Mottes et châteaux du département du Finistère

1Plusieurs inventaires ont été consacrés aux mottes du département du Finistère correspondant, pour l’essentiel, aux anciens comtés de Cornouaille, au centre et au sud, et de Léon, au nord. Cependant, ces travaux se limitent trop souvent aux seules mottes, à l’exclusion des autres ouvrages terroyés, des châteaux de pierre et des maisons fortes avec lesquels elles sont parfois confondues. Une prospection thématique publiée en 1997 donne les chiffres suivants : 91 mottes certaines, 91 mottes probables et hypothétiques, 83 enceintes circulaires ou ovalaires, 37 enceintes carrées ou quadrangulaires, quelques dizaines d’autres enceintes au tracé mal défini, 28 châteaux de pierre, 11 enceintes de pierre et 26 maisons fortes soit un total de 438 sites médiévaux si on y inclut des ouvrages réoccupés au Moyen Âge ou parfois mal identifiés1. Il convient donc, à partir de l’échantillon des 91 mottes certaines, de replacer celles-ci au sein d’un ensemble morphologiquement plus divers qu’on ne le signale usuellement et d’étudier quel rôle elles ont pu jouer entre le x^e et le xvi^e siècle. Cela permet de faire émerger moins d’une trentaine de sites remarquables méritant l’appellation de « mottes castrales ». Nous présenterons successivement les principaux châteaux finistériens, la place des mottes au sein du réseau castral des comtés de Léon et de Cornouaille et les diverses fonctions qu’elles ont pu assurer au Moyen Âge.

2On peut distinguer une dizaine de châteaux et de places majeures dans les comtés de Cornouaille et de Léon aux xi^e et xii^e siècles. Tout d’abord, les deux cités épiscopales : à Quimper le Tour du Chatel comportait une enceinte, peut-être quadrilatérale, d’environ 3,5 hectares, enfermant la cathédrale, le palais comtal devenu épiscopal, un vaste espace public utilisé comme cimetière et marché et sans doute l’embryon de la cité médiévale2. Cet ouvrage précéda les murailles de la ville close, édifiées entre le xiii^e et le xv^e siècle, tandis que le duc cherchait à contrôler la cité par la construction d’un château. À Saint-Pol-de-Léon, l’auteur de sa vita indiquait que Paul Aurélien, fondateur de l’évêché de Léon, installa son oratoire dans un ancien castellum, plus tard reconstruit en pierre3. Nous en ignorons presque tout : une enceinte urbaine percée de portes est attestée au bas Moyen Âge.

3Trois places fortes des vicomtes de Léon quadrillaient le territoire au nord : Brest, dont le rédacteur de la Legenda Sancti Goeznovei indique, au xi^e ou au xii^e siècle, que c’était une modeste agglomération installée à l’abri des murailles d’un castellum romain, dont les vestiges sont encore visibles à la base des courtines médiévales4. Jusqu’au xvi^e siècle, le château fait la ville : la cité se trouvait dans ce que l’on appelle aujourd’hui le château et l’actuel donjon, un groupe de tours édifiées dans un angle de l’enceinte au xv^e siècle, constituait le château5. La forteresse de Morlaix6 fut implantée sur un promontoire dominant le franchissement de la rivière de ce nom par plusieurs voies antiques, à l’est du comté. Les ducs reconstruisirent ce château, après en avoir pris le contrôle, vers 1180. La ville qui comptait dès lors trois prieurés fut close de murailles, peut-être dès le xiii^e siècle7. Lesneven dut à sa position centrale sur le plateau léonard, à mi-distance de Morlaix et de Brest, d’avoir été choisie comme chef-lieu de baillie par les ducs au xiii^e siècle. Nous y avons reconnu un vaste enclos du haut Moyen Âge auquel succédèrent une motte ou enceinte castrale lors de la période féodale puis un château de pierre quadrangulaire de plus de 150 mètres de côté8.

