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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Les politiques régionales d’éducation en France et en AllemagnePolitiques publiques régionales et inégalités territorialesLes citoyens et la légitimité des gouvernements régionaux Notes de bas de page

    La régionalisation sans les inégalités

    Ce livre est recensé par

    • Nora Nafaa, Lectures, mis en ligne le 30 janvier 2019. URL : https://journals.openedition.org/lectures/24405 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.24405
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    Table des matières

    Conclusion. La régionalisation de l’action publique et les inégalités

    p. 157-166

    Texte intégral Les politiques régionales d’éducation en France et en AllemagnePolitiques publiques régionales et inégalités territorialesLes citoyens et la légitimité des gouvernements régionaux Notes de bas de page

    Texte intégral

    1La décentralisation en France a-t-elle accru les inégalités territoriales ? Quels sont les effets, à travers l’Europe, de la régionalisation de l’action publique sur les inégalités territoriales ? Inscrit dans l’étude des recompositions territoriales des pays ouest-européens, ce livre s’est attaché à analyser comment les politiques publiques des gouvernements régionaux affectent l’évolution des inégalités territoriales. Les politiques d’éducation des conseils régionaux en France et des Länder allemands ont été au centre de l’enquête, respectivement sur la période 1982- 2008 et 1969-2008. Dans cette conclusion, on revient d’abord sur les principaux résultats de cette recherche comparée. On s’attarde ensuite sur ses contributions à l’étude de l’élaboration des politiques régionales. Enfin, on envisage les implications de ce travail sur les relations entre les citoyens et les régions sous l’angle de la légitimité que les premiers reconnaissent aux gouvernements régionaux dans un contexte multiniveau.

    Les politiques régionales d’éducation en France et en Allemagne

    2Cette recherche était animée par l’objectif d’enquêter empiriquement sur deux cas qui étaient peu connus de manière comparée : les politiques d’éducation des gouvernements régionaux en France et en Allemagne. Compte tenu de la place centrale de l’éducation dans la construction de l’institution régionale dans les deux pays, ce livre complète la compréhension du processus de décentralisation en France et des évolutions du fédéralisme en Allemagne. Rappelons que l’éducation est l’une des premières compétences qui ont été attribuées aux conseils régionaux par les lois de décentralisation et que le socle de la souveraineté des Länder est précisément leur compétence en matière éducative. Cette recherche visait également à travailler sur les processus de régionalisation de l’action publique qui traversent l’Europe de l’ouest depuis le début des années 1980. Dans les dernières décennies en effet, les gouvernements régionaux ont acquis des compétences plus nombreuses de politiques publiques dans des secteurs divers (voir l’indicateur décrivant le « policy scope » dans l’index d’autorité régionale Hooghe et al., 20151). En comparant l’action publique de régions dans un système unitaire décentralisé et dans un système fédéral, c’est-à-dire dans deux cas les plus différents, l’objectif analytique de cette recherche était d’examiner la possibilité d’explications des processus de régionalisation qui ne soient pas propres à chaque type d’institutions formelles, comme le fait une partie de la littérature existante, mais qui soient plus transversales. En somme, l’enjeu analytique de cette recherche était de réfléchir à l’élaboration des politiques régionales. L’intérêt pour les inégalités territoriales produites par les politiques régionales a fait le lien entre ces deux objectifs : il a permis de travailler à la fois sur ce que sont les politiques publiques des gouvernements régionaux (le versant empirique) et sur leur élaboration (le versant analytique). On a considéré que les inégalités territoriales sont les différences dans les instruments et les résultats des politiques publiques.

