1City of Las Vegas a fêté le centenaire de sa fondation en 2005. Un peu plus de cent ans d’existence, c’est à la fois très peu au regard des métropoles européennes, et même comparé aux grandes métropoles américaines du Nord-Est ou de la côte ouest ; et beaucoup quand on compile les différents visages de Las Vegas : oasis pour les pionniers en route vers la Californie, avant-poste mormon, arrêt de chemin de fer, lieu de récréation pour les bâtisseurs du Hoover Dam, bénéficiaire des politiques fédérales d’investissement public, terrain de jeu du crime organisé, icône touristique mondiale et capitale de la crise immobilière.

2En s’appuyant sur une analyse géohistorique de la formation et de la consolidation de l’aire urbaine végasienne, ce chapitre cherche à donner de la profondeur historique afin de comprendre les motivations, géographiques, humaines et économiques, qui expliquent l’existence de Las Vegas au cœur du désert. La réflexion autour d’une dialectique entre unicité et typicité abordée dans le chapitre précédent est ici prolongée par la volonté de faire la part entre les choix spécifiques opérés dans le Nevada et dans le bassin de Las Vegas, qui expliquent son originalité dans le panorama américain, et les moteurs de croissance communs à d’autres villes américaines.

3Il est ainsi fait la démonstration que la naissance de Las Vegas n’est pas due au tourisme, mais à la combinaison de moteurs de développement urbain qu’on retrouve dans l’essor de l’ensemble des villes de l’Ouest américain, à savoir la présence de ressources naturelles – ici l’eau –, le rôle de la voie ferrée, et surtout des investissements fédéraux massifs. À partir des années 1940, le tourisme s’impose comme un vecteur de développement économique incontournable, et commence à façonner les rapports de pouvoir entre les différentes parties de l’aire urbaine naissante en donnant notamment émergence aux quartiers touristiques de Fremont Street et du Strip. Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1980-1990 que l’aire urbaine végasienne prend véritablement son envol, résultat de l’essor croissant de l’activité touristique et d’une explosion démographique sans précédent.

La genèse d’un mythe

Las Vegas, étape de la conquête de l’Ouest

4Las Vegas se situe au cœur de l’écorégion du désert du Mojave, qui chevauche l’ensemble géologique du Grand Bassin (Great Basin) dans sa partie méridionale, où de petits bassins sédimentaires sont entrecoupés de rides montagneuses délimitant de hauts plateaux.

Carte 2 : Environnement physique du bassin de Las Vegas.

5La région est loin d’être accueillante : dans le bassin de Las Vegas, les précipitations annuelles sont en moyenne inférieures à 100 millimètres et les températures estivales atteignent régulièrement les 40 degrés. Malgré le climat aride et ces conditions hostiles, la présence humaine dans le désert de Mojave est attestée depuis 700 avant J.-C. avec l’établissement de la tribu amérindienne des Paiutes (Moehring et Green, 2005). Si les Amérindiens se sont installés dans la région, c’est qu’ils y ont trouvé la richesse la plus importante qui soit dans un environnement désertique : l’eau. En effet, l’existence et le nom même de Las Vegas – vegas en espagnol se traduisant par vallées fertiles – résultent de la présence de sources artésiennes alimentées toute l’année, seule source d’eau dans un rayon de plusieurs jours de marche.

6Les Européens commencent à explorer la région au début du xix^e siècle, plus particulièrement les Espagnols qui y développent l’élevage et le commerce de peaux et fourrures. Rafael Rivera serait le premier explorateur occidental connu à avoir mis le pied dans le bassin de Las Vegas en 1829 (Moehring et Green, 2005). Éclaireur pour une troupe de marchands officiant sur l’ancien territoire de la Vice-Royauté de la Nouvelle Espagne, devenu territoire mexicain depuis l’indépendance de 1821, Rivera aurait baptisé le futur site de Las Vegas et participé à la création de la branche nord de la « Vieille Piste Espagnole » (Old Spanish Trail), représentée sur la carte 2. Un paysage fertile accueille alors les colons et leurs bêtes. Piste de mules rudimentaire, longue de plus de 1 900 km, délimitée par quelques pierres, la Vieille piste espagnole relie les campements espagnols de Santa Fe aux colonies balbutiantes de Californie. Elle se structure à partir des années 1830 mais n’est véritablement consolidée qu’au milieu du xix^e siècle. Le lieu-dit de Las Vegas devient une étape providentielle sur la longue route vers l’Océan pacifique. Parmi les voyageurs de la Vieille piste espagnole, John C. Frémont est passé à la postérité, ayant donné son nom à la principale artère de City of Las Vegas. Officier de l’armée américaine, puis homme politique d’envergure nationale, J. Frémont a passé de nombreuses années, à partir de 1845, à explorer et cartographier le sud du Nevada. Grâce aux talents de romancière de sa femme qui embellit ses notes de terrain, la conquête de l’Ouest devient un motif littéraire particulièrement populaire dans l’Est des États-Unis. L’intérêt porté aux explorations de J. Frémont coïncide avec l’engouement du peuple américain pour les vastes étendues de l’Ouest et est contemporain de l’apparition et de l’essor de la Destinée Manifeste (Manifest Destiny) dans les années 1840 (Guelke et Hornbeck, 2001).

7Les prémices de Las Vegas sont marquées par l’influence espagnole, mais la région passe rapidement sous juridiction des États-Unis, dont sont originaires les premiers colons permanents, à la suite de la guerre américano-mexicaine (1846-1848). En effet, bien que la découverte des sources artésiennes soit attestée dès les années 1820, il faut attendre le début du xx^e siècle pour recenser les premières tentatives d’installation pérenne. Les missionnaires mormons1 sont les premiers à vouloir s’installer durablement dans la région. Le « Vieux fort mormon » (Old Mormon Fort), aujourd’hui sous la responsabilité des Parcs Nationaux, sert d’avant-poste à la conversion des tribus amérindiennes locales. Néanmoins l’expérience ne dure pas longtemps puisque seulement deux ans après la construction du fort, la mission est démantelée (1855-1857), à la suite de l’opposition farouche des Paiutes à toute conversion. Plusieurs pionniers et autres cow-boys du Grand Ouest se succèdent dans la seconde moitié du xix^e siècle dans le bassin, attirés par la découverte de mines d’argent dans le sud du Nevada et par les possibilités agricoles qu’offrent les sources artésiennes, sans réussir néanmoins à s’implanter durablement (Moehring et Green, 2005).

Une ville du chemin de fer

8Si ce sont les ressources en eau qui ont attiré les premiers pionniers dans la région, Las Vegas doit son acte de naissance officiel au chemin de fer : le premier moteur de croissance pour la ville est ainsi l’activité ferroviaire. Dans l’Ouest américain, le chemin de fer transcontinental joue un rôle essentiel dans l’évolution des mobilités intérieures et les nouvelles configurations spatiales. Son intérêt réside dans sa capacité à mettre en relation la puissance industrielle et les capitaux de l’Est avec les ressources minières et agricoles de l’Ouest, ce qui conduit à la naissance d’un marché national allant d’une côte à l’autre. Selon les historiens P. Jacquin et D. Royot (2002), les dons de terres faits aux compagnies de chemin de fer doivent être analysés à l’aune de cette nécessaire mise en relation. Signé en 1862, le Pacific Railroad Act est la première loi à mettre en place un système de dons fonciers systématiques aux compagnies de chemin de fer : pour un kilomètre de rail posé, les compagnies reçoivent du gouvernement fédéral vingt sections de terre, soit 1 640 hectares. Les divers dons, désignés sous le terme de Railroad Land Grants, représentent 90 millions d’hectares, contre seulement 24 millions distribués au nom du Homestead Act2. En une vingtaine d’années, les États-Unis comptent quatre réseaux transcontinentaux de chemins de fer, qui permettent d’articuler les pôles les plus dynamiques et les plus peuplés de l’Ouest non seulement entre eux, mais aussi avec le reste du pays. Le chemin de fer renforce aussi la puissance militaire américaine dans sa lutte contre les tribus amérindiennes en augmentant sensiblement les capacités de réaction de l’armée (Meinig, 1998). Chaque gare devient un noyau dur pour les campements et une base arrière pour les explorations minières et agricoles, réduisant d’autant les territoires sous contrôle indien.

9Dès le début du xx^e siècle, pour répondre à la croissance économique du sud de la Californie, l’axe commercial Los Angeles/Salt Lake City/Chicago/New York attire toutes les convoitises. Le magnat du cuivre William Andrews Clark, originaire du Montana, prend le premier conscience dans les années 1880 de la localisation stratégique du bassin de Las Vegas. Campement de quelques dizaines d’hommes à peine, situé à mi-chemin entre Salt Lake City et Los Angeles, Las Vegas s’impose comme une étape stratégique où hommes et machines peuvent se reposer et être alimentés en eau. W. Clark, qui donnera plus tard son nom au comté, rachète des terres dans le bassin pour y construire la voie ferrée San Pedro, Los Angeles et Salt Lake Railroad, achevée le 30 janvier 1905. Une ébauche de bourg se dessine alors autour de la gare de Las Vegas. Annoncée par voie de presse dans tout le pays, le 15 mai 1905 est organisée par la compagnie de chemin de fer de W. Clark une grande mise aux enchères : 110 acres de terrain (44,5 hectares), rassemblant 1 200 parcelles de terre, aux prix très attractifs de 100 à 300 dollars, sont mises en vente. La vente est un incontestable succès, et elle est considérée comme l’acte de naissance officiel de Las Vegas, attirant aussi bien des colons, que des spéculateurs de la côte est flairant une bonne affaire. Les parcelles mises en vente dessinent la trame viaire du cœur historique de City of Las Vegas, encore visible aujourd’hui.