4Trois forteresses relevaient des comtes de Cornouaille puis des ducs de Bretagne au centre du département : l’imposant château de Châteaulin occupait le sommet d’un escarpement au fond de la ria de l’Aulne, au-dessus d’un gué que franchissait un itinéraire ancien. Cette forteresse est attestée dès la fin du x^e siècle9. Carhaix est l’ancienne Vorgium, la capitale déchue de la civitas des Osismes qui disparut dans les ténèbres au Bas-Empire. Outre sa fonction de carrefour auquel elle doit son nom, elle dut rester un « lieu de pouvoir » durant l’époque carolingienne, le siège d’un caer, un castrum10. La trace d’une enceinte quadrilatérale de 150 à 200 mètres de côté apparaît au sein du parcellaire orthogonal hérité de l’Antiquité. Dans un angle de ce parallélogramme se dressait une « motte », mal connue mais attestée à la fin du xv^e siècle11. Châteauneuf-du-Faou serait une construction nouvelle sans doute destinée à tenir le pays entre Carhaix et Châteaulin. La forteresse fut enlevée par les vicomtes de Léon en 118612. On y a récemment identifié une motte13.

LES MOTTES CASTRALES DU FINISTERE

5Au sud du comté de Cornouaille, à Quimperlé, le comte, Alain Canhiart, cèda sa villa Anaurot à des bénédictins qui y fondèrent l’abbaye de Sainte-Croix, au milieu du xi^e siècle14. Un autre castrum y aurait été construit par le duc au début du xiii^e siècle et un troisième dans la forêt voisine de Carnoët. Un peu plus à l’ouest, Concarneau est promis à un bel avenir mais les murailles de la ville close actuellement visibles ne sont pas antérieures au milieu du xv^e siècle. Une motte ou un rocher aménagé s’élevait à l’extrémité du rocher, au fond des vasières du Moros, à proximité d’un itinéraire reliant Quimper à Quimperlé et d’un prieuré de Landévennec attesté au xi^e siècle15.

6On recense ainsi neuf châteaux ou places majeures dont trois seulement auraient comporté une motte, sans exclure bien sûr que des reconstructions aient pu entraîner la disparition de tels ouvrages. On préféra le plus souvent établir les châteaux dans des sites qui présentaient des facilités de défense : un promontoire, une éminence, un confluent, une île. L’érection d’une motte artificielle n’était pas nécessaire. C’est le même choix qui prévalut à La Roche-Maurice, principal château de la seigneurie de Léon, réédifié vers 1180-1200 sur une butte rocheuse, un roc’h. Il faudrait aussi compter avec les sept villes closes, la vingtaine de châteaux de pierre secondaires et plusieurs dizaines d’enceintes terroyées contemporaines des mottes. La différence est avant tout morphologique et la classification entre motte, enceinte circulaire et maison forte reste quelquefois subjective16.

7L’histoire des châteaux du Finistère aux xi^e et xii^e siècles reste méconnue17. Vers l’an Mil, A. Chédeville et N.-Y. Tonnerre n’y recensent, d’après les sources écrites, que Quimper et Châteaulin ; vers 1100, ils y ajoutent Le Faou, Morlaix et Carhaix18. Les deux premiers sont des forteresses des comtes de Cornouaille, les trois autres sont détenus par les trois familles vicomtales de Cornouaille, Léon et Poher qui ont profité de l’accession des comtes de Cornouaille au trône ducal, en 1066, pour s’émanciper et affermir leur autorité sur leurs possessions patrimoniales, des terres qui leur avaient été concédées ou encore sur des biens usurpés. L’apparition des premiers châteaux en dehors des domaines comtaux survint dans le second tiers du xi^e siècle mais les listes vicomtales demeurent incomplètes et les noms des milites qui figurent dans les actes sont trop rarement suivis du nom de leur résidence pour pouvoir identifier les maîtres des mottes.

8Nous ne relevons que cinq mentions de châteaux à motte lors des guerres féodales des xi^e et xii^e siècles. Au milieu du xi^e siècle, Alain Canhiart, comte de Cornouaille, dut successivement combattre l’ost du vicomte de Léon, Guiomarch, puis mater la révolte de Morvan, vicomte de Cornouaille. Hoël, devenu duc de Bretagne en 1066, fit face à une révolte de seigneurs cornouaillais vers 1072. Il en fut de même alors pour le vicomte de Léon qui triompha d’un de ses vassaux nommé Mériadec : ce dernier périt lors de l’assaut de son château que l’on ruina19 mais, en 1103, Guyomarch de Léon, fut assassiné, sans doute à l’occasion d’une révolte20. Peu avant 1108, Tanguy, vicomte de Poher, fit don au monastère de Saint-Sauveur de Redon de terres situées près de son castellum21. Celui-ci est tantôt localisé à Carhaix, dont la garde lui aurait été confiée par le duc de Bretagne, tantôt à La Roche en Cléden-Poher, identifiée par Hubert Guillotel comme étant le chef-lieu de la vicomté de Poher22. Un acte du cartulaire de Quimperlé, daté des années 1081-1114, relate que Simon, fils de Cariou, fut mortellement blessé apud rupem Cletguenn23 ; il s’agit cette fois avec certitude de ce dernier ouvrage. En 1163, le vicomte de Cornouaille s’empara par la ruse d’Hervé de Léon et de son fils Guyomarch et les enferma dans le château de Châteaulin dont il avait la garde. La place fut assaillie et prise par l’ost rassemblé par Hamon, évêque de Léon, assisté du duc Conan IV. Le vicomte du Faou, son fils et son frère furent à leur tour enfermés au château de Daoulas (apud Douglasium) où ils moururent de faim et de soif24. Cette forteresse apparaît encore vers 1173 dans la relation de la fondation de l’abbaye de Daoulas avec la mention d’un sénéchal et du chapelain de la chapelle du château25.

