6. Trajectoires de (dé)classement
Les élèves dans les hiérarchies sociales et administratives
p. 189-224
Texte intégral
1Le classement est un dispositif central de la formation proposée par les IRA. Dans la mesure où il met en œuvre une « comparaison perpétuelle de chacun avec tous, qui permet à la fois de mesurer et de sanctionner1 », le classement constitue un des outils les plus puissants du travail institutionnel qui s’exerce sur les élèves. Ce chapitre vise à analyser son poids, ses effets dans la formation des attachés d’administration, ainsi que les appropriations individuelles qu’il suscite, afin de mettre en évidence la façon dont se construit le mandat des cadres intermédiaires durant leur formation.
2En appariant des individus à des rangs, l’acte de classement intervient au point de jonction de multiples trajectoires2 et d’un volume précis de postes diversement légitimes. Dès lors, il s’agit d’analyser comment se construit cet appariement des places et des élèves, et quels effets cet appariement peut avoir sur les futurs fonctionnaires. Comme dans toute institution de formation, le classement a pour effet de « mettre en ordre (répartir) et d’attribuer des statuts inégaux (hiérarchiser)3 ». Mais à la différence des institutions de formation dites d’« excellence », qui sélectionnent, produisent et consacrent une élite spécifique4 – en particulier à l’ENA, dont la « logique infernale » du classement est un outil de conformation à la haute fonction publique5 – le processus de classement dans les IRA n’a pas pour finalité l’accès aux plus hautes places de l’État. Ce chapitre montre ainsi en quoi les opérations de classement dans les IRA peuvent contribuer à modeler l’hexis6 des attachés d’administration, et donc interviennent ou non comme un dispositif de mise en conformité des élèves à leur mandat de cadre intermédiaire de la fonction publique. Cette focale doit permettre de comprendre comment le classement dans les écoles de fonctionnaires peut contribuer à reproduire ou à infléchir la hiérarchie administrative.
3Pour ce faire, ce chapitre propose que l’on s’intéresse au processus de classement. À se concentrer sur le concours d’entrée ou la seule sélection, il peut y avoir un risque à écraser la pluralité des emplois publics et la diversité de leur légitimité, en un mot la division du travail interne à la fonction publique. En mettant l’accent sur les processus de hiérarchisations réciproques parmi les élèves et leur (in) validation progressive par l’institution jusqu’à l’affectation finale, ce chapitre propose au contraire de mettre au jour les mécanismes d’une modalité particulière de la socialisation « en train de se faire7 » : le classement « en train de classer ». Étudier le processus de classement en actes donne à voir l’activation8, l’ajustement et les transformations des dispositions antérieurement acquises des élèves.
4En intercalant en 2007 un classement déterminant sur la trajectoire professionnelle ultérieure des élèves au milieu de l’année de formation, les IRA offrent un terrain d’observation privilégié pour saisir ce mouvement. De 2007 à 2019, se succède au cours de l’année scolaire une période de tronc commun sanctionnée d’un classement intermédiaire et une période de spécialisation selon trois filières sanctionnée par un classement de sortie9. Les élèves voient alors leur avenir rejoué par leur place dans un classement à trois reprises en une année : au concours d’entrée, au moment du classement intermédiaire qui débouche sur le choix de la filière et enfin lors du classement final qui détermine le poste d’affectation10. Dans cette configuration, les IRA offrent ainsi l’opportunité d’observer sur une même scène – le déroulement d’une promotion – les rouages, les arrangements et les effets concrets qui président et qui résultent de l’acte de classement.
5Je souhaite ainsi confronter et mettre en relation les trois classements, c’est-à-dire, à partir des données rassemblant les classements d’un même IRA depuis 2008 jusqu’à 2013, comparer dans le détail le rang de chaque élève afin de faire apparaître certains types de « trajectoires de classement ». Cette opération de recherche est complétée par l’analyse systématique des entretiens menés avec les élèves et les acteurs en charge de la formation, et par l’observation du classement en action, c’est-à-dire l’observation ethnographique des pratiques de formation, en particulier lors des moments où le classement est attendu, publié, approprié, puis matérialisé dans les choix des élèves lors des « amphis de garnison11 ». Ce dispositif méthodologique permet de mettre en lumière les effets et les arrangements que produit l’acte de classement tout au long de l’année, tout en prenant en considération les modes d’ajustement à ce dispositif, et ainsi étudier la manière dont les élèves sont tout à la fois formés et jugés, construits et orientés. Parmi les trois opérations de classement qui scandent le temps de la scolarité, le classement intermédiaire est ainsi celui qui offre la vision la plus claire du processus général, car il rend perceptible dans le même temps sa préparation et ses effets. L’analyse proposée dans ce chapitre s’appuie donc en priorité sur ce que donne à voir ce classement intermédiaire : son emprise sur la scolarité, les hiérarchies sociales et administratives qu’il créé et reproduit, et les mobilités sociales et professionnelles qu’il promeut12.
L’emprise du classement
6L’emprise du classement se fait sentir auprès des élèves dès les tous premiers jours de la scolarité. Cette première partie a pour objectif de saisir les effets propres à la perspective du classement, c’est-à-dire son attente, sa crainte, la mise sous pression qu’il suppose, mais aussi les stratégies individuelles ou de groupes qui se mettent en place pour favoriser la réussite ou prévenir la sanction.
Un instrument de production des cadres intermédiaires
7Bien que mouvante et difficilement saisissable, la rumeur peut être objectivée en ce qu’elle offre une « photographie de l’état des croyances collectives et des représentations sociales13 ». S’intéresser aux rumeurs permet de saisir la centralité du classement dans la scolarité des élèves. Par exemple, dans un IRA, le caractère obligatoire de la participation des élèves au gala de la promotion, qui a lieu mi-avril et où le personnel encadrant est présent, fait l’objet de rumeurs insistantes. Comme le résume Emiliane, le gala, ce n’est « pas obligatoire, mais fortement conseillé14 ». Selon la rumeur, les élèves qui ne font pas l’effort de venir au gala peuvent être sanctionnés par la directrice des études et des stages ou le directeur, et cela peut avoir une incidence sur le classement final :
« Il y a des rumeurs, ça aurait une incidence sur le classement final de ne pas aller au gala […]. Déjà à l’époque du dîner d’intégration il y avait une rumeur qui disait que si on y allait pas on se fera mal voir de la DES15. »
8Les rumeurs circulent vite dans l’environnement relativement clos de l’IRA, et elles se multiplient à mesure que l’année avance : la nécessité ou non d’intégrer une introduction dans le rapport sur commande d’une administration, la communication des notes de stage, la possibilité de s’habiller en jean, l’importance de se rendre au dîner d’intégration, etc. La circulation constante de la rumeur créée une ambiance pesante et délétère, mise en avant par la majorité des élèves rencontrés :
« C’est un microcosme, c’est Santa Barbara, tout se sait16. »
« On sait jamais si c’est de la rumeur ou non. Les gens affabulent. Est-ce que les gens le font exprès ? C’est difficile de dissocier le vrai du faux. Il y a un peu de méfiance. Tout le temps, tout le temps […]. Toute la journée avec tout le monde, c’est bourré de rumeurs, c’est pesant. Il y a beaucoup de parano, de théorie du complot17. »
9Centrée autour du jugement que la direction peut avoir sur les élèves, l’ambiance saturée de rumeurs met en évidence l’omniprésence de la question du classement dans la scolarité des élèves. Il faut noter ici la congruence entre l’environnement des IRA et « l’atmosphère lourde d’obsession et de rumeurs18 » qui caractérise la scolarité de l’ENA. Les énarques semblent en proie aux mêmes questionnements et aux mêmes rumeurs que les « irarques ». À première vue, cela n’est guère étonnant, étant donné l’histoire de la création des IRA, qui s’est déroulée par référence explicite à leur « grande sœur » l’ENA (voir chapitre 1), en particulier en ce qui concerne le mode de classement des élèves. À chaque point – parfois à chaque dixième de point – correspond une place ; et à chaque place correspond un poste. Mais la similitude des scolarités de l’ENA et de l’IRA est moins intuitive qu’il n’y paraît au premier abord, si l’on sait que les deux instituts ne forment pas la même population de fonctionnaires, et si l’on connaît la distance qui existe entre les cadres supérieurs et les « A’ » – pour reprendre la catégorie des acteurs de la DGAFP au moment de la création des IRA. Même si à gros traits les propriétés sociales des énarques et des « irarques » sont relativement semblables, les trajectoires de formation ne sont pas strictement les mêmes (voir chapitre 5). Tandis que la réussite du concours de l’ENA résulte en grande partie de trajectoires académiques parmi les plus légitimes et intervient comme un achèvement, la réussite des IRA est très rarement présentée comme une vocation, et relève davantage du « soulagement ». De cette façon, le rapport à la scolarité n’est pas le même. Les reproches incessants des énarques envers leur formation peuvent dénoter une certaine hauteur, voire du dédain, vis-à-vis de la scolarité, qui n’apparaît nullement – ou rarement – dans les IRA19. D’une certaine manière, l’ENA craint ses élèves, comme l’évoque cet ancien élève de l’ENA, dont les propos sont rapportés par J.-M. Eymeri-Douzans :
« Je crois que là il y a une peur terrible d’être à son tour jugé par ceux qu’on a jugés, et la clientèle de l’ENA est performante, hein, donc si on laisse le moindre retour se faire, on aura des critiques pertinentes et acérées, qui feront mal. Et je crois qu’ils ont très peur de ça20. »
10Dans les IRA au contraire, l’encadrement de la formation, la direction, le président de jury de concours et de classement, certains intervenants sont énarques, et donc de rang supérieur aux attachés qu’ils forment. L’enjeu pour les « irarques », au quotidien, consiste davantage à respecter l’école et les individus qui la représentent, ou tout au moins à ne pas se mettre en danger : est-il possible de ne pas aller au gala ? Est-il nécessaire de faire une introduction au rapport ?, etc. Cette dissemblance met en avant le rôle du travail de classement, soutenu par la DES, qui apparaît comme un outil créant de la déférence davantage que du prestige. Les élèves des IRA sont appelés à respecter la hiérarchie administrative, et sans pour autant préjuger de son efficacité, le classement est utilisé pour conformer les élèves à leur mandat de personnel de renfort de la haute fonction publique. Tandis qu’à l’ENA le classement vient distinguer la « botte » et produire un encadrement supérieur, le classement dans les IRA est davantage conçu comme l’instrument de production d’un encadrement en position intermédiaire.
S’approprier la mise sous pression
11La perspective du classement place la promotion sous pression. Le double classement, instauré avec la réforme de 2007, a pour effet d’accroître la tension, qui intervient plus tôt dans l’année, et de rendre la scolarité plus anxiogène encore, comme l’évoque une ancienne directrice d’IRA :
« On a le sentiment que l’évaluation bouffe le temps de la formation, ça c’était une de nos craintes, et je ne suis pas sûre effectivement qu’elle soit dominée. Les élèves sont tendus. […] Vous avouerez quand même que le plaisir d’apprendre, c’est pas démentiel quand même. C’est pas une année de plaisir21. »
12Une autre directrice des études admet que l’année est « hyper dense, très rythmée, et il n’y a pas de périodes où on peut respirer vraiment », à cause de « ces classements, ces notes22 ». Cette mise sous pression est liée à la perspective du classement : le choix de filière est considéré par tous les élèves comme un choix décisif de carrière. Or, ils ont très peu de temps pour se décider. À peine arrivés à l’IRA, la « compétition » se rappelle à eux :
« J’ai trouvé qu’on était très nombreux dans l’amphi, ça m’a un peu fait peur, on se rend pas compte qu’on est en compétition, mais on l’est, j’ai très vite vu cet aspect-là23. »
13Dans ce contexte, les élèves vont chercher à se comparer. Durant les premiers jours après la rentrée, le concours sert de premier étalon. Le classement d’entrée reste en effet affiché sur internet plusieurs semaines encore après la rentrée ; il permet à chacun de se jauger à l’aune d’éléments tangibles. Par la suite, les premières notes, en l’occurrence le rapport sur commande dont la soutenance se déroule en janvier, donnent une idée plus précise des forces en présence. En témoignent les impressions livrées par Hélène, qui deviendra majore de promotion (l’entretien s’est déroulé avant le classement intermédiaire) :
« Il y a certaines personnes qui sont absolument obsédées, et qui ont tendance à le faire un peu trop sentir, par moments ils sont très pénibles. Et ça s’est beaucoup renforcé depuis les premières notes. La première note c’était le rapport sur commande, et comme j’appartiens à un des groupes qui a eu une des deux meilleures notes, c’est vrai que depuis les gens viennent nous voir. Ça m’a vachement surprise, les gens sont venus me voir, les membres de mon groupe, en disant : “ah bravo, c’est super, félicitations vraiment”. J’ai l’impression d’avoir accouché. Mais il s’est passé quoi dans ma vie ? On a juste eu une bonne note. Et je pense qu’il y a un peu de l’hypocrisie quelque part. Et du coup tout de suite, comme je ne suis pas une personne discrète, les gens sont venus me dire sous-entendu : “tu vas être première de promo”. C’est extrêmement désagréable et je pense que c’est hypocrite également. […] Je l’ai entendu plusieurs fois depuis un mois, et j’ai envie que ça se termine rapidement, qu’on soit tous classés et que les gens qui sont stressés arrêtent de communiquer leurs mauvaises ondes aux autres24. »
14Ce long extrait d’entretien met en évidence l’importance de la première note dans la scolarité. Elle constitue un moyen pour les élèves de se projeter dans le classement intermédiaire. Hélène se plaint ici d’être la cible de rapports de solidarité qui pourraient dissimuler une stratégie visant à se rapprocher des meilleurs élèves dans la perspective de créer un réseau professionnel de choix. Dans la perspective du classement, les élèves objectivent les ressources du réseau. Du côté d’Hélène, l’inscription dans le classement et l’identification progressive à une place, en l’occurrence la première, sont vécues comme une épreuve.