Carte 3 : Site originel de City of Las Vegas.

10Outre la croissance directement liée aux liaisons Los Angeles/Salt Lake City, Las Vegas bénéficie de la décision de W. Clark d’investir dans des dessertes locales vers les différentes villes minières du sud du Nevada. Le bourg devient ainsi une zone de transit pour le bois de construction, l’acier, la nourriture et toutes les provisions nécessaires à l’approvisionnement des différents camps miniers de la région (Moehring, 2000). Las Vegas se développe autour de l’activité ferroviaire à tel point qu’à cette époque on peut parler de company town, ou ville d’entreprise au sens large. La compagnie de chemin de fer est de loin le plus important employeur de la ville et assure le logement d’une partie de ses employés. Plus encore, c’est une filiale de la compagnie qui régit la plus grande richesse du bassin : l’approvisionnement en eau.

11La croissance économique et démographique de Las Vegas est reconnue par la création de nouvelles mailles territoriales. La législature du Nevada crée le comté de Clark, dans lequel se situe Las Vegas, le 1^er juillet 1909. Le 16 mars 1911, City of Las Vegas est incorporée, c’est-à-dire que la ville change de statut et se dote d’un maire et d’un gouvernement élu. Elle devient à cette occasion le siège du comté. À l’origine petit bourg rural de quelque 800 habitants, il prospère et sa population augmente régulièrement tout au long des années 1910 et 1920 grâce à l’attraction du chemin de fer et des prix bas des terrains. De nombreux petits ranchs et fermes viennent parsemer la région.

12City of Las Vegas demeure toutefois une petite bourgade dont l’économie reflète assez bien les faibles opportunités économiques du Nevada. Cet État ne dispose que de peu de richesses naturelles : ses ressources agricoles sont quasi nulles en raison de sols pauvres, de conditions climatiques arides, voire désertiques, et de la présence de chaînes montagneuses. L’économie de l’État s’appuie alors sur deux piliers : l’élevage extensif et l’extraction minière, même si les gisements d’argent se sont vite épuisés. L’importance du chemin de fer diminue progressivement dans les années 1920 avec l’avènement de l’automobile, la crise économique qui marque la fin de la Première Guerre mondiale et le rachat du San Pedro, Los Angeles et Salt Lake Railroad par une compagnie d’envergure nationale, Union Pacific, qui met fin au paternalisme de W. Clark. À cela s’ajoute une image négative dans l’opinion commune américaine de « décharge torride » (Moehring, 2004) largement diffusée dans la presse populaire de la côte est.

La « gâchette fédérale » (federal trigger)

13La croissance de Las Vegas s’accélère dans les années 1930 grâce à l’intervention de l’État fédéral. La « gâchette fédérale » selon le mot de l’historien E. Moehring (2000) a permis à City of Las Vegas de non seulement ne pas trop souffrir de la Grande Dépression, à la suite du krach boursier de 1929, mais d’en tirer de nombreux bénéfices. La mise en évidence du rôle joué par le gouvernement fédéral dans l’essor de Las Vegas au sortir de la Première Guerre mondiale contredit l’idée communément admise, et au cœur de l’idéologie libertarienne prônant l’individualisme, que l’Ouest américain s’est fait « tout seul » et révèle l’intervention directe de l’État dans le développement de cette région.

14Le Nevada ne dispose que d’une seule véritable richesse stratégique : il constitue une porte d’accès à la Californie. C’est grâce à cette proximité avec Los Angeles et le fleuve Colorado que le bassin de Las Vegas voit son avenir définitivement assuré : dans le cadre de la politique interventionniste du New Deal, le président Franklin D. Roosevelt annonce la construction du plus grand barrage de l’époque (cf. carte 4).

15Le barrage Boulder, renommé barrage Hoover en 1947, est construit entre 1931 et 1935 à quelque 50 km au sud-est de City of Las Vegas. Il incarne la domestication des contraintes naturelles et exploite toutes les prouesses techniques de l’époque, en plus de fournir l’eau et l’électricité qui vont permettre l’essor urbain du bassin. Grâce au Lac Mead, son lac de retenue de 45 milliards de mètres cubes, le barrage Hoover fournit non seulement une source d’eau fiable pour différents États de l’Ouest, et en premier lieu la Californie, mais met également un terme à des inondations annuelles du Colorado souvent dévastatrices. Des milliers d’ouvriers viennent dans la région pour la construction du barrage, travaillant sur les chantiers le jour, et fréquentant les bars et autres attractions nocturnes de City of Las Vegas en fin de semaine. Une fois le barrage achevé, les ouvriers sont peu à peu remplacés par des touristes, curieux de découvrir cette merveille de technologie.

Carte 4 : Une situation stratégique entre le fleuve Colorado et la métropole de Los Angeles.

16L’intervention de l’État fédéral ne se limite pas au financement du barrage Hoover. La Seconde Guerre mondiale scelle définitivement le destin du bassin de Las Vegas et ancre son développement économique et urbain. Véritable aubaine, la guerre augmente la demande en magnésium, utilisé pour fabriquer des balles, des bombes, des fusées éclairantes et même des pièces d’avion. Dès les années 1930, on envisage de construire une usine de transformation du magnésium dans le voisinage du barrage, en raison de son approvisionnement en eau et en électricité peu chères, et surtout de la présence de minerais, notamment de magnésium, dans le sous-sol du Nevada. En 1941 débute la construction d’une vaste usine de Basic Magnesium, Inc. (BMI), à environ 25 km à l’ouest du barrage. Le bassin est également retenu comme site d’entraînement de l’aviation militaire, pour qui la visibilité et le climat désertique constituent des conditions de vol particulièrement favorables. La Nellis Air Force Base est créée en 1941 pour accueillir une école d’artillerie et une base d’entraînement aérien, et représente encore aujourd’hui un des principaux lieux de formation et d’entraînement de l’aviation américaine (Parker et Feagin, 1991).

17La menace représentée par les Allemands est vite remplacée par celle des Soviétiques et le contexte de la guerre froide profite également au bassin. Le comté de Nye est choisi pour accueillir les tests nucléaires de l’armée américaine : il présente l’avantage d’être majoritairement désertique et d’être situé à 105 kilomètres au nord-ouest de City of Las Vegas, donc à proximité d’un pôle urbain capable d’héberger le personnel, militaire comme civil. De 1951 à 1992, 928 tests sont réalisés dans l’immense Nevada Test Site, d’une superficie de 3 500 km² (Moehring, 2000). L’activité nucléaire, sous contrôle du gouvernement fédéral, est un des principaux moteurs de croissance de l’aire urbaine naissante dans les années 1950-1960. C’est le début de la « Las Vegas nucléaire » : les explosions nucléaires deviennent la nouvelle attraction à la mode, et des soirées spéciales « champignon nucléaire » sont organisées dans les différents hôtels pour profiter du spectacle offert par les essais. The National Atomic Testing Museum, fondé en 2005, témoigne de cette période marquante de l’histoire végasienne.

Constitution des noyaux de peuplement originels

18Le foyer de peuplement originel du bassin de Las Vegas conduit à la fondation de la municipalité de City of Las Vegas en 1905 et à son incorporation officielle en 1911. Dans son sillage, plusieurs noyaux de peuplement se consolident dans le bassin, qui vont donner naissance aux différentes municipalités qui structurent aujourd’hui l’aire urbaine, par le bais de la procédure d’« incorporation municipale », détaillée dans l’encadré 2.

19Fremont Street s’impose comme l’artère principale de City of Las Vegas, desservant la gare à la jonction avec Main Street et canalisant l’essentiel de l’activité économique et de l’animation de la petite bourgade. Jusque dans les années 1940, City of Las Vegas se développe dans les limites des 110 acres mises aux enchères par W. Clark.

20Le deuxième noyau de population du bassin résulte de l’arrivée massive d’ouvriers pour la construction du barrage Hoover. À l’origine simple campement destiné à accueillir les employés du chantier, Boulder City se transforme rapidement en une véritable petite ville d’entreprise (company town), établie par le Bureau of Reclamation, organisme fédéral en charge des infrastructures hydrauliques, et l’entreprise Six Companies, Inc. La construction de l’autoroute Boulder Highway, reliant Boulder City à City of Las Vegas, permet aux ouvriers et premiers résidents de s’affranchir de la vie monotone et du contrôle permanent présent à Boulder City, caractéristiques de la ville d’entreprise (Moehring et Green, 2005). Elle permet aussi aux ouvriers de profiter de leur rare temps libre pour s’adonner aux joies des saloons et s’essayer aux tables de jeu des casinos de Fremont Street, plaisirs strictement interdits à Boulder City3. Au fil des années, le campement prend les allures d’une petite bourgade à part entière en se dotant d’une école, d’un poste de police, d’une poste et d’un cimetière. Le contrôle du gouvernement fédéral sur le bourg se maintient jusqu’à l’incorporation municipale officielle du 4 janvier 1960. Les premières décennies ont fortement marqué les mentalités des habitants, et encore aujourd’hui, Boulder City revendique son statut de petite ville rurale, cherchant à se démarquer du reste de l’aire urbaine végasienne par son refus de la croissance non maîtrisée et de l’étalement urbain.