9Plusieurs chroniqueurs ont en outre laissé des témoignages sur les révoltes des vicomtes de Léon contre Henri II Plantagenêt et ses fils26. En 1167, les troupes royales envahirent le Léon : elles prirent et incendièrent la forteresse la mieux défendue de Guyomarch de Léon qui dut se soumettre et donner des otages. En 1169, ce dernier chassa son frère Hamon de l’évêché de Léon. Conan IV rassembla une armée et défit le vicomte, près de Commana. Guyomarch fit assassiner son frère deux ans plus tard mais dut rapidement se soumettre à Henri II Plantagenêt auquel il remit ses châteaux. D’autres révoltes survinrent avant 1179, quand les possessions du vicomte furent confisquées puis démembrées par Geoffroy Plantagenêt. La mort de ce dernier, en 1186, donna le signal d’une nouvelle révolte : Guyomarch et Hervé de Léon s’emparèrent des châteaux de Morlaix et de Châteauneuf-du-Faou. Henri II vint en personne reprendre celui de Morlaix. Selon Pierre Le Baud, en 1196, le jeune Arthur de Bretagne poursuivi par Richard Cœur de Lion trouva refuge au château de Brest ; une bataille se serait déroulée près de Carhaix.

10Les vicomtes de Léon se révoltèrent ensuite contre Pierre Mauclerc, baillistre du duché, qui envahit les terres de Conan de Léon où il se conduisit en maître dès 1216. Conan et Salomon de Léon furent réduits à se réfugier dans les bois d’où ils entreprirent des actions de guérilla jusque vers 122327. Pierre Mauclerc entendit exercer à son profit le droit de fortification et exiger que les châteaux lui fussent cédés lors des réquisitions28. Après une brève accalmie, les combats reprirent vers 1239-1241. En 1240, à l’issue d’une guerra, le vicomte de Léon, Hervé III, céda la ville, le château et le port de Brest (villa de Brest et castrum et portus) au duc de Bretagne Jean Le Roux29. Son parent, Hervé III, seigneur de Léon, incendia le castellum de Quimperlé30. Il décéda en 1241 : son château de La Roche-Maurice aurait été dévasté. Son fils, Hervé IV, s’engagea à verser une lourde indemnité au duc en 1260 pour toutes les forzfaitures e les domages que Hervé de Leon nostre père fist à icelui duc31.

11Les mentions de châteaux à motte deviennent plus nombreuses aux xiii^e et xiv^e siècles : en 1260, Sylvestre de Coetmeur promit de remettre à Hervé de Léon le castrum de Coetmor lors de toute réquisition. En 1274, Hervé de Léon vendit la vile qui est appellée Conquest… e le port e le chatel au duc de Bretagne32. Ce château serait la motte de la presqu’île de Kermorvan, face à la cité du Conquet. Le chastel dou Conquest changea plusieurs fois de mains au début de la guerre de Succession de Bretagne, en 1341-1342. En 1318, il est fait mention des domaines dou chastel de Coetmel dans le traité de mariage entre Hervé du Pont-L’Abbé et Mahaut de Léon33. Il s’agit de la motte de Castel-Huel en Coat-Méal, détenue par les seigneurs de Léon. En 1330, lors de l’enquête pour la canonisation d’Yves Haelori de Kermartin, Plézou de Pestivien, veuve d’Henri Charruel, relata que le saint résida in manerio dicti militis, mariti sui, vocato Le Fertey diocesis Trecorensis34. Ce manoir est identifié à la motte de Coat-ar-Ferté en Plouigneau.

