillant d’autant plus les frontières entre régime des migrations et régime de l’asile et des réfugiés. Selon Alexander Betts (2009), cette politique « a conduit les États du Nord à adopter une stratégie de « forum shopping » et un changement de régime, de façon à répondre à leurs préoccupations en matière de gestion des flux mixtes tout en outrepassant leurs obligations juridiques liées au régime des réfugiés ». Betts note également que le HCR a adapté sa propre stratégie en suivant les États dans des régimes alternatifs et en élargissant son propre champ d’action. Betts analyse ensuite les stratégies d’adaptation du HCR à l’évolution des stratégies étatiques : le Haut-Commissariat s’empare de la question des flux mixtes et des migrations irrégulières, promeut une politique générale de « protection régionale », devient un acteur de plus en plus « itinérant », s’engageant dans divers forums au-delà du régime de l’asile et des réfugiés (Channac, 2009). Néanmoins, cette itinérance du HCR le conduit à se rapprocher de divers forums institutionnels aux approches très différentes vis-à-vis de la participation des ONG. Alors que les processus consultatifs régionaux informels restent relativement peu ouverts aux ONG, le Global Forum for Migration and Development, par exemple, est lui largement ouvert aux ONG.

8Ainsi, au début des années 1980, dans un contexte marqué par l’accroissement des déplacements forcés dans le monde et la réduction des contributions financières des États, le HCR était menacé sur deux fronts : la définition de ses programmes, d’une part, l’étendue et le cadre de ses opérations, d’autre part. Dans ce contexte, les partenariats avec les ONG ont constitué pour le HCR un outil pour maintenir sa légitimité et mieux s’insérer dans un régime international devenu plus ouvert.

9Enfin, la tendance à l’ouverture est rendue d’autant plus possible que le paragraphe 10 du statut du HCR dispose :

« Le Haut-Commissaire gère les fonds qu’il reçoit de source publique ou privée en vue de l’assistance aux réfugiés et les répartit entre les organismes privés et, le cas échéant, les organismes publics qu’il juge les plus qualifiés pour assurer cette assistance. […] Le Haut-Commissaire ne peut faire appel aux gouvernements pour leur demander des fonds, ni adresser un appel général, sans l’approbation préalable de l’Assemblée générale. »

10Le HCR n’agit donc pas directement ; il coordonne non seulement l’action des États mais aussi celle des ONG qui agissent comme intermédiaires dans l’acheminement de l’assistance matérielle aux populations destinataires. L’organisation est d’autant plus incitée à travailler au développement de partenariats avec les ONG, que, depuis 2006, des « clusters » ont été généralisés dans le cadre des opérations d’aide humanitaire d’urgence.

L’ouverture du HCR à la participation des ONG

11Depuis les années 1950, la participation des ONG aux travaux du HCR a été progressivement institutionnalisée au sein de différents forums développés à trois niveaux : la consultation, les appuis opérationnels et le comité exécutif du HCR.

La consultation

12Premièrement, des instances de consultation avec les ONG ont été mises en place, que ce soit en vue de préparer les sessions de l’organe décisionnel du HCR ou pour recueillir leurs suggestions sur le statut juridique et la protection des réfugiés. Ces instances ne regroupent que des ONG, sous les auspices du HCR. Même si les partenariats étaient déjà forts entre le HCR et les ONG depuis sa création en 1950, le nombre d’ONG partenaires a rapidement augmenté à partir des années 1970 au moment où les domaines de compétence de l’organisation s’élargissaient (figure 1). Au début des années 1990, le HCR reconnaissait la nécessité de travailler avec les ONG intervenant dans les domaines relevant de son mandat et lançait une initiative, le Partnership in Action (PARinAC), afin d’offrir un cadre à ces échanges. En 1993, six conférences régionales sont ainsi organisées dans le cadre du PARinAC, le processus aboutissant à la Conférence d’Oslo, en 1994, réunissant plus de cinq cents ONG et finalisant un Plan d’Action international comprenant cent trente-quatre recommandations. Plus récemment, en 2011, est créé le « dialogue structuré » du Haut-Commissaire avec un groupe de pilotage (« steering group ») associant des représentants des principaux réseaux internationaux d’ONG - le Conseil international des agences volontaires (ICVA), InterAction et la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC). Suivant un modèle de dialogue initié en 2007, des conférences thématiques sont organisées. Elles s’inscrivent dans une rhétorique participative valorisant l’échange de vues, le respect et la confiance mutuels, une communication ouverte et la transparence des processus de décision. Dans le même esprit, des consultations annuelles avec les ONG sont organisées afin de préparer les sessions du comité exécutif.