15Ces comportements dénoncés comme stratégiques se doublent d’autres modes d’appropriation de la mise sous pression. Les élèves peuvent chercher à atténuer la pression du classement et l’enjeu géographique qu’il sous-tend en mettant en place des stratégies de contournement. Une pratique courante consiste en effet à diffuser une liste dans la promotion afin de publiciser les vœux de poste de chacun. Les élèves à l’origine d’une telle initiative motivent leur proposition par la nécessité de rendre public les choix de poste dans l’objectif de réduire l’incertitude de la période pré-classement :
« On mène l’enquête, on est avec notre liste et on essaye de savoir où les gens vont aller, où ils veulent leur poste. Quand on aura le classement d’univers, ceux qui sont devant nous, pour savoir où ils vont aller. C’est plus [davantage] la géographie qui prime25. »
16La constitution de listes de vœux apparaît comme une tentative d’apprivoiser la perspective du classement, en tentant de rendre ses enjeux plus lisibles pour tous les élèves. Mais cette tentative d’apprivoisement est souvent un échec, soit que certains élèves changent d’avis, soient qu’ils omettent ou falsifient leur réponse :
« Je suis persuadé que certains ne sont pas honnêtes : quand on a fait une fiche de vœu pour le département pour le choix d’affectation, moi je mets 91, d’autres mettent leur département. Le choix d’univers passe, et comme de par hasard on se retrouve 8 sur le même département. Je pense qu’il y a des personnes qui ne sont pas franches. Je pense que c’est stratégique : “je veux pas dire où je veux aller”26. »
17Cette situation met en évidence l’atmosphère d’intense compétition qui règne dans l’IRA, conduisant chacun à observer et juger les autres. L’autocontrôle est ainsi généré par la surveillance collective – les surveillés en viennent à se surveiller entre eux.
18Une autre façon de s’approprier la mise sous pression de la promotion par le classement consiste à devenir délégué de groupe – la promotion étant divisée en une quinzaine de groupes. Par sa proximité avec la DES, la fonction de délégué donne une possibilité de maîtriser l’information. La DES utilise de manière régulière les délégués comme un relais pour diffuser des informations dans la promotion. Parmi leurs prérogatives, les délégués récupèrent les fichiers Powerpoint des intervenants pour les diffuser dans le groupe. Certains élèves se plaignent de la diffusion de l’information par les délégués en dénonçant des abus de position (« Des gens font de la rétention d’information, et ils le disent ouvertement : je vais pas tout vous dire parce que je veux être avant vous. C’est aberrant27 »). D’autres avouent leur volonté de briguer ce poste dans la seconde partie de la scolarité, après s’être rendu compte de son caractère stratégique :
« Je me suis forcée à être déléguée de mon groupe pour être un peu en contact avec la DES […]. Il y a de la stratégie, même après le classement. Moi j’accepte. Les rumeurs ont un grand impact sur les IRA, du coup ceux qui vont pas chercher l’info près de la source en pâtissent28. »
19La stratégie qui consiste à se faire « bien voir » de la DES est ici perçue comme un moyen de contourner le processus de classement :
« Alors du coup tout le monde se tait, tout le monde est gentil, et puis tout le monde se tient bien à carreau pour être tranquille jusqu’au bout. Et puis on va pas s’amuser les uns et les autres, il faut être honnête, on a tous une vie, on va pas se retrouver au fin fond d’Avesne-sur-Helpe29. »
20En somme, l’IRA apparaît comme une arène où la perspective du classement fait que chacun tente de se placer, de se faire connaître et reconnaître. Le processus d’individualisation des comportements via la compétition l’emporte souvent sur les stratégies d’évitement ou d’apprivoisement du classement. Mais pour prendre la mesure complète du travail du classement et les appropriations qui en sont faites par les élèves, il faut s’intéresser de près au moment même du classement.
Hiérarchies administratives et hiérarchie sociale
21Les formes scolaires de classement à l’œuvre dans les grandes écoles, en tant que « produit de l’incorporation des structures sociales30 », tendent à consacrer une élite dont une des principales caractéristiques est son homogénéité. Le classement produit par le concours d’entrée déterminerait ainsi le reste de la scolarité, du fait de la correspondance entre les propriétés sociales et le jugement scolaire. Je voudrai mettre cette hypothèse à l’épreuve en étudiant l’acte de classement en lui-même. Il s’agit de déterminer le poids qu’il constitue dans la formation, et se demander dans quelle mesure le classement constitue un dispositif de reproduction des hiérarchies sociales et administratives. Pour ce faire, il faut commencer par mesurer l’écart qui existe entre le concours d’entrée et le classement intermédiaire – c’est-à-dire entre hiérarchie sociale et hiérarchie scolaire, avant d’étudier par l’observation ethnographique la façon dont peuvent se reproduire les hiérarchies à l’échelle individuelle.
Trajectoires de classement31
22L’analyse statistique des trajectoires de classement donne à voir comment les dispositions sociales héritées et sanctionnées par le concours d’entrée s’ajustent au classement scolaire. Pour l’année 2008-2009, la corrélation entre les deux classements n’est pas forte (coefficient de corrélation : 0, 13 ; voir graphique ci-contre) : un élève très bien classé au concours d’entrée peut se retrouver dans les derniers du classement intermédiaire, ou inversement. La place au concours d’entrée ne détermine pas lourdement l’appariement des places au classement intermédiaire. L’idée selon laquelle les élèves sont sur des rails dès les premiers jours de l’année est fausse.
Corrélation linéaire entre les concours d’entrée (interne et externe) et le classement intermédiaire – 2008-2009 – IRA de Lille

Légende : ce graphique met en corrélation le classement du concours d’entrée à l’IRA avec le classement intermédiaire. Les classements ont été normalisés sur une base 1 (l’écart entre la première et la dernière place ont été ramenés sur une même échelle ; 0 = 1re place du classement, 1 = dernière place du classement), afin de faire apparaître dans un même graphique les élèves issus du concours interne et ceux issus du concours externe. Les élèves issus du troisième concours ont été enlevés (effectif : 11). Pour étudier l’interdépendance entre le classement au concours d’entrée et le classement intermédiaire, j’ai utilisé la corrélation linéaire de Pearson. La force du lien est indiquée par le coefficient r, calculé par régression linéaire. Les deux classements sont d’autant plus corrélés que r est éloigné de 0 (proche de 1).
23Le faible coefficient de corrélation donne du crédit à l’effet de l’institution sur les élèves : les critères de sélection à l’entrée de l’IRA ne sont pas les mêmes que les critères de réussite de la scolarité. L’IRA mélange les élèves et arrange une hiérarchie qui lui est propre. Une attention plus particulière permet toutefois de tempérer la faiblesse générale du lien entre le concours d’entrée et le placement au classement intermédiaire. Si l’on s’intéresse à 5 promotions successives d’un même IRA, de 2008-2009 à 2012-2013 (n = 645), on s’aperçoit que la corrélation entre le classement du concours d’entrée et le classement intermédiaire est plus forte pour les 10 % des élèves qui arrivent en tête du classement et pour les 10 % les moins bien classés. Les histogrammes permettent de mettre cette tendance en évidence (page suivante).
24Ces histogrammes montrent que les 10 % les meilleurs du classement d’entrée32 (premier décile, droite en pointillés) sont plus nombreux en tête du classement intermédiaire (entre 0 et 0,2 en abscisse). Les 10 % des élèves arrivés en tête du concours externe sont mieux représentés parmi les meilleurs du classement intermédiaire, et les 10 % les moins bien placés au concours interne sont plus présents dans le dernier cinquième du classement intermédiaire (entre 0,8 et 1 en abscisse). Les meilleurs élèves du concours d’entrée (élèves issus du premier décile) sont surreprésentés dans les premières places du classement intermédiaire, surtout pour les élèves externes. Inversement, les derniers admis au concours occupent plus souvent les dernières places du classement intermédiaire, surtout pour les élèves internes. De fait, si l’on se concentre sur les 10 % les meilleurs au classement intermédiaire, le coefficient de corrélation est plus fort et plus significatif que pour la promotion entière, surtout pour les externes. Il est donc possible d’avancer qu’il existe une corrélation entre le concours d’entrée et le classement intermédiaire pour les meilleurs élèves, et notamment pour les élèves issus du concours externe.
Distribution du premier décile du concours d’entrée au classement intermédiaire – 2008-2013 – IRA de Lille

25D’une manière plus générale, les élèves issus du concours externe sont en moyenne mieux placés au classement intermédiaire que les élèves issus du concours interne, pourtant davantage « professionnalisés » (puisqu’ils ont déjà eu une expérience professionnelle en administration). Ainsi, la « professionnalisation » que l’IRA appelle de ses vœux promeut paradoxalement les élèves issus du concours externe et tend à reléguer les élèves internes. Ces derniers étant moins diplômés, plus âgés et habitant plus souvent dans la région de l’IRA, ils disposent moins fréquemment des gages de l’excellence scolaire, et se sont lancés dans une stratégie d’ascension sociale à la suite d’une expérience professionnelle jugée réussie. La scolarité des IRA ne rabat pas cette hiérarchisation sociale. Certains élèves internes avancent même l’idée que la formation est construite pour les élèves externes :
« On en parle souvent entre internes, et on trouve que la formation est très bien pour quelqu’un qui est externe, mais pour les personnes internes on oublie un peu trop que nous, on a déjà une expérience professionnelle. Je me souviens d’un prof, ça l’intéressait pas [les internes] […]. Donc c’est ça qui est un peu dommage au niveau des internes. C’est comme si on venait de naître, comme dit mon collègue, comme si on n’avait rien fait avant. Parce qu’on n’était pas catégorie A33. »
26Au contraire de l’« expérience professionnelle », considérée dans les IRA comme une expérience « de catégorie B », la « professionnalisation » est censée valoriser une formation à l’encadrement, qui serait propre à la catégorie A. L’injonction à être un « cadre » a pour effet de mettre davantage en avant les élèves externes, mieux dotés scolairement et socialement, que les élèves internes, jugés trop cantonnés à leur statut passé de « catégorie B ». Ce faisant, l’acte de classement contribue à reproduire les hiérarchies sociales et administratives préexistantes.
27Il reste toutefois à comprendre comment cet appariement général des places et des élèves se produit au niveau individuel. Une manière de le savoir consiste à observer l’acte de classement, en s’intéressant aux appropriations que les élèves font de ce moment.
Dans l’« amphi de garnison »
28Dans les grandes écoles, qui sont moins destinées à former qu’à classer, le principal moteur du classement est le prestige34. À l’ENA en particulier, la « botte35 » fait l’objet des principales convoitises. Par analogie, on pourrait dire que la petite trentaine de postes d’administration centrale représente la « botte » des IRA. Ce serait toutefois nier la spécificité du processus de classement des IRA : d’une part le classement en milieu de scolarité, et d’autre part les enjeux géographiques qui prennent le plus souvent le pas sur les enjeux de carrière. Je fais l’hypothèse qu’à l’inverse de l’ENA, le moteur de la conformation des élèves au mandat de l’attaché se niche dans la crainte de la relégation plutôt que dans l’accès au prestige. Le classement comporte un risque de relégation pour chaque élève : se voir attribuer un poste parmi les plus délégitimés, dont celui de gestionnaire d’établissement scolaire est l’exemple typique. Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, j’analyse comment les élèves s’approprient le moment même du classement, à la période de l’année où il est l’objet de toutes les attentions.
29Ces quelques jours constituent les moments les plus intenses de la scolarité. Toute la promotion est en ébullition : les échanges, discussions, tractations et rumeurs atteignent le niveau de densité le plus élevé de l’année. Les bonnes et les mauvaises surprises sont commentées toute la journée dans l’IRA, et continuent parfois jusque tard le soir. Certains élèves rayonnent de leur réussite. Mais parfois se jouent aussi des drames personnels. Les visages sont marqués, des absences sont remarquées.