12Le livre des Ostz de Bretagne rédigé en 1294, nous donne des indications précieuses quoique tardives sur les détenteurs de quelques mottes et sur le rang qu’ils occupaient alors dans la hiérarchie féodale35 : Olivier de Tinténiac, seigneur de La Roche-Moisan en Arzano, y apparaît pour deux chevaliers. Cette motte devrait son nom à l’un des Moisan mentionnés dans le cartulaire de Sainte-Croix de Quimperlé vers 1037, 1081-1089 et 1126. Le seigneur de Guergoullé doit deux chevaliers d’ost : son château est la motte de Kergorlay en Motreff. Le premier représentant de ce lignage est Pierre de Kergorlay, chevalier, sénéchal du comte de Bretagne en Cornouaille et Poher en 1258. Le veier dou Fou sert avec trois hommes armés pour la vicomté du Faou et un autre chevalier pour ses terres de Léon. C’est un descendant d’Ehuarn, premier représentant connu des vicomtes de Cornouaille, au début du xi^e siècle36. Yvon de Rosmadec, doit un chevalier. Il porte le nom de la seigneurie de Rosmadec en Telgruc dont le siège était une motte, remplacée par un château de pierre au bas Moyen Âge. Gourmailon le filz Sanquin en doit un autre : c’est un représentant du lignage de Pont-Croix qui s’éteint peu après dans celui de Tyvarlen en Landudec. L’applacement, motte ou levée ou estoit autresfoys le chasteau ou forteresse dudict Pontecroix est en ruine à la fin du xvii^e siècle37. Guillaume dou Plesseiz se rend lui même à l’ost : il serait le seigneur du Quinquis ou Plessis-Ergué en Ergué-Armel, aujourd’hui en Quimper, un des quatre nobles qui porte la chaise de l’évêque de Quimper lors de son intronisation. Alain de Kaermoven doit deux chevaliers d’ost : il détient le château de Kermavan ou Carman en Kernilis et la seigneurie de Coët-Seiz-Ploué en Plounévez-Lochrist où une motte a précédé le manoir du xv^e siècle. Henri Charruel doit un chevalier pour son fié Even Guen dont le siège est la motte de Castel-Charruel en Guerlesquin.

13Ces mentions sont bien trop tardives pour permettre d’appréhender l’histoire de la majorité des mottes du Finistère. Nombreuses sont celles qui n’apparaissent que dans des aveux des xv^e et xvi^e siècles : l’extinction de certains lignages engendre dès lors une concentration de châteaux au sein de quelques familles, entraînant l’abandon des édifices qui ne sont plus conformes aux usages tant résidentiels que défensifs. Des familles châtelaines cessent d’entretenir les châteaux dans lesquels elles ne résident pas38. Les forteresses qui somment plusieurs mottes sont en ruine dès le milieu du xv^e siècle, comme Kergorlay en Motreff en 1456 et Daoulas en 1479. L’ouvrage de Trégueiller en Plounéour-Trez est désigné comme vielle tour et mothe en 147339. À Castel-Huel en Coat-Méal le vieil chasteau est en mauvais état en 150540 : la motte a été délaissée au profit d’un manoir voisin et sa juridiction transférée au manoir de Locmajan en Plouguin. À La Roche en Arzano, le duc autorise, en 1482, le transfert du droit de guet et autres prérogatives jadis attachées à la place et chastel du dit lieu de la Roche-Moisan auparavant la ruine et démolition d’icelle…, laquelle est jà piéça cheue en ruine et décadence, au château de Tréfaven en Ploemeur, devenu siège de la seigneurie41. D’autres cas d’abandon de motte au profit d’un château de pierre sont avérés à Castel-Douar en Saint-Thégonnec et Castel-Quimerc’h en Bannalec. Dans quelques cas, le transfert vers un manoir voisin aurait été plus tardif comme au chasteau de Roedoezhir42 en Kernoues, vraisemblablement toujours établi sur la motte en 1455. À Lesquelen en Plabennec, la tour sur motte serait délaissée vers le xiv^e siècle au profit d’un manoir édifié dans la basse-cour puis transféré en dehors de ces anciens retranchements, au xvi^e siècle43.

MOTTES ET CHATEAUX DU FINISTERE

14L’absence de textes et plus encore la difficulté d’établir des filiations pour les lignages des milites aux xi^e et xii^e siècles ne permettent pas d’identifier la majorité des détenteurs de mottes. On peut néanmoins tenter de distinguer quelles furent les mottes qui jouèrent un rôle effectif avant le xiii^e siècle, en fonction de critères morphologiques, des rares sources historiques et de l’importance des seigneuries dont elles étaient les chefs-lieux.

