1À l’issue des deux journées d’étude, une table ronde conclusive rassemblant Delphine Dulong, Éric Darras, Daniel Gaxie, Dominique Marchetti et Erik Neveu a permis de prolonger la discussion sur les aspects théoriques de la notion de capital et sur les moyens empiriques et théoriques de travailler la question de la dimension symbolique et médiatique du capital politique. Nous retranscrivons ici, en guise de conclusion de l’ouvrage, les principaux extraits. Lors des échanges avec la salle, les propos d’Olivier Baisnée, de Philippe Juhem et de Philippe Riutort ont également été retranscrits.

Jérémie Nollet : La première question que l’on pourrait poser, très simplement, c’est comment définir ce concept même de capital ? Quelles sont ses propriétés qui nous intéressent en tant que chercheur ? Pourquoi utiliser – ou ne pas utiliser – la notion de capital ? Et éventuellement comment le faire ?

L’appareillage théorique du concept de capital

Erik Neveu : Pour partir de quelque chose de simple, il y a trois sortes fondamentales de capitaux, trois donnant quatre : capital culturel, capital social, capital économique. Le capital symbolique étant à la fois rien de différent et complètement différent de tout ça, c’est-à-dire la perception de la détention et de l’usage des espèces précédentes de capitaux, dans la logique qui est propre à un champ. Empiriquement et théoriquement, il n’y a aucune espèce spécifique de capital qui ne soit autre chose que la combinaison des trois, plus un, capitaux de base, mais cela engendre une vaste palette de combinatoires singulières qui opèrent dans des univers sociaux divers.
Alors la question qui est ouverte à partir de ce moment-là – et à mon avis le capital médiatique est mal en point – c’est que si on suppose qu’une manière de pas multiplier à l’infini les capitaux c’est de dire que pour qu’il y ait capital spécifique, il faut qu’il y ait du sens dans l’espace d’interdépendance sociale qu’on va appeler un champ. Comme on a déjà été un certain nombre à l’observer, il n’y a pas de champ médiatique. Il me semble que le problème que pose le capital médiatique, c’est ce côté flottant, on ne peut pas forcément l’arrimer à un champ ou à un univers social particulièrement structuré. Au fond, dire “capital médiatique” c’est probablement autonomiser exagérément un ensemble de compétences et de savoir-faire qui sont un des éléments du métier politique et qui génèrent du capital politique. Je pense qu’il vaudrait mieux, lorsqu’on parle d’acteurs politiques arrimer ça au capital politique.

Delphine Dulong : Pour moi, la notion de capital est indissociable de l’approche macrosociologique des faits politiques qu’est la théorie des champs. Or il me semble qu’il y a deux choses à rappeler, en particulier lorsqu’on se demande ce que recouvre la notion de capital médiatique.
D’abord, un champ est un espace social conflictuel, dans lequel les acteurs sont en lutte pour occuper les positions de pouvoir ou de prestige au sein du champ mais aussi pour la définition même des règles du jeu. Ensuite, cet espace conflictuel est relativement autonome, c’est-à-dire qu’il a ses propres règles, ses trophées spécifiques et ses capitaux légitimes. La notion de légitimité ne doit surtout pas être négligée ici à mon sens. Il me semble en effet qu’elle est au cœur d’enjeux scientifiques et politiques. On peut avoir du capital mais s’il n’est pas légitime dans le champ, il n’est sans doute pas suffisant pour conquérir le pouvoir dans le champ. Par exemple, c’est important d’avoir du capital économique dans le champ littéraire parce que cela permet de se libérer de l’obligation d’avoir à travailler, et donc ça libère du temps pour se consacrer à l’écriture. Mais ça ne veut pas dire que c’est le fait d’avoir du capital économique qui vous légitime dans le champ littéraire. C’est la même chose dans le champ politique. Il y a bien sûr différentes manières de construire une carrière dans le champ politique et on ne peut pas les déconnecter des types de capitaux qui sont à la disposition des acteurs. Mais la notion de cursus honorum rappelle qu’il y a une hiérarchie symbolique des positions, qu’il y a des étapes et que l’accès aux positions de pouvoir les plus prestigieuses dépend dans tous les cas de l’accumulation d’un capital proprement politique. Ainsi, quand on accède directement au gouvernement parce qu’on a certains titres scolaires ou des capitaux culturels, la règle tacite du jeu politique – verbalisée par Lionel Jospin quand il était premier ministre – c’est de faire valider ça malgré tout par un baptême du feu électoral et la conquête d’un mandat électif. Le capital politique, qui comme le dit Bourdieu n’est rien d’autre que du crédit, est donc une forme de capital symbolique consacré par des instances propres au champ politique. Le capital médiatique, vu sous cet angle, peut alors se comprendre comme étant lui aussi une forme de capital symbolique mais consacrée par des instances médiatiques.
Toute la question est par conséquent de savoir si cette forme de capital symbolique est reconvertible telle quelle dans le champ politique ? Il me semble en effet que la question n’est pas tant de savoir si le capital médiatique existe ou pas, mais si cette forme de capital symbolique, accumulée via les médias, est légitime ou pas aux yeux des acteurs politiques. Autrement dit, est-ce que l’accumulation de capital symbolique par d’autres instances de consécration que celles qui régulaient jusque-là le champ politique permet de conquérir le pouvoir au sein du champ politique ? D’un point de vue empirique, il me semble qu’un des intérêts des communications présentées lors du colloque est notamment d’apporter une réponse négative à cette question par plusieurs indices convergents. Il y a sans doute des luttes actuellement pour essayer de se légitimer en investissant les médias, mais c’est une forme d’investissement risquée, au rendement aléatoire, et donc une forme de capital hyper volatil. Cela n’apparaît pas non plus toujours comme un investissement hautement désirable, y compris pour des parlementaires, et c’est plus souvent d’ailleurs une stratégie d’outsider.