21Seule véritable ville industrielle du sud du Nevada, Henderson doit son existence aux besoins militaires induits par la Seconde Guerre mondiale et à la construction dans les années 1940 de l’usine de Basic Magnesium, Inc. (BMI), dont le site se situe à mi-chemin entre Boulder City et City of Las Vegas, desservi par la Boulder Highway. Hormis cette avantageuse localisation, tout est à bâtir : le campement originel, Basic township, composé de tentes et d’abris de fortune, est progressivement remplacé par un embryon de bourg, avec toutes les commodités de l’époque. Les premiers habitants sont avant tout des ouvriers de l’usine (jusqu’à 13 000 au plus fort de la production), originaires de tous les États-Unis. Henderson adopte son nom définitif en 1944, en l’honneur de Charles B. Henderson, ancien sénateur du nord du Nevada et actif partisan de la construction de l’usine (City of Henderson, 2004). Après une décennie d’existence et la forte mobilisation des premiers habitants, la ville est officiellement incorporée le 16 avril 1953.

22Le dernier noyau de peuplement du bassin résulte de la volonté de l’entrepreneur Thomas Williams, attiré dans la région par les possibilités agricoles offertes par les sources artésiennes. T. Williams achète 65 hectares de terres au nord de City of Las Vegas en 1917, qu’il revend presque aussitôt à des bouilleurs de cru clandestins, peu enclins à respecter la Prohibition alors en vigueur (Moehring et Green, 2005), qui sont ainsi les premiers habitants de la future ville de North Las Vegas. La commune est incorporée en mai 1946, à la suite de la construction de plusieurs installations militaires au début des années 1940 : la base aérienne Nellis Air Force Base, un camp d’entraînement au tir (Air Gunnery School) et un aérodrome (Moehring, 2000).

23Ainsi, le bassin de Las Vegas voit l’incorporation de quatre municipalités dans la première moitié du xx^e siècle : City of Las Vegas, Boulder City, Henderson et North Las Vegas. Le reste du bassin relève de la juridiction du comté de Clark comme le détaille l’encadré 3.

Carte 5 : Carte administrative du bassin de Las Vegas.

24Six « villes non incorporées » du comté de Clark ont été créées au sein de l’aire urbaine végasienne : Whitney (1942), Paradise (1950), Winchester (1951), Sunrise Manor (1957), Spring Valley (1981), Enterprise (1996). Une seule « zone à comité consultatif » a été créée au sein de l’aire urbaine végasienne, à savoir Lone Mountain. Le bassin de Las Vegas rassemble ainsi quatre municipalités incorporées (City of Las Vegas, Boulder City, Henderson, North Las Vegas), six « villes non-incorporées », une « zone à comité consultatif » et enfin les territoires du comté non-incorporés (unincorporated Clark County). Parce que Boulder City4 se situe de l’autre côté des chaînes montagneuses McCullough et River Mountains, accessible via le col Railroad Pass, il est localement d’usage de ne pas l’inclure dans l’aire urbaine végasienne au sens strict.

25Le bassin de Las Vegas est ainsi intimement lié, outre la présence d’eau et sa localisation avantageuse de porte d’entrée de la Californie, aux diverses interventions fédérales qui sont à l’origine de son développement économique dans la première moitié du xx^e siècle. Toutefois, même si Las Vegas a d’abord été une ville ferroviaire et une « ville nucléaire » avant d’être une ville touristique, le jeu et le tourisme s’affirment comme les moteurs de l’explosion végasienne de la deuxième moitié du xx^e siècle.

Affirmation concomitante du tourisme de masse et d’une aire urbaine végasienne (années 1940-1980)

Une aire urbaine qui se structure autour des quartiers touristiques

26Alors que Las Vegas est souvent réduite au tourisme, cette activité n’occupe qu’une superficie très restreinte de l’aire urbaine (cf. chapitre iv), et se concentre dans deux quartiers, autour de Fremont Street d’une part et du Strip d’autre part, dont les temporalités témoignent des évolutions de l’offre touristique végasienne.

La spécialisation touristique de Fremont Street

27Dès la fondation de City of Las Vegas en 1905, Fremont Street s’impose comme l’artère principale qui canalise l’essentiel de l’activité, humaine et économique. Un an seulement après la vente aux enchères qui fonda la bourgade, est construit l’Hôtel Nevada5 au 1 Fremont Street, premier hôtel-casino de la ville, suivi par une dizaine d’établissements de part et d’autre de la rue dans les années 1910 et 1920. Le pavement d’une partie de Fremont Street dès 1925 (de Main jusqu’à 5^th Street, aujourd’hui Las Vegas Boulevard), ainsi que l’installation de l’éclairage public en 1931, indique la grande fréquentation de la rue et son rôle central dans la croissance de la ville.

28Pendant les années 1930-1940, Fremont Street s’affirme comme un lieu d’innovation technique et le cœur de la vie sociale du bassin. En 1930, l’hôtel-casino Las Vegas Club est le premier à lancer un nouveau mode de publicité en illuminant sa façade à l’aide de néons. Profitant de l’électricité à très bon marché fournie par le barrage Hoover, les néons servent à attirer les automobilistes et deviennent progressivement l’image de marque des établissements de Fremont Street. Les lumières recouvrent les devantures et les toits ; des coupoles à l’angle des rues sont construites exprès pour pouvoir installer le maximum d’ampoules, si bien qu’un véritable cordon lumineux court tout le long de la rue. L’abondance de lumières vaut alors à Fremont Street le surnom de « ravin des paillettes » (Glitter Gulch). Les ensembles de néons sont toujours plus grands, toujours plus imaginatifs et installés toujours plus haut. « Vegas Vic » est un exemple parfait de cette course aux lumières, très prisée des touristes : construit en 1951 par le casino Pioneer Club, le cow-boy le plus célèbre de Las Vegas salue les visiteurs du haut de ses 12 mètres (cf. planche 9 du cahier couleur).

29L’attractivité de Fremont Street, et par extension du centre-ville historique de City of Las Vegas, est progressivement mise à mal par l’essor du Strip à partir des années 1940, qui conduit à un véritable déplacement du centre de gravité de l’aire urbaine en construction.

Naissance du Strip et déplacement du centre de gravité touristique

30Malgré des atouts indéniables, jusque dans les années 1940, City of Las Vegas demeure une simple ville étape sur des circuits touristiques à destination du barrage Hoover ou du Grand Canyon, et n’arrive pas à fixer les touristes de passage. C’est alors qu’en avril 1941, Thomas Hull, entrepreneur hôtelier californien, décide d’ouvrir un hôtel-casino, El Rancho, situé juste au sud des limites municipales de City of Las Vegas, le long de l’autoroute 91 sur le territoire du comté de Clark (Schwartz, 2003 ; Moehring, 2000). À première vue, une telle localisation peut surprendre : l’établissement El Rancho est éloigné du centre-ville de City of Las Vegas – 3 km au sud-ouest –, entouré de vastes étendues désertiques sans intérêt, le long d’une autoroute Los Angeles/Las Vegas encore peu fréquentée. Néanmoins, c’est cet éloignement de la ville qui est recherché par T. Hull : en construisant son hôtel en dehors des limites municipales, il bénéficie d’espace et de terrains à bas coût, tout en évitant les prélèvements fiscaux municipaux, la concurrence des établissements et des commerces de Fremont Street, et l’interférence des hommes politiques de City of Las Vegas dans ses affaires.

31L’éloignement du Nevada par rapport aux grandes villes présentent également un avantage pour les touristes qui viennent s’adonner légalement aux jeux d’argent, encore largement condamnés socialement jusque dans les années 1960-1970. Pour les clients, les casinos situés le long de l’autoroute 91 constituent un havre sécurisant pour fréquenter les tables de jeu, sans avoir à s’aventurer dans les quartiers dangereux des centres-villes, où se situent traditionnellement les cercles de jeux illégaux, et à l’écart de leur foyer, n’en menaçant par conséquent pas la tranquillité. Selon l’historien D. Schwartz (2003), le « confinement du jeu » en périphérie de la nation et de la ville de City of Las Vegas obéit à la même logique que l’essor des banlieues résidentielles à l’échelle du pays. On constate donc que, dès l’origine, ce qui va devenir le Strip s’est construit dans le rejet de la ville et de ses contraintes fiscales, ainsi que dans le refus de participer à la vie de la cité pour développer une vie parallèle, une expérience suburbaine.

32Les années 1940-1960 fixent les nœuds de peuplement de la vallée et marquent l’ébauche des axes de développement de l’aire urbaine naissante. Les établissements se multiplient le long de la portion de l’autoroute 91 qui traverse le bassin et qui s’appelle le Las Vegas Boulevard. En vingt ans, onze nouveaux hôtels-casinos6 viennent tenir compagnie au El Rancho, sur ce qu’on appelle désormais le « Strip », surnom d’une petite partie du Las Vegas Boulevard, délimitée au nord par Sahara Avenue et au sud par Russel Road. La construction de ces nouveaux complexes hôteliers attire dans son sillage un nombre grandissant de bâtisseurs, de propriétaires de magasins et d’autres hommes d’affaires qui privilégient les terrains désertiques à l’est du Las Vegas Boulevard, qui relèvent de l’autorité du comté de Clark. Ce dernier profite alors d’une augmentation significative de sa base fiscale, aux dépens de City of Las Vegas qui ne concentre plus les investissements à l’échelle du bassin. Malgré plusieurs tentatives d’annexion de la part de City of Las Vegas, le quartier du Strip continue à échapper au contrôle de la ville. Avec le soutien des propriétaires des casinos du Strip et des nouveaux habitants, le gouvernement du comté crée en 1950 et 1951 les « villes non incorporées » de Paradise7 et de Winchester (cf. supra), ce qui met définitivement un terme aux prétentions d’annexion de la part de City of Las Vegas. Jusqu’à aujourd’hui, le Strip, et les revenus issus du jeu qu’il dégage, constituent le fleuron du comté de Clark et cristallisent les rivalités politiques entre les autorités locales.

