2. Pôle emploi, une fusion contre les gestionnaires
p. 63-100
Texte intégral
1Pour comprendre les formes actuelles de la gestion du chômage et des chômeurs, ce chapitre présente les évolutions récentes du service public de l’emploi et de ses missions. Les évolutions de la politique de l’emploi provoquent en effet des reconfigurations institutionnelles qui se répercutent sur les outils de gestion. Les indicateurs qui avaient été solidifiés par les contrôleurs de gestion de l’ANPE découlaient avant tout de la politique de l’emploi menée depuis 1967 : placer les chômeurs au moyen d’une bourse aux emplois. Au tournant du millénaire, la politique de l’emploi évolue et ce sont de nouvelles fonctions que les contrôleurs de gestion doivent rationaliser : accompagner et contrôler l’ensemble les demandeurs d’emploi. Fusion de l’ANPE et d’une partie de l’assurance chômage, Pôle emploi renoue avec une conception ancienne de l’indemnisation : des allocataires fortement encadrés afin de réduire les opportunités des passagers clandestins. Néanmoins, pour des raisons qui tiennent en grande partie à une utilisation trop formelle des outils du New public management, la fusion échoue à atteindre ses propres objectifs. Ce chapitre se propose d’étudier la naissance de Pôle emploi au moyen de l’analyse des politiques publiques en distinguant trois séquences : la construction du problème, l’élaboration de la réforme et sa mise en œuvre.
1990-2008 : Pôle emploi fils des « politiques d’activation » ?
2Au cours des années 1990, les politiques de l’emploi évoluent. Les conceptions néo-classiques du chômage s’imposent et la figure du chômeur victime s’estompe pour faire place à la figure du chômeur coupable1. Après quarante ans de politiques sociales, les chômeurs seraient tentés de choisir le « loisir » plutôt que le travail. La solution paraît simple : utiliser le levier des prestations sociales pour orienter le comportement des chômeurs. On parle de « politiques d’activation » car – en théorie – ces dispositions cherchent à faire agir les chômeurs plutôt que de les dédommager passivement. Dans le champ de l’emploi, les politiques d’activation consistent en fait à articuler plus finement les allocations-chômage et l’aide à la recherche d’emploi. En raison de l’architecture institutionnelle française, cette simple idée suppose en fait de rapprocher deux organismes qui sont en tous points dissemblants. L’assurance chômage est délivrée depuis 1958 par un organisme paritaire, l’Unedic, confédération nationale d’une multitude d’associations régionales, les Assedic. L’aide à la recherche d’emploi est assurée comme on l’a vu par une agence publique, dépendante du ministère du Travail mais qui cherche à s’en départir. La mise en œuvre des politiques d’activation en France a donc cela de spécifique qu’en plus d’une transformation des pratiques, elle doit s’astreindre à une modification du cadre institutionnel. Ce chapitre retrace cette histoire, pour expliquer la naissance de Pôle emploi.
Du contrôle à l’accompagnement, l’évolution des politiques d’encadrement des chômeurs
3Articuler l’indemnisation et le placement n’est pas une idée nouvelle. Pendant longtemps, cette articulation s’est focalisée sur la pratique du « contrôle des chômeurs » censée éviter les comportements opportunistes. Je ne reviendrais pas ici sur l’histoire du contrôle des chômeurs – déjà traité par ailleurs2 – mais il importe d’avoir à l’esprit que dès la naissance des bureaux de placement publics, privés ou syndicaux au xixe siècle, les inscrits étaient soumis à un contrôle très strict de leur comportement et de leurs allées et venues. Les politiques de lutte contre la pauvreté sont en effet hantées, depuis leur apparition, par la figure du « mauvais pauvre », c’est-à-dire celui qui profite de la solidarité sans se montrer loyal vis-à-vis de la main qui le nourrit3. Il est marquant d’observer que, depuis le début du xxe siècle, les comportements prohibés restent quasiment les mêmes : les chômeurs ne doivent pas travailler au noir, ils doivent être disponibles, sobres et tout mettre en œuvre pour retrouver un travail. On peut donc se demander ce qui se joue de spécifique au cours des années 1990. C’est en fait la définition de la notion de contrôle qui évolue.
4À partir de 1972, l’ANPE est bien en charge du contrôle des chômeurs mais l’effectivité de cette pratique est sans cesse remise en cause. Il semble que pour les raisons de surcharge d’activité évoquées précédemment, les conseillers se sont contentés de faire « pointer » les chômeurs pour s’assurer qu’ils ne travaillaient pas au noir. Au tout début des années 1980, la notion de contrôle ne correspond plus qu’à une procédure formelle, chronophage et fortement décriée4. L’émergence du chômage de masse entre 1973 et 1990 – un chômage de plus en plus long, qui touche de plus en plus de personnes – modifie les conceptions traditionnelles du chômage. Jusqu’à présent le chômage était conçu comme un phénomène transitoire, et les chômeurs étaient par construction d’anciens travailleurs amenés à retravailler sous peu5. Ces transformations ouvrent une fenêtre d’opportunité aux partisans de la thèse du « chômeur profiteur ». En 1990, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) interpelle les institutions en charge du contrôle – ANPE, Assedic et directions déconcentrées du Travail – sur la faiblesse des contrôles et le peu d’effectifs mobilisés6. L’injonction au contrôle des demandeurs d’emploi prend de l’ampleur lorsqu’elle s’invite dans le débat public7. C’est ainsi qu’en 1991, Michel Charasse, ministre des Finances, justifie les mauvais chiffres du chômage par l’existence de près de « 700000 faux chômeurs ». En réponse, Martine Aubry, ministre du Travail et des Affaires Sociales, promet davantage de contrôles pour prouver au ministre des Finances… qu’il se trompe8. Cette politisation de la question du contrôle des chômeurs se trouve renforcée par les institutions supranationales. L’Union européenne (UE) et l’Organisation de coopération de développement économique (OCDE) militent pour utiliser la protection sociale comme contrepartie du retour à l’emploi et pour un encadrement plus poussé des bénéficiaires de la solidarité nationale. Dans le champ du chômage, les Services publics de l’emploi nationaux sont invités à employer les allocations-chômage pour inciter les chômeurs à retourner au travail, quel qu’il soit. Le modèle de l’emploi salarié à temps plein est alors battu en brèche par ces recommandations au profit de la notion d’activité.
5Dès les années 1980, l’OCDE a défendu la mise au travail des inactifs et des actifs inoccupés9. Au cours de la décennie suivante, elle recommande d’appliquer une politique de l’emploi fondée sur les hypothèses de l’économie néoclassique10. Cette institution contribue ainsi à imposer l’idée selon laquelle le chômage découle des choix individuels11. Selon cette vision, les chômeurs privilégient le chômage plutôt que l’emploi du fait de revenus de remplacement trop élevés. Cette approche amalgame les différentes situations d’emploi sous le vocable d’« activité » qui correspond à n’importe quel travail valorisé par un salaire12. Il convient donc de réorganiser l’architecture des dispositifs d’aide pour rendre le retour à l’activité financièrement avantageux, par des incitations monétaires ou par un suivi plus régulier13. Auparavant considérée comme un outil de la reconversion et du retour à l’emploi, l’indemnisation est soudain perçue comme un obstacle14. Le projet est développé au cours des années 1990 à force d’études, souvent micro-économiques, prouvant l’efficacité de politiques de l’emploi « incitatives », sous la bannière du slogan : « make work pay ». Il faut intervenir sur les choix des individus pour les préserver de l’oisiveté. L’OCDE propose, par exemple, le cumul des prestations sociales et des revenus salariés pour inciter les chômeurs à reprendre un emploi, ou bien encore la mise en place d’un suivi des demandeurs d’emploi, afin qu’ils soient mieux encadrés, c’est-à-dire plus souvent contrôlés et davantage aidés. Le contrôle des chômeurs ne consiste plus seulement à vérifier ce qu’ils font, il s’agit maintenant d’encadrer les décisions qu’ils prennent. C’est dans ce contexte qu’apparaît la notion d’accompagnement.
La mise en œuvre des politiques d’activation en France à partir de 2001
6La communauté européenne reprend à son compte les recommandations de l’OCDE à partir de 1997 dans le cadre de la stratégie européenne de l’emploi (SEE). Il faut inciter les chômeurs à retrouver un emploi tout en préservant la productivité de la population active par la formation, dans une perspective inspirée de la théorie du capital humain15. Devenue stratégie « de Lisbonne » en 2000, cette politique est coordonnée par des indicateurs statistiques comparant la « performance » de chacun des États membres. Ce « dispositif d’évaluation comparatif » est nommé Méthode ouverte de coordination (MOC)16. Il s’agit d’un benchmarking général des politiques sociales organisé à l’échelle européenne. En jouant sur l’émulation et « l’effet palmarès », l’Union entend pousser chacun des participants à s’inspirer des meilleurs élèves pour faire émerger une politique sociale communautaire : l’« inclusion17 ». Entre 2000 et 2004, ce programme de coordination échoue à établir des indicateurs auxquels les pays membres accordent une importance. Le fait que les services publics de l’emploi nationaux suivent les démarches des chômeurs est ainsi considéré par certains pays comme un indicateur des efforts consentis, tandis que pour d’autres il s’agit là d’un minimum, l’État devant faire plus. Néanmoins, la SEE révèle un large consensus parmi les États membres : ils sont tous d’accord pour subordonner la politique sociale au retour à l’emploi. L’augmentation du taux d’emploi devient le seul objectif consensuel18. Ces recommandations en matière de politique d’emploi ne sont pas directement transcrites dans le droit français. Elles sont investies par des acteurs hétérogènes et concurrents et s’imposent par des touches successives qui font débat.
7Les politiques d’activation s’insèrent dans l’agenda politique français par des chemins de traverses : le paritarisme. L’articulation entre indemnisation et placement prend de l’ampleur quand les partenaires sociaux signent une nouvelle convention d’assurance chômage en juin 2000. La première version du texte propose d’obliger les chômeurs à accepter n’importe quel emploi après six mois de chômage et confie aux Assedic le pouvoir de sanction des chômeurs. Mais la ministre du Travail et des Affaires Sociales, Martine Aubry, s’y oppose car elle ne souhaite pas abandonner la gestion de la liste des demandeurs d’emploi à une institution de droit privé. La convention est finalement agréée par l’État et entre en vigueur le 1er janvier 2001.
8La convention de 2001 est inspirée par le souhait de remettre les chômeurs indemnisés en emploi. Les partenaires sociaux veulent profiter de la conjoncture économique favorable pour reclasser les chômeurs dans des secteurs porteurs et misent pour cela sur l’articulation placement-indemnisation. Ils privilégient le versant accompagnement de l’activation. L’Unedic finance ainsi l’embauche de 3500 agents par l’ANPE et cherche à contrôler les chômeurs plus souvent et à mieux les former, à travers le financement de formations. Ces dispositions ont pour but de garantir l’équilibre à long terme des comptes du régime d’assurance chômage. Plus généralement, les gestionnaires de l’Unedic ne veulent plus cantonner l’indemnisation « à un guichet d’allocation » et souhaitent proposer « un soutien réel et efficace à chaque demandeur d’emploi19 ». La convention met en place, au sein des Assedic, le Plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) et, au sein de l’ANPE, le Projet d’action personnalisé pour un nouveau départ (PAP/ND). Ces acronymes désignent un engagement contractuel, signés entre le chômeur et l’institution de prise en charge, qui instituent une augmentation de la fréquence des rendez-vous pour les chômeurs identifiés comme les plus éloignés de l’emploi. Le contrat inclut, par ailleurs, des entretiens de contrôle des démarches de recherche d’emploi, effectués par des agents Assedic et des incitations financières à se former dans des secteurs dits « en tension20 ». Suite au retournement conjoncturel de 2001, la convention est révisée et les critères d’éligibilité à l’allocation-chômage deviennent plus restrictifs21. La convention d’assurance chômage ne conduit pourtant pas à une explosion des sanctions. Certes, le nombre de chômeurs suspectés de fraude et signalés par les Assédic passe de 4402 en 2002 à 47062 en 2004, en raison de l’augmentation du nombre de convocations à entretien de suivi Assedic22. Mais le nombre de sanctions tend à baisser23.
9Le développement des politiques d’activation conduit à brouiller les frontières entre les institutions. La convention d’assurance chômage de 2001 constitue un premier pas vers la politique de l’emploi actuelle. En assumant une approche préventive du risque chômage – accélérer le retour à l’emploi des personnes jugées les plus éloignées du marché du travail – l’Unedic participe à brouiller les lignes institutionnelles entre ce qui ressort de la réception des chômeurs au titre de l’aide et au titre du contrôle. Elle pose également – à son corps défendant – la question de l’égalité de traitement entre demandeurs d’emploi indemnisés et non-indemnisés puisque les premiers sont plus aidés que les seconds24. L’Unedic contribue ainsi à interroger la légitimité de son mandat de gestion des fonds issus des cotisations.
10À partir de 2001, le PARE et le PAP/ND instaurent un encadrement plus serré des chômeurs. L’articulation entre indemnisation et placement tend à brouiller les cartes entre ces deux activités et les deux institutions qui les mettent en œuvre. Les chômeurs peuvent être aidés ET contrôlés par l’ANPE ou l’Assedic. Différents organismes d’inspection réclament une mise en cohérence du paysage institutionnel25. L’ANPE et l’Unedic sont accusées de ne pas suffisamment jouer le jeu d’une politique de l’emploi concertée. La loi de programmation pour la cohésion sociale, votée le 18 janvier 2005, dite « loi de cohésion sociale » ou « Loi Borloo » du nom du ministre du Travail et des affaires sociales de l’époque, se donne pour but d’améliorer l’efficacité de la politique de l’emploi en coordonnant les différentes institutions participant au Service public de l’emploi français. Les travaux préparatoires à la loi mettent en avant deux objectifs principaux : coordonner les acteurs de la politique de l’emploi au niveau national et local, d’une part, modifier la réglementation de l’activité de placement, d’autre part26. L’Unedic est reconnu comme un acteur légitime du placement tandis que le monopole de l’ANPE sur le suivi des chômeurs est abrogé.