Le capital médiatique comme outil d’une analyse relationnelle

Dominique Marchetti : Je suis d’autant plus gêné avec cette notion que je l’ai utilisée en 19981, tout comme Patrick Champagne quelques années auparavant2 alors que je pense aujourd’hui que ce n’est pas une bonne notion. À l’époque de mon travail de thèse, au milieu et à la fin des années 1990, l’idée était moins de travailler sur le capital médiatique que sur ce que faisaient les médias au champ scientifique. J’avais affaire à des univers, que ce soit associatifs dans le cas du VIH et scientifiques, où certains agents essayaient de subvertir les hiérarchies du champ scientifique et de l’espace associatif à travers une action sur les médias. Par exemple, Act up luttait contre AIDES et essayait d’accumuler du capital spécifique pour notamment se faire reconnaître au sein du champ politique. La notion était malvenue, au sens où la problématique de cette recherche était d’analyser comment l’univers médiatique est une sorte « d’espace stratégique »3 pour agir sur les autres univers, et tout particulièrement sur le champ politique. Par conséquent, dans le cas d’Act up, c’était pour avoir davantage de reconnaissance et donc être invité aux tables rondes ministérielles à discuter des problèmes autour du SIDA. Dans le cas de chercheurs comme Jean-Paul Chermann, qui était certes un des découvreurs du VIH mais dont la réputation scientifique dans l’univers des chercheurs sur le SIDA était en déclin, il allait chercher à visibiliser son travail dans les médias pour essayer de subvertir les hiérarchies. En fait, je travaillais plus sur la notion d’autonomie que sur la notion de capital. Ce que j’étudiais, c’était l’autonomie de l’univers scientifique mais aussi l’importance du capital social dans les relations avec les journalistes. Dans le cas d’Act up et de Chermann, si j’avais prolongé l’enquête, j’aurai vu qu’ils avaient du capital spécifique - associatif ou scientifique, mais aussi un capital social, culturel qui étaient très efficients dans les médias. Autrement dit, je n’avais pas besoin de la notion de capital médiatique pour comprendre ces logiques de médiatisation et leurs effets sur l’univers scientifique.
Par ailleurs, il faut aussi se méfier des institutions politiques et du champ politique français parce qu’il y a d’autres univers nationaux qui ne fonctionnent pas de la même manière. Par exemple, dans le cas de travaux que je mène actuellement sur le Maroc, je n’utilise plus du tout la notion de capital médiatique mais plutôt la notion de capital social ou de capital symbolique. J’ai traité avec mon collègue Joseph Hivert4 de la médiatisation dans la presse étrangère d’une ONG spécialisée dans la question des droits de l’Homme au Maroc. La particularité du champ politique marocain est qu’il est, pour reprendre l’expression de Mohamed Tozy, « désamorcé5 ». La principale source de pouvoir, le Roi, ne parle jamais. Quand il parle, il ne fait pas de conférence de presse, il intervient par des grandes déclarations à la radio, il n’a jamais de confrontation avec les journalistes. Le principal problème des professionnels de l’information, c’est qu’ils doivent faire face à une double contrainte : soit ils ont affaire à un roi muet, donc ils ne peuvent pas l’interviewer ; soit ils vont voir des membres du gouvernement, qui n’ont pas beaucoup de marges de manœuvre, c’est-à-dire qu’ils peuvent leur donner des informations mais seulement en « off ». Ils ne peuvent jamais les dire en « on » parce que c’est dangereux pour eux. Ce qu’on essaye de montrer avec Joseph Hivert, c’est que paradoxalement ce champ politique « désamorcé », favorise au moins à l’étranger les outsiders, ceux qui sont marginalisés dans l’univers politique marocain. Des associations de droits de l’Homme qui sont durement réprimées, grâce à un capital social très fort auprès des médias étrangers, arrivent à subvertir les hiérarchies du champ politique marocain. Ils ne sont pas très experts dans les usages des médias sociaux, ils ne les maîtrisent pas du tout. En revanche, ce qui fait leur force, c’est justement leur capital social accumulé auprès de la presse étrangère et leur capital symbolique. Ainsi, les espèces « fondamentales » de capitaux, restent les plus importantes et c’est autour d’elles, comme le disait Erik Neveu, qu’on doit continuer à travailler.
Je prendrais un deuxième exemple sur lequel je travaille avec Karim Souanef6 qui est la médiatisation du football professionnel, qui est mutatis mutandis comparable avec la politique. Dans le sport, vous avez le capital sportif mesuré à travers des classements, des titres, c’est-à-dire un capital sportif institutionnalisé. Il y a une autre forme de capital qui est externe et très importante (comme en politique), c’est le capital économique, c’est un capital d’audience. Les journalistes expliquent très bien ça : ce n’est pas parce que vous avez des bons résultats sportifs que vous allez obtenir de l’audience. En effet, si vous êtes Guingamp ou Monaco, vous ne ferez pas régulièrement la « Une » de L’Équipe ou de France football parce que « ça ne se vend pas » comme nous le disait en entretien un responsable du groupe Amaury. Ce qu’on essaye de montrer, c’est comment s’articulent ces deux espèces de capital. Le capital sportif est très important. Lionel Messi est un très grand joueur de foot, il est très suivi mais, pour autant, selon ceux qui font les « Unes » de L’Équipe et de France football, Messi il ne fait pas vendre. Il faut travailler à la fois sur l’interne qui est toujours très important, mais l’externe est de plus en plus important. Dans le cas du football professionnel, comme l’ont montré Charles Suaud et Jean-Michel Faure7, le capital économique permet de racheter en quelque sorte le capital sportif, le capital spécifique. C’est ainsi qu’un club relativement faible sportivement comme le Paris Saint Germain par exemple, a pu acheter grâce au capital économique du Qatar du capital sportif. Comme la politique, comme les médias, le sport est un univers où les formes de capitaux externes pèsent de plus en plus sur les jeux internes. Je ne dis pas qu’ils sont majeurs, mais j’encourage à sortir des institutions politiques et du capital politique pour mieux comprendre les questions d’autonomie et d’hétéronomie. Je pense qu’on gagne à travailler sur d’autres univers.

Éric Darras : Les concepts ont une histoire. Les champs aussi. Les champs politique et journalistique changent avec les habitus mais de concert. Le champ journalistique s’autonomise très irrégulièrement du champ politique depuis la III^e République et génère son illusio spécifique, un sens de l’honneur professionnel chez les journalistes. Dès lors, les capacités d’agir conquises mais aussi les contraintes propres aux journalistes exercent leurs effets sur tous les champs médiatisés dont celui politique. Il en va ainsi de la qualité du questionnement journalistique d’un chef politique, comme du « choix » de « l’inviter » sur un plateau en raison de son potentiel d’audience, réel ou supposé. Dès lors, la visibilité médiatique n’a évidemment jamais été le reflet direct des positions occupées dans le champ politique. Elle l’est sans doute d’ailleurs de moins en moins en raison de l’accentuation de la contrainte de maximisation des audiences utiles aux annonceurs. Et que les politiques font leur apprentissage des médias, selon leurs prédispositions, ça va de soi, ça relève du sens commun. En fait c’est cette croyance magique dans la toute-puissance des médias qu’il faudrait prendre pour objet plutôt que point de départ. L’objectivation statistique, même la plus élémentaire, permet de découvrir des réalités plus dérangeantes parce qu’elles heurtent jusqu’au sens commun savant de la fonction d’agenda des médias. La visibilité des chef.fe.s politiques dépend toujours non des individus mais de la position hiérarchique qu’ils ou elles occupent au sein du champ politique et au mieux secondairement de leur reconnaissance médiatique, de leur personnalité ou de je ne sais quel charisme. Prendre les exceptions pour la règle, c’est aussi prendre des vessies médiatiques pour des lanternes sociologiques. Que la subordination structurale du champ journalistique vis-à-vis du champ politique8 ne soit pas fondamentalement remise en cause aujourd’hui, c’est autrement plus étonnant et intéressant puisqu’il y a eu le triomphe de ces forces hétéronomes du côté de la logique de marché avec l’accentuation des contraintes commerciales, la multiplication des chaînes privées, la dérégulation, le rachat des médias par les milliardaires, etc. D’ailleurs, en travaillant sérieusement sur des monographies de ces apparentes exceptions à la règle, ces entrepreneurs politiques et médiatiques que ce soit Tapie9, Bachelot10, Bové et la belle thèse d’Aicha Bourad et sans doute aujourd’hui Macron, on retrouve l’importance voire une surdétermination par les logiques politiques. Philippe Juhem, à propos de SOS Racisme, relativisait lui aussi considérablement le rôle des médias11, tout comme Olivier Baisnée sur Greenpeace ou Dominique Marchetti12.
Où sont les marges de progression pour la sociologie politique ? Il y a la meilleure intégration de la variable du genre. Concrètement sur la visibilité des femmes politiques, des années 1960 aux années 1990, c’est simple : elles sont quasiment inexistantes à la télévision. J’avais alors expliqué que si les femmes étaient invisibles, c’est avant tout parce qu’elles étaient absentes du sommet de la hiérarchie politique mais mon amie Sheila Perry a eu raison d’ajouter que la condition de femme relève du facteur aggravant, on l’a bien vu avec Édith Cresson ; bien d’autres travaux, dont ceux de Frédérique Matonti ont montré depuis l’importance spécifique de l’ordre des sexes dans l’ordre politico-journalistique13. C’est toujours à nouveau les relations entre habitus, ceux des professionnels de la politique et ceux des journalistes, qu’il faut creuser en alternant les moments objectivistes et subjectivistes, tout en demeurant réflexif, pour éviter par exemple d’outrer telle ou telle variable, la classe, le genre ou la « race » parce que l’universitaire se vit lui-même, plus ou moins inconsciemment, comme affecté. Autre question, celle des traitements ou cadrages journalistiques, autrement dit, l’imputation médiatique de responsabilité (la « société », le Gouvernement, les « individus », la « Nature », les « immigrés »…), au-delà de l’agenda. C’est essentiel pour mieux comprendre le pourquoi et le comment de la médiatisation croissante des idées et leaders de la droite tant ultra-libérale que radicale. Et il y a encore la question toujours intimidante en France des appropriations du côté des publics de ces performances médiatiques, au-delà des seules anticipations plus ou moins rationnelles des réceptions.