33Le rôle joué par la mafia dans la naissance du Strip, un des éléments forts de l’aura touristique de Las Vegas, est ici à préciser. Le crime organisé est indéniablement un acteur clé de l’essor du Las Vegas Boulevard. Des années 1940 aux années 1970, peu d’investisseurs étaient en effet prêts à courir le risque d’être associés à une activité moralement si décriée dans la société puritaine américaine de l’après-guerre, et toujours illégale en dehors du Nevada. Toutefois, les mafieux n’étaient pas les seuls à financer la construction des grands hôtels-casinos et ils s’appuyaient sur des personnalités locales extérieures au « milieu » (Moehring, 2000 ; Schwartz, 2003). La fin du règne de la mafia est annoncée par la Corporate Gaming Act votée par la législature du Nevada en 1967. Cette loi autorise pour la première fois les entreprises cotées en bourse à posséder un casino, en tant que personnes morales. Antérieurement, chaque actionnaire d’une entreprise devait faire l’objet d’une vérification de ses antécédents judiciaires, afin d’obtenir une licence de jeu, limitant de fait la possession des casinos à des personnes physiques. La Corporate Gaming Act marque ainsi la fin du règne des propriétaires individuels de casinos pour ouvrir la voie aux grandes firmes nationales, voire multinationales, de l’hôtellerie. Le secteur économique du jeu s’ouvre alors au monde du capitalisme, des actionnaires et des exigences de rentabilité trimestrielle. Aujourd’hui, l’emprise de la mafia est avant tout mise en scène pour alimenter des attractions touristiques8 et capitaliser sur la fascination apparemment éternelle pour les histoires de gangsters.

Essor économique et démographique des années 1960 aux années 1980

34Après la période de consolidation des années 1940-1950 et l’installation pérenne des nouveaux habitants, la croissance, économique et démographique, de l’aire urbaine végasienne s’accélère à partir des années 1960. L’ensemble de la région profite du boom de l’après-guerre. Le contexte de la guerre froide et les différentes interventions armées des États-Unis à l’étranger (guerres de Corée et du Vietnam notamment) participent du dynamisme de la Nellis Air Force Base et de l’usine BMI, qui alimentent le développement de North Las Vegas, Sunrise Manor et Henderson. Les hôtels-casinos de Las Vegas sont de plus en plus populaires, et de nouveaux établissements sont régulièrement construits, le long du Strip comme de Fremont Street, pour développer l’offre touristique. L’aire urbaine se dote de nouvelles infrastructures qui témoignent de son rayonnement grandissant, comme l’illustrent la construction du centre de congrès et de convention en 1959 et l’agrandissement et l’ouverture à l’international de l’aéroport McCarran en 1968.

35Les années 1960-1970, époque de la voiture reine, sont marquées par l’urbanisme automobile et par la démocratisation de la climatisation, qui a énormément amélioré la qualité de vie dans le désert. L’urbanisation du bassin est conforme aux tendances nationales qui font des banlieues (suburbs) le cadre de vie préféré des Américains (Jackson, 1985 ; Fishman, 1987 ; Hayden, 2003). Tout comme les habitants, les bureaux et les commerces délaissent les centres-villes pour s’installer en périphérie, renforçant à leur tour les processus centrifuges d’extension urbaine. Alors que jusqu’alors la croissance démographique se concentrait dans les centres-villes historiques des différentes municipalités du bassin de Las Vegas, les années 1960 marquent ainsi une véritable rupture. Ce sont désormais des quartiers résidentiels périphériques, de plus en plus éloignés des cœurs historiques, qui sont plébiscités par les nouveaux habitants et qui polarisent les gains démographiques, principalement à l’est du Strip, car les terrains y sont plus facilement raccordables aux réseaux d’eau et d’électricité rayonnant depuis le barrage Hoover. En effet, alors que les premiers Végasiens comptaient uniquement sur les sources artésiennes et les nappes phréatiques pour leur approvisionnement en eau, la construction du barrage, suivie en 1942 de celle d’un aqueduc entre le lac Mead et Henderson, afin d’alimenter l’usine BMI, facilite fortement le développement urbain et sa dispersion dans l’ensemble du bassin. En 1971, dans le cadre du Southern Nevada Water Project, la quantité d’eau importée depuis le lac Mead est encore augmentée par la construction d’un second aqueduc, qui représente toujours aujourd’hui la principale alimentation en eau de l’aire urbaine (Pavelko et al., 1999).

36Les années 1970-1980 voient s’affirmer les deux piliers de l’économie végasienne : le tourisme, avec la croissance continue du Strip, et le secteur immobilier, dont l’importance grandissante fait écho à l’arrivée massive de nouveaux venus (cf. infra). Ces deux secteurs tirent la croissance économique végasienne, qui attire de nouvelles populations venant grossir l’aire urbaine. Les années 1980 sont alors caractérisées par la très grande popularité de développements résidentiels à la marge de l’aire urbanisée de l’époque, les master planned communities, dont la spécificité réside dans la superficie du projet et la réalisation en amont d’un plan directeur détaillé, le tout développé par un promoteur immobilier unique. Ces nouveaux produits immobiliers sont des vecteurs de croissance urbaine essentiels pour les périphéries urbaines comme les emblématiques lotissements de Summerlin à l’ouest de City of Las Vegas et Green Valley à Henderson (Schumacher, 2012).

L’avènement de la capitale mondiale du jeu à la croissance démographique inégalée

37À partir des années 1990, l’aire urbaine de Las Vegas connaît une croissance démographique et spatiale sans égal, conséquence directe de l’affirmation de Las Vegas en tant que « capitale mondiale du jeu ». L’aire urbaine accumule de nouveaux superlatifs et une pléthore de records à l’échelle de la nation tout entière. Au même titre que l’incontournable « Sin City », toute description de Las Vegas se doit désormais de mentionner son nouveau statut de « métropole à la plus rapide croissance des États-Unis » (fastest growing metropolis in the United States).

L’envolée du secteur touristique

38L’avènement du tourisme de masse et la banalisation de la pratique des jeux d’argent concourent à l’augmentation de la fréquentation touristique, avec des répercussions spatiales fortes dans le rapport de force entre Fremont Street et le Strip.

Strip versus Fremont Street

39Le quartier touristique du Strip tire sa force de sa constante capacité à se renouveler pour attirer toujours plus de visiteurs. La fin de la décennie 1980 marque ainsi un tournant fondamental dans la conception de l’offre touristique des hôtels-casinos, qui va permettre au Strip de définitivement s’imposer comme le cœur de l’activité touristique de Las Vegas. Avec la construction de l’hôtel-casino Mirage en 1989, le secteur touristique végasien change d’échelle en établissant le nouvel étalon du Strip : le mega resort ou complexe hôtelier intégré. Non seulement l’hôtel dépasse en taille, en nombre de chambres et en élégance de la décoration tous ses concurrents, mais il ouvre aussi l’ère de l’omniprésence du divertissement avec une pléiade d’attractions au sein même de l’établissement. Le Mirage combine ainsi des spectacles familiaux dans ses salles de spectacle intégrées (spectacles des magiciens Siegfried et Roy célèbres pour leurs tigres blancs, mini-zoo et spectacle de dauphins) avec des attractions gratuites, sur les trottoirs du Strip, destinés à attirer les piétons à l’intérieur du casino (reproduction d’une éruption volcanique). C’est à Steve Wynn, désormais l’un des plus importants acteurs du secteur touristique, que l’on doit cette « révolution Mirage » qui transforme radicalement le Strip en entraînant dans son sillage la construction de toute une série de mega resorts thématiques9, qui font exploser les capacités hôtelières et donc les besoins en main-d’œuvre.

40Les établissements de Fremont Street souffrent profondément des évolutions des hôtels-casinos du Strip, avec lesquels ils n’arrivent plus à rivaliser. Le modèle du mega resort n’est pas déclinable le long de Fremont Streeet, les parcelles étant beaucoup plus petites et insérées dans un tissu urbain déjà relativement dense. Pourtant, Fremont Street n’est pas dénué d’atouts : les casinos y sont plus petits, ce qui les rend à taille humaine, avec des tables de jeu plus accessibles financièrement grâce à des mises minimales plus basses, et des machines à sous plus « bienveillantes » avec une plus grande probabilité de gagner. Néanmoins, les investisseurs et multinationales de l’hôtellerie tendent à délaisser le quartier, incapable de reproduire la tendance dominante impulsée par le Strip. Dans les années 1990, les revenus des établissements de Fremont Street déclinent inexorablement et le Strip monopolise la fréquentation touristique.

