2. Les requérants DALO
p. 83-129
Texte intégral
« C’est comme si vous répondez à un jeu-concours, on vous dit : “Vous allez gagner une Peugeot !” Là, c’est la même, sauf que c’est : “Vous allez gagner un logement !” Et c’est comme le Loto où il y a les numéros complémentaires. Là, c’est les questions complémentaires ! »
Tunisien, 30 ans, marié, 2 enfants, magasinier, hôtel, Paris
1Afin de comprendre « comment le droit vient aux gens » (Abel et al., 1981), il s’agit de savoir d’où ils viennent et qui ils sont. Le premier enjeu de ce chapitre est donc de montrer qui a recours à la justice administrative parmi les demandeurs de logement. C’est ce que permet la mise en relief des caractéristiques sociodémographiques des ménages des requérants et de leur situation en matière d’habitat. Le second enjeu est d’analyser les significations plurielles attribuées aux recours à la justice administrative par les premiers intéressés. Celles-ci renvoient à leur rapport aux institutions sociales et juridiques et, plus largement, à l’État. Le troisième enjeu de ce chapitre consiste à mettre en valeur les inégalités d’aptitude à se conformer aux exigences institutionnelles, y compris au sein des milieux les plus défavorisés. En effet, la capacité à faire valoir ses droits varie selon la trajectoire sociale (Dubois, 2010), indépendamment de la situation au regard de la loi.
2S’engage dès lors une reconstitution systématique de l’espace social des ménages des requérants, dont il s’agit préalablement d’établir les frontières, en prenant en compte l’évolution du nombre de recours déposés. Sa progression continue tend à faire des requérants une part croissante des demandeurs de logements sociaux, en particulier dans les départements les plus fortement urbanisés, où le marché immobilier locatif est le plus tendu et où l’accès au parc social est restreint. Sachant que le DALO s’adresse à des individus rencontrant des difficultés à accéder au parc social par les filières de droit commun, il n’est guère étonnant que les requérants appartiennent majoritairement aux fractions les plus fortement précarisées des classes populaires. L’accomplissement d’une procédure majoritairement écrite implique des ressources rares parmi la population concernée, sachant que les individus de classes populaires ont souvent un rapport distancié aux normes scripturales (Lahire, 1993). On retrouve du reste parmi une forte proportion d’étrangers parmi les requérants, dont la maîtrise du Français est parfois limitée, la teneur juridique du langage employé au cours de la procédure aggravant leurs difficultés linguistiques.
3Cependant, les requérants ne sont pas systématiquement démunis de capital culturel. Des contrastes importants apparaissent et leur mise en valeur permet justement de mieux saisir des logiques différenciées de recours à la justice. Les requérants ne disposent pas tous des mêmes savoir-faire pour compléter un formulaire et rassembler les pièces à l’appui de leurs déclarations. Ils ne déploient pas tous les mêmes savoir-être au cours de leurs interactions avec les acteurs chargés de favoriser leur accès au droit. Mais connaître les caractéristiques sociales des requérants n’épuise guère l’analyse des investissements différenciés de la procédure. Leurs dispositions s’actualisent au fur et à mesure de leurs rapports aux acteurs institutionnels, les propriétés sociales et les expériences vécues déterminant de concert leur capacité à faire preuve de réflexivité sur leur situation et leurs propres savoirs (Siblot, 2006). Ils investissent ainsi de manière plus ou moins intense et adéquate l’offre d’accompagnement social et juridique en vue d’améliorer l’efficacité de leur démarche, voire de l’inscrire dans une lutte collective.
4Ce chapitre reconstitue d’abord l’espace social des requérants et de leurs ménages, avant d’établir une typologie empiriquement nourrie et illustrée de leurs diverses manières de faire valoir leurs droits.
Qui a recours au droit ?
5Cette tentative de reconstitution de l’espace social des requérants DALO englobe leurs ménages, dans la mesure où la situation de l’ensemble de leurs membres incide sur les modalités du recours et son traitement. La première étape de l’analyse consiste à situer à la fois spatialement et socialement cette population par rapport à l’ensemble des résidents légaux sur le territoire français, mais aussi, de manière plus ciblée, par rapport aux occupants des HLM, l’un des enjeux de la mise en œuvre du DALO étant de redéfinir leurs modalités d’attribution. Souvent mis en valeur dans les rapports officiels, le niveau de tension du marché immobilier locatif contribue, certes, à expliquer en partie la concentration des recours dans certains départements. Mais sa seule prise en compte ne permet pas de saisir la diversité des publics effectivement engagés dans la procédure. Dans un deuxième temps, l’analyse restitue la pluralité des ménages des requérants. La combinaison de l’ethnographie au contact des publics et de l’analyse statistique du contenu de dossiers de recours auprès des commissions de médiation permet à la fois de faire ressortir les frontières de population étudiée et les oppositions structurantes qui la traversent. L’étiquette juridique et homogénéisante de « ménages DALO » masque en effet une diversité de situations, tant du point de vue des propriétés sociodémographiques qu’en matière d’habitat.
Des recours aux requérants
6Une première étape de l’analyse du recours au DALO consiste à rapporter les données publiées par le Comité de suivi de la mise en œuvre de la loi sur la saisine des commissions de médiation aux caractéristiques des départements concernés et des demandeurs de logement social. Il s’agit de mesurer l’ampleur et la régularité de la massification du recours, mais aussi d’expliquer son inégale répartition territoriale. Les requérants se concentrent dans les départements aux loyers moyens les plus élevés, et où l’accès au parc social est le plus limité, et ils représentent une part croissante des demandeurs de HLM.
Une part croissante des demandeurs de HLM
7Au 17 février 2015, 559842 recours ont été déposés auprès des commissions de médiation, sur l’ensemble du territoire national. Non seulement les recours s’accumulent depuis l’entrée en vigueur de la loi, mais le nombre de recours déposés chaque année est en constante augmentation jusqu’en 2014, année de stabilisation. Après une forte hausse entre 2008 et 2009 (28,9 %), cette croissance est ralentie progressivement : le nombre de recours déposé augmente d’abord de 11,2 % de 2009 à 2010, de 10,1 % de 2010 à 2011, de 8,6 % de 2011 à 2012, de 7,4 % de 2012 à 2013, de 6,3 % de 2013 à 2014, puis baisse de 0,8 % de 2014 à 2015. Déposer un recours n’implique pas nécessairement l’éligibilité du ménage en question et inversement, tous les ménages éligibles ne font pas ou ne parviennent pas à faire valoir leur droit. Il est tout de même intéressant de rapporter le total des recours déposés début 2015 aux estimations réalisées peu avant l’entrée en vigueur de la loi par la DGUHC (483602 ménages éligibles) ou par l’USH (environ 621400). On constate en effet que ce total s’en rapproche ou le dépasse désormais, selon la source des estimations.
8Le nombre de recours au DALO déposés correspond surtout à une part toujours plus significative du total des demandeurs de logements sociaux. Pour mieux souligner l’intérêt d’une telle corrélation, il convient préalablement d’en montrer les limites. Tout d’abord, le nombre de ménages ayant fait l’objet d’une demande de HLM est plus difficile à évaluer que le nombre de recours au DALO, du moins jusqu’à la mise en place de fichiers d’enregistrement unique au niveau départemental en octobre 20101, qui facilite une comptabilité nationale. Ensuite, l’enregistrement sur les listes de demandeurs de HLM est une condition sine qua non de la recevabilité des recours au DALO, mais cela ne signifie pas que cette dernière soit remplie pour tous les recours déposés. Enfin, ni l’enregistrement, ni le renouvellement régulier de la demande de HLM ne garantissent l’issue favorable du recours. Reste que la croissance continue du nombre de recours tend progressivement à faire converger les chiffres disponibles sur le public du DALO et les demandeurs de logements sociaux insatisfaits. Face aux 1798788 demandes de logements HLM dénombrées fin 2007 par la DGUHC – soit un an avant l’entrée en vigueur de la loi – le nombre de recours au DALO paraît a priori relativement modeste. Il convient toutefois de noter qu’environ 559403 de ces demandes de logement consistaient en demandes de mutations à l’intérieur du parc social2. On peut donc faire l’hypothèse d’une représentation croissante des requérants DALO parmi les aspirants au parc social, notamment dans les régions où ces derniers sont les plus nombreux, à commencer par l’Île-de-France.
9Fin 2010, 116021 nouveaux recours DALO avaient été déposés en région parisienne, pour environ 417500 dossiers de candidatures enregistrés cette même année, qu’il s’agisse d’un renouvellement ou d’une première demande3, soit un ratio de 0,27. En retour, l’augmentation accélérée du nombre de demandeurs de logements sociaux peut être en partie liée à la mise en œuvre du dispositif de recours au DALO. Certains individus dont le ménage est mal logé ou sans domicile sont en effet encouragés à déposer une demande d’HLM par la mise en place d’un dispositif supposé garantir leur droit à un logement adapté. À Paris, le nombre de demandeurs de logements sociaux augmente ainsi plus vite lors des premières années de mise en œuvre de la loi que lors des années qui précèdent son introduction : le nombre de demandeurs de HLM passe de 85033 en 2003 à 89976 en 2007, puis à 96086 en 2011, soit une progression 5,5 % de 2003 à 2007, puis de 7,1 % de 2007 à 20114. L’augmentation du recours au DALO est toutefois plus rapide que celle du nombre de demandeurs de HLM, à Paris comme dans la majorité des départements les plus urbanisés. Reste à étudier précisément la répartition géographique des recours, fortement inégale entre les régions et les départements, au-delà du seul particularisme parisien.
Une masse inégalement répartie
10Pour appréhender les fortes disparités entre les régions et les départements, le nombre de recours déposés auprès de chaque commission au 30 juin 2012 est rapporté à la population de son département5. Un lien apparaît bel et bien, mais il n’est pas systématique. Les départements les plus fortement urbanisés ne sont pas toujours ceux où le recours au DALO est le plus intense. Inversement, des départements peu urbanisés concentrent un grand nombre de recours.
11Le constat le plus flagrant, souvent mis en valeur par les rapports d’évaluation de la mise en œuvre de la loi, est celui de la concentration des recours en région parisienne, et notamment à Paris. Le nombre de recours déposés auprès des commissions des départements franciliens s’élève à 180236. Si elle décroît régulièrement d’année en année, la proportion des recours déposés en Ile-de-France reste majoritaire : elle représente 63,5 % des recours amiables en 2008, 61 % en 2009, 62 % en 2010, et enfin 60,6 % en 2011. L’importance du nombre de recours déposés en région parisienne impose de préciser leur répartition au sein de cette dernière. Avec 51552 recours déposés au 30 juin 2012, Paris représente toujours une part importante des recours nationaux, mais en baisse progressive : supérieure à 20 % en 2008 et 2009, elle s’élève encore à 18 % en 2010, mais passe à 15,3 % en 2011, puis à 14 % au premier semestre de l’année 2012. Le nombre de recours se stabilise en revanche dans les départements de petite couronne et de grande couronne. Le total des recours déposés dans les premiers est toutefois largement supérieur à celui des seconds (74911 contre 50911).
12Avec 19599 recours, les Bouches-du-Rhône se situent entre le Val-de Marne et l’Essonne, et constitue de loin du département de province où le nombre de recours déposés est le plus élevé, même s’il a connu une légère baisse entre 2010 et 2011 (1,2 %). Suivent le Nord (8068 recours), le Var (7879) et la Haute-Garonne (6670). Comme dans les Bouches-du-Rhône, la plus grande partie de la population réside dans une agglomération de plus de 500000 habitants. Viennent ensuite une vingtaine de départements ayant en commun de comporter une agglomération de plus de 100000 habitants, où l’intensité du recours est intermédiaire, son rythme variant toutefois assez fortement entre la Loire-Atlantique (6587) et la Côte d’Or (1007).
13Dans les 64 autres départements métropolitains étudiés, le nombre de recours déposés au 30 juin 2012 est inférieur à 1000, et peut descendre jusqu’à zéro, comme dans la Meuse. Certes, ces départements sont généralement moins peuplés et moins urbanisés que les précédents, mais ce n’est pas nécessairement le cas, comme le démontre la mise en relation systématique du nombre de recours déposés et de leur population.
14Une carte de la France métropolitaine permet d’illustrer6 l’inégale intensité de recours au DALO : chaque département est caractérisé par le nombre de recours déposés pour 10000 habitants, qui varie entre 226 et 0, avec une moyenne de 24, un écart-type de 23 et une médiane de 7. Cet écart entre la moyenne et la médiane signifie que seule une minorité de départements est caractérisée par une intensité de recours supérieure à la moyenne. Il est donc d’autant plus nécessaire d’en distinguer plusieurs catégories. L’usage d’une méthode de discrétisation par les quantiles fait en cela apparaître six classes de 16 départements qui correspondent à différentes intervalles d’intensité de recours. La première classe rassemble les départements où le recours au DALO est le plus intense. Il varie d’environ 40 recours déposés pour 10000 habitants dans l’Aude, à plus de 226 à Paris, où ce ratio atteint son maximum. On retrouve dans cette classe les départements franciliens – la Seine-Saint-Denis et le Val de Marne se rapproche de Paris avec 191 et 187 recours déposés pour 10000 habitants – ainsi que des départements méridionaux fortement urbanisés, comme les Bouches-du-Rhône, le Var, la Haute-Garonne ou les Alpes Maritimes. Cependant, y apparaît aussi le département de Corse du Sud, qui compte seulement 145998 habitants, à l’inverse des départements du Nord et du Rhône, qui incluent pourtant Lille et Lyon, les deux plus importantes agglomérations de province. Ceci contredit l’hypothèse d’un lien entre l’intensité du recours et la taille de la population ou le taux d’urbanisation. En Corse du Sud, ce dernier se limite en effet à 63 %, contre 91 % et 94 % pour le Nord et le Rhône. Cette hypothèse est aussi remise en question par la composition de la deuxième classe des départements à « l’activité DALO modérée7 », au sein de laquelle le nombre de recours pour 10000 habitants varie entre 18 et 40, encore plus diversifiée en termes de population et d’urbanisation. Cette classe inclue d’abord des départements fortement peuplés et urbanisés, comme les deux précités, la Gironde, l’Isère ou le Bas-Rhin. Elle rassemble ensuite des départements comportant des agglomérations de moindre importance, comme la Somme ou le Vaucluse. Enfin, on y retrouve des départements faiblement peuplés ou urbanisés, comme les Alpes de Haute-Provence. Concernant les départements des quatre dernières classes, pour lesquelles le nombre de recours pour 10000 habitants est inférieur à 18, ils sont dans l’ensemble moins peuplés et denses que la moyenne nationale. Dans certains départements à dominance rurale, comme le Cantal, la Creuse, ou la Meuse, le nombre de recours pour 10 000 habitants se rapproche de zéro. Néanmoins, quelques départements dont la population et l’urbanisation sont relativement importantes, comme le Finistère et la Manch, se trouvent également parmi les troisièmes et quatrièmes classes. À l’exception de la Loire-Atlantique, les départements de l’Ouest sont plutôt épargnés par le recours au DALO. L’Ille-et-Vilaine, qui inclut avec Rennes une agglomération de plus de 300000 habitants, en est l’exemple le plus frappant. Reste cependant à montrer quels sont les facteurs expliquant le plus précisément possible ces inégalités d’intensité du recours, de la Bretagne au pourtour méditerranéen, en passant par la région parisienne.
Prix des loyers, accès au parc social et intensité du recours
15Il s’avère possible de caractériser plus précisément les départements en mettant en valeur des facteurs relatifs à l’offre de logement, qu’il s’agisse du secteur public ou privé. On peut ainsi vérifier dans quelle mesure l’intensité du recours au DALO s’explique par la tension du marché immobilier locatif ou les difficultés d’accès aux logements sociaux, compte tenu du faible nombre de HLM vacants par rapport au nombre de demandeurs.
16Si les recours au DALO sont proportionnellement plus nombreux dans les départements les plus peuplés d’Île-de-France ou de la Côte d’Azur, c’est parce qu’ils sont aussi ceux où l’immobilier locatif atteint les prix les plus élevés. Ce lien se confirme dans des départements peu peuplés et urbanisés comme la Haute-Savoie ou la Corse du Sud. Souvent très touristiques, ces départements connaissent eux aussi une forte tension du marché immobilier (Mouillard, Thouvenin, 2004). Or, un haut niveau du prix des loyers dans le secteur privé oriente logiquement les plus pauvres vers le parc social, tandis que ses occupants ont moins intérêt à en sortir. De surcroît, la production de nouveaux logements sociaux ne compense pas la faiblesse du taux de rotation des occupants pour que la demande toujours croissante soit absorbée. Aussi peut-on faire l’hypothèse d’une influence combinée de la tension du marché locatif et de la faiblesse du taux de turn-over du parc social sur l’intensité du recours au DALO.