    3La première étape de l’analyse a été de nous intéresser à la capacité des gouvernements régionaux en France et en Allemagne à développer des politiques publiques d’éducation de manière autonome. Indépendamment de l’ampleur de leurs compétences sectorielles et du type d’institutions formelles, on a montré que les gouvernements régionaux en disposent bien et sont des policy makers qui font autre chose que seulement réagir à des contraintes ou des pressions exogènes. Le premier chapitre a porté sur le rôle joué par l’État central et le gouvernement fédéral dans l’élaboration des politiques régionales d’éducation sur la période étudiée. Dans les deux cas, les acteurs étatiques ont été peu présents quoique pour des raisons différentes. En France, pour l’essentiel, les acteurs étatiques ont tenté de se dégager de toute implication pour éviter d’avoir à verser des dotations plus élevées que celles initialement prévues par les lois de décentralisation. Dans les premières années de la décentralisation, les services centraux du ministère de l’Éducation nationale et de l’Intérieur ont été très actifs, sur le plan juridique notamment, pour repousser les demandes répétées d’implication financière de l’Association des régions. Dans les politiques patrimoniales des régions, les acteurs étatiques ont seulement conservé leur pouvoir d’édiction de normes de sécurité des bâtiments scolaires. En ce qui concerne la politique des équipements pédagogiques, la capacité d’influence des acteurs étatiques déconcentrés sur les politiques régionales a été variable d’une région à une autre et dépend des ressources, substantielles souvent, que les gouvernements régionaux ont été capables de mobiliser face aux rectorats. Enfin, pour ce qui est des politiques d’action éducatives, les acteurs étatiques n’ont pas même mis en place de dispositif de recueil systématique d’informations, ce qui a fortement limité leur capacité d’influence. En Allemagne, le gouvernement fédéral a au contraire tenté d’intervenir sur les politiques d’éducation des Länder à de très nombreuses occasions dans les années 1970, 1980, au moment de la réunification puis au début des années 2000. Il a créé des organismes consultatifs, il a obtenu une compétence de planification scolaire partagée avec les Länder et il a publié moult rapports. Toutefois, les régions sont toujours parvenues à repousser toutes ses tentatives d’influence. En somme, dans les deux pays, les acteurs étatiques n’exercent qu’une contrainte au mieux ponctuelle et circonscrite sur l’élaboration des politiques régionales d’éducation. Le chapitre 2 poursuit cette analyse de la capacité des régions à élaborer des politiques publiques de manière autonome en s’intéressant à la politisation des politiques régionales d’éducation. Des idées, concurrentes ou partagées, sont-elles échangées à leur sujet ? Des conceptions différentes de l’action publique et de ses principes sont-elles discutées ? On considère que ces discussions sur les plans cognitifs et normatifs sont des indices de la capacité des régions à développer des politiques de manière autonome. On montre que ces politiques ont bien fait l’objet de politisation. En France, cette politisation est institutionnelle dans l’ensemble, car son enjeu et les clivages que l’on observe dans les positions adoptées par les différents gouvernements régionaux portent sur leur rôle dans le cadre de la décentralisation et sur leur conception de l’action publique régionale par rapport à la règle nationale. En Allemagne, la politisation des politiques d’éducation des Länder est partisane, c’est-à-dire qu’elle est structurée par les représentations de l’ordre et de la justice sociale de la SPD et des partis d’union et des « bonnes politiques » qui en découlent.

