1Au-delà des dispositifs d’administration consultative expérimentés depuis les années d’après-guerre, le développement des outils participatifs a constitué un puissant levier de changement des pratiques des organisations internationales (OI). Comme dans le domaine des droits humains, les organisations dédiées au développement ont mis en place, depuis trois décennies, des mécanismes et des instruments permettant de faire participer des organisations non gouvernementales (ONG) très diverses aux activités de développement et même de les associer, de façon contrôlée, à la gouvernance des institutions. La participation s’est institutionnalisée à tous les niveaux de la chaîne de l’aide, du niveau local où des mouvements de citoyens, de petites ONG et des organisations communautaires sont impliqués dans la conduite des projets financés par l’aide extérieure, jusqu’aux arènes internationales où ont été mis en place des espaces d’expression permettant aux ONG spécialisées, aux grandes coalitions de plaidoyer et à des organisations syndicales d’être présentes aux abords des principaux lieux de rencontre des gouvernements. Ces démarches participatives ne se limitent pas aux ressources engagées pour soutenir des forums de la société civile. Ils prennent des formes variées allant de dispositifs techniques et largement codifiés impliquant des groupes et organisations à différents niveaux de l’action publique (Dingwerth et Nanz, 2015), ou la constitution de commissions et groupes de travail associant des ONG sur des séquences longues (Corson et al., 2015), jusqu’à des collaborations informelles et des mécanismes bien plus diffus, comme ceux de l’e-participation (Amoretti, 2007).

2La Banque mondiale, dont la vocation est de contribuer au financement de projets de développement, a joué un rôle décisif dans la dissémination des idées participatives dans le champ de l’aide publique au développement (Long, 2001 ; Goldfrank, 2012). Certes, depuis les années 1990, la circulation transnationale de ces idées emprunte des voies très diverses, portée à la fois par des groupes d’experts, de chercheurs et de praticiens internationaux (Porto de Oliveira, 2017), des organisations militantes (Mertus, 1999) et tout un ensemble d’agent professionnalisés agissant comme entrepreneurs de réforme de la gouvernance publique (Bherer et al., 2017). Mais la Banque mondiale, parce qu’elle fût confrontée dès la fin des années 1980 à des obstacles importants dans la mise en œuvre de projets d’infrastructure financés dans ses pays « clients » (résistances des communautés locales, impacts environnementaux, déplacements forcés de populations, appauvrissement de groupes vulnérables, atteintes aux droits fondamentaux…), a été l’une des premières institutions internationales de développement à soutenir des expérimentations participatives conçues comme des solutions pour accroître l’efficacité de ses financements. Dès le milieu des années 1990, elle fait de la participation l’un des axes centraux des réformes visant à établir de nouveaux modèles de gouvernance. Surtout, de plus en plus exposée à la critique de mouvements environnementalistes et de groupes de plaidoyer hostiles à ses politiques d’inspiration néolibérales, la Banque mondiale adopte de nouvelles procédures bureaucratiques valorisant la participation comme un outil de sa propre gouvernance institutionnelle. Elle constitue à cet égard un espace d’observation privilégié pour comprendre l’essor des idées participatives dans le champ des OI et, tout particulièrement, la généalogie d’un nouveau savoir de réforme1 s’imposant lentement aux institutions internationales de développement.

3On ne concentrera pas l’analyse, ici, sur le rôle de la Banque dans la diffusion internationale des dispositifs de participation, c’est-à-dire leur propagation et leur circulation dans le champ international de l’aide au développement. Une telle démarche impliquerait, en effet, d’étudier les dynamiques circulatoires impliquant les agents de la Banque dans les configurations institutionnelles relativement ouvertes mêlant tous les acteurs participant à la construction de ses programmes (décideurs politiques, réseaux d’experts, de consultants et de chercheurs travaillant au contact de la Banque, agents d’État agissant pour le compte des principaux actionnaires de l’institution, ou encore les agents d’autres organisations multilatérales, notamment ceux des banques régionales de développement, des organisations onusiennes et de l’OCDE). La démarche supposerait également de saisir les modalités d’insertion de la Banque au niveau de ses pays « clients », au niveau de l’État où se jouent les activités de production des stratégies nationales de développement, comme au niveau des projets de développement où interviennent de nombreux acteurs opérationnels et prestataires techniques.

4Dans cette contribution, on fait le choix de se concentrer sur la vie interne de la Banque. On s’intéresse aux modalités d’importation des thèses participatives dans l’institution, à leur diffusion au sein de ses différentes unités, ainsi qu’aux activités intellectuelles permettant à ses agents de réinterpréter ces idées et les transformer en savoir de réforme. On portera l’attention sur deux dynamiques que l’on distingue essentiellement pour des raisons analytiques ; dans les faits, elles sont largement interdépendantes et les séquences d’activités observées se chevauchent partiellement. Dans un premier temps, les approches participatives sont importées par des agents minoritaires dans l’institution, travaillant en marge des services opérationnels où dominent les savoirs économiques, techniques et financiers. Initialement introduites par un groupe de chercheurs s’intéressant aux pratiques d’expérimentation dans la gestion de projet, elles sont par la suite prises en charge par un petit groupe réformateur profitant de la montée en puissance des mouvements protestataires transnationaux pour faire avancer un « agenda social » au sein de la Banque. Pour assurer le succès de leur entreprise interne, ce groupe n’hésite pas à rechercher dans l’environnement de la Banque des alliés susceptibles d’apporter leur soutien. Dans un second temps, les idées participatives, au fur et à mesure qu’elles gagnent en légitimité au sein de l’institution, sont prises en charge dans des instances de travail où elles font l’objet d’opérations de traduction et de mise en forme permettant de les insérer dans les cadres normatifs dominants de la Banque. Intégrées à la doxa de l’institution, elles perdent leur statut de pensée minoritaire ou hétérodoxe. Elles permettent même d’édifier un nouveau discours réformateur faisant de l’ouverture aux ONG et à la société civile la condition de l’efficacité des pratiques financières à l’échelle des projets, et un élément central de la bonne gouvernance des institutions dans l’espace international2.

5L’analyse propose ici de considérer le développement des idées participatives à la Banque mondiale dans une approche de sociologie des institutions. On ne souhaite pas réduire cette analyse pas à une perspective néo-institutionnaliste qui insisterait principalement sur la tendance générale d’une institution à importer et reproduire les idées qui gagnent en légitimité dans son environnement immédiat3 (un environnement lui-même composé de multiples institutions enchâssées les unes dans les autres, mêlant les champs bureaucratiques et politiques nationaux, des organisations multilatérales, de grandes universités, des écologies professionnelles, des organisations du secteur privé ou de la philanthropie, des réseaux permanents d’ONG, des institutions financières, etc.). En s’intéressant à la vie interne de la Banque mondiale, l’objectif est ici de comprendre ce que les agents de l’institution font des idées qui circulent dans leur environnement - et, pour une part, s’imposent à eux - en explorant leur capacité à s’emparer de ces idées, à les incorporer dans un corpus de savoir qui leur est propre, et enfin à les remanier et à les reconstruire dans un sens conforme à l’agenda de l’organisation4.