Le capital médiatique comme générateur de questionnements

Jérémie Nollet : Tous les auteurs qui parlent de capital médiatique ne parlent pas exactement de la même chose et ne répondent pas aux mêmes problématiques. Pour certains, ce concept peut servir à étudier les inégalités de visibilité dans les médias. Pour d’autres, cela permet d’étudier le travail politique : l’entrée dans le métier politique, les compétences politiques, les contraintes de rôle, etc. Pour d’autres encore, le capital médiatique sert à interroger les bénéfices politiques que l’on peut retirer de cette notoriété. Finalement, de quoi parle-t-on lorsqu’on parle de capital médiatique ? Il ne s’agit pas ici de définir le capital médiatique mais de préciser ce que le concept sert à montrer.

Erik Neveu : Il faut peut-être à la fois faire son deuil du capital médiatique, mais pas des questions dont il est le levier. Alors par quoi on peut le remplacer ? Sûrement, et ça a été fait, bâtir des indicateurs de visibilité ou de passage dans les médias et dans l’espace public plus largement. Je pense que c’est pertinent, il y a plein de façons de le faire. Il ne faut pas simplement compter mais se demander où les gens passent, combien de temps, avec qui ils discutaient de quoi ils parlaient. Il serait intéressant de quantifier des choses qu’en général on ne voit que qualitativement. Il faut aussi ajouter les questions de réceptions : on pourrait inventer des protocoles par lesquels on verrait comment se sédimente une mémoire ou dans l’oubli le plus complet, les coups et les gestes médiatiques qui ont plus excité les médias quand ils étaient pratiqués à chaud. Il y a aussi le concept de travail politique orienté vers les médias14, dans le même espace conceptuel, cette idée de travail politique concourt à rendre sensible aux savoir-faire et démarches par lesquelles les acteurs œuvrent à diffuser des principes de vision et de division du monde. Il y a une part de plus en plus significative de ce travail par les professionnels de la politique qui cible les médias, qu’est-ce que ça a changé ? Pourquoi ? Comment ça marche ? Et puis pour revenir à mon hypothèse des capitaux fondamentaux, je pense qu’il faudrait aller voir du côté de l’acquisition, de l’apprentissage, de la socialisation secondaire à des types de capitaux culturels qui sont fonctionnels dans les tâches de communication et de prise de parole dans l’espace public.
Le papier de Safia Dahani sur les modes de formation des jeunes du Front national15, illustre à mon sens de façon stimulante ce que pourraient être de telles démarches : aller voir sur le terrain comment ces apprentissages se font. Dans cette logique il faudrait aussi développer les travaux sur les modes d’apprentissage des médias. Nous sommes un certain nombre à avoir questionné la manière dont les professionnels de la politique avaient apprivoisé, s’étaient approprié le média télévision16. Mais il serait intéressant de voir comment s’est opéré le processus d’appropriation des réseaux sociaux, entre des professionnels de la politique socialisés très tôt à leur usage, et celles et ceux, plus âgés, qui ont dû s’y convertir. Il faudrait aussi raisonner sur des échelles : les savoir-faire et savoir-être, les outils communicationnels qui éventuellement sont efficaces pour l’emporter dans un espace qui est celui des pairs, ne sont pas forcément les mêmes que pour aller vers les journalistes, ce n’est pas encore forcément les mêmes que vers le ou les publics17. Je ne connais pas assez la carrière et le personnage d’André Labarrère pour départager la part des dispositions et celles du calcul rationnel dans ses stratégies de communication, mais l’analyse qu’en propose Johanna Edelbloude a l’immense mérite de poser les bonnes questions sur la dialectique des ressources et investissements médiatiques et des échelles territoriales de carrière, sur celle des ambitions et du réalisme amer d’un repli sur l’espace urbain, la « province18 ».
Il y a aussi la question qui est probablement plus convenue et plus familière de savoir comment fonctionnent les processus d’accumulation du capital social, entre journalistes et acteurs politiques, comment s’accumule le capital symbolique comme perception d’une exceptionnalité, d’une reconnaissance des hommes et des femmes politiques par les journalistes. Peut-être d’ailleurs une grande part de nos échanges a-t-elle été politico-centrée, plus attentive aux stratégies et compétences des politiques qu’aux capacités d’action et d’anticipation de journalistes qui étaient en ombres chinoises dans beaucoup de nos discussions, même si Pierre Leroux et Philippe Riutort ont fait contrepoids à cette posture19. Je pense qu’on peut à la fois être attentif à la position structurellement dominée des journalistes politiques, à leur faible capacité à définir un agenda autonome sans pour autant les réduire au statut d’agents impuissants, passifs ou complaisants. Sur quelle base accordent-ils et elles du crédit. Est-ce que Macron ou tel personnage est conforme à la vision qu’ils se font de la modernité politique ? Est-ce qu’ils anticipent (je pense de Noël Mamère20), que s’ils invitent celui-là, il y aura forcément un « pain dans la gueule » pour quelqu’un d’important et la petite phrase qui fera rigoler tout le monde ? Et sans doute il y a aussi des jeux de dons et de contre dons. Une chose que je trouve passionnante dans le livre, très réflexif, de Philippe Ridet21, qui était en charge de « suivre » Sarkozy dans la présidentielle de 2007 c’est combien il montre le temps incroyable qu’a passé Sarkozy pendant des années et des années à tisser des liens y compris avec des « petits journalistes » qui n’étaient rien au début. De voir comment il s’est constitué un réseau d’obligés, a dédié des centaines d’heures à recevoir, donner du « off », passer des appels téléphoniques à un grand nombre de journalistes – et pas seulement aux éditorialistes en vue-sans même qu’il y ait du calcul stratégique lui renvoient l’ascenseur. Il faut explorer tous ces modes de construction d’un capital symbolique des politiques par les journalistes. Peut-être aussi symétriquement comprendre à quels journalistes les politiques attribuent du mana et pourquoi. Au fond, je pense qu’on pourrait traiter beaucoup des questions qui nous ont fait dialoguer pendant ces journées avec cet outillage relativement conventionnel.