    4Ayant documenté la capacité d’action autonome des gouvernements régionaux en France et en Allemagne en matière d’éducation, ce livre s’est ensuite attaché à étudier l’élaboration et la mise en œuvre de leur action publique et à en analyser les effets sur les inégalités territoriales. Le premier chapitre a décrit l’état des inégalités territoriales en éducation lorsque la compétence des lycées a été confiée aux régions en France, ainsi que la manière dont le gouvernement fédéral, depuis 1969 a garanti l’équivalence des conditions de vie relatives à l’éducation. Il apparaît très clairement que l’État français a été un gardien peu vigilant de l’égalité territoriale et que dans la période précédant la décentralisation ses politiques publiques ont contribué à produire et reproduire des inégalités territoriales. Le gouvernement fédéral allemand, pour sa part, a été un gardien de l’égalité territoriale maintenu à l’écart et de ce fait peu efficace. Qu’en a-t-il été alors des politiques d’éducation des conseils régionaux et des Länder ? Le livre a mis à jour trois mécanismes par lesquels l’élaboration et la mise en œuvre de l’action publique des régions conduisent à réduire les inégalités territoriales ou à ne pas les accroître. Le premier d’entre eux repose sur la politisation des politiques régionales. Dans le cas français comme dans le cas allemand, le chapitre 2 a montré que les gouvernements régionaux qui partageaient une même mise en politique de leur action publique, qu’elle soit institutionnelle ou partisane, adoptaient aussi certains dispositifs d’action publique similaires. Les conceptions de l’action publique en éducation a donc eu des implications fortes pour les décisions de politiques publiques des gouvernements régionaux. En France, on a montré que la politisation institutionnelle et les différents clivages qui la caractérisent ne permettent de rendre compte des politiques régionales d’éducation que sur des périodes de temps successives mais limitées. Les clivages de la politisation se sont déplacés. Ce qui faisait débat à un moment donné et conduisait à des politiques distinctes ne le faisait plus à la période suivante mais était remplacé par un autre clivage. On a ainsi montré comment la conception de la décentralisation qui considérait que les régions pouvaient innover et sortir du cadre formel de leurs compétences a amené certains gouvernements régionaux à introduire des dispositifs d’action éducative qui n’existaient pas ailleurs, produisant ainsi des inégalités territoriales. Toutefois dans les quelques années suivantes, toutes les régions avaient introduit ces dispositifs. La structure des systèmes scolaires en Allemagne jusqu’aux années 1990 est, pour sa part, durablement expliquée par la politisation partisane de l’éducation. Sur cette période, cette dernière s’explique largement par le parti ou la coalition partisane qui a dominé la scène politique régionale. Toutefois, ce chapitre souligne aussi qu’à certaines périodes, une politisation partagée ne conduit pas à l’adoption de dispositifs similaires. C’est ce qui se passe en Allemagne à partir des années 2000 où, en dépit de la persistance de la politisation partisane des politiques d’éducation et même d’une polarisation très forte sur la question de la structuration des systèmes scolaires, on constate que les régions démocrates-chrétiennes ont pris des décisions en complète opposition avec leur mise en politique.

    5En complément, le chapitre 3 identifie un deuxième mécanisme, par lequel les gouvernements régionaux cultivent activement la similarité de leurs politiques publiques. On a montré que ce mécanisme s’enclenchait dans des conditions politiques particulières où les régions étaient blâmées par des entrepreneurs politiques qui leur reprochaient de produire des politiques divergentes, alors même que les citoyens étaient porteurs de préférences fortes pour l’uniformité territoriale des politiques d’éducation. Dans cette situation où leur capacité à produire des politiques publiques est frontalement mise en cause, on a vu que pour la défendre les gouvernements régionaux en France et en Allemagne ont été amenés à élaborer et mettre en œuvre des politiques qui leur permettaient de répondre précisément aux critiques. Autrement dit, les régions n’ont cherché la similarité de leurs politiques publiques que sur les dimensions qui avaient été attaquées par les entrepreneurs politiques. Ces derniers jouent donc un rôle déterminant dans l’explication de la diminution des inégalités territoriales qui en découle car ce sont leurs mobilisations qui définissent les dispositifs ou les résultats des politiques d’éducation sur lesquels les gouvernements régionaux ont cherché à converger. En France, les acteurs étatiques accompagnés de la communauté éducative ont reproché aux régions dès la phase préparatoire du transfert des lycées de ne pas être en mesure de produire des politiques patrimoniales de qualité et de porter atteinte à l’égalité territoriale, principe central du système éducatif français. Ce que l’on a documenté est que face à cette attaque frontale de leur capacité à produire des politiques publiques, chacune des régions s’est conformée à un référent commun : la politique idéalisée de l’État. Cela a conduit à des investissements massifs des gouvernements régionaux sur les 15 années suivant la décentralisation et ayant produit une diminution forte des inégalités territoriales relatives aux conditions matérielles d’enseignement comme à une amélioration de ces dernières. En Allemagne, les blâmes répétés des présidents d’université et du syndicat des enseignants de Gymnasium jusqu’aux années 1990, puis les critiques virulentes du gouvernement fédéral, appuyées sur les données de l’enquête PISA à partir du début des années 2000, a conduit les régions à coordonner leurs politiques publiques sur les versants qui étaient au cœur des attaques portées contre leur capacité à produire des politiques d’éducation. C’est pour cette raison que l’on constate une homogénéisation des dernières années du Gymnasium au cours des années 1980 et 1990 ou encore l’introduction de standards nationaux contraignants dans le courant des années 2000.

