1L’organisation générale de la scolarité des IRA à partir de 20071 est entièrement marquée du sceau du compromis passé entre la DGAFP et la DPMA. Le temps de la formation est littéralement coupé en deux, et fait cohabiter les deux logiques de la transversalité et de la spécialisation qui se sont affrontées lors de la conception de la réforme. À quelles définitions de la figure de l’attaché ces deux logiques contradictoires renvoient-elles ? Pour le savoir, il faut s’intéresser à la fabrication en actes des curricula, c’est-à-dire « l’ensemble, institutionnellement prescrit et fonctionnellement différencié et structuré, de tout ce qui est censé être enseigné et appris, selon un ordre déterminé de programmation et de progression, dans le cadre d’un cycle d’études donné2 ». Jusqu’à une période récente3, la prise en compte des curricula – c’est-à-dire des programmes de formation – dans la sociologie de l’administration et de la formation des fonctionnaires, et même dans la sociologie de l’éducation et de la formation en général, était largement négligée. Comme l’indique B. Lahire, à trop vouloir mettre en évidence les mécanismes de reproduction pour comprendre les inégalités sociales devant l’école, la sociologie de l’éducation nous laisse « dépourvus face à ce qui fait le sel du monde scolaire et social, à savoir les contenus (variables historiquement) des activités qui s’y trament et des savoirs qui y circulent […], les dispositions qui, incessamment, s’y constituent et reconstituent4 ». Or la compréhension de la construction du mandat des cadres intermédiaires ne peut se soustraire à l’analyse du modelage institutionnel des savoirs dans les IRA. Je chercherai dans ce chapitre à dégager les « ressorts cognitifs5 » de l’encadrement intermédiaire. L’étude de la fabrication des savoirs a pour intérêt de faire apparaître les tensions à l’œuvre dans les définitions que les acteurs souhaitent donner à l’encadrement intermédiaire. Le cas des attachés d’administration, du fait de leur position, à la fois encadrants et encadrés, interroge la tension, stabilisée depuis P. Bourdieu et R. Christin, entre les modèles « généraliste » et « technicien » du fonctionnaire6. Ces deux figures, si elles renvoient à des pratiques effectives qui sont hybrides, se trouvent modélisées en période de formation. Cette distinction n’est pourtant pas sans poser problème : il s’agit de catégories de classement indigènes que l’on retrouve sur nombre de terrains de manière plus ou moins explicite, recouvrant parfois des réalités différentes7. Il n’est donc pas question de reprendre ces catégories constituées, mais plutôt de les (re)construire en les éprouvant vis-à-vis du terrain. La focale des savoirs est ainsi une façon d’éclairer tout à la fois la constitution en actes des programmes d’enseignements dans les écoles de formation au service public, et la manière dont ces savoirs, en faisant émerger des figures de l’attaché, contribuent à la construction du mandat du cadre intermédiaire de la fonction publique. Pour mener à bien ce projet, il est utile de démêler le processus de construction des programmes et des plans de formation, à partir de l’étude de la mise en œuvre pédagogique de la réforme de 2007 (1). Ce travail de construction et d’ajustement des savoirs correspond à un travail de valorisation des savoirs instrumentaux, dont le « management » apparaît comme la principale composante (2).

La construction en actes des programmes : les directeurs s’approprient la réforme de 2007

2La réforme de la scolarité en 2007 offre aux directeurs des IRA l’opportunité de transformer la forme et le fond des enseignements, pour donner un contenu qui soit cohérent avec leur vision du rôle de l’attaché et de son activité dans l’administration. Il s’agit de comprendre comment les directeurs construisent ces programmes.

De la transformation de l’architecture de formation à la refondation des contenus des enseignements

3La réforme de 2007 a d’abord modifié l’architecture de la scolarité. Les discussions entre les ministères ont débouché sur une scolarité divisée en deux périodes distinctes : une période dite de tronc commun qui permet au ministère de la Fonction publique de préserver le caractère transversal de la formation et donc de poursuivre son ambition de constitution du « corps interministériel » des attachés ; une période de spécialisation selon trois « univers professionnels », qui donne l’occasion à l’Éducation nationale de replacer la formation des attachés de l’administration scolaire et universitaire dans le giron de son ministère, tout en externalisant cette tâches aux IRA. Contrainte d’accepter l’introduction d’une période de spécialisation, défendant l’interministérialité du corps avec moins d’ardeur que dans les années 1970 et 1980, la DGAFP met en place un classement intermédiaire dans la scolarité des IRA, longue d’une année. Ce classement intervient à la fin du mois de février, séparant le temps de la scolarité en deux périodes. La période de tronc commun, en proposant un enseignement généraliste, permet de sauver a minima le caractère transversal de la formation. La période d’approfondissement est divisée en trois « univers professionnels » : administration centrale (AC), administration territoriale de l’État (ATE), administration scolaire et universitaire (ASU). Chaque période est entrecoupée d’un stage de respectivement 7 et 8 semaines. Le classement intermédiaire sépare les deux périodes. Il est publié après six mois de formation sur la base d’une première série d’épreuves dites de « classement » (stage, oral de classement, rédaction d’une note de service…). Il est déterminant dans le choix des trois « univers professionnels ». Dans l’ordre du classement, chaque élève choisit une section de spécialisation. Le second classement, dit « classement final », a lieu à l’issue de la formation. Il est triple : dans chaque « univers professionnel », les élèves choisissent leur affectation en fonction du classement propre à leur section8.

4La structuration de la formation s’accompagne d’un travail de définition des enseignements. Ce travail est d’abord celui de la tutelle des IRA, le DGAFP, qui fixe par arrêté les seuils horaires et les grands contours des « modules » d’enseignements, par exemple pour le module de « management » :

« Le management. Cet enseignement a notamment pour objectif de permettre aux élèves d’acquérir les compétences nécessaires à l’exercice de leurs futures missions de conception, de modernisation, de gestion et d’encadrement9. »

5Cette cohérence pédagogique est justifiée par le caractère national des instituts. Toutefois, le relatif abandon de l’objectif de l’interministérialité du « corps » des attachés, qui avait animé la DGAFP depuis 1970, n’incite pas la DGAFP à suivre avec une grande précision la mise en œuvre de la réforme, déléguée aux directeurs. À la DGAFP, les politiques de formation constituent une préoccupation relativement mineure par rapport aux politiques interministérielles plus globales de gestion du personnel administratif ; et à l’intérieur du champ de la formation, les IRA n’ont qu’un intérêt mesuré en comparaison des enjeux politiques et médiatiques qui sont soulevés par la gestion de l’ENA. Pour la DGAFP, la période qui suit la réforme des IRA est une période de réorganisation interne qui mobilise l’essentiel des forces vives, suite à l’adoption d’un nouvel organigramme au 1^er janvier 2007. S’ensuit une série de déménagements consécutifs aux rattachements successifs de la DGAFP à Matignon, à Bercy (jusqu’au 18 mai 2007), au ministère du Travail (à partir du 22 mars 2010), à Bercy (à partir du 14 novembre 2010), puis enfin de nouveau au Premier ministre, mis à disposition du ministère de la Fonction publique (à partir du 29 juin 2011). Ce contexte n’est donc pas le plus propice à un suivi systématique dans la mise en œuvre de la réforme.