17Afin de vérifier cette relation et d’établir son intensité, les 96 départements métropolitains sont caractérisés par le montant moyen du loyer mensuel au mètre carré dans le parc privé8 et par la proportion des HLM ayant fait l’objet d’un emménagement durant l’année 20109. Ainsi, le montant moyen du loyer mensuel atteint environ 10 euros du mètre carré en 2012, avec un écart type de 3,50 euros. Le montant maximum de 29,80 euros est atteint à Paris, tandis que la Meuse est le département où les loyers sont les moins onéreux. Or, Paris concentre le plus grand nombre de recours, tandis que la Meuse est l’un des seuls départements où il n’a encore jamais été fait usage du dispositif. Concernant la proportion annuelle de nouveaux emménagements dans le parc social, elle est en moyenne de 11,4 % au cours de l’année 2009, avec un écart-type de 2,6 %. C’est sans surprise à Paris que cette proportion est la plus faible (5,4 %), tandis qu’elle atteint son score le plus élevé dans le Lot (17,1 %), où le recours au DALO est quasi nul. De manière générale, les départements où la proportion de nouveaux emménagements dans le parc social est la plus élevée correspond aux quatre dernières classes précédemment décrites, tandis que les départements où elle est la plus faible se concentre dans la première. Au-delà de ce premier aperçu, l’élaboration d’un modèle de régression multilinéaire permet de mesurer précisément l’intensité de l’association entre le montant des loyers dans le parc privé, le taux de turn-over dans le parc social et l’intensité du recours au DALO. Le modèle montre que cette intensité dépend d’abord du montant moyen des loyers, puis, de façon moins significative et moins prononcée, de la proportion de nouveaux aménagements dans le parc social.
Facteurs explicatifs du nombre de recours au DALO/10000 habitants
Variables | Coefficient | Significativité |
Prix loyer (euro/m2/mois) | 9,788 | *** |
Nouveaux emménagements dans le parc social(%) | - 2,308 | ** |
Champ : Départements de France métropolitaine.
Source : HCLPD 2012, FNAIM 2011, CGEDD 2011.
18Les variations du prix des loyers et de la proportion annuelle de nouveaux emménagements dans le parc social du département expliquent environ 80 % de celles du nombre de recours pour 10000 habitants (R2 = 0,797). On constate qu’une hausse de 5 euros du loyer mensuel moyen par mètre carré et une baisse de 5 % de la proportion annuelle de nouveaux emménagements dans le parc social correspondent à une augmentation d’environ 37 recours déposés pour 10000 habitants. Même si la variation d’intensité du recours demeurant inexpliquée est relativement minime, d’autres facteurs semblent en rendre compte dans certains départements. À Paris ou en Seine-Saint-Denis, l’écart avec les départements les moins urbanisés reste supérieur à ce que prédit le modèle. Les propriétés sociales des ménages, tout comme le différentiel territorial d’offre d’accompagnement juridique constituent des pistes d’explication développées plus avant. En attendant, il importe de montrer comment les requérants sont présentés par l’administration de manière parfois lacunaire, voire partiale.
Des ménages particuliers… mais diversifiés
19Les portraits statistiques officiels brossés par les experts mandatés par l’administration offrent une représentation homogénéisante des requérants et de leurs ménages, lorsque la mise en valeur de certains traits spécifiques n’est pas politiquement orientée. Certes, la population étudiée se distingue de l’ensemble de la population française ou des occupants du parc social du point de vue de la part d’étrangers qu’elle inclue, de la composition familiale des ménages, de l’activité professionnelle des adultes ou encore du revenu par unité de consommation. L’analyse de données statistiques, combinée à des matériaux plus qualitatifs fait néanmoins ressortir des configurations diversifiées de propriétés sociales et de situation en matière d’habitat.
Portraits statistiques officiels du ménage DALO
20Outre leur manque de précision, les statistiques nationales ne permettent pas de distinguer les caractéristiques des ménages des requérants qui valident leur recours et, le cas échéant, poursuivent la procédure jusqu’au tribunal administratif. Inversement, les études départementales portent uniquement sur les ménages dont la situation est désignée prioritaire. De plus, les portraits statistiques présentés sont parfois biaisés par l’objectif d’en offrir une image acceptable pour les bailleurs susceptibles de les accueillir.
21Toutefois, les rapports du Comité de suivi de la loi offrent à partir de 2014 des éléments de cadrage sur la composition familiale, les revenus et la nationalité des ménages qui témoignent d’une remarquable stabilité. Ainsi parmi les dossiers traités en 2015, le comité relève ainsi 33 % de personnes seules (32 % en 2014), 5 % de couples sans enfant (idem en 2014), 38 % de familles monoparentales (40 % en 2014), 21 % de couples avec enfants (idem en 2014) On peut cependant critiquer le mode de présentation les ressources, rapportées au montant du Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), mais pas à la composition familiale du ménage – 1 % des requérants ne déclarent aucune ressource (idem en 2014), 13 % ont des revenus inférieurs à la moitié d’un SMIC (idem en 2014), 32 % entre la moitié d’un SMIC et ce dernier (34 % en 2014), 26 % entre une et une fois et demie, et 20 % au-dessus d’une fois et demie (22 % en 2014). Rendre compte du niveau de vie des requérants DALO implique pourtant de considérer le revenu par unité de consommation du ménage10. Concernant la nationalité des requérants, il est là encore regrettable de ne pas faire d’autre distinction entre les étrangers (39 % en 2014 et 41 % en 2015) que le fait d’être ou non ressortissant de l’UE. En effet, les citoyens d’autres pays membres que la France sont peu nombreux (4 % en 2014 et 5 % en 2015).
22De semblables limites caractérisent les enquêtes publiées par les administrations déconcentrées chargées d’établir le profil des ménages DALO dans leur département. Une étude publiée en 2010 par la Direction régionale de l’Équipement d’Île-de-France (DREIF) n’apporte par exemple aucune information supplémentaire par rapport au Comité de suivi. Elle se limite même à présenter les seules caractéristiques des ménages dont la situation a été désignée comme prioritaire et urgente. Ce premier biais interdit d’emblée de mettre en relief les déterminants du filtrage des recours. De surcroît, les agents de l’État ont pour objectif de construire une représentation des ménages prioritaires DALO acceptable pour l’ensemble des acteurs de la mise en œuvre du dispositif. Un agent de la DREIF admet en entretien que ce rapport a été réalisé avec pour principal objectif de « normaliser les ménages DALO » afin de « rassurer les bailleurs », comme l’indique son titre : Le public DALO : un profil très proche des demandeurs de HLM et des occupants du parc social. Marin montre que les portraits officiels du Roi subliment ou minorent certains détails physiques afin que « la souveraine légitimité prenne force de loi » (1981). De même, les experts de la DREIF dressent un portrait statistique des ménages concernés ayant vocation à légitimer leur accès au parc social en valorisant leur proximité à l’ensemble des demandeurs de HLM. De manière générale, les résultats publiés sur les ménages des requérants restent insuffisants à les caractériser finement et à montrer en quoi certaines de leurs caractéristiques constituent des facteurs explicatifs de l’issue du recours.
23D’autant que d’autres informations sont disponibles auprès des administrations concernées, à commencer par l’activité professionnelle des adultes du ménage, ou le fait qu’ils bénéficient ou non d’un suivi social et d’un accompagnement spécifique lié au DALO. Il s’agit donc ici de prélever ces informations à la source, en constituant un échantillon de requérants sur la base des données contenues dans leurs dossiers. L’exploitation statistique des données contenues dans cet échantillon permet de spécifier les ménages de requérants DALO au regard de populations élargies – la population nationale et celle des occupants et demandeurs de logements sociaux – mais aussi d’en discerner la pluralité.
Un échantillon de requérants DALO
L’accès aux dossiers d’instruction rassemblés dans les archives de l’État local offre un matériau brut de documents rassemblés par les requérants ou les acteurs qui les accompagnent dans leur démarche. Aux formulaires de recours s’ajoutent généralement des pièces justificatives de la situation invoquée – photocopies des documents d’identité, fiches de paye, avis d’imposition – et parfois, des courriers d’accompagnement du recours.
Des dossiers instruits entre le début du mois de mars 2008 et la fin du mois de juin 2010 ont été dépouillés. L’échantillon comporte finalement 432 dossiers de recours, dont 212 déposés à Paris, 114 dans les Yvelines et 105 dans le Bas-Rhin. La qualité de l’échantillon et du choix des variables est confrontée à trois principales limites. Tout d’abord, l’absence de données relatives aux individus qui ne font pas valoir leur droit, bien qu’éligibles au DALO, limite le choix des variables caractéristiques de dispositions favorables au recours11. Ensuite, le caractère déclaratif des données implique des erreurs ou des omissions de la part des requérants ou de leurs appuis dans la constitution de leur dossier, comme des services d’instruction. Enfin, de nombreux dossiers déposés sont incomplets. Les problèmes de renseignement des données s’imposent donc à la fois comme limites et comme catégories de l’analyse.
Enfin, se pose la question de la représentativité d’un échantillon dont la population de référence s’élève à 165548 ménages – soit le nombre de recours déposés au 30 juin 2010. La sélection des dossiers par strates non proportionnelles s’est appuyée sur le travail de classement des dossiers par date de notification de la décision les concernant. Si les résultats obtenus sur un échantillon de 432 ménages sont difficilement généralisables à l’ensemble de la population étudiée, sa représentativité n’est pas indispensable pour vérifier des hypothèses construites sur des relations entre des variables (De Singly, 1992).
Les grandes dimensions statistiques de la population
24Majoritairement masculins, les requérants de l’échantillon sont relativement jeunes et vivent le plus souvent en famille. On remarque en outre une forte proportion de familles nombreuses, corrélée à une part importante d’étrangers. Si les revenus sont généralement bas, l’activité professionnelle des requérants apparaît comme relativement diversifiée, tout comme leur situation en matière d’habitat.
25Concernant tout d’abord l’âge des requérants, ceux-ci sont relativement jeunes, la moyenne étant de 39 ans et 3 mois dans l’échantillon. La majorité des requérants a entre 25 et 40 ans (53,3 %) et la grande partie restante a entre 40 et 60 ans (34,6 %). Ils sont aussi plus jeunes que les chefs des ménages locataires d’un HLM, qui dépassent 50 ans pour 46 % d’entre eux, et dont l’âge moyen est de 49 ans et 8 mois en 200812. Moins d’un quart d’entre eux sont, à proportion quasi égale, âgés de moins de 25 ans ou de plus de 60 ans. Lorsqu’ils ne vivent plus chez leurs parents, la décohabitation des plus jeunes est souvent récente, et ces derniers vivent résident le plus souvent en foyer de jeunes travailleurs. Parmi les requérants les plus âgés, on retrouve une part importante de retraités issus de l’immigration, parfois isolés du reste de leur famille, restée dans leur pays d’origine (Hmed, 2006).
26L’analyse de la composition des ménages révèle ensuite la prédominance des hommes. L’échantillon comporte tout d’abord une majorité de requérants masculins (52,2 %), alors que les femmes rassemblent 52,4 % de la population des plus de 20 ans à la fin de l’année 2012. De même, les hommes seuls représentent 19,3 % des requérants contre 14,6 % de femmes dans la même situation, alors que les proportions sont inverses parmi l’ensemble des ménages (19,5 % de femmes seules contre 13,8 % chez les hommes). Ces écarts remettent en cause l’égalité des sexes devant le recours au DALO et montre l’intérêt d’enquêter sur les rapports genrés aux institutions sociales et juridiques (Siblot, 2006).
27Concernant la composition des ménages, on note l’importance des familles avec des enfants, notamment de celles de grande taille, les catégories traditionnelles liées aux politiques familiales (Lenoir, 2003) distinguant cependant les parents isolés et les « familles nombreuses » de trois enfants ou plus, que les parents vivent ou non en couple. À cet égard, les couples avec enfants ne sont que très légèrement majoritaires parmi les familles avec enfants de l’échantillon (53,1 % contre 86,5 % parmi l’ensemble des familles de France). En tel cas, c’est le plus souvent au nom du père que le recours est formulé, ce qui ne veut pas nécessairement dire que celui-ci prend en charge la gestion des démarches afférentes. Pour ce qui est des parents isolés, ils représentent 31 % de l’échantillon. Ces derniers sont à 95,2 % des femmes, soit une proportion encore supérieure au taux de 85 % observé parmi l’ensemble des parents isolés en France en 2008. Le taux de familles nombreuses correspond quant à lui à 15,6 % de l’échantillon, contre seulement 8,2 % dans l’ensemble de la population française. Cette surreprésentation des parents isolés ou des familles nombreuses se retrouve, certes, parmi les occupants du parc social, mais dans une moindre mesure. Par ailleurs, on peut faire l’hypothèse d’un lien entre le recours au DALO et les difficultés particulières des ménages de grande taille à trouver un logement, et cela y compris dans le parc social (Kasteman, 2008). Une modalité intitulée « grand ménage » a donc été établie pour caractériser les familles de six individus et plus. Ces grands ménages sont bien moins nombreux que les couples avec un, deux ou trois enfants (24,4 %), ou les parents isolés avec un maximum de quatre enfants (27,2 %), mais ils représentent tout de même 7,4 % des ménages de l’échantillon, alors que leur proportion était inférieure à 3 % parmi les occupants du parc social en 2008. Parmi ces grands ménages, la part de mères célibataires ayant à charge au moins quatre enfants dépasse celle des couples.
28L’examen des dossiers permet du reste de prendre en compte la nationalité des requérants, indiquée en principe dans le formulaire de recours et accompagné d’une copie des pièces d’identité des membres du ménage, ainsi que, le cas échéant, de leurs titres de séjour. La forte proportion d’étrangers, majoritaires dans l’échantillon (51,4 %), apparaît alors comme une caractéristique majeure. Parmi les Français, majoritaires en dehors de Paris, la prise en compte du lieu de naissance permet de distinguer ceux qui ont acquis la nationalité française par voie de naturalisation. Ainsi, près d’un quart des Français de l’échantillon est né dans un pays africain, le plus souvent du Maghreb. Cette forte présence immigrée n’est pas surprenante. De nombreux travaux mettent en valeur un sentiment de discrimination négative en matière d’accès au logement chez les immigrés en particulier d’origine africaine (Pan-Ke-Shon, Robello, 2010) ou les discriminations des bailleurs dont ils sont les victimes (Simon et al., 2003 ; Sala-Pala, 2014). Ces discriminations ethniques sont amplifiées par des effets de revenu. Le taux de pauvreté des ménages13 s’élève en effet à 33,5 %, chez les immigrés d’origine africaine, contre 13,5 % dans l’ensemble de la population et 10,4 % pour les immigrés de l’UE. Ces derniers sont d’ailleurs particulièrement rares au sein de l’échantillon, mais certains ressortissants extra-communautaires sont parfois issus de zones de conflits actuels ou passés d’Europe de l’Est, comme les pays de l’ex-Yougoslavie ou la Tchétchénie, notamment dans le Bas-Rhin. On peut dès lors faire l’hypothèse que les requérants étrangers – à l’inverse des immigrés devenus Français – relèvent de vagues migratoires dont l’ampleur s’est accrue dans les années 1990 et 2000 (Tribalat, 2004). Une part non négligeable de requérants est d’ailleurs originaire d’Asie centrale ou du sud-est, voire, plus rarement, d’Amérique du Sud. Le taux d’étrangers dépasse ainsi très largement celui qui caractérise les occupants du parc social (13,2 % en 2008). En outre, il est fortement corrélé à la proportion de familles nombreuses, dont l’accès à un logement adapté se relève difficile, même lorsque leurs revenus les situent au-dessus du seuil de pauvreté.
29Les requérants disposent de ressources économiques tendanciellement réduites, mais leurs situations sont relativement contrastées. Les revenus des ménages ont dans un premier temps fait l’objet d’un traitement brut. C’est en effet sur le revenu de l’ensemble du ménage que pèsent les dépenses de logement, et cela de manière croissante, notamment chez les plus modestes (Bugeja, Accardo, 2009). En outre, le revenu total conditionne plus fortement la solvabilité aux yeux des bailleurs que sous sa forme pondérée. Dans un deuxième temps, il faut cependant considérer le niveau de vie des ménages, pour le calcul duquel le revenu est rapporté à la composition familiale. Il devient alors possible de considérer les requérants à l’aune de leur proximité au seuil de pauvreté. Au sein de l’échantillon, le revenu total du ménage atteint en moyenne 1270 euros. On note un écart conséquent avec les 2720 euros du revenu fiscal médian des ménages français en 2010, ou les 1800 euros mensuels environ des locataires de HLM en 2008. Il existe cependant un fort contraste entre le salaire d’un cadre de la Banque de France contraint de quitter son logement de fonction et l’absence de ressources déclarées d’étrangers sans activité professionnelle. Au-delà d’une telle opposition, de nombreux requérants tirent des revenus modestes de leur activité. Ces revenus sont cependant d’autant plus limités que les familles sont nombreuses. Ainsi, 70,2 % des requérants vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 14,1 % dans l’ensemble de la population française. Qui plus est, environ un tiers d’entre eux vivent avec moins de la moitié du montant du seuil de pauvreté. Les requérants DALO font donc souvent partie de cette fraction de la population, de plus en plus élargie, dont le revenu s’éloigne de ce seuil (Burricand et al., 2010).