    6Le chapitre 4 identifie un troisième et dernier mécanisme par lequel l’élaboration des politiques régionales conduit à une diminution des inégalités territoriales. Il s’agit d’un mécanisme compétitif, la course vers le milieu. Ce mécanisme s’enclenche lorsque des entrepreneurs politiques mettent en concurrence les politiques des régions en les comparant les unes aux autres et en leur attribuant de bons et de mauvais points. Empiriquement, on a montré que ces entrepreneurs politiques ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui sont en jeu dans le mécanisme de recherche active de la similarité des politiques publiques. Dans ces conditions où les entrepreneurs politiques mettent en cause la capacité des régions à produire des politiques publiques en les comparant aux autres, s’engager dans la course pour adopter les mêmes politiques permet aux gouvernements régionaux de soutenir la comparaison, soit parce que ces politiques sont réputées avoir fonctionné soit parce qu’en contexte d’incertitude où « la bonne » décision à adopter n’est pas évidente faire comme les autres est un moyen de défendre leur capacité à produire des politiques publiques. En France, la course vers le milieu a été enclenchée au sujet des mesures d’action éducative. Les associations de parents et les groupes d’opposition au sein des assemblées régionales défendaient l’introduction des mêmes dispositifs d’une région à une autre au motif que cela servait à la fois les objectifs d’égalité sociale à l’école et d’égalité territoriale. Cela a conduit les gouvernements régionaux, y compris ceux qui étaient opposés sur le plan normatif, à introduire ces dispositifs hors compétences. En Allemagne, ce mécanisme compétitif permet de décrire la période qui succède à la publication des résultats de la première enquête PISA lorsque non seulement le gouvernement fédéral mais aussi les syndicats enseignants et les représentants des parents ont brutalement mis en cause la capacité des Länder à assurer des systèmes scolaires qui soient socialement justes en les comparant les unes aux autres. Dans ce contexte où les régions devaient montrer leur capacité à prendre en charge le problème, pour assurer et même rétablir leur capacité à produire des politiques publique, elles se sont toutes rapidement alignées sur les premières réformes engagées et ont introduit des réformes mettant en cause la segmentation ternaire des systèmes scolaires. Dans ce cas, faire comme les autres en s’engageant dans une course vers le milieu, était un moyen de se protéger dans un contexte de forte incertitude.

    7Ces trois mécanismes, la politisation des politiques régionales, la recherche active de la similarité des politiques et la course vers le milieu, expliquent pourquoi, dans le cas des politiques d’éducation des gouvernements régionaux en France et en Allemagne entre 1982/1969 et 2008 on observe une réduction des inégalités territoriales produites par les politiques publiques et, ainsi, pourquoi on constate une régionalisation de l’action publique sans inégalités territoriales.

    Politiques publiques régionales et inégalités territoriales

    8L’analyse de la régionalisation des politiques sociales, ici les politiques d’éducation, vient compléter ce que l’on sait de la régionalisation des politiques économiques et des politiques de développement territorial. Ce livre a en effet montré que les explications avancées pour rendre compte de ces dernières n’étaient pas toujours opératoires dans le cas des politiques sociales des gouvernements régionaux. Le fait d’avoir comparé les politiques d’éducation dans deux cas les plus différents et d’avoir été en mesure d’identifier des mécanismes communs d’élaboration de l’action publique conforte ce résultat. À cet égard, ce livre a montré l’importance des normes sectorielles pour rendre compte de l’élaboration et de la mise en œuvre de l’action publique des gouvernements régionaux. Ces normes sont en effet structurantes pour comprendre non seulement comment les acteurs régionaux eux-mêmes se saisissent de leurs compétences de politiques publiques et les politisent, mais aussi ce que les citoyens – les électeurs des gouvernements régionaux – en attendent et ce qui façonne les mobilisations des entrepreneurs politiques. En ce sens, l’approche des politiques régionales adoptée dans ce livre est relationnelle : sur les plans empirique et analytique, on a montré que leur élaboration et leur mise en œuvre engageaient des rapports aux acteurs étatiques, aux préférences des citoyens ainsi qu’aux entrepreneurs politiques du secteur. De plus, ce livre a reconnu que les gouvernements régionaux ne poursuivent pas toujours un objectif d’indépendance mais cherchent aussi, et quelquefois essentiellement, à accroître leur capacité à produire des politiques publiques, c’est-à-dire « à prendre des décisions, à élaborer et à mettre en œuvre des politiques publique et à agir dans différentes sphères politiques » (Hepburn, 2010, p. 30). Combiné à l’attention aux normes d’égalité en vigueur dans les politiques d’éducation, cela permet de soutenir que l’argument principal défendu ici n’est pas aussi paradoxal qu’il pourrait sembler l’être au premier abord : la défense ou le souhait de développer sa capacité à produire des politiques publiques peut conduire les conseils régionaux et les Länder à élaborer et mettre en œuvre des politiques publiques similaires ou aux effets convergents sur les inégalités territoriales.