6Dans un premier temps, nous reviendrons sur la généalogie des thèses participatives au sein de la Banque mondiale dans les années 1980-1990, en cherchant à rendre compte du rôle actif de chercheurs et d’agents internes partisans d’une approche renouvelée de l’aide au développement. Dans un second temps, l’analyse portera sur la construction d’alliances permettant à ces réformateurs internes de rechercher des soutiens dans l’environnement de la Banque, tout particulièrement dans les espaces militants et scientifiques. Le troisième temps sera consacré à l’étude des activités normatives permettant de construire une nouvelle problématisation des idées participatives, destinée à favoriser leur incorporation dans le corpus dominant de la Banque.

Le rôle des insiders : les réformateurs sociaux et la diffusion interne des thèses participatives

7Pour comprendre le processus d’importation des idées participatives dans l’institution, il convient de remonter en amont des années 1990, période au cours de laquelle la participation devient une norme internationale promue par la Banque5. Ce processus commence en effet dans les années 1980. Il prend la forme d’un travail d’imprégnation, travail par lequel un petit groupe d’agents de la Banque se familiarise avec les thèses du « développement participatif ».

8Ces agents, que l’on appellera ici des « réformateurs sociaux6 », œuvrent en interne à l’introduction de thèses sociales à l’intérieur de la Banque, au moment même où celle-ci bascule dans des stratégies d’ajustement structurel prônant des politiques de privatisation, la dérégulation des activités économiques et l’ouverture des marchés nationaux à la libre concurrence internationale. On s’intéressera à deux groupes jouant un rôle d’entrepreneur de savoir, i. e. des agents qui mobilisent des connaissances issues d’études et de recherches pour construire de nouveaux répertoires d’argumentation et modifier les conceptions de l’action publique dans l’organisation. Ces groupes s’organisent autour de deux insiders dont le rôle apparaît décisif dans l’importation des idées participatives. Le premier est le sociologue Michael Cernea qui, dès le milieu des années 1980, importe les approches anthropologiques du développement pour faire émerger une réflexion critique sur l’impact des programmes de la Banque dans les pays bénéficiaires. Le second, Ismail Serageldin, participe quelques années plus tard, à l’intérieur des services opérationnels de la Banque, à l’introduction des thèses participatives permettant à la fois de répondre aux pressions externes des mouvements d’ONG et de soutenir le nouvel agenda social du développement.

Les anthropologues d’institution comme agents importateurs

9La première importation des théories participatives au sein de la Banque remonte au tout début des années 1980, période au cours de laquelle des chercheurs et des praticiens spécialisés dans le domaine des études rurales commencent à publier des études monographiques sur la « participation des pauvres » à la mise en œuvre de projets dans les pays en développement (Chambers, 1994). Longtemps considérées comme le pré carré des économistes et des ingénieurs, les questions de développement sont en effet de plus en plus investies par des anthropologues, sociologues et géographes spécialisés sur les communautés rurales et les pratiques agricoles. Au cours de ces années, les nouvelles thèses sur la participation pénètrent l’intérieur de la Banque via un petit groupe de chercheurs soucieux de développer les recherches venues de la socio-anthropologie du développement. L’élargissement de l’agenda de la Banque à la question de la pauvreté conduit en effet l’institution financière à multiplier les opérations de prêt dans des secteurs sociaux7. Il apparaît alors nécessaire, pour ses actionnaires, de développer des capacités internes de recherche en sciences sociales afin d’améliorer la connaissance des comportements des bénéficiaires. Cette idée, soutenue par l’administration américaine, encourage la Banque à abriter des activités de recherche sur des thématiques sociales (recrutement de chercheurs, développement des activités d’étude et de recherche, organisation de conférences). La Banque recrute alors massivement des économistes et des experts travaillant spécifiquement sur la mise en œuvre des projets. Elle engage son premier sociologue en 1974, Michael Cernea, puis sa première anthropologue en 1978, Gloria Davis.

10Au début des années 1980, l’institution financière joue ainsi un rôle important dans la reconnaissance institutionnelle d’une socio-anthropologie appliquée aux questions du développement (Atlani-Duault, 2009). Elle offre à des anthropologues un espace d’expression et de travail plus favorable que les départements universitaires de sciences sociales, où les travaux sur le développement ne constituent pas encore un champ d’études bien identifié. Ainsi, le réseau de recherche formé au sein de la Banque, mêlant des universitaires, des experts et des spécialistes des projets d’aide en milieu rural, devient un espace où circulent les premières études consacrées au « développement participatif ».

11Le groupe formé autour de Michael Cernea au début des années 1980 joue un rôle décisif dans l’introduction de ces approches au sein de la Banque. En tant que « conseiller pour les politiques sociales », Cernea réunit autour de lui quelques chercheurs recrutés par l’institution, mais il n’a aucune influence personnelle dans un univers professionnel largement dominé par des conseillers techniques issus des métiers d’ingénieurs, des agents spécialisés dans les montages financiers et, de plus en plus, par des économistes. C’est plutôt en nouant des liens avec des alliés extérieurs qu’il parvient à conduire son projet, notamment en attirant à lui de jeunes chercheurs proches des réseaux de la coopération technique. Il invite des sociologues et des anthropologues spécialisés sur l’agriculture et l’environnement, comme Conrad P. Kottak, Robert Chambers, Ted Scudder, Norman Uphoff, Walt Coward, Fran Korten ou Richard Pollnac. Il monte des séminaires de travail et donne aux membres de ce groupe l’opportunité de présenter leurs travaux sur la réforme des systèmes agricoles et la conduite de projets dans la gestion des forêts8. Or, c’est dans les milieux de la recherche en anthropologie rurale que l’intérêt pour les expériences participatives se développe le plus rapidement. L’ouvrage de Paolo Freire, La pédagogie des opprimés (1968) connaît alors un succès mondial. Il est l’une des principales sources d’inspiration des intellectuels, chercheurs et militants sociaux qui souhaitent développer des méthodes de participation des pauvres aux programmes publics, dans le but de favoriser l’émergence d’une conscience collective (une « conscientisation ») au sein des populations les plus vulnérables, notamment les communautés rurales, les minorités ethniques et les femmes. Les anthropologues s’intéressant aux pratiques sociales en milieu rural, certes, ne sont pas tous en liens avec les milieux militants ; une partie d’entre eux ne font carrière que dans le cadre de la coopération bilatérale. Néanmoins, un nombre croissant d’entre eux commencent à adopter des positions de plus en plus critiques, notamment du fait de leur proximité avec les élites intellectuelles du Sud (Lewis, 2005). Ainsi, commencent à être publiées les premières recherches sur les dispositifs participatifs d’évaluation des besoins (« participatory rural appraisals », PRA), expérimentés dans des projets de réforme des systèmes agricoles, des programmes sociaux, des projets liées à la santé et à la sécurité alimentaire (Chambers, 1994). La notion d’empowerment, portée par les mouvements d’éducation populaire et les militants féministes, entre progressivement dans le vocabulaire de la recherche sur le développement participatif.