30Par ailleurs la composition familiale des ménages et la nationalité sont liées au revenu. Ainsi, les personnes seules, a fortiori les femmes, sont souvent les plus démunies : 63,7 % d’entre elles ont un niveau de vie inférieur de moitié au seuil de pauvreté. À l’opposé, les couples avec un maximum de trois enfants disposent des revenus les plus importants. Il convient de souligner au passage que les immigrés originaires d’Afrique ou d’Asie ne sont pas nécessairement ceux dont les revenus sont les plus faibles. Les Français représentent en effet la majorité des ménages de l’échantillon dans la tranche inférieure de revenu. Se focaliser sur les ressources financières ne suffit cependant guère à rendre compte de la diversité de la population observée.
31À défaut de connaître la trajectoire sociale de tous les requérants, l’activité professionnelle peut faire office de variable synthétique. S’y réfractent en effet l’origine sociale ou le niveau de diplôme, même si la féminisation de l’emploi rend difficile une définition du milieu social d’appartenance à partir de la seule profession de la personne de référence du ménage (Baudelot, Establet, 2005). Toujours est-il que la grande majorité est sans activité professionnelle ou peut être considérée comme relevant des « travailleurs peu qualifiés », dont l’activité exige peu ou pas de diplômes et s’exerce dans des conditions difficiles et précaires (Amossé, Chardon, 2006). Près d’un quart des requérants est inactif, une grande partie d’entre eux n’ayant jamais eu d’emploi et subsistant grâce aux minimas sociaux : certains perçoivent le RSA, auquel vient parfois s’ajouter des prestations familiales, d’autres sont bénéficiaires de l’allocation pour adulte handicapé (AAH) ou de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). La proportion d’inactifs est donc beaucoup plus élevée que dans l’ensemble de la population en âge de travailler (5 %) ou parmi les occupants du parc social (7 %). Inversement, les retraités sont beaucoup moins nombreux, ce qui est logique étant donné la jeunesse des requérants.
32Parmi les actifs, on retrouve un fort taux de chômeurs (19,5 %), environ deux fois supérieur au taux constaté sur la période étudiée. Concernant les requérants qui occupent un emploi, il s’agit surtout d’ouvriers non qualifiés (14,4 %), manutentionnaires, agents du tri, de l’entretien, ou du transport routier, mais surtout du bâtiment. Si certains hommes travaillent dans la sécurité (4,5 %), les petits employés sont marqués par l’ouvriérisation de leur condition (Schwartz, 1989) et se recrutent le plus souvent chez les femmes. Celles-ci sont aussi bien salariées de particuliers – femmes de ménage (8,4 %), gardes d’enfants (6,9 %) ou auxiliaires de vie (6,7 %) – que d’entreprise, notamment dans les grandes surfaces ou l’hôtellerie-restauration. Le travail peu qualifié rassemble la majorité des requérants de l’échantillon (50,2 %) et représente une part des actifs beaucoup plus importante que dans l’ensemble de la population française ou parmi les occupants du parc social. Si les ouvriers et les employés sont bien représentés parmi les occupants des HLM (respectivement 25 % et 24 %), de tels pourcentages incluent cependant surtout des ouvriers et des employés dits « qualifiés ». Les professions intermédiaires sont toutefois loin d’être absentes de l’échantillon de requérants DALO. On relève un taux élevé d’employés exerçant une activité de secrétariat dans l’administration publique ou privée (7,7 %). Plus surprenant, l’échantillon rassemble aussi des commerçants indépendants qui traversent des difficultés financières, ainsi que des étudiants ou des artistes aux rémunérations très irrégulières. Leur éligibilité au DALO confirme la concomitance entre le développement de formes dénaturées de logement et de formes d’emploi marquées par la précarité (Vanoni, Robert, 2007).
33L’examen des formulaires fait enfin apparaître la pluralité des situations relatives à l’habitat. Ainsi, la majorité des requérants de l’échantillon sont locataires (52,5 %), principalement dans le secteur privé (45,8 %). L’insalubrité, la suroccupation ou l’expulsion sont alors fréquemment invoquées comme motif du recours. D’autres requérants occupent un appartement dans le parc social (6,7 %) et tâche d’obtenir une mutation. Le reste des ménages de l’échantillon est déclaré sans domicile. La majorité des situations relèvent de l’hébergement, qui recouvre des réalités diverses. Ainsi, 17,4 % des ménages sont hébergés chez un tiers, qu’il s’agisse d’un membre de la famille, comme c’est le plus souvent le cas, ou d’un ami. Dans ce genre de situation, le logement appartient souvent au parc social. Ensuite, 16,7 % des ménages résident dans une structure d’hébergement. L’ancienneté de leur présence est moindre dans les CHU que dans les CHRS. Certains requérants, le plus souvent des hommes, résident néanmoins depuis plusieurs années dans des logements de transition (Levy-Vroelant, 2004). Enfin, des familles résident dans des hôtels sociaux (6,1 %) gérés par des associations proches des pouvoirs publics, lorsqu’ils ne sont pas tenus par des « marchands de sommeil » (Le Méner, Oppenchaim, 2012). Certaines familles y sont également installées depuis plusieurs années, dans des conditions très inconfortables. Enfin, ceux qui se déclarent sans-abri, généralement des hommes seuls, ne constituent que 7,2 % des requérants l’échantillon, ce qui corrobore largement les données du Comité de suivi. Une proportion si faible remet bien en question l’association médiatique entre la loi DALO et la possibilité de réaliser l’objectif « zéro SDF » (Damon, 2011). En fin de compte, les plus marginalisés sont relativement peu nombreux à enclencher la procédure de recours et leur accès au droit n’en est que d’autant plus hypothétique.
La polarisation des ménages
34L’examen détaillé des caractéristiques des ménages des requérants de l’échantillon donne un premier aperçu de la pluralité des requérants DALO. Les différentes variables ne prennent cependant véritablement sens que dans leur combinaison et la mise en valeur de sous-groupes sein de la population étudiée. Une analyse des correspondances multiples (ACM) met pour cela en relation toutes les modalités de variables retenues en les projetant sur un plan factoriel. Elle montre comment les requérants se polarisent sur deux axes, qui contribuent le plus fortement à expliquer la structuration de l’espace social qu’ils constituent (figure 1). Ces axes représentent 16,6 % de la variance de l’échantillon et opposent les modalités de variables qui contribuent le plus fortement à leur construction. Le premier axe, qui représente 9,4 % de la variance, oppose ainsi les modalités « hôtel social » et « SDF » relatives à la situation en matière d’habitat, ou les modalités « employé » et « inactif » liées à l’activité professionnelle. Quant au second axe, qui représente 7,2 % de la variance, il oppose aussi bien des modalités relatives à l’activité qu’à la composition du ménage ou à l’âge des requérants : exercer une profession intermédiaire ou intellectuelle s’oppose à l’appartenance à un « grand ménage », et la modalité « Europe » apparaît incompatible avec un âge supérieur à 60 ans. A contrario, l’ACM montre que certaines modalités ne sont pas ou peu clivantes, car elles renvoient à des situations contrastées. Par exemple, résider dans un logement du secteur privé caractérise aussi bien des personnes sans emploi et fortement démunis sous le coup d’un jugement d’expulsion pour impayés de loyer, que des travailleurs, aux revenus certes modestes, mais en capacité de verser un loyer relativement conséquent pour un appartement insalubre. Il en va de même pour la modalité « ouvrier », cette catégorie recouvrant des réalités diversifiées, tant en termes de revenus que de nature du contrat de travail.
Variables caractéristiques des ménages des requérants

Champ : Ménages ayant déposé un recours au DALO en 2009 et 2011
Effectif : 432
Source : Commissions de médiation DALO des départements du Bas-Rhin, de Paris et des Yvelines.
Espace des requérants DALO (graphique des variables)

Espace des requérants DALO (graphique des observations)

Des situations contrastées
35Il est possible de proposer une typologie de requérants et de leurs ménages sur la base des oppositions structurantes dégagées par l’ACM. Une classification ascendante hiérarchique (CAH) à partir des coordonnées des observation14 met en valeur trois groupes qui partagent le plus de caractéristiques communes aux effectifs étant relativement déséquilibrés. Il s’agit cependant de préciser les caractéristiques de ces classes. Comparer les écarts à la moyenne au sein de chacune d’elles permet d’établir le profil des ménages qui les composent. Par ailleurs, la mobilisation des entretiens ou des observations donne du sens aux relations entre les variables, concrétise les regroupements statistiques et fait ressortir autant de types de situations contrastées.
Isolement et marginalisation
36La première classe distinguée compte l’effectif le plus réduit avec seulement 18,7 % des requérants de l’échantillon. Elle rassemble les plus démunis de ressources économiques, qui cumulent le plus de difficultés sociales et sont les plus marginalisés. Leur situation de grande pauvreté et d’isolement se conjugue souvent avec une absence de domicile.
37Contrairement à ce que l’on constate dans les autres classes, la grande majorité des requérants possèdent ici la nationalité française (70,9 % contre 48,6 % dans l’ensemble de l’échantillon). Cette classe comporte également une écrasante majorité de personnes seules (90,9 % contre 34 %), le plus souvent de sexe masculin. Ces hommes vivent souvent une situation de démembrement familial (Laé, Murard, 1996), les plus jeunes ayant récemment quitté le domicile parental, les plus âgés étant parfois père de famille, mais séparés de leurs enfants. C’est le cas d’un chômeur de 54 ans divorcé depuis cinq ans, qui souffre d’alcoolisme et ne parvient plus à trouver d’emploi dans le secteur du bâtiment, de tels individu n’échappant à un processus de désaffiliation totale que dans la mesure où ils bénéficient déjà de dispositifs d’assistance (Castel, 1995). Cette classe rassemble de fait 74,7 % d’inactifs (contre 22,1 % dans le reste de l’échantillon) qui font quasiment tous l’objet d’un suivi social, ne serait-ce que pour percevoir les minima sociaux qui leur permettent de survivre. La majorité des individus de cette classe perçoit le RSA, mais elle inclut aussi près des deux tiers des retraités de l’échantillon, notamment ceux qui vivent du minimum vieillesse, n’ayant pour beaucoup jamais eu de revenus déclarés, en particulier les femmes.
38Les difficultés d’un tel public se manifestent d’abord dans l’absence de domicile personnel et régulier, les individus qui le compose ne disposant pas des ressources économiques suffisantes pour louer un logement, ni du capital social qui leur permettrait d’être hébergés chez un proche (Desmond, 2012). Ceux qui exercent une activité professionnelle, généralement peu qualifiée, vivent le plus souvent dans des foyers de travailleurs. Une proportion importante de ces requérants est ainsi accueillie dans des structures d’hébergement (25,4 % contre 16,7 % dans l’ensemble de l’échantillon), dont certaines sont spécialisées dans l’accueil de population en grandes difficultés, comme les toxicomanes. C’est par ailleurs au sein de cette classe que se retrouve l’essentiel des sans-abri. En dépit de leur recours, le logement ne constitue d’ailleurs pas, ou plus toujours la solution envisagée, que ce soit du côté de ces derniers ou des acteurs institutionnels. Un sans-abri interrogé à la sortie d’une permanence associative déclare ainsi que, dans l’immédiat, il est principalement soucieux d’obtenir une place d’hébergement :
« Moi j’fais un DALO mais j’m’en fous. Moi maintenant, ce que j’veux surtout c’est une place en foyer, je sais pas où je vais dormir ce soir encore… »
Français, inactif, seul, Strasbourg
39Les individus étiquetés comme « SDF » par les services sociaux ont souvent déjà essuyé plusieurs refus d’attribution de logement, quel que soit le « parcours d’insertion » qu’ils aient pu engager. Le requérant précité voyage d’un centre à un autre plusieurs dizaines de fois dans l’année. L’angoisse créée par ce mécanisme institutionnel est ainsi entretenue chez des individus déjà marqués par le manque de sommeil et l’épuisement (Bruneteaux, 2007). Sans renoncer totalement à accéder un jour à un véritable logement, certains se sont d’ailleurs écartés de ces logiques d’insertion. C’est le cas d’un homme d’une quarantaine d’années, pauvrement vêtu et tirant un cabas à roulettes duquel dépasse une couverture, qui entre en interaction avec les agents de l’administration de la préfecture de Paris : il explique qu’il occupe illégalement un bâtiment inoccupé et souhaite saisir le tribunal administratif pour contester la requalification de son recours DALO en demande d’hébergement, alors qu’il ne supporte plus l’encadrement institutionnel et les règles de vie collective.
Précarité et assistance
40La seconde classe distinguée diffère assez fortement de la première, tant par son effectif que par les caractéristiques des ménages de requérants qu’elle rassemble. Elle représente en effet un peu plus de la moitié de l’échantillon observée (50,7 %) et regroupe principalement des familles issues de l’immigration, généralement nombreuses, dont les adultes exercent le plus souvent une activité professionnelle peu qualifiée. Si les requérants de cette classe perçoivent généralement un salaire, leurs emplois sont caractérisés par une forte instabilité et un faible niveau de rémunération. Ils correspondent à ce que Martin et Paugam désignent comme la « nouvelle figure du travailleur précaire assisté » (2009), occupant un emploi tout en restant fortement dépendant des prestations sociales.
41Le premier trait caractéristique de cette classe est donc d’être très majoritairement composée de familles immigrées. Elle comporte seulement 21 % de requérants de nationalité française (contre 48,6 % dans l’ensemble de l’échantillon), près de la moitié étant issus de l’immigration africaine. Cette classe rassemble également la grande majorité des ressortissants d’Asie ou d’Europe de l’Est. Ces requérants sont également surreprésentés en région parisienne, et notamment à Paris (55,5 % contre 46,7 % de l’ensemble de l’échantillon), ce qui paraît logique au regard de la forte présence d’immigrés dans la capitale.
42Les ménages de cette classe se distingue ensuite en termes d’âge et de composition familiale. Ces requérants sont plus jeunes que la moyenne – 67,9 % d’entre eux ont entre 25 et 40 ans contre 53,3 % dans l’ensemble de l’échantillon – et ils ont aussi plus souvent des enfants – 83,1 % contre un peu plus de 60 %. Ces ménages se composent en effet de 38,5 % de couples avec 1, 2 ou 3 enfants et de 31,5 % de familles monoparentales. Elle inclut également l’essentiel des grands ménages de six individus ou plus de l’échantillon. En revanche, on y compte très peu d’hommes ou de femmes seules.
43Les ménages de cette classe résident aussi le plus souvent dans un appartement du secteur privé, dont le caractère insalubre ou suroccupé est invoqué. On y trouve aussi un pourcentage élevé de familles logées à l’hôtel (13,5 %), notamment à Paris où ce taux monte à plus de 25 %. Les conditions de vie y sont difficiles, les familles concernées n’ayant pas toujours la possibilité d’y faire la cuisine, tel que l’illustre ce requérant malien, marié et père de trois enfants :
« Il y a le bruit des assiettes quand on fait la vaisselle, le bruit de la télé, on n’a pas d’intimité, les enfants ils ne dorment pas, ils sont fatigués à l’école […] Je gagne 1400 euros par mois. Avec mon salaire je peux payer 30 % du loyer, l’assistante sociale a dit qu’il faut trouver un hôtel moins cher… [rires] Moi j’ai l’impression que ça leur fait plaisir de payer… pour ce prix-là je pourrais louer un pavillon, là on ne peut même pas faire la cuisine ! »
44Comme cet agent de sécurité intérimaire, la majorité des requérants de cette classe exerce une activité professionnelle (24,3 %). Si moins de 20 % d’entre eux ont des revenus supérieurs au seuil de pauvreté, ces derniers restent très modestes. Un chauffeur-livreur pakistanais exprime par exemple des difficultés à subvenir aux besoins d’une famille nombreuse. Comme le précédent enquêté, son épouse ne travaille pas et ses revenus limités les contraignent à vivre avec leurs quatre enfants dans un appartement d’une surface inférieure à 30 mètres carrés, faute d’accéder à un logement social. Le recours au travail non déclaré dans les secteurs professionnels où sont le plus souvent employés les requérants de cette classe – le BTP pour les hommes et le nettoyage ou la garde d’enfants chez les femmes – conduit sans doute certains à sous-estimer leurs revenus. Néanmoins, les requérants rencontrés sont conscients des conséquences de telles conditions d’emploi sur leur capacité d’accès au parc social. Leur attente dépasse parfois le délai anormalement long, bien qu’ils aient parfois été désignés prioritaires au titre des ACD avant d’avoir recours au DALO. Ils se retrouvent alors assignés aux franges les plus dégradées du parc privé ou aux structures d’hébergement de longue durée.