    9On ne soutient pas que les trois mécanismes issus de l’analyse de notre matériau empirique soient les seuls qui existent2. Il est possible que sur de nouveaux terrains empiriques d’autres mécanismes puissent être construits. Toutefois, leur identification sert les objectifs analytiques de cette recherche : montrer la possibilité de travailler sur les processus de régionalisation de l’action publique sans partir des institutions formelles et rendre compte de cas, inexplicables sinon, où la régionalisation de l’action publique ne produit pas d’inégalités territoriales. Notre propos n’est pas non plus de soutenir que la régionalisation de l’action publique se fait toujours sans l’accroissement des inégalités territoriales. Seulement, pour les raisons qui ont été avancées dans ce livre, il peut arriver que cela soit le cas comme il peut aussi arriver que cette même régionalisation de l’action publique conduise à une variation accrue des dispositifs et des résultats de l’action publique (e. g. Fargion, 2005 ; Gallego, Gomà & Subirats, 2005 ; Greer, 2005). Ce livre plaide dès lors pour une analyse de la régionalisation de l’action publique qui, plutôt que de tenter d’en caractériser les effets sur les inégalités territoriales de manière générale, soit attentive aux mécanismes d’élaboration de l’action publique régionale et à leurs conditions politiques et sectorielles d’enclenchement. Cela implique de considérer que les gouvernements régionaux sont à la fois enchâssés dans des institutions formelles qui peuvent les contraindre et leur offrir des ressources, mais aussi que les régions peuvent être des espaces politiques où les gouvernements régionaux sont en position d’élaborer des politiques de manière plus ou moins autonome. En somme, il s’agit de considérer que les gouvernements régionaux sont des policy-makers comme les États ou comme l’Union européenne, qui sont eux aussi encastrés dans des institutions et des secteurs.

    10Ce livre a également développé une approche processuelle de l’action publique des gouvernements régionaux. La recherche présentée a porté sur une période particulière, durant laquelle les gouvernements régionaux à travers l’Europe ont acquis des compétences de politique publique, qui se termine avant la crise économique de 2008. En France et en Allemagne, on a observé sur cette période la sédimentation progressive de dispositifs régionaux d’action publique qui ont amené à une réduction des inégalités territoriales produites par les politiques des gouvernements régionaux couvrant des dimensions plus nombreuses au fil de leur intervention en éducation. On a aussi montré comment des effets d’irréversibilité étaient produits par la sédimentation dans le temps de ces dispositifs, en particulier dans le cas français où l’intervention des régions dans le secteur des politiques d’éducation en vient à être reconnue positivement par les acteurs étatiques et les acteurs sectoriels, participant par là même à la construction de l’institution régionale. Dans le cas allemand aussi, les Länder ont progressivement évincé le gouvernement fédéral de l’élaboration des politiques d’enseignement secondaire en dépit de l’obtention par ce dernier d’une compétence partagée au début de la période étudiée. Mais nous avons également montré comment certaines irréversibilités étaient mises en danger, dans le cas de l’Allemagne sous l’effet d’événements exogènes aux politiques régionales d’éducation : la publication des résultats des enquêtes PISA de l’OCDE sur la performance des élèves de 15 ans. On a toutefois observé que les Länder avaient été en mesure d’empêcher que l’irréversibilité ne soit défaite dans les années 2000 en recourant à un mécanisme de défense utilisé depuis les années 1950, la coordination volontaire au sein de la KMK, mais à une plus grande échelle.