L’appui opérationnel

13Les ONG sont également associées aux programmes opérationnels du HCR. Elles interviennent dans le cadre de partenariats construits à deux niveaux. Pour les partenariats dits d’« exécution », le HCR accorde un soutien financier à l’ONG afin qu’elle délivre des services d’aide aux réfugiés. Ce type de partenariat concerne plus de six cents ONG dans le monde, dont 75 % ont une action locale ou nationale. Les partenaires « opérationnels » ont pour objet d’appuyer l’action du HCR en matière de secours d’urgence ou de réinstallation, bien que les ONG impliquées ne reçoivent aucun soutien financier particulier. Aujourd’hui, 42 % des dépenses du HCR sont mises en œuvre par des partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux, dont plus du tiers par les seules ONG3. Le statut de partenaire exige de pouvoir remplir des critères stricts concernant la responsabilité financière et les capacités opérationnelles (par exemple, être légalement enregistré localement, fournir des preuves de fiabilité financière et comptable, disposer d’une capacité à intervenir rapidement dans des situations d’urgence, s’engager à respecter les règlements et procédures du HCR). Afin d’aider les ONG à remplir au mieux ces critères, des programmes de formation ont d’ailleurs été développés par le HCR en direction de ses partenaires, tels que le programme Reach Out Refugee Protection Training Project initié en 2001, dont les supports de formation restent accessibles aux ONG via le site Internet du HCR ou par l’intermédiaire de l’ICVA4. En 2008, le HCR a également ouvert un Global Learning Centre, à Budapest, pour former ses propres personnels et ceux de ses partenaires, en particulier grâce à une plateforme de formation en ligne. Ces formations ont donc pour objectif d’initier une harmonisation des pratiques du HCR et de ses ONG partenaires.

La participation au Comité exécutif

14Les ONG peuvent enfin être invitées à participer aux sessions du Comité exécutif du HCR - appelé communément le ComEx. Elles y participent de deux façons, soit en tant qu’organisation bénéficiant d’un statut d’observateur, soit comme membre d’une délégation étatique5. Réuni chaque année en octobre à Genève, le ComEx agit selon un triple mandat établi en 1958 : formuler des recommandations au Haut-Commissaire dans l’exercice de ses fonctions, examiner le budget et les programmes, autoriser les appels de fonds et approuver les projets d’assistance. Les règles de participation à ce comité, pour les ONG, sont néanmoins strictement définies. Pour obtenir un statut d’observateur lors des sessions du ComEx, une ONG doit remplir l’un des quatre critères suivants : bénéficier d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC), être membre de l’ICVA, avoir été un « partenaire d’exécution » du HCR au cours de l’année précédente ou de l’année en cours, ou être un « partenaire opérationnel », expressément recommandé par un bureau local du HCR. Ensuite, les ONG sont réparties en quatre catégories durant les sessions du ComEx - catégories I, II et III, auxquelles s’ajoutent les « autres organisations coopérant avec le HCR6 ». Seules les ONG de catégories I et II peuvent soumettre des déclarations écrites, tandis que les ONG de catégorie III ne peuvent soumettre de telles déclarations qu’à la demande du ComEx. De même, durant les sessions du ComEx, les ONG peuvent présenter une déclaration commune par point de l’ordre du jour ou présenter une seconde déclaration sur autorisation du Président de la session. Ainsi, on le voit, la capacité d’intervention des ONG apparaît beaucoup plus strictement encadrée et canalisée dans les enceintes intergouvernementales où se joue la définition de l’agenda et les grandes prises de décision du HCR. Enjoints à respecter les règles du ComEx, les représentants des ONG doivent même se conformer à tout un ensemble de prescriptions exposées dans un Guide for NGOs to Participating in UNHCR’s Annual Consultations with NGOs7. D’ailleurs, la règle d’une seule déclaration d’ONG par point à l’ordre du jour est déjà une limitation en elle-même, tant elle implique que les ONG s’entendent préalablement entre elles et négocient une position commune : certains points à l’ordre du jour présentent des dimensions opérationnelles et politiques qui peuvent difficilement être confondues et traitées de la même façon par les ONG représentées au ComEx, d’autant plus que ces dernières partagent rarement le même agenda et les mêmes intérêts en dépit de leur appartenance à des réseaux transnationaux de plaidoyer tels que l’ICVA (Keck et Sikkink, 1998)8.