11La loi de janvier 2005 relève des politiques d’activation des dépenses de chômage en ce qu’elle place le contrôle régulier des démarches de recherche d’emploi au cœur des dispositifs de réception des demandeurs d’emploi. Les personnes à la recherche d’un emploi, qu’elles aient travaillé ou non, s’inscrivent auprès des Assedic. Mais, parce que les services en question ne disposent pas des agents formés à l’évaluation des compétences, les chômeurs sont ensuite reçus à l’ANPE pour établir leur projet professionnel (ou PPAE pour Projet personnel d’accès à l’emploi). À partir du quatrième mois, les demandeurs d’emploi jugés proches du marché du travail sont reçus tous les mois à l’ANPE par un conseiller leur étant attribué. Cette personnalisation du suivi, intitulée Suivi mensuel personnalisé (SMP), est conçue comme un moyen de contrôler les démarches des demandeurs tout en améliorant la cohérence du suivi. Au cours de ces rendez-vous, l’ANPE propose différents services aux demandeurs d’emploi pour perfectionner leurs méthodes de recherche d’emploi ou pour améliorer leurs compétences professionnelles. Les demandeurs d’emploi indemnisés peuvent bénéficier, en plus, de formations financées par l’assurance chômage dans certains métiers spécifiques que l’Unedic a identifiés comme « en tension », c’est-à-dire des emplois où la concurrence entre candidats est plus faible. Le contrôle des chômeurs indemnisés par l’ANPE est redoublé par un contrôle de leurs démarches dans les locaux de l’assurance chômage, tous les six mois. Les demandeurs d’emploi jugés éloignés de l’emploi peuvent bénéficier d’un suivi renforcé – tous les quinze jours – effectué par un service spécialisé de l’ANPE – Cap vers l’entreprise (CVE) – ou par des Opérateurs privés de placement (OPP) financés par le Régime d’assurance chômage27. La loi de 2005 propose un cadre de coordination, certes, mais à l’intérieur duquel des opérations équivalentes – relatives à l’indemnisation comme au placement – peuvent être effectuées par différentes institutions.
12De 2005 à 2008, la loi de cohésion sociale provoque une concurrence entre les institutions. L’organisation du traitement des demandeurs d’emploi par la loi de 2005 est perçue de manière distincte dans les différents organismes du Service public de l’emploi. Les conseillers de l’ANPE et leur encadrement y voient un renforcement de la mise en concurrence instituée en 2001 par le PARE28. Ils jugent que l’Unedic cherche à faire de l’ANPE un sous traitant. C’est la position que défend un cadre départemental de l’ANPE rencontré à l’époque, après m’avoir demandé d’éteindre le dictaphone :
« Ce que je vous ai dit pendant l’entretien [la nécessité de mesurer et de piloter l’activité pour améliorer l’efficacité de l’institution] c’est la position officielle de mon institution, l’ANPE. À titre personnel, je suis beaucoup plus circonspect quant à la capacité des directeurs d’agence à faire la part des choses entre, d’une part, le pilotage objectif de l’activité et, d’autre part, le fait de « faire du chiffre » en mettant la pression sur leurs équipes. Mais, je me refuse à tenir un tel discours publiquement parce qu’on subit à l’heure actuelle une pression très forte de notre environnement, l’assurance chômage, pour ne pas la citer, qui utilise le moindre prétexte pour démontrer que l’on n’est pas efficace et que l’on doit être remplacés. On subit des attaques d’une rare violence. »
Denis, chargé de mission pilotage dans une direction départementale, 2006.
13L’Unedic est ainsi soupçonnée d’expansionnisme. Selon cette lecture des évènements, à l’occasion de l’ouverture à la concurrence, l’Unedic souhaiterait prendre la position de commissaire priseur du marché du placement en s’instituant donneuse d’ordre d’une multitude d’opérateurs. L’ANPE deviendrait un prestataire de l’assurance chômage parmi d’autres, dont un grand nombre seraient des opérateurs privés. Comme l’analyse également O. Mazade, sociologue observant à l’époque le travail des conseillers de l’ANPE :
« [L]’entrée de l’Unedic dans le domaine de l’activation, le développement de la sous-traitance entraînent un développement des relations donneurs d’ordres/prestataires […]. L’ANPE devient un prestataire du régime d’assurance chômage29. »
14Au sein de l’assurance chômage, la lecture de la loi se fonde sur un argumentaire plus gestionnaire que marchand. Conformément au mandat qui leur est confié par la loi, les partenaires sociaux considèrent que l’assurance chômage a pour mission de limiter ses dépenses au titre de l’indemnisation des demandeurs d’emploi et doit ainsi chercher à réduire la durée d’allocation des demandeurs d’emploi indemnisés. Pour accélérer leur retour à l’emploi, il convient de les contrôler davantage, de les former pour garantir leur qualité sur le marché du travail et de les accompagner de façon plus serrée. En regard, les gestionnaires de l’Assurance chômage considèrent que l’ANPE n’est efficace ni dans le placement, ni dans le contrôle, ce qui grève les comptes du régime. Surtout, les gestionnaires de l’assurance chômage considèrent que les intérêts de l’ANPE sont opposés aux leurs dans la mesure où, pour l’ANPE, les personnes qui ne sont pas indemnisées constituent un public prioritaire et néglige de ce fait le public de l’Unedic. C’est ce qu’explique une cadre de l’Unedic de l’époque :
« C’était plutôt l’ambition des partenaires sociaux qui disaient… La position du MEDEF, notamment, était de dire : “Puisque l’État nous impose un niveau de cotisations élevées pour financer l’assurance chômage (parce que le MEDEF pensait toujours que le taux de contribution était trop élevé), et bien qu’on aille jusqu’au bout, si on paye, on gère. Mais on ne gère pas seulement l’indemnisation, on le gère comme une assurance. Du reste, l’Unedic est une assurance chômage. Ce n’est pas une assistance chômage. Et, donc, on le gère dans une optique d’assurance. On fait de la prévention et on fait du curatif, mais efficace. Non seulement, on verse une indemnité mais on oblige les gens à reprendre le travail.” Ça a toujours été la position du MEDEF ça. »
Dominique, directrice en charge du réseau Assedic au sein de l’Unedic en 200530.
15Au sein de l’Assurance chômage, l’idée de gérer de bout en bout le parcours des demandeurs d’emploi indemnisés gagne du terrain. Il ne s’agit plus de participer indirectement au marché du placement mais d’intégrer, par des contrats de sous-traitance, toute la filière de suivi des demandeurs d’emploi. Ces dispositions ne sont pas inscrites dans la loi de cohésion sociale de janvier 2005. Il s’agit d’une ambition que caressent les gestionnaires du Régime d’assurance chômage au cours des années suivantes. Ces débats, entre représentants des institutions du Service public de l’emploi, soulignent à quel point les questions de contrôle des allocataires et de gestion des fonds issus des cotisations sont théoriquement liées. En effet, en vertu de la diffusion de la notion « d’activation », l’encadrement des chômeurs ne consiste plus en une vérification épisodique des démarches effectuées mais repose davantage sur un accompagnement longitudinal visant à orienter les choix successifs de la personne. L’activité de contrôle devient une composante de l’aide. Dans une perspective « assurancielle », les partenaires sociaux développent des dispositifs d’aide et de contrôle des chômeurs indemnisés. Mais ce qu’ils ne voient pas c’est que la légitimation des politiques d’activation et leur efficacité supposée rendent ces dispositions souhaitables pour l’ensemble des chômeurs, qu’ils soient indemnisés ou non. Il apparaît très vite inéquitable de réserver l’accompagnement aux seuls demandeurs d’emploi indemnisés.
16De 2001 à 2007, le Service public de l’emploi met en place un suivi individualisé de tous les chômeurs. Les allocations-chômage sont envisagées comme un droit conditionné à des devoirs : la recherche d’emploi et la mobilité professionnelle. Les chômeurs sont pensés comme des acteurs économiques rationnels, arbitrant entre travail et loisir. Au contrôle physique – le pointage – et à la menace de sanction, se substituent des procédures de suivi des demandeurs d’emploi qui recherchent « l’enrôlement31 » par des incitations monétaires et des relations interpersonnelles. Le contrôle devient une évaluation morale du bénéficiaire et concerne même les chômeurs ne bénéficiant pas d’une allocation. À la veille de la fusion entre les Assedic et l’ANPE, l’indemnisation et le placement semblent organisés de telle sorte que chacune des institutions contrôle et aide. La seule activité spécifique des agents Assedic est le calcul des droits.
Le projet Pôle emploi en 2007 : activer les chômeurs et rationaliser le traitement du chômage
17Promesse de campagne du candidat Sarkozy en 2007, la réforme du service public de l’emploi votée le 13 février 2008 regroupe les activités d’indemnisation et de placement des chômeurs au sein d’un même établissement, Pôle emploi32. Conduite au pas de charge, cette réorganisation institutionnelle réalise un projet plusieurs fois caressé mais chaque fois abandonné : disposer d’une seule institution pour indemniser et placer les demandeurs d’emploi. Un tel projet avait été formulé en 1967 sous la plume du commissaire général au plan33, en 1993 dans le discours du ministre des Affaires Sociales Philippe Seguin34 et encore en 2005 lors de la préparation de la loi de cohésion sociale35. La réforme votée en 2008 demeure singulière en ce qu’elle combine deux objectifs : l’activation des chômeurs et la rationalisation des dépenses.
18La création de Pôle emploi poursuit un objectif spécifique à la politique d’emploi : activer les chômeurs. À ce titre, il convient de resituer cette réforme dans le cadre plus général de la politique économique menée par l’administration Sarkozy. Le projet de loi déposé fin 2007 présente la fusion comme la déclinaison dans le champ de l’emploi d’une politique économique de l’offre. La réforme de l’organisation du Service public de l’emploi est conçue comme la cheville ouvrière d’un retour au plein-emploi reposant largement sur la flexibilité accrue du marché du travail.
19En 2007, le taux de chômage baisse depuis deux ans et s’élève à 7,5 % de la population active, son plus bas niveau depuis 25 ans. « Tout laissait à penser que la France s’était enfin inscrite dans un cycle durable de baisse du chômage. La perspective d’un taux de chômage à 5 % de la population active n’était pas de l’ordre du mirage ou de l’incantation politique » jugera après coup le dernier directeur général de l’ANPE36. La conjoncture paraît favoriser l’ajustement des institutions à un nouveau régime de croissance proche du plein-emploi. L’ensemble du projet de l’exécutif repose sur une politique de l’offre appelée à « dynamiser la croissance ». L’exposé des motifs de la loi précise : « l’accélération des créations d’emploi dans le secteur marchand passe par un service public de l’emploi plus efficace du point de vue des entreprises comme des personnes à la recherche d’un emploi37 ». La relance de l’économie par l’offre pourrait créer des tensions sur le marché du travail en multipliant les postes de travail disponibles et non pourvus, favorisant ainsi l’inflation, les employeurs augmentant les salaires proposés pour attirer plus facilement des travailleurs. La réforme du service public de l’emploi a vocation à prévenir ces tensions en fluidifiant les appariements et en « améliorant le fonctionnement du marché du travail » dans son ensemble38. Le gouvernement souhaite renforcer « l’efficacité du service public de l’emploi » et annonce des objectifs chiffrés : « à l’horizon 2012 : faire baisser le taux de chômage afin de le ramener à 5 % et faire progresser de 63 à 70 % le taux d’emploi au cours de la même période39 ». La fusion constitue pour l’exécutif « une première étape de la modernisation du marché du travail40 ». L’exposé des motifs de la loi explicite l’ambition de : « mettre à la disposition des actifs, des salariés comme des personnes à la recherche d’un emploi, un ensemble de prestations facilitant leur orientation sur le marché du travail et leur donnant accès, à chacune des étapes de leur parcours professionnel, à l’accompagnement et, le cas échéant, à la formation dont ils peuvent avoir besoin41 ». Le projet de réforme s’inscrit dans une perspective de « réforme structurelle » du marché du travail, destinée à atteindre le plein-emploi par les voies de la flexibilité. Les modalités de traitement des chômeurs changent sous l’effet de la réforme institutionnelle. Les missions confiées au nouvel opérateur regroupent celles attribuées précédemment à l’opérateur public de placement – l’ANPE – et au réseau opérationnel de l’assurance chômage – les Assedic. La fusion de l’ANPE et des Assedic ne se justifie pas par une modification des grands paradigmes des politiques d’emploi mais se propose de « capitalis[er] sur les acquis42 » de la période précédente. L’exécutif considère qu’un changement de l’architecture institutionnelle devrait justement permettre d’améliorer les résultats de la politique de l’emploi : les politiques d’activation seraient entravées par la composition institutionnelle du service public de l’emploi, « éclaté en plusieurs réseaux qui ont souvent du mal à coordonner leurs interventions sur le terrain43 ». La réforme initiée en 2007 a pour ambition de renforcer à la fois les activités d’accompagnement et de contrôle des chômeurs. S’il y a continuité dans la politique d’activation44, la rupture se situe dans l’organisation institutionnelle du service public de l’emploi.
20La fusion est justifiée parce qu’elle offre l’opportunité de mettre dans les mains du même agent, le conseiller Pôle emploi, l’ensemble des outils de l’activation. Cette politique n’était pas envisageable dans le cadre d’un guichet unique qui aurait maintenu côte à côte les deux institutions et donc les deux groupes professionnels. Créer une nouvelle institution suppose donc de redéfinir le mandat des conseillers. Le groupe de travail préparant la réforme choisit de désigner cette nouvelle fonction par le terme de « référent unique ». Celui-ci devrait assurer à la fois l’indemnisation et le placement, conformément aux annonces faites par le candidat Sarkozy durant la campagne qui déclarait « celui qui donne le chèque ce doit être celui qui propose un emploi45 ». Les agents de l’ANPE et des Assedic sont appelés à exercer la même activité : le suivi personnalisé des demandeurs d’emploi. Par la création de ce nouveau groupe professionnel et de sa nouvelle fonction, la politique d’activation des chômeurs se dote d’un nouveau levier : confronter les demandeurs d’emploi à chaque entretien de suivi à leurs devoirs en matière de recherche d’emploi et aux sanctions auxquelles ils s’exposent en cas d’efforts jugés insuffisants pour « rechercher activement un emploi ». Comme l’explique la ministre de l’Économie et des Finances, le 9 janvier 2008 devant le Sénat : « C’est dans une logique de contrat et de partenariat que nous entendons proposer le nouveau service public de l’emploi, étant néanmoins précisé que ceux qui ne souhaiteraient pas entrer dans cette démarche vers l’emploi devront, bien entendu, en tirer toutes les conséquences. » En cela, la réforme du service public de l’emploi vise à renforcer la pression exercée sur les chômeurs. Dans le projet de fusion, l’articulation de l’indemnisation et du placement repose alors sur deux modalités. D’abord, l’augmentation de la fréquence des rendez-vous doit permettre un suivi plus serré des démarches des demandeurs d’emploi. Ensuite, de nouvelles prérogatives en matière de contrôle de la recherche d’emploi sont attribuées aux conseillers. Ces prérogatives découlent de la loi du 1er août 2008 « relatives aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi » qui vient compléter la loi de fusion. Cette loi définit de manière plus stricte les devoirs associés au projet personnalisé d’accès à l’emploi (qui est élaboré lors de l’inscription du demandeur d’emploi), et notamment les critères relatifs aux « offres raisonnables d’emploi », que les chômeurs ne peuvent refuser sans se voir sanctionnés. Dans ce processus, le conseiller joue un rôle crucial à différentes étapes : élaboration d’un projet professionnel réaliste (au regard des besoins du marché du travail), proposition d’offres raisonnables d’emploi et contrôle du caractère actif de la recherche d’emploi et des éventuels refus d’offres d’emploi.