    11Dès lors, lorsque la crise économique et financière a éclaté en 2008, ses effets sur les relations entre les gouvernements nationaux et les gouvernements régionaux sont à comprendre au regard des relations centre-périphéries qui se sont construites progressivement durant la période qui précède. Certes, la crise économique et financière semble avoir mis à rude épreuve la capacité des gouvernements régionaux à élaborer des politiques publiques, avec le renforcement des contraintes économiques exercées par les États sur les régions, eux-mêmes étant soumis aux contraintes renforcées de la nouvelle gouvernance économique de l’Union européenne. Toutefois, l’examen comparé des changements des relations centre-périphéries en Allemagne et en France, ainsi qu’en Espagne et au Royaume-Uni, indique que si la crise économique et fiscale a bien conduit à un renforcement de la contrainte budgétaire exercée par les gouvernements centraux sur les gouvernements régionaux, elle n’a conduit ni à une réallocation du pouvoir budgétaire et fiscal, ni à une recentralisation du pouvoir politique aux dépens des régions (Dupuy, 2017). L’explication réside dans les relations entre les gouvernements régionaux et les gouvernements nationaux construites dans la période précédente, celle étudiée dans cet ouvrage.

    Les citoyens et la légitimité des gouvernements régionaux

    12Ce qui s’est passé pendant la période examinée dans ce livre n’a pas seulement eu des effets sur l’évolution des inégalités territoriales produites par les politiques régionales et des relations entre les gouvernements nationaux et les gouvernements régionaux. Cela a aussi eu des conséquences sur les citoyens et la légitimité qu’ils reconnaissent aux régions. Au regard des résultats présentés, cela n’est pas très surprenant. Après tout, on a montré que les conseils régionaux et les Länder réalisent largement les préférences des citoyens pour l’uniformité territoriale des politiques en matière d’éducation. Si l’on adopte une perspective plus générale, on note effectivement que depuis les années 1990 l’intervention des gouvernements régionaux dans des domaines variés de politique publique est visible pour les citoyens. Le tableau 24 présente les résultats relatifs à la perception du niveau régional comme gérant le problème le plus important – pour l’ensemble des problèmes considérés au niveau agrégé (Dupuy & Van Ingelgom, 2017). Cette perception est croissante entre 1994 et 2009 en Belgique, en Espagne, en France et en Italie. Certes, on observe une légère fluctuation avec des hauts (en 1999) et des bas (en 2009). L’année 2014 est ici à considérer avec précaution puisque l’enquête a été réalisée en pleine crise économique et financière. À l’exception de l’Allemagne pour qui dès 1994 le niveau de perception est élevé et stable, les autres pays présentent une évolution plus nette entre 1994 et 2009. La perception des citoyens selon laquelle le problème le plus important est à la charge du niveau régional augmente de 4,5 points en Belgique, 4,2 point en Espagne, 4,2 points en France et de 1,8 points en Italie. Par conséquent, il semble bien que la régionalisation croissante de l’action publique, telle qu’elle est mesurée par l’index d’autorité régionale et par la mesure relative à l’étendue des compétences de politique publique (policy scope) (Hooghe et al., 2015), soit perçue. Cette évolution concomitante des perceptions des citoyens et du degré de régionalisation vaut également pour l’Allemagne puisque ces deux indicateurs sont élevés et stables dans le temps.

    Tableau 24 : Le niveau régional gère le problème le plus important en 1994, 1999, 2004, 2009 & 2014 et l’index de régionalisation (RAI)

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    Source : European Election Studies 1994, 1999, 2004, 2009 & 2014 ; (Hooghe et al., 2015) Note : * Pour la Belgique et l’Italie, l’année considérée pour le calcul n est pas 1970 mais 1969.

    13La régionalisation de l’action publique est non seulement perçue par les citoyens, mais elle est aussi souhaitée (Dupuy & Van Ingelgom, 2017). Lorsque l’on considère le niveau régional comme l’échelon de gouvernement souhaité pour prendre en charge le problème le plus important, la tendance est également à la hausse entre 1994 et 2009 comme le montre le tableau 25, à l’exception de l’Italie. La mise en perspective avec l’évolution concomitante de l’index d’autorité régionale permet de montrer que la régionalisation de l’action publique dans les cinq pays considérés coïncide avec une préférence accrue des citoyens pour que le niveau régional prenne en charge le problème le plus important. Cette évolution s’observe dans les pays où les identités infranationales ont été, et sont toujours, des enjeux politiques, comme en Espagne et en Belgique, comme dans les pays où ces identités territoriales n’ont pas été saillantes sur la période, comme en France et en Allemagne (Fitjar, 2010).