30La scène du classement se joue en deux temps. D’abord, le classement est affiché dans les locaux de l’IRA. La publication du classement donne lieu classiquement à de nombreuses réactions, pleurs ou cris ou joie. Il faut noter la solennité du moment. Le directeur prend lui-même part à l’affichage des listes à deux endroits de l’IRA. La directrice des études et des stages est soucieuse de la particularité du moment (« on y va maintenant, ils attendent tous, on peut pas les laisser comme ça »), et reste disponible auprès des élèves après l’affichage :
« “J’aime pas afficher et ensuite les laisser seuls” me dit la DES. Puis à l’adresse des élèves présents : “vous voulez vos notes ? Je suis là n’hésitez pas”. En effet, seul le classement est affiché, les élèves viennent demander leurs notes individuellement auprès de la DES : une file d’attente se forme devant son bureau36. »
31Certains élèves partent rapidement après avoir pris connaissance de leur classement, mais d’autres restent longtemps à étudier la liste, commenter, voire prendre des notes.
32Le second temps du moment du classement a lieu dans l’amphithéâtre, quelques jours après la publication du classement. Toute la promotion est réunie pour ce qui est appelé « l’amphi de garnison ». Dans l’ordre croissant du classement, les élèves se lèvent l’un après l’autre et énoncent leur choix d’univers. Le classement intermédiaire vise à répartir les élèves dans les trois « univers professionnels » pour le reste de la scolarité37 : administration centrale (AC), administration territoriale de l’État (ATE), administration scolaire et universitaire (ASU). Cette orientation relève d’un choix individuel, plus ou moins contraint en fonction de la place occupée dans le classement, et des impératifs de contexte (vie maritale et/ou parentale, lieu de résidence, études…). En particulier, ce choix individuel mêle des enjeux de carrière et des enjeux géographiques forts. L’univers « administration centrale » (AC) permet aux jeunes attachés d’espérer intégrer à terme le corps des attachés principaux puis celui des administrateurs civils. La très grande majorité de ces postes se trouvant en ministères, cette filière offre en outre aux élèves la certitude de s’installer à Paris. L’univers « administration territoriale de l’État » (ATE) assure aux élèves qui choisissent cette filière un poste dans la région de leur IRA. En effet, pour les postes se trouvant en préfecture ou sous-préfecture, la stabilité géographique (et donc souvent familiale) est assurée. Les postes proposés à l’issue de l’univers « administration scolaire et universitaire » (ASU) sont plus instables : hormis deux ou trois places réservées chaque année pour l’administration centrale de l’Éducation nationale, et donc à Paris, et quelques emplois en rectorat ou en inspection académique, la majorité des postes offerts sont des postes d’attachés en établissements publics locaux d’enseignements (EPLE), anciens intendants de lycées ou collèges. Ces postes, qui correspondent à près de 40 % des postes offerts à la sortie des IRA, et 90 % dans la seule filière ASU, cumulent une faible légitimité professionnelle et une inscription territoriale éloignée des centres urbains.
33La trentaine de places généralement allouées à l’« univers professionnel » AC est majoritairement pourvue dans le premier tiers du classement, tandis que les élèves situés dans le dernier tiers du classement se trouvent contraints de choisir la section ASU propre à l’Éducation nationale38. Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que l’« amphi de garnison » soit décrit par les élèves comme un pic de tension dans la scolarité :
« Même moi qui était en tête de classement j’étais stressée, il y avait des larmes derrière moi… ça fait mal au cœur39. »
34Plusieurs élèves partagent l’impression que leur vie se joue sur quelques minutes, quelques points, quelques rangs :
« Beaucoup de tensions, ça a été très difficile […] c’est l’égo qui en prend un coup. Tout s’est joué sur quelques minutes, moi tout s’est joué sur 20 minutes d’oral, et après on m’a mis un petit numéro, et après le reste est déterminé […]. On calcule tous nos points à rattraper, et entre le 10e et le 110e il y a 30 points d’écarts. Tout se joue au demi-point près40. »
35Le dispositif mis en place lors de l’« amphi de garnison » renforce la tension du moment. Durant toute la séance, le classement est projeté sur le tableau de l’amphithéâtre. À côté du classement se présentent trois colonnes correspondant aux trois sections. Ces trois colonnes contiennent un nombre de lignes prédéfinies, correspondant aux postes disponibles dans chaque filière : 30 pour l’univers AC, 53 pour l’univers ATE et 67 pour l’univers ASU. Dans l’ordre croissant du classement, le directeur de l’institut appelle l’élève, qui énonce à voix haute et en se levant l’« univers professionnel » de son choix. Le tableau correspondant à la section est alors rempli du nom de l’élève. De cette façon, le décompte des places restantes pour chaque « univers » est constamment affiché.
36Pour « respecter des principes de service public », notamment celui « d’égalité41 », la direction de l’institut astreint les élèves à énoncer clairement l’« univers choisi ». Pour ceux qui se trouvent en fin de classement, le fait de se lever et, comme les autres, d’énoncer leur « choix » à voix haute peut être vécu comme une humiliation. Certains élèves ont ainsi exprimé le caractère contraint de ce choix, en énonçant : « ASU contraint ». D’autres ont même refusé d’exprimer leur choix à haute voix :
« Même quand il y avait plus de choix, en ASU, on leur a demandé de le dire quand même. Il y a eu une personne en larmes, qui a refusé de dire son choix, éducation nationale42. »
37Un dernier élément, qui paraît indispensable à la bonne tenue de l’« amphi de garnison » ajoute, pour certaines personnes tout au moins, une certaine crispation : il s’agit du droit à la suspension de séance. Dans le cas où il hésiterait, chaque élève peut en effet demander à interrompre la chaîne des choix des « univers » pour quelques minutes, afin de prendre le temps de demander conseil auprès de son entourage par téléphone. Les suspensions de séance peuvent être longues, et laissent les élèves qui n’ont pas encore pu exprimer leur choix dans l’attente de savoir s’il restera suffisamment de place pour l’« univers professionnel » convoité :
« Une personne qui […] hésitait entre centrale et territoriale, elle vient de la Réunion, elle a appelé tous les membres de sa famille et elle a choisi ATE. C’est long43. »
38Ainsi, la tension est liée à l’exiguïté des places dans le classement et à l’ensemble des règles qui organise le processus d’affectation dans l’« amphi de garnison ».
Les enjeux du choix
39Mais la tension trouve également sa source dans les enjeux qui sous-tendent l’édiction des choix. La crainte de se retrouver en position de choix contraint, c’est-à-dire d’être obligé de « choisir » la section ASU, est constante et fait apparaître la prégnance de cet enjeu :
« L’enjeu c’est d’être à Paris. Moi en tant que Lillois, aller en Picardie c’est la pire de mes craintes. C’est stressant, j’essaye de relativiser, mais c’est stressant […]. Il y a beaucoup beaucoup d’enjeux, surtout pour les Parisiens44. »
40La logique des choix de filière fait ainsi s’entrecroiser des enjeux géographiques et des enjeux de carrière. Cela se voit particulièrement bien dans le cas du choix de la filière « administration centrale ». Les élèves qui nourrissent dès l’IRA l’ambition de devenir attaché principal, voire d’entrer dans le corps des administrateurs civils via le tour extérieur, considèrent l’« univers » AC comme le tremplin nécessaire à leur future réussite :
« J’avais très peur parce que j’avais eu l’impression de pas réussir l’écrit, et je voulais absolument centrale45. »
« Je voulais centrale pour deux raisons, parce que je trouvais que c’était un bon moyen de commencer sa carrière. Je suis assez jeune ça me pose pas de problème d’être loin dans la hiérarchie, de pas avoir des perspectives d’encadrement, d’être une goutte d’eau dans l’océan. Et puis je voulais retourner sur Paris […]. Je voulais absolument pas éducation nationale. J’avais des ornières, j’étais dans un monde, si j’avais eu éducation nationale, je crois que je l’aurai très très mal pris46. »
41Ces choix émanent plutôt d’élèves issus du concours externe, qui ont bénéficié d’une année de formation aux concours administratifs dans le cadre de leur parcours à l’IEP ou de leur master de droit. Ce sont des élèves qui ont souvent fait leurs études à Paris, et l’administration centrale offre la certitude d’y revenir. À l’inverse, de nombreux élèves internes, engagés familialement, habitant dans la région de l’IRA, préfèrent la filière « ATE », qui offre la possibilité de travailler en préfecture ou dans les services déconcentrés, et permet ainsi de concilier une inscription géographique avec une carrière de « catégorie A ». Toutefois, certains élèves internes font de l’accès à l’administration centrale une nécessité, soit parce qu’ils y travaillaient déjà, soit parce qu’ils considèrent que cela doit faire partie de la progression logique de leur carrière. Christine par exemple, titulaire d’une maîtrise de LEA, passe à 38 ans le concours interne des IRA après avoir occupé plusieurs postes de catégorie B au sein du ministère de la Justice, en établissement pénitentiaire jusqu’au ministère. Le passage par l’IRA lui permet d’obtenir le statut d’attachée, plus conforme selon elle à son activité au sein du ministère. Une fois à l’IRA, elle avoue n’envisager d’autre possibilité que l’« univers professionnel » administration centrale. Pourtant, ses résultats – 67e rang du classement intermédiaire – ne lui permettent pas de choisir cette filière :
« J’ai été blessée, je n’étais pas en très grande forme. Je visais centrale, je travaillais en centrale. 67e, donc tout juste. J’ai fait le choix de prendre éducation nationale, pour une raison stratégique, retourner sur la région parisienne […]. Je regrette pas, mais je suis encore en questionnement. Le stage va me permettre de voir si ça va ou pas47. »
42Dans ce cas, la donnée géographique se greffe sur des enjeux de carrière et de poste. L’accès à l’administration centrale apparaît pour Christine comme une exigence, que son degré de déception permet de mesurer. Son affectation au sein de l’« univers professionnel » administration scolaire et universitaire est vécue comme une dégradation, par rapport à la progression professionnelle qui a été la sienne au sein du ministère de la Justice. La logique du classement et des choix de section tend à reproduire la hiérarchie qu’il existe entre l’administration centrale et parisienne, plus souvent convoitée par les élèves les plus diplômés, et l’administration locale ici représentée par les établissements de l’Éducation nationale, où sont affectés les élèves les moins bien classés scolairement – et les moins dotés socialement.
Les articulations du classement
43La reproduction des hiérarchies par le classement se voit particulièrement bien dans le cas des élèves qui se trouvent classés aux jointures du classement, aux articulations entre les « univers professionnels ». Je fais l’hypothèse que ces cas charnières, du fait d’une déception plus marquée ou du fait que ces élèves ressentent plus intensément les enjeux du classement, pouvaient laisser entrevoir des fissures dans les carrières ou même dans les équilibres personnels. Les deux articulations du classement se trouvent autour de la 60e place – le rang auquel a été choisie la dernière place de l’univers AC – et autour de la 108e place, dernière place de l’ATE. Les élèves occupant ces rangs ont fait impression dans la promotion. Dans les entretiens, de nombreux élèves relatent l’épreuve qu’a constituée l’« amphi de garnison » pour les élèves tangents :
« Il y en a qui ont mal vécu […]. Les dernières places en déconcentrée… est-ce qu’il faut prendre éducation nationale pour se retrouver à Paris48 ? »
« La 61e voulait centrale, elle ne l’espérait plus. Et en fait la centrale c’est allé jusqu’au 60e. Le 60e a dit : j’hésite. Donc la 61e a voulu le tuer, a fortiori lorsqu’il est revenu et qu’il a dit : “je prends centrale”49. »
44Au 61e rang, Delphine est la première élève à ne pouvoir accéder à la filière administration centrale, qu’elle visait pourtant. Issue du concours externe après avoir obtenu un master 2 de droit à Paris 1 et une préparation en IPAG, célibataire, âgée de 25 ans, de parents cadres à la SNCF, elle n’a pas l’impression, au contraire de certains élèves internes, de jouer toute sa vie sur le classement. Pourtant, le moment de l’amphithéâtre des choix d’« univers » est difficile à vivre, notamment à cause de la suspension de séance de l’élève la précédant, qui finit par choisir la dernière place en AC :
« Moi je voulais centrale absolument. Je savais que ça allait se jouer à rien. J’avais une chance sur deux, une personne dit oui ou non et ça change tout. L’amphi de garnison c’était juste horrible. Tout le monde était en transe, les gens me voyaient, et disaient “oh la pauvre”. Le gars qui était devant moi demande une suspension de séance, il hésitait. Il pensait pas être là, il pensait pas avoir le choix, il avait toujours dit : éducation nationale ou ATE je ne sais pas trop. Ça a duré 5 min, il a téléphoné à un ami, mais j’avais déjà le sentiment que c’était fichu. Quand il est revenu, je sentais qu’il allait dire : “oui je la prends”. Donc c’était la dernière place, moi j’ai été obligé de prendre ATE. Donc je te dis, la journée après… je l’avais vraiment dans l’os […]. J’avais la mine déconfite, ils ont bien vu que ça n’allait pas. Tous les gens savaient que je voulais centrale. Moi ils n’ont pas osé m’applaudir50. »
45Cet exemple montre que pour les élèves à la charnière des « univers professionnels », la cristallisation des enjeux autour du classement peut rendre le moment particulièrement étouffant. Comme le dit Delphine, « c’était vraiment dur, il y a eu des pleurs, moi ça m’aura marqué, j’ai trouvé ça insoutenable51 ».