12Ainsi se constitue au début des années 1980, à l’intérieur de la Banque mondiale, un petit groupe de socio-anthropologues s’intéressant aux pratiques de développement qui valorisent le rôle des communautés locales dans la conduite des projets. Isolés au sein de l’institution, ces socio-anthropologues trouvent dans l’idée de participation un point de ralliement. Elle leur permet d’engager un travail collectif, alors même que les membres de ce groupe sont spécialisés sur des zones géographiques et des domaines différents (projets d’irrigation, économie pastorale, activités sylvicoles, production halieutique, réalisation d’infrastructures routières). Surtout, elle nourrit une activité intellectuelle critique qui permet de justifier l’introduction récente des sciences sociales dans l’institution. Ceux que l’on commence à appeler les « social scientists » de la Banque trouvent là une façon de se distinguer des autres catégories de personnel, notamment des « economists9 ». Mais il est certain que jusqu’en 1985, les idées venues des sciences sociales restent largement inconnues dans une institution qui est dominée par les personnels techniques (principalement des ingénieurs et des financiers) et voit émerger une nouvelle caste professionnelle au pouvoir grandissant : les économistes de formation10. Les socio-anthropologues se contentent alors de pratiquer une forme de « résistance collaborative » (Niezen et Sapignoli, 2017, p. 10) à l’intérieur même de leur institution, réalisant des études techniques pour les services opérationnels… tout en cherchant à faire émerger des idées hétérodoxes.

13Le livre dirigé par Cernea en 1985 sur la participation populaire, Putting People First : Sociological Variables in Rural Development, connaît une trajectoire inattendue au sein de la Banque. Il fait émerger une thématique nouvelle jusque-là ignorée par les personnels techniques de l’institution. Certes, le livre n’est pas le premier à rendre compte de la diversité des pratiques en milieu rural, de l’importance des acteurs communautaires et de la nécessité d’investir dans le capital humain. L’anthropologue Robert Chambers, l’un des proches de Cernea, a d’ailleurs publié deux ans plus tôt un livre intitulé Rural Development : Putting the Last First (1983)11. Mais l’ouvrage dirigé par Cernea, dont le titre est très proche, est publié en forme de plaidoyer contre les pratiques de prêt de la Banque. Ses auteurs ne font pas que défendre une approche socio-anthropologique du développement, notamment la prise en compte des facteurs culturels et sociaux dans la conduite de projets. Ils s’élèvent contre les pratiques de prêt qui réduisent l’aide à de simples montages financiers, alors qu’il faudrait y voir des processus sociaux investis de façon active par les bénéficiaires, notamment les populations rurales qui font usage des infrastructures agricoles. Bien que publié par la Banque, l’ouvrage reste confidentiel avant qu’un entretien accordé par Cernea à la newsletter de l’organisation, lue par des centaines de membres du personnel, ne donne subitement une forte exposition au texte. Le livre commence alors à être commenté dans les discussions internes. Parallèlement, il connaît un succès rapide dans les milieux académiques et professionnels, y compris dans les pays non occidentaux. Dès 1986, l’ouvrage fait l’objet de nombreuses recensions dans des revues scientifiques12.

14L’enjeu de la participation apparaît novateur à la Banque. Surtout, il est perçu comme un enjeu compatible avec les logiques d’efficacité financière et opérationnelle de l’institution. Plusieurs services internes commandent alors des études sur le sujet, suivies par des rapports dont certains sont largement diffusés en interne13. Certes, dans la foulée de l’ouvrage de 1985, les services financiers de la Banque sont loin d’incorporer des éléments de réflexion socio-anthropologique : l’heure est à l’octroi de prêts d’ajustement structurel centrés sur des critères de croissance économique. Mais l’ouvrage fait émerger en interne de nouvelles perspectives qui trouvent une place dans l’institution, notamment dans les nouveaux services spécialisés sur les questions sociales et environnementales. Le débat sur la participation ne deviendra central qu’au début des années 1990, lors des premières remises en cause internes de l’efficacité des activités de prêt de la Banque.

La constitution d’un « groupe réformateur » et la promotion interne des idées sociales

15La période couvrant la fin des années 1980 et le début des années 1990 constitue une période de transition importante dans les orientations stratégiques de la Banque mondiale. L’institution fait l’objet de critiques grandissantes de la part de coalitions d’ONG mêlant des mouvements nationaux, des organisations de plaidoyer et des ONG internationales fortement professionnalisées. Entre 1987 et 1993, ces coalitions trouvent dans l’enjeu de la transparence et de la redevabilité de la Banque un thème fédérateur14. Les protestations contribuent également à faire émerger un grand nombre de thèmes sociaux et environnementaux, ainsi que la dénonciation des mécanismes d’endettement des pays pauvres. C’est dans ce contexte que se construit une critique générale des institutions financières.

16L’idée de la participation s’impose assez rapidement comme un enjeu de lutte unifiant un grand nombre de mouvements militants. Elle se retrouve à deux niveaux distincts. Au niveau des projets financés dans les pays économiquement dépendants, tout d’abord, ces mouvements reprennent systématiquement les principes du « développement participatif » (participatory development), à la fois dans la dénonciation des effets négatifs des politiques de grandes infrastructures et des réformes agricoles, et dans les appels au développement des politiques sociales (couvrant la lutte contre la pauvreté, l’éducation, la santé, la promotion des droits des femmes et des populations autochtones). Les mouvements appellent à généraliser les expériences de « participation populaire » (people’s participation, grassroots participation) ou de « participation communautaire » (community participation), conçues comme une condition de l’émancipation et de l’autonomisation des populations. Au niveau de la gouvernance des institutions, ensuite, les mouvements militants et les acteurs de plaidoyer mobilisés dans les arènes internationales défendent le principe de la participation des ONG aux institutions multilatérales, comme une modalité d’implication de « la société civile » dans la définition des priorités de l’aide internationale.

17Au début des années 1990, les approches participatives promues par les anthropologues de la Banque, de plus en plus discutées dans les services opérationnels, apparaissent comme une « solution » pour répondre à la pression croissante exercée par les coalitions d’ONG. Surtout, ces approches sont vues par les services opérationnels et financiers comme une possibilité d’accroître l’efficacité des projets tout en réduisant les risques de critique de la doxa néolibérale de la Banque. Le conseil d’administration décide alors d’assumer un changement de paradigme : il accepte d’ériger la participation en nouvelle norme du développement, dont on détaillera plus loin le nouveau cadre conceptuel. En décembre 1990, en effet, deux pays actionnaires de la Banque, l’Allemagne et la Suède, dégagent un financement pour constituer un « groupe de travail » chargé de produire l’évaluation d’une vingtaine de projets participatifs financés par des prêts de la Banque. Le Learning Group on Participatory Development est ainsi créé (nous l’appellerons ici Learning Group). Le groupe joue un rôle crucial dans la fabrique d’une nouvelle norme d’institution, comme on le verra un peu plus loin. Il mobilise, sur la durée, cent cinquante spécialistes de la Banque et plus de soixante-dix experts externes venus de ministères nationaux et d’autres institutions internationales (comme l’OCDE), des consultants, universitaires et chercheurs de fondations privées, et enfin des responsables de grandes ONG de développement, quasiment toutes étatsuniennes et britanniques. Trois ans plus tard, le groupe de travail publie un rapport, The World Bank and Participation (1994), qui devient un document de référence pour tous les agents de la Banque (voir plus loin). La production du rapport officialise ainsi un nouveau principe de réforme de l’aide internationale, au moment même où l’institution commence à intégrer dans son agenda les préoccupations sociales et environnementales portées par les mouvements d’ONG, dans le sillage du Sommet de la Terre de Rio (1992).