41Les difficultés des casinos font écho au déclin progressif du centre-ville de City of Las Vegas, qui incarnait jusqu’aux années 1950-1960 le cœur commercial et des loisirs de l’aire urbaine. Pendant cet âge d’or, le centre-ville (downtown) était le lieu où aller faire ses courses dans les grands magasins les mieux dotés de la ville et Fremont Street, et ses casinos, l’endroit où se divertir au théâtre, au cinéma ou au restaurant. Avec l’essor du Strip et le développement de nouveaux lotissements en périphérie, de plus en plus éloignés de ce cœur historique, downtown City of Las Vegas perd de sa superbe et est progressivement abandonné par les habitants, les commerces et les pouvoirs publics. À l’instar de l’ensemble des centres-villes américains, le quartier est victime de la perte de sa domination économique sur l’ensemble de l’aire urbaine (Fogelson, 2001). La situation est d’autant plus exacerbée que, cas rare aux États-Unis, le centre-ville de City of Las Vegas est dépourvu de tours de bureau notables qui concentrent les fonctions de commandement économique, l’activité principale étant le secteur du jeu et du tourisme. Dans un contexte d’économie post-industrielle, la concurrence des centralités périphériques est de plus en plus forte : le centre-ville attire de moins en moins, le nombre d’emplois diminue et les acteurs économiques les plus importants tendent à se relocaliser en banlieue ou dans les communes périphériques.

Une destination touristique dominant le marché

42Indépendamment de la rivalité entre le Strip et Fremont Street, Las Vegas s’est incontestablement imposée comme la principale destination touristique spécialisée dans la pratique des jeux d’argent, à l’échelle nationale comme à l’échelle mondiale, se plaçant en tête de tous les classements. Mesurée depuis 1970 par la Las Vegas Convention and Visitors Authority (LVCVA), agence de promotion touristique, la fréquentation touristique végasienne n’a cessé d’augmenter, suivie de près par l’augmentation constante du nombre de chambres proposées aux touristes, ce que représente le graphique 1. Au début du xxi^e siècle, Las Vegas est sans conteste « la capitale mondiale du jeu » et peut se targuer d’être l’une des principales destinations touristiques du monde, ne serait-ce qu’en termes de capacité hôtelière. L’aire urbaine compte le plus grand nombre d’hôtels-casinos au monde (75 en 2014) et 13 des 20 plus grands hôtels en termes de chambres10, dont le MGM Grand qui, avec 6 852 chambres, est le plus grand hôtel du monde.

43La fréquentation touristique végasienne a ainsi été multipliée par plus de 6 en 45 ans, passant de 6,7 millions de visiteurs en 1970 à plus de 43,2 millions en 2015, chiffre record. Le graphique 2, représentant les taux de croissance annuelle de la fréquentation touristique, indique la stabilité de l’essor du tourisme. Les rares infléchissements à cette tendance correspondent à des situations nationales, économiques ou politiques, défavorables : la croissance négative du début des années 1980 peut être associée aux difficultés liées aux chocs pétroliers, et celle du début des années 2000 est une conséquence directe des attentats du 11 septembre 2001. La diffusion de la crise immobilière, financière puis économique de 2007-2008, explique la forte diminution de la fréquentation touristique entre 2008 et 2009. Néanmoins, on observe depuis 2010 une reprise de l’activité touristique et une augmentation régulière du nombre de visiteurs. Ainsi, le record de fréquentation de 2007 a été battu en 2012 avec un total de 39,7 millions de visiteurs.

Graphique 1 : Évolution de la fréquentation touristique et des capacités hôtelières à Las Vegas (1970-2016).

Source : LVCVA, 2016.

Graphique 2 : Taux de croissance de la fréquentation touristique végasienne (1970-2016).

Source : Calculs personnels d’après LVCVA, 2016.

44Les très bons taux d’occupation moyenne des hôtels indiquent que l’explosion du nombre de chambres n’a pas inondé le marché et a su répondre à l’augmentation de la fréquentation touristique : dans les années 1990, l’occupation moyenne se stabilise autour des 90 % de remplissage, notamment grâce à l’organisation régulière de congrès et conventions. La ville a en effet diversifié son offre hôtelière en se positionnant comme leadeur de ce marché : en 2015, l’aire urbaine végasienne a accueilli plus de 21 000 conventions, rassemblant plus de 5,8 millions de personnes11 (LVCVA, 2015b). La force de Las Vegas en la matière repose sur la multiplicité de lieux disponibles pour l’organisation de tels événements : non seulement le palais des congrès (Las Vegas Convention Center) est le 3^e plus grand des États-Unis en terme de superficie, mais en plus tous les hôtels-casinos disposent de salles polyvalentes utilisées notamment pour la tenue de congrès en tous genres. À lui seul, l’hôtel-casino The Venetian propose 12 hectares d’espaces d’exposition, ce qui le classe au 5^e rang national.

Tableau 7 : Classement des 5 plus grands centres de congrès des États-Unis (2015).

Source : Trade Show Executive.

45Le dynamisme du secteur touristique se traduit également par l’accroissement considérable des revenus liés au jeu. À eux seuls, les établissements du Strip ont dégagé 6,3 milliards de dollars en 2015, soit 65 % des revenus du secteur à l’échelle du comté, dépassant largement les 541 millions de dollars des hôtels-casinos de Fremont Street (Nevada Gaming Control Board, 2015). Le secteur du jeu a néanmoins souffert de la crise économique avec des profits en baisse qui, contrairement au nombre de visiteurs, n’ont pas encore renoué avec les chiffres d’avant la crise : les revenus du jeu s’élèvent à 9,6 milliards de dollars en 2015 pour l’ensemble du comté de Clark, alors qu’ils avaient atteint la somme record de 10,8 milliards de dollars en 2007. Les 36 casinos de Macao, en Chine, seule véritable concurrente de Las Vegas, ont dégagé quant à eux près de 44 milliards de dollars en 201412.

Une explosion démographique au profit du comté

46Dans le sillage de l’essor des quartiers touristiques, le bassin de Las Vegas attire de plus en plus de nouveaux habitants. Dans la première moitié du xx^e siècle, c’est la municipalité de City of Las Vegas qui concentre l’essentiel de la croissance démographique, concentrant à elle seule entre 50 et 60 % de la population totale du comté. Dans les années 1960 s’observe un tournant : la majorité de la croissance démographique s’opère désormais au sein du comté de Clark, reflétant en cela le dynamisme des développements résidentiels dans les territoires non-incorporés du comté. Le tableau 8 illustre ces effets de concentration de croissance démographique sur l’ensemble du xx^e siècle.

Tableau 8 : Croissance démographique du comté de Clark et de City of Las Vegas (1911-2015).

Source : US Census.

47La croissance démographique du comté de Clark dans son ensemble, et plus spécifiquement de l’aire urbaine végasienne, se caractérise par sa rapidité : alors que le comté était presque désert au début du xx^e siècle, sa population est multipliée par près de 5 en seulement 30 ans (1911-1940). On observe une accélération au milieu du siècle, quand la population du comté est multipliée par 3 en seulement 10 ans (1940-1950), puis une augmentation continue et soutenue jusque dans les années 2000.

48Illustration de cette croissance démographique, l’aire urbaine végasienne est reconnue par le Bureau du recensement américain à partir du recensement 1960, date à laquelle elle acquiert le statut d’aire métropolitaine, en dépassant le seuil des 50 000 habitants. Selon la nomenclature officielle du recensement, les Aires statistiques métropolitaines (Metropolitan Statistical Areas) sont constituées d’un noyau urbain, à savoir une commune-centre d’au moins 50 000 habitants, et des municipalités situées dans le(s) comté(s) limitrophe(s) témoignant d’un degré élevé d’intégration sociale et économique avec le noyau, intégration mesurée par les liens de navetteurs13. L’Aire statistique métropolitaine de Las Vegas-Henderson-Paradise14 est ainsi définie à partir de la commune-centre de City of Las Vegas, et englobe les différentes entités territoriales du comté de Clark, à savoir les municipalités (North Las Vegas, Henderson, Boulder City, Mesquite, Laughlin et Moapa Valley) et les territoires non-incorporés du comté de Clark.

Carte 6 : L’Aire statistique métropolitaine de Las Vegas-Henderson-Paradise.

49C’est dans les années 1990-2000 que se produit l’explosion démographique qui a fait de l’aire urbaine végasienne la « métropole à la plus rapide croissance des États-Unis » (the fastest growing metropolis in the United States). Ainsi, entre 1990 et 2000, la MSA de Las Vegas-Henderson-Paradise connaît la plus forte croissance démographique de toutes les aires métropolitaines américaines avec une croissance de 83,3 % (Perry et Mackun, 2001). Pendant la décennie suivante, le dynamisme démographique de Las Vegas-Paradise continue, l’aire urbaine se classant cette fois troisième15, avec une croissance de 41,8 % (Mackun et Wilson, 2011). Il aura fallu 90 ans pour que l’aire urbaine de Las Vegas atteigne le million d’habitants (en 1994), mais 15 ans à peine pour flirter avec les deux millions d’habitants. L’explosion démographique a permis à l’aire urbaine végasienne de grimper dans les classements : avec 2 114 801 habitants en 2015, l’Aire statistique métropolitaine de Las Vegas-Henderson-Paradise se classe au 30^e rang des aires urbaines les plus peuplées des États-Unis.

50Une analyse plus fine permet d’identifier les trajectoires différentes des entités territoriales composant l’aire urbaine végasienne, la croissance démographique n’ayant pas touché de la même manière les différentes municipalités du bassin de Las Vegas. Si City of Las Vegas demeure la municipalité la plus peuplée de l’aire urbaine, son attractivité se tasse à partir des années 1980 au profit des municipalités de North Las Vegas et d’Henderson qui concentrent la croissance démographique des années 1990-2000, ce qui s’explique par le grand nombre de lotissements résidentiels qui y sont alors construits. À la fin 2007-début 2008, la crise immobilière des prêts hypothécaires à risques (subprimes) a entraîné un coup d’arrêt particulièrement brutal de la croissance démographique, avec pour la première fois depuis vingt ans des taux négatifs. L’aire urbaine de Las Vegas a été parmi les agglomérations américaines les plus durement et les plus profondément touchées par cette crise, au point de gagner le titre peu enviable de « capitale des saisies immobilières » ou « foreclosure capital » (Green, 2011b).