21Outre une optimisation institutionnelle vouée à facilité la mise en œuvre des politiques d’activation, le second objectif de la réforme est de rationaliser les services et les dépenses de lutte contre le chômage. À l’opposé de la réforme précédente de 2005, qui visait à coordonner différents organismes, le projet initié en 2007 dessine une institution centrale rassemblant les missions auparavant réalisées par l’ANPE et les Assédic.
22De manière classique pour ce type de réforme, la fusion poursuit une meilleure allocation des moyens et des économies d’échelles à travers la réorganisation du travail. Cette réforme doit ainsi être saisie dans le contexte de Révision générale des politiques publiques (RGPP) qui consiste à réduire les dépenses (et donc les effectifs) des administrations tout en améliorant leur efficacité46. Lors de la présentation de son projet de loi devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 2 octobre 2007, la ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Christine Lagarde, déclare : « Nous devons suivre dans ce domaine la même logique que nous appliquons à l’ensemble de l’État, celle d’une gestion rigoureuse, soucieuse d’éviter les doublons et d’améliorer les performances. » Pour faire des économies le principe de fusion fait alors figure de « mythe rationnel47 ». Mais le projet de fusion se distingue très clairement du reste de la réforme de l’État sur le plan des effectifs. La rationalisation de l’organisation ne vise pas à diminuer les effectifs mais à mettre davantage de salariés de l’institution face aux chômeurs. La ministre de l’Économie et des Finances projette ainsi d’additionner les effectifs des conseillers de l’ANPE aux agents des Assedic pour fournir un encadrement des demandeurs d’emploi similaire à celui des autres pays européens : un conseiller pour soixante demandeurs d’emploi inscrits. En théorie, les 14000 agents issus des Assedic viennent donc s’adjoindre aux 24000 conseillers ANPE. Les doublons éventuels, notamment dans les fonctions supports, doivent être réaffectés au guichet. La fusion consiste ainsi à multiplier par 1,5 le nombre d’agents qui suivent des chômeurs.
23En regard de la RGPP, la singularité du projet réside également dans l’augmentation des crédits promis par l’exécutif. À titre d’exemple, le sacrosaint principe de « non remplacement d’un fonctionnaire sur deux » est ici absent. Surtout, en modifiant les règles de financement de l’opérateur public, la loi revient à faire financer deux tiers du budget de Pôle emploi par l’assurance chômage. La loi impose à l’Unedic de verser au moins 10 % de ses recettes pour financer l’opérateur unique, un montant supérieur à la somme que l’Unedic consacrait auparavant aux « dépenses actives ». Le tiers restant est financé par une dotation de l’État48. La fusion permet donc à l’exécutif de faire peser le plus gros des dépenses de l’opérateur public sur les cotisations des employeurs et des salariés.
24La fusion ANPE-Assedic poursuit des économies d’échelle pour atteindre un objectif ancien des politiques d’emploi : l’activation des chômeurs. En plus de réduire les doublons, le projet de fusion crée une nouvelle fonction qui approfondit l’activation. Le « référent unique » dispose à présent de la carotte et du bâton pour inciter les demandeurs d’emploi à chercher du travail.
L’année 2008 : Le travail de fusion passe à côté du travail des agents
25Le projet présidentiel réorganise le service public de l’emploi autour d’un organisme central. Si ce projet a un objectif simple – articuler in situ l’indemnisation et le placement – sa mise en œuvre se révèle plus complexe. Au moment où la décision politique de fusionner est prise et annoncée, de nombreuses interrogations demeurent qui vont jusqu’au périmètre des différentes institutions du service public de l’emploi. Un groupe de travail est réuni autour de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des Finances pour construire Pôle emploi.
La fusion du point de vue de la haute fonction publique : fusionner dans l’urgence à la remorque du politique
26Dans les premières semaines qui suivent l’annonce de la fusion, à l’automne 2007, les incertitudes portent d’abord sur la nature de l’institution qui intégrera l’ANPE et l’Assédic. Le 1er décembre 2007, la ministre de l’Économie des Finances et de l’Emploi présente le scénario retenu : L’ANPE fusionnera avec le réseau opérationnel de l’assurance chômage, les Assedic. L’Unedic perdurera pour négocier la convention d’assurance chômage et gérer les fonds issus des cotisations. Cependant, de nombreuses interrogations demeurent sur les attributions du nouvel opérateur fusionné et de l’assurance chômage « redécoupée ».
27Pour les hauts fonctionnaires mandatés pour fusionner, la conformité juridique de l’opération constitue la priorité absolue avant toute considération opérationnelle. Les difficultés de la fusion résident d’abord dans la dissemblance des institutions réunies. L’ANPE est un établissement public qui accueille des fonctionnaires. Les Assedic sont des institutions paritaires employant des salariés sous statut privé. Leurs personnels n’ont pas les mêmes niveaux de rémunération et n’ont pas les mêmes fonctions. Pour dénouer ces difficultés, une mission est confiée à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui doit définir la nouvelle architecture du Service public de l’emploi. À partir de décembre 2007, elle a pour tâche d’identifier les « écarts entre les deux maisons. […] Faire en sorte que [les personnels] puissent travailler ensemble [pour préparer la fusion]. […] Identifier en commun les problèmes et leur trouver des solutions communes49 ». La mission doit identifier « les éléments incontournables à réaliser dans la partie juridique avant la date fatidique de la création juridique50 ». Mais le vote de la loi est maintenu pour février 2008. La mission IGAS alerte alors la ministre sur les risques d’un calendrier aussi serré. Le rythme de la réforme n’est pas revu malgré l’ampleur des difficultés recensées lors de la mission IGAS.
28Le rapport de synthèse de la mission propose de réaliser la fusion par étape51. Les difficultés immobilières et juridiques liées à la fusion des agences locales accaparent les débats. Le contenu des métiers réunis est, lui, peu traité du fait de l’urgence imposée par le calendrier politique. Le rapport de synthèse évoque brièvement la nécessité de former les agents des deux institutions pour leur permettre de devenir des référents unique au cours du processus de fusion mais sans indications précises sur le contenu des tâches à réaliser. Le travail relatif aux ressources humaines porte surtout sur les dimensions juridiques de la réunion des deux statuts et le dialogue social au sein du nouvel établissement. La fusion des métiers n’est pas étudiée en tant que telle car les priorités sont à ce moment-là du côté des obstacles juridiques et statutaires à la fusion. La différence de statut des agents ANPE et des salariés Assedic complique leur intégration dans une même structure. À la veille de la fusion, les deux groupes professionnels bénéficient de rémunérations différentes – 30 % de plus en moyenne aux Assedic – et partagent des cultures différentes pour ne pas dire opposées52. L’émergence d’une culture commune constitue un chantier « prioritaire » pour les membres de la mission IGAS qui recommandent la création d’équipes « mixtes ». Sur les statuts, l’approche est différente. Sentant que le sujet est particulièrement sensible et de nature à faire échouer le projet de fusion, la ministre des Finances en personne promet aux agents fusionnés un nouveau contrat qui emprunterait au « meilleur des deux statuts ».
29De manière surprenante, l’irruption de l’activité de travail dans les discussions conduit en fait à l’abandon de l’objectif politique d’un métier unique. Une fois l’architecture institutionnelle scellée, surgit la question de l’activité des agents. Apparaît alors un décalage entre l’affichage politique – Un métier unique – et ce que les architectes du projet sont en mesure de mettre en œuvre – une traditionnelle délégation du travail. La loi du 13 février 2008 crée une « instance nationale provisoire » au sein de laquelle le top management des deux institutions fusionnées se réunit pour organiser l’ouverture de Pôle emploi. Christian Charpy, jusque-là directeur général de l’ANPE est nommé à sa tête. Il dispose de l’autorité sur les ressources humaines, même lorsqu’elles concernent les personnels du régime d’assurance chômage. Bien que la fonction de référent unique ait jusqu’à présent été peu définie, c’est lui qui a la charge de mettre en place la fusion des métiers. Or, au-delà de la simple question du statut, les activités exercées au sein des deux institutions « originelles » sont très différentes. Les obstacles potentiels au projet d’unification des métiers ne sont pas anticipés :
À l’ANPE les conseillers à l’emploi reçoivent les demandeurs d’emploi pour encadrer leurs démarches. Ils collectent également les offres d’emploi dans le but de placer les chômeurs.
Dans les Assedic, les liquidateurs inscrivent les demandeurs d’emploi, calculent leurs droits à l’allocation-chômage et vérifient le caractère positif de leurs démarches de recherche d’emploi.
30Le caractère « professionnel », au sens que lui donne la sociologie des professions, de ces deux groupes distincts ne va pas de soi53. Ils sont tous deux marqués par la très grande hétéronomie des tâches qu’ils effectuent. Les conseillers sont dépendants de la situation du marché du travail, du marché de la formation et des missions qui leur sont confiées par la politique de l’emploi. Les liquidateurs mettent en application la réglementation en matière d’assurance chômage, négociée par les partenaires sociaux. Certains des actes effectués sont cependant similaires tels que l’accueil, l’inscription et dans une moindre mesure les entretiens avec les demandeurs d’emploi. L’équivalence de cette dernière tâche reste à nuancer, car si chacun des groupes professionnels est amené à rencontrer des demandeurs d’emploi, le cadrage de la rencontre est loin d’être identique. Là où les conseillers de l’ANPE recherchent des solutions pour les demandeurs d’emploi, les employés des Assedic collectent des preuves. Dans cette perspective, et à grand trait, les deux métiers se fondent sur des philosophies différentes. Pour reprendre les termes d’une équipe de politistes ayant étudié la constitution d’un guichet unique similaire en Norvège, il y a d’un côté une activité qui est fondée sur la loi (« Rule-oriented ») et de l’autre une activité qui est fondée sur la recherche d’opportunités (« Discretion based »)54. Une autre différence ressort cette fois de mon travail de terrain : le rapport au temps de ces deux groupes de travailleurs. Là où les liquidateurs interviennent le plus rapidement possible après la perte d’emploi pour fournir aux demandeurs d’emploi un revenu de remplacement, les conseillers à l’emploi utilisent le temps qui passe pour comprendre comment le marché réagit aux candidatures du demandeur d’emploi et dans quelles voies il pourrait se former pour augmenter ses chances d’être embauché. Les salariés des Assedic ont pour la plupart une formation juridique et/ou administrative et sont spécialisés dans l’application d’une réglementation (en l’occurrence, celle de l’assurance chômage) quand les agents ANPE, plus souvent issus des sciences humaines, sont des consultants qui prospectent les entreprises à la recherche d’offres d’emploi, et qui conseillent, orientent et accompagnent les demandeurs d’emploi en matière de formation et de placement.
31Face à cette hétérogénéité, Christian Charpy fait d’abord le choix de jouer la montre et de repousser le projet de métier unique, mais sans en déclarer publiquement l’abandon.
« Avant la fusion, l’ANPE et l’Assedic exerçaient deux métiers distincts, l’indemnisation et le placement, qui impliquaient une formation, une posture professionnelle et des activités différentes. Je recherchais naturellement une plus grande cohérence entre ces deux métiers, sans pour autant aller jusqu’au métier unique. Or, en termes de communication politique, l’interlocuteur unique, le métier unique, est une notion beaucoup plus valorisante que la complémentarité des métiers. Il en résultait un vrai décalage entre la réalité opérationnelle et le message politique55. »
32Plus généralement, l’ensemble des membres de « l’instance nationale provisoire » qui préparent la fusion au cours de l’année 2008 cherchent à rassurer les agents et affirment que le « métier unique » ne sera pas la priorité de la réforme. Le directeur général annonce ainsi : « Il faut agir vite sur l’organisation du réseau, plus doucement sur l’évolution du métier », tandis qu’un autre membre de l’instance nationale provisoire précise : « Nous continuerons à exercer nos deux métiers de manière différente, mais nous devrons mieux les coordonner pour proposer aux demandeurs d’emploi un interlocuteur capable de les informer sur les différents aspects de leur dossier. La mission des conseillers, elle, ne changera pas56. » Le rapprochement des deux métiers (de l’indemnisation et de l’accompagnement) reste l’objectif mais sans contours précis. Malgré ces propos rassurants, la mise en place du « référent unique » suit son cours et devant les futurs directeurs régionaux de la nouvelle institution, Christian Charpy se fait beaucoup plus précis sur les missions qui seront confiées au référent unique :
« [Le référent unique est un] élément central pour réussir une nouvelle étape dans la personnalisation des services rendus aux demandeurs d’emploi. Ce référent, qui sera désigné à l’issue du premier entretien de suivi, aura une connaissance de l’ensemble des services proposés aux demandeurs d’emploi et aux entreprises par le nouvel opérateur, et sera en capacité d’apporter un premier niveau de réponse sur l’ensemble du périmètre indemnisation et placement, ou le cas échéant de mobiliser les expertises complémentaires nécessaires. […] Chaque région proposera un plan de déploiement du référent unique dans l’ensemble du réseau au premier palier57. »
33Le « référent unique » constitue l’un des enjeux centraux du projet de fusion du point de vue de l’exécutif. Maîtrisant tout aussi bien la réglementation en matière d’allocation-chômage que le fonctionnement du marché du travail, du marché de la formation et du marché des prestations, il doit posséder les compétences d’un agent Assedic ET les compétences d’un agent ANPE. Incarnation de la fusion, reposent sur ses épaules la mobilisation des droits et la vérification des devoirs du demandeur d’emploi, dès le premier entretien. Les décisions prises en 2008 par l’Instance nationale provisoire, c’est-à-dire le futur encadrement supérieur de Pôle emploi, s’éloignent de ce modèle. Le travail du « référent unique » est défini comme une activité de conseil aux demandeurs d’emploi. Elle est effectuée à temps partiel, le reste du temps étant consacré aux tâches propres à l’institution d’origine du référent. Il s’agit du traitement de dossier d’un côté et du traitement des offres d’emploi de l’autre.