18Il reste difficile, toutefois, de comprendre la diffusion de l’idée de participation, son officialisation et sa naturalisation sous forme d’une norme d’institution, sans revenir à la vie interne de la Banque et, tout particulièrement, aux luttes de savoirs entre ses départements. En effet, dans le prolongement des activités de recherche qui ont favorisé l’émergence de la participation dès les années 1980, des agents se mobilisent à l’intérieur de la Banque et s’investissent, avec des ressources limitées, pour ouvrir des espaces de dialogue avec les ONG et faire reconnaître la participation comme un levier de l’efficacité de l’aide. Animés par le souhait de faire évoluer le cadre normatif de la Banque centré sur le consensus de Washington15, ils jouent la carte de l’institution, tout en prenant position pour l’ouverture d’un « agenda social » justifiant une plus grande ouverture de la Banque, du niveau local où s’élaborent les projets jusqu’au niveau international où se façonnent les priorités de l’institution. On souhaite revenir ici sur la formation de ce que l’on peut appeler un « groupe réformateur interne », formé principalement de social scientists, qui tente de promouvoir une conception ouverte du développement, à l’intérieur d’une institution dominée par les idées économiques de l’école de Chicago. Ce groupe prend forme au début des années 1990, sous l’impulsion d’une personnalité dirigeante de l’institution, Ismail Serageldin, dont l’ascension professionnelle interne se bâtit dans le portage d’un nouvel agenda social.

19Serageldin incarne la figure d’un réformateur social ayant gravi avec succès tous les échelons professionnels, du modeste statut d’analyste jusqu’à la vice-présidence de la Banque. Il y entre comme « jeune professionnel » en 1972. Économiste égyptien formé à l’université Harvard, il occupe différentes positions au sein de services techniques et monte relativement vite dans la hiérarchie de l’organisation. Il est nommé en 1984 directeur des programmes pour l’Afrique de l’Ouest, période au cours de laquelle il prend en charge des questions nouvelles qui le mettent en lien avec des ONG. Il soutient notamment des projets relatifs à la promotion des femmes et à la protection environnementale, enjeux sur lesquels la Banque fait face à des critiques virulentes de la part des réseaux d’ONG. Aussi, à la fin des années 1980, alors que les politiques d’ajustement structurel suscitent des protestations croissantes, notamment dans les milieux écologistes, il s’implique dans l’organisation des premières rencontres avec des ONG présentes à Washington DC. Il en devient rapidement l’un des interlocuteurs privilégiés et, profitant de sa position transactionnelle, commence à valoriser les idées participatives à l’intérieur de la Banque. C’est au cours de ces années qu’il entre en contact avec le petit groupe d’anthropologues qu’il met en relation avec l’activité des services opérationnels. Il contribue ainsi à l’introduction de préoccupations sociales dans les analyses de suivi et d’évaluation des opérations financées par la Banque. Au moment du Sommet de la Terre de 1992, marqué par des prises de position particulièrement frontales des ONG à l’encontre des institutions de Bretton Woods, Serageldin est l’une des rares personnalités de l’organisation à être capable de maintenir un dialogue avec les mouvements militants, une raison qui lui vaut d’être nommé, en 1993, vice-président de la Banque en charge du nouveau portefeuille sur le développement durable (Environmentally Sustainable Development, ESD).

20Comme vice-président, Serageldin obtient, au cours des réformes d’organisation interne de la Banque, que les social scientists soient placés dans les unités placées sous sa direction. Il fait d’eux un groupe réformateur dont les membres, conscients de leur position minoritaire mais soudés par des convictions communes, sont incités à porter des thématiques sociales émergentes dans tous les espaces de la Banque. Il leur donne pour mission de faire contrepoids aux économistes néoclassiques qui dominent l’institution. Son influence sur les thématiques sociales et environnementales lui permet d’impliquer ses propres chercheurs dans la finalisation des travaux du Learning Group. Il confie notamment à un groupe d’anthropologues de la Social Policy and Resettlement Division (SPRD), placée sous sa vice-présidence, une mission d’animation du groupe. Des chercheurs particulièrement impliqués dans l’étude des impacts sociaux et environnementaux des projets financés par la Banque - comme Gloria Davis (cheffe de la SPRD), Scott Guggenheim, Deepa Narayan, Lawrence Salmen et Shelton Davis - sont impliqués dans la rédaction finale du rapport. En 1993, l’évaluation de cent quarante-deux projets de réinstallation de populations donne à Serageldin l’occasion de promouvoir de nouveau l’intégration des ONG dans des projets financés par la Banque. Enfin, en 1994, il fait le choix d’ouvrir un espace d’expression aux ONG environnementales lors de la première conférence ESD de la Banque.

21Serageldin devient une figure interne incarnant, au plus haut niveau de l’organisation, l’agenda social de la Banque. Il représente à bien des égards les « élites sympathisantes16 » qui, dans les OI, construisent une partie de leur carrière au contact des organisations protestataires, relayant dans l’institution, sous une forme acceptable, une partie des idées sociales avancées dans les milieux militants. Il intervient notamment auprès des services statistiques pour que soient intégrés des indicateurs sociaux et environnementaux dans le calcul de la croissance économique17. Il devient l’un des ardents défenseurs de l’introduction d’une réflexion sur le « capital social » à la Banque (Bebbington, Guggenheim, Olson et Woolcock, 2004). Pour cela, Serageldin développe des liens avec les économistes et les statisticiens de la Banque, les deux groupes de chercheurs les plus influents et les plus nombreux au sein de l’institution, désormais réunis au sein du tout nouveau département, Development Economics (DEC), créé par le président de la Banque James Wolfensohn pour concentrer les capacités de recherche de l’organisation18. Mais il mobilise tout particulièrement autour de lui les équipes de recherche formées des « non-économistes » de la Banque. Aussi, lorsque la décision est prise de former des « communautés de savoir » à l’intérieur de la Banque, à partir de 1995, les anthropologues, sociologues, géographes et politistes sont accueillis dans le Département du développement social placé sous la direction de Serageldin (Mosse, 2004). Ainsi se constitue autour de lui, sur la période 1990-1994, un groupe réformateur partisan d’une réorientation des priorités de la Banque autour des enjeux socio-environnementaux. Ses membres, qui ont œuvré au succès du Learning Group sur la participation, s’impliquent tout particulièrement dans des jeux d’alliance avec des acteurs extérieurs, militants ou chercheurs, capables de faire avancer leurs vues à l’intérieur de l’institution.