6De son côté, le ministère de l’Éducation nationale définit les programmes d’enseignements de la filière Administration scolaire et universitaire (ASU), en faisant parvenir à la DGAFP un document de 8 pages intitulé « Contenus de la formation des attachés d’administration scolaire et universitaire dans les IRA », qui détaille selon trois modules les grands thèmes que les futurs attachés ASU devront apprivoiser durant le semestre de formation en « univers professionnel ». Une rapide comparaison avec les programmes tels qu’ils ont été mis en place à la rentrée 2008 fait apparaître une grande similitude, montrant la mainmise de la direction des personnels du ministère de l’Éducation nationale sur la filière ASU des IRA.

La mise en œuvre pédagogique de la réforme de 2007

7Le rôle de la direction des IRA est central sur le plan pédagogique. Il désigne les membres du personnel enseignant et propose au ministre chargé de la Fonction publique la constitution d’un jury « chargé d’évaluer les élèves et d’apprécier leur aptitude à être titularisés10 ». L’arrêté précise les frontières de son action : le directeur, en tant que « responsable de l’organisation de la formation et de l’organisation des épreuves permettant l’évaluation des élèves », est chargé de la « conception et de la mise en œuvre des programmes de formation, des modalités et méthodes pédagogiques et du choix des intervenants », il assure « l’information des membres du jury chargé d’établir le classement intermédiaire et le classement final », et il « tient à jour le dossier de chaque élève », que le jury de scolarité peut consulter11. Le directeur de l’institut a donc le loisir, dans le respect de la forme qui garantit la coordination entre les IRA, de moduler les enseignements et les modes d’évaluation. Pour ce faire il est accompagné de la direction des études et des stages (DES). Les textes n’indiquent que très peu de choses sur le rôle de la direction des études et des stages (elle « assiste » le directeur dans ses « tâches pédagogiques12 »), ce qui confère à cette fonction un rôle ambigu dans la pratique : les fonctions effectives de la direction des études dépendent en grande partie de la place qui lui est laissée par la direction de l’institut. Le plus souvent, la pratique commande une division des tâches selon le critère de l’activité : la DES travaille surtout aux tâches internes à l’institut, et la direction de l’institut prend davantage en charge la visibilité et l’attractivité de l’établissement (relations avec la DGAFP, avec les autres instituts, et avec les écoles du RESP13). Certes cette partition n’est pas toujours respectée, comme l’explique cette directrice d’IRA :

« J’en ai consommé beaucoup [de DES] […]. Il n’y a pas de place pour deux, à partir du moment où moi j’avais la volonté d’investir ce dispositif, les gens étaient forcément malheureux avec moi, parce que encore une fois il y a quand même 130-150 élèves, il n’y en a pas 2000, donc on est une toute petite maison14. »

8Ce cas particulier montre que la direction de l’institution entend également jouer un rôle dans l’activité interne des IRA. C’est d’ailleurs ce que confirme un directeur d’IRA, réagissant à la lecture de ma thèse, mécontent du rôle que je lui prêtais :

« À l’exception de mes congés ou de réunions à l’extérieur, j’ai toujours et de manière systématique arpenté couloirs, salles, foyer des élèves et amphithéâtre et ce, quotidiennement15. »

9Il n’en demeure pas moins que dans la plupart des IRA, la direction des études et des stages se trouve aux avants postes dans les tâches pédagogiques, en particulier dans la mise en œuvre pratique de la réforme de 2007.

10Tandis que l’introduction d’une période de spécialisation réservée à la formation des attachés du ministère de l’Éducation nationale remet profondément en cause l’aspect généraliste de la formation des attachés d’administration, les directions des IRA tentent de tirer la couverture du compromis à elles. L’objectif est de profiter de la souplesse laissée par la tutelle pour réinjecter dans la mise en œuvre certains enjeux internes aux IRA. Ainsi, certains acteurs dans les IRA cherchent à faire perdurer l’interministérialité de la formation malgré la mise en place d’une période de spécialisation. C’est le cas par exemple de Catherine Lamy, alors directrice d’un IRA, qui tenait la ligne de défense de l’interministérialité contre une DGAFP ayant, selon elle, « épousé des préoccupations d’opportunité de l’Éducation nationale ». D’autres membres de l’encadrement administratif des IRA, le plus souvent les directions des études et des stages, partagent cette vision, et tentent d’atténuer les effets de la division de la scolarité. C’est le cas de Françoise Bonnafous, DES dans un IRA, qui assure l’intérim de la direction de l’institut après la démission de Catherine Lamy. Son équipe, en charge de la construction des programmes, s’aperçoit, au moment de mettre sur pied les enseignements de la nouvelle scolarité pour la rentrée 2007, qu’il est difficile de définir des enseignements strictement par section. L’étanchéité des trois « univers professionnels » ne se vérifie pas, et le nouvel édifice de la scolarité se trouve fragilisé. La principale difficulté réside dans le fait de mettre en adéquation le programme des enseignements avec la nouvelle organisation de la scolarité. Le problème se pose avec d’autant plus d’acuité que les attachés d’administration centrale du ministère de l’Éducation nationale sont formés au sein de l’univers professionnel « administration scolaire et universitaire », et non de l’univers professionnel « administration centrale », comme cela avait été initialement le vœu de la DGAFP. Françoise Bonnafous relate le problème :

« On a fait très vite des cours pour les trois UP [univers professionnels], en seconde période. Par exemple l’univers éducation nationale, il y en a qui partent en centrale, donc il fallait des choses de centrale […] par exemple sur le contrôle de gestion, il fallait bien que les gens de l’éducation nationale y assistent. Et on a fait au moins 20 ou 30 % de cours communs entre l’UP administration centrale et l’UP ATE [administration territoriale de l’État]. On en faisait un bon paquet, ce qui était mal vu à la DGAFP16… »

11La fabrique des enseignements apparaît comme un moyen de faire se chevaucher les univers professionnels. La création de cours communs à deux ou trois univers professionnels prévus par la réforme permet aux tenants de la vision interministérielle de minimiser l’incidence de la division en spécialité de la seconde partie de la scolarité. Parallèlement au travail sur les intitulés, l’activité de recherche et de gestion des intervenants constitue un deuxième levier de la définition des enseignements. Les directions des IRA se saisissent de cet outil pour transformer les enseignements dans un sens qui corresponde plus directement à leur vision de la formation proposée aux attachés.

Contrôle et transformation des savoirs : la gestion des intervenants

12Dans les IRA, les intervenants ne sont pas permanents. Si beaucoup sont reconduits d’une année sur l’autre, ils ne forment pas une équipe pédagogique fixe et homogène. La tâche qui consiste à trouver des intervenants revient en pratique à la DES. Le directeur d’un IRA le rappelle lorsqu’il explique que son travail consiste surtout à suggérer des noms à la directrice des études de son établissement, ce qu’il appelle « l’effet réseau » :

« Quand j’ai voulu faire intervenir sur la RéAT [réforme de l’administration territoriale de l’État], j’ai fait intervenir X, qui est un collègue de promo, qui était directeur de l’ARH [agence régionale d’hospitalisation] de R., qui a été sous-préfet de H., qui est maintenant dir. cab. de Roselyne Bachelot. Donc ils ont vu quelqu’un qui apporte… Bon le préfet intervient…, etc. Mais par exemple les intervenants très techniques, par exemple la comptabilité, etc., c’est l’équipe de Claire [Monfils] qui travaille17. »

13En mobilisant le « réseau », la ligne directrice donnée aux enseignements par les IRA peut apparaître comme le fruit de l’agrégation de choix distincts et non nécessairement planifiés. Tel n’est pourtant pas le cas. La direction des IRA met en œuvre un dispositif clair et normé, afin de garder la main sur la ligne donnée aux enseignements. Ce dispositif pédagogique repose sur un outil appelé « charte du formateur ». La réforme de 2007 a contribué à généraliser la pratique de la « charte du formateur », lui donnant davantage de poids qu’elle n’en avait jusqu’à alors. Il s’agit de fiches rédigées par la direction de l’IRA, qui permet de rappeler les textes juridiques et de cadrer l’intervention des formateurs en cours, en donnant un ensemble de règles ou conseils pratiques. Le premier objectif de ces « chartes du formateur » est de mettre en cohérence le travail de l’intervenant avec le cadre prescrit par la DGAFP. Par exemple dans le document suivant sont rappelés le cadre juridique, l’environnement administratif, pédagogique et temporel dans lequel le cours s’inscrit, les outils à dispositions de l’intervenant, les règles qu’il est appelé à respecter.