15Au final, ces trois arènes de participation des ONG au HCR recoupent peu ou prou les différentes phases des processus d’élaboration et de mise en place des programmes. Les ONG sont donc bien présentes lors de ces différentes phases. En revanche, les règles de représentation, de prise de parole et de participation aux processus décisionnels varient sensiblement selon ces trois espaces. Elles sont plus ou moins fermées et, notamment, plus restrictives dans les enceintes de représentation des États. Au-delà de ces contraintes formelles, la question se pose aussi de la facilité qu’ont les ONG à participer librement au débat dans ces enceintes, alors qu’elles sont souvent subventionnées par les États qui y participent, voire par le HCR lui-même.

Les choix stratégiques des ONG entre comité exécutif et consultations annuelles

16Quel intérêt les ONG ont-elles à participer aux lieux de représentation des États où leur sont imposées des règles restrictives et peu de marge de manœuvre ? L’évolution comparée de la participation des ONG aux Consultations annuelles organisées par le HCR9 d’une part, et au ComEx, d’autre part, fournit quelques éléments de réponse à cette question. Nous avons donc étudié les listes de participants aux sessions du comité exécutif du HCR de 1970 à 2013, afin de les comparer à celles des consultations annuelles.

17Le nombre d’ONG au ComEx s’est stabilisé dans les années 1970 autour d’une cinquantaine d’organisations, représentées par 75 à 90 agents (figure 1). Les années 1980 sont marquées par une forte augmentation de la représentation des ONG - le « creux » de l’année 1990 représentant un cas particulier, deux sessions ayant été organisées cette année-là, dont une session spéciale limitée aux États membres suite à l’effondrement du bloc de l’Est. Comme expliqué en première partie, la tendance à la croissance des échanges entre les ONG et le HCR s’explique par la volonté du Commissariat de se rapprocher de la sphère non gouvernementale, à un moment où sa légitimité se trouve fragilisée dans un régime international de l’asile et des réfugiés de plus en plus ouvert et complexe.

18À partir des années 2000, l’évolution de la représentation des ONG au ComEx suit une tendance inverse, avec un retrait accentué à partir de 2008. Plusieurs facteurs ont pu contribuer à cette baisse. D’une part, à partir de 2008, les consultations annuelles n’ont plus lieu dans la semaine qui précède la session du ComEx, fin septembre ou début octobre. Elles sont avancées en juin. De nombreuses ONG locales et nationales, ne pouvant financer deux déplacements à Genève dans l’année, ont ainsi été amenées à choisir entre les deux enceintes. En outre, malgré la volonté du HCR de favoriser la représentation des ONG locales et nationales, leur présence au sein du ComEx reste déséquilibrée en termes d’origine géographique : sur la décennie 2000, 49,2 % d’entre elles déclarent une adresse en Suisse et 10,8 % aux États-Unis, la domiciliation dans d’autres pays représentant des pourcentages beaucoup plus faibles. Au regard de cette distribution géographique, le changement de date ne peut donc pas à lui seul expliquer le déclin de la représentation, la majorité des ONG n’ayant pas à engager de frais supplémentaires importants pour couvrir deux déplacements à Genève dans l’année. Néanmoins, ce changement peut avoir eu un impact sur la taille des délégations des ONG - le nombre de représentants envoyés par les ONG baissant beaucoup plus rapidement que le nombre d’ONG - puisqu’il induit la mobilisation d’une équipe sur deux semaines au lieu d’une seule dans l’année.