Instabilité et déclassement
45La troisième classe est d’effectif plus restreint que la précédente (30,6 % de l’échantillon) et rassemble des individus qui vivent une situation de déclassement, entendu comme un phénomène de rupture conduisant un individu à perdre sa position sociale (Maurin, 2009). Certains connaissent une perte soudaine d’emploi ou une faillite de leur entreprise. D’autres subissent un divorce ou le décès du conjoint qui les laisse dans une situation financière embarrassante. À l’inverse, certains vivent une trajectoire sociale ascendante, mais se trouvent freinés dans leurs aspirations à se rapprocher du style de vie des classes moyennes. Si leur situation est souvent moins inconfortable que celle des requérants de la précédente classe, ils peinent eux aussi à se maintenir ou à accéder à un logement adapté dans le secteur privé, dont le coût élevé est perçu comme une entrave à leur qualité de vie (Dietrich-Ragon, 2011).
46Les étrangers sont beaucoup moins nombreux dans cette classe que dans la précédente. On relève 58,9 % de Français, dont plus d’un tiers est issu de l’immigration, notamment maghrébine. En revanche, ils sont généralement plus âgés que dans l’ensemble de l’échantillon, près de la moitié d’entre eux ayant entre 40 et 60 ans. Si on retrouve là encore une majorité de familles, celles-ci s’avèrent le plus souvent monoparentales. Cette classe concentre par ailleurs l’essentiel des couples sans enfants.
47Les particularités les plus notables de ce groupe sont cependant de l’ordre du revenu et de l’activité professionnelle. Les requérants y exercent ou ont exercé des métiers qui les rapprochent des classes moyennes. On trouve par exemple près de 20 % d’employés administratifs. En outre, leurs revenus sont plus élevés que dans l’ensemble de l’échantillon : environ la moitié d’entre eux se situent au-dessus du seuil de pauvreté. Comme la précédente, cette classe comporte peu de requérants sans activité professionnelle (17,3 % contre 24,6 % dans l’ensemble de l’échantillon) et rassemble en revanche des chômeurs qui recherchent un emploi qualifié. Cette classe inclut aussi la quasi-totalité des requérants qui terminent leurs études ou exercent une activité artistique. On remarque le cas d’un jeune comédien en couple avec un enfant, qui vient d’accéder au statut d’intermittent du spectacle. Sa demande de HLM reste insatisfaite et il doit faire valoir une caution parentale pour louer un appartement dans le secteur privé. Certains requérants peuvent donc se retrouver dans une situation de déclassement par rapport à leur milieu d’origine. D’autres se retrouvent en difficultés à cause d’un accident de parcours professionnel, comme ce charcutier parisien de 52 ans, marié et père de deux enfants, qui a réalisé de mauvais investissements et fait face à un jugement d’expulsion. Leur situation peut aussi être due à des problèmes de santé. Un ancien chauffeur de taxi de 59 ans doit ainsi cesser son activité de barman à temps partiel, pour laquelle il est rémunéré un peu moins de 1500 euros par mois, en raison de problèmes de santé. Il vit seul dans un appartement d’une trentaine de mètres carrés particulièrement humide, avec de nombreuses moisissures et fissures au plafond. L’insalubrité du logement a été constatée par le Service technique de l’habitat de la Mairie de Paris, mais le propriétaire refuse obstinément d’engager des travaux nécessaires. De son côté, il se dit « trop juste financièrement pour déménager ».
48Les requérants de cette classe ne sont donc que rarement dépourvus de logement, la plus grande partie d’entre eux est logée dans le privé (80,5 %). On y retrouve également la plus grande partie des locataires du parc social de l’échantillon. De manière générale, ils partagent des difficultés à trouver un appartement adapté à la fois à leurs ressources économiques et à leurs aspirations, notamment en région parisienne.
49Le caractère durable de la crise du logement favorise une augmentation régulière du nombre de recours et leur concentration peut être liée aux tensions du marché immobilier. Si les conditions économiques sont parfois nécessaires pour que se développe une protestation, elles n’épuisent guère cependant son explication (Thomson 1971). Aussi, la seule prise en compte du niveau des loyers ou du taux de pauvreté n’explique pas pourquoi tous les mal-logés et les sans-abri n’ont pas recours au DALO. Si l’examen des propriétés sociales des ménages et de leur situation en matière d’habitat constitue une première avancée, la diversité des cas rencontrés freine toute tentation d’explication causale trop simpliste. Les propriétés des requérants ne conditionnent pas mécaniquement les modalités de recours au DALO, ni l’issue des procédures engagées. Lier les résultats de l’analyse statistique aux matériaux qualitatifs de l’enquête permet cependant de saisir l’articulation entre caractéristiques sociales et représentations des institutions sociales et juridiques. Montrer comment certaines dispositions s’activent en situation permet alors de comprendre comment certains individus se considèrent en droit de réclamer une amélioration de leur condition résidentielle, et quels moyens ils mobilisent pour traduire en droit leurs revendications.
Qui sait faire valoir ses droits ?
50Le sentiment de savoir faire valoir ses droits est socialement fondé, de même que les attitudes différenciées à l’égard des institutions sociales et juridiques. Les requérants DALO s’approprient inégalement la procédure et lui attribuent des significations diverses. Il s’agit dès lors de lier les différentes manières de faire valoir ses droits aux caractéristiques mises en valeur par l’analyse statistique. Cumulant les difficultés sociales et économiques, les plus marginalisés misent faiblement sur la procédure et restent à proximité du point de non-recours. Ils cultivent une certaine défiance à envers les services sociaux ou les associations et leur investissement dans la relation assistancielle est insuffisante à assurer un montage efficace de leur dossier. Plus nombreux sont les travailleurs précaires et peu qualifiés issus d’une immigration récente qui cherchent à maximiser les chances de trouver un logement adapté pour leur famille. Ils maîtrisent parfois mal le français et les subtilités du langage juridique leur échappent, mais ils font souvent preuve de réflexivité sur leurs propres difficultés. Ils délèguent alors l’accomplissement des démarches administratives, se pliant stratégiquement aux exigences d’acteurs dont ils obtiennent le soutien tout en les maintenant à distance. Au contraire, certains individus moins défavorisés, dont la fragilité économique les empêche d’accéder à un logement conforme à leurs aspirations, défendent personnellement leur statut. Eprouvent un sentiment de culpabilité à fréquenter les services sociaux et les associations, ils se révèlent parfois incapables de faire-valoir leur droit par leurs propres moyens. À l’inverse, les mieux dotés culturellement font un usage plus stratégique et décomplexé des dispositifs d’accompagnement social et juridique. Espérant échapper au plus vite à une « mauvaise passe », ils prennent volontiers appui sur les acteurs associatifs, dont ils épousent parfois la cause.
Incompétence et proximité du point de non-recours
51Les individus dont les caractéristiques répondent à celle des requérants de la première classe dégagée par l’analyse statistique constituent la frange la plus précaire de la population étudiée. Leur situation devrait donc théoriquement être le plus souvent reconnue comme prioritaire et urgente, mais ils ont de grandes difficultés à faire valoir leur droit, certains n’ayant même pas toujours conscience d’être engagés dans une procédure de recours à la justice. Ils souffrent d’une absence de repères face à l’administration, renforcée par des rapports ambivalents aux institutions sociales et juridiques, auprès desquelles ils ne trouvent souvent que l’exposition de leurs souffrances à mobiliser comme ressource pour accéder au logement.
En manque de repères face à l’administration
52Certains individus appartenant aux fractions les plus précarisées des milieux populaires manifestent leur « incapacité à se situer dans l’univers administratif – voire plus généralement dans l’espace social » (Dubois, 2010, p. 167). C’est ce que montrent les difficultés de certains requérants à intégrer la signification des démarches à accomplir, ainsi que leurs conséquences potentielles. Non seulement ils peinent à s’approprier le langage juridico-administratif et à fournir les éléments nécessaires à faire valoir leur droit, mais ils ne sont pas toujours conscients de l’ampleur de leurs difficultés.
53S’ils savent le plus souvent que le DALO concerne leur situation en matière d’habitat, certains visiteurs du dispositif d’accueil de la préfecture de Paris ne savent pas précisément s’il s’agit d’un droit à un véritable logement, ou seulement à une place d’hébergement qui leur est ouvert. La notion de justice administrative leur apparaît fort ésotérique et la distinction entre les ordres judiciaires ou administratifs leur échappe. Il en va de même pour la signification du terme « opposable », lorsqu’ils en ont retenu l’appellation. Certains enquêtés ne sont guère au courant de l’obligation de résultat qui s’impose au préfet – y compris lorsqu’ils identifient une telle fonction et l’institution qui s’y rattache – ou que le recours auprès des commissions de médiation ouvre la possibilité de porter leur affaire devant le tribunal administratif. C’est le cas d’un homme d’une trentaine d’années atteint de handicap et résidant chez ses parents, qui vient récupérer un formulaire à l’accueil. Interrogé sur les motivations de son recours, il rapporte simplement avoir été envoyé par son assistance sociale vers un guichet supplémentaire :
« Vous êtes venu pourquoi ici, sur place, à la préfecture ?
– Pour faire les démarches pour avoir un logement, comme d’habitude ! C’est comme à la Mairie il faut faire les démarches…
– Et vous iriez jusqu’au tribunal si vous êtes déclaré et que vous avez toujours pas de logement au bout des six mois ?
– Comment ça quel tribunal ça veut dire quoi ça.?
– Oui, si vous êtes déclaré prioritaire pour le logement vous pouvez aller au tribunal administratif et l’État peut être condamné si on ne vous trouve pas de logement.
– Je savais pas que c’est pour condamner quelqu’un. Merci je savais pas ! »
Français, seul, inactif, hébergé par ses parents, Paris
54Les savoirs nécessaires à l’appropriation d’une démarche administrative complexe échappent largement à ce type de requérants. Quand bien même ils maîtrisent le français et sont capables de déchiffrer le formulaire de recours, ils peinent à comprendre certains intitulés :
« Nom d’usage c’est quoi ? C’est nom de jeune fille ? Tsss… il faut le lire calmement là, je vais me reposer avant… »
Française née en Côte d’Ivoire, 1 enfant, inactive, CHRS, Paris
55De nombreux éléments de la langue et de la logique administrative leur sont étrangers, quand bien même ils qualifient leur situation. Certaines personnes sans domicile ont par exemple du mal à saisir ce à quoi correspond une « adresse de domiciliation ». Les démarches des plus démunis progressent d’autant plus difficilement qu’elles ont commencé de manière inopinée. Éléments clefs du traitement des dossiers, les certificats d’inscription sur les listes de demandeurs de HLM manquent deux fois plus souvent parmi les ménages de la première classe que dans l’ensemble de l’échantillon (19,9 % contre 9,9 %).
56Compléter le formulaire ou rassembler les pièces justificatives nécessaires s’avère une tâche particulièrement difficile pour les moins à l’aise avec l’écrit. Mais les fondements sociaux de l’incompétence administrative renvoient parfois à des handicaps si profonds que celle-ci en devient difficilement perceptible par les principaux intérésses. Parmi les plus démunis d’entre eux, les obstacles à l’accès au droit ne tiennent pas toujours autant à la faiblesse de leurs ressources économiques ou culturelles qu’à des troubles comportementaux qui les rendent difficiles à interroger. Une dame âgée revient par exemple régulièrement ramasser une pile de formulaires de recours vierges, sans jamais déposer un dossier, sous le regard impuissant des deux guichetiers du dispositif d’accueil :
« Oui elle vient souvent nous voir celle-là, c’est plutôt marrant, sauf quand elle emporte tous les formulaires et qu’on doit remonter en chercher pour les autres… »
Agent d’accueil n° 2, préfecture, Paris
57Non seulement ces administrés anticipent mal les attentes des agents de l’administration, mais ils n’en sont pas toujours conscients, ou peinent tout du moins à exprimer leurs difficultés. Les requérants qui s’approprient le plus difficilement la procédure sont aussi ceux qui intègrent le moins facilement les logiques du traitement de leur situation. Comme l’observe Bernheim (2011) à travers la judiciarisation des politiques de santé mentale, certains justiciables manifestent leur perplexité, voire leur colère face au rejet de leur recours car ils ne disposent pas des informations nécessaires à sa compréhension. Aussi ne font-ils jamais appel des décisions les concernant. Certes, il leur est difficile de contester une qualification juridique de leur situation dont ils ne saisissent pas les critères, mais ils ne demandent généralement pas d’explication, ancrés dans un mélange de fatalisme et d’abattement. On observe la passivité de bénéficiaires légitimes de droit sociaux qui se les voient refuser, y compris lorsqu’ils perçoivent une injustice. La jeune mère de famille précitée manifeste ainsi son incompréhension face à l’« acharnement » dont elle serait victime :
« Ils me font galérer, franchement c’est vrai ça fait trois fois j’viens là ! […] J’te jure c’est vrai, j’suis pas parano : CMU, RSA, toujours la même ! Partout ils demandent des trucs tout le temps en plus ! […] Quand on n’a pas de papier il faut un travail ! Quand on a un travail il faut des nouveaux papiers, le logement c’est même pas la peine… Pfff… C’est la galère tout le temps ! »
Française née en Côte d’Ivoire, 1 enfant, inactive, CHRS, Paris
58Ces individus peinent à effectuer les démarches administratives jugées nécessaires au traitement bureaucratique de leur situation, au-delà du seul cadre de l’habitat, et ceux qui font office d’intermédiaire du droit peinent à combler leur distance et leur méfiance à l’égard des institutions sociales et juridiques. Leur embarras à exprimer leurs lacunes comme leurs besoins peut d’ailleurs être renforcé par des rapports aux institutions qui s’imposent à eux, plutôt qu’ils ne sont désirés.
Un faible investissement dans la relation assistancielle
59Si l’on sait que le non-recours aux droits sociaux caractérise souvent les individus qui en sont les plus dépendants (Warin, 2009), les ressorts de cette corrélation demeurent peu explicités. Porter la focale sur les relations des requérants DALO les plus démunis avec les acteurs jouant un rôle d’intermédiaire du droit peut cependant y contribuer. En effet, les plus pauvres et les plus isolés entrent fréquemment en contact avec les acteurs de terrain des politiques d’insertion. Toutefois, ils s’en maintiennent souvent à distance, oscillant entre l’esquive et des contacts trop ponctuels pour endiguer une propension au renoncement à faire valoir ses droits. L’attention à ces relations ambivalentes permet de montrer à la fois ce qui rapproche les requérants les plus démunis des personnes mal-logées ou sans domicile n’ayant pas recours au DALO, et ce qui les distingue des autres requérants.
60Les plus marginalisés font souvent l’objet d’un suivi lié au versement de minima sociaux. Mais concernant le DALO, le rôle des travailleurs sociaux se limite le plus souvent à les orienter vers une association ou la préfecture, sans expliquer le contenu de la démarche. Les contacts de ces acteurs institutionnels avec les plus vulnérables peuvent donc se révéler limités en quantité, comme en qualité. Certains requérants multiplient des rencontres avec des acteurs du circuit assistanciel, qu’ils relèvent des collectivités locales ou des associations, sans bénéficier pour autant d’un suivi régulier. Ils ont d’ailleurs parfois du mal à distinguer ces différents types d’acteurs, comme cette jeune femme qui garde son baladeur allumé lorsqu’elle s’adresse aux agents de la préfecture :
« J’ai vu un autre travailleur social le secours Catholique là… je sais plus quoi… ou un autre Secours quelque chose j’ai oublié…
– Le Secours populaire ?