La relation État – Pôle emploi pilotée par des indicateurs de performance vides de sens
34L’ensemble des arguments exposés jusqu’ici ne dessine pas une organisation et encore moins une organisation du travail. Cette question est pourtant centrale dans le projet de réforme, dans la mesure où l’objectif est justement d’articuler, dans le parcours de chaque chômeur, les services délivrés au titre de l’indemnisation et les services relatifs au placement. L’année 2008 qui précède la fusion est une année où différentes commissions rédigent l’offre de services de la nouvelle institution. À grand trait, on peut distinguer, d’un côté, le travail des grands corps de l’État. Ceux-ci s’attachent à rédiger le contrat liant l’État et le nouvel opérateur en prenant pour horizon la commande politique de l’exécutif. De l’autre côté, on aperçoit le travail des gestionnaires de l’ANPE et des Assedic qui font la somme des données que les systèmes d’information fusionné sont en mesure de fournir au sein du nouvel opérateur. Il ressort de la première instance, dite mission IGAS-IGF par les acteurs, une convention moyen/objectif très politique, qui assigne à l’opérateur des objectifs inspirés par « l’activation ». Il ressort de la seconde, la collaboration des gestionnaires des deux institutions, un dialogue de gestion fixant un horizon technique, inspiré par les architectures gestionnaires antérieures. Les indicateurs retenus pour piloter Pôle emploi diluent fortement l’objectif initial de mettre en place une politique d’activation des chômeurs renouvelée, fondée sur un référent unique. À l’inverse les indicateurs manipulés par les gestionnaires constituent la stricte addition des activités réalisées par l’une et l’autre des institutions fusionnées.
35Pour appliquer la politique qu’il a lui-même formulée, le gouvernement opte pour une solution à la fois ancienne en France58 et particulièrement commune en Europe : le contractualisme59. Les conventions moyens/objectifs antérieures sont reprises et adaptées. Les « contrats de progrès » quadriennaux signés entre l’État et l’ANPE depuis 1990 sont remplacés par la « convention tripartite », un contrat triennal signé depuis 2001 par l’ANPE, l’Unedic et l’État et qui acquière à cette occasion le statut de table de la loi de la politique de l’emploi. Signée en avril 2009, la première convention tripartie post-fusion est négociée au cours de l’année 2008 au sein d’une nouvelle mission coordonnée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des Finances (IGF). Le texte constitue un contrat de prestation semblable au contrat de progrès qui unissait auparavant l’ANPE et l’État. Pour autant, le texte est original en ce que l’opérateur public a maintenant deux tutelles, l’État et l’Unedic. Rappelées en préambules, les attentes à l’égard de l’opérateur public sont traduites dans des indicateurs quantitatifs pour lesquels des objectifs précis sont fixés. La convention prescrit l’activité et l’organisation de la nouvelle institution.
36Un premier volet d’indicateurs s’intitule « indicateurs de résultats » et reprend les objectifs classiques de la politique de l’emploi : l’évaluation du retour à l’emploi. Ce volet mêle des formes d’évaluation de natures diverses. D’une part, on trouve des indicateurs alimentés par les registres administratifs des conseillers comme le « Nombre de demandeurs d’emploi en chômage de longue durée » ou bien encore le « Nombre d’offres d’emploi recueillies, dont nombre d’offres d’emploi de six mois ou plus ». On trouve, d’autre part, des indicateurs construits sur la base d’enquêtes de satisfaction menées par l’institut Ipsos tels que la « Part des demandeurs d’emploi [ou des employeurs] satisfaits des services rendus par Pôle emploi ». La plus grande part de ces indicateurs reste cependant des données « hybrides60 », c’est-à-dire des enquêtes par questionnaire s’appuyant sur des registres administratifs, pour tirer un échantillon d’usagers à interroger. Sont ainsi calculés le « Taux de sortie pour retour à l’emploi et pour retour à l’emploi durable, dont publics prioritaires » ou bien encore le « Taux d’insertion dans l’emploi six mois après la sortie d’une formation financée par Pôle emploi ». Ces indicateurs reprennent dans les grandes lignes les indicateurs des contrats de progrès qui servaient au « pilotage » de l’ANPE avant la fusion. Les indicateurs propres à l’activité d’indemnisation sont relégués à la fin du document, dans une section intitulée « indicateurs complémentaires ».
37Un second volet d’indicateurs se présente sous l’intitulé : « indicateurs de suivi du processus de fusion », il incorpore les objectifs propres à la réforme : articuler l’indemnisation et le placement. L’État et l’Unedic entendent par-là évaluer la conformité entre l’organisation de Pôle emploi et la lettre de la loi. Ces indicateurs sont :
« la part des sites, accueillant des usagers, qui disposent d’équipes mixtes » ;
« les temps d’ouverture par semaine de ces sites » ;
« le délai entre les deux entretiens d’inscription61 ».
38Ces objectifs portent sur l’organisation du travail des agents par le biais de la répartition du personnel dans les plannings et les organigrammes. Mais le cadre proposé va au-delà de la seule organisation du travail, comme en témoignent les indicateurs suivant :
« la part des demandeurs d’emploi disposant d’un conseiller unique » ;
« la part des effectifs dédiés à la production de service ».
39La philosophie de ces deux indicateurs est différente des premiers, qui se contentaient de prescrire la répartition physique des ressources humaines. Ici, les indicateurs commandent une évaluation des compétences des conseillers. Ainsi, l’émergence de la figure du « conseiller unique » – ou du « référent unique » suivant les documents – constitue l’enjeu central du processus de fusion du point de vue de ses architectes. Mettre des référents uniques en face de chaque demandeur d’emploi et augmenter la part des effectifs dédiés à la « production de service » supposent deux choses : former les conseillers de chaque institution au métier de l’autre et faire descendre vers les agences locales les cadres en doublon du fait de la fusion des directions.
40Au vu de son contrat d’objectif, la création de Pôle emploi repose sur une réorganisation des activités qui modifie la hiérarchie des opérations. À l’image du cas norvégien de création d’un guichet unique d’emploi, analysé par Tom Christensen62, la réception du public et le conseil aux demandeurs d’emploi dans les agences deviennent l’activité qui prévaut, reléguant à l’arrière boutique toute autre activité étant réalisée en l’absence du public. Le traitement des dossiers de demande d’allocation, effectué en back-office, n’est pas présenté comme une mission centrale du nouvel établissement, du moins à en juger par les indicateurs et les objectifs de la convention tripartite. Bien que la fusion consiste à verser l’indemnisation et le placement dans le même creuset, la composante centrale de cette première activité – calculer et verser des droits – est reléguée à un conventionnement autre, dont l’État est absent63. La réception physique des demandeurs d’emploi constitue l’objectif majeur. Les agents qui ont la charge de recevoir le public doivent être capables de fournir des renseignements tout aussi pertinents en matière de placement que d’indemnisation. On le voit, la traduction de la notion d’activation – c’est-à-dire l’articulation de l’indemnisation et du placement dans les relations de face-à-face avec chaque chômeur – en indicateurs de résultat n’est pas aisée. En définitive, c’est par l’injonction à la mixité, des sites, des équipes et des conseillers – c’est-à-dire des indicateurs de moyens et non de résultat – que la convention incorpore le nouveau paradigme qu’est « l’activation ».
41Au-delà du fait qu’ils s’éloignent de l’activation poursuivie, les indicateurs de ce second volet sont particulièrement surprenants dans la mesure où la grande majorité d’entre eux n’ont aucune existence matérielle. Ils ne sont attachés à aucune base de données existante, articulé avec aucune procédure d’agrégation des données. La plupart de ces indicateurs ne sont pas même mesurables, c’est-à-dire qu’ils sont trop imprécis pour recouper une réalité tangible. Les volontés politiques, fusionner quoi qu’il en coûte, prennent le pas sur les caractéristiques des institutions réunies, du fait d’une méconnaissance des procédures de gestion de l’activité, comme l’explique un observateur de l’époque :
« Ça c’est un des… Là c’est particulièrement aigu [le fait que les indicateurs n’existent pas]. Ça se voit pour le coup. […] Et bon, moi, je sais très bien comment ça s’est passé. Des gens plein de bonnes intentions, haut placés bien entendu, dans la hiérarchie d’un côté ou de l’autre, disaient au dernier moment : “Il faut mettre ça, c’est absolument indispensable que l’on sache cela.” […] Et du coup, on se retrouvait avec des indicateurs que l’on ne pouvait pas calculer. C’est arrivé à chaque fois. Ça c’est… Si j’étais sévère, ce que je ne suis pas, je dirais que c’est de l’incompétence de certains de nos dirigeants, du côté de l’État… Je crois quand même qu’il y a un peu de ça. Ils savent pas. Ils n’ont pas cette culture de l’indicateur. Pour eux, c’est simplement un calcul. C’est des chiffres, ça n’a pas d’autre existence que des chiffres qui arrivent comme ça, sur un tableau. Ils comprennent pas quelles sont les contraintes pour les fabriquer, les déployer dans un réseau et les rendre fiables, etc. C’est en dehors de leur culture. Bon… ils arrivent à comprendre très vite quand on leur explique, heureusement, mais je ne pense pas que ce soit dans les formations de base des énarques. »
Dominique Bauby, directeur national du contrôle de gestion de l’ANPE de 1994 à 2004, entretien, 2012.
42La transcription « telle quelle » des ambitions politiques de la fusion dans des indicateurs quantitatifs conduit à la constitution d’un système quasi-complet d’objectifs non mesurables. Dans le cas de la fusion, la mise en place d’un « pilotage par indicateurs » ne découle pas d’une approche gestionnaire mais d’un fétichisme de l’indicateur indépendant des opérations nécessaires à leur constitution. Les indicateurs de la convention tripartite sont produits par la mission réunissant l’État, l’Unedic, l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des Finances, préparant entre décembre 2007 et janvier 2009 la naissance du nouvel opérateur. Les membres de la direction générale de l’ANPE sont présents mais peu écoutés et les cadres de l’Unedic semblent peu assurés de leur avenir. Un cadre de l’Unedic qui a participé aux réunions de cette mission explique :
« Les réunions étaient assez compliquées sur l’élaboration de cette tripartite-là [2008], parce qu’à l’époque, le devenir de l’Unedic n’était pas très clair, les missions de l’Unedic après la fusion n’étaient pas très claires non plus. On a donc essayé d’avoir un nombre d’indicateurs assez réduit dans cette tripartite, un peu plus d’une trentaine. Il y en avait qui tournent autour du premier palier de la fusion, de la première année 2009. Ces indicateurs avaient été décidés, poussés par la mission [IGAS-IGF] : un seul réseau, un seul référent, des horaires uniques, etc. Des indicateurs qui n’ont à peu près jamais atterri tels quels parce que la gestion de projets, par ailleurs, avait ses propres logiques. C’est très simple, quand vous dites : “Je veux un indicateur comme quoi on arrive à un réseau unique.” Eh bien ce n’est pas si simple que cela. »
Gérard, directeur du contrôle de gestion de l’Unedic, entretien 2011.
43La convention tripartite intègre aux dispositifs quantitatifs de suivi les enjeux politiques de la fusion, « un seul réseau, un seul référent, des horaires uniques, etc. » sans prendre en compte les contraintes techniques, gestionnaires et organisationnelles afférentes à ces enjeux. Or, ces objectifs initiaux dessinent les contours de Pôle emploi et de ses missions. L’établissement qui ouvre ses portes le 1er janvier 2009 est un réseau d’agences conçu pour accueillir des sites mixtes, des équipes mixtes, des agents mixtes. Ces indicateurs « ne vont jamais vraiment atterrir64 », c’est-à-dire qu’ils ne vont faire l’objet d’aucun investissement ni symbolique, ni matériel. Ils ne sont pas définis, pas alimentés et pas observés. De fait, la direction générale de Pôle emploi, disposant du monopole d’action et de connaissance sur l’activité concrète des agents de premier niveau, a les mains libres pour organiser la fusion comme elle le peut.
La fusion du point de vue des gestionnaires : sauver les meubles
44Simultanément à la négociation de la convention tripartite, les cadres dirigeants des deux institutions préparent leur rapprochement dans une relative indépendance avec les orientations prises au-dessus d’eux. Il existe ainsi, en haut lieu, deux années 2008 parallèles65. D’un côté, une année très politique de constitution du nouvel opérateur, sous les yeux de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des Finances, comme on vient de le voir. De l’autre, une année 2008 où les mécanismes internes de l’institution nouvelle se dessinent, à l’initiative des membres du futur opérateur lui-même. Le directeur du contrôle de gestion de l’Unedic fait part de son expérience :
« En avril 2008, on a compris que la fusion était imminente et, à l’époque, on a pris l’initiative de préparer cette fusion sur ce qui nous paraissait être les fondamentaux. J’ai suscité, un groupe de travail mixte ANPE-Unedic, qui n’était pas un groupe de travail si officiel que cela. Mais pour lequel on s’est donné pour mission, dans l’urgence, avec Dominique Bauby [directeur du contrôle de gestion de l’ANPE] notamment, côté ANPE, Philippe Rouhault [J’ignore sa fonction] que vous avez dû rencontrer, Pierre Rollo [Responsable] du budget, on s’est donné pour mission trois directions : on s’est dit tout d’abord, avant toute chose, il faut que l’on ait une vision de la cartographie des processus de cette nouvelle entité. Les offres d’emploi, les mises en relation, l’indemnisation, l’inscription. Dans cette nouvelle entité, quels vont être les process, même si on est avant la fusion et que l’on n’est pas encore à l’entretien unique, au référent unique, quels vont être les process, et dans quelle démarche qualité on va s’inscrire, on s’est donné assez peu de temps pour faire cela.
JMP : Mais qui est-ce qui vous éclairait sur ce que serait la cartographie de l’offre de services ?
On n’était pas éclairé. On s’est dit simplement il y a trois priorités. Premièrement, une cartographie pour avoir une vision globale des process au niveau macro de l’institution. Deuxièmement : la garnir avec des indicateurs pertinents qui tôt ou tard permettront d’avoir un dialogue de performance sur la nouvelle institution. […] On a envoyé un dossier aux chefs de projets régionaux, en juillet 2008, en leur disant : “écoutez, on assure une Hotline pendant tout l’été sur toutes vos questions sur le sujet”. Il y en avait beaucoup car les approches budgétaires étaient différentes. On assurait une hotline avec une boite mail unique et puis moi, de mon côté, j’ai organisé sur tout l’été des experts de part et d’autre qui relevaient la boîte mail, qui proposaient des réponses, les faisaient valider au bon échelon, et les renvoyaient aux régions de manière à ce que les régions aient les moyens de remplir leurs dossiers. Et de répondre à leurs interrogations. […] Tactiquement, c’était extrêmement complexe et donc on a mis en place d’abord une task force sûre : envoi des dossiers, réponse aux questions et puis traitement des dossiers à l’automne, où on avait à la fois le calendrier des entretiens du dialogue de performance, qui sont des entretiens qui durent 3-4 heures, entre le directeur de région… L’ancien et le nouveau la plupart du temps, plus un ou deux collaborateurs, plus une personne du pilotage de chez nous [direction générale] et puis le directeur général à chaque fois, le pilotage, et puis un représentant de chacune des directions générales adjointes. »
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Gérard, directeur du contrôle de gestion de l’Unedic, 201266
45Au cours de ce processus de fusion parallèle, la fusion des gestionnaires, les indicateurs de résultat que le système d’information est en mesure de calculer sont identifiées par les professionnels appelés à gérer Pôle emploi. Dès avant l’ouverture de Pôle emploi, ils organisent des procédures de mesure et de planification de l’activité pour encadrer les prises de décision à venir. Si les indicateurs de la convention tripartite véhiculent la signification de la fusion du point de vue de l’exécutif, ceux utilisés par les contrôleurs de gestion sont déterminés selon une autre logique : ils sont branchés sur les informations que Pôle emploi est capable d’enregistrer.