15Les principaux châteaux des comtes de Cornouaille étaient Châteaulin et Quimper dès le début du xi^e siècle. Trois mottes apparaissent par ailleurs comme chefs-lieux de châtellenie dans les comptes ducaux au xiii^e siècle. Celle de Carhaix, ville assiégée par Bertrand du Guesclin en 1363, n’est plus qu’un terrain vague au début du xvi^e siècle. La motte de Châteauneuf-du-Faou est plus mal connue encore : ce château est inhabité dès le milieu du xv^e siècle. Concarneau dont les murailles de la ville sont reconstruites au xv^e siècle devient, avec Brest, une des principales places fortes de Basse Bretagne lors des guerres d’indépendance. La « motte » ne joue plus alors qu’un rôle accessoire : en 1540, le vieux chasteau sert encore pour mener l’artillerie et faire assemblée de gens de guerre44.

16Les vicomtes de Cornouaille attestés dès le début du xi^e siècle auraient érigé le château du Faou auquel ce lignage emprunta son patronyme, vers la fin du xii^e siècle45. Cette motte pourrait avoir été bâtie vers le milieu du xi^e siècle, quand Morvan chercha à s’émanciper de la tutelle comtale. Il est probable que ces vicomtes édifièrent aussi la motte de Daoulas et le château de La Roche-Maurice, l’ancien Roc’h Morvan. Ces trois ouvrages assuraient la protection du nord-ouest de la Cornouaille, face aux belliqueux vicomtes de Léon, opposés aux vicomtes du Faou en 1163. Les vicomtes de Léon se rendirent maîtres de des forteresses de Daoulas et La Roche-Maurice, au plus tard à cette occasion46. Le territoire contrôlé par les vicomtes du Faou aurait ainsi, à l’origine, été deux à trois fois plus vaste que ne le fut la vicomté du Faou au bas Moyen Âge. Le tertre de Daoulas s’élevait sur un îlot de la rivière de Daoulas, la chapelle castrale sur un îlot voisin et un troisième abritait vraisemblablement la basse-cour, à proximité du moulin et du pont. Ce château était ruiné dès 1479 mais les traces d’une tour ronde demeuraient visibles à proximité de cette motte au xix^e siècle. Par contre, vers 1521, le receveur de la seigneurie de la Roche-Helgomarc’h présentait encore ses comptes à Charles du Quélennec, seigneur du Faou et de la Roche-Helgomarc’h à la « Motte du Faou47 ». On observait toujours les vestiges d’une enceinte de pierre carrée d’une quarantaine de mètres de côté au sommet de ce tertre au début du xx^e siècle48. La châtellenie de Daoulas s’étendait sur une dizaine de paroisses et de trèves et la vicomté du Faou sur dix-sept paroisses et trèves49. La motte de la poudrerie de Pont-de-Buis qui contrôlait le franchissement de la Douffine, entre Le Faou et la forteresse ducale de Châteaulin, pourrait avoir complété ce dispositif50.

17On connaît mal les forteresses des vicomtes de Léon aux xi^e et xii^e siècles. Outre Morlaix, ils détenaient Brest, Lesneven, La Roche-Maurice, Daoulas, Castel-Huel en Coat-Méal, Le Conquet ainsi que la maison de Coetgarz et le maner dou Damany, mentionnés dans les années 127051. Sur ce nombre, trois châteaux secondaires étaient des mottes. Celle du Conquet assurait la surveillance d’un mouillage dynamique et des sécheries de la pointe occidentale du Léon qui attiraient la convoitise des Anglais et des Gascons. La motte de Coat-Méal au sommet de laquelle on a pu observer les vestiges d’un château de pierre était le chef-lieu d’une modeste châtellenie de six paroisses au bas Moyen Âge52. Quant à celle Daoulas, elle aurait été, nous l’avons vu, ravie aux vicomtes du Faou.

18La motte de La Roche en Cléden-Poher, attestée vers 1100, était le chef-lieu de la vicomté de Poher. Avec sa puissante tour maîtresse, ses deux vastes basses-cours dont une abritait le village, son moulin et la présence de deux parcelles nommées Parc Marchallac’h (le champ du marché), c’était la principale motte de ce secteur, à mi-distance des forteresses ducales de Carhaix et de Châteauneuf. Cette vicomté fut intégrée, en totalité ou en partie, au domaine ducal lors de l’extinction de ce lignage, au début du xiii^e siècle53.