– Oui peut-être, franchement je sais plus… j’en ai vu plusieurs, mais c’était pas là Mairie celui-là, enfin j’crois, j’m’en rappelle plus laquelle d’association c’était… »
Ivoirienne, seule, inactive, CHRS, Paris
61Avec les services sociaux, comme avec les associations, ces requérants font régulièrement preuve de leur sens de l’esquive ou de la fuite, provoquant ces « innombrables rendez-vous manqués qui démotivent les travailleurs sociaux » (Bruneteaux, 2007, p. 49). Certains requérants ont par ailleurs des difficultés à se rendre dans un lieu d’information sur le DALO domicilié en préfecture, de peur d’y subir un contrôle d’identité. Du reste, la demande d’entretien est souvent associée à un interrogatoire supplémentaire, qu’ils sont peu disposés à affronter, même si certains espèrent bénéficier d’une aide d’appoint. Ainsi d’une enquêtée qui accepte de l’aide pour remplir son formulaire, mais affiche son dédain face à des questions qui lui semble sortir du cadre de sa propre démarche :
« Votre enquête elle sert à quoi là franchement, vous-même là, vous servez à rien en vérité ! [rires] »
Française née en Côte d’Ivoire, 1 enfant, Paris
62D’autres enquêtés manifestent un sentiment de culpabilité s’exprimant tantôt sur le mode de la défiance, tantôt sur celui de la complainte. C’est le cas d’une résidente de centre d’hébergement, qui « pleure sur son sort au téléphone » et « ne veut pas se déplacer », comme le rapporte la chargée d’accueil d’une association ayant pris contact avec elle pour lui demander des explications sur une troisième annulation consécutive de rendez-vous. De fait, les plus pauvres sont aussi les plus fréquemment confrontés à leurs difficultés à accomplir les démarches nécessaires à l’obtention de prestations dont ils sont fortement dépendants, ce qu’ils vivent parfois dramatiquement.
63Les plus démunis manifestent par ailleurs une forme de repli sur le quotidien et l’immédiateté (Hoggart, 1970) qui s’avère incompatible avec l’investissement dans une relation de suivi régulier et de remise de soi nécessaire à la délégation de démarches administratives. C’est ce dont atteste le faible taux d’accompagnement dans la procédure des ménages de la première classe, (16,5 %, alors contre 31 % dans l’ensemble de l’échantillon). Rester à distance des intermédiaires du droit maintient donc à proximité du point de non-recours. En effet, certains « coûts cachés » (Brodkin, Majmundar, 2009) sont levés par la fréquentation des dispositifs d’assistance. Par exemple, ces structures prennent en charge les photocopies des documents justificatifs. Leur coût, non négligeable pour ceux qui n’ont d’autres moyens légaux d’existence que les minima sociaux, suscite autrement l’irritation, si ce n’est le renoncement.
Exposer sa misère comme seule ressource
64Les plus démunis ne parviennent parfois à mobiliser comme seule ressource que l’exposition de leur propre misère. Comme le formule Castel, « les fragments d’une biographie brisée constituent la seule monnaie d’échange pour accéder à un droit » (1995, p. 476). En manque d’appuis dans leur démarche, ils se retrouvent réduits à faire valoir leur droit sur le mode de la « supplique » (Fassin, 2000). Faute d’invoquer des motifs juridiquement recevables et de réunir les pièces justificatives attendues, ils ont recours à des formes d’argumentation peu légitimes, d’autant que leurs propos sont difficilement vérifiables. Les plus marginalisés développent notamment de rapides mais très personnels exposés de leur situation et de leur vie quotidienne dans la case « argumentaire libre » du formulaire de recours. C’est le cas d’un chômeur de longue durée de nationalité française, âgé de 34 ans, qui explique s’être séparé contre son gré de sa fiancée du fait de ses difficultés à trouver un logement adapté. Les requérants de la première classe de l’échantillon fournissent aussi beaucoup plus souvent que les autres une lettre d’accompagnement de leur recours. Cette modalité d’expression répond souvent aux préconisations de travailleurs sociaux, prompts à suggérer la rédaction de courrier au contenu misérabiliste pour obtenir assistance (Fassin, 2000). Les rapports ambivalents des plus marginalisés aux travailleurs sociaux se traduisent toutefois dans la faible proportion de lettres rédigées par ces derniers, qui peut également être lié à la forte proportion de Français dans cette classe. Or, certains mesurent plus difficilement leur distance aux normes scripturaires que des étrangers assumant volontiers leurs difficultés de rédaction. La plupart des argumentaires comportent ainsi de nombreuses fautes de syntaxe et d’orthographe. Lorsqu’elles mentionnent un destinataire, ce qui n’est pas toujours le cas, les missives concernées ont aussi en commun de ne pas s’adresser aux autorités compétentes. Deux lettres de requérants se présentant comme « à la rue » interpellent ainsi directement le président de la République Nicolas Sarkozy pour obtenir un logement social.
65Malgré ces efforts d’exposition de soi, les dossiers des plus démunis figurent souvent parmi les moins épais de l’échantillon. Se résumant parfois à un formulaire DALO mal rempli, accompagné d’un court récit sur une feuille volante, ils sont souvent frappés du sceau de l’irrecevabilité par les services d’instruction des recours.
Sentiment d’incompétence et délégation
66De nombreux requérants tirent profit de la reconnaissance de leur incapacité à accomplir eux-mêmes les démarches visant à faire valoir leur droit en déléguant leur exercice. Ceux-ci correspondent en grande partie aux travailleurs peu qualifiés issus de l’immigration de la deuxième classe distinguée par l’analyse statistique. Fréquentant régulièrement les services sociaux et les associations caritatives dans le cadre desquels ils ont généralement engagé leur recours au DALO, ils s’investissent dans la relation assistancielle et bénéficient alors d’un accompagnement plus soutenu et efficace. S’ils se repèrent suffisamment dans les arcanes bureaucratiques pour s’adresser aux justes interlocuteurs, ils s’en maintiennent toutefois à une certaine distance. En outre, loin de rester passifs face à l’offre institutionnelle, ils se livrent à des formes d’évaluations et d’usages détournés.
S’investir dans la relation assistancielle
67S’investir dans la relation assistancielle suppose la reconnaissance d’un besoin d’accompagnement. Parmi les requérants rencontrés, nombre ont le sentiment de ne pas être habilité à faire valoir eux-mêmes leur droit. Faiblement dotés de ressources culturelles, ils s’avèrent néanmoins conscients de leurs propres difficultés à effectuer eux-mêmes les démarches nécessaires à l’obtention d’un logement adapté, avec tout ce que cela peut comporter d’humiliant pour eux. Le règlement des coûts en termes d’exposition de soi peut alors être envisagé comme un investissement nécessaire à améliorer leurs conditions de vie. Au contraire des requérants les plus seuls et les plus démunis, les travailleurs peu qualifiés des familles immigrées recherchent une relation suivie avec les travailleurs sociaux ou les acteurs associatifs, car elle est porteuse de ressources matérielles et symboliques, malgré le poids des processus de domination qui la constitue (Siblot, 2006). Les ménages de la deuxième classe connaissent ainsi un taux d’accompagnement dans la procédure de recours au DALO fortement supérieur à l’ensemble de l’échantillon (42,4 % contre 33 %). Beaucoup plus fréquente que dans les autres classes, la poursuite de la procédure jusqu’au tribunal (17 % contre 7,5 %) doit aussi être liée à l’action des intermédiaires du droit.
68Ceux qui délèguent le remplissage des formulaires de recours DALO et la rédaction d’un courrier au préfet, ou encore le choix d’un avocat et la demande d’aide juridictionnelle, vivent le plus souvent en couple et élèvent des enfants. S’investir dans l’assistance peut être envisagé comme un placement familial chez des individus soucieux de se conformer à un idéal de « bonne parentalité » en dépit de leur précarité objective et subjective (Murard, 2003). Les requérants rencontrés en permanence associative évoquent le plus souvent spontanément leurs enfants au cours des rendez-vous, lorsqu’ils ne se présentent pas avec eux sur place. Être parent exerce une contrainte supplémentaire sur des individus de condition sociale modeste, mais les habilite en retour à se projeter dans l’avenir (Mauger, Fosse-Poliak, 1983). Il engage leur « responsabilité » autant qu’elle offre un gage de cette dernière aux services sociaux et aux associations. En retour l’application de schèmes familialistes se conjugue à une volonté de consolider l’« autonomie » des parents (Serre, 2009), qui serait favorisée par l’accès au logement.
69Du reste, ce sont parfois les enfants scolarisés en France qui entrent en rapport avec une association. Agée de 19 ans, la fille d’un requérant pakistanais, vient par exemple solliciter l’aide juridictionnelle dans le cadre d’un recours au tribunal administratif. Cette fonction échoit néanmoins le plus souvent aux mères de famille, qui effectuent alors le recours en leur nom. Cet usage typiquement féminin des ressources matérielles et symboliques que comportent les relations administratives ne repose pas vraiment ici sur la répartition du capital culturel dans le couple (Lahire, 1993), qui aurait tendance à favoriser le recours des hommes, maîtrisant souvent mieux le français dans les familles d’immigration récente. Il n’est pas toujours lié non plus à une socialisation différenciée des hommes et des femmes aux tâches administratives dans la sphère domestique (Siblot, 2006). Cette féminisation des démarches semble surtout devoir ici aux prescriptions des travailleurs sociaux, qui anticipent, parfois non sans raison, une forme de « misérabilisme genré » des institutions (Barrault, 2011 : 274). Ainsi, certains requérants intériorisent les attentes de leurs interlocuteurs et tentent de tenir leur rôle. C’est le cas d’un jeune couple observé dans le hall d’accueil de la préfecture de Paris. Lorsque vient leur tour au guichet, l’homme met en avant sa compagne :
« Vas-y chérie lèves-toi ! C’est toi qu’on a mise sur le papier […] C’est comme elle a dit l’assistante ! »
Camerounais, manutention, marié, 2 enfants, logement privé, Paris
70Autre critère de différenciation par rapport au précédent type, le travail, aussi précaire et peu qualifié soit-il, constitue une source de revenus qui renforce la prétention à accéder à un logement adapté. Non totalement dépourvus de ressources économiques, certains requérants ne disposent pas en revanche des ressources culturelles nécessaires à faire valoir leur droit de manière autonome. Un réfugié afghan âgé de 48 ans, marié, père de trois enfants et ouvrier du bâtiment, fait ainsi l’objet d’un suivi régulier d’une assistante sociale, qui l’a orienté vers une association pour qu’elle prenne en charge la phase contentieuse du recours au DALO. En rendez-vous, il se montre peu loquace, mais conscient d’effectuer une démarche visant à conforter sa demande de HLM, régulièrement renouvelée depuis trois ans. Il parle très mal le Français et a manifestement de grandes difficultés à l’écrit. Lorsqu’on lui demande la notification de décision de la commission, il sort d’une épaisse pochette en plastique une suite de documents, certains sans rapport avec son recours DALO. Ne parvenant pas à déchiffrer leur contenu, il montre de son embarras.
71Si les moins dotés culturellement peuvent se révéler réticents à dévoiler l’ampleur de leurs difficultés, d’autres exagèrent au contraire leur incompréhension, pensant renforcer le soutien dont ils bénéficient déjà à travers un usage stratégique de leurs difficultés. Par exemple, un ouvrier serbe de 54 ans feint l’ingénuité lorsqu’on lui explique que l’absence d’attribution d’un HLM conforme à ces exigences, malgré le renouvellement de ses demandes depuis 8 ans, peut être lié au fait que sa demande inclut toujours sa fille parmi les personnes à charge, alors que cette dernière est âgée de 28 ans et occupe un emploi stable. L’incapacité à accéder de façon autonome à l’univers juridique est donc plus ou moins douloureusement ressentie, certains manifestant involontairement leur gêne, d’autres n’hésitant pas à mettre en scène leur propre incompétence.
Braconner sur les terres de l’assistance
72Les requérants appliquent souvent des prescriptions et des règles fixées par d’autres, mais se révèlent loin d’être passifs face à l’offre d’action publique, y compris en matière d’accès au droit. Dans son étude classique des permanences d’accompagnement juridique américaines, Sarat observait déjà les tactiques mises en œuvre par les bénéficiaires de l’aide sociale de manière à s’y retrouver face à une masse obscure de règles et d’interlocuteurs officiels (1990). Pour filer la métaphore des « braconniers » propre à De Certeau, qui passent au travers des mailles du réseau tissé par des « propriétaires terriens » soucieux d’imposer le sens des biens culturels (1980), de nombreux requérants DALO évaluent, comparent et se réapproprient les services fournies par les organisations œuvrant en faveur de l’accès au droit. Si les services sociaux ou les associations avec lesquels les requérants entrent en relation sont voués à les encadrer, certains se livrent au « braconnage » au gré de leurs parcours.
73Tandis que le suivi social nécessaire à percevoir certaines prestations impose des interlocuteurs administratifs, l’accompagnement juridique laisse une certaine marge de manœuvre. Le « bouche-à-oreille » joue un rôle crucial, notamment chez ceux qui s’insèrent dans des communautés de migrants. Une juriste parisienne commente en entretien cette propension des publics des dispositifs d’insertion et d’accès au droit à diffuser des informations sur ces derniers :
« Les gens font marcher des réseaux de proximité. Par exemple, dans les communautés il y a beaucoup de bouche-à-oreille, les gens vont avoir l’info, ça nous arrive même de rencontrer des gens mieux informer que nous sur le monde asso-caritatif. »
74Une évaluation indigène des dispositifs d’accompagnement est ainsi véhiculée. L’évaluation positive de l’action d’une association par les membres de l’entourage proche d’une réfugiée tchétchène la motive par exemple à y prendre rendez-vous. Les jugements établis sur les acteurs supposés les prendre en charge s’appuient sur la perception du niveau d’implication dont ils font preuve dans la résolution de leurs problèmes. Un père de famille, agent de sécurité, reçu en permanence associative en compagnie de ses deux jeunes garçons pour engager un recours indemnitaire, apparaît ainsi en conflit avec son assistante sociale. Il lui reproche un manque d’implication dans leur relogement, alors qu’ils vivent dans un appartement insalubre :
« Vraiment l’assistante sociale elle fait rien pour moi, elle sert à rien pour le logement, elle bouge pas […] Elle m’a donné la liste des hôtels, mais c’est pas ça m’aider ! Moi je viens ici, je fais un DALO, je lui dis même pas, c’est pas la peine elle s’en fout ! »
Malien, agent de sécurité, marié, 3 enfants, logement privé, Paris
75Afin d’accéder à des biens et services publics dans un système institutionnel caractérisé par l’irrégularité de leur distribution, ces mal-logés cherchent à maximiser leurs chances de relogement en multipliant les pistes, quitte à prendre des chemins de traverse. Rencontré au guichet de la préfecture de Paris, un homme d’environ quarante ans, en attente de regroupement familial, va ainsi à l’encontre des prescriptions de son assistante sociale :
« Le travailleur social il dit que pour le logement c’est tendu, pour le moment il y a que les foyers. Mais je viens quand même ici pour essayer voir ! »
Algérien, séparé, ouvrier, 2 enfants, Foyer Adoma, Paris
76Cet élargissement du champ des possibles est favorisé par la segmentation de l’offre institutionnelle entre les services de l’administration déconcentrée, les collectivités territoriales et les associations, certains requérants se livrant à des évaluations comparées. Un père de famille de 48 ans, venu déposer son dossier de recours à la préfecture juge ainsi négativement le DAL du fait de la cotisation exigée pour obtenir assistance :
« J’en connais ils sont allés au DAL… Ils te demandent 20 euros, pourquoi faire ? C’est de l’arnaque ! Ici c’est gratuit ! »
Algérien, chauffeur routier, marié, 3 enfants, logement privé, Paris
77Au fur et à mesure de leur parcours, les requérants prennent leurs repères et apprennent à mieux distinguer les fruits de l’assistance. Si la fréquentation des travailleurs sociaux se révèle indispensable pour percevoir certaines prestations, il leur est souvent reproché leur inefficacité en matière d’attribution de HLM. Inversement, certains ne se satisfont guère d’une intervention associative uniquement ciblée sur l’accès au logement. C’est le cas d’un Pakistanais, plongeur dans une brasserie, qui vit avec sa femme et ses trois enfants dans un logement insalubre. Celui-ci profite d’un rendez-vous lié au dépôt d’un recours contentieux, pour poser des questions de droit du travail. Certains hiatus semblent dès lors irréductibles entre les schèmes des acteurs institutionnels, aussi diversifiés soient-ils, et les attentes plus ou moins réalistes des requérants.
Rester à distance du droit et des institutions
78La délégation des démarches administratives s’effectue rarement sur le mode de la fides implicita15. Les requérants qui confient le montage de leur dossier expriment en effet de nombreuses résistances face aux acteurs en charge d’appliquer les catégorisations administratives correspondant à leur situation. Ces résistances peuvent être liées à de mauvaises expériences des institutions administratives ou judiciaires, associées à des sanctions pénales, ou des difficultés à faire valoir d’autres droits. Ils finissent cependant généralement par se plier aux exigences des travailleurs sociaux ou des acteurs associatifs, afin de se voir attribuer les biens ou les services publics recherchés.