46Autour de la 108e place, à la jointure des filières ATE et ASU, les enjeux ne sont pas tout à fait les mêmes. À ce niveau du classement, la question n’est pas tant la déception de ne pouvoir accéder à une filière plus légitime, que la peur d’être relégué dans la filière ASU. Le cas de Sylvain, classé 108e et deuxième relégué, est significatif. Âgé de 29 ans, originaire de la région parisienne, titulaire d’un master 2 de science politique et communication, Sylvain a passé le concours après avoir travaillé de nombreuses années en entreprise. Il avait capitalisé sur l’expérience de sa femme, passée par l’IRA l’année précédente, pour la réussite de sa scolarité. Il avait pour objectif de rejoindre l’administration centrale :
« Moi c’était les postes, j’avais repéré deux trois postes qui me plaisaient bien, soit le ministère de l’Intérieur, ma femme y travaille, soit le MEEDDAT [ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire], mon stage m’avait vraiment plu, mon maître m’avait dit : “je te garde le poste au chaud”. Donc j’étais prêt à revenir au septembre au MEEDDAT52. »
47Mais son 109e rang ne lui permet pas d’y accéder. La première déception est celle de ne pas accéder à l’« univers » administration centrale :
« Quand je lui ai dit mon classement [au maître de stage] il m’a dit : “le poste je vais devoir le mettre sur le marché” […]. Je savais que c’était foutu. Ça a été un coup dur de ne pas être en centrale, un coup très très dur […]. Une grosse désillusion. »
48Sylvain avait calqué ses objectifs sur le parcours de sa femme, qui était parvenue à accrocher les premières places l’année précédente. Bénéficiant de son expérience, il n’hésitait pas à prodiguer de nombreux conseils à ses camarades, ce qui n’a pas échappé à certaines personnes qui, en entretien ou dans des discussions informelles, m’ont fait part de leur surprise, parfois avec ironie quant à son rang de classement. Sylvain lui-même n’envisageait pas d’alternative : pendant toute la première partie de la scolarité, la possibilité d’accéder à la filière AC n’a jamais vraiment été interrogée, comme l’atteste son stage en administration centrale, et l’opération qui consiste à « réserver » un poste pour la sortie d’IRA. Le classement constitue donc une vraie surprise pour cet élève. Mais la violence du choc ne doit pas occulter une autre facette de ce qu’il considère comme un échec. Son rang dans le classement le contraint à se retrouver dans la filière ASU. L’insuccès de la « centrale » est donc synonyme de relégation en « éducation nationale » :
« Je me suis dit : je suis face à mes pairs, et mes pairs me considèrent comme pas capable. C’est ça qui m’a fait mal […]. J’ai songé le jeudi soir [après la publication du classement] à démissionner. Ma femme m’a dit : “on a suffisamment d’argent si tu veux démissionner”. Mais c’est bête53. »
49Du point de vue de Sylvain, la relégation en ASU est comprise comme un jugement de la profession (« les pairs »). Ce qui est vécu comme un échec porte directement sur la carrière d’attaché, tracée au moment de son entrée à l’IRA, comme Sylvain l’évoque lui-même :
« J’ai suffisamment de bouteille pour relativiser, en même temps ça m’éloigne de mon déroulé de carrière idéal. Pour avoir les choses que je voulais au départ, il me fallait 7 ou 8 ans, là ça me rallonge de 4 ou 5 ans, donc ça me casse un peu. Je sais que les missions en sortie d’IRA en [ASU] c’est pas folichon. Mais bon en se spécialisant… Et puis surtout c’est d’être proche du pouvoir. Ma femme elle a un collègue, IRA depuis 5 ans, il se retrouve au cabinet de Devedjian. Alors que dans un lycée, on est seul54. »
50L’exemple de Sylvain met en évidence ce qui est mis en jeu au niveau de l’articulation entre les deux filières ATE et ASU : davantage une exclusion du « corps » des attachés qu’un échec de l’accès aux carrières légitimes.
51L’étude des cas tangents, qui se trouvent aux marges de chacun des univers, montre que le classement intervient comme un amplificateur des effets de cassure des trajectoires individuelles. Les « univers professionnels » cloisonnent les enjeux. Le processus de classement conduit à l’inscription de chaque élève dans une filière. Au sens propre, l’élève se trouve pris dans un univers clos. Le moment du choix, qu’il soit délibéré ou contraint, est logiquement vécu comme un moment difficile, dans la mesure où il donne l’impression de mettre en jeu, sur quelques secondes, l’ensemble de la carrière, voire de la vie, de l’élève. Malgré la violence ressentie par les élèves, la logique du classement se trouve préservée par la direction des études :
« Bien souvent on se rend compte que les élèves, une fois la déception du classement et du choix d’univers passée, en fait se réalisent complètement dans l’univers dans lequel ils sont. Et quand ils sont dans l’univers, ils se projettent dans un environnement professionnel55. »
52On trouve ici une forme de prescription à l’acceptation du choix56, qui fait écho à l’exigence d’énoncer le choix, même contraint, lors de l’« amphi de garnison ». Ces propos montrent que l’acceptation du choix est un critère de réussite de la scolarité du point de vue de l’institution. En cela, le travail de la DES consiste à renforcer l’inscription des élèves dans les différentes sections, tout en légitimant leur hiérarchisation. Il s’agit pour l’élève de montrer sa bonne volonté à rester dans l’institution, quel que soit son rang de classement et quelle que soit la filière dans laquelle il se retrouve inscrit.
53Les effets de contrainte et de prescription, renforcés par la tension et la mise sous pression, sont inhérents à l’acte de classement et révèlent ainsi sa logique d’ensemble : contrairement à l’ENA, le principal moteur du classement de l’IRA n’est pas l’accès au prestige, mais la crainte de la relégation professionnelle, sociale et géographique. Pour saisir finement les formes que prend cette relégation, il faut s’intéresser aux processus d’acceptation ou de refus du classement, en analysant les effets du classement intermédiaire sur les élèves.
Classement et déclassements
54Dans la plupart des écoles de service public, le classement est placé en fin de formation. Il est alors analysé comme une finalité57. On l’a vu, les IRA ont ceci de particulier qu’ils font intervenir un classement au milieu de la scolarité58. Cette spécificité fait de cette école un observatoire unique des effets du classement sur les trajectoires des élèves et sur les appropriations individuelles des choix et des inscriptions dans des filières hiérarchisées. Ces trajectoires de formation font apparaître des figures différenciées du cadre intermédiaire, qu’il est possible de saisir par l’étude du cloisonnement de la scolarité après le classement, et par quelques études de cas montrant comment les élèves peuvent se conformer ou se différencier aux différentes figures du mandat de l’attaché d’administration.
Les espaces du classement
55Les frontières qui prennent forme, d’un rang à l’autre, entre les « univers », ne sont pas sans effet sur les rapports des élèves à l’école, à leur avenir professionnel, et à leur propre situation. Après le classement intermédiaire, la promotion se trouve divisée en trois filières. En cloisonnant, le classement intermédiaire crée des espaces de catégorisation. Une analyse attentive aux effets différenciés de la catégorisation des élèves selon les « univers professionnels » permet de rendre compte de la façon dont l’institution organise la formation de façon hiérarchisée.
56En « centrale », la réussite rend plus facile l’inscription dans la filière. Pour ces élèves, l’enjeu géographique a disparu, car ils savent qu’ils seront affectés à Paris. L’enjeu principal de cet « univers » se définit donc autour des postes et des ministères auxquels les élèves seront affectés à la fin de l’année. Le petit groupe de tête se bat pour l’unique poste au ministère des Affaires étrangères. La Caisse des dépôts, le ministère des Finances, le Conseil d’État, s’ils pourvoient un poste, sont parmi les plus recherchés. Ensuite vient souvent le ministère de l’Intérieur, avant les ministères dits « sociaux ». Cette lutte pour le haut du classement contribue à un mouvement de repli de l’« univers » AC sur ses propres enjeux. Mais l’ouverture et la transversalité sont des compétences considérées comme primordiales dans l’exercice du métier d’attaché d’administration centrale. Il s’agit pour ces élèves de conserver une ouverture sur la promotion que ne détiennent pas les autres élèves. Alors que les liens se trouvent redistribués après le classement intermédiaire, les élèves de « centrale » cultivent la permanence des liens d’amitié. Pour Martine, 22e du classement intermédiaire, « le classement n’a pas changé [s]es amis59 ». Véronique, 15e, indique qu’elle n’a « pas de souci pour [s]e faire des amis : il y a le petit groupe de sport, le petit groupe du rapport sur commande, le petit groupe de centrale60 ». En revanche, elle reconnaît que certains ne « se mélangent pas trop, ils attendent qu’on vienne vers eux61 ». Ces compétences à la transversalité sont situées : elles mobilisent surtout les élèves externes, qui sont plus jeunes et davantage mobilisés dans leur scolarité. Ce faisant, les élèves de « centrale » représentent une forme typique de l’attaché d’administration.
57Pour nombre d’élèves, l’administration déconcentrée offre un environnement à « taille humaine » – pour reprendre une expression entendue à l’IRA, i. e. un poste dont la responsabilité n’est ni trop diluée dans un ministère, ni trop concentrée à l’échelle d’un établissement. Dans le même temps, la filière ATE attire les élèves qui souhaitent rester dans la région. La conjonction de ces deux enjeux peut rendre pesante la perspective du classement final. Pour preuve, dès les premiers cours de la seconde période de scolarité, une liste de vœux est mise en circulation afin de connaître les orientations géographiques de chacun. L’anxiété géographique transparaît souvent en entretien, comme dans le cas de cette élève externe de 25 ans, originaire du Nord, qui a réussi l’IRA après un master 2 de droit et une préparation en IPAG :
« Je suis 20e de ATE au classement intermédiaire. Et il y aura pas 25 postes à Lille, donc il faudrait augmenter. Dans le cas contraire je sais pas comment je fais. J’ai un appart à Lille, mon copain bosse à Lille… j’ai envie de rester à Lille62. »
58Ce faisant, comme dans les autres filières, les membres de l’« univers » ATE se renferment sur leurs problématiques propres, et contribuent ainsi à l’isolement des filières les unes par rapport aux autres. Mais là où le cloisonnement de la scolarité se fait le plus sentir, c’est au sein de la filière « Administration scolaire et universitaire ».
59Tandis que les élèves de « centrale » se renferment sur des enjeux de carrière, la clôture de la filière ASU est surtout due au traitement institutionnel dont elle fait l’objet. Comme l’indique un élève, déçu par son classement, l’ASU constitue un « monde » à part :
« Le fait qu’on se retrouve en éducation nationale, on se retrouve dans le même monde, il faut qu’on se tienne un peu63. »
Répartition des choix d’univers professionnels par tiers du classement intermédiaire – ensemble des élèves – 2008-2013 – IRA de Lille

Lecture : dans le premier tiers du classement intermédiaire, quel que soit le concours d’origine (3e concours compris), les élèves choisissent à 59,7 % la filière AC en moyenne entre 2008-2009 et 2012-2013 (I = effectif d’élèves internes ; E = effectif d’élèves externes). 76,7 % des élèves placés dans le dernier tiers du classement intermédiaires choisissent ASU.
60De qui est constitué ce monde ? Le graphique ci-dessus, qui rend compte des structures des choix par tranche du classement intermédiaire sur l’ensemble des effectifs, fait apparaître une nette prédominance des « choix » pour la filière ASU pour les élèves placés en fin de classement – consécutif de la préférence des élèves placés en tête de classement pour la filière « administration centrale ».
61On voit ainsi que 59,7 % des élèves placés dans le premier tiers du classement choisissent la filière administration centrale (AC), et seulement 12 % choisissent ASU. En resserant les tranches, la tendance s’accentue : dans le premier décile 62,1 % choisissent AC et 10,1 % choisissent ASU. La trentaine de places généralement allouée à la filière AC est majoritairement pourvue dans le premier tiers du classement, occupé le plus souvent par des élèves issus du concours externes et donc mieux dotés scolairement. À l’inverse, les élèves du dernier tiers du classement, majoritairement issus du concours interne, porte leur choix sur l’administration scolaire et universitaire (ASU). Il s’agit donc d’un choix contraint, les autres filières étant déjà pourvues.
62Resserrer l’analyse des choix sur une année permet de rendre compte de la structure des choix entre élèves internes et externes. Le cas de la promotion 2008- 2009 de l’IRA de Lille montre que la filière ASU est choisie seulement par 2 élèves externes dans le premier quintile du classement, 1 dans le deuxième quintile et 3 dans le troisième quintile (6 élèves sur les 74 élèves externes dans les trois premiers quintiles, soit 8 %). Dans le même temps, 10 élèves issus du concours interne choisissent ASU dans les trois premiers quintiles du classement (soit 18 % des internes)64. La faible proportion d’élèves choisissant « éducation nationale » dans la première partie du classement intermédiaire est une marque explicite de la délégitimation de cette filière par rapport aux deux autres : l’« univers » ASU constitue une filière de relégation.