14Le second objectif de ces « chartes » consiste à mettre en cohérence le contenu de l’intervention du formateur par rapport aux attentes et aux catégories de perception des professionnels des IRA. De fait, ce contrat est conçu comme un outil de gestion des intervenants, comme l’indique cette directrice des études et des stages :

« Quand quelqu’un intervenait, on lui faisait une fiche où on lui indiquait l’intitulé, la durée, le moment où se situait sa conférence dans la formation, ce qu’ils savaient sur le sujet, quelles étaient nos attentes […]. Et donc il y avait une commande très précise qui était faite. Avec envoi de power point avant. Moi et [mon adjointe] on les lisait les Power point18. »

15Ainsi, le contrat ne s’arrête pas à l’encadrement de l’intervention par le formateur. La direction des IRA entend également, par cette « charte », intervenir directement sur le contenu des enseignements. L’extrait suivant en donne une bonne illustration.

16Ces deux extraits mettent en évidence la fonction de la « charte » qui consiste à donner un programme précis accompagné d’une méthodologie, à destination des intervenants. Ce faisant, la direction bicéphale des IRA apparaît comme l’acteur central du processus de constitution de l’orientation pédagogique de la formation dans les IRA.

17Plus largement, le contexte spécifique de la réforme de 2007 donne aux directeurs des IRA l’occasion de remanier l’équipe des intervenants. L’IRA de Lille, par exemple, a été dirigé pendant 18 ans par le même directeur, Philippe Georges19, de 1981 à 1999. Ses successeurs, Danielle Bugeaud20 et Pierre Gevart21, ont exercé des mandats courts, et le secrétaire général est resté le même pendant 25 ans. Lorsqu’il est nommé directeur de l’IRA en mai 2006, Jacques Godard identifie ce passé comme une « sclérose22 ». Le reproche principal porte sur les intervenants, jugés trop éloignés des « réalités de l’administration », et de ses « mutations23 ». La réforme de 2007 donne l’opportunité d’opérer un renouvellement des intervenants. La réforme de la scolarité permet ainsi au directeur de l’IRA d’évincer certains intervenants réguliers qui bénéficiaient selon lui de « rentes de situation » :

« Sur la pédagogie il y avait des rentes de situation, d’intervenants, etc. Donc la réforme nous a facilité, de dire à un intervenant qui est juge au Tribunal administratif, ou quelqu’un qui est cadre dans une préfecture, de dire : “on vous prend plus parce que vous ne convenez pas”. »

18La réforme a été utilisée pour remercier des intervenants de longue date mais dont l’IRA ne pouvait pas se séparer au risque de nuire à la réputation locale de l’institution. Dès lors, la réforme de l’organisation de la scolarité est utilisée comme une opportunité pour recomposer le plan de formation autour de nouveaux intervenants. Cette opportunité est évoquée par la directrice des études et des stages de l’IRA de Lille dans cet extrait d’entretien :

« Qui dit réforme dit plus de professionnalisation, dit aussi justement des intervenants issus du milieu professionnel. Ce qui m’a permis de faire un peu un ménage, un renouvellement de nos intervenants24. »

19La réforme de l’organisation de la scolarité se double donc d’une refonte de la formation via le choix des intervenants.

20En définitive, la construction des enseignements et la gestion des intervenants constituent les deux appuis sur lesquels les directions des IRA fondent leur travail. Elles jouent ainsi sur deux tableaux. D’un côté elles misent sur la cohérence avec le cadre tutélaire via le calibrage des intitulés des enseignements. D’un autre côté elles conservent une stratégie de long terme qui repose sur l’exercice de la définition du contenu des enseignements, par le truchement du choix des intervenants et de leur contrôle via la « charte du formateur ». La réorganisation scolaire de 2007 est apparue comme une opportunité pour la direction des IRA dans leur objectif de construire des enseignements cohérents avec leur vision du rôle de l’attaché. Ayant compris comment sont construits les savoirs, il est maintenant possible de s’intéresser à leur contenu.

La « professionnalisation » de la formation : des savoirs instrumentaux au cœur des curricula

21Une des principales transformations provoquée par la réforme de 2007 peut être qualifiée de « méthodologisation » de la formation, c’est-à-dire le processus observable qui consiste à faire de l’enseignement des savoirs instrumentaux le cœur de la formation des IRA. La « professionnalisation » revendiquée par les acteurs des IRA se fonde sur cette instrumentation des curricula, et permet de justifier leur vision de l’encadrement intermédiaire dans l’État.

Mises en situation, exercices, études de cas : la prégnance des savoirs de type instrumental

22Dans le programme des IRA, un premier type de savoir est disciplinaire. Enseignés sous une forme académique, ces savoirs permettent de brosser le paysage dans lequel les attachés vont évoluer une fois en poste : « l’évolution du paysage institutionnel français25 », « l’état de la décentralisation », « l’état de la construction européenne et rappel des institutions » ou encore « l’évaluation des politiques publiques : les grands principes ». Ce sont des cours qui portent sur des auteurs ou des courants de pensée renvoyant à des disciplines constituées comme le droit ou la sociologie. Outre certains cours de droit, ces IRA peuvent ainsi proposer des cours intitulés « sociologie des organisations26 » ou « leadership et management public27 ». S’appuyant sur des savoirs issus de la recherche, ces enseignements sont le plus souvent dispensés en amphithéâtre, regroupant toute la promotion. Il s’agit de savoirs sur lesquels se fondent traditionnellement les major professions28, que l’on peut dire constituées et prototypiques.

23Ces savoirs théoriques s’opposent aux savoirs méthodologiques. Ces savoirs méthodologiques se distinguent par leur caractère instrumental, et ils ont pour objectif d’équiper l’action des professionnels. Par exemple, les savoirs juridiques ne servent pas tant à connaître le droit qu’à savoir l’appliquer en situation afin de résoudre les problèmes administratifs qui en découlent : il s’agit donc de mettre l’accent sur les compétences plutôt que sur les connaissances, sur les savoir-faire plutôt que sur les savoirs.

24Parler de « méthodologisation » des enseignements renvoie au processus de recontextualisation, parfois utilisé après Bernstein pour désigner l’articulation entre l’ordre social et les savoirs enseignés29. Ce concept permet notamment de penser le brouillage des frontières entre la formation initiale et le champ de l’emploi30, qui s’accompagne d’une transgression des disciplines académiques constituées sur le modèle universitaire, et voit l’émergence de savoirs qui se situent « à l’interface des discours scientifiques et des activités socio-économiques »31.