51En dépit du ralentissement de la croissance démographique, City of Las Vegas, Henderson et North Las Vegas s’imposent comme les trois villes les plus peuplées du Nevada, devant Reno située au nord de l’État. Toutefois, la majorité de la population de l’aire urbaine végasienne réside en dehors de ces municipalités, dans le territoire non-incorporé du comté de Clark, comme le représente le tableau 916.

52L’attractivité du comté de Clark s’explique essentiellement par un facteur financier : les habitants du comté paient moins de taxes et d’impôts locaux que ceux résidant dans une municipalité. Grâce aux revenus générés par les hôtels-casinos du Strip, le comté de Clark peut en effet se targuer d’une fiscalité locale plus faible qu’au sein des municipalités. Par exemple, en 2003, pour un résident de la « ville non incorporée » de Paradise, l’impôt foncier était calculé sur une base de 2,8966 dollars par tranche de 100 dollars d’estimation des biens fonciers (assessed valuation), alors que pour un résident de la municipalité de City of Las Vegas, la base était de 3,2514 dollars (Kanigher, 2003). Pour une habitation estimée à 100 000 dollars, un habitant de Paradise devait donc payer un impôt foncier de 1 014 dollars, contre 1 138 dollars pour un habitant de City of Las Vegas, soit une économie de 124,18 dollars (idem). Le comté insiste sur l’argument fiscal, présenté comme le gage d’une plus grande liberté d’entreprendre, pour attirer de nouvelles populations et des investisseurs, objets de rivalités récurrentes avec les municipalités de l’aire urbaine.

Tableau 9 : Répartition de la population au sein de l’aire urbaine végasienne.

Source : Clark County, 2015.

53Le comté et les municipalités s’opposent également du point de vue de leurs orientations politiques. Schématiquement, les municipalités sont perçues comme exerçant un contrôle plus strict sur le zonage et l’aménagement du territoire, ce qui est souvent présenté comme une illustration de la régulation trop importante de la vie quotidienne par les pouvoirs publics dans la lignée des courants de pensée libertariens très présents dans l’Ouest américain (Caré 2009, 2010). À l’inverse, le faible investissement du comté, en termes de dépenses et de services publics, est valorisé.

54Les habitants du territoire non incorporé du comté de Clark se démarquent enfin des habitants des municipalités en ce qu’ils n’ont pas à payer pour des quartiers historiques dégradés ou des quartiers populaires situés à proximité d’industries peu attractives. En effet, les habitants du comté résident en grande majorité dans un environnement périurbain éloigné des problématiques de renouvellement urbain et de solidarité sociale. Dans le cas des communautés fermées, une partie des services urbains est même directement assurée par des groupes privés, ce qui rend redondants ceux proposés par les autorités locales. Il est ainsi possible de voir dans la préférence pour le territoire non incorporé du comté un refus de payer pour les autres, ce qui matérialiserait une distinction entre « intérêts périurbains » et intérêts urbains (Gottdiener, Collins et Dickens, 1999).

Un dynamisme qui s’inscrit dans un contexte régional attractif

55Replacée dans son contexte régional de l’Ouest américain, la croissance démographique de l’aire urbaine végasienne est loin d’être une exception. Elle illustre parfaitement la reconfiguration à l’échelle des États-Unis de l’attractivité régionale : les métropoles du Nord-Est et du Midwest expérimentent une stagnation, voire un déclin démographique, au profit de celles du Sud et de l’Ouest qui attirent de plus en plus de nouveaux habitants (Frey, 2012). L’essor démographique de l’aire urbaine végasienne s’inscrit ainsi dans une dynamique globale de forte croissance des métropoles de l’Ouest américain, et dans une moindre mesure du sud du pays, qui ont gagné en attractivité au tournant du xx^e siècle, à la suite du développement de l’industrie de la défense et des nombreux investissements fédéraux, notamment en matière d’infrastructures autoroutières (Federal-Aid Highway Act, 1956), destinés à renforcer l’accessibilité des sites militaires ou à augmenter la production d’énergie.

56À l’échelle locale, ce sont les municipalités en périphérie des villes-centres qui ont le plus bénéficié de ce gain d’attractivité, comme le démontrent les travaux de R. Lang et J. LeFurgy (2007). À partir des données du recensement de 2000, ces chercheurs ont mis en évidence l’affirmation de centralités périphériques qui concentrent l’essentiel de la croissance démographique, ce qui leur vaut d’être qualifiées de « boomburbs », un mot-valise issu de « booming suburbs ». Les boomburbs désignent plus précisément des municipalités de banlieues en plein essor démographique, qui seraient caractéristiques des tendances contemporaines de l’urbanisation américaine, et définies d’après les critères suivants :

57« Les boomburbs sont définies comme ayant plus de 100 000 résidents, comme n’étant pas la ville-centre de leur région, et comme ayant maintenu des taux de croissance démographique à deux chiffres à chaque recensement depuis 1970. Les boomburbs sont incorporées et sont réparties dans les cinquante plus grandes aires statistiques métropolitaines de la nation du recensement de 200017 » (Lang et LeFurgy, 2007, p. 6).

58Selon les calculs de R. Lang et J. LeFurgy, les municipalités de Henderson et de North Las Vegas ont enregistré des taux de croissance de respectivement 969,7 et de 218,9 % entre 1970 et 2000 (idem, p. 40), ce qui en fait deux des 54 boomburbs identifiées par les deux auteurs, et cartographiées sur la carte 7. La concentration du phénomène dans l’ouest du pays est remarquable, puisque 41 boomburbs sont situées dans des aires urbaines de l’Ouest, et près de la moitié dans le seul État de Californie (26).

Carte 7 : Localisation des boomburbs à l’échelle des États-Unis.

Source : D’après Lang et Lefurgy, 2007, p. 6.

59Aux impulsions liées aux industries de la défense s’ajoutent les transformations de la sphère productive américaine. La deuxième moitié du xx^e siècle est en effet marquée par un affaiblissement de la production industrielle au profit du secteur tertiaire, beaucoup plus libre en matière de localisation géographique. Les villes de l’Ouest sont donc globalement des villes à l’économie post-industrielle qui ont su mettre en avant leurs avantages comparatifs en matière de coûts de la vie, d’aménités paysagères et surtout climatiques. C’est là le troisième grand facteur qui explique l’attractivité des villes de l’Ouest : la qualité de vie. Dans une économie de services, la qualité de vie attire autant que les emplois. Les nouveaux habitants sont initialement attirés par un climat agréable ou un environnement de qualité et, par un effet boule de neige, participent à renforcer le domaine de l’emploi (Travis, 2007). Dans ce contexte, deux principaux types de flux migratoires sont observés : des migrations de travail à destination des villes de l’Ouest dans l’espoir d’une réussite professionnelle et économique, et des migrations de retraités qui quittent le Nord-Est et le Midwest pour le soleil et la chaleur du Sud-Ouest (Californie, Nevada, Arizona notamment) ou pour les paysages grandioses des Rocheuses. L’aire urbaine végasienne a donc su capitaliser à la fois sur les investissements fédéraux de la deuxième moitié du xx^e siècle et sur ses aménités paysagères et climatiques18.

Portrait de l’aire urbaine végasienne dans les années 2010

Une diversification économique impulsée par le dynamisme touristique

60Incontestablement, le secteur du tourisme constitue le principal secteur économique de l’aire urbaine végasienne, et du Nevada dans son ensemble, que ce soit en termes d’emplois ou en termes de revenus bruts. En 2014, le secteur « Arts, divertissement et loisirs, hébergement et restauration », selon la terminologie du Bureau du recensement, emploie 29,7 % de la population active, soit 268 262 personnes. La MSA Las Vegas – Henderson – Paradise est ainsi la plus tournée vers le secteur touristique des aires urbaines américaines, devançant Orlando (17,2 % de la population active) et Honolulu (14,6 %). De plus, une partie des travailleurs recensés dans le secteur d’activité de vente de détail est directement imputable au tourisme puisque de nombreux centres commerciaux et boutiques parsèment les quartiers touristiques et les casinos. Ainsi, d’après l’agence de promotion touristique LVCVA, en 2014, 366 400 emplois dépendent du secteur touristique, soit 43 % de la population active. Les groupes hôteliers, dont les besoins de main-d’œuvre sont rythmés par les agrandissements et l’ouverture de nouveaux établissements, s’imposent parmi les plus gros employeurs de l’aire urbaine, à l’instar du MGM Resorts International en tête des classements avec à lui seul plus de 56 000 employés, ou le groupe Caesars Entertainment, à la 3^e place avec 26 600 employés en 201519. Selon les estimations du service démographique de l’État du Nevada, chaque nouvelle chambre d’hôtel nécessite la création d’1,5 emploi direct, ainsi qu’un emploi indirect, tels que des enseignants, des vendeurs, des médecins… (cité dans Rowley, 2013, p. 105).