    Tableau 25 : Le niveau régional comme le plus approprié pour gérer le problème le plus important en 1994, 1999, 2004, 2009 & 2014 et l’index de régionalisation (RAI)

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    Source : European Election Studies 1994, 1999, 2004, 2009 & 2014 ; (Hooghe et al., 2015) Note : * Pour la Belgique et l’Italie, l’année considérée pour le calcul n est pas 1970 mais 1969.

    14Faisant suite aux analyses réalisées par De Winter, Swyngedouw et Goeminne sur le niveau européen (2008) et à nos propres analyses portant sur le cas belge (Dupuy & Van Ingelgom, 2014, 2015), on peut considérer que l’évaluation par les citoyens de l’adéquation d’un niveau de pouvoir à prendre en charge un problème public et, plus précisément, le problème le plus important rencontré par leur pays, permet d’opérationnaliser la légitimité que les citoyens reconnaissent aux gouvernements régionaux. Empiriquement, elle est définie comme « the belief that the existing political institutions are the most appropriate ones » (Lipset, 1983, p. 64). Les données descriptives présentées nourrissent donc l’idée que la régionalisation de l’action publique s’accompagne de la reconnaissance de la légitimité des régions aux yeux des citoyens. Les politiques régionales semblent exercer des effets-retour (policy feedbacks) sur la perception que les citoyens ont des gouvernements régionaux.

    15Travailler sur la régionalisation de l’action publique à travers l’Europe de l’ouest et ses effets sur les inégalités territoriales est donc nécessaire pour rendre compte des transformations territoriales des États et de la recomposition du pouvoir politique entre les échelons régional, national et européen. Mais cela l’est aussi pour saisir la réallocation de la légitimité que les citoyens reconnaissent aux gouvernements dans une perspective multiniveau. À l’articulation de ces deux évolutions se trouve la régionalisation sans les inégalités.

    Notes de bas de page

    1  Cette dimension peut prendre une valeur allant de 0 à 4. La valeur 0 renvoie un niveau très faible d’autorité dans les domaines suivants : a) la politique économique ; b) la politique culturelle et éducative ; c) la politique sociale ; d) l’un des suivants : pouvoirs résiduels, la police, propre cadre institutionnel, le gouvernement local. La valeur 4 renvoie quant à elle à de fortes compétences exercées dans le domaine d) ainsi que dans deux domaines de a), b) ou c), à laquelle s’ajoute des compétences en matière d’immigration ou de citoyenneté. Entre 1970 et 2010, ce niveau augmente respectivement de 0,25 point en Allemagne (car le niveau était déjà élevé à cette date), 2,82 point en Belgique, 3,99 points en Espagne, 3 points en France et 3,54 points en Italie. L’ensemble des pays considérés, à l’exception de l’Allemagne, a connu une forte augmentation de l’étendue des compétences de politique publique géré par le niveau régional.

    2  Ils nous permettent de caractériser les différentes dimensions de l’action publique en éducation des conseils régionaux (leur politique patrimoniale, leur politique liée aux équipements pédagogiques ainsi que leurs interventions en dehors du cadre formel des compétences qui leur sont reconnues, les politiques dites d’action éducative) et des Länder (on s’est concentrée sur les dimensions structurantes des systèmes éducatifs qui, pour certaines, ont été particulièrement l’objet de dissensions politiques : la structure des systèmes scolaires et la question de la segmentation ternaire ou binaire, les standards d’enseignement et la coordination des politiques régionales) sur lesquels l’enquête a porté.