25Un examen systématique des intitulés de cours tels qu’ils sont imposés par la DGAFP (pour les modules et les grandes lignes des enseignements) puis modulés par les équipes des IRA (l’intitulé précis des cours, le choix des intervenants) atteste d’une tendance lourde à cette méthodologisation des savoirs. Les savoirs instrumentaux prennent une place prépondérante dans l’ensemble des programmes des IRA. L’arrêté de 2007 qui fixe les objectifs des enseignements de tronc commun (première partie de la scolarité) met en évidence la solidité de l’assise instrumentale des savoirs qu’il propose : deux tiers des enseignements du tronc commun relève de ce type de savoirs. En particulier à la rentrée 200832, deux des trois modules de la période de tronc commun, intitulés « moyens et méthodes de l’administration » et « management », ont pour objectif de doter les élèves « d’outils leur permettant de comprendre, analyser et interpréter des documents comptables et financiers », des instruments qui leur permettent d’analyser « en fait et en droit, des situations administratives courantes et d’y apporter les solutions adéquates », et d’acquérir « les compétences nécessaires à l’exercice de leurs futures missions de conception, de modernisation, de gestion et d’encadrement33 ». Ces deux modules représentent 297 heures de cours sur un total de 390 heures pour l’ensemble des heures d’enseignement du tronc commun34 (soit 76,1 %).

26Les savoirs instrumentaux ont la particularité d’être enseignés dans le cadre d’ateliers de mises en situation, construits sur le modèle du cours de théâtre, auquel participent parfois également des comédiens. Le recours à ces études de cas dans les IRA est loin d’être nouveau et isolé. Cette méthode s’est diffusée à partir des business schools américaines avant d’être acclimatée dans l’enseignement supérieur de gestion35. Bien que la pertinence d’un tel dispositif pédagogique ait pu faire l’objet d’une controverse à la fin des années 196036, les études de cas et les mises en situation semblent aujourd’hui faire l’unanimité dans les IRA. La visée fortement instrumentale de ces cours propose une régulation de la pratique des attachés : « le rôle du cadre », « déontologie du fonctionnaire », « travailler en équipe », « la conduite du projet », « animer et organiser une réunion », etc. Comme l’indique une intervenante en cours, l’objectif de ces cours consiste à

« travailler le symbolique surtout, on va analyser vos gestes, vos comportements […]. Ce sont des situations qui se sont véritablement passées. Ce n’est pas un jeu de rôle, c’est une véritable situation de travail. J’insiste sur ce point. [En management] on va voir aussi qu’il y a autre chose, des gestes, des comportements37 ».

27Il s’agit donc de faire réagir l’élève en fonction d’un scénario administratif afin de scruter le comportement de l’élève et de juger de la cohérence de ses actes par rapport à ce qui est attendu de lui.

28De plus, le choix des intervenants apparaît comme un levier supplémentaire de la méthodologisation des savoirs. Le dépouillement systématique des qualités des intervenants que j’ai effectué montre qu’il n’existe pas, entre 2007 et 2013, d’enseignement à dominante instrumentale assuré par un « universitaire ». La très grande majorité des intervenants sont des agents en poste, soit attachés d’administration, soit hauts fonctionnaires, conseillers d’État ou préfets, mais à qui l’on réserve une conférence en amphithéâtre. Le profil le plus récurrent est celui de directeur des ressources humaines dans un service déconcentré. Ces fonctionnaires sont affectés en priorité aux enseignements de type technique, à caractère juridique ou comptable. Les cours à dominante méthodologique et les mises en situation sont eux partagés entre fonctionnaires (exerçant en priorité dans les services dédiés aux ressources humaines) et consultants. Par exemple, les cours « prise de parole en public » ou « animer et organiser une réunion » font intervenir des consultants ou psychologues issus de cabinets spécialisés dans la formation.

L’hybridation des savoirs théoriques disciplinaires par les savoirs instrumentaux

29La prépondérance des savoirs instrumentaux sur les savoirs académiques ne s’arrête toutefois pas aux intitulés des cours. Dans l’interaction avec les élèves, les intervenants peuvent être amenés à faire prévaloir des savoirs de type instrumentaux au cœur d’un cours à dominante académique. C’est le cas par exemple de la conférence intitulée « Leadership et management public38 ». Obligatoire pour toute la promotion, cette conférence de six heures prend la forme d’un cours magistral destiné, dans l’esprit des responsables de la formation, à produire des savoirs de type académique. La DES l’indique clairement, lorsqu’elle explique que ce type de cours a été mis en place après un partenariat avec l’institut de management public de l’université Aix-Marseille, qui permet à certains élèves de valider un Master 2 : « on a inclus dans le plan de formation des enseignements universitaires39 ». De fait, le maître de conférences en sciences de gestion de l’université d’Aix qui assure ce cours présente un contenu académique, en proposant un ensemble de définition de notions (« management », « organisation », « gouvernance »), et en s’appuyant sur des auteurs divers et/ou reconnus dans le milieu universitaire : H. Simon, H. Fayol, H. Mintzberg, ou même « Pierre Lascoumes ». Une définition du management est ainsi esquissée :

« Le management tient sur 4 grands piliers et demi – au sens de la recherche, au sens anglo-saxon du terme : ressources humaines, finances, marketing et communication, la stratégie (mon champ de recherches), plus la décision, que certains rattachent à la stratégie, d’autres à tous les domaines. Suite à cette définition très rapide du management : il faut dire que le management n’est pas une science, c’est un art. Dans le sens où tout simplement il ne s’imite pas, il ne peut pas se réfléchir uniquement par des réflexions cartésiennes. Il y a une complexité systémique40. »

30Cette présentation théorique du « management public » fait rapidement l’objet, durant la séance, d’une désapprobation générale et implicite. À quelques jours des épreuves du classement intermédiaire, nombreux sont les élèves qui lisent des manuels durant la conférence (« Pratique de la gestion administrative, budgétaire et matérielle d’un EPLE », « Que sais-je » sur la « justice administrative ») ou qui discutent. Certains manifestent leur mécontentement à voix basse, en pointant la longueur de la conférence. Rapidement, répondant aux questions, l’intervenant est amené à infléchir son propos et à énoncer des cas pratiques tirés de son expérience, comme le montre l’extrait suivant :

« [Répondant à la question : « à quoi sert le leadership ? »] C’est un peu moins vrai en centrale que dans la territoriale (un DGS a vraiment une dimension stratégique) mais dans toutes les micro-décisions que vous allez prendre il y a une dimension managériale […]. J’ai travaillé dans un labo anglais, et il y a une règle qui empêche un administratif de faire une carrière dans le politique, et une fois qu’il a fait de la politique, impossible de revenir à l’administration41. »

31Bien que délivrant un cours dans un cadre universitaire clairement prédéfini, ne pouvant se prévaloir d’une expérience professionnelle dans l’administration de l’État, l’intervenant est poussé à fonder son propos sur son expérience, en multipliant les exemples tirés de sa pratique. La directrice des études fait écho à cette hybridation de l’enseignement académique, lorsqu’elle justifie en entretien la mise en place de cette conférence :

« C’est un universitaire [qui donne la conférence] mais qui passe très bien, parce qu’il est aussi en mesure, dans le cadre de sa présentation, de faire appel à des travaux de terrain qu’il a fait, des études, etc., donc ça illustre, on reste pas sur du théorique […]. Ce sont des enseignements universitaires avec un angle très applicatif et très opérationnel42. »