79Les requérants déléguant l’accomplissement de leurs démarches ne font pas toujours montre de remise de soi. Se faire assister pour compléter le formulaire de recours au DALO peut donner l’occasion de marquer de la défiance envers l’inculcation de certaines catégories d’État. Une réfugiée tchétchène précitée manifeste par exemple son irritation à s’enregistrer selon la nationalité inscrite sur son titre de séjour : « Non je suis pas russe, ça c’est vieille carte ! Moi tchétchène ! » Le cas d’un ouvrier algérien à la retraite, qui souffre d’un handicap moteur et loge dans une chambre de bonne au septième étage, est assez similaire. Son neveu refuse en effet de voir ce dernier catégorisé comme « séparé », afin de rentrer dans les critères de la loi :
« Il est pas divorcé ! C’est pas vrai ! Sa femme elle est restée au bled […] mais ils sont ensemble ! »
Algérien, marié, ouvrier BTP, logement privé, Paris
80Si ce dernier se ravise parfois, suite aux injonctions des intermédiaires du droit, l’intériorisation de l’ordre institutionnel n’est jamais totale, et la docilité s’avère tactique. Ils se plient en effet aux règles énoncées sans conviction autre que celle de la nécessité de s’y conformer pour accéder à un logement social. De manière générale, les moins dotés culturellement conservent une certaine distance aux intermédiaires du droit, mais aussi, de manière plus générale, aux institutions juridiques et administratives. Commentant la notification de décision de la commission, un ouvrier reçu en permanence associative manifeste avec ironie sa fermeture au langage juridique :
« Considérant que… C’est quoi ça ! Ça veut dire quoi ? J’y comprends rien du tout à leur truc moi ! [rires] »
Camerounais, manutention, marié, 2 enfants, logement privé, Paris
81Un jeune père de famille tunisien, qui travaille comme magasinier dans un supermarché et réside à l’hôtel avec sa femme et leurs deux enfants, compare quant à lui le DALO à un « jeu concours » puis au tirage du Loto, alors qu’on l’aide à remplir sa demande d’aide juridictionnelle. Le rapport aux institutions des requérants se fonde principalement sur leur expérience vécue de l’administration. Ceux qui sont issus de l’immigration la plus récente ont souvent déjà connu le tribunal administratif dans le cadre du contentieux de l’immigration. Le rapprochement est en outre renforcé du fait des connexions entre les intermédiaires du droit : ce sont souvent les mêmes qui alimentent ces deux contentieux. Tout aussi notable est la manière dont ces justiciables verbalisent les similitudes qu’ils perçoivent entre les procédures, à l’exemple de cet ouvrier algérien, partiellement handicapé suite à un accident de travail, pour qui le passage au tribunal administratif correspond à une épreuve traumatisante qu’il préférerait renouveler à distance :
« Au tribunal y a eu des questions sur le problème où on vit, combien d’enfants, ma situation à moi, mes problèmes de handicap… c’est un peu intimidant, surtout ma femme, elle était un peu paniquée ! […] Je suis vraiment obligé d’être présent ? J’y suis déjà allé deux fois au tribunal administratif, la première fois c’était pour situation irrégulière, ça rappelle des mauvais souvenirs ! »
Algérien, inactif, 3 enfants, logement privé, Paris
82Les mauvaises expériences du droit ne relèvent pas seulement du tribunal ou de la préfecture, mais aussi parfois des avocats consultés préalablement au recours au DALO. Victime d’un « escroc » lui ayant fait signer un « faux bail » pour la somme de 2000 euros, une auxiliaire de vie ivoirienne de 32 ans avait préalablement requis les services d’un avocat pour son procès au tribunal de grande instance. Celui-ci n’a pu éviter un jugement d’expulsion. Mécontente du résultat et de la manière dont son défenseur se serait comporté, elle souhaite en voir désigner un autre pour le contentieux spécifique au DALO :
« Il est contre moi ! Il est pour le propriétaire, il a dit : “il peut y avoir une vraie plainte ! Il peut y avoir une cour pénale !” L’avocat il a crié sur moi… et comme il a vu que je parlais bien, il m’a dit de me débrouiller toute seule ! C’est mon assistante sociale qui a fait le recours et je me suis présentée seule au tribunal. »
Sénégalaise, auxiliaire de vie, divorcée, 2 enfants, logement privé, Paris
83Cette dernière représente un cas limite, son activité professionnelle la rapprochant d’enquêtés mieux dotés culturellement. Elle illustre en tout cas à quel point les individus de milieu populaire perçoivent la fonction d’avocat comme contribuant à « l’opacité du système judiciaire par son étroite connivence avec celui-ci » (Lascoumes, 1978, p. 234).
84Par ailleurs, le processus de socialisation lié à la fréquentation de dispositifs d’accompagnement juridique et à l’accomplissement de la procédure ne laisse pas toujours de marques très profondes, contrairement à ce que montrent certains travaux insistant sur la reconnaissance de l’utilité du droit et la routinisation de ses usages en milieu populaire (Mac Cann, 1994). Si l’agent de sécurité précité est l’un des premiers à engager un contentieux indemnitaire, la possibilité de faire jurisprudence ne suscite chez lui aucun enchantement, et le retour au tribunal encore moins d’enthousiasme :
« Moi je m’en fous du tribunal, le plus important c’est d’être logé, sinon ça va être la galère ! […] Le tribunal ça sert à rien d’y aller. C’est pas la peine de se déplacer pour rien, on peut appeler directement le tribunal je me suis renseigné la dernière fois ! »
Malien, agent de sécurité, marié, 3 enfants, logement privé, Paris
85Il manifeste son empressement d’en finir le plus rapidement possible avec cette procédure. Comme le soulignent Spire et Weidenfeld, le caractère lointain et la froideur de la justice administrative sont regardés comme des garanties d’un traitement objectif pour ceux qui maîtrisent ses codes, tandis que les autres les perçoivent négativement, qu’ils aient ou non obtenu gain de cause (2011). Les requérants de ce type ne prennent ainsi conscience de la possibilité et de l’intérêt d’avoir recours au droit que dans la mesure où celui-ci peut avoir des conséquences sur leur propre situation en matière d’habitat, qu’il s’agisse de s’opposer à un jugement d’expulsion ou de bénéficier d’un logement social. Pour reprendre la métaphore kafkaïenne de Ewick et Silbey, ils restent « devant la loi » : elle ne les concerne que lorsqu’une règle qui s’applique à d’autres dans leur entourage ne leur semble pas mise en œuvre dans leur cas, alors qu’elle devrait l’être (1998). La notion de « droit » n’est sans doute pas totalement vide de sens, puisqu’elle est associée à une possibilité d’amélioration des conditions matérielles d’existence, mais comme les demandeurs du Fond d’Urgence Sociale (FUS), ces requérants DALO délaissent en partie « les symboliques par trop abstraites de la légitimité citoyenne » (Retière, 2001, p. 76).
Sentiment de compétence et savoirs insuffisants
86Contrairement à ceux que l’on retrouve dans les précédents types, certains requérants manifestent leur sentiment d’habilitation à faire valoir leur droit, qui s’appuie généralement sur une position sociale plus élevée. Ceux-ci répondent le plus souvent aux caractéristiques de la troisième classe identifiée par l’analyse statistique. Aspirant au style de vie des classes moyennes, ils traversent une « crise de statut » (Paugam, 1991). Ces mal-logés, ou qui s’estiment du moins comme tels, s’approprient largement les démarches de recours à la justice et n’en délèguent que rarement l’exercice. Néanmoins, ils ne détiennent pas toujours les savoirs nécessaires à qualifier juridiquement leur situation et à invoquer les motifs les plus adéquats auprès de la commission DALO ou du juge administratif. Préférant se passer des services des intermédiaires du droit, afin d’éviter d’être associés aux plus démunis, ils manifestent une forme de prétention désarmée. Leurs revendications, le plus souvent limitées à l’amélioration de leurs propres conditions d’existence, peuvent même sortir du cadre de la légalité.
Faire valoir un statut
87Des individus issus des fractions supérieures des milieux populaires ou des fractions inférieures des classes moyennes, qui rencontrent des difficultés économiques plus ou moins durables et ne parviennent guère à trouver un logement conforme à leurs aspirations peuvent avoir recours au DALO en vue d’améliorer leur situation. Les ressources économiques et culturelles dont ils disposent les portent à se distinguer des plus marginalisés ou des travailleurs précaires habitués à recourir aux dispositifs d’assistances. S’ils restent le plus souvent inférieurs aux plafonds d’éligibilité aux HLM, leurs revenus sont généralement supérieurs au seuil de pauvreté. Ils sont pour la plupart nés en France, même s’ils ont souvent des origines immigrées. Leur bonne maitrise de la langue française et leurs aptitudes à l’écrit, développées dans le cadre de leur scolarité ou de leur expérience professionnelle leur permettent surtout de s’approprier leurs démarches. L’affirmation d’un statut ressort de leurs propos, celui-ci étant notamment lié à l’occupation d’un emploi, qui fonde la revendication d’une amélioration de leur condition résidentielle, vécue comme une injustice.
88Ces requérants ont pour particularité notable de ne pas avoir été aiguillés vers le DALO par une assistante sociale ou une association. Ils en ont le plus souvent entendu parler parmi leur entourage, leur interlocuteur ayant lui-même connu le dispositif à travers les médias, qui ont bien couvert le mouvement des EDQ et les débuts de la mise en œuvre du DALO. S’ils ressentent parfois le besoin d’être renseignés par des interlocuteurs officiels, leur démarche reste personnelle. C’est le cas d’une vendeuse au rayon parfumerie d’un grand magasin parisien, jeune mère célibataire, interrogée dans le hall de la préfecture de Paris :
« J’en ai entendu parler aux informations à la télévision… je me suis dit pourquoi pas essayer ? Ensuite je me suis renseignée là où j’ai déposé ma demande d’HLM à la Mairie et ils m’ont dit que je pouvais le faire, que ça pouvait faire avancer le dossier. »
Française, séparée, 1 enfant, vendeuse, logement privé, Paris
89Celle-ci détonne par son apparence vestimentaire particulièrement soignée. On imagine qu’elle a fait bonne impression à l’antenne municipale de Paris Habitat où on lui a conseillé de déposer un recours. Comparé à la majorité des requérants parisiens, sa situation est relativement confortable, dans la mesure où elle dispose de son propre appartement, qui reste cependant exigu. Parmi les individus dont le recours au DALO relève d’une initiative personnelle, très peu sont d’ailleurs dépourvus de logement, et lorsque c’est le cas, ils sont plutôt hébergés chez un tiers que dans une structure institutionnelle. Ils peuvent en effet plus facilement compter sur leur entourage que les plus marginalisés.
90Ces requérants connaissent néanmoins des difficultés à accéder à un logement adapté à la fois à leurs revenus et à des aspirations socialement situées. Interrogée sur le motif de son recours, notre précédente enquêtée exprime ainsi sa frustration :
« C’est pas possible de me loger correctement à Paris avec ma fille […] Moi je travaille, je paie mes impôts et je suis obligé de vivre dans 12 m2 avec les toilettes sur le palier parce qu’il n’y a rien de correct en dessous de 800 euros ! »
Française, séparée, 1 enfant, vendeuse, logement privé, Paris
91Le DALO n’est pas envisagé comme une solution miracle, mais comme un moyen supplémentaire d’améliorer sa situation. Comme les autres requérants qui se rapprochent de son cas, cette employée de commerce a déposé une demande de HLM depuis trois ans et la renouvelle régulièrement sans succès. Elle restreint toutefois ses demandes à la ville de Paris, ne souhaitant pas déménager en banlieue, arguant de motifs liés au transport – elle souligne qu’elle n’a pas de voiture – ou à la sécurité mal assurée de certains « quartiers pourris de banlieue » qui ne lui « font vraiment pas envie ». Comme la plupart des requérants interrogés les moins défavorisés, elle se se montre particulièrement sensible à la réputation des quartiers16. Contrairement aux requérants précédents, le recours à la justice renvoie ici à l’affirmation d’un statut social. Plusieurs requérants rencontrés insistent sur le fait qu’ils « travaillent », et que l’impossibilité d’accéder à un logement « convenable » est profondément injuste. Questionnée sur les motifs de son recours, une jeune aide-soignante cap-verdienne exprime ainsi son exaspération :
« Mon conjoint, il a un CDI depuis plusieurs mois maintenant et on est encore à l’hôtel. Franchement c’est n’importe quoi ! Qu’est qu’il faut de plus, c’est pas juste vraiment… »
Capverdienne, mariée, 2 enfants, aide-soignante, hôtel social, Paris
92Lié à un emploi respectable offrant un salaire au-dessus du SMIC dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, son statut est considéré comme mis à mal par sa situation en matière d’habitat. Les démarches accomplies pour accéder à un logement social – emménager dans un trois-pièces dans le secteur privé restant difficile à Paris avec des ressources modestes – visent à restaurer ce statut. Face à des situations vécues comme injustes, ces requérants justifient leur démarche par le fait qu’ils « méritent mieux », car ils prônent le respect de « ceux qui travaillent ». Néanmoins, la multiplication des démarches et des interlocuteurs institutionnels entretient une impression de « demander l’aumône ». Or, ce modèle d’attitude fait figure de repoussoir dans les fractions supérieures des classes populaires et l’impression de s’y conformer alimente un sentiment de découragement (Siblot, 2006). Ces requérants qui tentent de traduire eux-mêmes en termes juridiques leur conception éthique de la justice révèlent en outre l’insuffisance de leurs savoirs administratifs, aggravée par un refus socialement situé d’avoir recours à des intermédiaires.
La prétention désarmée
93À l’opposé des moins compétents, qui délèguent volontairement l’exercice des savoirs administratifs nécessaires à faire valoir leur droit au logement, certains requérants n’ont pas le sentiment d’être suffisamment démunis pour bénéficier d’un accompagnement dans le montage de leur dossier. Les requérants de la troisième classe font d’ailleurs moins souvent l’objet d’un suivi social que dans l’ensemble de l’échantillon (26,9 % contre 44,7 %). Ils ne sont pas toujours pour autant capables d’invoquer les motifs adéquats ou de rassembler les pièces justificatives nécessaires à assurer la validation de leur recours, et cela même lorsque leur situation répond aux critères de la loi.
94Certains font montre d’une « bonne volonté administrative », qui renvoie à la mobilisation de savoir-faire et de savoir-être que l’on retrouve le plus souvent dans la fraction supérieure des milieux populaires (Dubois, 1999). Celle-ci se traduit en actes dans le cadre des interactions liées à la procédure. Par exemple, une employée au chômage ne rechigne pas à réaliser sur place les copies requises de son livret de famille, suite aux indications du guichetier de la préfecture :
« On ne va pas pinailler pour une photocopie Monsieur, je préfère faire une copie plutôt que rater le coche pour une pièce manquante ! »
Française, divorcée, 2 enfants, chômage, logement privé, Paris
95Cette bonne volonté apparaît aussi à travers l’attachement ostentatoire à des détails typiquement bureaucratiques. Venue déposer sur place son dossier, plutôt que de l’envoyer par courrier, l’employée précitée est particulièrement attentive à l’obtention d’un accusé réception de la préfecture. Valorisant les interactions en face-à-face, elle est persuadée que le traitement de son dossier sera plus rapide ainsi que par voie postale. Exprimant des craintes quant à la régularité des prestations délivrées par l’administration, elle affirme qu’elle n’a « pas confiance en la Poste », qui aurait déjà égaré son courrier. Sa bonne volonté administrative s’exprime donc aussi bien à travers ses relations cordiales avec les agents, que dans la manière dont elle se révèle prompte à critiquer ce qui est perçu comme une faute. Les griefs envers une administration qui ne serait pas toujours exemplaire vont en effet de pair avec certaines formes d’hypercorrection (Dubois, 1999). Néanmoins, cette bonne volonté ne suffit pas toujours à donner une issue favorable aux démarches engagées, car elle n’exclut pas certaines maladresses.
96Ceux qui montrent une relative aisance à l’écrit restent en effet le plus souvent peu familiers du raisonnement juridique et leurs connaissances des institutions s’avèrent floues, voire erronées. Leur démarche de recours au DALO est ainsi plus personnelle, mais les règles de la procédure ne sont pas toujours mieux maîtrisées. Comme la plupart des requérants, ils ont du mal à distinguer les différents ordres juridiques et degrés de juridiction, où à identifier la répartition des compétences en matière d’habitat entre les segments de l’État. Certains sont cependant persuadés du contraire. Avec une assurance marquée et dans le respect des formes les plus soutenues, une employée de banque fraîchement licenciée conteste par exemple le rejet de son recours. Dans un courrier au tribunal administratif, elle énonce que cette décision aurait été prise par une « autorité incompétente, car la seule commission existante a été créée au niveau de la région et non à celui du département ». Il s’agit là d’un cas typique de prétention désarmée, propre à des requérants dont certains attributs sociaux les rapprochent des classes moyennes.