19 Des auteurs s’appuyant sur d’antiques généalogies ou des traditions anciennes ont pu affirmer que les détenteurs de quelques mottes étaient issus de prestigieux lignages, qu’ils en étaient des juveigneurs. Il en va ainsi de Kergorlay en Motreff qui est qualifiée de « juveigneurie de Poher54 ». La famille de Penhoat en Saint-Thégonnec serait « issue en ramage des anciens chefs ou comtes de Léon55 » : son premier représentant apparaît dans un acte de 123556. De même, la seigneurie de Quimerc’h en Bannalec serait un « apanage d’une branche de la maison de Cornouaille57… »

20Par contre, il est bien avéré que le lignage de Lesquelen en Plabennec, est un rameau de la famille des seigneurs de Léon, issu de Salomon de Léon, frère cadet de Hervé II de Léon, cité en 1206. En 1277, Hervé, le filz Salomon, concèda aux religieux de l’abbaye du Relecq en Plounéour-Ménez le tiers de la seigneurie de Lesquelen qui s’étendait sur plusieurs paroisses58. C’est à cette époque seulement que Hervé, son principal héritier, prit le nom de Lesquelen59. La motte de Lesquelen, déjà modernisée vers le xii^e siècle par la construction d’un donjon, d’une enceinte maçonnée et d’une chape de pierre qui en recouvrait les flancs, pouvait alors être classée parmi les châteaux secondaires de la seigneurie de Léon.

21Sur 91 mottes, deux à trois seulement sont attribuables aux comtes de Cornouaille, deux à trois autres aux vicomtes du Faou, deux aux vicomtes de Léon et une aux vicomtes de Poher. Il reste aléatoire d’y ajouter les quelques exemples précédents. Les lignages qui apparaissent dans l’entourage des puissants au xiii^e siècle sont les descendants des optimates, primates, domini et milites qui gravitent dans l’entourage des comtes et des vicomtes dès les xi^e et xii^e siècles mais l’usage de faire suivre le prénom, le nomen, par un surnom géographique correspondant à une terre est tardif en basse Bretagne. En 1294 encore, le seigneur de Pont-Croix est désigné sous l’appellation Gourmailon, filz Sanquin, dans le Livre des Ostz. Il reste fastidieux, voire impossible d’en dresser la généalogie pour des époques reculées60.

22Parmi les autres mottes, plusieurs étaient des centres de seigneurie dominant plusieurs paroisses. Celle de Maillé en Plounévez-Lochrist était le chef-lieu du fief de Seizploué ou Coat-Seizploué qui s’étendait dans sept paroisses du Haut Léon. Il passa dans les mains des Kermavan avant 1263. La motte de Castel-Douar en Saint-Thégonnec précéda le château de Penhoat, seigneurie qui rassemblait huit paroisses et trèves. Le ressort de la motte de Kergorlay en Motreff comprenait huit paroisses et était désigné comme première baronnie de Cornouaille au xv^e siècle. La châtellenie de Pont-Croix comptait huit paroisses dans le Cap-Sizun. Stang-Rohan en Pluguffan était le chef-lieu du fief du Quéménet qui s’étendait dans une douzaine de paroisses et de trèves à l’ouest de Quimper. Détenu par les seigneurs de Léon avant de passer aux Rohan en 1363, ce château fut incendié lors d’une révolte de paysans, vers 1490. De la seigneurie de La Roche-Moisan en Arzano, issue du démembrement du fief de Quéménet-Héboi au début du xiii^e siècle, dépendaient une dizaine de paroisses et de trèves. Ces deux ouvrages étaient sommés de tours de pierre.

23On n’a souvent vu dans les mottes que des châteaux de terre et de bois, des points d’appui qui étaient les ancêtres des châteaux forts et pouvaient ponctuellement servir de refuge aux populations environnantes lors des guerres féodales. C’est omettre qu’elles ont pu assurer d’autres fonctions : résidence d’un aristocrate qui se distinguait par sa demeure pourvue d’attributs défensifs et chef-lieu d’une seigneurie, parfois châtellenie.