32Cet exemple met en évidence l’omniprésence des savoirs instrumentaux dans les IRA. Un exercice spécifique demandé aux élèves à partir de 2007 est également significatif de la manière dont le mouvement de méthodologisation imprègne la scolarité des élèves dans toutes ses dimensions. Les appellations diffèrent selon les instituts : « rapport sur commande », « mémoires collectifs » ou « rapport co », mais dans tous les cas il s’agit d’un travail réalisé en groupe de sept ou huit élèves, durant la première partie de la scolarité (septembre-décembre). L’objet de ce travail est de produire un rapport commandé par un service administratif extérieur à l’IRA, sur un thème précis. En plus du rapport écrit, le mémoire est restitué à l’oral, en groupe, devant un jury constitué de sept personnes. Les groupes sont tirés au sort parmi tous les élèves, deux jours seulement après la rentrée, et le rapport doit être rendu le dernier jour avant les congés de fin d’année. La note collective obtenue, d’un coefficient élevé par rapport aux autres épreuves, est prise en compte dans le classement (individuel) intermédiaire. Le sujet n’est pas donné par le jury de classement, mais le dossier répond directement à la commande d’un service administratif qui fait connaître ses besoins d’expertise auprès de l’IRA. De ce fait, l’exercice ne relève plus seulement d’un exercice didactique pédagogique, mais propose une mise en situation dite « professionnelle », considérée comme « réelle » par les acteurs, c’est-à-dire prenant une forme proche de la pratique administrative effective.

33Exemples de sujets de rapport sur commande :

« La mise en œuvre d’un système Moneo au sein de l’École nationale supérieure de Sécurité sociale » – IRA de Lyon 2010-2011.

« Chambre régionale des comptes PACA : développement audit internet du contrôle interne dans les collectivités de la région » – IRA de Bastia 2012-2013.

34Selon les jurys, l’exercice est censé développer chez les élèves des compétences de travail collectif. L’évaluation porte ainsi pour une grande partie sur cette capacité à travailler « en équipe », le critère principal au moment de la soutenance étant l’homogénéité du groupe dans l’investissement. Souvent mis en avant par les directeurs et directrices et les DES car il symbolise selon eux la « réussite » de la réforme, le « rapport co » est intéressant pour le caractère méthodologique des savoirs qu’il prescrit et valorise. Il est en effet attendu des élèves qu’ils réagissent « comme en administration ». Les principaux objectifs tels qu’ils sont identifiés par la scolarité des IRA et le jury de classement portent sur le travail en équipe, le « mode projet », la connaissance des services administratifs concrets, la mise en place de solutions administrativement viables. Si le rapport sur commande est devenu le symbole de la réforme des enseignements en 2007 auprès des acteurs en charge de la formation des attachés, c’est parce qu’il concentre nombre d’ingrédients du processus général de méthodologisation des enseignements dans les IRA. La réforme de 2007 vient donc stabiliser la prédominance des savoirs instrumentaux dans la formation des cadres intermédiaires de la fonction publique, qu’il s’agisse des cours ou des exercices comptant directement pour le classement des élèves.

De l’interministérialité du corps à la « mobilité » de l’attaché

35En 2007, durant les discussions sur l’organisation de la scolarité, le caractère transversal de la formation en IRA revendiquée par la DGAFP (avec faiblesse) et par les directeurs (avec force) s’oppose à une conception plus technique de la formation, réclamée par le ministère de l’Éducation nationale. L’accent porté sur les savoirs instrumentaux permet de faire cohabiter dans les programmes de formation ces deux positions opposées. Promouvoir la catégorie de « professionnalisation » est une manière pour les acteurs des IRA de construire les programmes de formation autour des savoirs instrumentaux. Cette ambition est par exemple visible au niveau de la DGAFP, lorsque l’administrateur en charge de la tutelle des IRA explique l’intérêt qu’il peut y avoir à « professionnaliser » jusqu’à la période de tronc commun :

« Le tronc commun n’est pas en dehors de la professionnalisation. Le tronc commun est aussi professionnalisé. L’idée de la réforme, c’était de rendre toute la formation plus professionnelle, plus concrète, et pas seulement les UP [univers professionnels]. Après il fallait donner des techniques spécifiques. Par exemple écrire un décret, c’est que pour les élèves de centrale. Mais on a professionnalisé aussi le tronc commun43. »

36Selon cette vision, les savoirs instrumentaux, pratiques, « concrets », doivent intervenir dès le début de l’année. La volonté de « professionnaliser » la période qui était censée, lors de la construction de la réforme, traduire les positions des tenants de la conception « généraliste » de la formation, peut sembler paradoxale. Elle semble en effet promouvoir la « professionnalisation » pour s’opposer à la « professionnalisation »… des « univers professionnels ». Mais l’entrée par les savoirs permet de comprendre cette apparente contradiction. Les directeurs s’appuient sur l’« école d’application » que représentent pour eux les IRA pour extraire la formation des cadres de l’action publique du monde académique. La « professionnalisation », dans les mains de la direction des IRA, est un instrument qui sert à résoudre une question ancienne, qui animait la Fonction publique depuis 1984 et qui est de nouveau posée en 2007 à propos de la création d’un cycle de spécialisation, celle de la redondance de la formation en IRA par rapport à la formation préalable reçue en université. Tel est le sens de ce propos d’un directeur lorsqu’il évoque la mise en place de la réforme :

« Et donc qu’est-ce qu’on fait avec le tronc commun ? C’est une des questions qu’on s’est posée au départ : “est-ce que le tronc commun est la prolongation universitaire ?” Si on veut pas que ce soit la prolongation de ce qu’ils ont fait avant, notamment pour les externes, il faut professionnaliser aussi le tronc commun44. »

37De la même manière, la DES d’un IRA rappelle que l’« on est dans une école professionnelle. On apprend un métier45 ». La formule « école d’application », et l’injonction à la « professionnalisation » permet de justifier l’enseignement de savoirs de type instrumental pour tous les attachés dès leur arrivée à l’IRA. C’est aussi une manière de reléguer les savoirs purement académiques à la portion congrue, dans la mesure où ils sont considérés comme inutiles aux futurs attachés – ou plutôt comme répétitifs par rapport au cursus universitaire des lauréats du concours des IRA. Selon cette conception, la « professionnalisation » est possible grâce à l’apprentissage de savoirs dit d’« application », c’est-à-dire de savoirs instrumentaux. La justification de la mise en place précoce et massive des savoirs procéduraux dans l’architecture des programmes est renforcée par la structure du concours et le profil des candidats. Pour le concours 2010, près de 60 % des candidats inscrits à l’IRA de Lyon sont titulaires d’un master ou d’un diplôme plus élevé, et près de 62 % des admis sont titulaires au moins d’un master. De plus, 55 % des admis à l’IRA de Lyon en 2010 proviennent d’une filière en droit ou en administration publique, ou d’un Institut d’études politiques46. Dans ce contexte de forte sélection universitaire, le recours à l’argument de l’opérationnalisation des enseignements est plus facile, dans la mesure où les IRA n’ont pas à justifier de la nécessité d’un apprentissage théorique général. Selon les directeurs des Instituts, l’Université est censée le fournir.