Figure 1. Évolution du nombre d’ONG et de représentants d’ONG aux sessions du ComEx, 1970-2011

Tableau 1. Distribution des ONG du ComEx

19Une deuxième explication tient sans doute aux difficultés rencontrées par l’ICVA à la fin des années 1990 (Tong, 2003), suite à la défection d’un nombre important de ses adhérents. Or l’adhésion à l’ICVA conférant un statut spécial d’observateur aux sessions du Comité, le nombre d’ONG représentées au ComEx a eu tendance à diminuer mécaniquement. Sur la période 2000-2011, 74,4 % des ONG participant aux sessions du ComEx étaient cependant membres de l’ICVA tandis que 24,2 % étaient accréditées par l’ECOSOC. Les membres de l’ICVA représentent donc toujours une part majoritaire des ONG au ComEx. Dans le même temps, seulement 17,4 % de ces ONG étaient à la fois membres de l’ICVA et accréditées par l’ECOSOC.

20La troisième explication du déclin de la représentation des ONG au ComEx tient au développement, sur la même période, de nouveaux lieux de dialogue permettant au HCR de développer des échanges en dehors des sessions du ComEx. Pour appuyer cette explication, nous avons analysé les listes d’ONG participant aux consultations annuelles organisées par le HCR.

Figure 2. Évolution du nombre d’ONG et de représentants d’ONG aux consultations annuelles avec les ONG, 2001-2013

21Comme le montre la comparaison des figures 1 et 3, le déclin de la représentation au ComEx correspond bien, à partir du début des années 2000, à une augmentation importante de la représentation aux consultations annuelles. Plus encore, si l’augmentation du nombre d’ONG présentes aux Consultations correspond à l’érosion de leur représentation au ComEx, elle semble évoluer plus vite, ce qui montre que des ONG qui ne participaient pas aux sessions du ComEx s’associent plus volontiers aux consultations annuelles, même si cela n’entraîne qu’un faible rééquilibrage en ce qui concerne leur représentation géographique.

Tableau 2. Distribution des ONG participant aux consultations annuelles

22Il apparaît donc que les ONG ont elles-mêmes fait évoluer leur stratégie de représentation entre les différentes enceintes du HCR qui leur sont ouvertes. Ne bénéficiant que d’opportunités restreintes pour exprimer leurs attentes et leurs positions sur l’ordre du jour du ComEx - que ce soit pour des raisons tenant à leur dépendance vis-à-vis du HCR en matière de financement ou en raison des règles de prise de parole durant les sessions -, elles se sont réorientées vers une participation aux consultations annuelles. Ces consultations leur permettent de travailler davantage à la formation de réseaux transnationaux d’ONG et à la réflexion sur les partenariats. La participation au ComEx, en revanche, ne semble plus être pour les ONG un outil essentiel permettant d’assurer la promotion de leur agenda et de leurs actions, à l’exception des organisations les plus influentes, capables de discuter avec les États membres, comme Médecins Sans Frontières ou le CICR. Les réunions favorisant la constitution de réseaux d’ONG et la coordination de leurs actions semblent ainsi revêtir plus d’importance que l’accès à des enceintes intergouvernementales ne leur offrant qu’une liberté de parole limitée.

Conclusion

23Inscrit dans un régime international aux arrangements institutionnels de plus en plus incertains, confronté à des règles institutionnelles contraignantes, le HCR a très rapidement multiplié les partenariats avec les ONG en leur ouvrant d’une part des possibilités de participation dans son enceinte de décision, le ComEx et en créant d’autre part un forum ad hoc visant à mobiliser et coaliser les acteurs intervenant dans les demandes d’asile et l’aide aux réfugiés. On aurait pu penser que la participation à ce forum contribue à la socialisation politique des ONG, à leur sensibilisation aux règles et aux codes des rencontres intergouvernementales, et finalement à une participation accrue aux enceintes de gouvernance du HCR. Or, il semble que cette dynamique soit limitée. Toutes les ONG en mesure de participer aux sessions du ComEx ne saisissent pas cette opportunité. Un grand nombre de représentants font le choix de s’investir prioritairement dans les espaces dévolus aux discussions et à la coordination entre organisations non gouvernementales. Cela tient sans doute aux règles contraignantes de prise de parole au sein du ComEx.