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    1  Cette dimension peut prendre une valeur allant de 0 à 4. La valeur 0 renvoie un niveau très faible d’autorité dans les domaines suivants : a) la politique économique ; b) la politique culturelle et éducative ; c) la politique sociale ; d) l’un des suivants : pouvoirs résiduels, la police, propre cadre institutionnel, le gouvernement local. La valeur 4 renvoie quant à elle à de fortes compétences exercées dans le domaine d) ainsi que dans deux domaines de a), b) ou c), à laquelle s’ajoute des compétences en matière d’immigration ou de citoyenneté. Entre 1970 et 2010, ce niveau augmente respectivement de 0,25 point en Allemagne (car le niveau était déjà élevé à cette date), 2,82 point en Belgique, 3,99 points en Espagne, 3 points en France et 3,54 points en Italie. L’ensemble des pays considérés, à l’exception de l’Allemagne, a connu une forte augmentation de l’étendue des compétences de politique publique géré par le niveau régional.

    2  Ils nous permettent de caractériser les différentes dimensions de l’action publique en éducation des conseils régionaux (leur politique patrimoniale, leur politique liée aux équipements pédagogiques ainsi que leurs interventions en dehors du cadre formel des compétences qui leur sont reconnues, les politiques dites d’action éducative) et des Länder (on s’est concentrée sur les dimensions structurantes des systèmes éducatifs qui, pour certaines, ont été particulièrement l’objet de dissensions politiques : la structure des systèmes scolaires et la question de la segmentation ternaire ou binaire, les standards d’enseignement et la coordination des politiques régionales) sur lesquels l’enquête a porté.

    La régionalisation sans les inégalités

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    Ce livre est cité par

    • (2020) Dictionnaire des politiques territoriales. DOI: 10.3917/scpo.pasqu.2020.01.0577
    • Maroy, Christian. Dupuy, Claire. Brassard, André. Buisson-Fenet, Hélène. Mathou, Cécile. Pons, Xavier. Vaillancourt, Samuel. Voisin, Annelise. (2019) Educational Governance Research Accountability Policies in Education. DOI: 10.1007/978-3-030-01285-4_6
    • (2020) Éducation et territoire : inégalités ou diversité ?. DOI: 10.4000/books.enseditions.16349
    • Dupuy, Claire. (2020) Dictionnaire des politiques territoriales. DOI: 10.3917/scpo.pasqu.2020.01.0288
    • Keating, Michael. (2021) Beyond the nation-state: territory, solidarity and welfare in a multiscalar Europe. Territory, Politics, Governance, 9. DOI: 10.1080/21622671.2020.1742779
    • Ferhat, Ismail. (2022) Culturaliser les difficultés scolaires ? L’exemple des politiques éducatives en Picardie face aux classes populaires blanches. Recherches en éducation. DOI: 10.4000/ree.11258
    • Parisse, Jordan. Moalic, Maëlle. (2022) Les jeunes dans les politiques des conseils régionaux : cartographie d’une prise en compte entre secteurs, population et territoire. Agora débats/jeunesses, N° 92. DOI: 10.3917/agora.092.0097
    • Le Trividic Harrache, Lila. (2022) La fabrique de l’éducation à la santé des lycéen·ne·s : des influences institutionnelles multiples. Agora débats/jeunesses, N° 92. DOI: 10.3917/agora.092.0129
    • Blanchard, Marianne. Cardon-Quint, Clémence. Frouillou, Leïla. Huitric, Solenn. (2021) Introduction. Formation emploi. DOI: 10.4000/formationemploi.9824

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    Dupuy, C. (2017). Conclusion. La régionalisation de l’action publique et les inégalités. In La régionalisation sans les inégalités (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.144300
    Dupuy, Claire. « Conclusion. La régionalisation de l’action publique et les inégalités ». In La régionalisation sans les inégalités. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2017. https://doi.org/10.4000/books.pur.144300.
    Dupuy, Claire. « Conclusion. La régionalisation de l’action publique et les inégalités ». La régionalisation sans les inégalités, Presses universitaires de Rennes, 2017, https://doi.org/10.4000/books.pur.144300.

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    Dupuy, C. (2017). La régionalisation sans les inégalités (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.144260
    Dupuy, Claire. La régionalisation sans les inégalités. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2017. https://doi.org/10.4000/books.pur.144260.
    Dupuy, Claire. La régionalisation sans les inégalités. Presses universitaires de Rennes, 2017, https://doi.org/10.4000/books.pur.144260.
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