La production de capital symbolique

Daniel Gaxie : Je voudrais revenir sur l’une des difficultés déjà pointées. Je pense qu’au cours de ces deux journées, la même expression, « capital médiatique » a été mobilisée pour évoquer des choses en réalité très différentes. Un concept est un instrument pour désigner un phénomène et en même temps pour l’isoler. C’est une étiquette symbolique. Le mot est conventionnel et arbitraire. On pourrait en utiliser d’autres. En même temps, il y un art de bien nommer les choses qui fait partie de l’art de la construction conceptuelle et de la culture théorique. Il y a un art de déceler les réalités pertinentes et de bien les nommer afin de les isoler et de les distinguer. Un concept bien construit est un concept qui distingue ce qui doit être distingué et qui rassemble ce qui doit être rassemblé. Les mots sont conventionnels. Ainsi, on peut appeler « capital politique » l’ensemble des opérations de reconnaissances qui donnent du poids et de la force à agir dans les espaces de compétition politique. Dans les systèmes politiques se réclamant de la démocratie, le capital politique est pour une part importante (bien que variable selon divers facteurs) l’ensemble des opérations de reconnaissance opérées par les profanes (qui sont en fait souvent des opérations de reconnaissance attribuées aux profanes par les commentateurs politiques autorisés). Le poids des acteurs politiques individuels ou collectifs dépend par exemple pour une part importante, souvent, (mais pas toujours), du nombre des suffrages qu’ils sont en mesure de mobiliser. Mais le vote n’est pas la seule forme de reconnaissance des profanes. Ces derniers peuvent manifester ou sont censés manifester leurs soutiens par d’autres moyens (réponses aux sondages d’opinions, participation à des réunions ou des manifestations, financements, expressions d’opinions dans la vie courante), Ce capital de reconnaissance profane vient de l’extérieur des milieux politiques. On peut le désigner comme capital politique externe. Mais il y a aussi un capital de reconnaissance interne qui vient des acteurs politiques eux-mêmes (investiture des partis, élections aux positions de pouvoir importantes au sein des Parlements, nomination au gouvernement) et des autres catégories de spécialistes de la politique (journalistes, experts, politologues, sondeurs, essayistes). Il me semble qu’il y a des profits de connaissance à appeler « capital médiatique », cette fraction du capital de reconnaissance interne induite par l’activité des médias et des journalistes. Si on choisit d’appeler « capital médiatique » le capital de reconnaissance médiatique en faveur d’un acteur politique individuel ou collectif, c’est pour désigner, isoler et distinguer un ensemble très précis de phénomènes sociaux, en l’occurrence l’ensemble des opérations par lesquelles le champ journalistique manifeste de l’attention, de l’intérêt, éventuellement des formes d’admiration ou d’approbation, à l’égard d’une femme ou d’un homme politique, ou encore d’un groupe politique quelconque (parti, faction, gouvernement, coalition). Du coup il ne faut pas confondre le capital médiatique ainsi défini avec les ressources mobilisées pour accumuler ce capital (par exemple les qualités d’orateurs, l’aptitude à « faire de l’audience », les apparences physiques, les titres scolaires, les moyens financiers, les relations dans le milieu journalistique). Ce sont deux choses différentes, qu’il convient de distinguer soigneusement si l’on veut éviter de tomber dans la confusion théorique. De ce point de vue et sur ce point, je suis en désaccord avec les arguments avancés par Erik Neveu. Les concepts de capital médiatique, mais aussi, plus généralement de capital politique, tels qu’ils viennent d’être définis, ne peuvent se concevoir, se construire et s’opérationnaliser comme une combinatoire de ressources fondamentales pour l’action politique.

Erik Neveu : Non, c’est le résultat, la transfiguration des capitaux de base dans les perceptions d’agents du champ, au-delà du champ en certains cas

Daniel Gaxie : Oui voilà, mais du coup il est essentiel de les distinguer. De même, le capital médiatique défini en tant qu’ensemble des opérations de reconnaissance d’un acteur politique par les univers médiatiques, doit être soigneusement distingué du travail politique en direction des médias. Il faut distinguer également le capital médiatique ainsi conçu de la compétence qui peut contribuer à l’accès aux médias. L’effort de clarification théorique est nécessaire si l’on veut vraiment maîtriser ce dont on parle. La clarification est facilitée quand on évite d’utiliser le même mot pour parler de choses différentes et quand on prend soin de désigner par des mots différents, c’est à dire par des concepts différents, des réalités sociales distinctes.
Il me semble également que quand on réfléchit à la médiatisation, on se focalise trop souvent sur les seuls passages à la télévision et à la radio. C’est effectivement une dimension importante de la médiatisation, mais il y en a d’autres. Il faudrait ici mobiliser toute une théorie du champ journalistique pour voir préciser les processus d’accumulation du capital médiatique en tant que composante du capital de reconnaissance interne d’un acteur politique. Quels sont les médias qui engagent le processus ? Quels sont ceux qui contribuent le plus à cette reconnaissance particulière ? Sont-ce par exemple des médias généralistes ou à publics sélectifs ? Sont-ce des médias spécialisés ? Le passage au JT de TF1 et l’expression de points de vue dans la presse agricole sont évidemment des formes de reconnaissance médiatique et de stratégie de médiatisation très différentes. Il ne suffit pas de dire que tel acteur est médiatisé. Il faut encore préciser dans quel secteur du champ journalistique.
Ensuite, la médiatisation et donc les formes de reconnaissance médiatique ne se réduisent pas au nombre des passages, ni à leur durée. Il faudrait encore être attentifs aux modalités de médiatisation et aux formes de reconnaissance qu’elles induisent. À quel degré, par exemple, les journalistes manifestent-ils plus ou moins tacitement du respect et de la déférence ou au contraire du mépris, de la condescendance, de l’hostilité ou de l’aversion. Une propriété particulière de la composante médiatique du capital politique du Rassemblement national réside dans leurs interactions souvent agressives et focalisées sur les questions de l’immigration avec beaucoup de journalistes des médias « grand public ». Il me semble qu’on peut avancer l’hypothèse que cela contribue à leur « qualité » de « propriétaire » du problème de l’immigration et à certaines convictions que ce parti ou ses porte-parole sont « différents », qu’ils sont « énergiques » et « qu’ils ne se laissent pas faire ». C’est dans ces logiques qu’il faut aussi observer et analyser les manières dont les femmes politiques sont médiatisées. Il ne suffit pas de prendre en compte l’ampleur des médiatisations. Il faut s’intéresser à leurs modalités, comme le font celles et ceux qui ont observé les formes particulières de traitement des femmes politiques par les journalistes.