La construction d’alliances dans les écologies militantes et universitaires

22Malgré l’activisme interne des réformateurs sociaux, la réflexion stratégique de la Banque reste dominée par la pensée économique néoclassique durant toutes les années 1990. Certes, au début de la décennie, la découverte de la « nouvelle économie institutionnelle » (NEI) permet aux économistes de faire émerger une réflexion sur la gouvernance des institutions. Mais elle n’en change pas fondamentalement les prémisses néolibérales19. Face au maintien de la doxa économique, l’une des stratégies professionnelles du groupe réformateur est de tenter, assez logiquement, de construire des alliances à l’extérieur de la Banque, avec l’objectif de mobiliser des ressources - à la fois intellectuelles et relationnelles - qui leur permettent de renforcer la légitimité de leurs idées en interne. Ils s’attachent à rechercher l’appui de personnalités venues d’autres univers professionnels, dans les « écologies liées » de la Banque20. Ils cherchent ainsi à enrôler des individus intervenant comme des « alliés » au service de leur cause. On reviendra ici sur deux exemples qui témoignent de la construction d’alliances dans les écologies militantes et scientifiques.

23Le premier exemple est le lien privilégié établi avec John D. Clark, activiste britannique jouant un rôle de relais entre la Banque et les ONG. Responsable des campagnes de plaidoyer et de l’action publique d’Oxfam UK depuis 1979, celui-ci devient une décennie plus tard l’un des principaux soutiens des réformateurs sociaux de la Banque qui œuvrent en interne à la promotion du développement social et environnemental. Le profil professionnel et social de Clark le rapproche de l’archétype des élites militantes du Nord : après avoir reçu une éducation supérieure à l’Université d’Oxford, il est recruté comme directeur à Oxfam GB, position qu’il cumule avec une activité de publication d’articles dans des revues spécialisées. Il peut se présenter ainsi sous la double figure du militant (auprès de ses homologues des ONG) et celle de l’expert (quand il interagit avec des acteurs gouvernementaux). Il maîtrise parfaitement le vocabulaire spécialisé du développement utilisé par les institutions internationales et a une excellente capacité de conceptualisation, ce qui lui permet de participer à la construction de réflexions sur le rôle de la société civile dans le développement. Par ses activités au sein d’Oxfam GB, il a de bonnes connexions avec l’univers de la coopération bilatérale britannique et des think tanks spécialisés où il publie régulièrement notes et tribunes. Il maîtrise les codes et les règles des enceintes publiques internationales. Toutes ces caractéristiques conduisent Ismail Serageldin à l’identifier comme l’interlocuteur le plus approprié pour représenter le champ des ONG, et le plus enclin à développer une réflexion sur les approches participatives dans des termes compatibles avec les stratégies financières de la Banque. Dans le même temps, provenant d’une ONG britannique marqué par un activisme modéré, il donne l’image d’une coopération apaisée associant la Banque et le monde des ONG, au moment même où des campagnes bien plus radicales sont menées par des coalitions militantes pour dénoncer les effets des politiques des institutions financières de développement sur les populations du Sud - comme la campagne « 50 years is enough ».

24Ainsi, comme représentant d’Oxfam, Clark est impliqué dans les échanges avec la Banque dès la fin des années 1980. En 1990, il est l’un des représentants des ONG invités à participer aux travaux du Learning Group. La publication de son livre Democratising Development : The Role of Voluntary Organisations (Clark, 1991), dans lequel il discute les thèses du développement participatif, lui confère définitivement une légitimité d’expert de la participation. Sa trajectoire professionnelle lui permet facilement d’intégrer l’écologie professionnelle de la Banque lorsque celle-ci commence à institutionnaliser ses relations avec les ONG. Vu comme le meilleur candidat pour légitimer l’ouverture de l’institution financière, il y est recruté en janvier 1992. Grâce aux relations de connivence entretenues avec la Banque, l’outsider devient un insider. Il se voit ainsi confier la direction de l’unité des ONG au sein du Département des opérations. Il restera ensuite seize ans dans l’organisation, comme responsable du programme « Société civile », puis avec le statut professionnel élevé de Lead specialist21. Son intégration est révélatrice du phénomène des revolving doors permettant à des experts des ONG spécialisées d’entrer dans les organisations multilatérales. Il incarne également la figure de « l’agent double » capable de maintenir des liens de confiance et de complicité avec les représentants des mouvements d’ONG22.

25Le second exemple porte sur la construction de liens privilégiés dans le monde des universités. Depuis les années 1970, les OI spécialisées dans le développement n’ont cessé de renforcer leurs liens avec de nombreux producteurs de savoir : la coopération intellectuelle avec des universitaires, des think tanks et des fondations privées est devenue une activité structurante du travail bureaucratique23 (Stone, 2017). La construction de ces liens est un phénomène général et l’on peut considérer les universités comme une écologie liée à celle des organisations internationales. Néanmoins, ces coopérations restent largement fondées sur des liens affinitaires. À la Banque mondiale, les économistes travaillent généralement avec des départements d’économie d’universités prestigieuses, tandis que les social scientist trouvent des relais dans des départements de sciences sociales. On a pu voir plus haut que la réussite de l’entreprise éditoriale de Michael Cernea au milieu des années 1980 était liée à sa capacité à trouver des soutiens intellectuels dans des départements universitaires d’anthropologie.

26Les insiders s’attachent ainsi la contribution d’universitaires de renom capables d’aider à la conceptualisation d’axes du développement social et environnemental. Certes, la particularité de la Banque est de disposer déjà de nombreux chercheurs recrutés comme agents permanents de l’organisation. Mais au début des années 1990, la recherche interne reste largement dominée par les économistes néoclassiques recrutés en masse les années précédentes. Avec la création de la nouvelle vice-présidence DEC, ces économistes disposent de surcroît d’un espace de production intellectuelle visible et bien doté en ressources, où se forge la pensée économique de la Banque24. Malgré le nombre croissant de non-économistes parmi le personnel de recherche25, les social scientists restent en position dominée dans l’institution. Leur regroupement au sein de la vice-présidence Environmentally Sustainable Development (ESD) leur donne la possibilité de constituer une communauté épistémique à l’intérieur de la Banque, mais elle n’est pas suffisante pour leur garantir une réelle influence, notamment en demeurant minoritaires à la vice-présidence Finance and Private Sector Development (FPD) et en étant maintenus hors de la vice-présidence DEC où se concentre la recherche en économie. Aussi, les promoteurs des approches participatives, dominés à l’intérieur de la Banque, s’attachent-ils à s’assurer la coopération d’universitaires afin de pouvoir contourner les résistances des économistes d’institution et légitimer leur réflexion sur le développement social26.

27Serageldin, devenu vice-président ESD de la Banque, s’entoure de personnalités du monde scientifique au sein d’une Social Development Task Force chargé d’alimenter la stratégie sociale et environnementale de la Banque. La Task Force constitue une sorte de contrepoids interne à DEC où dominent les économistes : elle regroupe les social scientists de la Banque au sein de dix « groupes satellites », auxquels se joignent quelques économistes de la pauvreté (comme David Dollar ou Martin Ravallion qui feront une carrière remarquée à la Banque), ainsi que des chercheurs provenant d’universités et de think tanks. Le groupe satellite sur le « capital social » est celui qui connaîtra le plus grand succès interne. Mancur Olson, professeur à l’université du Maryland, réputé pour ses travaux sur l’action collective, en est un membre actif. Proche de Serageldin, il est impliqué dans le lancement d’une initiative sur le capital social, avant son décès en 1998.