97L’absence de recours aux services sociaux ou aux associations ne saurait ici s’expliquer par la méconnaissance de ces organisations. On retrouve plutôt le type d’attitude identifié par Paugam, chez les publics « fragiles » qui évitent au maximum les services d’aide sociale, dont la fréquentation les humilierait en objectivant un statut d’« assisté » (1991). Au guichet de la préfecture, l’aide-soignante réagit ainsi particulièrement mal à la proposition du guichetier de l’orienter vers une association pour l’aider à monter son dossier :
« Je n’ai pas besoin d’association ! Je m’en fous, je peux le faire moi-même. Moi je m’assume Monsieur ! »
Cap-verdienne, mariée, 2 enfant, aide-soignante, hôtel social, Paris
98La volonté de se distinguer des plus pauvres explique pourquoi certains individus ne veulent pas, comme la vendeuse en parfumerie, « s’abaisser à aller voir l’Abbé Pierre ou le Secours Catholique » :
« Et vous avez pensé à aller voir une association pour vous renseigner ?
– J’ai pas été ! C’est pareil que les assistantes sociales, y a toujours du monde, faut faire la queue, on ne prend que les plus urgents, j’imagine… »
Française, séparée, 1 enfant, vendeuse, logement privé, Paris
99Considérer que certains sont dans une situation sociale plus grave que la leur contribue sans doute à les rassurer dans leur disgrâce. Mais la coprésence sur les lieux d’accueil institutionnels de requérants intégrés à la société salariale et des plus démunis contribue à des réactions de rejet, si ce n’est d’humiliation. Un serveur menacé d’expulsion de son petit studio parisien dans le quartier du Marais où il vit avec son compagnon s’est bien décidé à solliciter une association mais il appréhende le fait de se rendre au bureau de l’aide juridictionnelle :
« Oh le tribunal c’est amusant ! Par contre l’aide juridictionnelle, qu’est-ce que c’est glauque ! Les voyous etc.… Mon Dieu ! [geste de dépit] »
Français, en couple, serveur, logement privé, Paris
100Il éprouve en effet un fort sentiment de rejet envers certains bénéficiaires de l’action sociale dont ils ne partagent pas la condition sociale ni l’univers normatif. Il en va de même d’un homme d’une trentaine d’années observé au guichet d’accueil de la préfecture. Portant veste de costume et chaussures de ville bien cirées, il vient manifestement déposer son dossier de recours à la sortie de son travail, en fin d’après-midi. Irrité de faire la queue à une heure où l’accueil est bondé, il sort du bâtiment l’air mécontent :
« Vas-y c’est un truc de crevard ! Ya que ça ici de toute façon ! »
101On peut y voir une forme d’humiliation mêlée au « débinage » propre aux membres des classes populaires les plus soucieux de préserver leur amour-propre dans une situation difficile (Hoggart, 1970).
Se faire justice soi-même
102Les requérants qui ont tendance à vouloir se faire justice eux-mêmes finissent souvent par sortir du cadre de la légalité et des limites de l’acceptable pour leurs interlocuteurs institutionnels. Évoluant sur un terrain dont ils ne pas maîtrisent mal les règles, ils manifestent une frustration qui les porte à prendre position sur le « système et ses dérives ». Leurs évaluations de l’action publique se fondent principalement sur leur perception de leur situation et de leurs conditions pratiques d’existence. La vendeuse de parfums précitée esquisse ainsi une théorie de la justice sociale à l’aune de ses propres difficultés à se loger :
« Un vrai droit au logement dans l’idéal ce serait comme l’éducation, c’est pas normal les gens qui travaillent et qui trouvent pas, ceux qui nous louent les chambres de bonne super-cher, c’est les privilégiés ! C’est comme ça dans la vie : y a beaucoup de choses injustes, mais bon… »
Française, séparée, 1 enfant, vendeuse, logement privé, Paris
103S’ils investissent le terrain du droit, ces requérants demeurent partagés entre cynisme et résignation. Un électricien au chômage se plaint par exemple des refus successifs de son dossier en commission d’attribution de HLM et de l’injustice dont il ferait l’objet au profit de ménages moins légitimes à y accéder à ses yeux :
« Ça fait 30 ans que je demande un logement social, y a des étrangers qui arrivent récemment, on les installe en HLM, moi je paye 910 euros par mois pour un appartement avec deux pièces ridicules, et en plus c’est dégueulasse ! »
Français, électricien, divorcé, 2 enfants, logement privé, Paris
104Son sentiment d’injustice tourne à l’hostilité généralisée envers des politiques sociales qui privilégieraient les immigrés, voir les primo-arrivants. Cela ne l’empêche pas d’invoquer une expérience vécue de discrimination raciale, liée à sa couleur de peau – il est métis originaire des Antilles – pour expliquer ses problèmes de logement :
« Faut arrêter ces conneries… Je vous le dis en face moi, j’suis désolé mais ce que je vois c’est qu’il y a une justice pour les Noirs et les Arabes et une autre pour les Blancs… »
Français, électricien, divorcé, 2 enfants, logement privé, Paris
105L’incompréhension du déroulement de la procédure incite d’autres requérants à multiplier les démarches auprès de différents interlocuteurs, mais à se détourner finalement du tribunal administratif, lorsque celui-ci prend une décision dont les tenants et les aboutissants leur échappent (Spire, Weidenfeld, 2011).
106Le maintien d’une image valorisée de soi dans le cadre d’une relation administrative inégalitaire se manifeste par ailleurs sous la forme de « pratiques de désengagement conflictuel qui ne relèvent ni de la soumission à la domination, ni de la résistance ouverte » (Ludtke, 1999, p. 91). Elles apparaissent aussi bien au guichet de l’administration qu’auprès d’associations consultées sans se départir d’une certaine méfiance. L’électricien désire ainsi qu’un autre avocat lui soit désigné par le bureau de l’aide juridictionnelle :
« Maître X elle ne sert à rien. Quand vous êtes à l’aide juridictionnelle, les avocats ne vous aident pas beaucoup… tout ce qui les intéresse c’est l’argent de l’aide juridictionnelle, ma situation elle s’en fout ! Elle me dit de me démerder tout seul, je dois tout lui apporter sur un plateau ! »
Français, électricien, divorcé, 2 enfants, logement privé, Paris
107Chez ceux qui marquent leur refus du passage au statut d’« assisté », ces conflits peuvent être analysés comme des « signes d’exaspérations pour marquer de quel côté sont les responsabilités » (Dubois, 1999, p. 178). Au guichet de la préfecture, la jeune aide-soignante soutient bruyamment que l’administration « fait exprès de perdre [s]on dossier pour ne pas le faire avancer ! » Suite au refus de l’agent d’accueil de lui annoncer le classement de son recours, le ton monte, et celle-ci s’emporte bientôt dans un monologue sur l’acharnement bureaucratique dont elle serait victime, prenant les personnes présentes à témoin :
« Je sais qu’ils ont mis mon dossier de côté, je le sais ! Je vis à l’hôtel, c’est pas comme si je… Je vous assure… La preuve c’est que vous ne le trouvez pas ! Ils n’ont pas bien fait leur travail, on ne m’a pas pris au sérieux ! C’est bien ce que je pensais ! Laissez tomber, je vous jure sur la tête de ma fille ! Remettez-moi le dossier si vous voulez me mettre de côté, c’est pas grave ! Je peux vous le remplir maintenant, tant pis je repars de la case départ ! »
Capverdienne, mariée, 2 enfants, aide-soignante, hôtel social, Paris
108Les comportements agressifs ne caractérisent pas spécifiquement les individus les plus distants de leurs interlocuteurs officiels. En revanche, certains facteurs prédisposent bien à un comportement agressif, l’électricien évoquant par exemple des problèmes d’alcool pour justifier ses accès de colère.
109La violence peut cependant prendre un tour stratégique chez des individus qui s’approprient le lieu commun selon lequel « il faut toujours gueuler pour obtenir quelque chose » (Dubois, 1999). C’est ce que montre sous une forme extrême une tentative d’immolation d’un père de famille accompagné de ces deux enfants devant le bâtiment préfectoral parisien. Malgré leur caractère potentiellement subversif, de telles tactiques n’obéissent cependant le plus souvent qu’à leurs propres fins. Cette « arme du pauvre », dont tient lieu la violence tournée contre soi-même, reste généralement orientée vers la satisfaction d’un intérêt personnel. Contrairement aux grèves de la faim des « sans-papiers » (Siméant, 1996), les tentatives d’immolation de candidats malheureux au logement social ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une action collective. Interrogés sur le comportement et les discours du demandeur de logement dont ils ont été les témoins de l’acte désespéré, les deux guichetiers abondent dans le sens d’un « acte isolé ». La propension à envisager la possibilité d’une transformation de l’ordre social dans le cadre d’une mobilisation collective reste en effet limitée par l’absence de socialisation politique préalable ou concomitante au recours à la justice.
Compétence administrative et politisation
110Le sentiment d’habilitation à manier le raisonnement et le langage juridique reste le fait d’une minorité restreinte de requérants. Comme les enquêtés précédents, leurs propriétés sociales correspondent à celles des ménages de la troisième classe identifiée par l’analyse statistique des dossiers, mais ils sont mieux dotés culturellement. De surcroît, ils n’éprouvent pas le même sentiment de culpabilité à solliciter l’appui des associations. L’engagement d’une procédure DALO, qu’ils poursuivent généralement jusqu’au tribunal, constitue l’une des batailles livrées au quotidien pour échapper à une situation de déclassement. Ils sont équipés pour cela par des intermédiaires du droit auprès desquels ils bénéficient d’un soutien renforcé par une relative proximité sociale. Si les plus compétents restent d’abord motivés par l’amélioration de leur situation en matière d’habitat, ils inscrivent leur démarche dans une lutte collective, et récoltent parfois les fruits de leur engagement militant.
Des requérants « hors pair »
111Certains individus observés dans le cadre de leurs démarches font preuve d’une compétence littéralement « hors pair ». S’ils se rapprochent des requérants du précédent type par la composition de leur ménage, la nationalité ou des revenus supérieurs à la moyenne, ils sont souvent plus diplômés et parisiens. Ces demandeurs de logement exercent ou ont exercé une activité professionnelle exigeant une bonne maîtrise rédactionnelle, certains prouvant même leur familiarité au langage et au raisonnement juridique. Ils connaissent néanmoins des difficultés économiques, leurs ressources limitées et irrégulières posant problèmes pour se loger dans le secteur privé. Ils mobilisent dès lors des connaissances juridiques préexistantes pour résoudre leur problème de logement. C’est le cas d’un graphiste indépendant de 52 ans, marié et père de deux enfants, en faillite personnelle et sous la menace d’un jugement d’expulsion au titre duquel il a fait reconnaître sa situation comme prioritaire et urgente par la commission de Paris. Accueilli en permanence associative pour engager une procédure de recours indemnitaire, il sort d’une mallette impeccable les pièces justificatives nécessaires au traitement de son dossier, classées à l’intérieur d’un dossier plastifié, dans l’ordre précisément requis par le formulaire. Il commente au passage son avis d’imposition, soulignant que les ressources modestes de son épouse artisane en bijouterie ne compensent pas ses propres pertes. Il fait montre ensuite d’une maîtrise du lexique juridique, insistant sur le caractère « principalement écrit de la procédure administrative », et réagit avec aplomb à la proposition de contacter un avocat :
« Un avocat pour le tribunal administratif, ce n’est pas très utile, mais pourquoi pas, si ça peut aider… »
Français, marié, 2 enfants, graphiste, logement privé, Paris
112Au fait que le recours indemnitaire nécessite « une nouvelle demande d’AJ [Aide juridictionnelle] », il demande s’il a bien pour but d’obtenir « une indemnité de type forfaitaire ». Cette familiarité au droit se retrouve chez un autre enquêté, rencontré dans le hall de la préfecture, dont la trajectoire migratoire implique une situation de déclassement : agent de sécurité, alors qu’il est titulaire d’une licence en droit et parle couramment anglais, il vit avec sa famille à l’hôtel. Connaissant précisément les dispositions de la loi DALO, il est capable de réciter le contenu du décret relatif aux conditions de résidence des étrangers. Coutumier du ratio decidendi, il manifeste aussi sa curiosité et son aisance dans la recherche d’informations sur l’action publique en faveur du logement des personnes défavorisées :
« Comme je travaille de nuit, je passe du temps à regarder les lois sur internet, les dispositions réglementaires… etc. Par exemple, on tape “logement social” sur Google et on accède au site service-public.fr. Là ils nous disent qu’il y a les accords collectifs départementaux ! »
Sénégalais, marié, 3 enfants, agent de sécurité, logement privé, Paris
113D’autres requérants parmi les plus compétents se sont familiarisés « sur le tas » au droit et aux diverses subtilités des dispositifs existants. Tel est le cas d’une jeune mère divorcée, hébergé chez un ami. Âgée de 88 ans, sa mère fait l’objet d’un jugement d’expulsion pour dette locative, dans l’incapacité de s’acquitter du loyer d’un appartement de 80 mètres carrés du quinzième arrondissement. Mère et fille partagent une situation de déclassement :
« À 88 ans c’est une épreuve, plus de 40 ans dans le quinzième et il faut aller mendier au FSL etc.… J’avais pensé à faire la demande pour les accords collectifs, comme je travaille de nouveau… »
Française, divorcée, 1 enfant, assistante commerciale, hébergée chez un ami, Paris
114Secrétaire administrative à mi-temps, après avoir quitté un emploi d’assistante commerciale suite à la naissance de sa fille, elle est bien disposée à s’approprier la démarche de recours indemnitaire. Son activité professionnelle lui offre d’ailleurs accès à du matériel bureautique, qui lui permet de scanner et d’envoyer elle-même par e-mail les documents nécessaires à son nouvel avocat. Depuis qu’elle a retrouvé un emploi et un salaire équivalent au SMIC, elle ne bénéficie plus que d’une partie de l’aide juridictionnelle, dont elle critique les lenteurs administratives. Ce type de jugement traduit cependant moins de défiance que chez les précédents enquêtés, son rapport à la justice étant mieux assuré. Si elle sollicite une association, c’est à la fois pour bénéficier de l’assistance des « meilleurs spécialistes » et pour inscrire sa démarche dans le cadre d’une cause.
Savoir s’équiper
115Les requérants les plus compétents trouvent l’occasion d’affirmer et d’affermir leurs connaissances juridiques auprès des intermédiaires du droit des associations, avec lesquelles ils partagent souvent une certaine proximité sociale. Malgré leur déclassement, ces requérants restent marqués par leur provenance des régions intermédiaires de l’espace social. Cette proximité sociale se double d’une proximité spatiale : les requérants les moins démunis vivent très majoritairement en région parisienne et plus particulièrement à Paris, où sont localisées la majorité des associations. Ils partagent aussi avec les acteurs chargés de les accompagner une certaine croyance en la valeur du droit, ou du moins en la nécessité de jouer le jeu de la procédure. C’est le cas du graphiste auquel un dirigeant associatif signifie en quoi la clarté de ses requêtes et des informations apportées sur sa situation le distinguent, ce qui contribue à restaurer son image de soi et alimente le soutien moral qu’il attend de l’association. L’assistance légale constitue ainsi l’occasion d’être remarqué et entendu (Lens, 2009), qui plus est lorsque se manifestent des affinités électives. Certains militants associatifs sont prompts à s’identifier aux situations d’injustice sociale qui leur sont le moins socialement éloignées. Une ancienne attachée parlementaire affirme au sujet d’un jeune architecte algérien de 27 ans, au chômage, endetté et sans logement suite à son licenciement avant la fin de sa période d’essai, qu’« il [lui] fait penser à son fils ». Ce type de proximité se retrouve aussi à la préfecture, lorsqu’une concierge d’HLM dont la loge devient trop exiguë à l’arrivée d’un nouvel enfant discute avec un des agents du « scandale des logements vides » d’un ton badin et ironique.