La coproduction des verdicts journalistiques

Éric Darras : Il y a aussi une dimension problématique du concept de capital qu’il faut avoir en tête : le capital médiatique peut aussi être vu comme une forme de reprise du sens commun journalistique. Il faut bien voir aussi que c’est une idéologie professionnelle, c’est ainsi qu’ils se justifient d’exister en tant que sélectionneurs démocratiques, c’est le b.a.-ba du journalisme : dans les écoles, ils apprennent que le journaliste est là pour sélectionner et hiérarchiser les informations, c’est son rôle démocratique. Dès lors, le capital médiatique est un concept qui fait écran à l’explication de certaines régularités statistiques et à l’approfondissement des types de compétences réellement pertinentes. Comme l’explique Erik, il faut donc inévitablement découper le capital médiatique. Il faut aller chercher derrière le capital médiatique d’un leader politique en tant que capital symbolique spécifique et synthétique pour le champ journalistique, les formes fondamentales de capitaux : capital social à entretenir par des relations privilégiées ou du off, capital culturel sous ses trois formes et depuis la prime enfance de classe et capital économique. Et comme l’explique Daniel, ces capitaux ne prennent sens que relationnellement, dans la rencontre des habitus. Par exemple, le « potentiel d’audience » de Cameron ou Macron est sans doute plus fantasmé par les professionnels des médias que réel. Mais peu importe car c’est cette croyance médiacratique qui est ici opératoire dans le réel. Or ce « potentiel d’audience » est aussi la forme prise par le capital économique dans le monde médiatique ; ce que ne montre pas suffisamment notre collègue et ami Aeron Davis, qui sous-estime aussi la dimension subjective, l’aspect « magie » de la croyance. Par ailleurs, on l’a dit, ce « potentiel audimatique » est lui-même toujours coconstruit par les soutiens de Cameron et Macron, à partir de leurs capitaux sociaux mais aussi économiques intéressés qui s’investissent pour financer leurs candidatures mais aussi pour faire faire des études de think tanks, des côtes de popularité, des sondages qui vont les valoriser, les crédibiliser auprès des professionnels des médias dont les habitus eux-mêmes sont plus ou moins en adéquation, etc. Ça me semble très important de ne pas prendre ce concept de capital médiatique comme point de départ parce qu’il y a là un vrai risque d’effet d’aveuglement.

Delphine Dulong : Les textes présentés lors du colloque sont en tout cas très loin de cette vision journalistique du capital. Je pense notamment au texte de Safia Dahani sur les jeunes du Front national qui montre qu’il faut un habitus, des dispositions et à tout le moins un certain savoir-faire pour investir dans ce travail en direction des médias. Ce n’est pas donné à tout le monde. On l’a vu aussi dans la communication sur Pascal Canfin22. Pourquoi ça marche dans son cas ? Parce qu’il est journaliste lui-même à l’origine. Il y a d’ailleurs dans le texte de très bons extraits d’entretiens avec des journalistes qui disent « lui c’est génial, on appuie sur le bouton, et il fait exactement ce qu’on attend de lui » ! Mais les dispositions ne sont pas toujours la seule explication. Dans la communication d’Aïcha Bourad, par exemple, on voit que l’entourage de José Bové fonctionne quasiment comme une communauté charismatique qui pousse son leader à aller vers les médias. José Bové est content d’y aller, mais derrière il y a les entourages qui sont là, qui font pression. C’est bien connu : on peut être dominé par sa propre domination.
Si j’en viens à présent à la question des effets structuraux sur le fonctionnement du champ politique, pour moi, ça reste encore largement du domaine programmatique. Pour l’instant, on a essentiellement de très bonnes monographies, mais qu’est-ce qu’on peut dire de général ? Dans sa thèse, Jérémie Nollet23 montre bien que ce travail en direct des médias exige certaines compétences, certains savoir-faire et savoir-être. Par exemple, ça requiert des capacités d’anticipations, un sens du jeu qui est sans doute beaucoup plus important qu’auparavant. Il montre aussi que ce travail en direction des médias prend une part croissante au sein du gouvernement à tel point que ça devient une vraie contrainte. Et pour avoir travaillé sur les tous premiers gouvernements de la V^e République – où l’état du champ journalistique n’est pas du tout identique, ni celui du champ politique, où il n’y a pas encore d’élection présidentielle au suffrage universel direct, où le pouvoir politique contrôle l’audio-visuel avec l’ORTF –, je peux affirmer que cette contrainte était alors quasi inexistante. Debré ne voit presqu’aucun journaliste en trois ans. Et si Pompidou s’y intéresse davantage c’est uniquement parce qu’il n’a pas de capital politique. Il est dans une stratégie d’outsider. La médiatisation de la vie politique a donc eu ici dans le cas du gouvernement des effets sur les compétences requises pour vivre pour et de la politique. Mais quid des autres institutions ? On n’a pas vraiment de travaux qui nous montrent des effets très forts et généralisés, en tout cas qui le démontrent empiriquement. Un protocole relativement simple à mettre en place dans une enquête collective consisterait à prendre les agendas d’hommes politiques situés différemment dans l’espace politique, qui ont différents capitaux et on regarde concrètement, de manière très minutieuse la part que prend ce travail en direction des médias et quel type de travail il s’agit.
Reste ouverte aussi la question des effets de légitimation des médias. Les recherches sur les femmes en politique sont de ce point de vue très intéressantes. Dans les travaux pionniers de Mariette Sineau ou de Jane Freedman, toutes les femmes qui étaient engagées dans la vie politique de manière plus ou moins professionnalisées dans les années 1980-1990, c’est-à-dire avant la première loi sur la parité, se plaignaient spontanément du très faible intérêt que les médias leur portaient. Il y avait donc à cette époque une très nette sous-visibilité des femmes en politique qu’elles considéraient d’ailleurs comme un véritable handicap dans la construction de leur carrière. Je précise que cela a été objectivé par Sheila Perry qui a publié dans la revue Mots en 200924 une enquête sur la base de 46 émissions diffusées entre janvier 1966 et juin 1999, laquelle montre que, sur près de 2040 prestations individuelles, 88 % de ces prestations sont masculines ! Mais le plus intéressant, c’est que dans le cas des femmes, ce faible « capital médiatique » ne reflète pas du tout les positions qu’elles occupent dans le champ du pouvoir politique, puisque des femmes avec autant de capitaux politiques qu’Edith Cresson, Edwige Avice (qui cumule 5 portefeuilles ministériels sur la période étudiée) ou Catherine Lalumière (4 portefeuilles dans 4 gouvernements différents) ne sont jamais invitées sur les plateaux télé. Il y a donc un effet de genre très net ici. Je ne sais pas si le champ journalistique demeure subordonné au champ politique mais il est en tout cas clairement subordonné aux principes de classement du monde social. La preuve : l’effet de genre joue encore après l’instauration de la parité homme/femmes en politique, mais d’une toute autre manière. Les travaux du groupe L’invention de l’élue25 auxquels j’ai participé montrent en effet que les femmes qui entrent en politique à l’occasion de la parité ont connu une surmédiatisation aussi forte qu’inédite, avec parfois des effets très concrets sur les carrières, c’est-à-dire des carrières fulgurantes pour celles qui comme Rachida Dati ou Rama Yade cumulaient certaines propriétés singulières. Cependant, notre groupe de recherche a aussi relevé des effets contre-productifs en termes de consécration politique, puisque cette visibilité médiatique inédite tend à enfermer les femmes politiques dans leur genre, en les assignant à des tâches politiques considérées comme féminines.