28Mais c’est surtout Robert Putnam, politiste de l’université Harvard, qui joue un rôle clé dans la légitimation de l’idée de participation au sein de la Banque. Alors en pleine rédaction de ses travaux sur le « capital social », il est invité en 1992 à une conférence de la Banque sur la culture et le développement en Afrique. Il devient à partir de ce moment l’un des universitaires les plus consultés de la nouvelle vice-présidence ESD. À la tête de la vice-présidence où ont été regroupés la plupart des social scientists, Serageldin perçoit très vite l’intérêt des thèses de Putnam qui permettent de subvertir le concept de « capital » et d’en construire une interprétation étendue allant bien au-delà du sens étroit retenu par l’économie néoclassique. En 1993, dans un article interne tiré à plusieurs milliers d’exemplaires (« Sustainability and Wealth of Nations »), Serageldin entreprend de reformuler le concept avec pour but assumé de défendre « l’inclusion » des associations volontaires et leur « participation » à la communauté civique comme des dimensions essentielles du développement sur lesquelles la Banque devrait investir financièrement27.

29À la fin des années 1990, les thèses sur le capital social connaissent une diffusion exceptionnelle à l’intérieur de la Banque. Elles perpétuent et ancrent l’idée de participation populaire dans un concept bien connu des sciences économiques. Ces thèses sont reprises et discutées par les économistes de la Banque, jusque-là peu réceptifs aux travaux de l’économie de la pauvreté et encore moins à ceux de l’anthropologie du développement (Hammer et Pritchett, 2006). Elles constituent surtout un nouveau projet intellectuel immédiatement investi par les social scientists de l’institution (comme Michael Woolcock, Deepa Narayan, ou Scott E. Guggenheim qui a été l’un des proches collaborateurs de Cernea), avec l’appui de deux chercheurs extérieurs intervenant comme alliés. Le premier est Jonathan Fox. Professeur assistant en science politique au MIT, puis détenteur d’un poste de chercheur au sein de l’influent think tank Council on Foreign Relations (1995-1996), il est nommé professeur en études latino-américaines à l’université de Californie (1996). Il publie alors des études diverses sur la participation des ONG et des mouvements sociaux locaux (Fox et Brown, 1998). Le second allié est le britannique Anthony Bebbington. Spécialiste des ONG en Amérique latine, il travaille depuis 1992 pour des think tanks londoniens (Overseas Development Institute, International Institute for Environment and Development), avant de rejoindre la Banque sous contrat (1995-1996) où il est intégré à l’équipe travaillant sur le capital social. Ce passage lui permet d’être recruté à l’université du Colorado (Boulder), tout en revenant à la Banque en délégation en 1999-2000, avant de repartir dans le système universitaire. Fox et Bebbington publient par la suite des travaux retraçant l’engagement de recherches sur le capital social au sein de la Banque… auxquelles ils ont été partie prenante (Fox, 1997 ; Bebbington et al., 2004).

30Les réformateurs sociaux et leurs alliés contribuent ainsi à la légitimation, à l’intérieur de la Banque mondiale, des conceptions sociales du développement, partant de l’idée de participation des pauvres aux projets de développement pour en tirer des réflexions diverses sur le capital social, le développement inclusif, l’empowerment ou encore le développement communautaire. À partir du milieu des années 1990, ces conceptions sont désormais au cœur des nouvelles recherches. La notion de capital social, notamment, connaît à partir de 1996 une exceptionnelle destinée dans la réflexion des chercheurs de la Banque.

La captation épistémique : problématisation et mise en forme dans la construction d’une norme d’institution

31La montée en puissance de l’idée participative et son inscription dans le discours de la Banque mondiale, au début des années 1990, se fait au prix d’un travail d’interprétation. La transformation de l’idée en norme institutionnelle s’accompagne d’un ensemble d’opérations de construction de sens qui détournent et subvertissent les arguments « sociaux » issus de la socio-anthropologie et des répertoires d’arguments portés par les ONG, et qui les réinscrivent dans un ensemble de réflexions compatibles avec l’agenda de la Banque valorisant l’efficacité des opérations financières. Si l’idée de participation acquiert progressivement une légitimité dans le système des connaissances en circulation dans la Banque, elle fait ainsi l’objet d’une « captation épistémique » que l’on peut définir comme l’ensemble des opérations successives de mise en sens par lesquelles les agents qui dominent l’institution et agissent comme les gardiens de la doxa institutionnelle, s’emparent de conceptions hétérodoxes circulant dans leur environnement, puis se les réapproprient en leur donnant une légitimité et une valeur dans l’institution, tout en détournant leur sens de façon à en atténuer ou en épuiser le contenu critique. Concrètement, la captation prend forme quand les experts internes se mobilisent pour « problématiser » la participation d’une nouvelle manière28. Une fois déclinée dans des documents techniques et opérationnalisée sous la forme d’instruments de gouvernance participative, la nouvelle interprétation devient ainsi lentement un nouveau discours d’institution, en même temps qu’un savoir de réforme promu par les services de la Banque à l’extérieur de l’institution.

32Les premiers travaux publiés par la Banque, à partir du milieu des années 1980, investissent clairement les théories sociales de la participation centrées sur l’enjeu de « l’émancipation des pauvres » et la protection des groupes exclus ou vulnérables. L’activité éditoriale de l’institution témoigne notamment d’un intérêt pour la « participation populaire » et l’enjeu de l’autonomisation des populations dans la conduite des projets de développement (Parizet, 2016). Plusieurs études formulent des recommandations invitant à développer de nouveaux modes de concertation qui donnent un large pouvoir de décision aux populations locales - en particulier les petits paysans, les communautés rurales et les femmes. De même, les discussions conduites au sein du NGO-World Bank Committee à partir de 1989 tendent à reprendre l’interprétation sociale de la participation29, un cadrage qui domine encore dans les échanges lors la création du Learning Group on Participatory Development (1990) où siègent conjointement des représentants d’ONG et des agents de la Banque, notamment ceux qui travaillent dans les activités opérationnelles, l’environnement ou les politiques éducatives et sociales. Après trois années de travail, le Learning Group publie un rapport fortement médiatisé, The World Bank and Participation (1994), assorti de recommandations et d’un plan d’action qui sont approuvés, quelques jours plus tard, par le Conseil des gouverneurs de la Banque. La production du rapport officialise ainsi une nouvelle approche du financement, fondée sur l’acceptabilité sociale des projets. Durant la période, les services de la Banque financent de nombreuses études monographiques et publient une cinquantaine de documents techniques, études et évaluations qui contribuent à diffuser l’idée de la participation parmi les agents de la Banque et auprès de l’ensemble des acteurs et des organismes travaillant comme « partenaires » ou « clients » de l’institution30. À partir du milieu des années 1990, la Banque parraine de nombreuses conférences d’ONG et alloue une partie substantielle de ses financements, dans le cadre de ses activités de prêt, au renforcement de la participation (Long, 2001). Au printemps 1996, le président Wolfensohn déclare que la participation est devenue « le sens commun » des politiques de la Banque (Fox, 1997).