24Dans une quinzaine de cas, le lignage est quelquefois attesté avant 1350 mais ces ouvrages ne semblent jouer qu’un rôle secondaire. Le fief qui leur est associé ne comprend qu’une, voire quelques paroisses. Certaines sont déjà passées par mariage dans les mains d’une autre famille comme pour Coat-ar-Ferté en Plouigneau, Tournuz en Plounévez-Lochrist, Roudoushir en Kernouës, Les Granges en Plouédern, Le Hellès en Bolazec, Rosquijeau en Poullaouen, Le Plessis/Quinquis en Quimper et La Marche en Trézilidé. On connaît parfois quelques représentants de ces lignages avant 1350 comme pour Coativy en Bourg-Blanc, Coatmeur en Landivisiau, Charruel en Guerlesquin, Rosmadec en Telgruc, Trévalot en Scaër et Quimerc’h en Bannalec. Ils sont cités comme témoins ou comme officiers dans des actes, au même titre que d’autres personnages qui ne semblent pas toujours avoir détenu de motte.

25Dans environ vingt-cinq cas, ces lignages n’apparaissent que dans des actes du bas Moyen Âge, montres ou aveux. Ils ont déjà construit ou s’apprêtent à édifier une nouvelle résidence, un manoir, à proximité de l’antique motte. Pour plus d’une trentaine d’autres mottes, nous restons dans l’impossibilité de les relier à un quelconque lignage : point de patronyme identique dans les anciens armoriaux et pas non plus de manoir à proximité. Certes, pour une dizaine d’entre-elles, certains indices permettent de les relier à un lieu qui paraît noble mais près d’une vingtaine encore doivent être classées comme « mottes anonymes » et non des moindres : Lamber en Ploumoguer, Castel-ar-Valy en Locmaria-Berrien, Langoat en Loc-Eguiner, Bohars-ar-Hoat en Bohars pour ne citer que les plus remarquables. Elles seraient les témoins de luttes survenues pour le contrôle de territoires aux xi^e et xii^e siècles, l’ultime vestige matériel d’un lignage qui n’aurait pas connu de postérité ou encore un point d’appui secondaire.

26Les deux tiers de nos mottes peuvent ainsi être associées à un lignage ou à une seigneurie au bas Moyen Âge. Cela montre que ce fut un type de résidence aristocratique assez répandu. Elles attestent de leur lente émergence, voire de leurs ambitions aux xi^e et xii^e siècles et de leur volonté d’afficher un certain statut social. Loin d’être destinés à faire la guerre, ces ouvrages seraient d’abord des résidences de lignages qui, par leur caractère, voire la présence d’une tour, entendaient montrer leur appartenance à l’aristocratie. Le symbolisme l’emporterait ainsi sur la fonction guerrière. Le contexte de leur édification nous reste inconnu. Un seigneur a pu parfois autoriser leur érection par un vassal ou s’en assurer le contrôle en se réservant une possible utilisation lors de ses guerres, comme cela est attesté tardivement pour Coatmeur en Landivisiau, en 1260, après une révolte survenue vers 123961. On pourrait difficilement expliquer les concentrations de mottes dans le haut Léon et dans la partie sud-est du domaine ducal en Cornouaille si on ne considérait pas que les vicomtes, les comtes et les ducs aient pu laisser, bon gré mal gré, leurs vassaux les plus fidèles bâtir ces mottes au cœur de leur domaine. La multiplication de ces ouvrages ne devait présenter qu’un danger tout à fait relatif face à un ost bien organisé. Certaines mottes seraient la résidence de vassaux assignés à la garde d’un château voisin, voire à un office de justice ou de perception de taxe, une prévôté. On expliquerait ainsi la proximité des mottes de Coativy en Bourg-Blanc et Castel-Huel en Coat-Méal. En 1228, Hervé de Léon fit une donation à l’abbaye de Saint-Mathieu apud Coetivy62. Prigent de Coëtivy fut sénéchal de Léon pour le duc vers 1287. Pareillement, la motte de Coatmeur en Landivisiau était située à moins de deux kilomètres du siège de la châtellenie de Daoudour. Le lignage de Coëtmeur est présent dans l’entourage des seigneurs de Léon durant un siècle : en 1341, Hervé de Léon institua Yvo de Coetmeur miles comme garde de ses enfants dans son testament63. Quatre kilomètres séparent la motte de Penhoat de la ville close de Concarneau. Le seigneur de ce lieu, parfois nommé Chef du Bois Thominec, était au bas Moyen Âge le voyer féodé de Concarneau : il avait la garde des prisons de la ville.