Contrôle et production de la relation avec les journalistes

Dominique Marchetti : Pour compléter sur la mesure du capital médiatique, ou plutôt sur les passages, etc. Il y a des débats très intéressants à la fois sur ce que l’on compte, comment on compte, etc. Mais il y a également tous les refus. Tous les entretiens montrent qu’il y en a qui refusent le jeu ou, en tout cas, qui sont contraints par le jeu. Ça c’est une première chose.
Je reprends le cas du sport, mais ça vaudrait la peine de réfléchir par comparaison sur le champ politique. Le premier constat quand on rencontre les journalistes sportifs, c’est que les joueurs de football professionnel ne sont plus simplement des sportifs mais ce sont des salariés, voire des petits entrepreneurs. Autrement dit, pour avoir accès aux joueurs, il faut attendre parfois six mois comme dans le cas d’une interview de Paul Pogba réalisée par un journaliste du Monde. Il faut l’accord soit de l’équipementier, soit de l’agent. Il faut l’autorisation du club puisque c’est un salarié d’un club. Pour le dire autrement, les conditions de l’accès – et je pense qu’en politique aussi – ont beaucoup changé. On voit bien ici concrètement ce que produisent les médias sur l’espace du football professionnel, au sens où ils constituent un espace stratégique pour des raisons économiques, j’insiste là-dessus, pas pour des raisons médiatiques, mais pour des raisons économiques. En effet, les principaux agents et institutions de cet espace professionnel sont très largement financés directement ou indirectement par la médiatisation (droits télévisés, sponsors, etc.).
Le deuxième constat, et on pourrait faire l’homologie avec la politique aussi, a trait aux dispositifs qui se sont mis en place pour contrôler à la fois les installations, l’accès aux installations des clubs et des fédérations. Les journalistes sportifs disposent d’un accès très restreint aux entraînements, ils n’ont quasiment plus accès aux joueurs en direct. Bref, ils les voient de moins en moins. Qu’est-ce que ça fait aussi ? En politique, c’est un peu différent, mais il y a un contrôle de l’accès aux installations aussi qui est très fort. L’institutionnalisation de la conférence de presse ou aussi de ce qu’on appelle les « zones mixtes » en football, à la fin des matches, sont des dispositifs très contrôlés. Tous les médias ne peuvent pas y aller, il faut payer pour y aller dans certaines compétitions. La troisième dimension qui me semble très forte en politique comme un sport – et les mouvements sociaux ont été précurseurs en la matière – renvoie à la création par les agents et les institutions de leurs propres médias. Aujourd’hui, une bonne partie des agents de joueurs, des communicants, des équipementiers, produisent leur propre information sur les joueurs et la contrôlent. Désormais, au lieu de faire parler les joueurs et les entraîneurs, la plupart des journalistes sportifs se retournent vers les consultants de la télévision ou reprennent les tweets des joueurs ou des clubs pour alimenter leurs papiers. Voilà un exemple concret des effets du champ journalistique sur l’espace du football professionnel. Je pense qu’il faudrait essayer de comparer ces logiques dans différents univers. En politique, il faudrait travailler sur tous ces effets de fermeture, qui sont de plus en plus grands et qui sont dus non pas aux médias en eux-mêmes, mais parce que c’est devenu un espace stratégique pour différentes raisons.

Olivier Baisnée : Il faut prendre en compte aussi le rôle de la médiatisation dans l’exercice du métier politique au sens des effets de réassurance que ça peut avoir. Un article, ça leur dit des choses de là où ils en sont. En lisant les livres consacrés à Sarkozy, on voit qu’apparemment il est obsédé par tout ce qui est quantifiable, que ce soit ses chiffres d’audience, ses chiffres de vente, les chiffres de vente des disques de sa femme. C’est la même chose avec les sondages. On n’a pas abordé et c’est un des éléments du rôle que jouent les médias dans l’exercice du métier politique.

Concurrences dans l’accès aux médias : le champ médiatique existe-t-il ?

Philippe Riutort : Je me demande si on n’est pas tous victimes d’une sorte de biais politiste dans le fait d’envisager le capital médiatique quasi exclusivement à partir de l’usage qu’en font les professionnels de la politique. Pour le dire rapidement, je me demande si être reconnu par les médias, c’est la même chose pour un sportif de haut niveau, pour Nicolas Dupont-Aignan, pour Nabila. Je ne suis pas persuadé que la réponse soit « oui ». D’un côté pour un professionnel de la politique, l’usage des médias, c’est manifestement quelque chose qui est censé servir à sa carrière politique, pour éventuellement gagner une élection, pour accéder à un poste, ou pour avoir une reconnaissance qui fait qu’il va valoir quelque chose à l’intérieur vis à vis de ses pairs. Mais ce ne peut être que quelque de chose de délégué. Ce ne sont pas les médias qui vont l’investir comme tel. Ce qui n’est pas forcément le cas d’autres professionnels évoluant dans d’autres espaces sociaux, pour lesquels la consécration par les médias peut être relativement directe. Autrement dit, est-ce que le simple fait que nous saisissons le capital médiatique à partir de carrières de professionnels de la politique n’est pas un biais puisque ça laisse quand même de côté tout un tas d’agents sociaux qui n’ont pas pour vocation de faire de la politique et d’utiliser les médias à leur fin ? La deuxième chose, j’ai l’impression qu’on congédie un peu vite le champ médiatique. Si on reprend Bourdieu sur le champ de production culturelle, je n’ai pas l’impression qu’il renvoie à un univers qui est extrêmement prédéfini. C’est-à-dire que dans le champ de production culturelle, on peut avoir tout un tas de gens. Si on prend par exemple le champ de la peinture, les galeristes, les revues, les peintres… Et selon les moments, on le sait bien, ça change. Les voies de reconnaissance ne sont pas les mêmes, les acteurs qui comptent ne sont pas les mêmes, etc. Si on définit le champ médiatique, pour être très original comme ceux qui vivent par et pour les médias, il y a du monde quand même. Il y a les journalistes, mais aussi les publicitaires, les conseillers en communication, tout un tas de gens, de près ou de loin, qui eux cherchent des rétributions qui serait lié à un capital médiatique puisque pour eux… C’est la survie dans leur espace. Ce qui n’est manifestement pas le cas des professionnels de la politique.