63C’est ce que confirment les trajectoires et les perceptions des élèves qui se retrouvent dans cette filière. Hervé, par exemple, avait arrêté son choix d’affectation en ASU très tôt dans l’année. Cet ancien comédien originaire de la région parisienne, de parents petits fonctionnaires dans un théâtre municipal, a réussi à 30 ans le troisième concours de l’IRA, et considère l’administration de l’Éducation nationale comme beaucoup plus conforme à ses ambitions que l’administration centrale, trop stricte et prétentieuse à ses yeux : « je voulais éducation nationale », « je n’aime pas centrale ». Au classement intermédiaire toutefois, il occupe la 11e place, qui est un meilleur rang qu’il l’espérait. Cette position fait alors intervenir dans son choix le critère géographique : il est tenté de choisir la filière AC, qui lui assure un poste à Paris, où il aimerait revenir. Lors de l’« amphi de garnison », en situation de choisir entre les trois « univers professionnels », il hésite :
« J’ai appris que j’étais 11e. Et donc je pouvais choisir centrale. Et j’aime pas centrale, mais centrale c’est Paris. Coup de stress, j’ai pris ma décision à la dernière minute, j’ai choisi éducation nationale. Tu peux pas en une soirée décider d’aller en centrale. [Pendant l’amphi de garnison] je me suis levé. Quand le 10e est passé, j’ai vraiment flippé. J’avais peur de faire la plus grosse erreur de ma vie […]. J’étais paniqué, l’ambiance était vraiment tendue. Il y a des collègues que j’avais jamais vu comme ça, le visage d’une amie se décomposait, je me retournais souvent pour la regarder65. »
64Ce choix de la filière ASU, alors que toutes les possibilités étaient ouvertes, révèle le processus institutionnel de mise à l’écart. Une fois en « éducation nationale », les autres élèves changent radicalement de comportement à son endroit. Alors qu’il s’était attiré la sympathie de nombreux élèves au lendemain de la publication du classement intermédiaire, Hervé se sent exclu de la promotion à la suite de son choix de filière, trois jours plus tard :
« À la suite de l’amphi, il y a des gens qui ont arrêté de venir me parler. En éducation nationale, il y a des gens qui démissionnent, c’est la punition ultime […]. Des gens qui savaient que j’avais choisi éducation nationale, me disent plus tard : “t’as quand même pas choisi ASU !” Pendant les 15 jours qui ont suivi, les gens m’ont plus parlé ! Ça m’a même fait mal. Après [le classement], il y avait des lèches pompes. Là, les gens me regardaient plus66. »
65Ce processus d’exclusion qui accompagne la relégation en ASU est caractéristique de l’inscription dans cet « univers ». En mentionnant par ailleurs la « pression » qui consiste à choisir une filière en trois jours de temps, Hervé remet en cause son choix après coup :
« J’ai regretté mon choix, les 20 premiers jours. Je me sentais plus à ma place à l’IRA. Je me suis mis à critiquer l’IRA, du matin au soir je ne faisais que râler. Je déprimais […]. Les cours étaient… qui ne m’intéressaient à un point… mais absolument pas. Avec des intervenants qui étaient nuls, des plannings qui n’allaient plus du tout. Un nouveau groupe avec des gens qu’on connaissait pas […]. J’étais persuadé que les cours en centrale étaient mieux. On m’a offert Paris, et j’ai dit non. Tout le monde m’avait prévenu qu’Éducation nationale c’était nul, et c’est vrai que c’est nul67. »
66Le cas d’Hervé offre une illustration de l’effet que le classement intermédiaire peut avoir sur le statut des élèves. Cet extrait d’entretien montre la force de la relégation. Bien qu’ayant choisi cette filière, cet élève vit son inscription dans l’« univers » ASU comme une mise à l’écart. D’une certaine manière, Hervé prouve ici la performativité du discours sur la filière « Éducation nationale » : le jugement commun (« tout le monde m’avait prévenu qu’Éducation nationale c’était nul ») se transforme en réalité (« c’est vrai que c’est nul »). Hervé, après le classement intermédiaire, se fait rattraper par la force institutionnelle. Même s’il est symptomatique de l’effet de relégation qui peut être vécue par les élèves, le cas d’Hervé demeure toutefois particulier car son arrivée dans la filière ASU est le produit d’un choix délibéré.
67Pour certains qui se voyaient en « centrale » avant le classement intermédiaire et qui se retrouvent dans un « univers » qu’ils n’ont pas choisi, l’inscription en ASU peut être bien plus difficile. Certaines personnes démissionnent. Sylvianne quant à elle s’éloigne de l’IRA durant les premiers temps post-classement. Cette élève interne, remarquée par nombre d’élèves pour avoir pleuré lors de l’amphithéâtre de choix des filières après avoir manqué la section ATE, semble par la suite perdre pied. Mes tentatives pour mener un entretien avec elle ont échoué du fait de ses absences répétées, mais une de ses amies me confie des éléments sur sa situation :
« Elle est en pleine déprime, elle prend des médicaments anti-dépression, c’est sévère. Elle a arrêté les cours pendant deux semaines, c’est très très dommageable pour elle. Elle a profité d’une de ces semaines pour passer un autre concours, la pénitentiaire. Le problème c’est que pénitentiaire il faut avoir les nerfs assez solides, ce qui risque de lui faire défaut […]. Elle a pensé à démissionner68. »
68Ces perceptions doivent être maniées avec précaution, car il faut prendre en compte la culpabilité de Claire d’avoir choisi la dernière place en ATE, convoitée par Sylvianne quelques rangs en-dessous. Mais elles donnent toutefois quelques éléments pour comprendre l’effet du classement et de la catégorisation des « univers » sur les individualités. Dans son cas, la relégation en ASU s’accompagne d’une exclusion de l’institut, perceptible via l’arrêt maladie d’une part, et les projets d’autres concours d’autre part. Cet exemple permet de rendre compte du processus de mise à l’écart au sein de l’IRA, ou tout au moins de sa partie la plus légitime, qui mène à l’administration centrale. La déprime apparaît comme une manifestation du rejet de l’inscription contrainte dans la filière illégitime : à côté de l’acceptation, elles constituent deux façons de gérer une affectation non désirée. En négatif, ces pratiques dénotent la force de la mise à l’écart, par l’institut, des élèves jugés inaptes à accéder à la forme légitime du métier d’attaché. Ce jugement est le produit du classement, c’est-à-dire de la conjonction du travail du jury et du travail institutionnel dans un dispositif de catégorisation. Le classement intervient de manière exemplaire comme une « sanction scolaire » qui réalise « l’opération sociale par excellence, celle qui consiste à produire des êtres à part, séparés69 ». Mais contrairement aux concours et aux classements qui constituent la « noblesse d’État », les futurs attachés ne sont ni « sacrés », ni « consacrés » ni même « élus ». L’essentiel du travail de classement dans les IRA consiste bien plus en une relégation des élèves qu’en une consécration. Le tableau suivant, qui représente la structure des choix de filière en moyenne et par année, permet de donner une vision ramassée de la hiérarchisation des filières (ci-contre).
69Ce tableau fait également apparaître la stabilité des choix, c’est-à-dire les écarts de chaque année à la moyenne. On voit ainsi que la stabilité des choix dans le premier tiers du classement est plus importante que celle du dernier tiers. Les variations sont dues aux effets de contraction ou d’ouverture du nombre de postes dans les différentes filières.
70L’essentiel de l’enquête ethnographique a été effectuée en 2008-2009 : le diamant permet de mesurer la représentativité de l’année.
Proportions (moyennes et par année) des choix de filière par tiers du classement intermédiaire

Légende : Chaque point représente la proportion d’élèves (en ordonnée : entre 0 et 100 % des élèves), dans chaque tiers du classement intermédiaire (en abscisse), ayant choisi la filière correspondante (ASU, ATE, AC). Chaque droite donne la moyenne des cinq années. Par exemple : en moyenne sur les cinq années étudiées, 12 % des élèves situés dans le premier tiers du classement intermédiaire ont choisis la filière ASU.
71L’acte de classement consiste donc en un travail de promotion de figures différenciées et hiérarchisées de l’attaché d’administration. Il reproduit, chaque année, la supériorité de l’administration centrale sur l’administration déconcentrée et sur l’administration de l’Éducation nationale.
Les déclassés du classement
72La relégation peut affecter jusqu’aux identités des élèves. Le processus de classement, pièce maîtresse du dispositif de formation des attachés, façonne des identités et des groupes. Légitimes ou relégués, les attachés sont enrôlés, durant leur formation, par des effets de catégorisation, et peuvent chercher à s’en extraire. Les cas d’Hervé et de Sylvianne illustrent une mise à l’écart, mais aussi un processus d’acceptation : ils finiront tous deux par accepter leur affectation finale. D’autres élèves préfèrent l’exit. L’abandon en cours de scolarité permet notamment à certains élèves de s’extraire d’un enrôlement qu’ils refusent. Il n’est toutefois pas aisé de quitter l’école pour des élèves qui ont le statut de fonctionnaire stagiaire : les IRA demandent au démissionnaire de rembourser la moitié du traitement perçu jusque-là70.
73Refuser le processus de relégation peut également mener à des situations plus difficiles, qui restent limites pour l’analyse, mais qui donnent à voir les différentes appropriations au travail du classement. Il s’agit en l’occurrence d’un cas de tentative de suicide de l’élève placée à l’avant dernière place, le lendemain de la publication du classement intermédiaire d’un IRA. Les acteurs rencontrés – souvent de manière informelle – sur ce sujet font souvent le lien entre ce geste et la place de l’élève dans le classement :
« Les élèves étaient assez choqués et ont fait le lien avec la scolarité et plus particulièrement avec le système de classement puisque [l’élève] était avant dernière du premier classement et que son suicide a eu le lieu le soir même après la publication des résultats71. »
74Sans statuer sur ce lien, et en se dégageant de l’aspect émotionnel charrié par la situation, il est possible de s’intéresser à ce cas limite dans la mesure où il fait parler l’institution et son travail de relégation par le classement. Une des membres du jury lors des épreuves de classement, dans un souci de justification72, est en mesure de juger rétrospectivement son comportement lors des épreuves :
« Mais là il y a eu une tentative de suicide. C’est justement la personne à qui on a mis la pire note. Déjà c’est quelqu’un qui arrive en retard […]. Elle est déjà arrivée essoufflée, elle a voulu changer de chaussures. Bon on lui a dit : “calmez-vous cinq minutes dans le couloir, soufflez un peu”, on a essayé quand même de la mettre à l’aise. Et visiblement, quelqu’un qui avait une façon de s’exprimer assez agressive, qui en stage visiblement avait pas fait grand-chose, la synthèse était pas bien rédigée donc on a pensé que le reste du rapport c’était un peu du même tonneau. Et puis oui qui n’avait pas les réponses, et même faisait preuve de désinvolture, des “pfff”, des “chais pas”, des soupirs. Donc oui voilà vraiment passée complètement à côté. En même temps on l’a pas non plus sentie ultra déprimée73… »
75Le membre du jury est également capable de juger sa place dans la scolarité :
« Pour en avoir discuté après avec [la DES] c’est quelqu’un qui a cru, de par son expérience, qu’elle allait être un peu leader. Elle s’est retrouvée dans un groupe où il y avait beaucoup de jeunes, et en fait son rôle a été vraiment… très faible, voire même elle a été mise de côté. Donc elle s’est sentie très dévalorisée74… »
76Enfin, elle émet un jugement sur sa stratégie scolaire en vue de l’affectation géographique :
« C’était un concours interne, quelqu’un qui d’ailleurs a eu du mérite de réussir le concours parce qu’elle avait pas un gros niveau d’étude, elle a réussi le concours. Je crois qu’elle avait une idée assez arrêtée… Et en plus elle était du sud de la France je crois, elle voulait absolument retourner dans le sud. Et elle s’est aperçue que bon ce qu’elle rendait dans la scolarité allait plutôt la classer en fin de liste, qu’elle aurait pas… Et par là-dessus probablement des problèmes personnels, et voilà75. »
77Ces éléments, bien qu’univoques et rétrospectifs, donnent une vision de l’effet de catégorisation par le classement, sur le triple mode du comportement (la « désinvolture »), de la position dans l’institut (« elle a été mise de côté »), et de la carrière (« elle a eu du mérite », « elle avait une idée assez arrêtée »). On voit bien ici comment l’inscription forcée en ASU constitue une mise à l’écart du reste de l’institut, c’est-à-dire de la forme légitime du métier d’attaché. Mais ce cas limite permet de mettre en évidence un point que les autres cas ne permettaient pas nécessairement de voir. La catégorisation par le processus de classement est appuyée avec force par le travail de l’institution. Le travail du jury, en collaboration avec la DES, consiste à légitimer ou à reléguer les élèves dans les espaces de la formation, en fonction des capacités et des compétences jugées lors des épreuves (en ce qui concerne le jury) et lors du stage (pour ce qui est de la DES). Les trois « univers professionnels » apparaissent dès lors comme des espaces pré-constitués donnant un appui aux opérations de catégorisation. L’administration scolaire et universitaire recouvre tout particulièrement cette dimension, comme le cas limite évoqué permet de le voir. La membre du jury, en cherchant à démontrer la bienveillance du jury envers les élèves jugés en difficultés, dévoile les commentaires informels du jury sur ce cas :
« Bon c’est vrai que quand elle est sortie de la salle, on s’est dit, c’est bon quoi… La plaisanterie c’était de dire à la collègue qui travaillait à l’université : “bon bah ça c’est quelqu’un que tu vas retrouver”. Dans l’Éducation nationale, quoi, c’était la plaisanterie76. »
78Loin de rendre les acteurs réflexifs sur ces pratiques d’évaluation et ce qu’elles peuvent contenir de violence symbolique, cet événement semble renforcer les catégories de jugement des acteurs, et les effets de catégorisation qui les accompagnent. La filière ASU se manifeste ainsi comme le refuge des élèves jugés inaptes à exercer les fonctions qui leur seront confiées dans les administrations dans lesquelles ils seront affectés. De ce point de vue, la bienveillance constitue une étape fondamentale de la catégorisation. La recherche de justification du membre du jury vis-à-vis de la tentative de suicide n’est pas personnelle, elle dénote l’inéluctabilité du travail institutionnel et la force du classement dans la formation des attachés. Cet exemple met également en avant l’intensité de la relégation, après que l’étude statistique a montré son amplitude et sa stabilité.