27Ainsi, la motte semble d’abord être un centre de seigneurie, au cœur d’un territoire essentiellement rural : « la présence de bonne terre, de forge, de moulin, d’étang, de route, de bourg sont autant d’indices qu’il faut analyser avec soin64 ». C’est peut-être ce qui permet d’expliquer certaines concentrations de mottes au sein de vieux terroirs agricoles. De nombreuses mottes sont voisines d’un moulin, 29 avec certitude et 18 autres probablement, selon un comptage très provisoire. La proximité d’une route ne s’explique pas que par un rôle de surveillance mais aussi probablement par la perception de droits sur le trafic des marchandises, notamment pour le franchissement d’un pont construit et entretenu par le seigneur. Les échanges sont attestés par la découverte de céramique onctueuse, produite dans la région de Plonéour-Lanvern sur les mottes cornouaillaises de La Roche en Cléden-Poher, Le Quillio en Bannalec, la ville close en Concarneau, Bossavarn en Plomelin et Coat-Penguilly en Peumerit mais aussi en Léon à Lesquelen en Plabennec, Leslouc’h en Plouédern et Lamber en Ploumoguer. On a peu d’informations pour ce qui concerne les forges et l’extraction de minerais. La motte du Camp d’Artus au Huelgoat et celle de Castel-ar-Valy en Locmaria-Berrien sont implantées au sein d’un important gisement de plomb argentifère qui aurait été exploité dès l’Antiquité. L’ouvrage de La Motte en Milizac est située non loin d’un ancien site d’extraction de cassitérite. La motte de Coat-Penguilly en Peumerit s’élève à moins de deux kilomètres du village de Bodérès en Plonéour-Lanvern qui était un des centres de production de la céramique onctueuse.

28Quelques mottes sont à l’origine de la formation d’une agglomération65. Certaines sont des chefs-lieux de canton (Carhaix, Châteauneuf-du-Faou, Concarneau, Daoulas, Le Faou et Pont-Croix), d’autres sont les centres de petites communes rurales (Coat-Méal et Kernével), quelques mottes se dressent au cœur d’un village qui pourrait parfois correspondre à un bourg castral avorté (Kergorlay en Motreff, La Roche en Cléden-Poher, Rosquijeau en Poullaouen et Lamber en Ploumoguer). Cela montre que quelques mottes ont pu, à partir des xi^e et xii^e siècles, attirer des paysans ou des artisans de la seigneurie, voire quelques marchands auxquels elles offraient une protection. La présence d’une chapelle castrale ou d’un lieu de culte parfois dédiés à Notre-Dame ont favorisé ce regroupement, comme à Carhaix, Daoulas, Châteauneuf-du-Faou, Coat-Méal et Pont-Croix. Quelquefois le seigneur a fait appel à des moines pour fonder un prieuré et un bourg associé ; c’est le cas à Carhaix, Concarneau et Coat-Méal. À Daoulas, les vicomtes de Léon sont, vers 1173, les fondateurs d’une abbaye. Ces créations sont souvent trop tardives ou trop modestes pour engendrer la création d’une nouvelle paroisse, au détriment des paroisses primitives voisines. Seules les églises de Daoulas et de Kernével sont dans ce cas ; celles de Carhaix, Coat-Méal, Concarneau, Le Faou, Lamber en Ploumoguer et Pont-Croix sont restées des églises tréviales.

29 L’examen des maigres sources historiques concernant les mottes du Finistère montre qu’un tiers d’entre elles seulement a pu jouer un rôle militaire ou politique, bien souvent secondaire. La plupart ne sont que les ancêtres méconnus de ce que Michel Brand’honneur a qualifié de « manoirs à motte » dans son étude sur le comté de Rennes66. Les mottes ne constituent pas un type d’ouvrage exclusif aux xi^e et xii^e siècles : les châteaux majeurs n’en sont pas toujours pourvus et la motte apparaît davantage comme un type de château secondaire, caractéristique des résidences de certains lignages aristocratiques, avant tout attachés à cette représentation symbolique du pouvoir, même tardivement. Quelques mottes, parfois sommées d’ouvrages de pierre, correspondent à des châteaux mineurs, des chefs-lieux de seigneuries pouvant s’étendre dans plusieurs paroisses. En tout état de cause, il convient de ne plus voir dans cette centaine d’ouvrages finistériens autant de châteaux qui seraient les témoins de l’« anarchie féodale ». Elles ont avant tout participé au maillage seigneurial mis en place aux xi^e et xii^e siècles qui devait perdurer jusqu’à la Révolution.