61Les opportunités d’emploi dans le secteur touristique au sens large constituent le principal facteur d’explication de l’attractivité de Las Vegas à la fin du xx^e siècle. Il est ainsi devenu de notoriété publique à Las Vegas que l’aire urbaine a accueilli jusqu’à 6 000 nouveaux habitants par mois au plus fort des années 1990 (Egan, 2001), soit un rythme d’un nouvel habitant toutes les neuf minutes (McKinnon, 1998). Record absolu, en juillet 2004, 8 889 demandes de permis de conduire ont été faites auprès du service des immatriculations (Department of Motor Vehicles – DMV) : à ces détenteurs du permis de conduire, en règle sur le plan administratif20, il faut ajouter les conjoints qui n’auraient pas de permis et les enfants, ce qui augmente d’autant le nombre de nouveaux venus (Guerrero, 2010). Ces chiffres impressionnants sont toutefois à relativiser, car ces arrivées massives de nouveaux habitants sont à mettre en regard avec un nombre de départs conséquent mais difficile à évaluer avec précision, sans lesquels l’aire urbaine végasienne aurait connu une augmentation démographique encore plus importante.

62Il faut dès lors loger tous ces nouveaux venus : le boom immobilier végasien est d’autant plus important que les autorités locales n’imposent que peu de contraintes en matière de prérequis administratifs et de localisation des développements résidentiels. Les secteurs du bâtiment et de l’immobilier s’imposent alors comme le deuxième employeur de l’aire urbaine. Le tableau 10, détaillant la composition de la population active végasienne, témoigne de la diversification de l’économie locale, qui s’approche des moyennes nationales pour l’ensemble des secteurs d’activité, à l’exception du domaine de l’industrie, relativement peu développé.

Tableau 10 : Répartition de la population active selon les secteurs d’activité (2014).

Source : US Census.

63Il s’est ainsi mis en place un cercle vertueux (ou vicieux pour les partisans d’une croissance contrôlée), un effet ricochet pour l’ensemble de l’aire urbaine : les nouveaux employés du secteur touristique viennent avec leur compagne ou compagnon, avec leurs enfants, et avec leurs besoins en matière de services, de médecine, d’éducation, de loisirs… Le climat de croissance généralisée est favorable également à toute une série d’entrepreneurs et de commerçants misant sur les nouveaux marchés végasiens à conquérir. L’installation dans l’aire urbaine végasienne est d’autant plus attractive qu’outre les perspectives d’emploi, le coût de la vie est relativement bas par rapport aux États voisins de l’Ouest, et notamment la Californie, tout en offrant un mode de vie similaire. Détaillé dans le tableau 11, l’index du coût de la vie ACCRA21 mesure de façon relative les prix des biens de consommation et des services dans une sélection d’aires urbaines. L’index est calculé sur un indice base 100 : les chiffres inférieurs à 100 indiquent un coût de la vie inférieur à la moyenne, les chiffres supérieurs à 100 un coût supérieur ; et l’index synthétique cumule les différents aspects analysés.

Tableau 11 : Comparaison du coût de la vie dans l’Ouest américain (index ACCRA, 2015).

Source : LVGEA, 2015, p. 28.

64Le tableau 11 illustre bien l’avantage comparatif de Las Vegas en termes de coûts de l’immobilier, bien meilleur marché que ceux de la Californie. Un Californien, en se « relocalisant » (relocating) dans le bassin de Las Vegas, peut ainsi habiter la même maison pour moins cher ou alors acheter une plus grande maison pour le même prix, ce qui explique que l’État voisin fournit le premier contingent des nouveaux habitants de l’aire urbaine de Las Vegas, jusqu’à plus de 35 % des nouveaux habitants en 2008 (Applied Analysis, 2008) et 33,1 % en 2014 (LVGEA, 2015, p. 5). En guise d’argument final, l’État du Nevada dispose d’un système fiscal très attirant : absence d’impôts sur le revenu (pour les entreprises comme pour les particuliers), pas de droits de succession et de faibles impôts fonciers.

Profil socio-économique des Végasien.ne.s

65Qui décide alors de venir s’installer à Las Vegas ? Schématiquement, deux grandes catégories de personnes viennent alimenter la croissance démographique de l’aire urbaine de Las Vegas. Une première catégorie est composée de retraités, qui sont attirés dans le bassin par les aménités paysagères et climatiques de Las Vegas : ils représentent 14,9 % de la population de l’aire urbaine en 2015, et se caractérisent par des profils diversifiés, se répartissant sur l’ensemble des classes de revenus. La deuxième catégorie est la plus importante en nombre et en influence sur les évolutions contemporaines de l’aire urbaine. Las Vegas attire des actifs qui cherchent à profiter de la manne touristique et du contexte de croissance généralisée. Ces derniers occupent principalement des emplois faiblement qualifiés, mais qui peuvent bénéficier de bonnes rémunérations grâce à la générosité des pourboires (parfois directement donnés sous forme de jetons). Ainsi, il était possible, avant la crise de 2007-2008, d’accéder au niveau de vie des classes moyennes avec un emploi de serveur ou de voiturier dans un grand établissement hôtelier du Strip. La figure du voiturier (valet) est plus particulièrement devenue emblématique de la réussite offerte par Las Vegas, à tel point qu’elle s’est imposée comme l’un des mythes végasiens. La presse locale s’est d’ailleurs intéressée à la véracité du mythe du « voiturier [au salaire] à six chiffres » (six-figure valet) :

66« Vous entendez la rumeur dès que vous arrivez en ville : “Les voituriers peuvent se faire [des salaires] à six chiffres – juste en garant des voitures.” […] On affirme régulièrement que les voituriers peuvent gagner 100 000 dollars par an. Principalement exemptés d’impôt. Pour garer des voitures22 » (Allen, 2006b).

67Gagner 100 000 dollars par an correspond à un salaire mensuel de plus de 6 000 euros, soit bien assez pour acheter une, voire deux voitures, ainsi qu’une maison d’une taille conséquente, et assez pour payer des études universitaires à ses enfants. Dit autrement, derrière ce salaire se profile le rêve d’ascension sociale pour accéder à la classe moyenne avec un niveau de qualification initial quasiment nul. Cette arrière-pensée explique la diffusion massive du mythe du voiturier dans l’opinion commune locale, voire nationale : à Las Vegas, en garant des voitures, on peut accéder au rêve américain. Même si le journaliste souligne que, dans les faits, personne ne connaît de tel voiturier, il estime le salaire moyen pour ce type d’activité à environ 60 000 dollars au milieu des années 2000, soit pour un responsable syndical « l’un des meilleurs boulots de la classe moyenne » (Allen, 2006b), et plus que le revenu médian par foyer dans la MSA de Las Vegas-Henderson-Paradise, qui était de 50 274 dollars en 2014 (LVGEA, 2015, p. 4). Le même constat peut être fait pour de nombreux emplois du secteur touristique comme les serveuses et les portiers (bellmen), à tel point que selon l’historien H. Rothman (2003) Las Vegas serait « la dernière Detroit ». Selon lui, la transition d’une économie industrielle à une économie post-industrielle tournée vers le tertiaire marque la fin du « rêve américain d’antan » pour des ouvriers qui espéraient s’élever socialement, et qui s’incarnait notamment dans de grandes villes comme Detroit. Grâce à sa spécialisation touristique, Las Vegas serait dès lors :

68« Le dernier endroit dans la société américaine où les travailleurs non qualifiés et semi-qualifiés peuvent gagner un salaire de classe moyenne et créer à partir de ces dollars la prospérité qui était autrefois le symbole de la classe ouvrière syndiquée américaine23 » (Rothman, 2003, p. 63).

69L’aire urbaine végasienne se caractérise ainsi par une population ayant un faible niveau d’éducation dans son ensemble, bien en deçà de la moyenne des aires urbaines américaines. Elle se situe en effet en bas du classement des Aires statistiques métropolitaines en termes de niveaux d’éducation de la population âgée de 25 ans et plus : en 2014, avec 30 % de diplômés universitaires, elle occupe l’avant-dernier quintile (268^e sur 381 MSA considérées), et avec 15 % de la population sans aucun diplôme scolaire, elle se place à l’inverse dans le premier quintile (74^e sur 381)24.

70Si l’aire urbaine a attiré beaucoup d’employés issus des classes populaires, elle n’est pas pour autant dépourvue de foyers aisés, voire très aisés. La carte des revenus annuels médians par foyer en 2010 (cf. planche 10 du cahier couleur) représente les fortes disparités de revenus observables à l’échelle de l’aire urbaine, et qui témoignent d’importants contrastes géographiques entre ménages aisés et populaires. Les quartiers résidentiels aux marges de l’aire urbaine, sur les piémonts montagneux délimitant le bassin de Las Vegas, sont plébiscités par les foyers aux revenus élevés et très élevés, comme l’indiquent les tons orangés et rouge, représentant des revenus annuels médians de plus de 100 000 dollars, soit 17,5 % de la population totale de l’aire urbaine (LVGEA, 2015). À l’inverse, les foyers aux revenus les plus modérés, représentés par des tons bleus, se concentrent au centre géographique de l’aire urbaine, plus précisément dans les quartiers des centres-villes des municipalités de City of Las Vegas, North Las Vegas et Henderson. En 2014, 15,7 % de la population de l’aire urbaine sont considérés sous le seuil de pauvreté défini par le gouvernement fédéral, fixé la même année à un revenu annuel de 11 880 dollars pour une personne seule ; il évolue en fonction du nombre de personnes constituant le foyer, représentant par exemple un revenu annuel de 24 300 dollars pour un foyer de quatre personnes.