38De ce point de vue, la « professionnalisation », c’est-à-dire la promotion de savoirs instrumentaux dans la formation, se trouve donc être une catégorie particulièrement utile. Pour le ministère de l’Éducation nationale, elle permet de justifier l’instauration d’une formation spécifique à l’apprentissage du métier de gestionnaire matériel, comptable ou budgétaire en établissement. Pour la DGAFP et surtout les directeurs d’IRA, la « professionnalisation » permet de mettre à distance le modèle universitaire de formation. Pour eux, la mise en place de savoirs « professionnels » dans les programmes, c’est-à-dire de savoirs à visée pratique, est une manière de constituer une base pédagogique commune à tous les attachés. En fournissant aux attachés ce fondement commun de savoirs au-delà même de la période de tronc commun, les IRA recouvrent ici leur fonction initiale définie par la DGAFP depuis 1970, qui consiste à homogénéiser le groupe des attachés d’administration autour d’un « corps interministériel » des cadres intermédiaires. La « professionnalisation » de la formation est une catégorie mobilisée par les tenants de la vision transversale de l’encadrement administratif pour réconcilier les IRA avec l’objectif de constitution du « corps interministériel » des attachés d’administration.

39En outre, la mise en place des savoirs instrumentaux sous la bannière de la « professionnalisation » permet aux acteurs en charge de la formation de mettre en valeur le registre de la « mobilité ». Mettre l’accent sur la « mobilité » des fonctionnaires apparaît pour la DGAFP comme une façon d’encourager les changements fréquents de poste et de ministère, et ainsi de promouvoir une certaine interministérialité des carrières. L’ambition qui consiste à rendre le fonctionnaire « mobile » dans l’État se traduit sur le plan des savoirs par la promotion des savoirs instrumentaux. À l’instar des consultants qui produisent des savoirs mobilisables dans les différentes sphères de l’État dans le domaine judiciaire47, l’institutionnalisation des méthodes au sein des IRA est fortement articulée à l’idée d’une mobilité plus grande des fonctionnaires au sein de l’administration. Non que cette mobilité soit effective : la « mobilité » des agents administratifs est un vœu politique devant permettre, dans le sillage de la trajectoire française de réforme de l’administration, de remettre en cause la gestion de l’encadrement supérieur par les seuls grands corps48. Mais la formation des IRA est investie comme un laboratoire de ces objectifs théoriques de réforme, où l’apprentissage des savoirs strictement juridiques, jugés trop techniques, reste limité par la prédominance des savoirs de type instrumental, considérés comme plus à même de promouvoir des compétences mobilisables dans diverses circonstances administratives. Ces connaissances sont censées équiper l’attaché de compétences transversales, le rendant capable de s’adapter à différentes situations administratives, ou d’occuper ce que les entreprises privées appellent les « fonctions support », c’est-à-dire des métiers que l’on retrouve dans les sièges sociaux, indépendamment du produit fabriqué. Le recours à la « professionnalisation » des savoirs, c’est-à-dire la promotion des savoirs opérationnels et transversaux, est une manière de légitimer le travail d’homogénéisation des pratiques des attachés. Ce travail est le support d’un projet politique plus général de « décloisonnement » des corps. Du côté de la DGAFP, l’exigence de la gestion interministérielle du corps cède le pas à une gestion plus fonctionnelle des agents. Dans le sillage de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) progressivement mise en place à partir de 2001, la conception d’une fonction publique organisée autour de « corps », eux-mêmes divisés en grades et en échelons, se fait moins prégnante. Les IRA enseignent et rendent possible ce décloisonnement, en formant les attachés à des pratiques qui se retrouvent dans l’ensemble des services de l’État. Dans cet objectif de création d’un marché interministériel des cadres49, la DGAFP cherche à équiper le personnel de renfort des administrateurs civils de compétences qui leur permettent de maîtriser les fonctionnements généraux de l’administration, mais également d’être en mesure de mettre en pratique les techniques qui sont distribuées dans tous les ministères (contrôle de gestion, contentieux juridique, contrôle budgétaire, « démarche qualité », et surtout : « management »). Pour les directions des IRA, la souplesse des savoirs instrumentaux donne du crédit à la dimension interministérielle des IRA, et à la conception transversale du mandat des attachés.

40Sous la bannière de la « professionnalisation », la promotion des savoirs instrumentaux permet de concilier les différents objectifs ministériels. Pour la DGAFP en particulier, la « professionnalisation » des savoirs est une catégorie utile, car elle permet de justifier de la mobilité, et donc d’une certaine forme d’interministérialité ramenée à la figure individuelle de l’attaché. La « professionnalisation » constitue une sorte de « pansement50 » qui permet de faire tenir ensemble les différentes conceptions de la formation des attachés divisées par des périodes de scolarité distinctes. Le mouvement vers la méthodologisation de la formation est toutefois indissociable d’un mouvement de managérialisation des enseignements, et ainsi des compétences attendues de la figure du fonctionnaire intermédiaire, qu’il s’agit maintenant d’interroger.

La managérialisation de la formation : un cadre « généraliste » ou « technique » ?

41Le développement des savoirs de type méthodologique, ou instrumental, dans les programmes de formation prend deux directions différentes : d’un côté, ces savoirs prennent la forme d’enseignements de type technique, essentiellement juridiques, et de l’autre côté des enseignements plus généralistes, relatifs en particulier au mangement, prennent de plus en plus de place. Il en ressort une tension entre deux figures de l’attaché, le généraliste et le technicien.

Savoirs techniques, savoirs généralistes : droit et management

42Dans les programmes que j’ai dépouillés, il apparaît que les enseignements méthodologiques portant sur des apprentissages d’ordre technique sont structurés par le droit. En effet, ils portent le plus souvent sur les techniques juridiques, en ce qui concerne par exemple les contrats administratifs, l’écriture juridique (la légistique), les procédures contentieuses… Les cours qui ne sont pas directement juridiques portent sur la comptabilité ou le budget (la « comptabilité nationale », les « politiques budgétaires », ou « initiation à la statistique »), mais restent fortement structurés par la dimension juridique, comme dans les cours portant par exemple sur « la pratique de l’achat public » ou « le contrôle de gestion ». La dimension académique du droit, c’est-à-dire telle qu’elle est enseignée à l’université, est pratiquement absente de ces enseignements. L’accent est au contraire porté sur l’acquisition des techniques pratiques du droit. Il ne s’agit pas ici de connaître le droit et la jurisprudence, mais de savoir l’appliquer.

43Les savoirs instrumentaux généralistes relèvent quant à eux de méthodes censées régler la pratique administrative des fonctionnaires : « la pratique d’une réunion : comment l’organiser », « gérer un service », « animer une équipe », « travailler en équipe », « la gestion de proximité, cas pratiques », « prise de parole en public », etc. Cette dernière catégorie recouvre presque toute la durée du module « management » tel qu’il est défini dans les programmes institués à partir de 2007. Il s’agit d’enseignements qui permettent de définir le comportement attendu de l’attaché en administration, notamment dans le domaine de la « gestion des ressources humaines ». Par exemple, les cours liés à l’expression orale du futur « cadre » transmettent ce type de savoirs méthodologiques : les cours de « techniques d’expression », de « langage administratif » ou de « prise de parole en public », fixent un cadre comportemental à la pratique de l’attaché. Les mises en situation, à l’aide de comédiens, participent de ces savoirs. La division entre les savoirs instrumentaux techniques (juridiques) et les savoirs instrumentaux généralistes (managériaux) est la plus heuristique dans les IRA. Elle fait l’objet d’une tension permanente.