79Au final, les élèves sont appelés à évoluer dans un espace hiérarchisé. Le sentiment de relégation puise ainsi sa force dans l’avenir professionnel des élèves, c’est-à-dire les possibilités de carrière mais aussi de promotion sociale que les différentes filières représentent. La filière ASU, synonyme d’un poste de gestionnaire en lycée ou collège, reste peu attirante pour nombre d’élèves. Jérémy, de parents fonctionnaires, qui a réussi le concours externe de l’IRA à 22 ans après une classe préparatoire lettres et sciences sociales, un master 2 de droit à Paris 1 et une année de préparation en IPAG, s’exclame ainsi :
« Ça fait chier, j’ai pas fait 8 ans de droit pour compter les haricots77. »
80Comme l’indiquait P. Bourdieu dès la fin des années 1970, l’« explosion scolaire » a poussé les classes moyennes et supérieures à « intensifier leurs investissements pour maintenir la rareté relative de leurs titres78 ». Le concours apparaît dans ce contexte comme un outil de distinction sur un marché du travail plus concurrentiel79. En invoquant ses « 8 ans de droit », cet élève réagit ici au déclassement relatif dont il fait l’objet en accédant à un poste de gestionnaire d’établissement. Ce déclassement, qui se produit entre des fractions internes à la catégorie A80, provient du décalage entre le niveau de formation et la mobilité sociale promise par le concours de l’IRA et son classement81. Les élèves relégués dans la filière « Éducation nationale » échappent au travail de formation qui consiste à construire une frontière sociale entre les catégories A et B de la fonction publique en vue de légitimer la figure du cadre généraliste de la fonction publique82.
81Pour les élèves issus du concours interne, c’est la trajectoire professionnelle et la promotion sociale qui sont mises en balance plutôt que le diplôme. C’est par exemple le cas de Christine, titulaire d’un master de LEA, qui passe à 38 ans le concours des IRA après avoir travaillé pendant 12 ans comme secrétaire administrative à la Justice, en évoluant depuis un poste en établissement pénitentiaire jusqu’au ministère, en passant par la direction régionale des services pénitenciers. Elle explique que son statut de catégorie B n’était plus conforme au travail réalisé effectivement, qu’elle avait un poste d’attaché « dans les faits » sans en avoir le statut ni la paye : « j’étais B+83 ». La réussite de l’IRA constitue pour elle plutôt une « satisfaction en termes de carrière ». Sa relégation en ASU porte un coup d’arrêt à cette progression. Rétrospectivement, elle explique n’avoir « pas mesuré que ça serait si difficile ». On voit ainsi que dans les IRA, les frontières sociales se dessinent en fonction des propriétés sociales et des effets de légitimité sur l’échelle du prestige84. Le classement et l’affectation dans des filières hiérarchisées produisent en période de formation des mobilités fines et des « petits déplacements85 » aux frontières de la « petite noblesse de l’État ». L’interpénétration des mécanismes de classement et des trajectoires individuelles confronte les élèves fonctionnaires à des processus accélérés de perception du déclassement social.
Le reclassement : attaché malgré tout
82Le thème de la relégation ne doit cependant pas être entendu comme un jugement sur les réquisits considérés comme nécessaires à l’encadrement intermédiaire. Les élèves en ASU sont clairement mis à l’écart, mais ils ne sont pas pour autant exclus du métier d’attaché. Ces élèves incarnent une certaine facette du mandat du cadre intermédiaire. Les cas considérés par les autres élèves comme des « surprises » du classement disent beaucoup de la manière dont le classement travaille le mandat des cadres intermédiaires en même temps que son intériorisation par les élèves.
83Virginie, élève issue du concours interne, est classée à la 3e position du classement intermédiaire. Son rang apparaît aux yeux de beaucoup comme une anomalie :
« Une dame, qui est arrivée 3e, on se demandait ce qu’elle faisait là86. »
84Ce que d’autres élèves désignent comme une « absurdité » est principalement fondé sur le paradoxe apparent entre ce que cette élève donne à voir à la promotion, et son résultat au classement intermédiaire. Pour nombre d’élèves, notamment les élèves externes, Virginie est « très discrète », voire « invisible ». Les élèves internes, comme Christine, ont plutôt tendance à voir en elle une personne qui se « sous-estime » et qui « manque de confiance en elle87 ». Mais qu’il soit avancé de manière implicite ou explicite, le jugement porté sur cette élève est toujours de la même tonalité : Virginie n’a pas l’étoffe de l’attachée d’administration centrale. Par exemple, pour un élève :
« Oui la troisième elle est pas à sa place88. »
85Malgré mon insistance, Virginie a refusé de répondre à mes demandes d’entretien, ce qui pourrait dénoter un sentiment d’illégitimité. Je ne dispose donc pas de tous les éléments pour analyser cet exemple, en particulier certaines de ses propriétés comme la profession des parents, mais je peux néanmoins faire l’hypothèse que les jugements portés sur son cas sont le produit de sa double appartenance au groupe des élèves internes et au groupe des femmes. Virginie est la seule élève issue du concours interne parmi les 10 premiers du classement intermédiaire. On a vu que la variable du concours dissimule d’autres variables, en particulier le diplôme : ancienne fonctionnaire de catégorie B à la ville de Paris, plus âgée que les élèves issus du concours externe (43 ans), elle est entrée à l’IRA par la « petite porte ». Le classement, qui privilégie toujours les élèves externes par rapport aux élèves internes, n’a pas opéré son travail de sélection sociale, et les élèves pointent l’inadéquation des propriétés et du capital symbolique de Virginie par rapport à la figure attendue de l’attaché d’administration centrale. De ce fait, Virginie est considérée comme une personne « scolaire », qui « manque de charisme ». En outre, elle ne peut pas s’appuyer sur son appartenance au groupe des hommes qui constitue dans la fonction publique comme ailleurs une ressource professionnelle89. Si on sait que la socialisation familiale, la réussite des concours, mais aussi les contraintes géographiques ou les disponibilités horaires favorisent les hommes dans l’accès aux postes d’encadrement administratif90, le cas des IRA montre que les attentes institutionnelles de réussite produites par le classement des élèves ne sont pas les mêmes en fonction du diplôme et du genre.
86À l’autre extrémité du classement, le cas de Grégoire est un exemple typique de ces déclassés du classement. Grégoire est issu d’une famille subsistante de la noblesse française, dont le nom contient deux particules. La branche de l’illustre généalogie à laquelle il appartient, et qui remonte au xve siècle selon les estimations de la famille, a plutôt fait carrière dans l’armée et la fonction publique, d’abord aux plus hauts niveaux de l’État, notamment en préfecture, puis à une échelle plus modeste. Ainsi, la mère de Grégoire est professeure des écoles, tandis que son père est cadre intermédiaire de la justice administrative. Ses deux frères, plus jeunes, poursuivent des études, l’un en école militaire, l’autre en faculté de science. Âgé de 27 ans, Grégoire a tous les signes extérieurs de l’aristocratie : gestes, façon de s’exprimer, posture, habillement. Propriétaire d’un appartement en région parisienne qu’il partage avec sa fiancée – plusieurs de ses collègues de promotion seront invités à son mariage – il habite pour l’année chez ses parents qui possèdent une propriété dans la région proche de l’IRA. Après un bac littéraire, il rejoint les États-Unis où il obtient l’équivalent du baccalauréat en High School. De retour en France, il suit des études de droit à Paris pour préparer le concours de l’ENM. Il commence en parallèle une thèse de droit qu’il abandonne pour rejoindre l’IRA. Il garde un pied à l’université en acceptant des vacations comme chargé de TD.
87Beaucoup d’élèves attentent Grégoire dans les premières places du classement. Auréolé de sa prestance sociale et de son parcours universitaire, Grégoire est rapidement repéré au sein de la promotion comme un élève brillant. Son aisance à l’oral lui permet de poser beaucoup de questions en cours, y compris en amphithéâtre aux intervenants les plus renommés :
« Un mec très brillant, quand il parle tu as l’impression d’écouter France culture […] Il posait beaucoup de question, c’était devenu la mascotte91. »
88Son 144e rang au classement intermédiaire, sur 157 élèves, est considéré comme la plus grosse surprise de la session pour la majorité de la promotion. Beaucoup d’élèves y voient le rôle de la direction et du jury :
« Un garçon complètement sabré par l’IRA, qui nous bousille tous, qui pose des questions en amphi, un phrasé particulier, et il s’est retrouvé à la fin, alors que pour moi c’est un mec qui aurait dû… […]. Le directeur l’a pris en grippe visiblement, à l’oral le jury a dit qu’il était prétentieux […]. Par sa culture et ses connaissances il nous cloue tous le bec, et on lui dit qu’il est prétentieux et qu’il sait pas parler. Ça c’est inadmissible92. »
89Si la colère de cette élève n’est peut-être pas tout à fait étrangère à son propre classement – Delphine est la première recalée de la filière administration centrale qu’elle visait – elle est un exemple de la manière dont l’appariement des places et des élèves est perçu – et dans ce cas mal perçu. Le croisement des trajectoires entre le concours d’entrée et le classement intermédiaire est difficilement lisible pour les élèves, qui fondent leur vision sur la fréquentation quotidienne de leurs collègues. Dès lors, les possibilités de choix de la direction de l’institut apparaissent logiquement comme la première cible des mécontentements. Certains élèves ont tendance à dénoncer la persistance de l’IRA à choisir un « profil » particulier :
« J’ai vu des personnes qui étaient dans mon groupe qui ont une aisance à l’oral, fantastique, qui sont vraiment au-dessus du lot, on sent qu’il y a quelque chose qui les habitent, qui se sont retrouvés dans les 10 derniers. Des personnes qui parfois étaient prof de droit communautaire, ils corrigent des copies […]. J’ai du mal à comprendre […]. Je pense que ça s’est joué au niveau des stages, ça s’est pas très bien passé […]. À l’IRA on demande un profil, on demande à ce qu’on rentre dans les habits du fonctionnaire, et pour ces personnes ça n’allait pas93. »
90D’autres cherchent davantage à individualiser le cas, et à mettre en évidence des difficultés à s’adapter aux demandes particulières de l’IRA :
« Mais ce mec-là il a pas réussi à s’adapter, à un minimum d’humilité. Il aurait dû faire l’ENA ou affaires étrangères. Ils ont un peu cassé ce mec-là alors qu’il le méritait pas. Il se retrouve en fin de classement, ASU, ça lui plaît pas. Il est brillant, il n’a rien à faire là. […] Il avait pas la faculté d’adaptation. Il ne sait pas s’écraser, avoir un chef au-dessus et que ça serait pas Hubert Védrine94. »
91Ces différents types de jugement témoignent d’un système spécifique de formation par le classement qui vient figer ou au contraire contester les représentations de ce que devrait être un bon ou un mauvais élève. Ces représentations sont surtout fondées sur la perception par les autres élèves de l’hexis corporelle, c’est-à-dire les dispositions faites corps. Du point de vue des élèves, l’hexis corporelle constitue un point d’ancrage pour fonder les distinctions entre élèves. Le « phrasé » particulier de Grégoire, sa culture savante (« tu as l’impression d’écouter France Culture »), et sa manière d’être (« on sent qu’il y a quelque chose qui l’habite ») autant que sa manière de s’habiller, le classent dans la catégorie des bons élèves. La reconnaissance et la considération portées à Grégoire dans la promotion sont dues à ce capital symbolique, à son appartenance au groupe des hommes (à l’inverse de Virginie), mais est aussi en partie héritée de son nom de famille95
92La perception de Grégoire de son propre rang au classement, de la place occupée par les autres et plus généralement de l’IRA disent également beaucoup de son inscription sociale. Son jugement sur les autres élèves est sans appel :
« Je ne me suis pas senti écrasé par le niveau intellectuel. Je me suis rendu compte en discutant avec mes collègues que c’était pas des têtes du tout96. »
93En ayant réussi le concours, et s’étant renseigné sur le fonctionnement de l’IRA, il s’attendait à un mode de formation équivalent à la classe préparatoire :
« Je m’attendais à ce que ce soit beaucoup plus intensif que ça ne l’est. Bon on a 6 heures de cours par jour. Mais je pensais qu’on allait nous conditionner à être des attachés, beaucoup de travail, d’exercices pratiques, qu’il allait falloir bachoter. Je pensais que ça allait être comme une prépa97. »
94Grégoire convoque ici cet exemple pour marquer la différence de culture savante – ce qu’il appelle le « niveau intellectuel » – entre le modèle idéalisé de la classe préparatoire98 et l’IRA où il ne rencontre pas selon lui de « défi intellectuel ». Cela n’est pas propre à Grégoire : beaucoup d’élèves tentent en fait d’étalonner leur position dans la promotion, en début de scolarité, en prévision du classement et des enjeux qu’il draine. Mais dans le cas qui m’intéresse, cette opération de mesure vis-à-vis du reste de la promotion prend un tour particulier car elle s’insère dans une position sociale particulière. La considération portée à Grégoire est finalement le propre de la noblesse, qui parvient à « transformer les privilèges en qualités innées, inhérentes à l’individu99 ». Or ces qualités, si elles ont été prises en considération par les élèves qui voyaient en lui un bon élément, n’ont pas été reconnues par l’IRA : la reconnaissance se trouve contrariée par le classement. Dès lors, il reconnaît sa « vexation » de se retrouver en bas du classement :
« J’ai été mal classé, il y a des gens que je trouvais moins bons que moi, qui étaient devant moi […]. Si j’avais eu le choix, j’aurais pas choisi éducation nationale […]. Ça m’a déçu d’être aussi mal classé, et ça m’a vexé d’être derrière autant de personnes, que je considère d’un niveau… franchement pas terrible, pas intéressant, pas sûr qu’ils soient particulièrement compétents […]. Vous voyez bien que les personnes ont du répondant, si c’est pertinent. Eh bien je les attendais dans le premier tiers. Certains sont dans la première moitié, alors que je pense qu’ils n’ont rien à faire là […]. J’ai été surpris de l’aveuglement du jury, d’avoir mis des gens incapables devant. Mais je n’en veux pas aux gens100. »
95La relégation en ASU est synonyme, pour Grégoire, d’une violente relégation sociale. Elle n’est pas seulement personnelle, elle touche à la position de Grégoire, à sa famille (comment l’annoncer ?), et à la projection qu’il faisait de son statut à moyen et long terme. C’est ce même statut qui est invoqué lorsqu’il s’agit de ne pas perdre la face, comme le montre le soin que Grégoire met, en entretien, à rappeler sa position familiale, ou à maintenir sa tenue vestimentaire :
« Moi toute ma famille – en tout cas une bonne partie – est dans l’administration, donc je sais ce qu’est un fonctionnaire101. »
« Si je me suis effectivement fait plomber par [la DES], je ne vais pas lui montrer qu’elle a eu prise, je reste en costard cravate, et ça me va bien102. »
96La reconnaissance que la promotion lui a adressée, malgré son mauvais classement, participe également du même mouvement de protection de son statut, comme l’épisode des applaudissements lors de l’« amphi de garnison » permet de l’illustrer :
« Moi je me suis fait remarquer parce que j’ai attendu que tout le monde ait fini de m’applaudir. La plupart des gens ont annoncé leur choix pendant l’applaudissement […]. Si on va jusqu’à faire cette idiotie hypocrite de nous laisser dire le choix, j’ai attendu les applaudissements. »
97En justifiant la « surprise » de son propre classement, Grégoire protège sa position mise en danger par le classement établi par l’institution. Mais le statut est touché.