2009 : Une fusion inadaptée, une fusion menacée
46La philosophie sous-jacente à la création de Pôle emploi pourrait être résumée ainsi : l’indemnisation est un levier d’action mis dans les mains du conseiller à l’emploi pour parvenir au résultat qui importe, le retour à l’emploi. Il s’agit de fournir aux conseillers la capacité d’appuyer le contrôle de la recherche d’emploi sur des éléments d’ordre financier. Lorsque Pôle emploi ouvre ses portes, les dispositions effectives découlant de ces principes se révèlent peu adaptés aux caractéristiques de l’établissement et de son environnement
47La loi du 23 janvier 2008 et la convention tripartite signée en 2008 entendent instituer une nouvelle fonction, celle de référent unique susceptible de gérer la totalité du dossier du demandeur d’emploi. La fusion suppose donc un large programme de formation des agents de l’ANPE et des salariés des Assedic. Il est prévu de former 31000 référents uniques dont 22000 issus de l’ANPE et 9000 issus des Assedic. Au cours de l’année 2009, ce projet se révèle démesuré. Le programme complet suppose de former 30000 personnes sur douze mois, sans porter préjudice à l’organisation du travail mis œuvre dans les agences de la nouvelle institution. Malgré l’engagement de « personnels de remplacement pendant les périodes de formation67 », les formations dispensées restent trop succinctes pour former convenablement un groupe homogène de référents uniques. La technicité de chacun des métiers est trop grande. Avant la fusion, liquidateurs comme conseillers recevaient un enseignement de plus de six mois en alternance avant de bénéficier d’un tutorat de plusieurs années. Dans le projet de fusion, les formations durent trois jours pour les conseillers issus de l’ANPE et sept pour les liquidateurs Assedic. Les savoirs transmis ne sont pas négligeables, ils offrent des rudiments pour accueillir et orienter les demandeurs d’emploi qui se présentent au guichet, mais ne suffisent pas pour acquérir les compétences du « référent unique », autonome et compétent sur les deux champs d’intervention.
48Positionner tous les agents de Pôle emploi en face des chômeurs avec la casquette de référent unique supposait de former les agents de chaque institution au métier de l’autre. Au cours de la première année d’exercice de Pôle emploi, la direction générale de l’établissement prend conscience du fait que le projet de fusion des métiers porté par les tutelles politiques est inadapté, notamment en regard des formes antérieures d’acquisition des savoir-faire. L’inadéquation du cadre à la réalité va être mise en lumière par un contexte économique contraire aux prévisions initiales.
49À cette impréparation marquante de la fusion, s’ajoute un contexte économique opposé aux prévisions initiales. Au cours de sa première année d’existence, Pôle emploi est frappé par un choc exogène qui va se révéler déterminant sur la forme que prendra, par la suite, l’organisation du travail. La crise économique d’octobre 2008 modifie à longs termes la situation sur le marché du travail. Les textes qui régissent la fusion avaient scindé l’activité d’indemnisation en deux opérations distinctes : le traitement des demandes d’allocation-chômage, d’une part, le contrôle de la recherche d’emploi, d’autre part. Cette scission originelle va être bousculée au mois de septembre 2009. Sur 13000 agents aptes à effectuer le calcul des droits, 9000 doivent être envoyés en formation pour apprendre les bases du placement. Le traitement des dossiers est en partie sacrifié au profit de l’envoi en formation et de la réception du public. Or, au fil de l’année 2009, le nombre de chômeurs ne cesse d’augmenter.
50Ces événements vont révéler l’importance de l’activité d’indemnisation et cela de deux manières. D’une part, les inscriptions augmentent de 30 % par rapport à l’année 200868. Il s’agit d’une augmentation d’autant plus problématique qu’elle touche des personnes qui étaient jusqu’alors bien insérées dans l’emploi. Elles disposent donc de droits au chômage qui doivent être calculés. Par ailleurs, en l’absence de référents uniques formés, chaque chômeur doit s’inscrire deux fois. Une première fois au titre de la demande d’allocation-chômage puis une seconde au titre de l’élaboration de son projet professionnel. Les directeurs d’agence doivent pouvoir mobiliser simultanément un agent indemnisation et un agent placement pour chaque demandeur d’emploi qui souhaite s’inscrire. Or, il y a dans chaque agence trois fois plus d’agents issus de l’ANPE que de personnes issues du régime d’assurance chômage. Les directeurs d’agence doivent être en mesure d’affecter au traitement des dossiers la plupart de leurs agents issus de l’assurance chômage, pour absorber l’augmentation des inscriptions. Les effectifs disponibles pour traiter les dossiers s’amenuisent.
« Avant, lorsqu’il fallait faire d’abord un PPAE [projet professionnel de type ANPE] et ensuite un IDE [procédure d’inscription de type Assedic], il fallait le même nombre de chaque conseiller, sinon ça ne fonctionnait pas. […] À l’été 2009, il y en avait partout des dossiers dans l’agence, on ne savait plus ou les poser, on se noyait dedans, on en voyait pas le bout. »
Valérie, Chef d’équipe dans une agence Pôle emploi, observation 2012.
51La rupture de charge survient à l’été 2009. L’activité d’indemnisation est en effet une activité saisonnière. À la fin de l’été et au début de l’automne affluent les étudiants qui arrêtent leurs études, les salariés précaires soumis à des contrats annuels et les travailleurs saisonniers. Ainsi, lorsque cette vague traditionnelle d’inscription vient allonger la file des victimes de la crise, les plannings explosent. Les directeurs d’agence notifient à leur hiérarchie qu’ils n’arrivent plus à liquider assez vite les dossiers d’indemnisation. Le directeur général de Pôle emploi prend un train de décisions correctives afin d’éteindre le feu69. Il met fin au programme de formation des agents issus des Assedic. Il lance simultanément un plan de recrutement d’employés en contrat précaire afin qu’ils assurent l’accueil des demandeurs d’emploi. Enfin, les nouveaux recrutés en contrats à durée indéterminée sont orientés vers des formations exclusivement consacrées à l’apprentissage des règles de l’indemnisation, semblables à celles qui avaient cours du temps des Assedic.
52Les enseignements tirés par la direction générale de Pôle emploi à l’issue de l’année 2009 ont une influence de longs termes sur la structure de l’opérateur unique. Ils peuvent être résumés ainsi :
L’activité de liquidation est une activité qui n’est ni annexe, ni purement technique ;
elle ne peut être envisagée comme une variable d’ajustement des plannings.
elle suppose l’intervention d’experts ;
les retards et les erreurs de calcul peuvent entraîner des réclamations violentes ;
les conditions de travail de l’ensemble des agents de Pôle emploi découlent de la bonne organisation de la liquidation des dossiers.
53Les corrections apportées par le directeur général mettent celui-ci en porte-à-faux vis-à-vis de la tutelle politique. En effet, dans la convention tripartite signée avec l’État et l’Unedic, il s’était engagé à maximiser la « part des demandeurs d’emploi suivi par un référent unique ». L’objectif ne peut plus être atteint, la figure du « référent unique » ayant disparu. Au cours de l’année 2010, la direction générale de Pôle emploi travaille à élaborer une solution qui rende la situation justifiable. Le temps presse, dans la mesure où la convention tripartite doit être évaluée et renégociée au cours de l’année 2011. Le dénouement survient lorsque les procédures d’inscription sont revues pour ne plus être dépendantes d’un expert de l’indemnisation. Jusqu’à cette date, on l’a évoqué, les demandeurs d’emploi étaient inscrits deux fois, une fois pour remettre les documents relatifs à leur demande d’allocation-chômage, une seconde fois pour définir leur projet professionnel. En 2011, ces opérations sont réorganisées. L’analyse de l’éligibilité d’un demandeur d’emploi aux allocations-chômage, réalisée auparavant pendant l’entretien d’inscription, est renvoyée en back-office. Elle sera effectuée juste avant le calcul des droits. L’inscription en matière d’indemnisation se limite dorénavant à collecter les documents nécessaires et à les réunir dans un dossier. L’absence d’un seul document provoque l’« incomplétude » du dossier et son rejet. Le demandeur est invité à le reconstituer par lui-même et à le déposer dans la boîte aux lettres de l’agence. Le début de l’entretien devient une séquence de récolte des documents relatifs à l’indemnisation, sans calcul, suivi par l’élaboration du projet professionnel. L’ensemble de ces opérations peut être effectué par un seul et unique conseiller qui n’a pas besoin d’être expert en matière d’assurance chômage. Ce nouvel entretien d’inscription est intitulé « Entretien d’inscription et de diagnostic » (EID).
54Pour mettre en œuvre cette réorganisation, un plan de formation est à nouveau lancé. Les enseignements durent six jours. Ils sont obligatoires pour les agents issus de l’ANPE, et facultatifs pour ceux issus des Assedic. L’objectif affiché n’est plus la convergence des métiers mais une coexistence pacifique des activités. En effet, là où le référent unique était appelé à inscrire ou rejeter une inscription, c’est-à-dire à trancher, l’agent qui s’acquitte de l’entretien unique vérifie si le dossier est complet. Il s’agit de faciliter le travail de vérification et de calcul qui sera effectué ultérieurement par un spécialiste de l’indemnisation. La naissance de l’entretien unique signe la fin de l’ambition centrale de la fusion : fabriquer un corps de travailleurs compétents dans les deux champs d’intervention.
55Lorsqu’en 2011 Pôle emploi fait parvenir à l’État et à l’Unedic les documents attestant de la mise en œuvre de la convention tripartite, l’entretien unique d’inscription est présenté comme la déclinaison de l’objectif de fusion des métiers. Il s’agit d’un recodage qui permet de répondre formellement aux orientations politiques, sans toutefois les mettre en œuvre. Ce type de pratique est représentatif de la postérité des orientations inscrites dans la convention tripartite signée en 2008. Les indicateurs censés évaluer le respect par Pôle emploi des orientations de l’État et de l’Unedic sont abandonnés, sans jamais avoir vu le jour. Il y a là un paradoxe central de la fusion : les murs de l’institution ont été définis par les orientations de la mission réunissant l’Inspection générale des Finances, l’Inspection générale des affaires sociales, le ministère du Travail, l’ANPE et l’Unedic. L’idée de ce que devrait être, dans l’idéal, un opérateur public de placement et d’indemnisation s’est imposé, loin du principe, cher aux gestionnaires, de « politique raisonnable ». Pour autant, si les murs ont été érigés par cette vision idéale, les personnes qui s’y sont installées ont suivi de toutes autres orientations, fondées sur l’utilisation des ressources existantes, en tenant compte de contraintes ignorées par ailleurs. Cette situation de disjonction, si elle n’avait pas été anticipée semble-t-il, n’a pas non plus fait l’objet d’une tentative de rattrapage par le pouvoir politique. La relative indépendance du directeur général de Pôle emploi pour mettre en œuvre la fusion a fait débat au sein de l’Assurance chômage et de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle – qui exerce normalement la tutelle sur Pôle emploi – mais elle n’a pas été remise en cause en plus haut lieu. Il apparaît en cela que la direction de Pôle emploi a reçu le mandat de la mise en œuvre du projet politique avec le blanc-seing de l’État et, d’une certaine manière, contre les partenaires sociaux.
56Dans les premières étapes d’opérationnalisation de la fusion, l’affichage politique de « métier unique » est progressivement abandonné pour être remplacé par l’expression de « référent unique », employé à mi-temps à cette fonction. Progressivement, ce dernier ne se voit plus confier qu’un « entretien unique », reconfigurant les procédures d’inscription pour vider le volet indemnisation de ses actes les plus pointus. On assiste ainsi à une division du travail entre la réception des demandeurs d’emploi, assurée par ex-ANPE, et le traitement de l’indemnisation en back-office, assurée par les ex-Assedic.
Après 2009 : La fusion n’aura pas lieu
57Suite aux aménagements de l’année 2009, seul le principe de confier le contrôle des chômeurs aux conseillers à l’emploi issus de l’ANPE, dans le cadre du suivi mensuel personnalisé (SMP) demeure, par rapport au projet initial. Les opérations d’indemnisation relatives au calcul des droits sont confiées aux ex-Assedic intervenant en back-office. La forte imbrication des activités de placement et d’indemnisation, réalisées par deux groupes professionnels distincts au sein de la nouvelle institution fusionnée, renforce une division morale du travail, au sens d’E. Hughes70. Les agents issus de l’ANPE cherchent à se distinguer de leurs homologues issus des Assedic à travers une délégation des tâches qu’ils jugent ingrates, redéfinissant la politique publique de contrôle. La forme actuelle de Pôle emploi résulte ainsi en grande partie des interactions entre ses salariés et non uniquement du projet politique qui lui a donné naissance.
Les recompositions des groupes professionnels : l’indemnisation comme sale boulot
58On vient de le voir, l’architecture de Pôle emploi est révélatrice des ambitions en matière de politique de l’emploi portées par l’exécutif en 2008. La fusion entendait faire des droits des demandeurs d’emploi – allocations-chômage et formations – une contrepartie de leurs devoirs – une recherche active d’emploi. Les architectes de la fusion ont imaginé que la coordination de l’indemnisation et du placement serait réalisée par le référent unique et prendrait donc place au moment des entretiens mensuels de suivi. Cette fusion des métiers devait permettre la gestion cohérente de toutes les composantes du dossier du demandeur d’emploi en plaçant tous les « leviers » dans une même main. Mais les conséquences de la crise économique et l’inadaptation du plan de formation des agents viennent rappeler que l’indemnisation n’est pas une activité annexe.
59L’allocation de retour à l’emploi est la première ressource des demandeurs d’emploi indemnisés et, partant, l’assise de leur recherche d’emploi. L’indemnisation revêt ainsi une dimension symbolique et pratique déterminante. Il s’agit d’un « acte d’institution71 » qui reconnaît la légitimité d’un individu à bénéficier de la mutualisation du risque chômage. En pratique, l’acte est concentré sur les premières semaines d’inscription et s’appuie sur le contrôle des pièces justifiant d’un passé professionnel. L’opération exige donc une organisation du travail qui permette à des experts de la réglementation d’agir vite, sans être forcés de parer au plus pressé. Le placement est lui une activité de contrôle plus approfondi, s’étalant sur un temps plus long, qui vise à évaluer la conformité du comportement d’un individu avec les profils valorisés sur le marché du travail. Il vise également à évaluer la conformité du demandeur d’emploi avec la figure du chômeur actif, décrite par le droit du travail. Les processus de constitution des collectifs de travail – notamment la délégation des tâches – permettent de mieux comprendre les formes actuelles de l’organisation de Pôle emploi.