71Sur le plan ethno-racial, le bassin de Las Vegas a longtemps été majoritairement occupé par des populations blanches. En effet, dès la fondation de City of Las Vegas, les ouvriers noirs, qui travaillaient sur les chantiers de chemin de fer puis à la construction du barrage Hoover, ont été victimes d’une forte ségrégation raciale, ce qui a valu à Las Vegas le surnom de « Mississippi de l’Ouest » (Moehring, 2000). La population noire a ainsi été obligée de résider dans le quartier de West Las Vegas (ou Westside), à l’ouest du centre-ville historique de City of Las Vegas et du « mauvais côté des rails » (wrong side of the tracks). Les prémices de la déségrégation sont observées dans les années 1950, avec la construction en 1949 de Berkley Square, le premier quartier résidentiel déségrégué et entièrement conçu par l’architecte-urbaniste afro-américain, Paul Revere Williams, et l’ouverture en 1955 du premier hôtel-casino déségrégué dans le Westside, le Moulin Rouge. Cet établissement était une réponse à l’interdiction faite aux artistes noirs de séjourner dans les hôtels-casinos du Strip, alors même qu’ils en étaient les têtes d’affiche, comme Louis Armstrong, Nat « King » Cole, Harry Belafonte ou encore Sammy Davis Junior (Geran, 2006 ; Makenta, 1999). Très réticents à l’idée d’ouvrir leurs établissements aux clients noirs, ce n’est que sous une forte pression de l’opinion publique nationale que les propriétaires d’hôtels-casinos ont signé un accord de déségrégation le 26 mars 1960. Héritage de cette ségrégation, la population noire végasienne est actuellement légèrement inférieure à la moyenne nationale, ce qu’illustre le tableau 12.

72Le tableau 12 met en évidence la forte présence hispanique dans l’aire urbaine végasienne, fait relativement récent qui la distingue des aires urbaines voisines du sud de la Californie (San Diego, Los Angeles, San Jose, Riverside) et d’Arizona (Phoenix, Tucson). En effet, l’essor des Hispaniques dans l’aire urbaine végasienne, se déclarant principalement d’origine mexicaine, est plus tardif que dans les autres aires urbaines du Sud-Ouest. Alors que la population d’origine hispanique ne représentait que 5,5 % de la population totale du comté de Clark en 1970, elle est passée à 30,8 % en 2014, avec un pic d’augmentation entre 1990 et 2000, décennie pendant laquelle la population hispanique est multipliée par deux, principalement dans la municipalité de North Las Vegas. L’importance hispanique croissante dans le bassin de Las Vegas se traduit d’un point de vue économique par la reconnaissance d’un marché latino spécifique, que l’association professionnelle de la Chambre de commerce latino cherche à structurer. D’un point de vue politique, outre l’émergence (encore timide) d’élus d’origine latino, le vote des Hispaniques semble faire progressivement basculer l’État du Nevada en faveur des Démocrates, reflétant l’affirmation des États de l’Ouest comme les nouveaux acteurs clés des rapports de force politiques nationaux, notamment lors des élections présidentielles (Teixeira, 2012).

Tableau 12 : Composition ethno-raciale de la MSA Las Vegas (2014)(en %).

* La catégorie « Autres » inclut les populations amérindiennes (American Indians, Alaska Natives, Native Hawaiians, Other Pacific Islanders) et les populations se déclarant de plusieurs groupes ethno-raciaux à la fois. Source : US Census.

73Plus largement, depuis les années 1980, la population de l’aire urbaine végasienne a connu une « diversification ethnique » (Simich et Wright, 2005, 2010), accueillant de plus en plus de personnes nées à l’étranger, pour atteindre 21,8 % en 2014, dont plus de la moitié est originaire d’Amérique latine (56,1 %), et près d’un tiers d’Asie (31,3 %).

Une aire urbaine lourdement touchée par la crise économique de 2007-2008

74L’aire urbaine de Las Vegas a été l’une des plus durement touchées par la crise de 2007-2008, en raison de la forte spéculation immobilière qui a caractérisé son économie dans la première moitié des années 2000. Pendant cette période, l’arrivée constante de nouveaux habitants alimente un marché de l’immobilier neuf des plus vivace, qui se mesure par l’augmentation constante de permis de construire : alors qu’au début des années 2000, le Bureau du recensement recense en moyenne 30 000 permis délivrés par an, ce chiffre atteint un record de près de 40 000 en 2006. La confiance en la solidité du marché conduit à une augmentation régulière des prix de l’immobilier entre 2000 et 2003, puis à une spéculation qui entraîne une bulle immobilière entre 2003 et 2007, comme le montre le graphique 3. Ce graphique représente à la fois les prix immobiliers en valeur brute25 et ajustés en fonction de l’inflation26.

Graphique 3 : Évolutions des prix de l’immobilier dans l’aire urbaine végasienne (1987-2014).

Source : D’après J. P. Parsons [http://www.jparsons.net/housingbubble/las_vegas.html].

75En dépit de la démultiplication de l’offre, les prix de l’immobilier s’envolent, en étant de plus en plus déconnectés des déterminants économiques fondamentaux que sont les salaires ou le rendement locatif. Les acheteurs végasiens font alors de plus en plus recours aux prêts immobiliers à risque (subprimes), afin d’acquérir des biens aux valeurs largement surévaluées. Cette situation explique l’ampleur du choc de la crise de 2007-2008, sur le marché immobilier puis sur l’ensemble du tissu économique végasiens. À partir de 2007, l’éclatement de la bulle spéculative entraîne une chute drastique des prix immobiliers et un arrêt brusque de nombreux projets, tant résidentiels qu’hôteliers. Le secteur de la construction est profondément affaibli, et de nombreux employés sont licenciés pour chômage technique, ou en raison de la faillite de leurs entreprises. Pour le seul secteur du bâtiment, le nombre de travailleurs n’a cessé de diminuer depuis un pic record en 2006, comme le montre le tableau 13.

Tableau 13 : Diminution du poids de la construction dans la population active végasienne.

Source : US Census (American Community Survey).

76L’effondrement du système des subprimes se traduit par une augmentation des mensualités de remboursement hypothécaire, à laquelle de nombreux propriétaires ne peuvent faire face. Il en découle des défauts de paiement et des saisies immobilières (foreclosures) et une explosion du nombre de ménages underwater, c’est-à-dire des ménages dont le prêt hypothécaire dépasse la valeur de leur bien immobilier. Avec la Floride, le Nevada est l’un des États les plus touchés, ce qui lui vaut le surnom de « capitale des saisies immobilières », et l’aire urbaine de Las Vegas atteint un record absolu de 71 % de propriétaires underwater au début de l’année 2012 (Segall, 2016). Les difficultés financières des propriétaires et la crise du secteur de la construction impactent l’ensemble de l’économie locale. La récession végasienne est de plus accentuée par le fort ralentissement de la fréquentation touristique27, et par la diminution des dépenses des touristes dont le pouvoir d’achat a baissé. Les groupes hôteliers sont à leur tour obligés de licencier, augmentant d’autant les taux de chômage, représentés sur le graphique 4.

77Depuis la fin de l’année 2012, on observe une amélioration de la situation économique végasienne : les prix de l’immobilier repartent doucement à la hausse, le taux de chômage diminue, et une amorce de reprise économique se fait sentir. L’aire urbaine est néanmoins toujours fragilisée, avec 22 % de propriétaires underwater fin 2015, alors que la moyenne nationale est de 13,4 % (Segall, 2016). Le taux de saisies immobilières y est encore très élevé, au 17^e rang national avec 1,48 % en 2015 selon le site d’analyse immobilière RealtyTrack. De même, bien que le taux de chômage ait diminué, il est toujours plus élevé qu’avant la crise, avec un taux de 6,9 % en 2015. Le paysage urbain porte encore les traces de la crise : de nombreux projets de lotissements, comme d’hôtels-casinos, ont été laissés à l’abandon, et dans les zones les plus touchées, le taux de vacance immobilière dépasse les 12 % (LVGEA, 2015). Aux quatre coins du bassin, on peut voir des terrassements inachevés, des rues aboutissant sur des parcelles en friche, des immeubles dont seule la structure a été construite et qui attendent un hypothétique repreneur. Même le Strip est concerné : l’enveloppe de ce qui devait être l’hôtel-casino Fontainebleau a été bâtie, mais l’intérieur reste vide, le tout bordé par un parking dont on ne voit que la structure métallique.

Graphique 4 : Taux de chômage dans la MSA Las Vegas-Henderson-Paradise (2003-2016).

Source : D’après Bureau of Labor Statistics [http://www.bls.gov/lau/metrossa.htm].

Conclusion

78Contrairement à certaines idées reçues, la concentration de plus de 2 millions d’habitants au milieu du désert de Mojave n’est pas une complète ineptie et se justifie au regard de la présence de sources d’eau importantes et d’une localisation stratégique pour les réseaux de chemins de fer à destination de la Californie. Les investissements fédéraux ont joué un rôle essentiel dans la croissance urbaine végasienne, la rapprochant ainsi des trajectoires de la plupart des aires urbaines de l’Ouest américain, ce qui va à l’encontre des représentations libertariennes d’une région qui se serait faite toute seule.

79La recette de la croissance de la vallée de Las Vegas se résume en quelques éléments clés : une économie tirée vers le haut par l’essor du tourisme, avec pour résultante de très bonnes perspectives d’emploi, un parc immobilier abordable (notamment en comparaison avec le voisin californien), de faibles impôts, ajoutés à des conditions climatiques appréciables (climat ensoleillé, chaud et sec) et de multiples opportunités récréatives. L’analyse géohistorique confirme alors que la croissance urbaine végasienne est similaire en de nombreux points à celle des autres villes de l’Ouest américain, tout en se positionnant à la marge par sa spécialisation touristique.