98Le cas de Grégoire permet de mettre en évidence les formes sociales que prend le processus de relégation dans l’institution. Par le classement, les responsables de l’IRA excluent de la frange légitime du métier d’attaché les individus dont les propriétés ne sont pas suffisamment adéquates aux compétences requises, essentialisées autour de la figure du « cadre » et du « professionnel ». Or l’exemple de Grégoire met en évidence que ces prescriptions cognitives et comportementales peuvent faire l’objet d’une sélection, sur la base d’une qualification sociale. Le classement intervient comme un puissant outil de sélection par relégation, les individus qui ne se conforment pas aux attentes institutionnelles sont déclassés. Cela est perceptible à travers l’injonction, maintes fois entendue à propos de Grégoire qui consiste à regretter qu’il n’ait pas « fait l’ENA » plutôt que l’IRA :
« Une personne qui est doctorant, qui réfléchit trop, qui pose des questions, qui est très brillante, et qui est arrivée en fin de classement. D’ailleurs on lui a fait comprendre qu’il valait mieux que cette personne passe l’ENA vu son niveau, que l’IRA. Donc ça a joué contre elle103. »
99Grégoire n’est pas à sa place dans le classement parce qu’il n’est pas à sa place dans l’IRA. Cette façon d’accompagner le couperet du classement a pour effet d’exclure de la frange légitime de l’identité du cadre intermédiaire les individus qui ne s’y conforment pas. Il permet de valoriser la conformité au mandat du cadre intermédiaire, tandis que le concours d’entrée aux IRA soutient le niveau de compétences attendues d’un attaché en discriminant une population ayant majoritairement suivi un long cursus universitaire en droit (pour les externes) ou dans l’administration (pour les internes). En ce qui concerne Grégoire, le classement intermédiaire a eu pour fonction de réorienter drastiquement son entrée dans le métier. Tout se passe comme si le degré de docilité attendue de l’attaché d’administration centrale n’était pas suffisant dans le cas de Grégoire. Le jury comme la direction se sont fait les porte-voix des énarques qui cherchent à recruter un personnel de renfort capable d’effectuer les tâches délaissées par la haute fonction publique. Grégoire ne convenait pas aux critères du « collaborateur efficace ». En assimilant sa position sociale à sa réussite scolaire – il a l’« étoffe d’un énarque » – ils ont eu tendance à reléguer Grégoire, dont les qualités de « décideur » (« il ne sait pas s’écraser, avoir un chef au-dessus et que ça serait pas Hubert Védrine », dit Martine) l’ont emporté sur ses facultés d’« adaptation ». Le travail du classement vise à le contenir, en ajustant le recrutement du concours d’entrée à la gamme de postes que propose le statut d’attaché – depuis les ministères ou le Conseil d’État, jusqu’à la Préfecture, la direction régionale ou l’établissement scolaire.
100L’IRA le contient, mais l’IRA ne le rejette pas. Le déclassement doit être compris comme un reclassement dans un autre « univers », c’est-à-dire dans un métier dans lequel il se sent en décalage. Grégoire représente un des aspects du mandat du cadre intermédiaire. De cette façon, l’IRA remplit son objectif initial, qui est de former des individus « aptes » à exercer le métier d’attaché – mais de manière différenciée et hiérarchisée en fonction des filières. Un cas similaire intervenu dans une autre promotion corrobore cette idée. L’élève, qui avait « fait des études très brillantes, Henri IV, Normal Sup… » a été forcé de choisir la filière ASU après avoir été classé à la dernière place du classement intermédiaire. Sur la foi des dispositifs propres au travail de l’institution, la DES explique ce mauvais classement par la personnalité de l’élève :
« L’année dernière j’avais un élève qui était… des gens qu’on repère tout de suite. Dès le début de l’année j’avais repéré qu’il aurait peut-être un problème d’affirmation de soi […]. Je vais le voir en visite de stage, il m’a fait un numéro à la Mister Bean, il m’a fait attendre un quart d’heure, n’osant pas frapper au bureau de son maître de stage pour dire que j’étais là… enfin bon, tout un truc. Et c’est vrai qu’au classement intermédiaire, il s’est retrouvé dernier. Donc imaginez, après avoir fait des études aussi brillantes104… »
101L’approche par la « personnalité » apparaît comme une façon pour la DES d’essentialiser sa position donnée par ses études « brillantes » mais dont les aptitudes qui en découlent ne sont pas jugées adaptées à l’institution :
« C’est lié à la personnalité, et peut-être aussi trop d’études… déconnecté des réalités. Le problème qu’on a, c’est des élèves parfois qui manquent de sens opérationnel. Tout simplement. Ils n’ont pas le sens concret105. »
102Ce faisant, la DES dévoile ici un principe de discrimination permettant de faire la part entre les bons et les mauvais attachés : le « sens opérationnel » et le « sens concret » apparaissent comme des vertus primordiales de l’attaché, tel que le prisme de la formation permet de l’appréhender. Comme dans le cas de Grégoire, la relégation en ASU est le produit ici d’un endiguement de la figure de l’attaché d’administration centrale. Considérée comme la forme administrative la plus légitime, l’administration centrale est aussi le lieu où le cadre intermédiaire doit satisfaire aux exigences de la haute fonction publique. Il doit être à la fois docile à exécuter certaines tâches, tout en pouvant faire preuve d’un haut degré de technique – notamment juridique. De ce point de vue, la relégation en ASU n’est pas seulement une restriction d’accès à la partie la plus légitime du métier d’attaché, mais également une exclusion de l’administration centrale et de la préfecture, c’est-à-dire le lieu où se côtoient les énarques et les « irarques ». C’est en administration centrale que les cadres intermédiaires constituent le personnel de renfort de l’administration. Comme le rappelle un élève, « dans un lycée on est seul106 » ; mais cette solitude n’est pas seulement personnelle ou géographique, elle est le produit, jusque dans l’exercice de la profession, d’une relégation de la frange légitime de l’administration.
103En cloisonnant sa scolarité, l’IRA reproduit la diversité des pratiques et des positionnements internes au groupe des attachés. Le mandat du cadre intermédiaire est multiple, et ses modes d’intériorisation tout autant. La formation segmente plus qu’elle n’unifie le groupe des cadres intermédiaires de la fonction publique. Elle ne parvient pas réellement à pourvoir à ce groupe l’unité qui lui conférerait l’état du « corps interministériel ». La DGAFP avait pourtant investi les IRA comme un atelier de construction de cette unification, afin de faire de ce « corps » le principal fondement des politiques de réforme de l’État. Mais son ambition a buté contre la force de la hiérarchie administrative.
Conclusion
104L’importance que revêt le classement aux yeux des élèves, voire l’obsession dont il fait l’objet, les conduit à adopter des comportements liés aux enjeux que draine la scolarité : qu’il s’agisse d’usages stratégiques (pro-actifs) ou de modes d’appropriation non nécessairement conscients, le classement agit le plus souvent comme un dispositif de conformation. Mais les appropriations peuvent également être « hétérodoxes107 », dans le sens où elles permettent un ajustement à la trajectoire individuelle et aux propriétés sociales de l’individu, pouvant aller jusqu’à l’exit.
105Durant l’année de formation, le classement hiérarchise, légitime, relègue, déclasse, reclasse. Avec la filière ASU, le risque de la relégation est omniprésent. Le classement intermédiaire, mis en place en 2007, permet de repérer les comportements jugés conformes aux exigences institutionnelles, tandis que la « résignation » comme l’« arrogance » sont réprouvées. Le classement reproduit en partie la hiérarchie de l’administration. Le mandat de l’attaché d’administration se trouve éclaté, et les appropriations des différentes figures du cadre intermédiaire sont diverses. La formation, cloisonnée en son sein, ne parvient pas à faire tenir ensemble les pratiques des cadres intermédiaires, si ce n’est de manière artificielle autour de la notion polysémique de « professionnalisation ». À l’échelle des pratiques de formation, le « corps interministériel » des attachés d’administration, considéré comme nécessaire à la diffusion et à l’ancrage des réformes de l’administration, reste ainsi une illusion.
106S’intéresser aux effets de l’institution sur les élèves donne à voir les processus variés de conformation ou de distanciation des élèves au mandat de cadre intermédiaire, et permet de dégager les conditions de leur intériorisation. Ce travail institutionnel intense, les recompositions individuelles et de trajectoires qu’il provoque, donnent à voir une socialisation en train de se faire, et qui apparaît comme une étape d’une « socialisation continue108 » plus large. Les processus d’intériorisation du mandat du cadre intermédiaire ne peuvent pas être détachés de sa construction. Les enquêtes en sociologie de l’État et de l’action publique peuvent ainsi trouver un prolongement dans l’étude des modes d’intériorisation des dispositions, afin d’éclairer sous une autre lumière l’organisation, le fonctionnement et les transformations de l’État.
Notes de bas de page
1 Foucault Michel, Surveiller et Punir, op. cit., p. 188.
2 Avec cette notion je souhaite analyser conjointement les trajectoires individuelles et les dynamiques institutionnelles dans lesquelles elles s’inscrivent, c’est-à-dire étudier « l’organisation du travail déployée à suivre » la scolarité des élèves, « ainsi que les effets que ce travail et son organisation ne manquent pas d’avoir sur ceux qui s’y trouvent impliqués », Strauss Anselm, La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 144-145.
3 Bertrand Julien, Coton Cristel et Darmon Muriel et alii, « Introduction. Les classements dans les institutions de formation », Sociétés contemporaines, no 102, 2016/2.