Erik Neveu : Par rapport à la question sur l’existence d’un « champ médiatique », on peut en discuter. Il me semble que le doute qui renvoie à un vrai motif de réflexion et d’enquête c’est le fait qu’aujourd’hui les frontières du champ journalistique soient extrêmement floues, avec la montée de sites web, la difficulté à faire la différence entre ce qui est une production d’information qui répond à des critères de professionnalité et des choses qui sont faites par des amateurs, des semi professionnels ou des gens qui n’ont pas la carte de journaliste. Là il y un vrai motif de discussion, qui pose la question : est-ce qu’aujourd’hui, la majorité de la production de l’information se fait au sein d’un champ journalistique. En même temps si on considère les publicitaires, les conseillers en com’, les journalistes, premièrement, ils ne travaillent pas dans les mêmes institutions et les mêmes entreprises, deuxièmement ils ne visent pas les mêmes trophées. Si on caricature, le publicitaire ce qui l’intéresse c’est d’avoir des part de marché et éventuellement les trophées remis par sa corporation, les conseillers en com’ c’est d’avoir de la surface papier ou du temps où l’on parle bien de la personne qu’ils veulent promouvoir ou des résultats dans les sondages, et les journalistes certains vont chercher l’audimat d’autres le prix Albert Londres, donc ils courent au final après des choses assez différentes. Par ailleurs, même si c’est très largement hypocrite et rhétorique, l’opposition canonique « on ne fait pas de la com’ », c’est une des raisons d’être des journalistes. Sur une autre relation, un très bon conseiller en communication qui arriverait à faire passer pour du rédactionnel du « prêt à publier » ou du « prêt à diffuser » qu’il aurait produit, à l’instant où ça se sait, son boulot est saboté. Le journaliste ou le titre qui a produit ça sans le dire est délégitimé. Autant je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il y a un débat ouvert sur ce que sont aujourd’hui les frontières du champ journalistique et je n’ai pas de réponse, sur le « champ médiatique », je suis sceptique. Ils ne jouent pas le même jeu, ce ne sont pas les mêmes règles du jeu, il n’y a pas les mêmes trophées, les configurations d’interdépendances sont très variées. Donc tout en comprenant que le terme de « capital médiatique » vienne sous la plume – y compris la mienne- pour désigner ce que Daniel Gaxie résume adéquatement comme un ensemble de reconnaissances acquises auprès de journalistes ou de professions de mise en valeur dans l’espace public, j’essaie d’en réprimer l’usage. Il y a cela trois raisons : le flou des frontières et de la consistance d’un – quoi ? – espace, champ, configuration médiatique, le fait qu’on serait fondamentalement en présence d’une variété localisée du classique capital symbolique et enfin le point de vue, exprimé aussi par Dominique Marchetti, que d’autres questions et outils permettent tout aussi adéquatement de comprendre les enjeux soulevés par cette notion. Mais pour parodier la chute d’une contribution de Fréderic Bon au vieux « Traité de Science Politique26 » la fécondité de ces choix d’outillage théorique ne peut être jugée qu’a posteriori, à leurs fruits et suggérait-il « le premier arrivé attend l’autre ».

Dominique Marchetti : Pour aller dans le sens de Philippe Riutort, il n’y a peut-être pas de champ médiatique mais il y a une concurrence très forte aujourd’hui dans la production de l’information. Il y a une multiplicité d’agents qui interviennent. Les journalistes sont plus de plus en plus concurrencés. En regardant les gens qui fabriquent des sites internet au Maroc, une bonne partie de leur niche – parce qu’ils ont du mal à avoir de la pub, etc. – consiste à faire ce qu’ils appellent du « brand content », c’est-à-dire qu’ils démarchent des entreprises pour leur proposer de produire des reportages qu’ils intègrent à leur site internet. Ici, la production de l’information n’est plus forcément générée par les journalistes. De même, le travail de thèse de Benjamin Ferron27 montre qu’il faut sortir des simples journalistes « encartés » pour voir qu’il y a une forte concurrence pour la production de l’information entre les « amateurs » et les « professionnels ». C’est tout l’intérêt de la notion de champ.

Dépasser l’aporie de l’individualisation du capital : le capital comme rapport de force

Philippe Juhem : Daniel Gaxie proposait une définition plus précise de ce que pourrait être le capital médiatique. C’est l’ensemble des opérations de reconnaissance accordée à un individu par les médias ou les journalistes, ce qui est un objet tout à fait important et intéressant. La question est alors : peut-on vraiment utiliser le terme de « capital » pour désigner ces opérations de reconnaissance ? Est-ce que cette reconnaissance a les propriétés d’un capital ? On peut peut-être s’accorder sur les propriétés que doit avoir quelque chose appelé capital. Si on se rapporte au capital monétaire, au capital culturel, il faut que ça ait une certaine durabilité. Il faut que ce soit accumulable. Il faut que ce soit transmissible éventuellement par un héritage. Alors le problème est alors si la reconnaissance accordée par les médias correspond à ces propriétés. Justement, on a vu tout à l’heure que c’était problématique parce que cette reconnaissance est très volatile, variable dans le temps. C’est à dire que la reconnaissance accordée à Nicolas Sarkozy et François Hollande en début de mandat n’est pas la reconnaissance accordée par les journalistes en fin de mandat. C’est une reconnaissance qui est très dépendante des hiérarchies sociales et politiques ou institutionnelles. Et c’est une reconnaissance qui n’est pas transmissible. Donc bien que ce soit quelque chose de très intéressant à observer, à étudier, je pense qu’on n’a pas besoin d’utiliser le terme de capital pour définir cela.

Éric Darras : Un des enjeux importants, c’est de toujours distinguer et articuler les rapports de force à chaque fois entre journalistes et hommes politiques, comme dans le champ sportif avec ce que vient de dire Dominique. De fait, un président de la République n’a nul besoin de gesticuler pour être présent dans les médias. De toute façon, étant donné la position éminente qu’il occupe, il est le plus visible. S’il accepte de venir dans une émission ordinaire, les professionnels des médias transformeront d’eux-mêmes le dispositif pour le solenniser et marquer l’événement. On ne devient pas un grand homme politique parce qu’on est médiatique mais à l’inverse on devient à coup sûr médiatique lorsqu’on devient un grand homme politique. La hiérarchie de la visibilité respecte la hiérarchie politique viennent ensuite le Premier ministre, le leader de l’opposition, le ministre de l’Intérieur, etc. Par contre, plus on est bas dans la hiérarchie ministérielle, plus il va falloir gesticuler. Tout dépend là encore du rapport de force. C’est tout l’intérêt de raisonner en termes de champ donc de positions et d’habitus historiquement constitués. Ce qui implique aussi de travailler sur les homologies (ou non homologies) structurales entre journalistes et hommes politiques, la rencontre des types de capitaux constitutifs des habitus. Les interviewers des chef.fe.s politiques ne sont plus mêmes que les journalistes des années 1960-1970. Les animateurs n’ont pas même la carte de presse. Et du coup ça transforme complètement le rapport aux hommes politiques, etc. Donc il y a vraiment des changements mais les profils sociaux des politiques changent aussi…
Pour répondre à cette question de la transmissibilité et de l’héritage du capital politique. Il faut comprendre que si des émissions d’infotainment du type Vivement dimanche ou On n’est pas couché remplacent des émissions politiques plus classiques gérées par les services politiques des chaînes, c’est d’abord par la présence des plus grands hommes politiques qui progressivement vont assoir par leur seule présence la légitimité politique de l’émission. Donc il y a bien une transmission du mana, de l’autorité politique qui va faire que Vivement dimanche va devenir l’émission politique française de référence comme l’était hier L’Heure de vérité ou Sept sur sept. Dans un premier temps évidemment, Drucker ne parvient pas à obtenir ces grands hommes politiques, pas du tout. Sa propre consécration passe par les grands ministres jusqu’à la première dame ou le Premier ministre. C’est par les politiques qu’il va lui-même s’imposer dans la hiérarchie du champ médiatique. C’est un autre point que le capital médiatique peut occulter, la position occupée dans le champ journalistique dépend elle-même bien souvent de la reconnaissance par les politiques, par l’épaisseur du carnet d’adresses du journaliste, etc. Pour rebondir sur l’exemple de Sarkozy que livrait Erik, Sarkozy, en s’élevant au sommet du champ politique, à la surprise générale, a aussi, ce faisant, fait des carrières journalistiques… La place du journaliste dans la conférence de presse, sa place dans l’avion présidentiel pour les déplacements à l’étranger dépend de sa proximité au grand homme politique… On reste à bien des égard dans le modèle éliassien de la société de Cour avec la stratégie des étiquettes. Pour Elias la Cour à Versailles a d’ailleurs été le laboratoire de la vie politique moderne…