60Comme le rappelle E. Hughes, ce n’est pas le caractère annexe ou marginal d’une tâche qui préside à sa délégation72. Il peut s’agir d’un acte central pour la bonne marche d’un collectif de travail. Au sein des agences Pôle emploi observées, les deux composantes de l’indemnisation – le calcul et le contrôle formel – sont envisagées comme cruciales. Le revenu de remplacement facilite les relations avec les demandeurs d’emploi indemnisés. À l’inverse, les agents craignent l’irritabilité des bénéficiaires des allocations-chômage, lorsque celles-ci ne sont pas versées et voient de ce fait l’indemnisation comme une variable centrale de leurs conditions de travail.
61Lors d’une formation à l’entretien d’inscription unique, une conseillère issue de l’ANPE explique à la formatrice :
« Moi, ça m’inquiète l’entretien unique. Je ne vois pas comment il est possible de faire un projet personnalisé de retour à l’emploi cohérent si jamais le demandeur ne sait pas s’il va être payé ou non, c’est la base quand même. Là, ça ne va pas, quand les gens repartent de leur inscription indemnisation, aujourd’hui, ils sont contents. Un demandeur il peut pas se figurer sa recherche d’emploi s’il sait pas combien il va toucher. Ça pose problème, quand même73. »
62Les éléments permettant d’évaluer la bonne marche du traitement des dossiers font l’objet d’une attention particulière, comme en témoigne cette séquence tirée d’une réunion d’équipe :
« Responsable d’équipe (issue des Assedic) : En ce qui concerne les dossiers en instance [les dossiers pour lesquels il faut effectuer un calcul de droit], on est presque à J [traité le jour même]. C’est bien pour l’ambiance à l’accueil. Et puis ça fait plaisir de partir en vacances en laissant les chiffres comme ça74. »
63L’indicateur « délai de traitement des demandes d’allocation », fabriqué par l’encadrement en partant du « nombre de dossiers en instance de décision », constitue une donnée permettant de prévoir l’ambiance de travail à l’accueil pour les jours à venir. Il est donc important pour cette responsable d’équipe d’informer ses subordonnés du niveau de l’indicateur. Tous ses subordonnés sont concernés car tous interviennent à l’accueil, quelle que soit leur institution d’origine. Lorsque l’ambiance est délétère à l’accueil, c’est toute la marche de l’agence qui tend à se gripper :
« Corine débarque dans le bureau du service administratif et prévient Christian, son collègue : “À l’accueil, ça chauffe. Il y a pas mal de réclamations concernant des indemnités. Les mecs ils ont pas été payés75…” »
64Le message latent de la conseillère est le suivant : il ne faut surtout pas passer dans le hall d’accueil, car on risque de se retrouver interpellé de toute part. Les demandeurs d’emploi s’impatientent et interpellent tous ceux qui passent à leur portée. La personne effectuant la réclamation bloque la file d’attente, amenant les suivants à s’adresser à toute personne donnant l’air d’être membre de l’établissement. Ce type de blocage ne permet pas de traiter, par ailleurs, les personnes qui se présentent sur rendez-vous et ne parviennent pas à atteindre le guichet pour se faire connaître. Les conseillers qui attendent un demandeur d’emploi dans un bureau peuvent de ce fait attendre en vain une personne qui est pourtant présente dans l’agence, mais qui n’a pas pu s’annoncer à l’accueil, du fait du blocage de la file d’attente. Les plannings peuvent ainsi être bousculés. Enfin, les tensions les plus élevées peuvent amener à la sollicitation d’un supérieur pour traiter le cas, voire à un remplacement du conseiller interpelé lorsque celui-ci ne parvient plus à gérer l’énervement. Les répercussions de ces situations sur l’ensemble de l’organisation du travail sont importantes, déréglant les anticipations des uns et des autres et la planification de l’activité. Ces tensions stimulent l’humour noir des conseillers :
« Au cours d’un repas, un agent d’une cinquantaine d’année s’adresse à une jeune recrue.
Vincent : “Moi je te dis, quand tu vas à Jules Guesde [le site indemnisation] : Mets, une veste !! Parce que sinon, au bout de deux phrases le gars il va demander à voir ton supérieur. Mets une veste !!”
Une collègue rebondit :
Nathalie : “Moi, ce que je fais, c’est que je pars quelques minutes et je reviens avec n’importe qui. Tout de suite ça détend l’atmosphère. Il se sent soudain considéré76 !” »
65Évoquant la discussion précédente avec un conseiller d’une autre agence, ce dernier fanfaronne :
« Ghazi : “J’ai remarqué que même si tu ne vas chercher personne, que tu sors fumer ta clope derrière et que tu reviens, le gars déjà il est plus calme77.” »
66Le calcul des droits et le versement des allocations sont reconnus par l’ensemble du collectif de travail comme une tâche cruciale. En revanche, l’intrusion de ces questions financières et réglementaires au cœur de l’activité de placement est mal perçue par les conseillers issus de l’ANPE.
67La séquence d’observation reproduite ci-après se déroule à l’accueil d’une agence qui n’est pas « mixte ». Il y a un site réservé aux questions d’indemnisation et d’inscription, rue Jules Guesde, et un autre réservé aux questions de placement, rue Marc Sangnier, les deux locaux sont distants de 30 minutes en métro :
« À l’accueil de l’agence rue Marc Sangnier, une femme vient se plaindre car on lui réclame un trop perçu. Elle prétend que c’est faux et souhaite régulariser cette histoire avant le 19 avril, date avant laquelle elle doit payer. Or, elle n’a pas réussi à obtenir un rendez-vous rue Jules Guesde avant le 21 avril. Cela pose problème. Le ton monte assez vite avec la conseillère qui l’accueille car la dame pense qu’il y a deux Pôle emploi, un “gentil”, où elle s’est rendue et un “méchant”, qui lui envoie des réclamations de trop-perçu de son Allocation spécifique de solidarité. Nathalie, conseillère issue de l’ANPE, essaie de lui expliquer que c’est le même Pôle emploi mais qu’ils ne font pas la même chose et que c’est là-bas qu’elle doit prendre rendez-vous et pas ici78.
Du fait de la distinction des sites, très peu d’agents présents dans le local de la rue Marc Sangnier sont disponibles pour résoudre le problème de cette dame. Un seul en fait. Mais le poste de travail de l’agent ex-Assedic qui est de permanence au local de la rue Marc Sangnier n’est pas branché à la totalité du système d’information relatif à l’indemnisation. L’agent n’a pas accès à toutes les applications informatiques issues des Assedic, notamment l’outil de prise de rendez-vous. Plus généralement, cette non-mixité des sites conduit les agents issus de l’ANPE à stigmatiser l’activité réalisée au sein du site indemnisation :
Dominique fulmine à la lecture d’un mail : “Les gens qui écrivent pour les problèmes d’indemnisation ça use.” En prenant une voix nasillarde : “J’ai fait une erreur dans mon actualisation, pourriez-vous vérifier et modifier…” Putain ! C’est le genre de boulots administratifs parasites que Jules Guesde, eux, ils n’ont pas79. »
68Le terme Jules Guesde, renvoie à l’activité effectuée au sein du site indemnisation et surtout aux agents issus des Assedic qui y effectuent leur travail administratif. Ils ne font pas de suivi personnel ou d’entretiens et aucun demandeur d’emploi ne dispose de leurs coordonnées. La conseillère pointe ici le fait qu’en tant que conseillère à l’emploi, c’est sur sa boîte mail qu’arrivent les questions relatives à l’indemnisation.
69Malgré la reconnaissance de l’importance du travail administratif d’indemnisation, la division technique du travail est ainsi investie moralement. Les conseillers à l’emploi (placement) cherchent à se distinguer des liquidateurs (indemnisation) pour dresser entre eux une barrière. Ils les considèrent même comme de simples agents de saisie qui se borneraient à respecter la réglementation, bridés dans leur autonomie.
« À l’issue d’une pause cigarette où nous discutions de la fusion, une ancienne conseillère ANPE me donne son avis sur la confrontation des groupes professionnels :
Odile : “Malgré ce que dit Charpy [directeur de Pôle emploi à l’époque], les agents Assedic, ce sont des aides comptables. Ils recrutaient des bacheliers aux Assedic, tu le savais ça ? Ce sont des aides comptables ! À l’ANPE, ce n’est pas pour rien si on a toujours recruté à Bac + 2. On fait un métier de consultant ! Tout ça pour être moins payés qu’eux80…” »
70Les agents issus des Assedic ressentent bien cette stigmatisation mais éprouvent des difficultés à la combatte car il leur est difficile de faire la preuve de leur compétence. Les conseillers issus de l’ANPE ne participant pas au traitement des demandes d’allocation, ils ne peuvent toucher du doigt les difficultés de la tâche.
71Sur un site internet consacré à la fusion, une personne se présentant comme un ancien conseiller Assedic déplore :
« [Les] conseillers ex-ANPE ont longtemps considéré leurs collègues de l’indemnisation comme des “comptables”, ignorant les difficultés d’appréhension des règles d’indemnisation et les contrôles afférents. Il était évident que ce n’est pas en quelques jours que l’on peut maîtriser ce métier81. »
72Le caractère codifié et automatique de leurs interventions est dévalorisé par les agents issus du placement. Le caractère supposé répétitif et clos – pour ne pas dire aliénant – de cette activité de catégorisation administrative fait figure de repoussoir.
« Golda est au téléphone avec un demandeur d’emploi. Les créateurs d’entreprise ont la possibilité de recevoir la moitié de leurs indemnités en une fois, pour constituer le capital de leur entreprise. Avec force détails techniques, Golda explique à son interlocuteur comment il pourrait bénéficier de cette procédure. Lorsqu’elle raccroche, je lui fais part de ma surprise quant à cette maîtrise de la réglementation de l’assurance chômage.
Golda m’explique : “Je me suis formée à l’indemnisation sur le tas, toute seule, en étant curieuse, en demandant aux collègues. C’est pour pouvoir répondre aux questions des demandeurs d’emploi lorsque je suis d’accueil. Parce que tu envoies les gens bouler une fois, deux fois, au bout d’un moment tu te rends compte qu’ils reviennent, toujours plus vite et plus énervés. Mais, par contre, je n’en parle pas à mes chefs. Je veux pas qu’elles sachent et que ça devienne officiel. En tout cas pas tout de suite. Ca voudrait dire pouvoir liquider et ça, ça ne m’intéresse pas du tout mais alors pas du tout, du tout. Passer huit heures dans une salle à traiter des dossiers de demande d’allocation comme Xav’ l’autre jour, brrr. C’est hors de question. Plutôt mourir.” conclut-elle82. »
73Ce jugement sur le travail d’indemnisation est un point de vue propre aux agents issus de l’ANPE. Pour austère qu’il soit, le travail de liquidation des dossiers constitue en fait une activité complexe de déchiffrage et de classement de preuves d’un passé professionnel dont l’enjeu central est la réduction des erreurs83. Néanmoins, une division morale du travail s’insinue progressivement au cœur des collectifs. Les agents issus de l’ANPE font preuve d’un mépris latent, masqué mais bien réel, pour leurs collègues et leurs activités, dont ils jugent les pratiques limitées d’un point de vue intellectuel. Ils se considèrent plus inventifs et moins bornés.
Les conseillers délèguent le contrôle de la recherche d’emploi
74Le rapport distant à la règle se manifeste le plus clairement à propos du volet « contrôle » de l’activité d’indemnisation. C’est en la matière que la division morale du travail s’avère la plus approfondie. La fusion avait pour ambition de confier aux conseillers à l’emploi un mandat de contrôle et de sanction. Il s’agit là d’une activité de « police », au sens propre du terme, qui consiste à rapporter la situation des individus aux obligations mentionnées dans le code du travail à la rubrique : droits et devoirs du demandeur d’emploi. Les déviants sont passibles de sanctions en matière d’indemnisation puisque leur revenu de remplacement peut être réduit ou suspendu en cas de « récidive ». Les conseillers à l’emploi se montrent pourtant réfractaires à l’exécution de ce mandat.
75Observée au sein d’autres administrations comme les services déconcentrés du ministère du Travail84, la dévalorisation de l’activité de contrôle opère également chez les conseillers issus de l’ANPE. On pourrait même avancer que la mise à distance de la pratique du contrôle est partie intégrante de la construction professionnelle des conseillers ANPE, contre la figure de l’agent Assedic85. Les conseillers y sont d’autant plus réfractaires qu’ils jugent la pratique de l’interrogatoire parfois contre-productive. Le demandeur peut être tenté de dissimuler des informations importantes, comme le travail au noir, s’il a le sentiment d’être en face d’un contrôleur. Travailler au noir constitue pourtant la trace d’une activité et d’une compétence professionnelle financièrement valorisée. L’activité de contrôle de la recherche d’emploi est envisagée par les conseillers à l’emploi comme un « sale boulot » dont ils se défaussent ou qu’ils délèguent. Aussi, bien que la législation soit marquée par un progressif durcissement du contrôle des chômeurs, nos observations de terrain ne vont pas tout à fait dans ce sens86. L’activité de contrôle n’est pas déniée, en soi, par les conseillers. Ils sont conscients du pouvoir qu’ils ont. Frédéric, conseiller à l’emploi de longue date m’explique : « Il faut voir s’il y a une problématique. Mais c’est pas toujours le cas. Parfois, c’est juste le marché du travail qui fait qu’ils ne trouvent pas. Je suis pas dans le contrôle pur. Sauf si le mec, il arrive les mains dans les poches bien sûr87. » L’activité de contrôle « pur » apparaît pour beaucoup de conseillers à l’emploi comme un travail de flicage indigne. On peut observer sur ces questions un investissement moral des conseillers qui cherchent par eux-mêmes à diviser le travail entre ce qui tient de leur mandat et ce qui n’y correspond pas.
76La mise à distance du « sale boulot » conduit à se défausser vers d’autres mécanismes de sanction, l’encadrement ou les machines. Un directeur d’agence rencontré tenait par exemple à recevoir personnellement, un après-midi par semaine, les chômeurs suspects, qui étaient alors tenus de produire les preuves de leurs démarches. Lorsqu’une conseillère d’une autre agence a appris l’existence de cette pratique, elle en a averti la direction départementale qui est intervenue pour recadrer le directeur d’agence en question. Le tôlé suscité par cette pratique – auprès de ses confrères et de sa hiérarchie – révèle cependant son caractère marginal et extrême. Les directeurs d’agence n’ont pas vocation à recevoir les demandeurs d’emploi, ils sont mandatés pour saisir les services départementaux du ministère du Travail en cas de soupçon. En règle générale, c’est surtout la machine qui se voit donc attribuée le sale boulot. Les absences aux ateliers et aux entretiens déclenchent en effet de façon automatique l’envoi d’un avertissement avant radiation. L’intervention des conseillers consiste alors à sauver des eaux les plus méritants, en interprétant les règles pour qualifier telle ou telle situation d’absence légitime ou non.