33Néanmoins, il apparaît difficile d’interpréter le succès des thèses participatives à l’échelle de la Banque comme une victoire des idées sociales sur le développement. Ce succès est largement corrélé au lancement des premières initiatives internes faisant émerger, dans l’organisation, la question de l’efficacité institutionnelle. L’activité de la Banque est en effet marquée par une réforme de grande ampleur qui prend place durant la même séquence 1990-1994 et sans laquelle il n’est pas possible de comprendre la diffusion de l’idée de participation. La question de « l’efficacité » ou de la « performance » émerge à la suite de la publication d’un rapport d’évaluation connu sous le nom de rapport Wapenhans (1992) : le constat dressé par ce rapport, relevant un taux d’échec élevé des projets financés par des prêts de la Banque, crée une onde de choc au plus haut niveau de l’organisation31. La période s’accompagne ainsi de la définition d’une nouvelle stratégie visant le renforcement de l’efficacité dans la gestion des projets, définie dans le rapport Governance and Development (1992) et suivie d’un plan d’action, Getting Results : the World Bank’s Agenda for Improving Development Effectiveness (1993), fondations sur lesquelles se construit alors le nouvel agenda de la « bonne gouvernance ». La stratégie met l’accent sur la qualité des projets de financement et l’efficacité des institutions. Dans ce contexte, la participation devient une question qui commence à susciter un intérêt parmi les agents de la Banque : elle est vue comme l’une des modalités pouvant permettre d’améliorer la performance des financements. Il n’est plus possible, pour le Département financier et du secteur privé tout comme pour le Département des opérations de la Banque, qui ont en charge d’établir les projets, d’ignorer la question de la participation.

34Ainsi, dès 1992-1993, avant que le Learning Group on Participatory Development ne publie son rapport de 1994, l’idée de participation fait l’objet d’une problématisation centrée sur la conduite des programmes de financement. Certes, les trois textes fondateurs de la doctrine de la bonne gouvernance (le rapport Wapenhans, le rapport Governance and development et son plan d’action) accordent encore une place résiduelle à la participation. Mais ils sont les premiers à inscrire explicitement celle-ci dans une problématique de l’efficacité de la gestion des opérations financières de la Banque.

35Le Learning Group constitue un espace décisif dans la construction de la nouvelle norme. Sa composition apparemment pluraliste a clairement été favorable aux grandes ONG occidentales présentes à Washington, ONG considérées comme « professionnalisées » (i. e. alignées sur des modèles de recrutement, de gestion et de redevabilité proches de l’entreprise privée) et jouant déjà un rôle de prestataires techniques dans les projets de développement. À l’inverse, les associations militantes, les ONG du Sud ou les organisations syndicales sont quasi-absentes dans les travaux du groupe32. De même, en dépit d’une présence importante de la Social Policy and Resettlement Division (où se trouvent à l’époque la plupart des social scientists de l’institution), le Learning Group accorde une place importante aux experts des autres divisions techniques et des services opérationnels de la Banque, à des consultants et des analystes dont l’intérêt se concentre principalement sur les « coûts », « bénéfices » et « risques » du recours aux approches participatives pour le financement, la planification, la redevabilité et l’efficacité des projets financés.

36Aussi, en 1994, le rapport du Learning Group The World Bank and Participation constitue le document de référence de la Banque. Le texte opère un travail d’enchâssement des idées sur l’émancipation des pauvres dans celles de la bonne gouvernance. La réflexion sur la participation y est désormais systématiquement liée à l’idée de réforme institutionnelle, notamment aux enjeux de l’efficacité dans la lutte contre la pauvreté. Elle est articulée à la réforme des secteurs publics et à l’idée de la « responsabilisation » dans la conduite des projets. Le recours au langage financier de la Banque permet d’associer désormais à la problématique de la participation des catégories nouvelles renvoyant aux acteurs de la gestion de projet : bénéficiaires, clients, publics, emprunteurs, parties prenantes, intermédiaires, partenaires. Il permet d’opérer un travail de requalification, fusionnant la question de la participation populaire - traditionnellement associée à des organisations grass-root représentant les pauvres, les exclus, les femmes, les communautés, les populations rurales - à des enjeux de gouvernance institutionnelle. D’une manière générale, la participation est insérée dans l’agenda institutionnel de l’organisation : ce qui apparaît comme le volet « social » du développement prend ici appui sur une réflexion générale sur l’inclusion de tous les acteurs non gouvernementaux dont les activités ont un impact sur la qualité, l’efficacité et la soutenabilité des projets financés de la Banque.

37À cet égard, les « principaux constats » exposés en page de garde du rapport de 1994 du Learning Group posent les fondations dans la construction de la doctrine de la participation de la Banque :

38La nouvelle problématisation de la participation entre 1990 et 1994 prend également appui sur la publication de toute une batterie de documents techniques ou analytiques. En effet, des research papers et autres documents de réflexion (rapports, études, analyses et évaluations) établis par les personnels techniques et les consultants de la Banque, sont publiés en parallèle du travail réalisé par le Learning Group. Ils jouent un rôle capital dans le cadrage de l’idée de participation focalisé sur l’activité financière de la Banque. Ces documents sont largement cités dans le rapport final du Learning Group, où ils sont utilisés comme autant de « sources autoréférentielles » pour la Banque33. Ils ancrent la participation dans les questionnements centrés sur les enjeux de la gestion de projets, naturalisent les objectifs de la bonne gouvernance et réinscrivent les idées sociales dans le langage indigène de l’institution, celui de la Nouvelle économie institutionnelle (NEI)34 et des catégories de la nouvelle gestion publique : efficacité, transparence, accès à l’information, qualité, soutenabilité, redevabilité, contrôle partagé, appropriation, construction des capacités, bonne gestion, arrangements institutionnels.

39La problématisation de la participation se poursuit également après la publication du rapport. Le travail du Learning Group est en effet prolongé par des rapports internes, lesquels poursuivent le travail d’insertion des approches participatives dans le paradigme de la bonne gouvernance. L’ensemble des documents d’analyse, de production statistique ou de recommandations opérationnelles publiés entre 1994 et 1998 mobilisent les chercheurs de la Banque, les services financiers et les directions opérationnelles, ainsi que des consultants externes35. Comme le révèlent ces documents, la production de sens ne résulte pas seulement des répertoires argumentatifs construits dans les documents stratégiques ; elle prend également forme dans les documents techniques qui sont moins exposés à la critique et dont l’apparente neutralité leur assure une diffusion rapide.

40Au moment même où l’agenda de la bonne gouvernance prend une ampleur inédite dans la stratégie de la Banque, l’appropriation de l’idée de participation et sa transformation en norme au début des années 1990 s’accompagnent donc d’opérations de réenchâssement des perspectives sociales dans une approche centrée sur l’efficacité des dispositifs de lutte contre la pauvreté. Le travail de problématisation consolide ainsi une vision de la participation centrée sur un modèle de gouvernance du développement cherchant à dépasser les approches purement économiques des années 1980 et à prendre en compte les facteurs sociaux comme une condition de la réussite (ou de l’échec) des projets. La norme réinventée est censée permettre à l’organisation de s’aligner sur les attentes des bénéficiaires des fonds. Elle s’inscrit enfin dans une interprétation de la participation conçue essentiellement comme une production de nouveaux arrangements institutionnels associant des acteurs non gouvernementaux à la conduite des politiques de développement.