44Toutefois, l’étude des programmes de formation construits après la réforme de 2007 met en évidence la prédominance des savoirs généraux sur les savoirs techniques. Les acteurs en charge de la formation ont donné une place considérable aux savoirs en « management » dans les programmes de formation post 2007. La mise en place de ce type de savoirs a été justifiée par des évaluations de la scolarité, comme l’indique ce directeur d’IRA :

« Les évaluations montraient que les anciens élèves arrivaient assez rapidement à acquérir les compétences métier, par contre ils éprouvaient beaucoup plus de difficulté en termes de gestion des hommes. Donc on a mis l’accent massivement sur le management, et il y a un volume horaire pour le management qui est important51. »

45Comme on le voit dans cet extrait, ces évaluations permettent aux acteurs en charge de la formation d’affirmer leur volonté de faire du « management » le pilier de la formation dans les IRA. La création d’un module de formation, sur les trois qui composent l’ensemble des enseignements de tronc commun, entièrement dédié au « management », atteste de l’importance donnée à ce type d’enseignement. Les intitulés de cours multiplient les références au « management », au rôle du « cadre » ou à « l’animation d’équipe ». Ce faisant, le travail des directeurs en matière d’enseignement consiste en une opération de mise en cohérence des contenus de la formation avec la vision interministérielle de la fonction publique qu’ils nourrissent. Les directeurs, en mettant l’accent sur les savoirs en « management », promeuvent une dimension transversale du cursus des IRA. Cet usage de l’enseignement du « management » nous apprend en retour que ces savoirs managériaux, dans les curricula, se définissent avant tout par leur caractère instrumental.

La managérialisation est une méthodologisation

46On a vu que la réforme de 2007 est l’occasion de promouvoir dans les programmes des savoirs de type instrumentaux, à visée opérationnelle, que j’ai désigné sous le terme de méthodologisation de la formation. L’épaisseur managériale des enseignements mis en place avec la réforme de 2007 participe du même mouvement de renforcement des savoirs à visée instrumentale dans les programmes.

47Le choix des modalités des cours permet d’amener les enseignements en « management » du côté de la méthode et de la pratique : les cours en petits groupes sont privilégiés, afin que les élèves puissent « participer » et bénéficier au mieux de l’« expérience » des intervenants. Le management est ainsi défini comme un ensemble d’« outils » à disposition des futurs attachés que l’on apprend à manier durant les stages, et qui sont aiguisés en ateliers. C’est la vision que propose une directrice des études :

« Voilà, à la fois c’est un peu aussi un système de boîte à outils, ils sont amenés à réfléchir quel serait leur mode de management. Et puis en règle générale on fait toujours un séminaire, à la fin justement du second stage, une fois que tout ça est passé, où on va fonctionner sous forme d’ateliers, sur des thèmes52. »

48Ces outils ont été renouvelés avec la réforme de l’organisation de la scolarité en 2007. C’est ce que précise le directeur d’un IRA, lorsqu’il avance l’idée selon laquelle la réforme n’a pas été le moyen de faire « plus » de management, mais « mieux53 ». La réforme a permis de donner une nouvelle forme aux savoirs méthodologiques, et a été essentiellement un travail de redéfinition qui a conduit à un replacement de ces savoirs au cœur du cursus. Ce faisant, la visée de long terme consiste à abandonner l’apprentissage d’un type de savoirs managériaux jugé « théorique ». En donnant la liste de ces savoirs managériaux pratiques, cette DES contribue à définir en filigrane les compétences attendues du bon « manager » de la fonction publique :

« Il faut du pratico-pratique, on n’est pas dans les grandes idées managériales […]. Moi j’avais dit à Marchal [intervenant référent du module « management], il me faut : comment on gère un personnel difficile, comment on gère une situation difficile, comment on gère un contre-ordre, comment on évalue, comment on évalue quand les objectifs ont été atteints, quand les objectifs n’ont pas été atteints, quand les objectifs ont été partiellement atteints. Comment on annonce une décision difficile, individuelle, collective. Donc on avait listé, moi j’avais listé ce que je voulais54. »

49Le travail sur les savoirs managériaux passe par un travail de méthodologisation des enseignements. La managérialisation des savoirs est intimement liée au mouvement de méthodologisation des savoirs. Les deux mouvements s’auto-entretiennent avec la réforme de 2007 : l’introduction de cours de « management » est l’occasion de revenir sur une formation jusque-là jugée trop technique, et l’abandon des enseignements trop techniques au profit de savoirs managériaux est l’occasion d’introduire davantage de cours portant de manière directe ou indirecte sur le management.

Attaché technique, attaché généraliste : le mandat partagé des cadres intermédiaires

50Cette managérialisation de la formation renvoie à une conception spécifique de la fonction publique et de l’encadrement intermédiaire. La redéfinition du management dans les IRA à partir de 2007 relève d’un processus de valorisation de l’activité de l’attaché d’administration, notamment vis-à-vis des administrateurs civils. Si le recours à la notion de « professionnalisation » permet de soutenir l’ambition de constitution d’une homogénéité de groupe au plan horizontal (via l’objectif de constitution d’un « corps »), l’usage du « management » relève quant à lui d’une opération de légitimation de l’attaché dans la division verticale du travail administratif. Cette aspiration fonctionne autour de la figure du « cadre ». En effet, une des grandes caractéristiques de la définition que les responsables des IRA donnent du « management » est l’insistance sur le métier de « cadre » :

« Mais le management c’est aussi autre chose. C’est aussi la conduite de réunions, etc., mais c’est aussi pendant le stage, vous allez voir vous dans la hiérarchie et vous en tant qu’accompagnant de collaborateurs futurs, vous allez pilotez ces éléments-là. Donc ça c’est des choses qu’on a un petit peu épousseté, dans le sens de l’intégrer dans le métier de cadre55. »

51Cette définition est largement partagée par ceux qui ont la charge de la construction des contenus des plans de formation :

« Question : donc le management c’est…
Réponse : … un enseignement qui leur permet d’apprécier la façon dont ils seront encadrants. Encadrants ou membre d’un collectif de travail, parce qu’ils ne seront pas tous encadrants56. »

52À travers la prescription d’enseignements en management, c’est donc la fonction de « cadre » qui doit être réhabilitée. Alors que le mandat initial des attachés consiste à en faire les petites mains des énarques, insister sur la dimension encadrante de son activité est une façon de conférer une autonomie à l’attaché dans la division hiérarchique des tâches, comme l’évoque la mise à distance du thème de « l’exécutant » :

« Un attaché c’est un cadre, et il doit être bien dans sa peau de cadre, c’est d’avoir des responsabilités, capacité de conception, et tout ça. C’est pas un exécutant, un cadre ce n’est pas un exécutant, pas qu’un exécutant57. »

53Sous la figure du « manager », l’attaché prend des décisions, fait jouer son autorité, et n’est « pas qu’un exécutant » : la valorisation de l’attaché s’opère ici en circonscrivant nettement sa position et son activité des corps de catégorie B qui ont pour mission l’exécution des politiques, et en rendant plus poreuse la frontière avec le corps des administrateurs civils. Il s’agit pour ces acteurs de promouvoir un attaché détaché de la haute fonction publique, et de rompre avec la conception de l’attaché technique qui doit constituer le personnel de renfort de la haute fonction publique. À une période où les recompositions de l’administration renforcent la séparation entre les fonctions de conception et les fonctions d’exécution des politiques publiques58, cette proposition visant à faire de l’attaché un fonctionnaire qui décide et non plus seulement qui exécute n’est pas anodine. Elle participe d’une volonté de rapprocher l’encadrement intermédiaire des fonctions de conception et de « pilotage » qui sont traditionnellement les propriétés du corps des administrateurs civils.