77Dans l’extrait d’observation suivant, Christian, un conseiller, saisit a posteriori la liste des présents à un atelier d’aide à la recherche d’emploi. Les participants venaient de plusieurs agences du bassin et, de ce fait, il doit prévenir ses collègues d’autres agences en cas d’absence. Pour comprendre cet extrait, il faut savoir qu’une « GL », pour « gestion de la liste », est un courrier intitulé « avertissement avant radiation » :
« Christian : “Lui, il a noté un mauvais identifiant sur la feuille de présence. Je vais mettre son nom en entier… Voilà. Il a été convoqué le 22 août. Il n’a pas d’excuse. Dans le planning il n’y a pas moyen de le retrouver puisque ses identifiants ont été mal codifiés. Si je passe par son nom… Bon, passons, il n’est pas venu. Ils verront s’ils font une GL. Avant, j’imprimais des GL, je les remplissais, et je les envoyais par courrier à l’agence de [la commune du demandeur]. Je leur laissais la décision de la déchirer ou pas. Je le fais plus parce que ça coûte déjà le timbre, j’envoie plutôt un mail. Je connais la fille qui travaille au service administratif là-bas, Kadera, parce que c’est nous qui l’avons formée. Si le mec pour deux ateliers il va à un seul, pas de GL. S’il rate un atelier mais qu’il est accompagné [par un prestataire externe], pas de GL. C’est vraiment du cas par cas. Il faut juste qu’ils comprennent que c’était pas cool de prendre une place et de pas venir. Quand on a trois mois de retard sur la saisie des listes de présence aux ateliers, comme ça peut arriver, je ne fais pas de GL… Tu imagines ça veut dire que la personne devrait rembourser trois mois d’indemnisation88.” »
78Le conseiller en question développe une matrice personnelle de catégorisation des situations qui rendent légitime la sanction. Il juge en l’occurrence que le demandeur d’emploi ne mérite pas d’être sanctionné puisque, d’après le logiciel, il n’est allé qu’à un seul atelier au lieu de deux. Il ne craint pas de prévenir sa collègue de cette absence puisque, l’ayant formé, il a le sentiment de lui avoir inculqué cette matrice.
79Cette façon d’intervenir pour sauver plutôt que pour sanctionner semble envisagée de manière particulièrement valorisante par les conseillers. L’hypothèse est étayée par le fait que les radiations pour cause de « sanction », c’est-à-dire suite à une décision, ont baissé au cours de l’année 2011, tandis que les radiations automatiques augmentaient89. Ainsi, ce n’est pas en vérifiant des preuves que les conseillers à l’emploi sanctionnent les chômeurs mais bien plutôt en leurs fixant des rendez-vous. Le rendez-vous n’est pas une sanction en lui-même mais, en augmentant la fréquence des sollicitations, ils cherchent à vérifier les dispositions du demandeur d’emploi à se conformer, même contre son gré, au fonctionnement de l’institution.
« Naomie (conseillère) : “J’ai fait exprès de lui donner un rendez-vous à lui, parce que c’est un gros boulet. Il a fait 5 candidatures en un mois, il a l’impression d’avoir postulé à 15000 offres. Avec la lettre de motivation qu’il a, il y avait peu de chance qu’il soit pris de toute façon. Là, je vais voir s’il me fait un retour [Elle lui a remis plusieurs offres d’emploi, à défaut d’un atelier qu’elle n’a pas réussi à lui faire accepter]. C’est pour voir s’il est autonome90.” »
80Au vu des jugements de Naomie, la lettre de la loi légitimerait une procédure de radiation. Mais, sous ses airs de « mère fouettarde », elle ne sanctionne pas directement le demandeur. Elle passe par un média – la prescription, la convocation, l’injonction – pour ne pas avoir à faire ce travail de sanction par elle-même. Si le chômeur se conforme aux attentes de sa conseillère, il sera maintenu dans les listes.
81Il s’agit là d’un élément structurant de la forme qu’a prise Pôle emploi après la fusion. Le volet directement coercitif de la politique d’activation des dépenses de chômage n’est que peu investi par les conseillers à l’emploi lors des entretiens. La sanction est déléguée à leur hiérarchie et au système d’information qui enregistre automatiquement les absences à rendez-vous. En revanche, à travers le jeu sur les sollicitations, le volet « enrôlement » de ces mêmes injonctions au contrôle est davantage investi.
Les conseillers encadrent les chômeurs de façon plus ambivalente
82Les conseillers à l’emploi ont un pouvoir de sanction administrative indirecte – la saisine des services déconcentrés du ministère du Travail. L’observation suggère qu’ils mobilisent très peu ce pouvoir et préfèrent un contrôle plus implicite, et également plus normatif, en soumettant la personnalité des demandeurs d’emploi à des épreuves de jugement.
83Au cours de l’année 2011, les systèmes d’information fusionnent et une minorité d’agents sont finalement formés au poste de conseiller « double-compétent » – successeur du « conseiller unique ». Dans ce nouveau contexte, les conseillers à la « double casquette » revendiquent l’intérêt des informations relatives à l’indemnisation pour comprendre la situation des demandeurs d’emploi.
« David (conseiller) : “Ça m’amène quand même une connaissance garantie du passé professionnel du demandeur d’emploi, ce que je n’avais pas auparavant. Quand j’intervenais dans un guichet unique, il y avait souvent des discussions avec des collègues de l’indemnisation qui me disaient : ‘Mais pourquoi tu as fais ça alors que ce Monsieur il a telles et telles caractéristiques.’ Je devais avouer que j’étais pas au courant, que la personne m’avait menti. Aujourd’hui, il y a une garantie de la déclaration, garantie de ce qui arrive vraiment aux demandeurs d’emploi. Par exemple le motif du licenciement, ne peut être passé sous silence, etc. Cela change la nature des entretiens, il y a autre chose qui se joue que quand c’est simplement déclaratif91.” »
84Pour certains conseillers doublement compétents, le traitement du cas du demandeur d’emploi est enrichi par les informations supplémentaires apportées par les logiciels d’indemnisation. Cet extrait d’observation lors des minutes qui précèdent un entretien le souligne :
« Avec Joseph, nous lisons ensemble les informations du dossier d’indemnisation de la personne affiché à l’écran avec Joseph, sans parler. Il réagit soudain : “Elle a travaillé un jour en mai ! Waouh !”
Joseph : “Je ne comprends pas pourquoi elle trouve pas de boulot… Il y a des offres pourtant, elle a des diplômes, ça m’étonne toujours les gens qui n’ont pas une journée de boulot. Quand tu es vraiment dans la merde, que tu veux vraiment bosser, tu trouves toujours des petites choses, même si c’est pas long et pas bien payé. Même une semaine…”
JMP : “C’est pour ça que tu es allé sous Aladin [Le logiciel indemnisation] ?”
Joseph : “Oui et puis là, regarde [Il me montre le carré indemnisation de la synthèse du dossier, il y a écrit Indemnité Journalière de Référence : 0 euros…] Je me demande toujours avant l’entretien comment est-ce que les gens font pour vivre. Cela fait un an qu’elle est à zéro… Après, elle a vingt ans, on peut toujours se demander si elle n’est pas chez ses parents92…” »
85Il existe néanmoins une opposition latente entre le mandat de contrôle et celui d’aide. Le premier invite les demandeurs à la dissimulation/conformation tandis que le second les pousse à être le plus complet possible sur leur situation. Les informations récoltées par les conseillers au titre de l’aide au retour à l’emploi peuvent ainsi devenir des « savoirs coupables93 » qui renforcent leur capacité de placement mais entrent en contradiction avec le mandat de police qui leur est confié. En effet, lorsque les demandeurs d’emploi contreviennent à leurs devoirs, ils s’exposent à des sanctions en matière d’indemnisation. Dans ces cas-là, les informations en question sont davantage utilisées comme des leviers supplémentaires, pour « activer » la personne, que comme des raisons de sanctionner.
« J’observe le premier entretien de suivi entre Dominique et un homme de 34 ans, enregistré comme agent de manutention, bénéficiaire du RSA. Ils se voient pour la première fois.
David : “Ça remonte à quand votre dernier emploi ?”
Demandeur d’Emploi : “Ca remonte à trois ans…”
David : “Trois ans ! Mais vous avez fait quoi depuis tout ce temps ?”
DE : “Je vais pas mentir, j’ai chômé.”
David : “Vous avez quand même bossé au black un peu ?”
DE : “Ouais, ben ouais.”
David : “Mauvaise idée.”
DE : “Pourquoi, c’est interdit ?”
David : “Il y a deux dangers. D’une part, il peut y avoir des contrôles de la CAF avec des pénalités. On ne vous demande plus simplement de rembourser, on vous demande de rendre plus.”
DE : “Ah bon ? Mais tellement je crois c’est normal je l’ai dit à des flics que je bossais au noir.” […]
Après le départ du demandeur d’emploi, nous revenons sur cet entretien.
JMP : “Et s’il faisait l’idiot tout en bossant vraiment et de manière régulière au black ?”
David m’explique : “Il y a plein de gens qui jouent au mec un peu bête, mais là ce n’est pas le cas, celui-là il n’est vraiment pas malin. Annoncer comme ça à son conseiller qu’il bosse au black, il faut vraiment pas être sérieux, ni méfiant. Ce mec a bossé, c’est clair. Mais il y a quand même plein d’éléments qui prouvent aussi ou, en tout cas, qui permettent d’avancer qu’il n’est pas tout à fait dans le boulot. Il y a plusieurs hypothèses, la tienne ok. Mais il y en a d’autres. Il faut pas être angélique, il y a des gens qui vivent sans travailler. Je vais tester ses réactions à ce monsieur, voir ce que ça donne. Certes, c’est clair, il a appris qu’on finançait des permis et il ne vient que pour ça mais, ça peut être un levier pour dire d’accord, si vous trouvez un taf, je peux faire quelque chose pour votre permis. […] Mon avis c’est que c’est un mec qui souhaite se remettre dans le droit chemin et, du coup, je vais le bouger un peu, c’est ce que je fais avec ces profils. Parce qu’ils n’ont plus l’habitude du stress. Je lui financerai rien sans rien de sa part ça c’est clair94.” »
86L’opportunisme du demandeur d’emploi – soupçonné de venir à Pôle emploi pour bénéficier du permis de conduire – est mobilisé comme un levier d’action. Le conseiller dispose d’informations compromettantes sur ce monsieur et compte s’en servir pour le « bouger un peu ».
87C’est un constat important relevé lors de nos observations. Le contrôle de la recherche d’emploi effectué par les conseillers à l’emploi ne vise pas à sanctionner les fraudes à l’assurance chômage, comme le voudrait la loi. Les sanctions administratives sont utilisées en dernier recours, pour sanctionner les demandeurs qui, du point de vue du collectif de travail, ne jouent pas le jeu de l’institution. Avant cela, le contrôle et l’encadrement de la recherche d’emploi sont mobilisés pour conformer les demandeurs d’emploi au personnage implicitement défini par leur mandat : une position claire sur le marché du travail, l’objectif de retrouver un emploi, l’expérience de difficultés qui en appelle à leurs connaissances du marché du travail, de la formation ou du placement.
« Nora, une conseillère en CDD, est occupée à envoyer des offres d’emploi à la chaîne aux demandeurs d’emploi qui n’ont pas été vus depuis deux mois.
Nora passe assez peu de temps pour vérifier la conformité entre les offres et les profils des demandeurs d’emploi. Elle semble un peu gênée d’envoyer des offres de manière aussi automatique.
Nora demande à Thiphaine, une conseillère plus ancienne qui lui fait face dans le bureau : “Est-ce qu’il risque des sanctions s’il refuse ces offres d’emploi ?”
Thiphaine : “Non, parce que l’employeur ne peut jamais apporter la preuve qu’il a reçu ou pas le demandeur d’emploi. En revanche, lorsque l’on a un demandeur d’emploi qui ne se comporte pas… dans un grand esprit de collaboration avec son conseiller, on va dire… On monte un dossier, on lui envoie des offres pour voir comment il réagit et après, ça nous sert de prétexte pour alimenter le dossier95.” »
88Ainsi la fusion juridique advient, mais ce projet d’articulation du suivi et du contrôle échoue en partie du fait du refus des conseillers à l’emploi d’investir l’activité de police lorsqu’elle ne sert pas leur intérêt professionnel : placer. Le projet politique de la fusion est redessiné par les agents de premier niveau. Les pratiques concrètes qui se mettent en place à la suite de la fusion laissent entrevoir un échec de ce projet du fait de l’importance qu’a prise l’activité de liquidation au cours de l’année 2009. Le projet échoue également du fait de la réticence des conseillers à revêtir le costume de contrôleur au cours des années suivantes. Deux métiers distincts se stabilisent, loin du projet de constituer une masse d’experts polyvalents.
Conclusion du deuxième chapitre
89Le raisonnement qui sert de fil rouge à cet ouvrage – les indicateurs de résultats structurent l’organisation de la lutte contre le chômage – a du être mis en parenthèse au cours de ce chapitre. En effet, il ne faut jamais oublier que les indicateurs chiffrés sont toujours rattachés à une vision du monde, une théorie de l’économique ou du social. Or, avec le développement des politiques d’activation des demandeurs d’emploi, on assiste en quelque sorte à une modification de la théorie structurant la politique de l’emploi. Sans quitter le modèle standard, on passe d’une conception du chômage proche du job search à une approche inspirée de la théorie de l’agence. C’est la raison pour laquelle il était nécessaire de repartir un cran au dessus pour comprendre comment ces transformations « théoriques » modifient les dispositions légales puis les indicateurs de résultat et in fine le travail quotidien.
90La fusion de l’ANPE et des Assedic constitue alors un cas assez marquant du point de vue des pratiques de gestion dans l’administration publique. D’abord, elle s’appuie sur une théorie économique du chômage, à travers la notion « d’activation » qui détermine les objectifs du nouvel établissement. Ensuite, elle mobilise, pour assurer la mise en œuvre de la réforme, toute la panoplie du New public management : réduction des doublons, indicateurs de performance ou participation des consultants, contractualisation, etc. Enfin, elle décrète une transformation du travail des agents du service public. Or, l’étude de la mise en œuvre effective de cette réforme suggère un large décalage entre le projet initial et sa concrétisation. La traduction du projet politique dans des instruments de gouvernements conduit à délayer les slogans initiaux. La loi puis la convention d’objectifs peinent à donner de la chaire à l’idée de métier unique. Les indicateurs de résultats élaborés pour piloter le nouvel établissement se révèlent creux et le programme de formation des agents est mis en défaut à la fois par la crise économique mais aussi par la modestie des enseignements. Pour finir, la mise en œuvre de la politique d’activation échoue face à la division morale du travail retirant le contrôle formel de la recherche d’emploi au dehors des entretiens de suivi. En partie seulement, car le mandat d’encadrement de la recherche d’emploi est investi par les conseillers qui s’attachent à un jugement global de la personne.