Daniel Gaxie : Est-il pertinent d’appeler « capital médiatique » d’un acteur politique l’ensemble des opérations de reconnaissance induites par le simple fait de l’inviter à s’exprimer dans tel ou tel médias ? Le choix des catégories de désignation des phénomènes sociaux étudiés par des chercheurs en sciences sociales est à la fois arbitraire, conventionnel, mais aussi crucial dans la mesure où les catégories retenues sont inégalement heuristiques. Il me semble que l’intérêt d’utiliser le mot, l’étiquette, « capital », plutôt que d’autres, réside dans la possibilité de dérouler le système des hypothèses et des questions de recherche suggérées par le mot lui-même et que d’autres mots ne permettraient pas d’associer aussi facilement. On sait par exemple que le capital s’accumule. D’où une question de recherche immédiate : comment s’accumule le capital médiatique ? De même, comment il s’use, s’entretient, s’amortit, se transmet, s’hérite ? Le simple usage du mot, ou, à tout le moins, les usages théoriques du mot, suggèrent immédiatement de nombreuses questions de recherche précieuses pour le travail d’observation et d’interprétation des observations. L’enjeu n’est pas d’introduire un peu de « chic théorique » ou de manifester son allégeance à telle tradition intellectuelle. Ce n’est pas non plus de décréter de manière substantialiste ce qu’est vraiment ou ce que n’est pas le capital. L’objectif est d’essayer de mettre en place un équipement théorique fécond et de générer des questions de recherche.
Au sujet de la transmission, il y a une autre forme de transmission en plus de celle dont Éric Darras vient de parler. Est-ce que le capital médiatique attaché à la fonction (je suis ministre, je suis invité) va se transmettre au titulaire de la fonction lorsqu’il cesse d’être titulaire de la fonction. C’est aussi un problème de transmission du capital. Il me semble que le raisonnement induit par l’usage du mot capital et par l’ensemble des réflexes théoriques associé au mot a une efficacité. Cette forme de construction théorique conduit à braquer l’attention des chercheurs sur des réalités qu’ils ne regarderaient pas s’ils n’avaient pas le concept. C’est ça qui est intéressant dans la construction et l’usage des concepts.

Production et réception des coups médiatiques

Erik Neveu : Je voudrai suggérer deux pistes. La première, présente dans certaines contributions à ces journées serait d’analyser comment un certain nombre d’acteurs politiques mais aussi des mouvements sociaux, s’émancipent des médias institués, c’est-à-dire produisent directement leur communication, sans avoir à la formater en fonction des exigences d’un tiers, chaîne de télé, etc. C’est toute la question de sites web, des réseaux sociaux, des presses dites « alternatives » ou éventuellement de la remobilisation d’outils de communication qu’on disait peut-être un peu vite obsolètes, comme les tracts, l’affichage. Il faudrait d’ailleurs introduire une comptabilité des audiences. Certes la télévision reste centrale sur des moments hautement ritualisés comme le débat final de la présidentielle, mais une comptabilité des messages politiques en « minutes d’attention » combinées aux chiffres d’audience et aux profils des récepteurs des messages politiques qui circulent sur les réseaux sociaux ou des sites web pourrait réserver quelques surprises. Donc une communication maîtrisée plus directement, par des acteurs politiques ou des entrepreneurs de cause, quels effets cela produit en termes de contrôle du message, de publics touchés, de modalités de perception ? Deuxième piste, je renvoie à un vieux papier de Parodi qui s’appelait joliment « ce que tu es parle si fort qu’on n’entend plus ce que tu dis »28. Je pense qu’il y aurait programme d’analyse de ce qu’il reste de ces investissements démentiels d’activisme médiatique. Il y aurait une sociologie de l’oubli et de l’évaporation qui serait extrêmement intéressante. Et éventuellement qu’est-ce qu’il reste, par exemple si je dis Villepin… Michel Noir… Qui a mémorisé quoi ? Est-ce que quelque chose est resté, s’est sédimenté ? Et alors quoi, quelle parole, quelles images, quels moments ?

Éric Darras : Comment travailler sur la réception ? On ne fait que commencer en France. Mieux vaut partir des publics, par des entretiens collectifs et répétés notamment, mais en plaidant l’indissociabilité du processus de communication ou de socialisation médiatique. On le faisait au moins au travers des anticipations de la réception : les effets en retour sur ce qu’est une bonne prestation, le gouvernement par les instruments, les instruments d’audience, etc. puis les effets de la croyance médiacratique, les homologies structurales journalistes/hommes politiques mais aussi professionnels de l’information/audience. Il y a d’ailleurs eu des travaux très tôt qui ont été oubliés : Louis Pinto, par exemple, sur Le nouvel Observateur29. Notons aussi que ce sont des collègues femmes, plutôt du côté du CNRS à la marge de l’université, qui ont été les pionnières en France des études de réceptions… Restons soucieux de réflexivité, pour réfléchir aussi à notre rapport à l’objet, aux effets de discipline, pour comprendre pourquoi certains vont mettre en avant précisément les médias (en info-com), alors que du côté de la science politique on va mettre en avant le politique… Et puis réfléchir à son propre rapport à l’objet, aux journalistes et aux politiques. Certaines approximations s’expliquent aussi par un certain mépris mal contrôlé qu’on peut avoir pour certains journalistes. La réflexivité reste indispensable mais la difficulté c’est qu’à la fois le chercheur ne peut y parvenir seul et qu’il doit se dévoiler…

Dominique Marchetti : On pourrait l’avoir sur les terrains, par exemple sur la presse populaire. À part quelques exceptions, on a parlé de Paris Match, pourquoi il n’y a rien sur Le Parisien alors que Le Parisien est devenu un quotidien politique de premier ordre dans les chaînes de télévision ? Avant, c’était seulement Le Monde, Le Figaro, Libération mais il n’y a pas eu d’enquête sur Le Parisien, alors que c’est un quotidien aujourd’hui central, y compris pour la couverture médiatique du champ politique. C’est vrai pour la presse populaire plus largement. Il y a peu de choses sur la presse people30. C’est dommage parce qu’on gagnerait à élargir nos terrains.
Il y a une deuxième piste que je trouve intéressante et qui est féconde, me semble-t-il, pour de nombreux univers sociaux, c’est comment aujourd’hui chacun est obligé de produire sa propre communication. Certains journalistes sont obligés de tweeter, ils deviennent des commerciaux de leurs propres informations, ce qui n’existait pas avant. Du côté des médias aussi, les stratégies de reprise ont complètement changé, il y a une vraie commercialisation, chacun est un peu un VRP de ce qu’il produit. Je pense que c’est valable dans différents champs et ça vaudrait la peine de travailler sur ce phénomène. Autre chose qui est vrai pour le journalisme et peut-être pour la politique aussi : la plupart des médias ne font que retraiter l’information produite par d’autres, comme le montrent les usages de Twitter ou Facebook. Ça c’est intéressant aussi : comment il y a des politiques de plus en plus assis, des journalistes de plus en plus assis, des chercheurs de plus en plus assis et qui passent leur temps non pas à produire de la matière première, mais à répéter ce qui a été produit par d’autres.