54Ce travail de valorisation de la figure de l’attaché-cadre est le fait des acteurs internes aux IRA, dont le recrutement s’est largement transformé depuis le début des années 2000. Alors que par tradition les directeurs étaient énarques, ils sont aujourd’hui plus souvent d’anciens attachés d’administration devenus administrateurs civils par le « tour extérieur » – c’est-à-dire par une promotion interne après inscription sur une liste d’aptitude. La direction des études et des stages est quant à elle systématiquement occupée par un ou une attachée d’administration. Ces acteurs, qui ont discuté de la mise en œuvre concrète de la réforme de 2007 dans les IRA, ont remodelé les savoirs managériaux dans ce sens :

« Depuis la réforme de 2007 ça n’a rien à voir, mais il y a un truc surtout c’est que par exemple tous les aspects managériaux, tout ce qu’on a développé sur positionnement, management, etc. là c’était complètement absent. Avant on était vraiment sur beaucoup de compta, beaucoup de techniques juridiques59. »

55Dans l’esprit des acteurs des IRA, la mise en place des savoirs de type managérial s’oppose aux savoirs techniques d’ordre comptable ou juridique. Ces savoirs techniques, supposés permettre aux attachés d’effectuer les tâches déléguées par la haute fonction publique, sont écartés du bagage traditionnel de l’attaché. La figure du technicien, qui se trouve réactivée en 2007 par le ministère de l’Éducation nationale à travers sa revendication à une préparation spécifique au métier d’ASU, est mise à distance. La figure technique s’oppose à l’injonction à la « mobilité », dans la mesure où sa compétence est valable pour un ministère spécifique, dont il s’agit de maîtriser les codes et les techniques. De ce point de vue, la ligne de fracture entre la vision interministérielle et la vision sectorielle du recrutement, de la formation et de la gestion des attachés, trouve une traduction sur le plan des savoirs.

56Mais il faut apporter une nuance à cette tendance. Certains acteurs des IRA tentent de réactiver la figure de l’attaché technicien. Certains directeurs, et de manière davantage récurrente certains membres de jury de classement, peuvent chercher à promouvoir sporadiquement la figure technique de l’attaché. Ils ont ainsi tendance à valoriser les savoirs techniques juridiques, et à protester contre l’omniprésence des savoirs managériaux et généralistes. C’est le cas par exemple du président du jury d’un IRA pour l’année 2008-2009 :

« On nous parle peut-être trop de management, de gestion d’équipe, peut être que ça a pris trop de place par rapport au fond, il faudrait peut-être se rapprocher sur du dur, des connaissances techniques. […] Je pense qu’il y a un défaut de connaissances techniques, à la fois en droit public et sur les aspects financiers […]. Je pense qu’on est allé trop loin dans la réforme, le management […]. Les élèves sont imprégnés de cette culture managériale, le mot management on l’entend forcément. On sent bien qu’ils sont plus imprégnés de ça que du souci d’avoir des connaissances précises en droit public ou en gestion comptable, en gestion financière, en GRH technique60… »

57Ancien élève de l’ENS de Cachan et agrégé en économie et gestion, énarque, Jean-François Parisse est aujourd’hui magistrat en Cour régionale des comptes. La revalorisation des savoirs techniques qu’il prône est une façon de remettre en cause l’efficacité de la figure généraliste du « manager » :

« On a parlé des questions autour des prêts toxiques, ce genre de choses, s’il y a des banquiers qui ont été capables de coller ce type de produit sans que des agents d’encadrement de grosses collectivités n’y voient quelque chose, ou même qu’ensuite les services comptables de la direction de la comptabilité publique, aujourd’hui c’est la DGFIP, y voient quelque chose parce qu’ils étaient eux aussi destinataires des contrats… Moi je pense que la formation budgétaire, comptable et financière n’est pas suffisante61. »

58Jugée incapable de détecter les obstacles techniques du fonctionnement administratif du fait de son bagage trop général, la figure de l’attaché généraliste est ici discréditée.

59Comme c’est le cas pour les ingénieurs des Ponts et Chaussées62, le moment de réforme est un moment de réactivation de luttes autour de la figure de l’attaché. L’étude de la mise en œuvre pédagogique de la réforme de 2007 met au jour la coexistence au sein de la même institution de formation de deux visions de l’encadrement intermédiaire. Cette coexistence n’est pas née avec 2007. Dès l’origine, les programmes de formation sont marqués par la tension entre les savoirs d’ordre technique et les savoirs plus généralistes. Dans les années 1970 par exemple, les programmes sont divisés en deux sections relativement étanches. Le programme « administration » relève principalement des savoirs juridiques, tandis que la section « gestion » propose, entre autres « techniques budgétaires » et « initiation à la comptabilité de gestion », des enseignements théoriques liés à la « gestion du personnel administratif ». La partition de la scolarité en deux périodes distinctes lors de la réforme de 2007 ne fait finalement que réactualiser une tension déjà ancienne. Cette tension se trouve au centre du mandat des cadres intermédiaires, dans la mesure où leur formation se trouve à la jointure d’une direction qui vise à en faire les attachés des énarques et un mouvement qui visent à les détacher ou les soustraire de la délégation du sale boulot, pour en faire des « cadres ».

Conclusion

60L’étude du modelage des savoirs et des transformations curriculaires dans une institution de formation à la fonction publique ne peut que difficilement être conduite sans tenir dans l’analyse les deux segments de la constitution et de la définition des savoirs. Deux conclusions peuvent ainsi en être tirées. D’une part, le recours à la « professionnalisation » de la formation participe de la mise en place d’un compromis dans une scolarité divisée. Elle permet de faire artificiellement tenir, sur le plan horizontal, deux visions du groupe des attachés : la vision interministérielle et transversale (actualisée et individualisée autour de l’appel à la « mobilité » du fonctionnaire) et la conception spécifique et ministérielle du recrutement, de la formation et de la gestion de l’encadrement administratif intermédiaire. D’autre part, la volonté de « managérialiser » les compétences du cadre intermédiaire de la fonction publique apparaît massive. Les enseignements en management prennent la forme de savoirs instrumentaux. Ils permettent de valoriser, sur un plan vertical, la figure généraliste de l’attaché, appelé à encadrer des équipes, plus qu’à être lui-même encadré. De ce point de vue, la distinction entre la figure technique et la figure généraliste du fonctionnaire se trouve éclairée sous un nouveau jour à l’échelle de l’encadrement intermédiaire, dans la mesure où elle vient caractériser la place du cadre intermédiaire dans l’administration, à la fois sur un plan collectif et horizontal (autour de la lutte interministériel/ ministériel), et sur un plan individuel et vertical (autour de la lutte autonomie/ hétéronomie dans le processus de délégation des tâches). Les deux figures qui émergent de ces savoirs se trouvent être en continuelle tension, et participent à diviser le mandat des cadres intermédiaires de la fonction publique.

61Il reste cependant à analyser la manière dont les contenus de formation sont concrètement enseignés et évalués, et ainsi comment se définit le caractère « intermédiaire » des attachés d’administration.