91Ce récit du suivi politique de la naissance de Pôle emploi suggère que les objectifs chiffrés, lorsqu’ils sont utilisés en tant qu’instruments de politique publique, n’ont pas d’effet propre sur la mise en œuvre des orientations qu’ils portent. La matérialité des indicateurs, c’est-à-dire leur inscription dans des objets mais aussi dans des relations sociales, est une condition nécessaire pour qu’ils puissent exercer un pouvoir de coercition. C’est au pouvoir des indicateurs que la suite de cet ouvrage est consacrée.
Notes de bas de page
1 Fabrice Colomb, « Le succès des incitations », Gouvernement et action publique, 2012, vol. 3, no 3, p. 31-52.
2 Christine Daniel et Carole Tuchszirer, L’État face aux chômeurs, op. cit.
3 Robert Castel, Les Métamorphoses de la question sociale, op. cit.
4 Philippe Hussenot, « Pour un contrôle des quasi-objectifs des administrations publiques », op. cit.
5 Didier Demazière, Le Chômage en crise ?, op. cit., p. 16 ; Emmanuèle Reynaud, « Le chômage de longue durée : la théorie et l’action », Revue française de sociologie, 1993, vol. 34, no 2, p. 271-291.
6 Didier Demazière, Le Chômage en crise ?, op. cit., p. 54.
7 Fabrice Colomb, Genèse et transformations des politiques de l’emploi en France, op. cit., p. 241-308.
8 Vincent Dubois, Jean-Matthieu Méon et Emmanuel Pierru, Le Contrôle des chômeurs [Rapport], GSPE-DARES, ministère du Travail, 2006. p. 71.
9 Ibid., p. 46
10 Robert Salais, « La politique des indicateurs. Du taux de chômage au taux d’emploi dans la stratégie européenne pour l’emploi (SEE) », in Les Sciences sociales à l’épreuve de l’action : le savant, le politique et l’Europe, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.
11 Gilles Raveaud, « Au cœur de la stratégie européenne pour l’emploi, le taux d’emploi », Éducation et sociétés, 2006, vol. 18, no 2, p. 17-33.
12 Fabrice Colomb, « Le succès des incitations », op. cit.
13 Didier Chabanet et Jean Faniel, « L’Europe du chômage : enjeux et dynamiques socio-politiques d’un échec », Politique européenne, 1er mars 2007, n° 21, no 1, p. 5-19.
14 Fabrice Colomb, Genèse et transformations des politiques de l’emploi en France, op. cit. p. 285-306.
15 Olivier J. Blanchard et Lawrence H. Summers, « Hysteresis and the European unemployment problem », in NBER Macroeconomics Annual 1986, volume 1, Boston, Mit Press, p. 15-90.
16 Robert Salais, « La politique des indicateurs. Du taux de chômage au taux d’emploi dans la stratégie européenne pour l’emploi (SEE) », op. cit.
17 Isabelle Bruno, « La déroute du « benchmarking social »», Revue Française de Socio-Économie, 2010, vol. 5, no 1, p. 41-61.
18 Gilles Raveaud, « La Stratégie européenne pour l’emploi : une politique d’offre de travail », Travail et Emploi, 2006, vol. 107, p. 7-18.
19 Nicole Notat, CFDT, présidente de l’Unedic. Libération, édition du 27 novembre 2000.
20 Bernard Balzani et al., L’Accompagnement vers l’emploi. Acteurs, pratiques, dynamiques, Paris, Dares, 2008, p. 70. Ce sont les services statistiques de l’Unedic qui construise la liste de ces métiers.
21 Ibid., p. 65.
22 Cour des comptes, L’Évolution de l’assurance chômage : de l’indemnisation à l’aide au retour à l’emploi [Rapport], Paris, 2006. p. 90.
23 Ibid. p. 91.
24 Florence Lefresne et Carole Tuchszirer, « La formation professionnelle des demandeurs d’emploi : une mission nouvelle confiée à l’Unedic », DARES, Premières Synthèses, 2005, no 18.1, p. 1-4.
25 Jean Marimbert, Rapport au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur le rapprochement des services de l’emploi [Rapport], Paris, La Documentation française, 2004. Évoque une « balkanisation » du service public de l’emploi.
26 Valérie Létard et Louis Souvet, Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, Paris, Sénat, 2004.
27 Claire Vivés, L’Institutionnalisation du recours aux opérateurs privés de placement au cœur des conflits de régulation du service public de l’emploi (2003-2011), Nanterre, université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2013.
28 Jacques Freyssinet, « La réforme de l’indemnisation du chômage en France », Revue de l’Ires, 2002, vol. 38, p. 1-51.
29 Olivier Mazade, « Le traitement du chômage entre individualisation et standardisation. L’exemple de la pratique des entretiens professionnels à l’ANPE », in Les Professionnels de l’action publique face à leurs instruments, Toulouse, Octars, p. 95-103.
30 L’entretien a été réalisé par Claire Vivés en 2011, dans le cadre de son travail de thèse portant sur l’introduction de la concurrence en France en matière de placement entre 2003 et 2011. Claire Vivés, L’Institutionnalisation du recours aux opérateurs privés de placement au cœur des conflits de régulation du service public de l’emploi (2003-2011), op. cit. Je reproduis ici cet extrait avec son aimable assentiment.
31 Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc. », L’Année sociologique, 1986, vol. 36, p. 169-208.
32 Le nom Pôle emploi n’est arrêté que très tard au cours de processus de fusion, deux mois avant l’ouverture de l’organisme. Pour simplifier la lecture il sera quand même fait mention de Pôle emploi dès le début du projet, pour désigner le nouvel opérateur unique de placement et d’indemnisation.
33 Jacques Freyssinet, « L’expert, entre le savant et le politique : l’efficacité des rapports d’expertise sur l’emploi et la formation », Formation emploi. Revue française de sciences sociales, 1er janvier 2008, vol. 101, p. 199-212.
34 Louise Lartigot-Hervier, La Peau de chagrin ? : affaiblissement syndical dans les assurances sociales en France et en Allemagne, Paris, France, Institut d’études politiques, 2012.
35 Solen Berhuet, « L’inflexion des Maisons de l’Emploi en faveur du développement local des territoires », in Reconfigurations de l’État social en pratique, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, p. 233-249.
36 Christian Charpy, La Tête de l’emploi, Paris, Tallandier, 2011.
37 Exposé des motifs de la loi du 13 février 2008.
38 Exposé des motifs de la loi du 13 février 2008.
39 Source : [http://www.finances.gouv.fr/directions_services/cedef/synthese/anpe-unedic/synthese.htm].
40 Sénat, Rapport fait au nom de la commission des Affaires sociales sur le projet de loi relatif à la réforme du service public de l’emploi, Catherine Procaccia, Sénateur, Session ordinaire 2007-2008, p. 5.
41 Exposé des motifs de la loi du 13 février 2008.
42 Exposé des motifs, p. 3.
43 Ibid., p. 3.
44 Louise Lartigot-Hervier, La Peau de chagrin ?, op. cit. Lynda Lavitry, « Le jugement d’employabilité : un nouveau savoir pour gérer les chômeurs ? », Sociologies pratiques, 2012, vol. 24, no 1, p. 53-65 ; Marc Ferracci et Florine Martin, « Évaluation par expérimentation aléatoire de dispositifs de reclassement innovants pour les demandeurs d’emploi », Travail et emploi, 18 février 2014, vol. 135, no 3, p. 15-26.
45 Interview de N. Sarkozy, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, président de l’UMP et candidat à l’élection présidentielle 2007, à France 2 le 2 mars 2007, sur la campagne électorale, ses adversaires politiques et sur les grandes lignes de son programme électoral. Source : Discours.vie-publique.fr.
46 François Lafarge, « La révision générale des politiques publiques : objet, méthodes et redevabilité », Revue française d’administration publique, 8 avril 2011, vol. 136, no 4, p. 755-774.
47 Martin Kitchener et Linda Gask, « NPM merger mania Lessons from an early case », Public Management Review, 1er mars 2003, vol. 5, no 1, p. 19-44.
48 À titre d’exemple, le budget de Pôle emploi s’élève pour 2010 à près de 4,8 milliards d’euros dont une dotation de l’État d’environ 1,360 milliard d’euros et d’un prélèvement sur les cotisations sociales d’environ 3 milliards d’euros.
49 Entretien avec la responsable de la mission, novembre 2014.
50 Ibid.
51 Marie-Ange du Mesnil du Buisson et O. Toche, Rapport du groupe de travail DGEFP/Unedic/ANPE/ CGEFI relatif à la préparation de la fusion de l’ANPE et du réseau de l’Assurance chômage, op. cit.
52 Jean Marimbert, Rapport au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur le rapprochement des services de l’emploi, op. cit.
53 Didier Demazière, « Professionnalisations problématiques et problématiques de la professionnalisation », Formation emploi. Revue française de sciences sociales, 18 décembre 2009, no 108, p. 83-90.
54 Tom Christensen, Anne Lise Fimreite et Per Lægreid, « Reform of the employment and welfare administrations — the challenges of co-coordinating diverse public organizations », International Review of Administrative Sciences, 9 janvier 2007, vol. 73, no 3, p. 389-408.
55 Christian Charpy, La Tête de l’emploi, op. cit. p. 24.
56 Bruno Lucas, Action, [magasine du nouvel opérateur], octobre 2008, n° 2, p. 8.
57 Christian Charpy, Rencontre des délégués régionaux le 17 juillet 2008, partie « Dialogue de performance et élaboration budgétaire ».
58 Jean-Claude Barbier, La Gestion et l’évaluation du service public de l’emploi en France dans la décennie 1990. Matériaux pour une réflexion comparative internationale [Rapport], Centre d’études de l’emploi, 2007.
59 E. Sol et Maria Westerveld, Contractualism in Employment Services : A New Form of Welfare State Governance, La Haye, Kluwer Law International, 2005.
60 Alain Desrosières, « Décrire l’État ou explorer la société », op. cit.
61 Depuis 1996 l’inscription des demandeurs d’emploi se fait en deux temps. Il y a d’abord un entretien d’inscription auprès d’un agent indemnisation, puis un autre auprès d’un agent ANPE.
62 Tom Christensen, Anne Lise Fimreite et Per Lægreid, « Reform of the employment and welfare administrations — the challenges of co-coordinating diverse public organizations », op. cit.
63 Il existe en effet une convention bipartite signée le 19 décembre 2008 entre l’Unedic et Pôle emploi qui définit les objectifs du versement des allocations-chômage.
64 Gérard, directeur du contrôleur de gestion de l’Unedic.
65 Considérant que les agences Assedic et ANPE doivent continuer de fonctionner selon les modalités de l’ancien régime, il est même possible d’envisager une troisième année 2008, celle du terrain.
66 Après un an à la tête du contrôle de gestion de Pôle emploi, Gérard est revenu à l’Unedic pour reprendre la direction des études et statistiques très affaiblies par la fusion, alors même qu’elle était une des fiertés de l’assurance chômage.
67 Travaux de la commission des Finances du Sénat, audition de M. Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi 5 mai 2009.
68 Selon les chiffres de l’enquête emploi de l’INSEE le nombre de chômeur a augmenté de 28 % sur cette même année.
69 Christian Charpy, La Tête de l’emploi, op. cit. p. 56.
70 Everett C. Hughes, Le Regard sociologique. Essais choisis, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1997. p. 61-69.
71 Pierre Bourdieu, « Les rites comme actes d’institution », Actes de la recherche en sciences sociales, 1982, vol. 43, no 1, p. 58-63.
72 Everett C. Hughes, Le Regard sociologique. Essais choisis, op. cit. p. 69-73
73 Karima, conseillère à l’emploi, 40 ans, Bac +4 en sociologie, observation, printemps 2011
74 Observation, printemps 2011, carnet p. 153/154.
75 Observation, été 2012, carnet p. 136/234.
76 Observation, printemps 2011, carnet p. 10/153.
77 Observation, été 2012, carnet p. 53/234.
78 Observation à l’accueil, printemps 2011, carnet p. 18/153.
79 Observation au service-entreprises, Printemps 2011, carnet p. 4/153.
80 Observation, printemps 2011. Odile est une conseillère d’une cinquantaine d’année entrée à l’ANPE en 1980, de retour d’Algérie, où elle était institutrice. Certains de ses collègues l’appellent « Pied Rouge ».
81 Commentaire au billet : « Double compétence : La fin d’un mythe ? Chez Pôle emploi, les agents ne sont plus censés savoir tout faire” Les Échos 28 juillet 2011 », posté par Chandernagor, le 29/07/2011 à 08 h 45 sur le blog, La fusion pour les nuls.
82 Golda est une conseillère Pôle emploi, 39 ans, entrée à l’ANPE en 2005. Observation, été 2012 (Carnet p. 87/234)
83 En cela, elle ressemble beaucoup à l’activité décrite dans Jérôme Denis, « Le travail de l’écrit en coulisses de la relation de service », Activités, 2011, vol. 8, no 2, p. 32-53.
84 Vincent Dubois, Jean-Matthieu Méon et Emmanuel Pierru, Le Contrôle des chômeurs, op. cit.
85 Un conseiller engage ainsi le demandeur d’emploi qu’il reçoit « Allez-y, vous pouvez me parler, ce n’est pas l’Assedic ici. » Didier Demazière, « Des réponses langagières à l’exclusion. Les interactions entre chômeurs de longue durée et agents de l’ANPE », op. cit.
86 Vincent Dubois, Jean-Matthieu Méon et Emmanuel Pierru, Le Contrôle des chômeurs, op. cit.
87 Observation été 2012, carnet p. 11/234.
88 Observation, été 2012, carnet p. 134/234.
89 Collectif les Autres Chiffres Du Chômage, « Les flux d’entrée et de sortie du chômage : moins de retours vers l’emploi, plus de sorties “administratives” », note n° 8, septembre 2011.
90 Observation Été 2012, carnet p. 190/234.
91 Observation, été 2012, carnet p. 50/234.
92 Observation, été 2012, carnet p. 170/234.
93 Everett C. Hughes, Le Regard sociologique. Essais choisis, op. cit., p. 101.
94 Observation, été 2012, carnet p. 130/234.
95 Observation en back-office, été 2012, carnet p. 40/234.
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