116Les requérants les plus compétents utilisent les connaissances sur la loi qu’ils glanent au fur et à mesure de la procédure auprès des acteurs qui leur portent conseil pour mieux s’orienter dans les arcanes de l’État-Providence. Du reste, ils se montrent réflexifs sur cet apprentissage incrémental :
« J’ai raté ma vocation, j’aurais dû faire du droit ! On est tombé dans tous les pièges, maintenant je m’y connais […] je connais très bien les rouages du système maintenant, en expérimentant sur le tas [rires] »
Française, divorcée, 1 enfant, assistante commerciale, hébergée chez un ami, Paris
117Certains viennent d’ailleurs surtout chercher la confirmation de leurs savoir-faire, sans chercher pour autant à contester la qualité du soutien apporté. Faisant rarement l’objet d’un suivi social, ils ont d’ailleurs le plus souvent pris contact avec une association de leur propre chef. Ils ont souvent connu leurs missions d’accès au droit par des campagnes de communication dans le cas des associations les plus institutionnelles, ou à travers la médiatisation d’actions collectives pour les associations « coup de poing ». Comme le montre Goffman en matière de soins médicaux, ceux qui sollicitent librement la compétence d’un spécialiste pour résoudre une difficulté qu’ils n’ont pas su solutionner par eux-mêmes, respectent la compétence technique du praticien et font confiance à son sens moral dans l’exercice de cette dernière (1968). De même, les plus réflexifs et les plus libres dans le choix des appuis associatifs qu’ils sollicitent sont aussi les plus confiants envers ces derniers. Il leur témoigne du respect et de la reconnaissance, qui peut aller jusqu’à l’adhésion à leur cause.
118Animé d’un intérêt pour la chose juridique lié à son parcours universitaire, l’agent de sécurité précité tire des enseignements généraux de ses propres démarches et s’attache à les transmettre dans le cadre des permanences juridiques du DAL. L’association lui permet de devenir à son tour un intermédiaire du droit. Ceci ne l’empêche pas de se montrer élogieux envers le travail d’assistance des bénévoles des permanences qu’il a fréquentées. Inversement, les individus aux connaissances juridiques les plus récentes et les plus restreintes à leur propre expérience sont les plus critiques et les plus exigeants. Cette corrélation marque une forme de continuum avec les requérants du type précédent, même si les mieux dotés culturellement mettent en œuvre des critères d’évaluation plus sophistiqués des organisations et des acteurs impliqués dans l’accès au droit. Des tensions peuvent en outre apparaître entre les intermédiaires du droit les moins éloignés des classes populaires et les requérants les plus proches des classes moyennes, lorsque ces derniers manifestent une trop faible remise de soi. C’est ce qui se produit lors de la visite en permanence associative d’un jeune homme d’origine maghrébine, en recherche d’un avocat pour engager un recours contentieux. Hébergé chez des amis depuis plusieurs semaines, il a résilié le bail de son appartement face à une menace d’expulsion. Diplômé d’une Licence professionnelle, il serait au chômage suite à un « licenciement abusif » d’un emploi de commercial au sujet duquel il a engagé une procédure aux prud’hommes. Manifestant de façon ostentatoire sa relative maîtrise du lexique juridique dans la salle d’attente, il suscite l’agacement d’une des chargées d’accueil :
« Il est arrogant celui-là ! […] Il a pas besoin de venir nous voir puisqu’il sait tout sur tout ! »
119Ainsi, la personnalisation de la relation assistancielle n’est pas toujours synonyme d’ajustement des schèmes des acteurs institutionnels et de leurs publics. Les seconds trouvent cependant généralement leur parti au sein d’une offre d’accompagnement diversifiée.
Un recours politisé
120Les plus compétents s’approprient d’autant mieux leur démarche de recours à la justice qu’ils l’inscrivent dans le cadre d’une cause plus large que la défense de leur propre intérêt : celle de la lutte contre le mal-logement. Ces individus se saisissent certes de l’arme du droit dans le but premier d’améliorer leur situation, mais leur démarche participe aussi d’un processus de politisation. Le processus de transfiguration d’un sentiment d’injustice, liée à une expérience vécue, en engagement en faveur d’une cause, se réalise néanmoins selon des modalités variées selon leurs propriétés sociales et les collectifs vers lesquels ils se tournent.
121Le rattachement à un collectif fait partie des procédés classiques de montée en généralité production de la « grandeur » dans les stratégies de justifications (Boltanski et al., 1984). L’implication en faveur d’une cause peut ce faisant se rapporter au groupe social de référence, sans nécessairement s’inscrire dans le cadre d’un mouvement organisé. Une jeune comédienne, hébergée par ses parents faute de trouver un propriétaire acceptant de lui louer un appartement à Paris sans caution, rattache son indignation à la dévalorisation de son statut d’intermittente du spectacle. Elle s’indigne dans une lettre d’accompagnement de son recours amiable auprès de la commission que bien qu’« elle TRAVAILLE […] son statut n’est pas reconnu par les agences immobilières ». Ces requérants n’ont pas nécessairement connu d’engagement préalable à leur fréquentation des associations et n’appartiennent pas toujours à des réseaux d’interconnaissance au sein desquels recrutent traditionnellement les plus militantes d’entre elles. Néanmoins, leur compréhension élargie des enjeux des politiques du logement entretient la politisation de leurs démarches. En outre, ils expriment plus facilement leur solidarité avec les plus démunis avec lesquels ils partagent des difficultés à trouver un logement adapté que les requérants moins dotés culturellement. Certains deviennent ainsi partie prenante des luttes des associations qui les soutiennent. Si l’ancienne assistante commerciale dénie toute appartenance partisane (« Je suis militante [elle le répète quatre fois], un point c’est tout ! De droite comme de gauche, c’est pas la question… »), elle critique volontiers le processus d’attribution des HLM dont elle souhaite « dénoncer le système ». Elle déclare aussi sa sympathie pour les associations les plus institutionnelles, comme pour les collectifs plus radicaux, dont elle connaît et évalue positivement des moyens d’action illégaux, tels que la réquisition d’immeubles vides. Par ailleurs, les réseaux de l’immigration africaine constituent toujours l’un des ressorts sociaux du recrutement du DAL (Péchu, 2006). Ceux qui possèdent certains titres scolaires rares y jouent un rôle particulièrement actif, une situation de déclassement constituant un puissant ressort de mobilisation. L’engagement de l’agent de sécurité diplômé en droit est d’ailleurs concomitant à sa mobilisation au côté d’associations de défense des « sans-papiers ». Péchu a bien montré les jonctions entre de telles organisations, au sein desquelles il a accumulé des savoirs mobilisables des deux côtés de l’Atlantique :
« En Amérique j’étais encore plus actif, j’ai été interprète dans des structures d’accueil de l’immigration, je parle Peul, Bambara… Au Secours populaire je leur ai proposé plusieurs fois, mais ils avaient déjà des anglophones. Au DAL, on adapte le militantisme qu’on a eu avant, on adapte ce qu’on peut apporter ! »
122Son engagement et ses compétences évoluent donc au gré de sa trajectoire migratoire et militante.
123La capacité des requérants les mieux dotés en capital culturel à exposer clairement leur situation en fait aussi de bons « faire-valoir » médiatiques. Parmi les savoirs dont disposent les plus compétents, certains ne sont pas spécifiquement juridiques, mais se rattachent plutôt à leur capacité à prendre la parole en public. Or, les médias généralistes sont à la recherche de « bons clients » lorsque le mal-logement fait l’actualité. C’est ce que fait remarquer le responsable d’une association institutionnelle suite au rendez-vous avec le graphiste sous le coup d’un jugement d’expulsion précité :
« La presse nous sollicite pas mal à la trêve hivernale. Tout à l’heure M. X par exemple, il est bien lui… il aurait fallu le solliciter pour faire un témoignage. »
124Les caractéristiques des mal-logés mis en avant dans les médias connaissent cependant des nuances selon les associations. C’est ce que montre le cas d’un ancien gardien d’immeuble d’une commune de Seine-St-Denis, français marié à une Ivoirienne et père de trois enfants, rencontré lors de l’observation d’un procès du DAL. Expulsé de sa loge par un bailleur accusé de racisme, qui aurait porté plainte contre lui de manière injustifiée pour des actes de violence, il a publié sur Youtube une vidéo où il expose sa version des faits. Lorsqu’il revient sur son premier contact avec le DAL, il affirme qu’il a « été contacté par Jean-Baptiste [Eyraud] parce qu’il trouve que j’ai une grande gueule ! » S’il ne possède pas de titres scolaires autres qu’un BEP, son engagement militant lui permet de se constituer un « capital culturel de substitution » (Gaxie, 1977). De fait, il prend régulièrement position dans les médias au nom de l’association et ambitionne de « créer une chaîne de télévision numérique avec des films et plein de reportages sur le social ».
125Si les demandeurs de logement ne maîtrisent pas toujours les configurations qui déterminent leur prise de parole, celle-ci favorise l’accumulation d’expériences mobilisables dans leurs propres démarches. Des ressources militantes sont mobilisées pour négocier des arrangements auprès d’acteurs institutionnels, voire bénéficier de passe-droit. L’exemple du relogement de l’assistante commerciale dans un programme d’habitat social neuf du quinzième arrondissement témoigne d’une tendance des élus à distribuer des ressources rares aux administrés dont le problème de logement devient une « affaire » médiatique :
« J’ai fait un sujet sur TF1. Des journalistes m’ont contacté, ça prête à caution quand on passe à la télé ! […] Je ne demande pas de favoritisme moi, mais je connais les élus du 15e, je suis allé voir l’adjoint au logement, j’ai vu Goujon17, il est au courant pour ma mère… Je les ai regardés en face, ils n’avaient rien fait jusque-là… »
126Solliciter directement un élu pour obtenir un logement social apparaît comme un trait caractéristique des plus fortement politisés. Ce type de démarche n’est cependant pas toujours suivi d’effet concret :
« J’ai rencontré plusieurs élus du secteur ! Françoise de Panafieu18, je l’ai rencontrée plusieurs fois après la naissance de ma fille, elle m’a promis un logement social mais rien n’est venu ! »
Sénégalais, marié, 3 enfants, agent de sécurité, logement privé, Paris
127Le capital militant acquis dans le monde associatif peut certes servir de tremplin à un engagement partisan (Matonti, Poupeau, 2004), mais la vie politique suscite ici peu d’enthousiasme.
128De manière générale, l’analyse des pratiques et des représentations de la procédure rend compte des conditions sociales de son appropriation, et, le cas échéant, d’une éventuelle politisation du recours à la justice. Seule une minorité envisage l’inscription de cette démarche dans une lutte collective, tandis qu’une majorité considère l’amélioration de sa condition résidentielle comme une chance ou la réparation d’un préjudice défini selon des critères éloignés de la règle de droit. Les usages désinvestis de la procédure relativisent en outre l’idée selon laquelle les mots et les pratiques légales sont des construits culturels aux significations puissantes pour tous. La politisation du recours à la justice demeure l’apanage d’une minorité, et il reste le plus souvent cloisonné dans une démarche individuelle. La mobilisation du droit apparaît surtout « comme la marque d’une conscience pratique non dupe des faux-semblants du discours hégémonique des professionnels de la justice et de la politique, mais attentive à sa valeur d’usage », comme en matière de recours à la justice des détenus (Salle, Chantraine, 2009, p. 116).
*
129En dépit des accents universalistes des discours de justification politique du DALO, celui-ci ne s’adresse pas à tous les demandeurs de logement. Si ceux qui engagent la procédure sont généralement étiquetés comme des personnes défavorisées, l’enquête montre l’hétérogénéité sociale des requérants, synonyme d’inégalité face à la justice.
130En effet, tous ne s’approprient pas leur démarche de la même façon, selon leur trajectoire sociale et leur expérience vécue des institutions sociales et juridiques. L’analyse des rapports diversifiés à la procédure approfondit ainsi le constat selon lequel les variations de la signification et de l’efficacité du recours à la justice ne sont pas que le reflet de différences de ressources en matière scolaire, culturelle et sociale. Elle donne à voir les logiques de répartition du « capital procédural » (Spire, Weidenfeld, 2011), mais aussi l’actualisation des savoirs administratifs des requérants au cours de leurs relations aux intermédiaires du droit. Les rapports aux institutions et aux acteurs qui les incarnent reste toutefois le plus souvent empreint de défiance, y compris lorsque le recours est validé. En effet, ceux qui parviennent à faire valoir leur droit auprès des commissions, voire jusqu’au tribunal, ne sont pas encouragés à réitérer ce type d’expérience dans quelque autre domaine que ce soit, dès lors qu’un verdict favorable du juge n’équivaut pas nécessairement à une proposition de logement.
131En filigrane, l’hétérogénéité des requérants DALO et des logiques qui les animent implique un nouveau regard sur le non-recours aux droits sociaux. Dans un certain paradoxe, l’enquête permet d’en identifier les trois formes distinguées par Warin – la « non-connaissance », la « non-demande » et la « non-réception » (2009) – à travers les usages d’un dispositif de recours à la justice. Pour le dire autrement, il est possible de discerner les formes élémentaires du non-recours dans un recours au droit désinvesti. Certains individus ont recours au DALO sans en avoir connaissance, maintenus dans l’ignorance du contenu et de la signification de leur démarche. Nombreux sont par ailleurs les individus qui y ont recours suite à l’intervention d’un intermédiaire du droit. Enfin, les plus marginalisés sont paradoxalement les moins bien assistés dans leurs démarches. Ils s’avèrent aussi souvent les plus mal reçus : les acteurs chargés de les orienter et de les informer dans leurs démarches se montrent peu encourageants, et leurs dossiers, mal ficelés, sont souvent frappés du sceau de l’irrecevabilité avant même d’avoir été examinés. Les logiques du traitement des recours font alors écho à l’inégalité des ayants droit face aux institutions sociales et juridiques.
Notes de bas de page
1 Décret d’application de la loi MOLLE n° 2010-431, 29 avril 2010.
2 Ministère du Logement et la Ville, projet de loi de finances initiale pour 2009, Mission ville et logement, Programme « développement et amélioration de l’offre de logement ».
3 C’est le nombre de demandeurs qui émerge d’une enquête de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Ile-de-France, réalisée fin 2010, à partir des fichiers de demandeurs de la ville de Paris, des 123 communes de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Val-de-Marne et Seine-Saint-Denis) et de 119 communes de la grande couronne (Essonne, Seine-et-Marne, Val-d’Oise et Yvelines) comme représentatives.
4 Enquête sur le parc de logements au 1er janvier 2012 et les attributions au cours de l’année 2012, Atelier Parisien d’Urbanisme, 2012.
5 La population légale des départements de France métropolitaine en 2010 a été prise en compte (INSEE, Recensement de la population, 2010) et non celle des ménages. En effet, l’INSEE prend en compte le nombre de résidences principales pour comptabiliser le nombre de ménages, ce qui exclue environ 4,5 millions de personnes « sans-abri » ou vivant en « communauté », c’est-à-dire le plus souvent en structure d’hébergement. Or, il s’agit précisément des populations les plus susceptibles d’avoir recours au DALO que l’on ne saurait se permettre d’exclure.
6 La carte apparaît dans le cahier central.
7 Pour reprendre l’expression employée dans 4e rapport du Comité de suivi de la mise en œuvre de la loi DALO.
8 Ces prix sont régulièrement actualisés par la Fédération nationale des agents immobiliers (FNAIM). Les prix de l’année 2011 ont été retenus. Ils se fondent sur les transactions effectuées par les 1800 agences de la FNAIM sur les six derniers mois.
9 Selon les données du Service de l’Observation et des Statistiques du CGEDD : Chiffres & statistiques, n° 271, 2011.
10 Le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (UC). Les unités de consommation sont généralement calculées selon l’échelle d’équivalence dite de l’OCDE modifiée qui attribue une UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.
11 La sociologie des mobilisations identifie une limite semblable dans la non-interrogation de ceux qui ne participent pas au mouvement social étudié (Mac Adam, 1986).
12 Congrès de l’USH, 2008.
13 Le seuil de pauvreté à 60 % de référence correspond à celui de l’année 2008, fixé à 949 euros par unité de consommation.
14 Pour une presentation de cette combinaison de méthodes d’analyse géométrique des données, voir Brigitte Le Roux, Henri Rouanet, Multiple Correspondence Analysis, Thousand Oaks, Sage Publications, 2010.
15 Bourdieu emploie ce concept pour définir le rapport au politique de ceux qui n’ont le choix qu’entre la démission ou la « délégation globale et totale par laquelle les plus démunis accordent en bloc au parti de leur choix une sorte de crédit illimité » (1981, p. 5).
16 Pour un point de vue plus général sur les « effets de réputation » des quartiers dans les catégories populaires : Van San, 2004.
17 Maire UMP du 15e arrondissement de Paris depuis 2008.
18 Députée de Paris depuis 2002 et conseiller du 17e arrondissement de Paris depuis 2008. Elle était maire de ce dernier arrondissement de 2001 à 2008.
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