41La construction de la norme de participation au sein de la Banque mondiale, dans les années 1990, est donc loin de refléter un simple processus d’importation-reproduction des idées qui circulent dans les milieux du développement. La Banque est un espace où se jouent des luttes interprétatives dans l’adoption des idées participatives. Elle voit s’opposer deux groupes bien distincts. D’un côté, des réformateurs sociaux sont partisans d’un « développement social » capable de dépasser les stratégies purement économiques des ajustements structurels. Ils trouvent dans les social scientists de l’organisation un appui intellectuel et technique pour promouvoir leurs idées. De l’autre côté, les promoteurs de l’économie institutionnelle centrent leur attention sur l’efficacité des institutions et la question de la gouvernance. Ces rivalités internes montrent que la représentation d’une Banque mondiale conçue comme une organisation homogène, placée sous la domination écrasante d’économistes néolibéraux, mérite d’être discutée36. Dans la lignée de Long et Long (1992) qui associent les OI à des « champs de bataille du savoir » (knowledge battlefields), et de Chwieroth sur le FMI37 (2010), on soutient au contraire que la Banque est un univers professionnel complexe marqué par des dynamiques internes de compétition des savoirs.

L’évolution de la problématisation de la participation38

42Toutefois, dans ces jeux internes, les relations restent fortement asymétriques. Les partisans de l’économie institutionnelle dominent largement au sein de la Banque au milieu des années 1990 (Rao et Woolcock, 2007). Ces économistes interviennent activement dans la mise en forme des idées qui circulent dans l’institution. Ils maîtrisent certains espaces de production intellectuelle où les réformateurs sociaux sont quasi absents (notamment le Département de recherche DEC). Ils jouent un rôle actif dans la rédaction des notes et documents, et commandent des études à des consultants avec lesquels ils entretiennent une connivence intellectuelle. Ils jouent un rôle de premier plan dans la rédaction du World Development Report qui diffuse, chaque année, les principales recherches de la Banque en matière de développement. Au cours des années 1990, ils jouent un rôle décisif dans les opérations cognitives permettant de canaliser et d’adapter les idées participatives à l’orthodoxie de la bonne gouvernance. Pour ces économistes, la norme de participation est une occasion d’accompagner les réformes institutionnelles mises en place par l’institution financière. Elle est pensée comme l’une des modalités pour réformer la gouvernance des secteurs publics. Au cours de cette décennie, cette norme est aussi une opportunité d’actualiser la politique financière de l’institution en lui donnant un volet plus social, au moment même où les conditionnalités imposées aux pays bénéficiaires sont dénoncées pour leurs effets dévastateurs sur les conditions de vie des populations locales.

Conclusion

43L’analyse du processus d’incorporation et de réinvention des idées participatives à la Banque mondiale nous conduit à formuler deux conclusions sur le rôle des OI dans la fabrique des savoirs de réforme.

44Tout d’abord, l’étude des activités internes de la Banque montre que les OI ne sont pas simplement des arènes neutres par lesquelles transiteraient, sans aucune altération, des idées produites ailleurs, dans des réseaux de l’expertise d’État ou d’autres espaces de production de savoir. Certes, les OI sont fréquemment utilisées par les gouvernements comme des « caisses de résonance » permettant de promouvoir des choix de politique étrangère dans l’espace international39. Toutefois, les OI sont aussi des lieux de mise en débat et de redéfinition des idées. Elles sont des espaces où des entrepreneurs de savoir, souvent minoritaires dans l’institution, peuvent tenter de distiller de nouvelles connaissances et bâtir une interprétation des problèmes pouvant influer sur la pensée dominante et, dans de rares cas, provoquer un changement de paradigme40. Elles sont traversées par des controverses intellectuelles entre groupes professionnels, entre départements, entre experts et chercheurs qui manipulent les savoirs avec l’ambition de défendre les options et les analyses qui leur paraissent les plus légitimes. Pour le dire autrement, les OI sont des univers bureaucratiques complexes, hétérogènes et fragmentés, où les rivalités professionnelles se traduisent, sur de nombreux aspects, par des luttes de savoir, elles-mêmes fréquemment connectées à des oppositions idéologiques et des jeux d’influence auxquels participent diplomates, experts d’État, acteurs de plaidoyer, intellectuels et consultants naviguant dans la sphère de l’organisation. D’une manière générale, il importe d’éviter toute généralisation de principe sur la cohérence et l’uniformité idéologique qui domineraient une institution internationale telle que la Banque mondiale.

45Inversement, il serait quelque peu simpliste de considérer les OI comme des « laboratoires d’idées » permettant une mise en discussion ouverte, libre et fluide des approches et des modèles de réforme. Les OI restent des espaces hiérarchisés où les experts intervenant au plus haut niveau sont sélectionnés par leur hiérarchie pour leur aptitude à entretenir et renforcer les cadres normatifs qui justifient la politique générale de l’organisation. Ces experts anticipent et reproduisent - plus ou moins consciemment - les priorités formulées par les gouvernements les plus influents (États membres ou actionnaires) qui, en tant que mandants de l’OI, exercent un contrôle politique sur la fabrique de l’agenda. Ils suivent enfin les modes intellectuelles du moment, qui sont aussi des tendances scientifiques qui s’imposent contre de « vieux » modèles perçus comme inefficaces ou moins pertinents41. On ne saurait ainsi sous-estimer la capacité des agents en position dominante à jouer les « gardiens de l’institution » en s’assurant du maintien d’une lecture des problèmes conforme aux modèles de savoir dominants, eux-mêmes liés à des choix idéologiques souvent bien assumés. En ce sens, il devient possible de considérer les institutions financières internationales comme des « globalizers » (Woods, 2006), c’est-à-dire des institutions faisant prévaloir des paradigmes dominants dans le système mondial.

46Dans cette perspective, on a tenté de montrer que l’inscription des idées participatives sur l’agenda de l’institution a pris la forme d’une captation épistémique : elle s’est accompagnée d’opérations de traduction et de requalification qui ont été autant de mises en conformité des idées importées avec l’orthodoxie de la Banque - en l’occurrence, sur la période considérée dans cette contribution, une vision stratégique considérant la privatisation, les règles du marché, le desserrement de la contrainte étatique puis les modèles de bonne gouvernance comme les réponses appropriées aux problèmes de la pauvreté et du développement. Au cours de cette captation, les conceptions sociales de la participation centrées sur la pauvreté, les droits humains et l’empowerment des plus vulnérables n’ont pas totalement disparu, mais elles ont été réinterprétées à l’aune d’une problématisation centrée sur l’efficacité des institutions. Dans les années 1990, elles ont été définitivement intégrées au nouvel agenda de la bonne gouvernance et aux réflexions savantes sur le capital social, particulièrement en vogue chez les économistes du développement. Là est la principale limite du succès des idées participatives : leur diffusion les a rendues incontournables dans le discours de la Banque, mais leur transformation en savoir d’institution s’est fait au prix de recadrages successifs qui en ont réduit significativement la portée sociale.