4 Bertrand Julien, Coton Cristel et Nouiri-Mangold Sabrina, « Des écoles d’excellence en dehors de l’École : formation au métier et classements scolaires », Sociétés contemporaines, no 102, 2016/2.
5 Eymeri Jean-Michel, La fabrique des énarques, op. cit.
6 C’est-à-dire l’ensemble des dispositions faites corps, manière « de se tenir, de parler, de marcher, et par là de sentir et de penser », manifestant la logique de l’habitus – et dans lequel elles se trouvent naturalisées, Bourdieu Pierre, Le sens pratique, op. cit., p. 117.
7 Darmon Muriel, Classes préparatoires, op. cit. ; Lignier Wilfried et Pagis Julie, « Quand les enfants parlent l’ordre social », Politix, no 99, 2012, p. 23-49.
8 Lahire Bernard, L’homme pluriel, op. cit., p. 92 et 94 ; Lahire Bernard, Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales, Paris, Seuil, 2012.
9 À partir de 2019, une nouvelle réforme de la scolarité modifie les conditions d’affectation et de titularisation, mais le processus de classement reste globalement le même : les élèves se trouvent classés en milieu de scolarité et choisissent en fonction de leur rang l’administration ou le poste sur lequel ils seront titularisés à la fin de la formation.
10 Selon leur rang dans le classement, les élèves choisissent, lors d’un « amphi de garnison », la filière (classement intermédiaire) ou le poste (classement final).
11 La plus grande partie de l’enquête ethnographique s’est déroulée dans deux IRA distincts, en 2008-2009 et en 2011-2012.
12 Une partie de ces analyses a fait l’objet d’une publication de l’auteur dans Politix, vol. 31, no 124, /2018, p. 137-160.
13 Taieb Emmanuel, « Persistance de la rumeur », Réseaux, vol. 2, no 106, 2001, p. 231. Voir aussi Aldrin Philippe, « Penser la rumeur. Une question discutée des sciences sociales », Genèses, vol. 1, no 50, 2003, p. 126-141.
14 Emiliane, int. (Éducation nationale), 42 ans, 77, bac, 154/65 ASU.
15 Alexis, int. (Douanes), 31 ans, 62, DESS, 102/38 ATE.
16 Delphine, ext., 25 ans, 75, Mdroit, IPAG, 61/31 ATE. « Santa Barbara » est une série télévisée américaine de 2137 épisodes diffusée dans les années 1980 et 1990, qui se présente comme un huis-clos sentimental où la rumeur est centrale.
17 Maud, ext., 25 ans, 59, Mdroit, prep, IPAG, 59/6 ATE.
18 Eymeri Jean-Michel, La fabrique des énarques, op. cit., p. 179-191.
19 Eymeri Jean-Michel, La fabrique des énarques, op. cit.
20 Ibid., p. 186.
21 Catherine Lamy, IGAS, directrice d’un IRA (2002-2006), entretien.
22 Emmanuelle Kervil, attachée puis administratrice civile, directrice des études et des stages d’un IRA, 2008-2013, entretien.
23 Sylvain, ext., 29 ans, 94, Mscience politique/communication, 109/22 ASU.
24 Hélène, ext., 25 ans, 75, Msciencepo, prépENA, 1/1 AC.
25 Maud, ext., 25 ans, 59, Mdroit, prep, IPAG, 59/6 ATE.
26 Hervé, 3e (comédien), 30 ans, 91, bac, IPAG, 11/6 ASU.
27 Nadège, ext., 24 ans, 75, mdroit, IPAG, 110/39 ASU.
28 Angelica, ext., 29 ans, 75, MGéopolitique, 78/9 ATE.
29 Aurélie B., int. (hospitalière), 31 ans, 95, mAES, 37/7 ASU. Avesne-sur-Helpe, au même titre que Maubeuge, fait partie des communes qui constituent un repoussoir dans les IRA. Ces exemples sont utilisés par les élèves, souvent sur le ton de la plaisanterie, pour désigner les postes les plus délégitimés : gestionnaire d’établissement dans une petite commune de la région.
30 Bourdieu Pierre, La Noblesse d’État, op. cit.
31 Merci à Mickaël Rigault pour son travail de mise en forme des données qui sont présentées dans ce chapitre.
32 0 = premier reçu ; 1 = dernier reçu.
33 Aurélie D., int. (Culture), 31 ans, 02, mhistoire, IPAG, 24/8 ASU.
34 Bourdieu Pierre, La Noblesse d’État, op. cit. ; Kesler Jean-François, L’ENA, la société, l’État, op. cit.
35 Cette expression sert à désigner la petite dizaine de places en haut du classement à l’ENA, permettant l’accès aux « grands corps ». Voir Eymeri Jean-Michel, La fabrique des énarques, op. cit., p. 220.
36 Observation – classement intermédiaire – mars 2009 – IRA.
37 À partir de septembre 2019, le classement intermédiaire est remplacé par un classement intervenant lui aussi en milieu de scolarité, permettant aux élèves de choisir une administration au sein de laquelle ils seront titularisés en fin d’année. Il n’est dès lors plus question d’« univers professionnels », mais d’enseignements spécifiques dits de « contextualisation » dispensés sur une plus courte période.
38 Par exemple en 2008-2009, la trentième et dernière place en AC a été choisie par le 60e élève sur 157. La dernière place en ATE (qui offre en tout 53 places) a été choisie au 107e rang. Les élèves figurant dans le dernier tiers du classement, de la 108e à la 157e place (49 places, soit 31,2 %) ont donc été contraints de choisir l’« univers » ASU. Voir infra le graphique « Répartition des choix d’univers professionnels par tiers de classement ».
39 Véronique, int. (Défense), 32 ans, 75, mdroit, 15/12 AC.
40 Angelica, ext., 29 ans, 75, MGéopolitique, 78/9 ATE
41 Comme me l’indique par courrier un ancien directeur d’IRA après la lecture de la thèse, faisant remarquer que « si les élèves de l’IRA (comme à l’ENA d’ailleurs) doivent énoncer oralement leur choix à l’issue du classement, et l’énoncer tous, ce n’est pas par un effet de caprice des directions ».
42 Martine, ext., 27 ans, Paris (75), Mdroit, prepENA, 22/6 AC.
43 Ibid.
44 Olivier, ext., 25 ans, 59, mdroit, prép, 115/64 ASU.
45 Marion, ext., 25 ans, 75/59, IEP, prepENA, 6/4 AC.
46 Delphine, ext., 25 ans, 75, Mdroit, IPAG, 61/31 ATE.
47 Christine, int. (Justice), 38 ans, 75, MLEA, 67/29 ASU.
48 Julien, ext. 29 ans, 59, Mhistoire, 52/19 ATE.
49 Grégoire, ext., 27 ans, 62, Mdroit, IPAG, 144/49 ASU.
50 Delphine, ext., 25 ans, 75, Mdroit, IPAG, 61/31 ATE.
51 Ibid.
52 Sylvain, ext., 29 ans, 94, Mscience politique/communication, 109/22 ASU.
53 Ibid. La démission pour « convenance personnelle » a un prix : par jurisprudence, le conseil d’administration de l’IRA, qui statue sur la demande de démission, demande un remboursement de la moitié des traitements reçus jusqu’alors. Sur la base de l’indice (340) au 1er septembre 2017, un élève démissionnaire fin février devrait donc rembourser 3965,67 euros (1321,89 euros de traitement net mensuel, incluant les indemnités de formation).
54 Ibid.
55 Françoise Bonnafous, agrégée d’économie, directrice des études et des stages d’un IRA (2006-2009), directrice par intérim (2006-2007), entretien.
56 Eymeri Jean-Michel, La fabrique des énarques, op. cit., p. 239.
57 Ibid. ; Allouch Annabelle, La société du concours. L’empire des classements scolaires, Paris, Seuil, 2017.
58 À partir de septembre 2019, le classement intermédiaire est remplacé par un classement intervenant lui aussi en milieu de scolarité, permettant aux élèves de choisir le poste sur lequel ils seront titularisés après une période de formation et une période de stage (ou de « pré-affectation »). Les « univers professionnels » sont supprimés au profit d’enseignements spécifiques dits de « contextualisation ». Si une enquête complémentaire est nécessaire, on peut faire l’hypothèse que les effets et les logiques sociales du processus de classement demeurent globalement inchangées.
59 Martine, ext., 27 ans, 75, Mdroit, prepENA, 22/6 AC.
60 Véronique, int. (Défense), 32 ans, 75, mdroit, 15/12 AC.
61 Ibid.
62 Maud, ext., 25 ans, 59, Mdroit, prep, IPAG, 59/6 ATE.
63 Sylvain, ext., 29 ans, 94, Mscience politique/communication, 109/22 ASU.
64 La proportion plus importante des élèves internes à choisir ASU dans le premier tiers du classement (20 %, contre 8,2 % pour les élèves externes, sur l’ensemble des années de 2008 à 2013) s’explique principalement par des raisons géographiques, comme on le verra dans la suite du chapitre.
65 Hervé, 3e (comédien), 30 ans, 91, bac, IPAG, 11/6 ASU.
66 Ibid.
67 Ibid.
68 Claire, ext., 26 ans, 92, mdroit, IPAG, 107/52 ATE.
69 Bourdieu Pierre, La Noblesse d’État, op. cit., p. 141.
70 Voir note de bas de page 53.
71 Laure (questionnaire de contrôle), 2011-2012.
72 Par exemple : « On n’avait pas le sentiment que le problème venait du jury, et d’ailleurs ça nous a été confirmé par [la directrice des études] []. Elle devait peut-être penser qu’intuitivement elle avait pas été bonne. Et puis donc on a plutôt échangé pour dire qu’on ne pensait pas que le jury puisse être mis en cause dans cette affaire-là, que c’est plutôt une accumulation de problèmes personnels, une insatisfaction, une frustration par rapport à ce qu’elle pouvait attendre de l’IRA, son avenir []. À mon avis il y a d’autres choses qui entrent en ligne de compte, c’est peut-être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », membre d’un jury de classement.
73 Ibid.
74 Ibid.
75 Ibid.
76 Ibid.
77 Jérémy ext., 22 ans, 93, Mdroit, IPAG, 77/15 ASU.
78 Bourdieu Pierre, « Classement, déclassement, reclassement », Actes de la recherche en sciences sociales, no 24, 1978, p. 2-22.
79 Voir Allouch Annabelle, La société du concours, op. cit.
80 Hugrée Cédric, « Aux frontières du “petit” salariat public et de son encadrement », art. cité.
81 Peugny Camille, Le déclassement, Paris, Grasset, 2009.
82 Se reporter au chapitre 4 de cet ouvrage.
83 Christine, int. (Justice), 38 ans, 75, MLEA, 67/29 ASU.
84 Naudet Jules, Entrer dans l’élite. Parcours de réussite en France, aux États-Unis et en Inde, Paris, PUF, 2012.
85 Lahire Bernard (2006), La culture des individus, op. cit.
86 Hervé, 3e (comédien), 30 ans, 91, bac, IPAG, 11/6 ASU.
87 Christine, int. (Justice), 38 ans, 75, MLEA, 67/29 ASU.
88 Julien, ext. 29 ans, 59, Mhistoire, 52/19 ATE.
89 Marry Catherine et alii, « Le genre des administrations », art. cité.
90 Ibid.
91 Martine, externe, 27 ans, Paris (75), Mdroit, prepENA, 22/6 AC.
92 Delphine, ext., 25 ans, 75, Mdroit, IPAG, 61/31 ATE.
93 Alexis, int. (Douanes), 31 ans, 62, DESS, 102/38 ATE.
94 Martine, externe, 27 ans, Paris (75), Mdroit, prepENA, 22/6 AC.
95 Le « nom des vieilles familles synthétise cette forme de capital qui résume toutes les autres, le capital symbolique : le patronyme connote [] toutes les richesses, matérielles et immatérielles. Il renvoie aux possessions et aux relations, aux patrimoines et aux savoirs », Pinçon Michel et Pinçon-Charlot Monique, Sociologie de la bourgeoisie, Paris, La Découverte, 2000, p. 22.
96 Grégoire, ext., 27 ans, 62, Mdroit, IPAG, 144/49 ASU.
97 Ibid.
98 Darmon M., Classes préparatoires…, op. cit.
99 Pinçon Michel et Pinçon-Charlot Monique, Sociologie de la bourgeoisie, op. cit., p. 22.
100 Grégoire, ext., 27 ans, 62, Mdroit, IPAG, 144/49 ASU.
101 Ibid.
102 Ibid.
103 Angelica, ext., 29 ans, 75, MGéopolitique, 78/9 ATE.
104 Claire Monfils, attachée, directrice des études et des stages d’un IRA (2006-2013), entretien.
105 Ibid.
106 Sylvain, ext., 29 ans, 94, Mscience politique/communication, 109/22 ASU.
107 Thin Daniel, « Milieux populaires et logiques socialisatrices dominantes : une analyse de la confrontation », mémoire HDR, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 2010.
108 Darmon Muriel, La socialisation, op. cit.
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